TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:
■
6ème chambre 2ème section
N° RG :
N° RG 20/00584 - N° Portalis 352J-W-B7E-CRPEF
N° MINUTE :
Assignation du :
31 Décembre 2019
JUGEMENT
rendu le 05 juillet 2024
DEMANDERESSE
Société anonyme d’économie mixte ADOMA
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Maître Nicolas DHUIN de la SELARLU NHDA, avocats au barreau de PARIS, vestiaire P0213
DÉFENDERESSES
SMABTP en qualité d’assureur de la société ECV
[Adresse 8]
[Localité 6]
représentée par Me Paul-Henry LE GUE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P0242
Décision du 05 Juillet 2024
6ème chambre 2ème section
N° RG 20/00584 - N° Portalis 352J-W-B7E-CRPEF
Société ENTREPRISE DE CONSTRUCTION DE LA VALLEE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 7]
représentée par Me Pierre BALLADUR, avocat au barreau de MEAUX, vestiaire #E0476
S.A.S. CABINET NBBH ARCHITECTES
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Maître Arnaud MÉTAYER-MATHIEU de la SELARL HUGO AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire A0866
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Nadja GRENARD, Vice-présidente
Madame Marion BORDEAU, Juge
Madame Stéphanie VIAUD, Juge
assistées de Madame Audrey BABA, Greffier, lors des débats et de Madame Francine MEDINA, greffière lors de la mise à disposition
DÉBATS
A l’audience du 04 avril 2024 tenue en audience publique devant Madame Nadja GRENARD, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile.
JUGEMENT
Contradictoire
en premier ressort
Prononcé par mise à dispostion au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues aux deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
Signé par Madame Nadja GRENARD, présidente de formation, et par Madame Francine MEDINA, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
____________
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Adoma a, en qualité de maître d’ouvrage, fait réaliser des travaux de réhabilitation d’un bâtiment de bureaux en centre d'orientation pour migrants sur un terrain situé [Adresse 9] à [Localité 10].
Sont notamment intervenus à la construction :
la société NBBH en qualité de maître d’œuvre ;
la société ENTREPRISE DE CONSTRUCTION DE LA VALLEE (ECV), entreprise tous corps d'état, assurée auprès de la SMABTP et qui s'est vue notamment confier le lot étanchéité des toitures-terrasses.
En cours de chantier, le 9 avril 2018, la société Adoma a constaté que la pluie s’est infiltrée et a pénétré la totalité du complexe isolant de la toiture-terrasse, entraînant sa détérioration intégrale et a fait établir un constat d'huissier le 11 avril.
Le 4 juin 2018, le maître d’ouvrage a régularisé une déclaration de sinistre auprès de la société AXA France Iard, assureur multirisques.
La société Axa France Iard a missionné un expert d'assurance, la société Texa, qui a établi un rapport d'expertise le 18 juillet 2018.
Par courrier du 9 septembre 2019, la société Axa France Iard a dénié sa garantie « dégâts des eaux » au motif que la toiture-terrasse a été percée lors des travaux réalisés par la société ECV et n’a pas été protégée par cette dernière.
Suivant marché du 15 janvier 2019, la société Adoma a confié à la société Dorquelle Couverture les travaux de réparation de l’étanchéité et du complexe d’isolation thermique de la terrasse, sous la maîtrise d’œuvre du cabinet NBBH Architectes.
Un rapport d'expertise complémentaire a été établi le 28 mai 2019 suite à la découverte par la société Dorquelle Couverture d'une deuxième couche d'isolation au niveau du complexe nécessitant un coût complémentaire pour la remise en état du complexe d'étanchéité.
Par courriers recommandés du 4 décembre 2018 adressés à la société ECV et à son assureur, la société Adoma a sollicité le paiement de la somme de 179 967€ au titre de la réparation du complexe d'étanchéité dégradé.
Engagement de la procédure au fond
Par exploit d'huissier du 31 décembre 2019, la société ADOMA a assigné devant le Tribunal de grande instance de Paris (devenu le tribunal judiciaire) la société ECV et son assureur la SMABTP aux fins notamment de les voir condamner solidairement au paiement des travaux de réparation.
Par exploit d'huissier du 31 mai 2022, la société ECV a assigné en garantie la société NBBH ARCHITECTES.
Par ordonnance du 6 janvier 2023, le juge de la mise en état a ordonné la jonction des deux instances.
Moyens et prétentions des parties
Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 31 mai 2021, la société ADOMA sollicite de voir, par décision assortie de l'exécution provisoire, condamner solidairement la société Entreprise de Construction de la Vallée (ECV) et la SMABTP à lui payer les sommes suivantes:
198.630,81 € HT de dommages et intérêts au titre des travaux de réparation réalisés, avec intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 2018, date de la première mise en demeure ;
10.000 € à titre de dommages et intérêts à raison de leur résistance abusive ;
10.000 € au titre des frais irrépétibles et aux dépens.
A l'appui de ses prétentions, la société demanderesse expose que :
- la société ECV doit voir sa responsabilité contractuelle engagée sur le fondement de l'article 1231-1 du Code civil dans la mesure où elle a manqué à son obligation de résultat en ne protégeant pas son ouvrage et où la matérialité des faits et son imputabilité ne sont pas contestées ;
- les désordres sont établis au vu du constat d'huissier et du rapport d'expertise ;
- la société ECV n’a pris aucune mesure afin d’éviter les risques d’infiltrations en cas d’intempéries
malgré les demandes de la maîtrise d’œuvre de sorte qu'elle ne saurait reporter la faute sur le maître d'oeuvre ;
- la société ECV a la garde du chantier jusqu'à la réception et se voit à ce titre transférer les risques du chantier ;
- en vertu du principe de la réparation intégrale elle a droit à la remise en état totale du complexe d'étanchéité dégradée du fait de la société ECV en conformité avec la norme RT 2012 applicable aux travaux sans application de coefficient de vétusté.
* * *
Aux termes des dernières conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 18 octobre 2023, la société Entreprise de Construction de la Vallée (ECV) sollicite de voir :
A titre principal
débouter la société ADOMA de sa demande de condamnation formée à son encontre ;
A titre subsidiaire
limiter le préjudice de la société ADOMA à un montant maximum de 81 284,01 € ;
En tout état de cause
condamner la SMABTP à la garantir indemne de toute condamnation qui pourrait être prononcée contre elle dans le cadre de la présente instance ;
débouter la société ADOMA de sa demande de condamnation pour résistance abusive et la demande d’exécution provisoire de la décision à intervenir ;
condamner la société ADOMA à lui payer une somme de 15.000 € au titre des frais irrépétibles.
Au soutien de sa défense, la société ECV fait valoir que :
- aucune responsabilité ne peut être retenue à son encontre dans la mesure où la cause du dommage réside dans les manquements du maître d'oeuvre à son devoir de surveillance du chantier dès lors que, bien que présent sur le chantier, il s'est abstenu de toute intervention pour éviter la survenance des désordres et de l'alerter pour qu'elle y remédie ;
- une solution réparatoire à moindre coût, en posant des évents sur l’étanchéité permettant à l’isolant thermique de sécher et retrouver ses performances était envisageable mais n'a pu être mise en œuvre compte tenu du retard pris par le maître d’ouvrage, et constitutif d'une négligence avérée de celui-ci, pour déclarer le sinistre à son assureur ;
- le montant sollicité par la société Adoma ne saurait intégrer le coût de la mise aux normes RT 2012 et le coût relatif à la dépose de la seconde couche d'isolant et doit en revanche prendre en compte un coefficient de vétusté compte tenu de l'âge du complexe d'étanchéité datant de plus 30 ans et de l'existence d'infiltrations pré-existantes.
* * *
Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 13 avril 2023, la SMABTP en qualité d’assureur de la société ECV sollicite de voir :
A titre principal
débouter la société ADOMA et tout autre partie de leurs demandes formées à son encontre ;
À titre subsidiaire,
réduire à la somme de 81.284,01 euros le montant de la réclamation ;
condamner in solidum la société NBBH et la société ADOMA à la garantir de toutes les condamnations susceptibles d’être prononcées à son encontre en principal, intérêts, frais et accessoires, au profit de la Société ADOMA ou de toute autre partie ;
En tout état de cause,
faire application des franchises et plafonds contractuelles ;
débouter la société ADOMA de toute indemnité réclamée au titre d’une prétendue procédure abusive ;
condamner tout succombant à lui payer une somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux entiers dépens;
rejeter toute demande au titre de l’exécution provisoire.
Au soutien de sa défense, elle fait valoir que :
- la société ECV ne peut être reconnue responsable du sinistre alors qu'il appartenait au maître d'oeuvre, qui était présent sur le chantier la veille du sinistre, d'alerter l'entreprise du défaut de bâchage, et que celui-ci s'en est abstenu ;
- la société ECV une fois alertée du sinistre a été diligente en ce qu'elle a bâché l'intégralité du complexe, a missionné la société Dorquelle Couverture pour réaliser des mesures urgentes, et a déclaré le sinistre à son assureur ;
- ses garanties ne sont pas mobilisables dans la mesure où le sinistre est intervenu à l'occasion de la réalisation d'une activité (travaux d'étanchéité) non assurée ;
- le préjudice ne saurait intégrer la coût de la mise aux normes RT 2012 et le coût relatif à la dépose de la seconde couche d'isolant et doit se voir appliquer un coefficient de vétusté compte tenu de l'âge du complexe d'étanchéité datant de plus 30 ans et de son mauvais état.
* * *
Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 27 juillet 2023, la société NBBH Architectes sollicite de voir :
A titre principal
débouter la société ECV et la société SMABTP de l’intégralité de leurs demandes fins et prétentions formées à l’encontre de la société NBBH ;
A titre subsidiaire, si la responsabilité de la société NBBH était retenue:
limiter le montant de la condamnation à la somme maximum de 81.284,01 euros ;
En tout état de cause :
condamner la société ECV et la société SMABTP in solidum à lui payer la somme de 6.000 euros au titre des frais irrépétibles ;
condamner la société ECV et la société SMABTP aux entiers dépens.
A l'appui de ses demandes, elle expose que :
- la société ECV doit être considérée comme la seule responsable des conséquences du dommage en ce qu'elle a omis de protéger ses ouvrages contre les intempéries et qu'en tant que responsable de son ouvrage, elle doit en assumer tous les risques ;
- elle a respecté son obligation de surveillance du chantier dans la mesure où elle a, à de nombreuses reprises, enjoint à la société ECV de faire preuve de plus de diligences concernant la protection des ouvrages et que cette dernière ne se conformait pas aux demandes de l’architecte mêmes maintes fois répétées.
*
Conformément aux dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits et des moyens, il est renvoyé aux dernières conclusions des parties.
La clôture est intervenue le 19 octobre 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
SUR LES DEMANDES PRINCIPALES
I.Sur les demandes formées par la société ADOMA
I.A. Sur la responsabilité de la société ECV
En application de l'article 1231-1 du Code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
Si l'entrepreneur est tenu, au titre d'une obligation de résultat, de délivrer un ouvrage conforme à ses engagements contractuels, aux règles de l'art et aux normes en vigueur, concernant l'ouvrage qui lui a été commandé, en revanche il est nécessaire pour le maître d'ouvrage de démontrer une faute, un préjudice et un lien de causalité lorsque le dommage a été causé aux existants.
Au cas présent, il ressort des éléments du dossier que la société ECV s'est vue confier, selon marché de travaux du 29 décembre 2017, la réalisation du lot n°2 « TCE » incluant le lot n°02.03 « étanchéité des toitures-terrasses ».
Au titre du CCTP lot « étanchéité », il est indiqué que la société titulaire du lot doit procéder à la reprise de l'étanchéité au droit des ouvertures prévues pour l'installation des moteurs de VMC et la création de passage de gaines dans le plancher haut du R +1.
Aux termes du même CCTP l'article 1.09 « réparations et entretien avant réception » il est indiqué que « En cas de dégradation des ouvrages d'étanchéité, fuites ou autres détériorations constatées après exécution, l'entrepreneur devra intervenir immédiatement et assurer la remise en état des parties endommagées ».
De même l'article 30.1.2.2 du CCAP prévoit que « jusqu'à la réception de ses propres travaux, l'entreprise doit de même au titre de la garde du (des) ouvrage (s) protéger ses matériaux et son (ses) ouvrage (s) contre les risques de détérioration ».
Au vu des pièces du dossier, il est établi que :
- par courriel du 10 avril 2018, la société ECV a déclaré un sinistre auprès de son assureur la SMABTP aux termes duquel elle a indiqué : « en date du vendredi 6 et du lundi 9 courant, nous avons effectué 7 carottages sur terrasses (toit), nous avons bâché provisoirement dans l'attente de l'étancheur qui devait intervenir ce matin. Hors au vu de la météo, forte pluie, l'eau s'est infiltrée par les trous des carottages. Nous avons remis en état les dégâts occasionnés à l'intérieur. Les seuls non résolus à ce jour est l'étanchéité de la terrasse. Notre client nous demande une déclaration de sinistre (en vue de nous incomber la totalité de l'étanchéité de la toiture). Notre marché ne prévoyait que la reprise d'étanchéité au droit des ouvertures (carottages) pour passages de gaines VMC et la vérification de l'état de la couverture existante. Celle-ci est d'ailleurs en très mauvais état. »
- la société ECV a rempli un document intitulé « constatation de la matérialité des faits par l'auteur d'un incident » et daté du 10 avril 2018 aux termes duquel elle relatait que le 9 avril 2018 à 16H avaient été endommagées au cours de son intervention : « dalles FP remplacées le 10/04/2018, 3 morceaux de plâque BA changés […] plinthes remplacées le 10/04/2018, reprise en peinture des murs faite ce jour le 10/04/2018. L'étanchéité au pourtour des trous de carottages. » ;
- selon constat d'huissier du 11 avril 2018, l'huissier a constaté que tous les niveaux d'étanchéité notamment la laine de roche sont gorgés d'humidité que toute l'étanchéité est dégradée notamment contre le revêtement type EPDM et la dalle ciment et que tous les composants sont gorgés d'humidité ;
- au vu du protocole signé le 19 octobre 2018, il ressort que l'expert de la SMABTP et l'expert de la société Adoma ont convenu de la cause du sinistre dans les termes suivants : « en date du vendredi 6 avril 2018, EV a procédé aux percements (5) de la dalle haute pour le passage des gaines de ventilation en terrasse avec découpe au préalable et enlèvement sur 1m² autour de chaque percement du complexe étanche de la toiture-terrasse, n'a pas protégé les zones découvertes contre les intempéries et, le lundi 9 avril 2018 vers 16h, les pluies importantes ont pénétré et infiltré la totalité du complexe isolant de la terrasse, ce qui a généré sa détérioration ».
Au vu de ces éléments, il s'ensuit qu'il est suffisamment établi que la dégradation totale du complexe d'étanchéité du bâtiment litigieux a été occasionnée par un manquement commis par la société ECV à ses obligations de protection de ses ouvrages.
La société ECV, pour s'exonérer de sa responsabilité, se prévaut d'une faute commise par le maître d'oeuvre. Outre qu'il n'est nullement démontré de faute commise par le maître d'oeuvre qui a alerté la veille du sinistre l'entreprise de la présence de réservation sans protection, il convient de constater que dans la mesure où ont été démontrés une faute, un préjudice et un lien de causalité entre la faute commise par la société ECV et le sinistre, la société ECV ne peut se prévaloir d'une faute éventuellement commise par un autre intervenant à la construction pour s'exonérer à l'égard du maître d'ouvrage de sa propre responsabilité sauf à exercer un appel en garantie qu'elle ne forme pas en l'espèce.
Enfin la société ECV se prévaut de l'aggravation des dommages subis par le complexe d'étanchéité en raison de la tardiveté du maître d'ouvrage à déclarer le sinistre auprès de son assureur. Toutefois force est de constater qu'il ressort des éléments du dossier que la société ECV indique avoir procédé à la déclaration du sinistre dès le 10 avril 2018 à la demande du maître d'ouvrage, que celle-ci ne justifie pas avoir proposé dans ce cadre une solution alternative de remise en état ou des solutions de nature à diminuer les conséquences du sinistre avant le mois de juin 2018 alors que par ailleurs elle indique avoir dès le sinistre procédé à un bâchage complet du complexe d'étanchéité et avoir missionné la société Dorquelle Couverture pour procéder à des mesures urgentes.
En conséquence il convient de dire que la société ECV doit voir sa responsabilité contractuelle retenue à l'égard de la société ADOMA pour la dégradation intégrale du complexe d'étanchéité causée par ses manquements.
I.B. Sur la garantie de la SMABTP
La SMABTP expose que sa garantie n'était pas due dans la mesure où la société ECV n’a jamais souscrite l’activité « étanchéité », puisqu’il ressort de la police d’assurance n°455806H1244000/001 486673/0 à effet du 1er janvier 2016, que l’activité de « Travaux de rénovation/réhabilitation » ne comprenait pas les travaux d'étanchéité.
La société ECV expose que la SMABTP doit sa garantie dans la mesure où le sinistre a eu lieu dans le cadre de la réalisation de travaux relevant du lot gros œuvre et non du lot étanchéité, que cela ressort tant du CCTP du lot 02.03 « étanchéité des toitures-terrasses » que du courriel de l'expert d'assurance de la SMABTP et que celle-ci lui a, à ce titre, réglé la facture de la société Dorquelle Couverture missionnée pour réaliser des mesures urgentes.
Aux termes du contrat d'assurance souscrit par la société ECV auprès de la SMABTP, il ressort que sont garanties les activités suivantes :
« Maçonnerie et béton armé sauf précontraint in situ dans la limite 6 niveaux
maximum dont 2 en sous-sol ;
Menuiseries extérieures
Menuiserie intérieures
Plâtrerie – staff -stuc-gypserie
Serrurerie – métallerie
Peinture
Revêtement de surfaces en matériaux souples et parquets
Revêtement de surface en matériaux surs- chapes et sols coulés Carrelages et faïences
Agence de locaux
Travaux et rénovation/réhabilitation hors travaux portant sur les fondations, la structure porteuse du bâtiment, la charpente, la couverture, l'étanchéité ainsi que les travaux d'isolation par l'extérieur.
Plomberie - Installations sanitaires
Electricité ».
Au cas présent il ressort expressément du CCTP du lot « étanchéité » que si le lot étanchéité inclut la reprise de l'étanchéité au droit des ouvertures créées pour le passage de gaines dans le plancher haut du R+1, le carottage relève pour sa part du lot « gros œuvre ».
Or il a été précédemment établi que le sinistre a été occasionné suite à la seule réalisation des carottages par la société ECV dans le complexe d'étanchéité et l'absence de protection de l'ouvrage outre l'absence de réalisation de l'étanchéité au droit de ces ouvertures par un étancheur de sorte qu'il ne ressort nullement des constatations des experts, incluant l'expert de la SMABTP (tel que celui-ci l'indique clairement dans son courriel du 15 mai 2019 adressé à la société ECV produit aux débats « j'ai bien indiqué à la SMABTP que votre société n'a réalisé aucun travaux d'étanchéité, son intervention ayant été limitée à la découpe de l'étanchéité au titre de réservations pour le passage de gaines ») que le sinistre trouverait sa source dans la réalisation de l'activité étanchéité non garantie.
En conséquence il convient de dire que la SMABTP doit être condamnée à garantir son assurée la société ECV dans la limite de son contrat d'assurance contenant plafond et franchise.
I.C. Sur l'évaluation du préjudice
En application du principe de la réparation intégrale, la victime doit être replacée dans la situation qui aurait été la sienne en l'absence de réalisation du dommage sans perte ni profit. Il s'ensuit que le principe de la réparation intégrale emporte exclusion de l'application d'abattement pour vétusté.
Il ressort que dans le cadre de l'expertise diligentée par la société Axa France Iard, l'expert d'assureur a préconisé le remplacement de tout le complexe (isolant, pare-vapeur et étanchéité) que le coût des travaux de remise en état a été évalué à la somme de 162 689 € HT incluant la conformité à la norme RT 2012 ainsi que 17 278 € HT au titre du coût de maîtrise d'oeuvre, SPS et BET inclus.
Aux termes du protocole du 19 octobre 2018 signé par le cabinet [K] [B] en qualité d'expert de la SMABTP, il ressort que celui-ci a exprimé son accord sur la description et l'évaluation des dommages mais a estimé, d'une part, qu'il était nécessaire d'appliquer un coefficient de vétusté compte tenu de l'ancienneté du complexe et de son état avant la survenance du sinistre, d'autre part, que les travaux de changement de destination n'étaient pas soumis à la nécessité de se conformer à la RT 2012.
En outre il ressort du rapport d'expertise additif du 28 mai 2019 que les deux experts d'assureur se sont mis d'accord sur le surcoût d'évacuation engendré par la découverte en cours de travaux d'un deuxième complexe chiffré à la somme de 17 595 € HT.
Au vu des positions des parties, il est établi que celles-ci s'accordent sur la nécessité de procéder au remplacement de l'intégralité du système d'étanchéité et que leur désaccord porte sur l'application d'un coefficient de vétusté, le respect de la norme BT 2012 engendrant un surcoût des travaux de 2346 € HT enfin le rajout du poste supplémentaire lié aux travaux d'évacuation du deuxième complexe découvert en cours de travaux.
S'agissant du coefficient de vétusté, tel qu'il a été rappelé plus haut, dans la mesure où le principe de la réparation intégrale du préjudice exclut tout abattement au titre d'un coefficient de vétusté, il convient de ne pas appliquer de coefficient.
S'agissant de l'intégration des travaux respectant la norme RT 2012, dans la mesure où tel que le rappelle la société demanderesse il ressort qu'en application de l'article R 131-28-8 du Code de la construction et de l'habitation, applicable lors de la réalisation des travaux, les travaux de réfection portant sur une toiture ou d'isolation thermique comprenant le remplacement ou le recouvrement d'au moins 50 % de l'ensemble de la couverture, hors ouvertures, ce qui est le cas en l'espèce s'agissant de la reprise de l'intégralité du complexe d'étanchéité de la toiture-terrasse du bâtiment, sont soumis à la norme RT 2012 il convient de dire que le coût réparatoire doit intégrer le surcoût occasionné par la nécessité de se conformer aux normes en vigueur.
Enfin s'agissant du surcoût lié à l'évacuation du deuxième complexe, la société ECV fait valoir que la conclusion d'un marché forfaitaire avec la société Dorquelle Couverture fait obstacle à la possibilité pour celle-ci, et dès lors au maître d'ouvrage, d'exiger un surcoût lié à la découverte en cours de chantier de la nécessité de réaliser de nouveaux travaux. Or dans la mesure où la société ECV ne démontre pas qu'il s'agit d'un marché forfaitaire, où le marché forfaitaire ne s'oppose pas à la conclusion entre les parties d'avenants pour travaux supplémentaires, et où enfin il est suffisamment démontré par la production du devis signé et du PV de réception que les travaux ont été commandés par le maître d'ouvrage et réceptionnés et qu'il ne saurait en supporter le coût alors qu'ils font partie intégrante de la réparation du dommage, il convient de les inclure également.
Dès lors qu'au coût des travaux doivent également s'ajouter les frais nécessaires à la bonne réalisation incluant les frais de maîtrise d'oeuvre, de SPS et la prime d'assurance dommages-ouvrage, il convient d'évaluer le coût des travaux réparatoires à la somme de 198.630,81 € HT comprenant les sommes suivantes :182 284 € HT au titre du coût des travaux réparatoires ;13 828 € HT au titre des honoraires du maître d'oeuvre1450 € HT au titre des honoraires du SPS1068,81 € au titre des primes d'assurance dommages-ouvrage
Au vu de ces éléments, il convient en conséquence de condamner solidairement la société ECV et son assureur la SMABTP à payer à la société ADOMA la somme de 198.630,81 € HT au titre de la réparation du complexe d'étanchéité suite au sinistre intervenu le 9 avril 2018. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter de la présente décision date de la fixation judiciaire de la créance.
I.D Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive
La société ADOMA sollicite de voir condamner solidairement la société ECV et la SMABTP à lui payer la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts à raison de leur résistance abusive.
Aux termes des dispositions de l'article 1240 du code civil tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à la réparer.
L'exercice d'une action en justice ou sa défense constitue un droit qui ne peut donner lieu à dommages intérêts que s'il dégénère en abus caractérisé par un cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol. Il en résulte que le fait qu'un recours en justice soit rejeté ne caractérise pas en soi un abus du droit d'exercer ce recours.
En l'espèce, il n'est pas démontré de faute commise tant pas la société ECV que par la SMABTP dans le cadre de la présente procédure de nature à caractériser l'abus dans le droit de se défendre de sorte qu'il convient de débouter la société ADOMA de sa demande formée à ce titre.
I.E Sur les appels en garantie
La SMABTP sollicite de voir condamner in solidum la société NBBH et la société ADOMA à la garantir de toutes les condamnations susceptibles d’être prononcées à son encontre en principal, intérêts, frais et accessoires, au profit de la société ADOMA ou de toute autre partie.
Dans la mesure où il résulte des éléments du dossier qu'à plusieurs reprises le maître d'oeuvre a alerté la société ECV de la nécessité de protéger ses ouvrages, que ce soit :
- dans son compte-rendu de chantier du 12 mars 2018 « l'entreprise a laissé des carottages non protégés en plancher haut du R +1/ en cas de fortes précipitations cela provoquera des désordres. Cela ne peut être laissé en l'état même pour un week-end. »
- par courriel du 8 avril 2018 la veille du sinistre, le maître d'oeuvre a alerté la société ECV que le skydome et deux réservations sont restés ouvertes pendant tout le week-end avec des photos de réservations non protégées, sans que la société ECV n'intervienne pour y remédier le lundi 9 avril alors que le sinistre a eu lieu le 9 avril,
où enfin il n'incombait pas au maître d'oeuvre de procéder à la protection des ouvrages de la société ECV en ses lieux et place et où enfin il n'était pas tenu à une présence constante sur le chantier, la SMABTP ne justifie pas d'une faute commise par le maître d'oeuvre en lien avec le sinistre de sorte qu'elle doit être déboutée de son appel en garantie ainsi formé.
Enfin dans la mesure où au vu de ce qui a été précédemment développé sur la faute du maître d'ouvrage, elle ne justifie pas non plus d'une faute commise par la société ADOMA qui aurait contribué à l'aggravation du dommage, il convient de la débouter de son appel en garantie.
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
La société ECV et la SMABTP, succombant dans leurs demandes, seront condamnées solidairement aux dépens et à payer la somme de 6500 euros à la société ADOMA au titre des frais irrépétibles engagés.
En outre il convient de condamner la société ECV à payer la somme de 2500 euros à la société NBBH Architectes au titre des frais irrépétibles engagés.
Il convient de rappeler que la présente décision est de plein droit assortie de l'exécution provisoire et qu’aucun motif lié à la nature de l’affaire ne justifie de l’écarter.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant par décision contradictoire, rendue en premier ressort, par voie de mise à disposition au greffe en application de l'article 450 du Code de procédure civile, les parties en ayant été avisées,
CONDAMNE solidairement la société ECV et son assureur la SMABTP à payer à la société ADOMA la somme de 198.630,81 € HT au titre de la réparation du complexe d'étanchéité suite au sinistre intervenu le 9 avril 2018 ;
DIT que cette somme est assortie des intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;
DIT que la SMABTP en sa qualité d’assureur de la société ECV sera tenue dans les limites de son contrat d'assurance contenant plafond et franchise ;
CONDAMNE solidairement la société ECV et son assureur la SMABTP à payer à la société ADOMA la somme de 6500 € HT au titre des frais irrépétibles ;
CONDAMNE solidairement la société ECV et son assureur la SMABTP à payer à la société NBBH Architectes la somme de 2500 € HT au titre des frais irrépétibles ;
CONDAMNE solidairement la société ECV et son assureur la SMABTP aux dépens ;
DEBOUTE la SMABTP en qualité d’assureur de la société ECV de ses appels en garantie
DEBOUTE la société ADOMA de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
RAPPELLE que la présente décision est assortie de plein droit de l'exécution provisoire ;
Fait et jugé à Paris le 05 Juillet 2024
Le Greffier La Présidente