TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] C.C.C.F.E. + C.C.C.
délivrées le :
à Me CHAUVET-LECA (C1525)
Me DELEY PEUCH (A0377)
■
18° chambre
2ème section
N° RG 21/10848
N° Portalis 352J-W-B7F-CUY5V
N° MINUTE : 9
Assignation du :
20 Juillet 2021
JUGEMENT
rendu le 24 Juillet 2024
DEMANDERESSE
S.A.R.L. PATRIMONI GROUP (RCS de Paris 331 152 785)
[Adresse 2]
[Localité 7]
représentée par Maître Ghislaine CHAUVET-LECA de la S.E.L.A.R.L. CHAUVET-LECA AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C1525
DÉFENDERESSES
S.A.S. QAPE (RCS d’Auxerre 819 501 154)
[Adresse 10]
[Localité 9]
défaillante
S.E.L.A.R.L. MJ & ASSOCIÉS, prise en la personne de Me [O] [B], en qualité de mandataire judiciaire de la S.A.S. QAPE et par voie d’intervention volontaire en qualité de liquidateur judiciaire de la S.A.S. QAPE
[Adresse 4]
[Localité 8]
représentée par Maître Me Nicole DELAY PEUCH, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #A0377, Damien FOSSEPREZ de la S.C.P. LYAND - FOSSEPREZ, avocat au barreau d’AUXERRE, avocat plaidant
Décision du 24 Juillet 2024
18° chambre 2ème section
N° RG 21/10848 - N° Portalis 352J-W-B7F-CUY5V
S.E.L.A.R.L. AJRS, prise en la personne de Maître [K] [S], en qualité d’administrateur judiciaire de la S.A.S. QAPE
[Adresse 3]
[Localité 6]
S.E.L.A.R.L. BCM, prise en la personne de Maître [W] [E], en sa qualité d’administrateur provisoire de la S.A.S. QAPE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 8]
défaillantes
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Par application des articles R.212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire et 812 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été attribuée au Juge unique.
Avis en a été donné aux avocats constitués qui ne s’y sont pas opposés.
Maïa ESCRIVE, Vice-président, statuant en juge unique,
assistée de Henriette DURO, Greffier.
DÉBATS
A l’audience du 05 Juin 2024 tenue en audience publique.
Après clôture des débats, avis a été donné aux avocats, que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 24 Juillet 2024.
JUGEMENT
Rendu publiquement
Réputé contradictoire
En premier ressort
_________________
EXPOSÉ DU LITIGE
Suivant un acte sous seing privé du 1er octobre 2020, la S.A.R.L. PATRIMONI GROUP a donné à bail dérogatoire à la S.A.S. QAPE des locaux à usage exclusif de bureaux situés [Adresse 5] à [Localité 11] pour une durée de 36 mois à compter du 1er octobre 2020 pour se terminer le 30 septembre 2023 et moyennant le versement d'un loyer annuel de 138.752 euros hors taxes et hors charges, payable trimestriellement et d'avance.
Les parties sont convenues d'une franchise de loyer de 34.688 euros hors taxes et hors charges, correspondant au 4ème trimestre 2020.
Faisant valoir que la locataire avait réglé la provision sur charges due au titre du 4ème trimestre 2020 mais aucune des échéances suivantes, ne respectant pas les échéanciers convenus, la société PATRIMONI GROUP a procédé à une saisie conservatoire sur les comptes détenus par la société QAPE auprès de la Caisse d'Epargne Bourgogne France Comté, le 25 juin 2021, à hauteur de 104.685,89 euros en principal. Cette saisie a été dénoncée à la S.A.S. QAPE le 30 juin 2021.
La société PATRIMONI GROUP a procédé à une seconde saisie conservatoire sur les comptes détenus par la société QAPE auprès de la Caisse d'Epargne Bourgogne France Comté, le 12 juillet 2021, à hauteur de 44.125,60 euros en principal. Cette saisie a été dénoncée à la S.A.S. QAPE le 20 juillet 2021.
Par acte délivré le 20 juillet 2021, la S.A.R.L. PATRIMONI GROUP a fait assigner la S.A.S. QAPE devant ce tribunal en paiement des sommes dues au titre de l'arriéré locatif et de la clause pénale.
Par jugement du 6 septembre 2021, le tribunal de commerce d'Auxerre a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire au profit de la S.A.S. QAPE.
La société PATRIMONI GROUP a déclaré sa créance de 625.907,22 euros entre les mains du mandataire judiciaire de la S.A.S. QAPE par courrier recommandé en date du 24 septembre 2021.
La libération des lieux est intervenue le 16 septembre 2021, suite à la résiliation du bail par le liquidateur judiciaire notifiée par courrier recommandé en date du 13 septembre 2021.
Par actes délivrés les 13 et 15 octobre 2021, la S.A.R.L. PATRIMONI GROUP a fait assigner en intervention forcée devant ce tribunal la SELARL AJRS prise en la personne de Maître [K] [S], la SELARL MJ & ASSOCIES prise en la personne de Maître [O] [B], la SELARL BCM prise en la personne de Maître [W] [E], en qualité respectivement d'administrateur judiciaire, de mandataire judiciaire et d'administrateur provisoire de la S.A.S. QAPE, en redressement judiciaire. Cette instance a été enregistrée sous le n° de RG 21/13048.
Les instances ont été jointes le 29 novembre 2021 sous le seul n° de RG 21/10848.
Par jugement du 27 octobre 2021, le tribunal de commerce d'Auxerre a arrêté le plan de cession totale des actifs de la S.A.S. QAPE au profit de la S.A. ADLPARTNER.
Par jugement du 15 novembre 2021, le tribunal de commerce d'Auxerre a prononcé la liquidation judiciaire de la S.A.S. QAPE et a désigné la SELARL MJ & ASSOCIES, en la personne de Maître [B], en qualité de liquidateur.
Suivant des conclusions notifiées le 30 novembre 2021, la SELARL MJ & ASSOCIES, représentée par Maître [O] [B] ès qualités de mandataire liquidateur de la S.A.S. QAPE est intervenue volontairement à l'instance.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 septembre 2022, la S.A.R.L. PATRIMONI GROUP demande au tribunal de :
Vu le bail de courte durée en date du 1er octobre 2020,
Vu les articles L. 145-41, L. 622-17 et suivants, L. 641-1 et suivants, dont L. 641-13, du code de commerce,
Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile,
- La recevoir en ses demandes, fins et conclusions ;
Décision du 24 Juillet 2024
18° chambre 2ème section
N° RG 21/10848 - N° Portalis 352J-W-B7F-CUY5V
- Débouter la SELARL MJ & ASSOCIES, représentée par Maître [O] [B] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société QAPE de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées contre la société PATRIMONI GROUP ;
- En tant que de besoin, débouter la SELARL AJRS prise en la personne de Maître [K] [S], ès qualités d'administrateur de la société QAPE et la SELARL BCM, prise en la personne de Maître [W] [E], ès qualités d'administrateur provisoire de la société QAPE, de l'ensemble des demandes, fins et conclusions qu'ils dirigeraient contre la société PATRIMONI GROUP ;
- Fixer et admettre au passif de la liquidation judiciaire de la société QAPE la créance de la société PATRIMONI GROUP, à titre privilégié, à hauteur des sommes suivantes :
- au titre des loyers charges et taxes dus au 5 septembre 2021 : à hauteur de 137.890,84 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 2021,
- à titre d'indemnité de résiliation : à hauteur de 387.547,32 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 24 septembre 2021,
- au titre de la franchise contractuelle de loyer : 41.625,60 euros avec intérêts au taux légal à compter du 24 septembre 2021,
- au titre de l'indemnité de retard contractuelle : 56.706,38 euros ou subsidiairement, 13.789 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 24 septembre 2021,
- au titre des frais d'huissier, dépens, frais et honoraires d'avocat et débours : 2.137,08 euros avec intérêts au taux légal à compter du 24 septembre 2021 ;
- Constater que le bail a été résilié par l'administrateur de la société QAPE, par courrier du 13 septembre 2021 et que les lieux ont été restitués le 16 septembre 2021 ;
- Condamner la SELARL MJ & ASSOCIES, prise en la personne de Maître [O] [B] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société QAPE, à payer à la société PATRIMONI GROUP les sommes suivantes :
- 5.275,89 euros au titre des loyers, charges, taxes et indemnités d'occupation pour la période du 6 au 16 septembre 2021 inclus, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 20 juillet 2021,
- 257,59 euros au titre de l'indemnité de retard contractuelle avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 20 juillet 2021 ;
- Condamner la SELARL MJ & ASSOCIES, prise en la personne de Maître [O] [B] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société QAPE à payer à la société PATRIMONI GROUP la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la SELARL MJ & ASSOCIES, prise en la personne de Maître [O] [B] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société QAPE aux entiers dépens qui comprendront notamment le coût des saisies conservatoires et de leur dénonciation au débiteur, de l'assignation et de la signification de la décision à intervenir ;
- Rappeler que l'exécution provisoire est de droit ; à défaut, l'ordonner.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 1er mars 2023, la SELARL MJ & ASSOCIES, représentée par Maître [O] [B] ès qualités de mandataire liquidateur de la S.A.S. QAPE demande au tribunal de :
Vu le contrat de bail en date du 1er octobre 2020,
Vu les articles 1103 et 1231-5 du code civil,
Vu les articles L. 622-28 et L. 622-14 du code de commerce,
- Constater que la SELARL MJ & ASSOCIES représentée par Maître [O] [B], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la S.A.S. QAPE, s'en remet à la décision du tribunal sur la fixation au passif de la créance de loyer antérieure au jugement de redressement judiciaire du 6 septembre 2021 ;
- Débouter la société PATRIMONI GROUP de sa demande au titre des intérêts légaux postérieurs au jugement d'ouverture ;
- Dire que le bail ne comporte aucune clause instituant une indemnité de résiliation anticipée du bail ;
- Par conséquent, débouter la société PATRIMONI GROUP de sa demande de fixation au passif de la somme de 387.547,32 euros au titre d'une indemnité de résiliation anticipée du bail ;
- Dire que le bail ne comporte aucune clause prévoyant l'annulation de la franchise de loyer en l'absence de réalisation des travaux ;
- Par conséquent, débouter la société PATRIMONI GROUP de sa demande de fixation au passif de la somme de 41.625,60 euros au titre de l'annulation de la franchise contractuelle de loyer ;
- Débouter la société PATRIMONI GROUP de sa demande de fixation au passif des pénalités de retard au titre de l'indemnité de résiliation anticipée et de l'annulation de la franchise contractuelle ;
- Réduire à l'euro symbolique la clause pénale portant sur la créance de loyers antérieurs ;
- Débouter la société PATRIMONI GROUP de sa demande de fixation au passif des frais d'huissier, dépens, débours et honoraires d'avocat relatifs aux saisies conservatoires des 25 juin et 12 juillet 2021 ;
- Débouter la société PATRIMONI GROUP de sa demande de condamnation de la SELARL MJ & ASSOCIES représentée par Maître [O] [B], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la S.A.S. QAPE, à la somme de 5.275,89 euros au titre des loyers pour la période allant du 6 au 16 septembre 2021, ainsi qu'à la clause pénale afférente ;
- Débouter la société PATRIMONI GROUP de toutes demandes, conclusions et fins contraires ;
- Débouter la société PATRIMONI GROUP de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
- Condamner la société PATRIMONI GROUP à payer à la SELARL MJ & ASSOCIES représentée par Maître [O] [B], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la S.A.S. QAPE la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La SELARL AJRS prise en la personne de Maître [K] [S] et la SELARL BCM prise en la personne de Maître [W] [E], en qualité respectivement d'administrateur judiciaire et d'administrateur provisoire de la S.A.S. QAPE n'ont pas constitué avocat. Le présent jugement sera donc réputé contradictoire.
* * *
Ainsi que le permet l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières conclusions des parties pour l'exposé de leurs prétentions et de leurs moyens.
La clôture de la mise en état a été prononcée le 25 septembre 2023.
L'affaire a été appelée pour plaidoiries à l'audience tenue en juge unique du 5 juin 2024 et mise en délibéré à la date de ce jour.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la créance de loyer antérieure au jugement de redressement judiciaire du 6 septembre 2021
Selon les articles 1104 et 1728 du code civil, le preneur est tenu de respecter les obligations mises à sa charge par le bail, dont celle de payer le prix aux termes convenus. En outre, en application de l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et réciproquement, il appartient à celui qui se prétend libéré, de justifier de s'être libéré du paiement du loyer entre les mains de son bailleur.
Décision du 24 Juillet 2024
18° chambre 2ème section
N° RG 21/10848 - N° Portalis 352J-W-B7F-CUY5V
En l'espèce, le bail ayant lié les parties stipule que le locataire est redevable d'un loyer annuel d'un montant de 138.752 euros hors taxes et hors charges, payable trimestriellement et d'avance.
La société PATRIMONI GROUP soutient que la S.A.S. QAPE a cessé de s'acquitter de manière régulière et intégrale des loyers et charges à compter du 1er trimestre 2021. Elle produit un décompte locatif arrêté au 15 septembre 2021 faisant état d'un solde débiteur de 148.811,49 euros. Après déduction de la somme de 9.516,90 euros au titre de la pénalité de retard qui fait l'objet d'une demande distincte et après calcul de l'échéance du 3ème trimestre 2021 au prorata jusqu'au 5 septembre 2021, date de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la locataire, d'une estimation de la taxe d'ordures ménagères et de la taxe foncière de 2021 non contestée, elle justifie de sa créance à hauteur de 128.373,94 euros.
Cette somme n'est pas contestée par le liquidateur, qui échoue à apporter la preuve qui lui incombe du paiement des loyers et charges litigieux.
À la suite de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société QAPE, la société PATRIMONI GROUP a régulièrement déclaré sa créance d'un montant de 137.890,84 euros auprès du liquidateur judiciaire, suivant courrier recommandé du 24 septembre 2021. Il convient donc de fixer au passif de la société QAPE la somme de 128.373,94 euros.
S'agissant des intérêts légaux que la société PATRIMONI GROUP demande de prononcer à compter du 20 juillet 2021, la partie défenderesse s'y oppose à juste titre dès lors que l'article L. 622-28 du code de commerce, applicable au redressement judiciaire en vertu de l'article L. 631-14 du même code, dispose que “le jugement d'ouverture arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que de tous intérêts de retard et majorations, à moins qu'il ne s'agisse des intérêts résultant de contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d'un paiement différé d'un an ou plus (...)”. Par conséquent, aucun intérêt au taux légal n'est dû à compter du jugement du 5 septembre 2021 ayant prononcé le redressement judiciaire de la S.A.S. QAPE.
S'agissant de la période antérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective, aux termes des dispositions des deux premiers alinéas de l'article 1231-6 du code civil, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte.
En l'absence de mise en demeure adressée à la S.A.S. QAPE avant le 5 septembre 2021, la société PATRIMONI GROUP sera déboutée de sa demande tendant à ce que sa créance fixée au passif soit assortie des intérêts au taux légal.
Sur la créance au titre de l'indemnité de résiliation
La société PATRIMONI GROUP expose que le bail liant les parties était soumis aux dispositions de l'article L. 145-5 du code de commerce (bail de courte durée) ; qu'il s'agit d'un contrat à durée déterminée, qui n'était pas susceptible de résiliation anticipée par les parties. Faisant valoir que la résiliation anticipée du bail, du fait de l'existence d'une procédure de redressement judiciaire, lui occasionne un préjudice, qu'elle estime à une somme équivalente au montant des loyers, charges et taxes qu'elle aurait dû percevoir si le bail s'était poursuivi jusqu'à son terme, le 30 septembre 2023, elle sollicite à ce titre la fixation au passif de la société QAPE de la somme de 387.547,32 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 24 septembre 2021.
Décision du 24 Juillet 2024
18° chambre 2ème section
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La partie défenderesse réplique que suite au jugement de redressement judiciaire, Maître [K] [S] a notifié la résiliation du bail afin de limiter la dette de loyers que la situation de la débitrice ne lui permettait plus d'assumer, comme le permet l'article L. 622-13 du code de commerce ; que la résiliation est intervenue le 13 septembre 2021 et les locaux ont été immédiatement libérés afin de permettre au bailleur de reprendre la jouissance de ses locaux en vue d'une remise en location. Elle conclut au rejet de la demande aux motifs que le contrat de bail ne prévoit pas d'indemnité de résiliation anticipée ; que si l'article L. 622-14 du code de commerce prévoit la faculté pour le cocontractant qui se voit notifier la résiliation du contrat par l'effet de la procédure collective de solliciter l'octroi de dommages et intérêts, tel n'est pas la nature de la demande du bailleur qui revendique une "indemnité de résiliation" qui ne peut qu'être contractuelle. En outre, elle fait valoir que l'allocation de dommages et intérêts suppose qu'un préjudice soit démontré et que la bailleresse est défaillante dans la charge de la preuve qui lui incombe.
L'article L. 145-5 du code de commerce dispose que :
“Les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. A l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux.
Si, à l'expiration de cette durée, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre.
Il en est de même, à l'expiration de cette durée, en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local.
Les dispositions des deux alinéas précédents ne sont pas applicables s'il s'agit d'une location à caractère saisonnier. (...)”
L'article L. 622-13 du code de commerce dispose :
“(...)
III. - Le contrat en cours est résilié de plein droit :
1° Après une mise en demeure de prendre parti sur la poursuite du contrat adressée par le cocontractant à l'administrateur et restée plus d'un mois sans réponse. Avant l'expiration de ce délai, le juge-commissaire peut impartir à l'administrateur un délai plus court ou lui accorder une prolongation, qui ne peut excéder deux mois, pour se prononcer ;
(...)
V. - Si l'administrateur n'use pas de la faculté de poursuivre le contrat ou y met fin dans les conditions du II ou encore si la résiliation est prononcée en application du IV, l'inexécution peut donner lieu à des dommages et intérêts au profit du cocontractant, dont le montant doit être déclaré au passif. Le cocontractant peut néanmoins différer la restitution des sommes versées en excédent par le débiteur en exécution du contrat jusqu'à ce qu'il ait été statué sur les dommages et intérêts”.
L'article L. 622-14 du même code dispose que “sans préjudice de l'application du I et du II de l'article L. 622-13, la résiliation du bail des immeubles donnés à bail au débiteur et utilisés pour l'activité de l'entreprise intervient dans les conditions suivantes :
1° Au jour où le bailleur est informé de la décision de l'administrateur de ne pas continuer le bail. Dans ce cas, l'inexécution peut donner lieu à des dommages et intérêts au profit du cocontractant, dont le montant doit être déclaré au passif. Le cocontractant peut néanmoins différer la restitution des sommes versées en excédent par le débiteur en exécution du contrat jusqu'à ce qu'il ait été statué sur les dommages et intérêts ; (...)”.
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18° chambre 2ème section
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Il résulte de ces textes que, lorsque le preneur est soumis à une procédure collective, le sort du bail portant sur des locaux utilisés pour l'activité de l'entreprise est soumis à un régime partiellement dérogatoire au droit commun et protecteur des droits du preneur.
En l'espèce, par courrier recommandé en date du 13 septembre 2021, la SELARL AJRS a notifié la résiliation du bail en application de l'article L. 622-14 précité.
Dès lors que les dispositions précitées prévoient que l'inexécution peut donner lieu à des dommages et intérêts au profit du cocontractant, il appartient à la société PATRIMONI GROUP de démontrer un préjudice. Faute de tout élément justificatif et d'explications quant à l'éventuelle relocation du bien à un tiers après la remise des clés intervenue le 16 septembre 2021, le préjudice allégué de perte des loyers et charges qu'elle aurait dû percevoir jusqu'au 30 septembre 2023 n'est pas établi. La société PATRIMONI GROUP sera déboutée de sa demande tendant à la fixation au passif de la société QAPE de la somme de 387.547,32 euros, au titre de l'indemnité de résiliation.
Sur la créance au titre de la franchise contractuelle de loyer
La société PATRIMONI GROUP expose qu'une franchise de loyer a été accordée au preneur en contrepartie de la réalisation, par lui, de travaux ; que les travaux n'ayant pas été effectués, la franchise est sans objet. Elle sollicite la fixation au passif du montant de la franchise, soit 41.625,60 euros avec intérêts au taux légal à compter du 24 septembre 2021.
La partie défenderesse réplique que la société QAPE n'a pas disposé de la trésorerie suffisante pour réaliser les travaux souhaités, malgré l'application de la franchise contractuelle ; que le bail prévoit expressément que la franchise de loyer est consentie à titre d'avantage commercial et ne constitue pas la contrepartie de travaux au profit du bailleur ; que le bail n'imposait aucun délai au preneur pour effectuer les travaux, ni aucune clause d'annulation de la franchise en l'absence de travaux réellement effectués. Elle conclut dès lors au rejet de cette demande.
En l'espèce, le bail conclu entre les parties stipule en page 10 que :
“Le preneur bénéficiera à titre exceptionnel et commercial d'une franchise de loyer en principal hors taxes et hors charges d'un montant de TRENTE QUATRE MILLE SIX CENT QUATRE VINGT HUIT EUROS (34 688 €) qui s'appliquera, à compter de la date de prise d'effet du bail, sur les trois premiers mois du bail, le Preneur souhaitant réaliser des travaux à ses frais exclusifs et sous sa seule responsabilité, dans les Locaux.
Les Parties entendent préciser que cette franchise constitue un simple avantage commercial et non la contrepartie d'une prestation de service rendue entre les Parties”.
Aucun descriptif des travaux envisagés ne figure dans le bail.
Aux termes de l'article 1104 du code civil, les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public.
La clause précitée est claire et expresse sur le fait que la “franchise constitue un simple avantage commercial et non la contrepartie d'une prestation de service rendue entre les Parties”. Par conséquent, la société PATRIMONI GROUP est mal fondée à solliciter le remboursement de la franchise de loyers octroyée faute de réalisation des travaux envisagés et au demeurant non précisés par le preneur. Le rejet de cette demande s'impose.
Sur la créance au titre de l'indemnité de retard contractuelle
La société PATRIMONI GROUP explique qu'il a été expressément convenu, entre les parties, en cas de non-paiement des sommes dues en exécution du bail, le versement, par le preneur, d'une indemnité de retard égale à 10 % du montant des sommes dues (article VIII du contrat). Elle sollicite à ce titre la fixation au passif de la société QAPE de la somme de 56.706,38 euros calculée sur les sommes dues avant le jugement d'ouverture ou subsidiairement, 13.789 euros si le tribunal ne retenait pas ses demandes au titre de l'indemnité de résiliation anticipée et au titre de l'annulation de la franchise de loyer ce, avec intérêts au taux légal à compter du 24 septembre 2021.
Elle soutient que cette pénalité est justifiée au regard du montant de l'arriéré que le preneur a laissé s'accumuler (près de 140.000 euros à la date de placement en redressement judiciaire), sans procéder à aucun règlement alors même que pendant cette période, il occupait les locaux et que le bailleur supportait l'ensemble des dépenses liées à ceux-ci.
La partie défenderesse réplique que l'indemnité de résiliation anticipée, de même que la demande au titre de l'annulation de la franchise de loyer ne sont pas dues et ne reposent sur aucun fondement. Elle conclut que les pénalités de retard pourraient tout au plus s'appliquer sur la somme de 137.890,84 euros, soit 13.789 euros. Elle ajoute que l'article 1231-5 du code civil prévoit que la pénalité n'est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure de s'exécuter et qu'il incombe à la société PATRIMONI GROUP de justifier avoir mis en demeure le preneur de s'acquitter des sommes dues avant le jugement d'ouverture et la résiliation du bail par l'administrateur judiciaire. En tout état de cause, il est sollicité la modération de la clause pénale et sa réduction à l'euro symbolique compte tenu des difficultés rencontrées par le preneur.
L'article VIII du contrat (“LOYER”) ayant lié les parties stipule que :
“(...) A défaut de paiement de toute somme due à son échéance, le Preneur devra payer en sus, l'intégralité des frais d'huissiers, dix pour cent du montant de la somme due, pour couvrir le Bailleur tant des dommages pouvant résulter du retard dans le paiement que des frais, diligences et honoraires exposés pour le recouvrement de cette somme, sans préjudice de l'application judiciaire de l'article 700 du Code de procédure civile. (...)”.
L'article 1231-5 du code civil dispose que :
“Lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre.
Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.
Lorsque l'engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d'office, à proportion de l'intérêt que l'exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l'application de l'alinéa précédent.
Toute stipulation contraire aux deux alinéas précédents est réputée non écrite.
Sauf inexécution définitive, la pénalité n'est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure”.
Il ne résulte pas de la clause VIII que les parties ont entendu subordonner l'application de la clause pénale à un acte d'huissier ou une mise en demeure préalable dès lors que la clause pénale s'applique “A défaut de paiement de toute somme due à son échéance”. De plus, l'article 1231-5 du code civil ne conditionne l'application de la clause pénale à une mise en demeure que si l'exécution n'est pas définitive. Or, en l'espèce, le bail ayant été résilié, l'inexécution est bien définitive.
En l'espèce, il n'est pas discuté que la société QAPE a rencontré dès la prise de bail des difficultés financières qui ont donné lieu à des échanges avec le bailleur et elle a proposé de quitter les lieux de manière anticipée par courrier électronique du 8 juin 2021 compte tenu de ses difficultés.
Afin de tenir compte de ces difficultés, la clause pénale sera réduite à 5.000 euros et cette somme sera fixée au passif de la société QAPE.
Sur la demande au titre des loyers postérieurs
La société PATRIMONI GROUP expose que la société QAPE n'a pas réglé les loyers / indemnités d'occupation, charges postérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective du 6 septembre 2021 et jusqu'au 16 septembre 2021 (date de libération des lieux). Elle évalue sa créance à ce titre, à la somme de 5.275,89 euros calculée ainsi :
- Loyer (3 T 2021) : 34.688 euros + Prov/ charges : 2.500 euros + TVA: 6.937,60 euros = 44.125,60 euros
- Prorata du 06/09/2021 au 16/09/2021 = 44.125,60 /92 jours x 11 jours = 5.275,89 euros.
Elle soutient que cette somme est une créance postérieure privilégiée au sens des articles L. 622-17 et L. 641-13 du code de commerce et sollicite la condamnation de la partie adverse à lui verser cette somme, outre celle de 527,59 euros à titre de clause pénale.
La partie défenderesse réplique qu'il s'agit d'une créance antérieure au jugement de liquidation judiciaire du 15 novembre 2021 et que la société PATRIMONI GROUP ne peut prétendre qu'à une fixation au passif. Elle ajoute qu'aucune clause pénale ne peut par ailleurs être appliquée après le jugement d'ouverture en vertu de l'article L. 622-28 du code de commerce.
Aux termes de l'article L. 622-17 du code de commerce, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n°2021-1193 du 15 septembre 2021, les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance. Lorsqu'elles ne sont pas payées à l'échéance, ces créances sont payées par privilège avant toutes les autres créances, assorties ou non de privilèges ou sûretés, à l'exception de celles garanties par le privilège établi aux articles L. 3253-2, L. 3253-4 et L. 7313-8 du code du travail, des frais de justice nés régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure et de celles garanties par le privilège établi par l'article L. 611-11 du présent code.
Selon l'article L. 641-13 du même code, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n°2021-1193 du 15 septembre 2021, sont payées à leur échéance les créances nées régulièrement après le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire :
-si elles sont nées pour les besoins du déroulement de la procédure ou du maintien provisoire de l'activité autorisé en application de l'article L. 641-10 ;
-si elles sont nées en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant le maintien de l'activité ou en exécution d'un contrat en cours régulièrement décidée après le jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, s'il y a lieu, et après le jugement d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire ;
-ou si elles sont nées des besoins de la vie courante du débiteur, personne physique.
En cas de prononcé de la liquidation judiciaire, sont également payées à leur échéance, les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire mentionnées au I de l'article L. 622-17.
Il résulte de ces dispositions que dès lors que le liquidateur judiciaire de la société QAPE a opté avec diligence, dès le 13 septembre 2021, pour la résiliation du bail, il ne peut être considéré nonobstant son caractère postérieur à l'ouverture de la procédure collective, l'utilité de la créance alléguée pour la poursuite de l'activité de la société QAPE.
Le quantum de la créance de loyers et charges postérieurs au jugement d'ouverture de la procédure collective n'étant pas contesté par le liquidateur, il convient de fixer au passif de la société QAPE la somme de 5.275,89 euros.
S'agissant de la demande au titre de la clause pénale, elle ne peut qu'être rejetée en application de l'article L. 622-28 du code de commerce qui interdit après le jugement d'ouverture, tous intérêts de retard et majorations, à moins qu'il ne s'agisse des intérêts résultant de contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d'un paiement différé d'un an ou plus.
Sur la créance au titre des frais d'huissier, dépens, frais et honoraires d'avocat et débours
La société PATRIMONI GROUP demande la fixation au passif de la liquidation de la société QAPE de la somme de 2.137,08 euros avec intérêts au taux légal à compter du 24 septembre 2021 se décomposant ainsi :
- coût de la saisie conservatoire + dénonciation (juin 2021): 522,82 euros (429,94 euros + 92,88 euros)
- coût de la saisie conservatoire + dénonciation (juin 2021) : 415,71 euros (322,83 euros + 92,88 euros
- coût de l'assignation de juin 2020 : 55,18 euros
- honoraires d'avocat et débours : 1.143,37 euros
La partie défenderesse réplique que cette demande est particulièrement abusive alors que le tribunal de commerce d'Auxerre, par un jugement définitif en date du 6 octobre 2021, a annulé les saisies conservatoires diligentées en juin et juillet 2021, en a ordonné la mainlevée, a dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure et a condamné la société PATRIMONI GROUP au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dès lors que par jugement en date du 6 octobre 2021 dont il n'a pas été interjeté appel, le tribunal de commerce d'Auxerre a, ainsi que le rappelle le liquidateur judiciaire de la société QAPE, annulé les saisies conservatoires diligentées en juin et juillet 2021 et en a ordonné la mainlevée, la partie demanderesse est mal fondée à solliciter la fixation au passif de la procédure le coût de ces saisies conservatoires. Par ailleurs, le tribunal de commerce s'est prononcé sur les dépens dont fait partie le coût de l'assignation, et a condamné la société PATRIMONI GROUP au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de sorte qu'elle est effectivement mal fondée à solliciter que ces frais soient fixés au passif de la procédure. Elle sera par conséquent déboutée de sa demande de ce chef.
Sur les demandes accessoires
Dès lors que les demandes de la société PATRIMONI GROUP sont partiellement fondées, le liquidateur judiciaire de la société QAPE sera condamné aux dépens qui ne comprennent pas le coût des deux saisies conservatoires.
L'équité ne justifie pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Les demandes de ce chef sont rejetées.
Enfin aucun motif ne conduit à écarter l'exécution provisoire de droit.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire rendu en premier ressort,
FIXE au passif de la S.A.S. QAPE la somme de 138.649,83 euros (cent trente-huit mille six cent quarante-neuf euros et quatre-vingt-trois centimes) correspondant à la créance de la S.A.R.L. PATRIMONI GROUP,
DÉBOUTE la S.A.R.L. PATRIMONI GROUP de ses demandes au titre des intérêts au taux légal, de l'indemnité de résiliation, du remboursement de la franchise contractuelle de loyer, de condamnation au paiement de la créance postérieure, des frais d'huissier, dépens, frais et honoraires d'avocat et débours, de l'article 700 du code de procédure civile et du surplus de ses demandes,
DÉBOUTE la S.E.L.A.R.L. MJ & ASSOCIÉS prise en la personne de Maître [O] [B], en qualité de liquidateur judiciaire de la S.A.S. QAPE, de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la S.E.L.A.R.L. MJ & ASSOCIÉS prise en la personne de Maître [O] [B], en qualité de liquidateur judiciaire de la S.A.S. QAPE, aux dépens qui ne comprennent pas le coût des deux saisies conservatoires,
DIT n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire de la présente décision.
Fait et jugé à Paris le 24 Juillet 2024
Le Greffier Le Président
Henriette DURO Maïa ESCRIVE