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24/07/2024 | FRANCE | N°21/11134

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 18° chambre 2ème section, 24 juillet 2024, 21/11134


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] C.C.C.F.E. + C.C.C.
délivrées le :
à Me THEILLAC (A0550)
Me SUROWIEC (D1055)





18° chambre
2ème section


N° RG 21/11134

N° Portalis 352J-W-B7F-CVCIX

N° MINUTE : 7


Assignation du :
01 Septembre 2021









JUGEMENT
rendu le 24 Juillet 2024




DEMANDERESSE

S.A.S. AN DAOU VREUR (RCS de Paris 539 974 477)
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Maître Denis THEILLAC de la S.E.L.A.S. CABI

NET THEILLAC-CAVARROC, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #A0550


DÉFENDERESSE

S.C.I. SCI KAMBI (RCS de Toulouse 413 084 229)
[Adresse 2]
[Adresse 2]

représentée par Me Magali SU...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] C.C.C.F.E. + C.C.C.
délivrées le :
à Me THEILLAC (A0550)
Me SUROWIEC (D1055)

18° chambre
2ème section


N° RG 21/11134

N° Portalis 352J-W-B7F-CVCIX

N° MINUTE : 7

Assignation du :
01 Septembre 2021

JUGEMENT
rendu le 24 Juillet 2024

DEMANDERESSE

S.A.S. AN DAOU VREUR (RCS de Paris 539 974 477)
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Maître Denis THEILLAC de la S.E.L.A.S. CABINET THEILLAC-CAVARROC, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #A0550

DÉFENDERESSE

S.C.I. SCI KAMBI (RCS de Toulouse 413 084 229)
[Adresse 2]
[Adresse 2]

représentée par Me Magali SUROWIEC, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #D1055

Décision du 24 Juillet 2024
18° chambre 2ème section
N° RG 21/11134 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVCIX

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Par application des articles R.212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire et 812 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été attribuée au Juge unique.

Avis en a été donné aux avocats constitués qui ne s’y sont pas opposés.

Maïa ESCRIVE, Vice-présidente, statuant en juge unique,

assistée de Henriette DURO, Greffier.

DÉBATS

A l’audience du 29 Mai 2024 tenue en audience publique.

Après clôture des débats, avis a été donné aux avocats, que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 24 Juillet 2024.

JUGEMENT

Rendu publiquement
Contradictoire
En premier ressort

_________________

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant un acte sous seing privé en date du 8 juillet 2016, la S.C.I. SCI KAMBI (ci-après la S.C.I. KAMBI) a donné à bail commercial à la S.A.S. AN DAOU VREUR, des locaux à usage de "restaurant sous toutes ses formes sauf la restauration rapide" situés [Adresse 1], pour une durée de neuf années à compter rétroactivement du 15 avril 2016 pour se terminer le 14 avril 2025 et moyennant le versement d'un loyer annuel en principal de 101.319,36 euros.

Par acte extrajudiciaire du 9 décembre 2020, la S.A.S. AN DAOU VREUR a signifié à la S.C.I. KAMBI une demande de révision du loyer à la baisse sollicitant qu'il soit fixé à la somme annuelle de 70.000 euros hors taxes et hors charges, et se prévalant de la modification défavorable des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné une variation de la valeur locative des locaux supérieure à 10 % au sens de l'article L. 145-8 du code de commerce.

Par courrier recommandé en date du 29 juillet 2021, la bailleresse, par l'intermédiaire de son gestionnaire de bien, a mis en demeure la S.A.S. AN DAOU VREUR de payer la somme de 34.283,38 euros au titre de l'arriéré locatif.

Par courrier électronique de son conseil en date du 3 août 2021, la S.A.S. AN DAOU VREUR a contesté les sommes réclamées et a sollicité l'abandon d'un trimestre de loyer compte tenu du contexte sanitaire et de la fermeture totale de l'établissement.

Par acte extrajudiciaire en date du 13 août 2021, la S.C.I. KAMBI a signifié à la S.A.S. AN DAOU VREUR un commandement de payer la somme de 33.356,68 euros au titre des loyer et charges du 3ème trimestre 2021, outre le coût de l'acte de 251,50 euros, visant la clause résolutoire insérée au bail.

Décision du 24 Juillet 2024
18° chambre 2ème section
N° RG 21/11134 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVCIX

Par acte délivré le 1er septembre 2021, la S.A.S. AN DAOU VREUR a fait assigner devant ce tribunal la S.C.I. KAMBI aux fins principales de dire nul et de nul effet le commandement de payer délivré le 13 août 2021, à titre subsidiaire "juger que la clause résolutoire était réputée non écrite en vertu des dispositions de l'article 14 de la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2021", et plus subsidiairement lui accorder des délais de paiement et suspendre les effets de la clause résolutoire, contestant en outre l'exigibilité des loyers pendant les périodes de fermeture administrative liées à la crise sanitaire.
L'assignation a été dénoncée à la S.A.S. ADMINISTRATION DE BIENS ET CONSEILS (AB CONSEIL), administrateur de biens gérant l'immeuble.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 novembre 2022, la S.A.S. AN DAOU VREUR demande au tribunal de :

Vu les articles 1104, 1108, 1194, 1217, 1709 et 1722 du code civil,
Vu l'article L.145-41 du code de commerce,
Vu l'arrêté du 14 mars 2020,
Vu les décrets n°2020-247, 2020-293, 2020-423, 2020-545,
Vu la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020 et notamment son article 14,
Vu la jurisprudence,
Vu le commandement de payer du 13 août 2021,

- La recevoir en sa demande et y faisant droit,
- Juger nul et de nul effet le commandement de payer délivré le 13 août 2021 par la S.C.I. KAMBI.

A titre subsidiaire,

- Juger que la S.A.S. AN DAOU VREUR répond aux critères de la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020,
- Juger que la clause résolutoire était réputée non écrite en vertu des dispositions de l'article 14 de la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2021.

A titre infiniment subsidiaire,

- Lui accorder, en application des dispositions des articles L. 145-41 du code de commerce et 1343-5 du code civil, un délai de 24 mois pour s'acquitter de toute somme qu'elle pourrait rester devoir à sa bailleresse, et suspendre pendant ce délai la réalisation et les effets de la clause résolutoire,

- Rappeler que les locaux appartenant à la S.C.I. KAMBI, donnés à bail commercial à la S.A.S. AN DAOU VREUR ont été interdits d'accueillir du public par arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 puis par décret du 29 octobre 2020,
- Juger que la S.A.S. AN DAOU VREUR a été totalement privée de la jouissance des locaux loués pendant la période du 15 mars au 14 juin 2020, puis à nouveau du 30 octobre 2020 au 9 juin 2021,
- Juger que l'interdiction d'ouverture ainsi ordonnée est constitutive d'une inexécution contractuelle par la S.C.I. KAMBI, bailleresse,
- Juger que cette inexécution contractuelle a causé la perte totale et temporaire de la chose louée,
- En conséquence, condamner la S.C.I. KAMBI à restituer à la S.A.S. AN DAOU VREUR les loyers et charges versés par ses soins au prorata: totalement pendant la période du 15 mars au 14 juin 2020 inclus et du 30 octobre 2020 au 9 juin 2021 et à hauteur de 50 % entre le 15 juin 2020 et le 29 octobre 2020 puis pour la période entre le 10 juin 2021 et jusqu'au jour où les restrictions d'exploitation seront levées.
En tout état de cause,

- Condamner la S.C.I. KAMBI au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de la S.E.L.A.S. CABINET THEILLAC-CAVARROC.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 1er avril 2022, la S.C.I. KAMBI demande au tribunal de :

Vu les articles1104 du code civil,
Vu le commandement de payer visant la clause résolutoire signifié le 13 août 2021,
Vu le contrat de bail commercial,

- Débouter la S.A.S. AN DAOU VREUR de l'intégralité de ses demandes ;
- Constater l'acquisition de la clause résolutoire insérée dans le bail commercial conclu entre la S.C.I. KAMBI et la S.A.S. AN DAOU VREUR ;
- En conséquence, prononcer la résiliation du bail ;
- Ordonner l'expulsion de la S.A.S. AN DAOU VREUR et de tout occupant de son chef des locaux commerciaux situés à [Adresse 1] avec l'assistance de la force publique si besoin est ;
- Condamner la S.A.S. AN DAOU VREUR à lui payer la somme totale de 67.399,09 euros au titre des loyers, charges et taxes impayés arrêtés à la date du 29 mars 2022 ;
- Condamner la S.A.S. AN DAOU VREUR à lui payer une indemnité d'occupation égale au loyer fixé conformément aux dispositions du bail, outre les charges et accessoires du loyer jusqu'à justification de la libération effective des lieux et la remise des clés, avec intérêts au taux légal;
- Ordonner la séquestration des meubles et facultés mobilières garnissant les lieux loués aux frais, risques et périls de l'occupant au choix du bailleur, soit dans les lieux, soit dans un garde meuble, pour sûreté des loyers échus et des charges locatives, aux frais de la SAS AN DAOU VREUR ;

En tout état de cause,

- Condamner la S.A.S. AN DAOU VREUR à payer à la S.C.I. KAMBI la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens qui comprendront notamment le coût du commandement de payer délivré en date du 13 août 2021 d'un montant de 251,50 euros.

* * *

Ainsi que le permet l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières conclusions des parties pour l'exposé de leurs prétentions et de leurs moyens.

La clôture de la mise en état a été prononcée le 11 septembre 2023.

L'affaire a été appelée pour plaidoiries à l'audience tenue en juge unique du 29 mai 2024 et mise en délibéré à la date de ce jour.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la validité du commandement de payer visant la clause résolutoire délivré le 13 août 2021

Aux termes de l'article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Décision du 24 Juillet 2024
18° chambre 2ème section
N° RG 21/11134 - N° Portalis 352J-W-B7F-CVCIX

Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil, anciennement l'article 1244-1, peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

Ces dispositions sont d'ordre public et les parties ne peuvent y déroger.

En application de l'ancien article 1315, devenu l'article 1353 du code civil, il appartient au bailleur d'apporter la preuve des obligations auxquelles il reproche au preneur d'avoir manqué tandis qu'il incombe à celui-ci de démontrer qu'il les a exécutées.

En l'espèce, le bail du 8 juillet 2016 liant les parties comporte un article 7 intitulé "Clause résolutoire" qui stipule :
"Il demeure expressément convenu qu'à défaut de paiement d'un seul terme de loyer ou accessoires ou à défaut d'exécution de l'une quelconque des conditions ci-dessus mentionnées, et un mois après un simple commandement de payer ou une sommation d'exécuter restée infructueuse, contenant mention de la présente clause, le présent bail sera résilié de plein droit si bon semble à la Société bailleresse, sans qu'il soit besoin d'aucune autre formalité judiciaire qu'une simple ordonnance de référé rendue par Monsieur le Président du tribunal de Grande Instance de la Localité, exécutoire par provision nonobstant appel, pour obtenir l'expulsion de la Société preneuse ou de tous autres occupants".

Le commandement signifié à la S.A.S. AN DAOU VREUR le 13 août 2021 vise la clause résolutoire du contrat de bail commercial et mentionne le délai d'un mois précité.

Pour contester la validité du commandement délivré, la partie demanderesse fait valoir d'une part que les sommes visées ne sont pas dues et que d'autre part, le commandement a été délivré de mauvaise foi par la bailleresse.

Pour être valable, le commandement de payer doit informer clairement le locataire du manquement qui lui est reproché, et notamment lorsqu'il s'agit du paiement des loyers, préciser le montant, la cause, la nature et la date d'exigibilité de la somme réclamée.

Un commandement de payer qui serait notifié pour une somme erronée et supérieure au montant de la créance réelle du bailleur au titre des loyers n'est pas nul mais ne produit ses effets qu'à due concurrence des sommes exigibles.

En outre, en application des dispositions de l'ancien article 1134 du code civil, applicable en l'espèce, les contrats doivent être exécutés de bonne foi.

A ce titre, sont privés d'effet les commandements de payer visant la clause résolutoire, qui, quoique répondant aux conditions légales, sont délivrés de mauvaise foi par le bailleur, soit dans des circonstances démontrant sa volonté d'exercer déloyalement sa prérogative de mise en jeu de la clause résolutoire, la preuve de la mauvaise foi du bailleur incombant au preneur qui l'invoque et s'appréciant au jour où le commandement a été délivré.

La partie demanderesse fait valoir que le commandement vise l'échéance du 3ème trimestre 2021 alors que le loyer, aux termes du bail, est exigible "par trimestre échu" soit le 1er octobre 2021.

La bailleresse ne répond pas à ce moyen.

En l'espèce, le bail liant les parties prévoit que le loyer annuel s'élève à 101.319,36 euros hors taxes et hors charges, que "le preneur s'oblige à payer à terme échu au bailleur en quatre termes égaux les 1er janvier, avril, juillet et octobre de chaque année".

Le paiement du loyer étant à terme échu, l'échéance du 3ème trimestre 2021 n'était pas exigible à la date de délivrance du commandement de payer litigieux.

Or, la somme visée dans le commandement ne concerne que cette échéance du 3ème trimestre 2021.

Par conséquent et sans qu'il soit nécessaire d'examiner le second moyen tenant à la mauvaise foi alléguée de la bailleresse, il convient de constater que le commandement de payer visant la clause résolutoire délivré le 13 août 2021 est nul et de nul effet.

La S.C.I. KAMBI sera dès lors déboutée de ses demandes de constater l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation du bail et subséquentes d'expulsion, de séquestration des meubles, de paiement d'une indemnité d'occupation et des frais du commandement de payer.

Sur la demande reconventionnelle de condamnation de la S.A.S. AN DAOU VREUR au paiement d'un arriéré locatif

L'article 1728 du code civil énonce que le paiement du prix du bail aux termes convenus constitue l'une des deux obligations principales du preneur.

En l'espèce, la S.C.I. KAMBI verse aux débats un extrait du compte de la S.A.S. AN DAOU VREUR arrêté au 29 mars 2022 à la somme de 67.399,09 euros, échéance du 1er avril 2022 incluse.

La locataire oppose que la bailleresse doit lui restituer les loyers et charges versés par ses soins au prorata : totalement pendant la période du 15 mars au 14 juin 2020 inclus et du 30 octobre 2020 au 9 juin 2021 et à hauteur de 50 % entre le 15 juin 2020 et le 29 octobre 2020 puis pour la période entre le 10 juin 2021 et jusqu'au jour où les restrictions d'exploitation seront levées sur le fondement du manquement de la bailleresse à son obligation de délivrance et de la perte de la chose louée.

- Sur les moyens opposés par la locataire

* Le manquement allégué du bailleur à l'obligation de délivrance et de jouissance paisible

Aux termes de l'article 1719 du code civil, le bailleur est obligé par la nature du contrat et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière de délivrer au preneur la chose louée et de l'en faire jouir paisiblement pendant la durée du bail. Cet article n'a pas pour effet d'obliger le bailleur à garantir au preneur la chalandise des lieux loués et la stabilité du cadre normatif, dans lequel s'exerce son activité.

En vertu de l'ancien article 1184 du code civil, dans sa version applicable au présent litige, une partie à un contrat synallagmatique peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.

En application de l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, l'état d'urgence sanitaire a été déclaré sur l'ensemble du territoire national pour faire face à l'épidémie de covid-19.

En application de l'article 3, I, 2°, du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 et du décret n° 2020-423 du 14 avril 2020 le complétant, jusqu'au 11 mai 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile a été interdit à l'exception des déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l'activité professionnelle et des achats de première nécessité.

Par arrêté du 14 mars 2020 pris en application des dispositions du décret n°2020-247 du 13 mars 2020, a été ordonnée l'interdiction, notamment pour les établissements de la catégorie N (restaurants et débits de boissons), d'accueillir du public jusqu'au 15 avril 2020.

Conformément au I de l'article 1er de la loi n°2020-546 du 11 mai 2020, l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 à compter du 24 mars 2020 a été prorogé jusqu'au 10 juillet 2020 inclus.

L'interdiction, notamment pour les établissements de la catégorie N (restaurants et débits de boissons), d'accueillir du public a été réitérée par le décret n°2020-293 du 23 mars 2020, prorogée par le décret n°2020-423 du 14 avril 2020 jusqu'au 11 mai 2020, puis par décret n°2020-545 du 11 mai 2020 jusqu'au 1er juin 2020.

La réouverture partielle des restaurants à [Localité 3] n'a finalement été autorisée qu'à compter du 2 juin 2020, pour les établissements disposant d'une terrasse et à compter du 15 juin 2020 pour les autres, sous réserve de mettre en place des mesures de distanciation physique.

L'état d'urgence sanitaire a été déclaré une nouvelle fois par décret n°2020-1257 du 14 octobre 2020 à compter du 17 octobre 2020 à 0 heure et prolongé par la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020 jusqu'au 16 février 2021 inclus.

Par décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, a été ordonnée une nouvelle fois la fermeture au public des lieux "non indispensables à la vie de la nation" à compter du 30 octobre 2020 pour une durée indéterminée.

La réouverture des établissements ne disposant pas de terrasse n'a été effective qu'à compter du 9 juin 2021 avec une jauge de 50 %.

La locataire ne conteste pas que la configuration, la consistance, les agencements, les équipements et l'état des locaux remis à elle par la S.C.I. KAMBI en exécution du bail les liant, lui permettent d'exercer l'activité, à laquelle ils sont contractuellement destinés.

L'impossibilité d'exploiter dont se prévaut la S.A.S. AN DAOU VREUR du fait des mesures de fermeture des restaurants et débits de boissons ou de restriction de leur accès au public, ne résulte pas d'un manquement de la bailleresse à ses obligations de délivrance et d'assurer la jouissance paisible des locaux, mais de décisions prises par l'autorité administrative afin de lutter contre la pandémie, notamment celle de fermer certains établissements recevant du public.

La S.A.S. AN DAOU VREUR est donc mal fondée à se prévaloir de l'exception d'inexécution et d'un manquement de la bailleresse à son obligation de délivrance pour soutenir n'être débitrice d'aucun loyer sur la période susvisée.

* La perte de la chose louée

Selon les dispositions de l'article 1722 du code civil, si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement.

Cependant, il est désormais constant, qu'édictée pour limiter la propagation du virus par une restriction des rapports interpersonnels, l'interdiction de recevoir du public imposée à certains établissements pendant la période d'état d'urgence sanitaire pour faire face à l'épidémie de covid-19 résulte du caractère non indispensable à la vie de la Nation et à l'absence de première nécessité des biens ou des services fournis. Cette interdiction a donc été décidée, selon les catégories d'établissement recevant du public, aux seules fins de garantir la santé publique, de sorte que l'effet de cette mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être assimilé à la perte de la chose au sens des dispositions de l'article 1722 du code civil.

En l'espèce, force est de constater que les locaux donnés à bail commercial à la S.A.S. AN DAOU VREUR par la S.C.I. KAMBI n'ont subi aucun changement, la première s'étant vu interdire de recevoir ses clients pour des raisons étrangères aux lieux loués, de sorte qu'aucune perte, fût-elle partielle, desdits locaux n'est caractérisée.

En conséquence, il convient de retenir que le moyen de défense tiré de la perte de la chose louée opposé par la S.A.S. AN DAOU VREUR est inopérant.

- Sur la créance de la bailleresse

La S.A.S. AN DAOU VREUR qui n'oppose aucuns autres moyens que ceux examinés ci-dessus ni ne justifie de règlements, sera donc condamnée à payer à la S.C.I. KAMBI la somme de 67.399,09 euros, au titre des loyers et charges dus au 1er avril 2022, échéance du 1er avril 2022 incluse.

Sur les demandes accessoires

Dans la mesure où la S.A.S. AN DAOU VREUR est déclarée redevable d'un arriéré locatif, elle succombe à l'instance et sera condamnée aux dépens, qui ne comprennent pas le coût du commandement de payer délivré le 13 août 2021 d'un montant de 251,50 euros qui a été déclaré nul et de nul effet par le tribunal.

La S.A.S. AN DAOU VREUR sera également condamnée à verser à la S.C.I. KAMBI une somme qu'il est équitable de fixer à 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et corrélativement déboutée de sa demande de ce chef.

Enfin, aucun motif ne conduit à écarter l'exécution provisoire de droit.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,

DÉCLARE nul et de nul effet le commandement de payer visant la clause résolutoire délivré à la S.A.S. AN DAOU VREUR le 13 août 2021 à la demande de la S.C.I. SCI KAMBI,

DÉBOUTE la S.C.I. SCI KAMBI de ses demandes de constater l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation du bail et subséquentes d'expulsion, de séquestration des meubles, de paiement d'une indemnité d'occupation et des frais du commandement de payer,

DÉBOUTE la S.A.S. AN DAOU VREUR de ses demandes d'exonération totale ou partielle des loyers pendant les périodes de restriction d'exploitation liée à la crise sanitaire et au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la S.A.S. AN DAOU VREUR à payer à la S.C.I. SCI KAMBI les sommes de :
- 67.399,09 euros (soixante-sept mille trois cent quatre-vingt-dix-neuf euros et neuf centimes), au titre des loyers, charges et taxes dus au 1er avril 2022, échéance du 1er avril 2022 incluse,
- 3.000 (trois mille) euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la S.A.S. AN DAOU VREUR aux dépens de la présente instance, qui ne comprennent pas le coût du commandement de payer délivré le 13 août 2021 d'un montant de 251,50 euros,

DIT n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire de la présente décision.

Fait et jugé à Paris le 24 Juillet 2024

Le Greffier Le Président
Henriette DURO Maïa ESCRIVE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 18° chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 21/11134
Date de la décision : 24/07/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 30/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-24;21.11134 ?
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