TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:
19eme contentieux médical
N° RG 22/12535
N° MINUTE :
Assignations des :
- 11 et 12 Octobre 2022
- 02 Novembre 2022
DEBOUTE
LG
JUGEMENT
rendu le 02 Septembre 2024
DEMANDERESSE
Madame [X] [E]
[Adresse 4]
[Localité 9]
Représentée par Maître Fatma HAJJAJI, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, vestiaire PC408
DÉFENDERESSES
Madame [F] [H] [Y]
[Adresse 5]
[Localité 6]
ET
La MACSF (MUTUELLE D’ASSURANCE DU CORPS DE SANTÉ FRANÇAIS)
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représentées par la SELARL Cabinet HIRSCH Avocats associés agissant par Maître Alois DENOIX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1665
La CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE SEINE SAINT DENIS
[Adresse 3]
[Localité 8]
Non représentée
Décision du 02 Septembre 2024
19ème contentieux médical
RG 22/12535
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Laurence GIROUX, Vice-Présidente
Madame Sarah CASSIUS, Vice-Présidente
Madame Géraldine CHABONAT, Juge
Assistées de Madame Erell GUILLOUËT, Greffière, lors des débats et au jour de la mise à disposition au greffe.
DÉBATS
A l’audience du 24 Juin 2024 tenue en audience publique devant Madame GIROUX, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 02 Septembre 2024.
JUGEMENT
- Réputé contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Madame [X] [E], née le [Date naissance 2] 1965, a été orientée vers le docteur [F] [H] [Y], dermatologue exerçant en libéral, aux fins de traiter des tâches sur le visage avec la technique du laser.
Elle indique qu’à l’occasion d’une première séance en 2014, elle a senti une brûlure après utilisation du laser sur sa joue gauche.
Lors d’une deuxième séance, le 24 juin 2014, le traitement au laser a été poursuivi et la requérante explique qu’elle s’est retrouvée avec des brûlures sur tout le visage.
Outre les soins somatiques, Madame [E] fait état d’un retentissement psychologique important.
Une expertise amiable a été réalisée le 31 janvier 2022. Dans le rapport rendu le 9 février 2022, le docteur [Z]-[G], dermatologue, a conclu à l’absence de lien direct et certain entre les lésions constatées et la séance de laser de juin 2014 relevant la difficulté de l’expertise effectuée huit ans après la séance litigieuse. L’expertise relève, néanmoins, l’existence de préjudices temporaires en lien avec une hyperpigmentation post inflammatoire (HPPI) post-laser.
En l’absence d’accord amiable, Madame [E] a assigné, par actes du 11, 12 octobre et 2 novembre 2022, le docteur [F] [H] [Y], son assureur la MACSF et la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Seine Saint Denis. Elle a demandé de :
Dire recevable et bien fondée la procédure en responsabilité professionnelle du docteur [H] [Y],Constater la responsabilité professionnelle du docteur [H] [Y],Dire que son intervention est à l’origine du dommage et préjudices de Madame [E],Ordonner une expertise aux frais avancés du défendeur pour déterminer chaque poste de préjudices selon modalités précisées dans les écritures,Condamner solidairement le docteur [H] [Y], et son assureur à verser à Madame [E] à titre d’indemnisation provisionnelle des conséquences corporelles et non corporelles de l’incident subi en juin 2014 la somme de 40 000 euros ;Condamner solidairement le docteur [H] [Y], et son assureur à verser à Madame [E] la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;Condamner les défendeurs aux entiers dépens ;Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir, nonobstant opposition ou appel et sans caution.
Aux termes de leurs écritures notifiées par voie électronique le 19 juin 2023, auxquelles il est référé expressément conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, le docteur [H] [Y] et son assureur demandent au tribunal de :
A titre principal, débouter Mme [E] de toutes ses demandes, fins et conclusions et laisser à sa charge les dépens de l’instance A titre subsidiaire, si le Tribunal estimait devoir ordonner une mesure d’expertise aux seuls frais avancés de Mme [E], la confier à un médecin dermatologue, avec la mission habituelle en pareille matière. En tout état de cause, débouter Mme [E] de ses demandes indemnitaires provisionnelles et au titre de l’article 700 du CPCRéserver en ce cas les dépens de l’instance.
La CPAM de Seine Saint Denis n’ayant pas constitué avocat, la décision sera réputée contradictoire
La clôture est intervenue par ordonnance du juge de la mise en état du 15 janvier 2024. Le dossier a été évoqué à l’audience du 24 juin 2024 et mis en délibéré au 2 septembre 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
I / SUR LA RESPONSABILITÉ DU MEDECIN
Il résulte des dispositions des articles L.1142-1-I et R.4127-32 du code de la santé publique que, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les praticiens ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. Il s’en déduit a contrario que la responsabilité médicale est engagée si une faute, dont a résulté un préjudice en lien de causalité avec celle-ci, a été commise.
L'obligation de moyens qui pèse sur le praticien en matière d'esthétisme est appréciée plus sévèrement que dans un cadre thérapeutique. Le seul fait de réaliser une intervention esthétique peut être fautif, le médecin devant apprécier l'opportunité de celle-ci en comparant ses avantages et ses risques et si ceux-ci excèdent ceux-là, se doit de refuser d'intervenir ou émettre les plus expresses réserves auprès du patient.
En l’espèce, Madame [E] critique l’intervention de laser réalisée par le docteur [H] [Y] le 24 juin 2014. Elle considère qu’il existe un lien entre l’action du praticien et le dommage subi sur son visage (brûlures). Elle relève, au regard notamment de l’expertise amiable, que le professionnel de santé a commis une faute technique consistant en des actes qui ont engendré des brûlures. Elle fait valoir qu’elle n’a bénéficié d’aucune phase de test, de conseils et d’informations éclairées sur l’usage de la technique du laser.
Les défendeurs concluent principalement au rejet des demandes. Ils font valoir l’absence de conclusions du rapport d’expertise en ce sens, ainsi que l’absence d’imputabilité des lésions à la séance de laser.
Or, l’expert a conclu de la manière suivante : « il n’y a pas de lien direct et certain entre les lésions constatées ce jour et la séance de laser pigmentaire de juin 2014 ». Il a précisé, néanmoins, une difficulté majeure à établir une imputabilité au regard de l’ancienneté des faits par rapport à l’expertise (huit années). De plus, s’il a relevé la présence d’une hyperpigmentation après la séance de laser, il a également relevé que l’indication du laser était appropriée et que plusieurs praticiens, au regard des lésions postérieures aux faits, ont relevé le diagnostic de mélasma et non d’HPPI. Lui-même indique : « A l’accedit, les lésions pigmentées des deux pommettes sont évocatrices de mélasma ».
Par ailleurs, Madame [E], sur laquelle repose la charge de la preuve, n’apporte pas d’éléments de nature médicale permettant de corroborer l’existence d’une faute du docteur [H] [Y]. En effet, les photographies personnelles et non datées produites, si elles permettent de constater des rougeurs sur le visage de Madame [E] qui n’existaient pas sur des photographies a priori antérieures, ne démontrent pas que celles-ci sont à mettre en lien avec la séance de laser critiquée et encore moins qu’elles résultent d’un geste fautif en lien avec celle-ci. Il en est de même des extraits de dossiers médicaux, qui permettent uniquement d’établir l’existence de soins postérieurement aux faits. Le certificat de consultations en psychiatrie, s’il corrobore le ressenti douloureux de Madame [E], n’établit pas davantage une faute.
Le tribunal relève donc que si une HPPI est apparue postérieurement aux soins par laser, il n’en est pas pour autant caractérisé une faute du praticien seule susceptible d’engager sa responsabilité, ainsi qu’un lien de causalité entre les lésions et l’acte médical. En effet, le rapport d’expertise ne l’établit pas et les affirmations de la requérante sur ce point ne sont pas corroborées par des éléments circonstanciés.
Partant, aucune faute n’est établie.
Par conséquent, il y a lieu de débouter Madame [E] de l’ensemble de ses demandes au titre de l’engagement de la responsabilité du praticien.
II/ SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
Madame [E] succombant en l’instance, elle sera condamnée aux dépens et déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
En application de l’article 514 du code de procédure civile en vigueur au jour de l’assignation, l’exécution provisoire est de droit.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire mis à disposition au greffe et rendu en premier ressort,
DEBOUTE Madame [X] [E] de sa demande aux fins d’engager la responsabilité professionnelle du docteur [F] [H] [Y] ;
DEBOUTE Madame [X] [E] de ses demandes d’expertise et de provision au titre de la réparation de son préjudice corporel ;
DECLARE le jugement commun à la CPAM de Seine Saint Denis ;
DEBOUTE Madame [X] [E] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Madame [X] [E] aux dépens de la présente instance ;
RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit ;
REJETTE le surplus des demandes, plus amples ou contraires.
Fait et jugé à Paris le 02 Septembre 2024.
La Greffière La Présidente
Erell GUILLOUËT Laurence GIROUX