03 Septembre 2024
N° Rôle : N° RG 24/00004 - N° Portalis DB3U-W-B7I-NUXO
CODE NAC : 30C
SAS RM FRUITS
c/
SCI [Localité 5] B (RCS de Pontoise n° 914 016 415)
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PONTOISE
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LOYERS COMMERCIAUX
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JUGEMENT
AVANT DIRE DROIT.
JUGEMENT rendu par mise à disposition au Greffe du Tribunal judiciaire de PONTOISE par Madame Aude BELLAN, Vice-Président, Juge des Loyers Commerciaux, assistée de Isabelle PAYET, greffière, le 03 Septembre 2024 après débats à l’audience publique du 4 juin 2024.
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DEMANDERESSE
SAS RM FRUITS (RCS de Pontoise n° 411 958 028)
dont le siège social est sis [Adresse 4]
représentée par Me Thomas VERDET, avocat au barreau de VAL D’OISE, et Me Catherine BERLANDE, avocat au barreau de PARIS
DÉFENDERESSE
SCI [Localité 5] B (RCS de Pontoise n° 914 016 415)
dont le siège social est sis [Adresse 4]
représentée par Me Magali LEVY, avocat au barreau de VAL D’OISE, et Me Yaëlle MOLHO, avocat au barreau de PARIS
FAITS ET PROCEDURE
La société civile immobilière la Baronne était propriétaire des bâtiments A, B et C situés à [Localité 5] au [Adresse 2].
L’ensemble a été donné à bail à la société à responsabilité limitée European Bureau of Gestion (EBG), aux droits de laquelle est venue la société E Baron Guay, avec faculté de louer ou sous-louer les constructions pour une durée pouvant excéder celle du bail principal avec l’accord écrit du bailleur.
Selon acte sous-seing privé du 1er avril 2005, la société EBG a donné à bail commercial à la société RM Fruits des locaux de 1305 m² environ, formant les bâtiments B2, B3 et B4, dépendant d’un ensemble immobilier situé dans la zone d’aménagement concerté de la commune de [Localité 5] dans le Val-d’Oise dénommée ZAC de [Localité 5] au lieu-dit [Adresse 2] pour une durée de neuf années à compter du 1er avril 2005.
Selon acte sous-seing privé du 24 mars 2011, la société E Baron Guay, aux droits de laquelle est venue la société [Localité 5] B, a renouvelé le bail précédemment consenti à la société RM Fruits (enseigne « espace Primeurs »), pour une durée de neuf années à compter du 1er avril 2011, portant sur un local de 1521 m², pour la vente de fruits et légumes, boissons, vins et produits frais, moyennant un loyer principal annuel de 213 082 €, indexable annuellement en fonction de l’évolution de l’indice du coût de la construction publié par l’INSEE.
Le bail est arrivé à échéance contractuelle le 31 mars 2020 et s’est poursuivi par tacite prolongation.
Une procédure judiciaire a opposé les parties ayant débouché sur un jugement du tribunal judiciaire de Pontoise du 25 janvier 2021 qui a déclaré nul et de nul effet le commandement de payer du 31 mai 2017, condamné la société E Baron Guay à payer à la SAS RM Fruits la somme de 1061,58 euros, outre 4000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que la remise de la facture du 30 janvier 2016 faisant ressortir la TVA. La cour d’appel de Versailles, suivant arrêt du 15 décembre 2022, a confirmé le jugement en toutes ses dispositions et a, en outre, condamné la société E Baron Guay à rembourser à la société RM Fruits, au titre du trop perçu du fait de l’indexation irrégulière du loyer du quatrième trimestre 2020 au troisième trimestre 2021 inclus, la somme de 1546,32 euros TTC et a enjoint à la société E Baron Guay d’effectuer ses calculs d’indexation sur la base de l’indice ICC publié par l’INSEE.
Les locaux loués ont été vendus à la société [Localité 5] B. Le 31 mars 2023, le loyer en principal annuel s’élevait à 291 154,60 euros.
Suivant exploit du 24 mars 2023, la société RM Fruits a demandé le renouvellement de son bail pour une durée de neuf années à compter du 1er avril 2023. Le bailleur n’a pas répondu dans le délai de trois mois.
Suivant lettre recommandée avec avis de réception du 27 juillet 2023, la société RM Fruits a notifié un mémoire initial en demandant la fixation du montant du prix du bail renouvelé au 1er avril 2023 à la valeur locative annuelle de 118 000 €, montant inférieur à celui qui résulterait de la variation des indices. Le courrier étant revenu « non réclamé », la société RM Fruits a fait procéder à la signification de son mémoire initial suivant exploit du 5 octobre 2023.
Suivant assignation du 11 mars 2024, la société par actions simplifiée RM Fruits a donné assignation à la société civile immobilière [Localité 5] B et a sollicité la fixation du montant du prix du bail renouvelé au 1er avril 2023 à la valeur locative annuelle de 118 000 €, subsidiairement, la désignation d’un expert, avec fixation du loyer provisionnel pendant la durée de l’instance à hauteur de 118 000 € annuels.
Le 31 mai 2024, la société [Localité 5] B a notifié un mémoire en réponse suivant lettre recommandée avec avis de réception, sollicitant :
–à titre principal, le débouté de la partie adverse et la fixation du prix du bail renouvelé au 1er avril 2023 à la somme annuelle de 256 600 € hors charges et hors-taxes, toutes les autres clauses, charges et conditions du bail expiré demeurant inchangées sous réserve de celles qui seraient contraires aux dispositions de la loi numéro 2014–626 du 18 juin 2014 et au décret numéro 2014–1317 du 3 novembre 2014,
–subsidiairement, désigner un expert judiciaire avec pour mission de donner son avis sur le montant de la valeur locative du bail renouvelé à effet au 1er avril 2023, outre la fixation du loyer provisionnel pour la durée de l’instance à la somme annuelle de 291154,60, sur lequel continuera de s’appliquer la clause d’indexation contractuelle,
–en tout état de cause, mettre les dépens à la charge de chaque partie par moitié et dire n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes, la société [Localité 5] B fait valoir les arguments suivants :
–le preneur ne rapporte pas la preuve de l’existence d’une baisse de la valeur locative : le rapport amiable relève justement une bonne situation de l’emplacement pour l’activité de primeurs, poissonnerie et crémerie, avec du stationnement et bénéficiant de bons accès. Néanmoins, l’expert amiable, malgré des photographies laissant apparaître un très bon état général et des prestations satisfaisantes, conclut curieusement à une impression d’ensemble « moyenne ». La destination des locaux est très large. La répartition des entretiens et réparations est d’usage. La clause d’enseigne est particulièrement favorable au preneur. La clause d’accession est d’usage et ne justifie aucun abattement.
–La zone profite d’une belle visibilité commerciale depuis deux axes routiers, avec une clientèle bénéficiant d’un important pouvoir d’achat. L’expert amiable élude totalement l’attractivité générée par le centre commercial Carrefour.
–Le rapport amiable retient une surface pondérée de 1183,50 m², sans tenir compte de la surface importante du local, de sa bonne desserte, de son linéaire de façade et de la faible concurrence. Par ailleurs, la surface réelle de la mezzanine est de 126 m² et non de 511,52 m² comme indiqué dans le rapport. La surface pondérée doit être fixée à 1174,20 m².
–La valeur locative à retenir est de 256 600 € hors taxes et hors charges par an (valeur locative de 275 937 € par an avec des correctifs à appliquer : 7 % d’abattement au titre du loyer net de charge, 5 à 7 % d’abattement au titre des travaux de mise aux normes, outre la déduction au réel du montant de la taxe foncière ainsi qu’un coefficient de majoration de 5 % pour la clause d’enseigne).
–Le preneur ne rapporte pas la preuve de difficultés financières.
Au sein de son mémoire en réplique du 3 juin 2024 notifié par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 juin 2024, la SAS RM Fruits a sollicité, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :
–le débouté de la partie adverse et, à titre principal, la fixation du prix du loyer renouvelé au 1er avril 2023 à la somme annuelle de 118 000 € hors taxes et hors charges avec paiement des intérêts au taux légal sur les trop versés à compter de l’assignation puis de chaque versement,
–à titre subsidiaire, une mesure d’expertise judiciaire, outre la fixation du montant du loyer provisionnel à hauteur de 118 000 € par an,
–en tout état de cause, la condamnation de la partie adverse à payer les dépens.
Au soutien de ses demandes, la société RM Fruits a fait valoir les arguments suivants :
–le loyer indexé s’élève à la somme de 260 969,55 euros, ce qui est très nettement supérieur à la valeur locative des locaux qui ressort, au terme de l’avis du cabinet Calomer à la somme de 118 000 €. L’expert amiable retient une surface pondérée à hauteur de 1183,50 m² et une surface réelle de 1193,52 m, outre un prix de 100 € par mètre carré pondéré, soit une valeur locative de renouvellement de 118000 € par an avant minoration (qui résulte de l’assurance immeuble, de l’impôt foncier facturé au preneur, de l’accession sans indemnité en fin de bail).
–Si le juge des loyers commerciaux ne s’estimait pas suffisamment informé, il convient de désigner un expert judiciaire et de fixer le montant du loyer provisionnel à la somme de 118 000 €, le loyer actuellement payé étant exorbitant (289 381,80 euros), représentant 231 % de la valeur locative du code de commerce et 18 % du chiffre d’affaires 2022.
–L’arrêt de la cour d’appel de Versailles sanctionne une irrégularité s’agissant du calcul de l’indice, laquelle a été régularisée depuis.
–Le loyer intègre un honoraire forfaitaire de gestion de 5 % qui est devenu impossible après l’entrée en vigueur de la loi Pinel.
Pour l'exposé complet des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à l'acte et aux mémoires susvisés.
Le dossier a été plaidé lors de l'audience devant le juge des loyers commerciaux du 4 juin 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Il résulte des pièces versées aux débats que la destination des lieux est la suivante : vente de fruits et légumes, boissons, vins et produits frais. Le loyer initial annuel s’élevait à la somme de 213 082 €, avec une indexation annuelle. Les locaux sont situés sur la commune de [Localité 5] dans le département du Val-d’Oise. Au sein du bail signé le 24 mars 2011, il est précisé que le local commercial est d’une surface de 1521 m².
La date de renouvellement
La date d'effet du bail renouvelé est le 1er avril 2023.
S'agissant du loyer et du déplafonnement
Conformément aux dispositions de l'article L 145–33 du code de commerce, le loyer du bail renouvelé doit correspondre à la valeur locative des locaux déterminée d'après les caractéristiques du local, la destination des lieux, les obligations respectives des parties et les facteurs locaux de commercialité, sous réserve des dispositions de l'article L 145–34 du même code relatives au plafonnement de ce loyer.
L'article L 145–34 énonce qu'à moins d'une modification notable des caractéristiques du local considéré, de la destination des lieux, les obligations respectives des parties ou des facteurs locaux de commercialité, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des activités tertiaires.
L'article R 145-6 du code de commerce dispose que les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présentent, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire.
Les parties s’accordent sur l’existence d’un déplafonnement, à la hausse selon le bailleur, à la baisse selon le preneur.
S’agissant de la valeur locative retenue par l’expert amiable, celle-ci est contestée par la société bailleresse. Cette dernière précise que la valeur retenue finalement par l’expert ne correspond pas du tout aux éléments de comparaison retenus. Par ailleurs, elle conteste la surface pondérée retenue.
Il convient de préciser que le juge des loyers commerciaux, pour décider d’un déplafonnement de loyer et fixer un loyer annuel en renouvellement, ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non contradictoire réalisée à la demande d’une des parties.
L’expert amiable explique la minoration du loyer au regard des éléments de comparaison retenus. Néanmoins, cette minoration est fermement contestée et n’est pas corroborée par des éléments extrinsèques. Une expertise au contradictoire de l’ensemble des parties doit donc être ordonnée.
Par ailleurs, s’agissant des surfaces retenues, il existe un écart entre la surface (réelle et pondérée) retenue par la société bailleresse et la surface (réelle et pondérée) retenue par le rapport d’expertise amiable.
Il y a donc lieu d'ordonner une expertise pour établir la valeur locative et la surface réelle et pondérée.
Les parties prendront à leur charge chacune la moitié de la consignation et ne sollicitent pas de condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans l'attente du dépôt du rapport de l'expert judiciaire, le loyer provisionnel sera fixé à la somme de 256600 euros HT HC par an, correspondant au loyer proposé par la société bailleresse, celui-ci étant inférieur au loyer indexé.
L'exécution provisoire est de droit, il n'y a pas lieu de l'écarter.
Il sera sursis à statuer sur les autres demandes, en ce compris la demande fondée sur le cours des intérêts au taux légal.
Les dépens seront réservés.
PAR CES MOTIFS
Statuant par décision contradictoire en matière de loyers commerciaux et en premier ressort,
Constate que la date d'effet du bail renouvelé est le 1er avril 2023,
Avant dire droit, ordonne une expertise et commet pour y procéder Monsieur [L] [F], [Adresse 3], téléphone : [XXXXXXXX01], en qualité d'expert avec pour mission de :
–visiter les lieux, les décrire, entendre les parties et prendre connaissance de tous les documents utiles,
–donner son avis que les caractéristiques du local considéré, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité et les prix couramment pratiqués dans le voisinage et en tirer toute information utile pour la résolution du présent litige,
–proposer, en fonction de ces éléments, une valeur locative des locaux au 1er avril 2023,
–de manière générale, donner tout élément permettant au juge de statuer sur le présent litige;
Dit que la SAS RM Fruits et la SCI [Localité 5] B devront consigner entre les mains de Monsieur le Régisseur d'avances et de recettes du tribunal judiciaire de Pontoise une provision de 2000 €, chacune par moitié, à valoir sur les frais d'expertise dans un délai de cinq semaines, à compter de la notification du présent jugement,
Dit que, faute de consignation dans ce délai impératif, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet,
Dit que l'expert devra déposer son rapport dans un délai de six mois à compter de l'avis de consignation,
Désigne le magistrat chargé du contrôle des expertises pour en suivre les opérations, statuer sur les incidents et procéder, le cas échéant, sur simple requête, au remplacement de l'expert empêché,
Fixe le montant du loyer provisionnel dû à compter du présent jugement et pendant toute la durée de l’instance à la somme de 256600 Euros,
Ordonne l'exécution provisoire de la décision,
Sursoit à statuer sur les autres demandes,
Renvoie l'affaire à l'audience de mise en état du juge des loyers commerciaux du 3 décembre 2024 à 9h30 pour retrait du rôle durant les opérations d’expertises, sauf opposition des parties,
Réserve les dépens,
Ainsi jugé et mis à la disposition des parties au greffe du tribunal judiciaire de Pontoise le 3 septembre 2024,
la greffière la présidente