03 Septembre 2024
N° Rôle : N° RG 24/00006 - N° Portalis DB3U-W-B7I-NUXR
CODE NAC : 30C
S.A.R.L. CG GRATIEN
c/
Monsieur [D] [M]
Madame [Y] [M]
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PONTOISE
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LOYERS COMMERCIAUX
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JUGEMENT
AVANT DIRE DROIT.
JUGEMENT rendu par mise à disposition au Greffe du Tribunal judiciaire de PONTOISE par Madame Aude BELLAN, Vice-Présidente, Juge des Loyers Commerciaux, assistée de Isabelle PAYET, greffière, le 03 Septembre 2024 après débats à l’audience publique du 04 Juin 2024.
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DEMANDERESSE
S.A.R.L. CG GRATIEN, dont le siège social est sis [Adresse 2]
représentée par Me Thierry LASSOUX, avocat au barreau de PARIS, et Me Mathieu LARGILLIERE, avocat au barreau de VAL D’OISE
DÉFENDEURS
Monsieur [D] [M]
demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Anne-laure WIART, avocat au barreau de VERSAILLES
Madame [Y] [M]
demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Anne-laure WIART, avocat au barreau de VERSAILLES
FAITS ET PROCEDURE
Suivant acte du 17 juillet 2003, Monsieur et Madame [M] ont consenti un acte de renouvellement de bail à la société DBS (aux droits de laquelle est venue la société CG Gratien par l’effet d’une cession de fonds de commerce intervenue le 2 juillet 2007), portant sur des locaux situés [Adresse 2] à [Localité 5].
Suivant acte du 30 septembre 2006, les parties ont porté le loyer à la somme de 14967,03 euros par an.
Suivant acte sous-seing privé du 19 décembre 2011, Monsieur [D] et Madame [Y] [M] ont consenti un renouvellement de bail commercial à la société à responsabilité limitée CG Gratien pour une durée de neuf années (ayant commencé à courir le 1er janvier 2012 pour se terminer le 31 décembre 2020), moyennant un loyer annuel de 21 000 € hors charges et hors-taxes s’agissant de locaux situés [Adresse 2].
Le preneur a fait signifier une demande de renouvellement de bail commercial, les 14 et 16 octobre 2020 à effet au 1er janvier 2021.
Suivant exploit du 10 décembre 2020, le bailleur a accepté le principe du renouvellement moyennant un loyer annuel de 26 000 € hors-taxes hors charges par an.
Suivant mémoire préalable du 12 décembre 2022 notifié aux deux bailleurs par lettre recommandée avec avis de réception distribuée le 15 décembre 2022, le preneur a sollicité la fixation du loyer du bail renouvelé le 1er janvier 2021 à la somme de 15 600 € hors taxes par an.
Par courrier recommandé avec demande d’avis de réception du 26 avril 2023, le preneur a saisi la commission départementale de conciliation en matière de baux d’immeubles ou locaux à usage commercial, industriel ou artisanal du Val-d’Oise dans le cadre de la fixation du loyer en renouvellement au 1er janvier 2021.
Lors de la séance du 30 octobre 2023, la commission départementale de conciliation a dressé un procès-verbal de non-conciliation.
Suivant assignation du 14 mars 2024, la société à responsabilité limitée CG Gratien a délivré assignation à Monsieur [D] [M] et Madame [Y] [M] et a formulé les demandes suivantes :
–juger que le loyer du bail doit être renouvelé pour une période de neuf années à compter du 1er janvier 2021 et que le renouvellement devra intégrer les dispositions d’ordre public de la loi Pinel numéro 2014–626 du 18 juin 2014, en supprimant de facto les dispositions contraires du bail d’origine,
–juger que le loyer de renouvellement doit être fixé à la valeur locative,
–fixer le loyer du bail renouvelé le 1er janvier 2021 à la somme de 15 600 € hors taxes par an,
–condamner la partie adverse aux frais irrépétibles non compris dans les dépens, laisser les dépens à la charge du bailleur et ordonner l’exécution provisoire de la décision.
Au sein de son assignation, le preneur fait valoir que le commerce est situé dans un secteur résidentiel et commerçant dans le centre-ville, face à un parking public, que la boutique est traversante développant des linéaires de façade de 6,15 m environ sur la [Adresse 2] et de 7,32 m environ sur le forum de [Localité 5], pour une surface d’environ 72 m², outre un sous-sol accessible depuis la boutique pour environ 73,40 m². Il estime la surface pondérée à 77,99 m². Il ajoute que le loyer au 1er janvier 2012 s’élevait à la somme de 21 000 € hors taxes et hors charges et au 1er janvier 2018 à 22 297,28 euros hors-taxes et hors charges, avec indexation triennale. Il évalue la valeur locative du local pour un renouvellement au 1er janvier 2021 à 15 600 €.
Dans leur mémoire en réponse du 24 mai 2024, notifié par lettre recommandée avec avis de réception distribuée le 28 mai 2024, les bailleurs ont demandé au juge des loyers commerciaux :
–à titre principal, rejeter l’ensemble des demandes formulées et fixer le loyer du bail renouvelé au 1er janvier 2021 à la somme de 26 000 € hors taxes et hors charges par an,
–à titre subsidiaire, fixer le loyer du bail renouvelé à la somme de 24 800 € hors taxes et hors charges par an par application des indices,
–à titre infiniment subsidiaire, ordonner une expertise judiciaire pour se prononcer sur l’existence d’une modification notable des facteurs locaux de commercialité et évaluer la valeur locative des locaux au 1er janvier 2021,
–en tout état de cause, condamner le preneur à leur verser la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Les bailleurs font valoir les arguments suivants :
–à titre principal, il y a lieu de fixer le loyer à la somme de 26 000 € hors taxes et hors charges par an : l’INSEE a publié un dossier complet sur la commune de [Localité 5], mettant en exergue une augmentation de la démographie, un enrichissement des foyers fiscaux, une augmentation du nombre de créations d’entreprises, engendrant indéniablement une hausse considérable de la fréquentation de la commune et une augmentation du nombre d’emplois, favorisant la présence d’une clientèle de passage mais aussi d’habitués. L’ensemble de ces éléments permet de caractériser une modification notable des facteurs locaux de commercialité et ce, d’autant plus que les locaux sont situés sur une rue très commerçante. Ainsi, le loyer doit être déplafonné à la hausse.
–À titre subsidiaire, si le juge des loyers commerciaux ne retenait pas la modification notable des facteurs locaux de commercialité, il doit fixer le montant du loyer renouvelé à la somme de 24 800 € hors taxes et hors charges par an, qui correspond au loyer indexé.
–Par ailleurs, le juge des loyers commerciaux ne peut retenir un déplafonnement à la baisse à hauteur de 15 600 € hors taxes et hors charges par an, en se fondant uniquement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande d’une des parties. Il convient donc, le cas échéant, de désigner un expert judiciaire.
Pour l'exposé complet des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à l'acte et aux mémoires susvisés.
Le dossier a été plaidé lors de l'audience devant le juge des loyers commerciaux du 4 juin 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Au sein du contrat de bail, la clause de désignation est rédigée comme suit : « lot numéro 153 : dans le bâtiment 1, escalier cinq, au rez-de-chaussée : local commercial avec réserve au premier sous-sol par trémie intérieure et les 198/100.000èmes des parties communes générales à l’ensemble immobilier ; Lot numéro 154 : dans le bâtiment 1, escalier cinq, au rez-de-chaussée : local commercial et les 90/100.000èmes des parties communes générales à l’ensemble immobilier ». La clause de destination est rédigée comme suit : « le preneur tiendra les lieux loués à usage de commerce et d’artisanat, à l’exclusion de ceux concernant la boucherie, charcuterie, la poissonnerie de la teinturerie ».
La date de renouvellement
La date d'effet du bail renouvelé est le 1er janvier 2021.
S'agissant du loyer et du déplafonnement
Conformément aux dispositions de l'article L 145–33 du code de commerce, le loyer du bail renouvelé doit correspondre à la valeur locative des locaux déterminée d'après les caractéristiques du local, la destination des lieux, les obligations respectives des parties et les facteurs locaux de commercialité, sous réserve des dispositions de l'article L 145–34 du même code relatives au plafonnement de ce loyer.
L'article L 145–34 énonce qu'à moins d'une modification notable des caractéristiques du local considéré, de la destination des lieux, les obligations respectives des parties ou des facteurs locaux de commercialité, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des activités tertiaires.
L'article R 145-6 du code de commerce dispose que les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présentent, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire.
Le preneur, s’appuyant sur l’expertise amiable, diligentée par le cabinet Colomer, fait valoir l’existence d’un déplafonnement à la baisse alors que les bailleurs arguent d’un déplafonnement à la hausse.
S’agissant de la valeur locative retenue par l’expert amiable, les bailleurs contestent les valeurs de comparaison retenues, dans la mesure où seules trois des valeurs de comparaison sont situées sur la même rue que les locaux loués alors qu’il s’agit d’une rue particulièrement commerçante de la commune de [Localité 5]. Ils ajoutent que la moyenne des valeurs, s’agissant des éléments de comparaison situés dans cette rue, est égale à 273 € par mètre carré pondéré, alors que l’expert retient une valeur de seulement 200 € par mètre carré pondéré.
Le rapport amiable du cabinet COLOMER, non contradictoire, retient une surface pondérée de 77,99 m². La commission départementale de conciliation du Val-d’Oise, dans son avis rendu le 30 octobre 2023, retient une surface pondérée différente. Par ailleurs, les bailleurs font valoir que l’expert amiable n’a pas tenu compte des zones de vitrines qui doivent se voir appliquer une pondération de 1,10 à 1,30. Ils ajoutent que l’expert amiable a appliqué à la surface de vente « zone 1 », donnant sur le forum, située près de la vitrine donnant sur le centre commercial, un coefficient de seulement 0,90 et un coefficient de 0,80 à la « zone 2 » qu’ils n’estiment pas justifiés.
Il convient de préciser que le juge des loyers commerciaux, pour décider d’un éventuel déplafonnement de loyer et fixer un loyer annuel en renouvellement, ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non contradictoire réalisée à la demande d’une des parties. Par ailleurs, l’expertise est fermement contestée par les bailleurs.
La seule estimation du loyer annuel en renouvellement résultant du rapport amiable du cabinet COLOMER ne permet pas au juge des loyers commerciaux d’établir avec certitude la valeur locative des lieux.
Il y a donc lieu d'ordonner une expertise pour établir la valeur locative et la surface pondérée.
Au vu de la demande de déplafonnement à la baisse formulée par le preneur, il est d’une bonne administration de la justice que la consignation soit versée par ce dernier.
Dans l'attente du dépôt du rapport de l'expert judiciaire, le loyer provisionnel sera fixé au montant du loyer en cours, soit 22 297,28 euros HT HC par an, correspondant au loyer actuellement versé.
L'exécution provisoire est de droit, il n'y a pas lieu de l'écarter.
Il sera sursis à statuer sur les autres demandes, en ce compris la demande formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Les dépens seront réservés.
PAR CES MOTIFS
Statuant par décision contradictoire en matière de loyers commerciaux et en premier ressort,
Constate que la date d'effet du bail renouvelé est le 1er janvier 2021,
Avant dire droit, ordonne une expertise et commet pour y procéder Monsieur [V] [S], [Adresse 3], téléphone : [XXXXXXXX01], en qualité d'expert avec pour mission de :
–visiter les lieux, les décrire, entendre les parties et prendre connaissance de tous les documents utiles,
–donner son avis sur les caractéristiques du local considéré, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité et les prix couramment pratiqués dans le voisinage et en tirer toute information utile pour la résolution du présent litige,
–donner son avis sur l’existence d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité sur le secteur concerné sur la période d'appréciation,
–préciser si cette éventuelle modification a pu avoir une incidence sur l'activité du preneur,
–préciser si l'éventuelle modification matérielle des facteurs locaux de commercialité a entraîné une variation de la valeur locative de plus de 10 %,
–proposer, en fonction de ces éléments une valeur locative des locaux au 1er janvier 2021,
–de manière générale, donner tout élément permettant au juge de statuer sur le présent litige;
Dit que la SARL CG GRATIEN devra consigner entre les mains de Monsieur le Régisseur d'avances et de recettes du tribunal judiciaire de Pontoise une provision de 2000 € à valoir sur les frais d'expertise dans un délai de cinq semaines, à compter de la notification du présent jugement,
Dit que, faute de consignation dans ce délai impératif, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet,
Dit que l'expert devra déposer son rapport dans un délai de six mois à compter de l'avis de consignation,
Désigne le magistrat chargé du contrôle des expertises pour en suivre les opérations, statuer sur les incidents et procéder, le cas échéant, sur simple requête, au remplacement de l'expert empêché,
Fixe le montant du loyer provisionnel dû à compter du présent jugement et pendant toute la durée de l'instance au loyer en cours, soit la somme de 22297,28 euros,
Ordonne l'exécution provisoire de la décision,
Sursoit à statuer sur les autres demandes,
Renvoie l'affaire à l'audience de mise en état du juge des loyers commerciaux du 3 décembre 2024 à 9h30 pour retrait du rôle durant les opérations d’expertises, sauf opposition des parties,
Réserve les dépens,
Ainsi jugé et mis à la disposition des parties au greffe du tribunal judiciaire de Pontoise le 3 septembre 2024,
la greffière la présidente