N° 06 / 2024 du 11.01.2024 Numéro CAS-2023-00025 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, onze janvier deux mille vingt-quatre.
Composition:
Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Viviane PROBST, greffier en chef de la Cour.
Entre la société à responsabilité limitée SOCIETE1.), établie et ayant son siège social à L-ADRESSE1.), représentée par le conseil de gérance, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), demanderesse en cassation, comparant par la société anonyme Arendt & Medernach, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Jan NEUGEBAUER, avocat à la Cour, et 1) l’ADMINISTRATION DE L’ENREGISTREMENT, DES DOMAINES ET DE LA TVA, représentée par le directeur, ayant ses bureaux à L-1651 Luxembourg, 1-3, avenue Guillaume, 2) l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, représenté par le Ministre d’Etat, ayant ses bureaux à L-1341 Luxembourg, 2, Place de Clairefontaine, défendeurs en cassation, comparant par la société en commandite simple BONN STEICHEN & PARTNERS, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Pol MELLINA, avocat à la Cour.
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Vu l’arrêt attaqué, numéro 178/22 - VII - CIV, rendu le 7 décembre 2022 sous le numéro CAL-2021-00700 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, septième chambre, siégeant en matière civile ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 1er mars 2023 par la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) (ci-après « la société SOCIETE1.) ») à l’ADMINISTRATION DE L’ENREGISTREMENT, DES DOMAINES ET DE LA TVA (ci-après « l’AEDT ») et à l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG (ci-après « l’ETAT »), déposé le 7 mars 2023 au greffe de la Cour supérieure de justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 2 mai 2023 par l’AEDT et l’ETAT à la société SOCIETE1.), déposé le 2 mai 2023 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions du premier avocat général Marie-Jeanne KAPPWEILER.
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, l’AEDT avait émis un bulletin de taxation d’office à l’encontre de la demanderesse en cassation. Le directeur de l’AEDT avait rejeté, après examen au fond, la réclamation introduite par une société d’avocats (liste V) contre ce bulletin. Le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, avait déclaré irrégulière cette réclamation pour violation de l’article 8, paragraphe 11, de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d’avocat, pour avoir été signée par une personne n’ayant pas la qualité d’avocat à la Cour. Il avait ensuite déclaré irrecevable, pour défaut de réclamation valable, le recours judiciaire introduit contre la décision directoriale. La Cour d’appel a confirmé ce jugement.
Sur les troisième et quatrième moyens de cassation réunis, qui sont préalables Enoncé des moyens 2 le troisième, « tiré de la violation, sinon du refus d'application, sinon de la fausse application, sinon de la fausse interprétation de l'article 76, §3, alinéas 2 et 3 de la LTVA, aux termes duquel :
introduit par une assignation devant le tribunal d'arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile.
Sous peine de forclusion, l'exploit portant assignation doit être signifié à l’administration en la personne de son directeur dans un délai de trois mois à compter de la date de notification figurant sur la décision du directeur » ;
en ce que l'arrêt attaqué a jugé que le tribunal d'arrondissement, (…) [que] le recours judiciaire [contre la Décision] est irrecevable » ;
aux motifs que la Réclamation n’était pas régulière et valable dans la mesure où ;
alors qu’en ayant déclaré irrecevable le recours judiciaire formé contre la Décision qui (le recours judiciaire) respectait pourtant parfaitement les exigences de l’article 76, §3, alinéas 2 et 3 de la LTVA, qui est d’interprétation stricte et qui n’impose que comme seules conditions relatives à un tel recours judiciaire que celui-
ci soit introduit par une assignation devant le Tribunal d'arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, signifiée à l’AEDT en la personne de son directeur dans un délai de trois mois à partir de la date de notification de la décision du Directeur de l’AEDT, ce qui en l’espèce – au regard des éléments de faits soumis à la Cour d’appel et aucunement remis en cause par la Cour d’appel – était le cas, la Cour d’appel a violé l’article 76, §3, alinéas 2 et 3 de la LTVA. » et le quatrième, « tiré de la violation, sinon du refus d'application, sinon de la fausse application, sinon de la fausse interprétation de l'article 76, §3, alinéas 1, 2 et 3 de la LTVA, aux termes duquel :
paragraphe 2 peuvent être attaqués par voie de réclamation. La réclamation, dûment motivée, doit être introduite par écrit auprès du bureau d'imposition compétent dans un délai de trois mois à compter de la date de notification du bulletin portant rectification ou taxation d'office. En cas de rejet total ou partiel de la réclamation au niveau de ce bureau, le directeur de l'administration est saisi d'office de la réclamation. Dans ce cas, le directeur réexamine l'imposition sur laquelle porte la réclamation. Sa décision se substitue à l'imposition entreprise et donne lieu, selon le cas, à l'émission d'un avis confirmatif, en partie ou en totalité, des éléments du bulletin attaqués et/ou à l'émission d'un bulletin portant rectification du bulletin attaqué. La notification de la décision est valablement faite par dépôt à la poste de l'envoi recommandé adressé soit au lieu du domicile de l'assujetti, de sa résidence 3ou de son siège, soit à l'adresse que l'assujetti a lui-même fait connaître à l'administration. La décision indique la date de notification à laquelle l'assujetti est censé l'avoir reçue.
La décision du directeur est susceptible de recours. Le recours est introduit par une assignation devant le tribunal d'arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile.
Sous peine de forclusion, l'exploit portant assignation doit être signifié à l’administration en la personne de son directeur dans un délai de trois mois à compter de la date de notification figurant sur la décision du directeur » ;
en ce que l'arrêt attaqué a jugé que le tribunal d'arrondissement, (…) [que] le recours judiciaire [contre la Décision] est irrecevable » ;
aux motifs que la Réclamation n’était pas régulière et valable dans la mesure où ;
alors qu’en ayant déclaré irrecevable le recours judiciaire formé, conformément à l’article 76, §3, alinéas 2 et 3 de la LTVA, contre la Décision, qui (la Décision) pourtant existe dans la mesure où (i) elle est autonome et par conséquent, (ii) ne pourrait pas être affectée d’une manière quelconque par une irrégularité éventuelle de la Réclamation, quod non, et (iii) prend expressément position par rapport fond afférent au Bulletin de taxation litigieux, la Cour d’appel a violé l’article 76, §3, alinéas 1, 2 et 3 de la LTVA. ».
Réponse de la Cour Vu l’article 76, paragraphe 3, alinéa 2, de la loi modifiée du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après « la LTVA ») qui dispose « La décision du directeur est susceptible de recours. Le recours est introduit par une assignation devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile. ».
Le recours prévu au profit de l’assujetti, par cette disposition légale, est ouvert à l’encontre de toute décision directoriale rendue sur réclamation. Il saisit le Tribunal de la substance de la décision directoriale. Le directeur de l’AEDT ayant statué sur le fond de la réclamation, le Tribunal n’était pas appelé à vérifier la régularité de celle-ci.
En confirmant le jugement entrepris qui a déclaré l’action principale irrecevable pour défaut de réclamation valable, les juges d’appel ont violé l’article 76, paragraphe 3, alinéa 2, de la LTVA.
Il s’ensuit que l’arrêt encourt la cassation.
4 Sur la demande de cassation sans renvoi Les défendeurs en cassation demandent à la Cour de cassation, par application de l’article 27 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, de retenir le fond de l’affaire.
L’intérêt d’une bonne administration de la justice s’oppose à ce que la Cour ait recours à la faculté prévue par cette disposition légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens de cassation, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt attaqué, numéro 178/22 - VII - CIV, rendu le 7 décembre 2022 sous le numéro CAL-2021-00700 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, septième chambre, siégeant en matière civile ;
déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont suivis, remet les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant l’arrêt cassé et pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, autrement composée ;
condamne les défendeurs en cassation aux frais et dépens de l’instance en cassation ;
ordonne qu’à la diligence du procureur général d’Etat, le présent arrêt soit transcrit sur le registre de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg et qu’une mention renvoyant à la transcription de l’arrêt soit consignée en marge de la minute de l’arrêt annulé.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence du premier avocat général Marc HARPES et du greffier en chef Viviane PROBST.
5 PARQUET GENERAL Luxembourg, le 16 octobre 2023 DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG
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Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation société à responsabilité limitée SOCIETE1.) contre Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA et Etat du Grand-Duché de Luxembourg (CAS-2023-00025) Le pourvoi en cassation, introduit par la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) (ci-après SOCIETE1.)) par un mémoire en cassation signifié le 1er mars 2023 aux parties défenderesses en cassation et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 7 mars 2023, est dirigé contre un arrêt n°178/22 rendu par la Cour d’appel, septième chambre, siégeant en matière civile, statuant contradictoirement, en date du 7 décembre 2022 (n° CAL-2021-00700 du rôle).
Cet arrêt n’a pas été signifié.
Le pourvoi en cassation a dès lors été interjeté dans les forme et délai prévus aux articles 7 et 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.
Les parties défenderesses en cassation Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA (ci-après l’AEDT) et Etat du Grand-Duché de Luxembourg (ci-après l’ETAT) ont signifié un mémoire en réponse le 2 mai 2023 et ils l’ont déposé au greffe de la Cour le même jour.
Etant donné que le dies ad quem était un jour férié (1er mai), ce délai a été prolongé de façon à englober le premier jour ouvrable qui suit, conformément à l’article 5 de la convention européenne sur la computation des délais signée à Bâle le 16 mai 1972.1 Ayant été signifié et déposé au greffe de la Cour dans le délai de deux mois à compter du jour de la signification du mémoire en cassation, conformément aux articles 15 et 16 de la loi précitée du 18 février 1885, ce mémoire est à considérer.
1 Cette convention a été approuvée au Luxembourg par une loi du 30 mai 1984 portant 1) approbation de la Convention européenne sur la computation des délais signée à Bâle, le 16 mai 1972 ; 2) modification de la législation sur la computation des délais (Mémorial A, 1984, page 923 6 Sur les faits et antécédents :
En date du 22 août 2017, l’AEDT a émis à l’encontre de SOCIETE1.) un bulletin de taxation d’office pour l’année 2011, qui exigeait le paiement d’un supplément de TVA.
Le 1er décembre 2017, le mandataire de SOCIETE1.) a présenté une réclamation contre ce bulletin (ci-après la Réclamation) sur la base de l’article 76, paragraphe 3, de la loi modifiée du 12 février 1979 concernant la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après LTVA).
Le 29 juin 2018, le Directeur de l’AEDT a pris une décision déclarant la réclamation recevable, mais non fondée (ci-après la Décision).
En date du 4 octobre 2018, SOCIETE1.) a assigné l’AEDT et l’ETAT devant le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg pour demander la réformation, sinon l’annulation, de la décision directoriale et du bulletin de taxation d’office.
Par jugement rendu contradictoirement en date du 18 mai 2021, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a déclaré le recours judiciaire de SOCIETE1.) irrecevable pour défaut de réclamation valable antérieure. La réclamation contre le bulletin de taxation d’office a été déclarée irrégulière pour violation de l’article 8, paragraphe 11, de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d’avocat2, vu que la société d’avocats Arendt & Medernach n’avait pas été représentée régulièrement par un avocat, mais par un employé fiscaliste.
Sur le premier et le deuxième moyen de cassation pris ensemble:
Les deux premiers moyens de cassation sont tirés de la violation de l’article 76, paragraphe 3, alinéa 1, de la LTVA.
La demanderesse en cassation fait grief à l’arrêt entrepris d’avoir déclaré le recours judiciaire contre la décision directoriale irrecevable au motif que la réclamation n’était pas régulière et valable dans la mesure où « la violation de l’article 8, §11 de la loi sur la profession d’avocat induit dès lors une irrégularité de fond de [la Réclamation]». En statuant ainsi, la Cour d’appel aurait pris en compte des conditions nullement prévues par l’article 76, paragraphe 3, de la LTVA afin d’apprécier la recevabilité du recours judiciaire de la demanderesse en cassation contre la Décision.
2 Le paragraphe 11 de l’article 8 de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d’avocat dispose :
« Dans tous les actes relevant de l’exercice de la profession d’avocat au Luxembourg, la personne morale devra être représentée par un avocat inscrit à un Ordre prévu par la présente loi. Pour les actes requérant le ministère d’avocat à la Cour, la personne morale doit être représentée par un avocat inscrit à la liste I du tableau. Sa signature devra être identifiée par ses nom et prénom suivis de la désignation et de la forme de la société ou association qu’il représente. » 7L’article 76, paragraphe 3, alinéa 1, de la LTVA dispose que «la réclamation, dûment motivée, doit être introduite par écrit auprès du bureau d’imposition compétent dans un délai de trois mois à compter de la date de notification du bulletin portant rectification ou taxation d’office». Cette disposition régit donc la forme de la réclamation et le délai endéans lequel elle doit être introduite. Par contre, elle ne régit pas le pouvoir de représentation au sein de la personne morale qui introduit la réclamation, et elle ne dispense pas l’auteur de la réclamation d’observer les dispositions applicables en la matière.3 «Une société ne peut faire aucun acte juridique autrement que par ses représentants légaux »4. « Le défaut de pouvoir de l’organe représentant la personne morale affecte la recevabilité de l’action, la condition de qualité, entendue comme condition d’exercice du droit d’action, n’étant pas réunie».5 Pour la Cour de cassation française, l’absence de pouvoir de représentation constitue tantôt une fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité d’une partie6, tantôt une nullité pour vice de fond qui affecte la validité de l’acte.7 La sanction consiste toujours dans l’irrecevabilité de la demande sans examen du fond.8 En constatant l’absence de qualité de pouvoir représenter la société d’avocats dans le chef de l’auteur de la Réclamation, l’arrêt attaqué a pu conclure que celle-ci était affectée d’une irrégularité de fond et ne constituait pas une « Réclamation » préalable et valable sans violer la disposition visée aux moyens.
Le premier et le deuxième moyen ne sont pas fondés.
Sur le troisième, quatrième et cinquième moyen de cassation pris ensemble:
Ces moyens de cassation sont tirés de la violation de l’article 76, paragraphe 3, alinéas 2 et 3, de la LTVA (3e moyen), respectivement de l’article 76, paragraphe 3, alinéas 1, 2 et 3, de la LTVA (4e et 5e moyen).
3 cf. L’application faite, en matière de fiscalité directe, des dispositions de la loi du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales: « une personne morale ne peut exercer ses droits que par l’intermédiaire de ses représentants légaux » (CA 11 janvier 2022, n°5/22 IV-COM) 4 Frédéricq, Droit commercial belge, tome IV, pages 159-160 5 A. Decroes: La représentation en justice des personnes morales, in Les actions collectives devant les différentes juridictions, Liège, Formation permanente CUP, 2001, page 157 6 Cass. Cass., 3e civ., 7 juin 2001, n° 99-70.176, inédit; Cass. 1re civ., 12 mai 2021, n°20-
13.307 : JurisData n° 2021-007135 7 Cass. 2e civ., 10 juin 2021, n°20-15.410, inédit : JurisData n°2021-009144 ; Cass. 2e civ., 17 septembre 2020, n° 19-18.608, publié au bulletin 8 Réflexions sur la relation entre les notions de fin de non-recevoir et d’irrecevabilité, Etude par Léonor Jandard, La semaine juridique Edition Générale n°27, 10 juillet 2023, doctr.850 :
« constitue une fin de non-recevoir la défense procédurale qui entraîne le rejet d’un acte sans examen de son contenu » (n°8, 3e paragraphe)) ; « elle est un moyen destiné à contester le défaut du droit, pour l’auteur d’un acte processuel, de le présenter. » (n°7, 4e paragraphe)) 8La demanderesse en cassation reproche à l’arrêt dont pourvoi d’avoir déclaré le recours judiciaire contre la Décision irrecevable au motif que la Réclamation n’était pas régulière et valable dans la mesure où «la violation de l’article 8, §11 de la loi sur la profession d’avocat induit dès lors une irrégularité de fond de [la Réclamation]». En statuant ainsi, la Cour d’appel aurait pris en compte des conditions nullement prévues par l’article 76, paragraphe 3, de la LTVA afin d’apprécier la recevabilité du recours judiciaire de la demanderesse en cassation contre la Décision. L’irrégularité constatée n’aurait aucune incidence sur la décision du directeur de l’AEDT, qui aurait une existence propre. Etant donné que la Décision a pris position sur le fond, les débats devant les juridictions judiciaires auraient également dû porter sur le fond de l’affaire.
Tel qu’exposé dans le cadre du premier et du deuxième moyen, les juges du fond ont correctement analysé l’absence de qualité d’avocat dans le chef de l’auteur de la Réclamation, et partant sa faculté, en l’absence de pouvoir, de représenter la société d’avocats. Ils ont correctement conclu que la Réclamation était affectée d’une irrégularité de fond et ne constituait pas une « Réclamation » préalable et valable.
L’arrêt entrepris a tiré les conséquences de l’irrégularité de fond dûment constatée :
« La Cour considère dès lors comme le tribunal d’arrondissement, qu’à défaut de « réclamation » préalable et valable dirigée contre la décision du directeur de l’AEDT, le recours judiciaire est irrecevable ».
En statuant ainsi, les juges du fond ont tiré les conséquences légales correctes de l’irrégularité constatée et ont appliqué correctement l’article 76, paragraphe 3, de la LTVA, aux termes duquel un bulletin portant taxation d’office doit être attaqué par voie de réclamation.
Le troisième, quatrième et cinquième moyen ne sont pas fondés.
Sur le sixième moyen de cassation :
Le sixième moyen est tiré de la violation de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
La procédure engagée par la demanderesse en cassation ne présente aucun lien avec la mise en œuvre par le Luxembourg du droit de l’Union européenne9.
Le grief tiré de l’article 47 de la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne proclamée à Nice en date du 7 décembre 2000 est dès lors étranger au litige10.
9 Article 51, paragraphe 1er, 1re phrase, de la Charte : « Les dispositions de la présente Charte s’adressent aux institutions et organes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux Etats membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. » 10 Cass. n° 20 / 13 du 21.3.2013, n° 3127 du registre ; Cass. n° 5 / 2012 pénal du 12.1.2012, not. 3267/08/XD, n° 3001 du registre ; Cass. n° 7 / 2013 pénal du 31.1.2013, not.
1543/11/XD, n° 3108 du registre.
9 Le moyen est inopérant.
Sur le septième moyen de cassation :
Le septième moyen est tiré de la violation de l’article 6, paragraphe 1er, de la Convention européenne des droits de l’Homme (ci-après la Convention).
La demanderesse en cassation fait grief à l’arrêt entrepris de l’avoir privée d’un droit à un procès équitable en confirmant le jugement entrepris et en déclarant sa demande irrecevable au motif que la Réclamation était nulle dans son intégralité pour violation de l’article 8, paragraphe 11, de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d’avocat.
De jurisprudence constante, sont exclus du volet civil de l’article 6, le contentieux des taxations fiscales11 et des douanes. « En dépit des effets patrimoniaux […] quant à la situation des contribuables », la Cour européenne des droits de l’Homme relève que « la matière fiscale ressortit au noyau dur des prérogatives de puissance publique, le caractère public du rapport entre le contribuable et la collectivité restant prédominant»12. Pour les mêmes motifs, échappe à l’article 6 la procédure d’exécution d’une décision de justice ordonnant la restitution d’une imposition privée de base légale13.
S’il est vrai que dans certaines conditions, la Cour européenne accepte d’appliquer le volet pénal de l’article 6 à des pénalités fiscales, force est de constater que dans la présente affaire aucune majoration d’impôts et aucune amende susceptible d’être qualifiée de sanction pénale n’a été imposée à la demanderesse en cassation.
L’article 6 de la Convention étant inapplicable, le moyen est basé sur une disposition étrangère au litige et doit être déclaré irrecevable Subsidiairement :
Dans un arrêt Ashingdane c. Royaume-Uni14, la Cour européenne des droits de l’Homme rappelle que le droit d’accès aux tribunaux peut donner lieu à des limitations implicitement admises car il « appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, réglementation qui peut varier dans le temps et dans l’espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus. En élaborant pareille réglementation, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation. S’il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention, elle n’a pas qualité pour substituer à l’appréciation des autorités nationales une autre appréciation de ce que pourrait être la meilleure politique en la matière. » 11 Arrêt Schouten et Meldrum c. Pays-Bas 9 décembre 1994 12 Arrêt GCH Ferrazzini c. Italie 12 juillet 2001 13 Arrêt Beires Côrte-Real c. Portugal 11 octobre 2011 14 Arrêt Ashingdane c. Roiyaume-Uni du 28 mai 1985, n° 8225/78 10Dans un arrêt Fogarty c. Royaume-Uni15, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme a décidé :
« Le droit d’accès aux tribunaux n’est toutefois pas absolu : il se prête à des limitations implicitement admises car il commande de par sa nature même une réglementation par l’Etat. Les Etats contractants jouissent en la matière d’une certaine marge d’appréciation.
Il appartient pourtant à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention ; elle doit se convaincre que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l’accès offert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, pareilles limitations ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. » La profession d’avocat est une profession réglementée que l’on ne peut exercer que si l’on détient le diplôme correspondant à l’exercice de cette profession. L’article 8, paragraphe 11, de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d’avocat dispose que «dans tous les actes relevant de l’exercice de la profession d’avocat au Luxembourg, la personne morale devra être représentée par un avocat inscrit à un Ordre prévu par la présente loi », et il s’ensuit que les actes rentrant dans l’activité de la société ne peuvent être accomplis que par l’intermédiaire de leurs membres ayant qualité pour exercer la profession.
Le but poursuivi est légitime dans la mesure où cette réglementation de la profession garantit que les membres de la profession d’avocat disposent du diplôme requis et tend ainsi à assurer la qualité des prestations fournies.
En exigeant que «dans tous les actes relevant de l’exercice de la profession d’avocat au Luxembourg, la personne morale devra être représentée par un avocat inscrit à un Ordre prévu par la présente loi », la disposition visée tend à empêcher qu’une personne qui n’est pas avocat et qui, le cas échéant, ne remplit pas les conditions pour exercer cette profession, puisse néanmoins l’exercer à travers une société d’avocats.1617 Cette exigence est nécessaire pour éviter que les conditions requises pour exercer comme avocat ne puissent être contournées au travers une société d’avocats, et il existe partant un rapport raisonnable de proportionnalité entre cette exigence et le but poursuivi.
Le droit à un procès équitable n’a pas non plus été atteint dans sa substance dans la mesure où la demanderesse en cassation avait la possibilité de faire introduire une réclamation contre le bulletin de taxation d’office, le cas échéant, par une société d’avocats, à condition que celle-
ci soit valablement représentée.
15 Arrêt GCH Fogarty c. Royaume-Uni du 21 novembre 2001, n°37112/97 16 L’article 34-3, point 1, de la loi du 10 août 1991 sur la profession d’avocat dispose que «les personnes morales de droit luxembourgeois ou de droit étranger admises au tableau d’un Ordre ont pour seule activité l’exercice de la profession d’avocat». L’introduction de la Réclamation pour compte de son client relevait partant nécessairement de l’exercice de la profession d’avocat 17 L’usage non autorisé des titres rattachés à la profession et l’exercice illégal de la profession d’avocat sont même sanctionnés pénalement (article 41 de la loi sur la profession d’avocat) 11Le moyen n’est pas fondé.
Sur le huitième moyen de cassation :
Le huitième moyen est tiré de la violation de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
L’article 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit à toute personne l’existence d’un recours interne permettant de s’y prévaloir de la violation d’un droit tiré de la Convention. La disposition visée au moyen exige un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié.
« Le droit à un recours effectif consacré dans l’article 13 constitue un droit complémentaire, secondaire et accessoire en ce qu’il ne peut être invoqué qu’à l’appui d’un autre droit garanti par la Convention.»18 « La Cour accepta de constater une violation de l’article 13 lorsque celui-ci fut invoqué en combinaison avec un autre article, qu’il y ait eu violation ou non de cet article (Chahal c.
Royaume-Uni 15 novembre 1996, § 147-155 : combinaison avec l’article 3 ; Camezind c.
Suisse, 16 décembre 1997, § 57, RTDH, 1997, 639, obs. G. Malinverni : combinaison avec l’article 8). »19 Aucun grief défendable fondé sur la Convention n’est invoqué. La demanderesse en cassation se contente de reprocher à la Cour d’appel d’avoir déclaré ses demandes irrecevables sur la base d’un raisonnement erroné.
Le grief fait à l’arrêt entrepris est étranger à la disposition invoquée.
Il s’ensuit que le moyen est irrecevable.
Conclusion Le pourvoi est recevable, mais non fondé.
Pour le Procureur Général d’Etat, Le premier avocat général Marie-Jeanne Kappweiler 18 Frédéric Sudre, Les grands arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme, Thémis Droit PUF, 10e édition, page 496 19 ibidem 12 13