N° 08 / 2024 du 11.01.2024 Numéro CAS-2023-00032 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, onze janvier deux mille vingt-quatre.
Composition:
Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Caroline ENGEL, conseiller à la Cour d’appel, Viviane PROBST, greffier en chef de la Cour.
Entre 1) PERSONNE1.), demeurant à ADRESSE1.) (Etats-Unis d’Amérique), 2) la société de droit américain de l’Etat du Delaware SOCIETE1.) LLC, établie et ayant son siège social à ADRESSE1.) (Etats-Unis d’Amérique), représentée par le dirigeant unique PERSONNE1.), inscrite au registre de commerce et des sociétés de Floride sous le numéro NUMERO1.), demandeurs en cassation, comparant par la société en commandite simple BONN STEICHEN & PARTNERS, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître Fabio TREVISAN, avocat à la Cour, et 1) PERSONNE2.), demeurant à F-ADRESSE2.), 2) PERSONNE3.), demeurant à F-ADRESSE2.), 3) PERSONNE4.), demeurant à F-ADRESSE3.), 4) la société anonyme SOCIETE2.), en liquidation volontaire, établie et ayant son siège social à L-ADRESSE4.), représentée par les co-liquidateurs, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO2.), 5) la société anonyme SOCIETE3.), établie et ayant son siège social à L-
ADRESSE4.), représentée par le conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO3.), défendeurs en cassation, comparant par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, 6) PERSONNE5.), demeurant à F-ADRESSE5.), défendeur en cassation, comparant par Maître Florence HOLZ, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu.
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Vu l’arrêt attaqué, numéro 194/22 IV - COM, rendu le 6 décembre 2022 sous le numéro CAL-2022-00058 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, quatrième chambre, siégeant en matière commerciale ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 6 février 2023 par PERSONNE1.) et la société de droit américain de l’Etat du Delaware SOCIETE1.) LLC à PERSONNE2.), à PERSONNE3.), à PERSONNE4.), à la société anonyme SOCIETE2.), en liquidation volontaire (ci-après « la société SOCIETE2.) »), à la société anonyme SOCIETE3.) (ci-après « la société SOCIETE3.) ») et à PERSONNE5.), déposé le 16 mars 2023 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 5 avril 2023 par PERSONNE2.), PERSONNE3.), PERSONNE4.), la société SOCIETE2.) et la société SOCIETE3.) à PERSONNE1.), à la société SOCIETE1.) LLC et à PERSONNE5.), déposé le 6 avril 2023 au greffe de la Cour ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 26 avril 2023 par PERSONNE5.) à PERSONNE1.), à la société SOCIETE1.) LLC, à PERSONNE2.), à PERSONNE3.), à PERSONNE4.), à la société SOCIETE2.) et à la société SOCIETE3.), déposé le 3 mai 2023 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions de l’avocat général PERSONNE6.).
Sur la recevabilité Les défendeurs en cassation soulèvent l’irrecevabilité du pourvoi en cassation pour défaut de qualité à agir de la demanderesse en cassation sub 2) au motif que celle-ci ne serait pas la société ayant comparu devant les juges du fond.
Il résulte des pièces de procédure auxquelles la Cour peut avoir égard que la société SOCIETE1.) LLC, (…) inscrite au registre de commerce et des sociétés du Delaware sous le numéro NUMERO4.) » était partie demanderesse en première instance et que l’appel a été interjeté par cette même société.
Au cours de la procédure en appel, les conclusions des parties appelantes indiquent comme appelante la « société de droit américain de l’Etat du Delaware SOCIETE1.) LLC, (…) inscrite au registre de commerce et des sociétés de Floride sous le numéro NUMERO1.) ».
L’arrêt attaqué renseigne comme partie appelante la « société de droit américain de l’Etat du Delaware SOCIETE1.) LLC, (…) inscrite au registre de commerce et des sociétés de Floride sous le numéro NUMERO1.) ». Ces mêmes qualités figurent dans le pourvoi en cassation.
Il ne résulte pas des pièces de procédure auxquelles la Cour peut avoir égard que la société de droit américain de l’Etat du Delaware SOCIETE1.) LLC, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Floride sous le numéro NUMERO1.), ait repris l’instance d’appel originairement introduite par la société SOCIETE1.) LLC, inscrite au registre de commerce et des sociétés du Delaware sous le numéroNUMERO4.), ou s’y soit autrement substituée. Cette société n’a ainsi pas été partie à l’instance d’appel.
Il s’ensuit que le pourvoi formé par cette dernière est irrecevable.
Les défendeurs en cassation soulèvent, en outre, l’irrecevabilité du pourvoi en cassation au motif que les moyens seraient inopérants.
L’inopérance des moyens affecte la recevabilité des moyens. L’irrecevabilité des moyens n’entraîne pas l’irrecevabilité du pourvoi.
Le pourvoi formé par PERSONNE1.), introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière commerciale, avait déclaré l’acte introductif d’instance introduit par PERSONNE1.) et la société SOCIETE1.) LLC, inscrite au registre de commerce et des sociétés du Delaware sous le numéroNUMERO4.), nul pour libellé obscur. La Cour d’appel a déclaré leur appel irrecevable pour avoir été interjeté plus de 75 jours après l’accomplissement au Luxembourg des formalités de signification du jugement entrepris.
Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon de la fausse appréciation, sinon de la fausse interprétation, de l’article 571 alinéa 1er du Nouveau Code de procédure civile En ce que l’arrêt attaqué a déclaré irrecevable l’appel interjeté par les Parties Demanderesses en cassation dans la mesure où la Cour d’appel a considéré comme hors délai, sur base des articles 155, 156 et 571 du Nouveau Code de procédure civile, l’acte d’appel du 6 décembre 2021 signifié par les Parties Demanderesses en cassation ;
Aux motifs que la Cour d’appel a considéré que :
Si, comme le relèvent les parties appelantes, cet article est inscrit dans le Titre ler "des assignations", il est cependant admis que la procédure de signification régie par les articles 155 à 157 du Nouveau Code de procédure civile constitue la procédure de droit commun qui s'applique pour la transmission d'un acte en l'absence de disposition spéciale ou dérogatoire. En effet, pour les actes judiciaires et extrajudiciaires, autres que les actes introductifs d'instance, aucune disposition légale ne régit leur transmission, si ce n'est que les textes emploient les termes de "signification" ou de notification. (cf. T. Hoscheit, La transmission des actes vers l'étranger, J.T. L, 2013/4 n°28, p.89-98, n°2) L'article 571 du Nouveau Code de procédure civile en prévoyant que le délai d'appel court à partir de la signification à personne ou à domicile ne constitue pas un texte comportant une disposition spéciale ou dérogatoire, mais un renvoi aux dispositions prévues par les articles 155 et suivants du Nouveau Code de procédure civile » (Pièce n°4, arrêt de la Cour d’appel du 6 décembre 2022, pages 4 et 5).
Elle en a déduit que :
Il s’ensuit que les articles 155 et suivants du Nouveau Code de procédure civile sont applicables pour apprécier la régularité de la signification du jugement et partant le point de départ du délai d'appel. » (Pièce n°4, arrêt de la Cour d’appel du 6 décembre 2022, page 5).
Alors que :
La Cour d’appel, en statuant ainsi, a interprété de façon erronée l’article 571 du NCPC en considérant que cet article opère de facto un renvoi aux articles 155 et suivant du NCPC, et ce alors qu’aucune mention expresse n’y est faite renvoyant auxdits articles, et que l’article 571 dispose, pour sa part, que le délai d’appel courra à compter du jour de la signification à personne ou domicile ;
partant, la Cour d’appel a ainsi violé les dispositions de l’article 571 du NCPC par refus d’application de la loi, ou sinon en a fait une fausse appréciation ou sinon une fausse interprétation. ».
Réponse de la Cour L’article 571 du Nouveau Code de procédure civile dispose « Le délai pour interjeter appel sera de quarante jours: il courra, pour les jugements contradictoires, du jour de la signification à personne ou domicile. (….) ».
Aux termes de l’article 162 du Nouveau Code de procédure civile « Les dispositions des articles 155 à 161 sont applicables dans tous les cas de signification ».
Il en résulte que les dispositions de l’article 156 du Nouveau Code de procédure civile sont applicables à la signification d’un jugement à l’étranger.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon de la fausse appréciation, sinon de la fausse interprétation, de l’article 89 de la Constitution et de l’article 249 du Nouveau Code de procédure civile En ce que l’arrêt attaqué a déclaré irrecevable l’appel interjeté par les Parties Demanderesses en cassation dans la mesure où la Cour d’appel a considéré comme hors délai, sur base des articles 155, 156 et 571 du Nouveau Code de procédure civile, l’acte d’appel du 6 décembre 2021 signifié par les Parties Demanderesses en cassation ;
Aux motifs que la Cour d’appel a considéré que :
En ce qui concerne les significations à l'étranger, l'article 156 (2) du Nouveau Code de procédure civile prévoit que "la signification est réputée faite le jour de la remise de la copie de l'acte à l'autorité compétente pour l'expédier ou le jour de la remise à la poste, ou, en général, le jour où toute autre procédure autorisée de signification à l'étranger a été engagée".
En vertu de ce texte, qui est clair, il n'y a pas lieu de prendre égard à la date de remise de l'acte à l'intéressé » (Pièce n°3, arrêt de la Cour d’appel du 6 décembre 2022, page 6).
Elle en a déduit que :
Pour apprécier la validité et les effets de l'acte de signification, il est, dans l'intérêt du signifiant, tenu exclusivement compte des formalités accomplies dans le Grand-Duché. Il importe peu que le destinataire de l'acte n'en ait eu réellement connaissance que bien plus tard ou même qu'il n'en ait pas eu connaissance, les risques d'un défaut ou d'un retard de transmission pèsent exclusivement sur le destinataire de l'acte et non sur l'auteur de la signification de l'acte (Cour d'appel, 20 mai 2009, n°33238 du rôle ; Cour d'appel, 28 juin 2017, n°44698 du rôle ; Cour d'appel, 16 janvier 2019, n°44467 du rôle) » (Pièce n°3, arrêt de la Cour d’appel du 6 décembre 2022, page 6).
Alors que :
La Cour d’appel, en statuant ainsi, a effectué un défaut de réponse à conclusions, qui est une forme du défaut de motif, constituant un vice de forme, dès lors qu’elle n’a pas répondu aux développements avancés par les Parties Demanderesses relatifs à l’arrêt opérant un revirement de jurisprudence rendu par la Cour d’appel en date du 28 mars 2019, et qu’elle a ensuite fondé sa décision sur des arrêts antérieurs à cette jurisprudence sans expliquer pourquoi le revirement jurisprudentiel n’était pas applicable au cas d’espèce ;
partant, l’arrêt attaqué a ainsi violé l’article 89 de la Constitution et l’article 249 du NCPC. ».
Réponse de la Cour En retenant « Les formes de transmission entre le Luxembourg et les Etats-Unis sont déterminées dans la Convention de La Haye du 15 novembre 1965, en vigueur entre ces deux pays.
En l’occurrence, l’huissier de justice a, en date du 18 août 2021, envoyé une copie de son exploit de signification et de ses annexes, avec leur traduction en langue anglaise, par courrier recommandé avec avis de réception, à la société SOCIETE4.), agissant comme autorité centrale pour les Etats-Unis, et, pour autant que de besoin, a envoyé une copie de son exploit de signification et de ses annexes, avec leur traduction en langue anglaise, par courrier recommandé avec avis de réception à chacun des appelants.
Il s’ensuit que l’huissier de justice a respecté les formalités prévues par l’article 156 du Nouveau Code de procédure civile et par la Convention de La Haye du 15 novembre 1965.
La Convention de La Haye de 1965 ne contient aucune disposition sur le point de départ des effets de la signification ou de la notification (E.D. Répertoire International, Verbo: Notification et Signification des actes, édition février 2002, numéro 75).
Ladite Convention ne vise que les modes de transmission et de remise des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale sans porter atteinte à la règle qui soumet la forme de la signification proprement dite à l’empire exclusif de la loi du for (Cour d’Appel 6 décembre 1989, P. 27, 357; Cour d’Appel 16 mars 1993 et 7 décembre 1993, P. 29, 93 et 308; Cour d’Appel 29 mai 2009, 4ème chambre n° 33238 du rôle ; Cour d’Appel 12 décembre 2012, 4ème chambre n° 36618 du rôle).
En ce qui concerne les significations à l’étranger, l’article 156 (2) du Nouveau Code de procédure civile prévoit que .
En vertu de ce texte, qui est clair, il n’y a pas lieu de prendre égard à la date de remise de l’acte à l’intéressé.
Ni l’accomplissement effectif des procédures de transmission réglées par les conventions internationales ni la remise effective de l’acte au destinataire selon les modalités appliquées par l’autorité requise selon son droit interne n’ont donc en droit luxembourgeois une incidence sur la question de l’existence et de la régularité de la signification/notification. Celle-ci produit ses effets au jour de l’accomplissement des procédures prévues par la loi luxembourgeoise, sans égard à la question de savoir si l’acte est parvenu à destination, respectivement si l’autorité requise a correctement mis en œuvre ses procédures nationales de signification/notification (cf. T. Hoscheit, La transmission des actes vers l’étranger, J.T. L, 2013/4 n°28, p.89-98, n°23).
Pour apprécier la validité et les effets de l’acte de signification, il est, dans l’intérêt du signifiant, tenu exclusivement compte des formalités accomplies dans le Grand-Duché. Il importe peu que le destinataire de l’acte n’en ait eu réellement connaissance que bien plus tard ou même qu’il n’en ait pas eu connaissance, les risques d’un défaut ou d’un retard de transmission pèsent exclusivement sur le destinataire de l’acte et non sur l’auteur de la signification de l’acte (Cour d’Appel, 20 mai 2009, n° 33238 du rôle ; Cour d’appel, 28 juin 2017, n° 44698 du rôle ; Cour d’appel, 16 janvier 2019, n°44467 du rôle) », les juges d’appel, qui n’étaient pas tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, ont motivé leur décision sur le point considéré.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon de la fausse appréciation, sinon de la fausse interprétation, de l’article 6 alinéa 1er de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) En ce que l’arrêt attaqué a déclaré irrecevable l’appel interjeté par les Parties Demanderesses en cassation dans la mesure où la Cour d’appel a considéré comme hors délai, sur base des articles 155, 156 et 571 du Nouveau Code de procédure civile, l’acte d’appel du 6 décembre 2021 signifié par les Parties Demanderesses en cassation ;
Aux motifs que la Cour d’appel a considéré que :
S'il est vrai que les risques d'un défaut ou d'un retard de transmission pèsent sur le destinataire non-résident et non sur son auteur, il n'en reste pas moins que les droits de défense de la partie signifiée ne se trouvent pas pour autant sacrifiés alors que le destinataire peut encore échapper aux conséquences fâcheuses que peut entraîner pour lui l'application de cette règle de droit interne luxembourgeois en demandant à être relevé de la déchéance résultant de l'expiration d'un délai imparti pour agir en justice » (Pièce n° 3, arrêt de la Cour d’appel du 6 décembre 2022, page 6).
Alors que :
La Cour d’appel, en statuant ainsi, a violé les dispositions de l’article 6 de la CEDH, englobant le droit à un accès concret et effectif à un tribunal, en retenant que les droits des Parties Demanderesses en cassation n’avaient pas été lésés par l’amputation du délai d’appel, dès lors qu’elles auraient pu utiliser le mécanisme du relevé de déchéance pour pallier à une éventuelle expiration du délai imparti ;
et, partant, la Cour d’appel ainsi violé les dispositions de l’article 6 de la CEDH, ou sinon en a fait une fausse appréciation, ou sinon en a fait une fausse interprétation. ».
Réponse de la Cour Le droit d’accès au juge, garanti par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, n’est pas absolu.
Les Etats peuvent édicter des prescriptions destinées à réglementer les recours qu’ils organisent et à en fixer les conditions d’exercice.
Il ressort des éléments du dossier que le demandeur en cassation, qui était demandeur en première instance et y a comparu par un avocat auquel le jugement a été signifié le 19 août 2021, a eu connaissance le 21 septembre 2021 de la signification du jugement du 18 août 2021.
Le demandeur en cassation n’établit pas que la fixation du point de départ du délai d’appel au jour de l’accomplissement au Luxembourg des formalités de la signification de la décision judiciaire ait restreint de manière disproportionnée son droit à relever appel.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure Le demandeur en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.
Il serait inéquitable de laisser à charge des défendeurs en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient d’allouer aux défendeurs sub 1) à sub 5) une indemnité de procédure de 5.000 euros et au défendeur sub 6) une indemnité de procédure de 1.000 euros.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation déclare irrecevable le pourvoi formé par la demanderesse en cassation sub 2) ;
reçoit le pourvoi formé par le demandeur en cassation sub 1) ;
le rejette ;
rejette la demande du demandeur en cassation sub 1) en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne les demandeurs en cassation à payer aux défendeurs en cassation sub 1) à sub 5) une indemnité de procédure de 5.000 euros ;
condamne les demandeurs en cassation à payer au défendeur en cassation sub 6) une indemnité de procédure de 1.000 euros ;
condamne les demandeurs en cassation aux frais et dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître François MOYSE et de Maître Florence HOLZ, sur leurs affirmations de droit.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence du premier avocat général Marc HARPES et du greffier en chef Viviane PROBST.
PARQUET GENERAL Luxembourg, le 17 novembre 2023 DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG
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Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) et la société de droit américain de l’Etat du Delaware SOCIETE1.) LLC c/ 1) PERSONNE2.) 2) PERSONNE3.) 3) PERSONNE4.) 4) la société anonyme SOCIETE2.) 5) la société anonyme SOCIETE3.) 6) PERSONNE5.) (affaire n° CAS-2023-00032 du registre) Le pourvoi des parties demanderesses en cassation, par dépôt au greffe de la Cour en date du 16 mars 2023 d’un mémoire en cassation, signifié le 6 février 2023 aux parties défenderesses en cassation sub 1) à 5) en leur domicile élu1 et le 8 mars 2023 au défendeur en cassation sub 6), est dirigé contre un arrêt n° 194/22 - IV - COM rendu contradictoirement en date du 6 décembre 2022 par la Cour d’appel, quatrième chambre, siégeant en matière commerciale, dans la cause inscrite sous le numéro CAL-2022-
00058 du rôle.
Il ne résulte pas de pièces auxquelles votre Cour peut avoir égard que l’arrêt attaqué ait été signifié aux parties demanderesses en cassation, de sorte que le délai du pourvoi de deux mois, prévu par l’article 7, alinéa 1, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, augmenté des délais de distance prévus par 1 Le mandataire des parties défenderesses en cassation sub 1) à sub 5) a donné son accord pour recevoir signification du mémoire en cassation à son étude par échange de courriels des 19 et 20 janvier 2013.
l’article 167 du Nouveau Code de procédure civile, n’a pas commencé à courir et n’a partant pas pu être méconnu.
Sur la recevabilité du pourvoi qui est contestée :
Les parties défenderesses en cassation soulèvent l’irrecevabilité du pourvoi en cassation introduit par la demanderesse en cassation sub 2) motif pris que celle-ci ne constituerait pas la société ayant comparu devant les juges du fond. En effet, la demanderesse en cassation sub 2) serait une société inscrite au Registre de commerce et des sociétés de Floride sous le numéro NUMERO5.) tandis que la société de même dénomination ayant comparu dans les instances du fond était inscrite au Registre de commerce et des sociétés du Delaware sous le numéro NUMERO4.). La demanderesse en cassation sub 2) n’aurait partant pas qualité à agir.
Le défendeur en cassation sub 6) expose en détail en quoi les deux sociétés SOCIETE1.) LLC et SOCIETE1.) LLC constitueraient des entités juridiques différentes. En particulier, il fait valoir que la société ayant introduit l’instance par assignation du 28 mars 2018, à savoir la société SOCIETE1.) LLC enregistrée au Registre de commerce de l’Etat du Delaware sous le numéro NUMERO4.), aurait été constituée le 28 mai 2009 et aurait été rayée le 6 janvier 2021.
Il résulte des pièces versées que l’assignation introductive d’instance a été lancée le 28 mars 2018 par la société SOCIETE1.) LLC, établie et ayant son siège social à ADRESSE6.), inscrite au registre de commerce et des sociétés du Delaware sous le numéro NUMERO4.), représentée par son administrateur, Monsieur PERSONNE1.) ».
Le jugement du 4 décembre 2020 a été rendu contre cette même société.
Appel contre ce jugement a été interjeté le 6 décembre 2021 par la « société de droit américain de l’Etat du Delaware SOCIETE1.) LLC, une limited liability company soumis au droit de l’Etat du Delaware, inscrite au registre du commerce et des sociétés du Delaware sous le numéro NUMERO4.), établie et ayant son siège social à ADRESSE7.) ».
Au cours de la procédure en appel, les conclusions des parties appelantes renseignent l’entité suivante comme appelante : « société de droit américain de l’Etat du Delaware SOCIETE1.) LLC, une limited liability company soumis au droit de l’Etat de Floride, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Floride sous le numéro NUMERO1.), établie et ayant son siège social à ADRESSE8.) »2.
L’arrêt du 6 décembre 2022 renseigne comme partie la « société de droit américain de l’Etat du Delaware SOCIETE1.) LLC, établie et ayant son siège social à ADRESSE8.), représentée par son dirigeant unique PERSONNE1.), inscrite au registre de commerce et des sociétés de Floride sous le numéro NUMERO1.) ».
22 Voir conclusions n°2 du 2 août 2022, pièce n° 5 des parties demanderesses en cassation.
Le pourvoi en cassation a été formé par cette même entité.
Il découle de ces pièces que la « substitution » d’une nouvelle entité à celle ayant été partie appelante initiale (par le renseignement d’un autre numéro de registre de commerce et d’un registre de commerce d’un autre Etat des Etats-Unis d’Amérique) s’est effectuée, sans autre précision, en cours d’instruction de l’affaire en appel sans que cela ne donne lieu à des observations. Cette substitution et la confusion qui en découle auraient partant pu et dû être soulevées en appel. Or, comme le souligne la partie défenderesse en cassation sub 6), cette erreur n’a pas été relevée par les parties intimées en appel3.
Il en suit que les défendeurs en cassation sont actuellement irrecevables à soulever le moyen pour la première fois devant votre Cour4.
A titre subsidiaire et au vu du fait que la confusion a même régné au niveau des magistrats d’appel, il convient de faire les remarques suivantes.
L’entité inscrite au Registre de commerce et de sociétés de Floride sous le numéro NUMERO1.) et ayant son siège social à ADRESSE1.) a une existence juridique et est dénommée SOCIETE1.) LLC (et non pas SOCIETE1.) LLC).
Aucune précision n’est donnée par les parties demanderesses en cassation quant aux raisons de la substitution de l’entité juridique, partie à l’instance d’appel. Elles n’ont pas déposé de mémoire additionnel en application de l’article 17 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.
Les parties défenderesses en cassation n’ont pas non plus formé un pourvoi incident contre l’arrêt qui a été rendu contre une entité autre que celle ayant relevé appel.
Partant du constat que le pourvoi en cassation a été formé par l’entité juridique contre laquelle l’arrêt attaqué a été rendu, il faut en conclure que cette entité a intérêt et qualité à agir en cassation.
Pour cette même raison, la circonstance que la dénomination sociale de la partie demanderesse en cassation est erronée, en ce sens qu’elle comporte le terme « USA », ne porte pas non plus à conséquence.
Le moyen tiré du défaut de qualité à agir est partant à rejeter.
Les parties défenderesses en cassation soulèvent encore l’irrecevabilité du pourvoi pour moyens inopérants. Elles font valoir qu’étant donné que les juges d’appel ont fondé leur décision sur l’article 645 du Code de commerce, aucun des trois moyens de cassation invoqués ne permettrait de remettre en cause le dispositif de l’arrêt attaqué.
3 Voir mémoire en réponse de la partie défenderesse en cassation sub 6), p. 5.
4 Voir dans ce sens : Cour de cassation 6 juillet 2017, n° 57/2017, n° 3823 du registre.
Or, ces moyens affectent tout au plus la recevabilité des moyens mais ne rendent pas le pourvoi en cassation irrecevable.
Le pourvoi, qui attaque par ailleurs un arrêt rendu en dernier ressort ayant mis fin à l’instance, est ainsi à déclarer recevable quant au délai et quant à la forme.
Le mémoire en réponse des parties défenderesses en cassation sub 1) à sub 5) signifié le 5 avril 2023 aux demandeurs en cassation en leur domicile élu et déposé au greffe de la Cour le 6 avril 2023, peut être pris en considération pour avoir été signifié dans le délai et déposé conformément aux prescriptions de la loi.
Il en est de même du mémoire en réponse de la partie défenderesse en cassation sub 6), qui a été signifié aux autres parties en leurs domiciles élus le 26 avril 2023 et déposé au greffe de la Cour le 3 mai 2023.
Faits et rétroactes Suivant jugement du 4 décembre 2020, l’acte introductif d’instance du 28 mars 2018 des parties demanderesses en cassation a été déclaré nul pour libellé obscur.
Ce jugement a été signifié aux parties demanderesses en cassation qui ont interjeté appel le 6 décembre 2021. Par arrêt du 6 décembre 2022, l’appel a été déclaré irrecevable pour être tardif.
Pour statuer ainsi, les magistrat d’appel ont retenu que, sur base des articles 571, 573 et 167 du Nouveau Code de procédure civile, les demandeurs en cassation, domiciliés aux Etats-Unis d’Amérique, disposaient d’un délai de 75 jours pour interjeter appel et ce à compter de la signification de la décision litigieuse.
Jugeant que la procédure de signification régie par les articles 155 à 157 du Nouveau Code de procédure civile constitue la procédure de droit commun qui s’applique pour la transmission d’un acte en l’absence de disposition spéciale ou dérogatoire, ils ont retenu qu’à l’égard des personnes domiciliées ou résidant à l’étranger, la signification est faite dans les formes de transmission convenues entre le Luxembourg et le pays du domicile ou de la résidence du destinataire qui, en l’espèce sont déterminées dans la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale (ci-après « Convention de La Haye »), en vigueur entre le Luxembourg et les Etats-Unis d’Amérique.
La Cour a ensuite retenu que l’huissier de justice a respecté les formalités de signification prévues par l’article 156 du Nouveau Code de procédure civile et par la Convention de La Haye (qui ne contient d’ailleurs aucune disposition sur le point de départ des effets de la signification).
Comme l’article 156 (2) du Nouveau Code de procédure civile qui prévoit que « la signification est réputée faite le jour de la remise de la copie de l’acte à l’autorité compétente pour l’expédier ou le jour de la remise à la poste, ou, en général, le jour où toute autre procédure autorisée de signification à l’étranger a été engagée » est clair, les juges d’appel n’ont pas pris égard à la date de remise effective de l’acte à l’intéressé.
Le jugement entrepris ayant été valablement signifié le 18 août 2021, l’appel interjeté le 6 décembre 2021 a été déclaré irrecevable pour cause de tardiveté par arrêt du 6 décembre 2022.
Le pourvoi est dirigé contre cet arrêt.
Quant aux premier et troisième moyens de cassation:
Le premier moyen de cassation est tiré de la violation, sinon de la fausse appréciation, sinon de la fausse interprétation de l’article 571 alinéa 1er du Nouveau Code de procédure civile, en ce que l’arrêt attaqué a déclaré l’appel des parties demanderesses en cassation irrecevable aux motifs que « si, comme le relèvent les parties appelantes, cet article est inscrit dans le Titre 1er « des assignations », il est cependant admis que la procédure de signification régie par les articles 155 à 157 du Nouveau Code de procédure civile constitue la procédure de droit commun qui s’applique pour la transmission d’un acte en l’absence de disposition spéciale ou dérogatoire. En effet, pour les actes judiciaires et extrajudiciaires, autres que les actes introductifs d’instance, aucune disposition légale ne régit leur transmission, si ce n’est que les textes emploient les termes de « signification » ou de notification. (cf. T. Hoscheit, La transmission des actes vers l’étranger, J.T. L, 2013/4 n°28, p.89-98, n°2) L’article 571 du Nouveau Code de procédure civile en prévoyant que le délai d’appel court à partir de la signification à personne ou à domicile ne constitue pas un texte comportant une disposition spéciale ou dérogatoire, mais un renvoi aux dispositions prévues par les articles 155 et suivants du Nouveau Code de procédure civile.
Il s’ensuit que les articles 155 et suivants du Nouveau Code de procédure civile sont applicables pour apprécier la régularité de la signification du jugement et partant le point de départ du délai d’appel », alors que la Cour d’appel a interprété de façon erronée l’article 571 du Nouveau Code de procédure civile en considérant que cet article opère de facto un renvoi aux articles 155 et suivants du Nouveau Code de procédure civile et ce alors qu’aucune mention expresse n’y est faite renvoyant auxdits articles et que l’article 571 du Nouveau Code de procédure civile dispose que le délai d’appel courra à compter du jour de la signification à personne ou domicile.
Ce moyen reproche essentiellement aux magistrats d’appel d’avoir fait application de l’article 156 (2) du Nouveau Code de procédure civile alors que l’article 571 ne s’y réfère pas et que l’article 156 du Nouveau Code de procédure civile n’est applicable qu’à défaut de disposition spéciale ou dérogatoire, respectivement à défaut d’un instrument de droit international public régissant la coopération entre Etat requérant et Etat requis, tel qu’en l’espèce la Convention de La Haye.
Le troisième moyen de cassation est tiré de la violation, sinon de la fausse appréciation, sinon de la fausse interprétation, de l’article 6 paragraphe 1er de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH), en ce que l’arrêt attaqué a déclaré irrecevable l’appel interjeté par les parties demanderesses en cassation dans la mesure où la Cour d’appel a considéré comme hors délai, sur base des articles 155, 156 et 571 du Nouveau Code de procédure civile, l’acte d’appel du 6 décembre 2021, aux motifs que : « s'il est vrai que les risques d'un défaut ou d'un retard de transmission pèsent sur le destinataire non-résident et non sur son auteur, il n'en reste pas moins que les droits de défense de la partie signifiée ne se trouvent pas pour autant sacrifiés alors que le destinataire peut encore échapper aux conséquences fâcheuses que peut entraîner pour lui l'application de cette règle de droit interne luxembourgeois en demandant à être relevé de la déchéance résultant de l'expiration d'un délai imparti pour agir en justice », alors que la Cour d’appel, en statuant ainsi, a violé les dispositions de l’article 6 de la CEDH, englobant le droit à un accès concret et effectif à un tribunal, en retenant que les droits des parties demanderesses en cassation n’avaient pas été lésés par l’amputation du délai d’appel, dès lors qu’elles auraient pu utiliser le mécanisme du relevé de déchéance pour pallier à une éventuelle expiration du délai imparti.
Les demandeurs en cassation critiquent qu’en raison de l’application de l’article 156 (2) du Nouveau Code de procédure civile ils se sont vu amputer une grande partie de leur délai d’appel, amputation qui ne saurait être couverte par la possibilité d’une requête en relevé de déchéance, soumise à des conditions très strictes.
Ils donnent encore à considérer que le raisonnement de la Cour d’appel entraîne un traitement inégalitaire entre une partie luxembourgeoise et une partie étrangère et cause une atteinte aux droits de la défense de la partie résidant à l’étranger.
A remarquer d’emblée que l’argument des parties défenderesses en cassation selon lequel les moyens de cassation seraient inopérants dans la mesure où la Cour d’appel aurait fait application de l’article 645 du Code de commerce pour déclarer l’appel tardif n’est pas pertinent. En effet, à la lecture de l’arrêt attaqué, il s’avère que les magistrats d’appel ont fait une application simultanée des articles 645 du Code de commerce (régissant l’appel introduit devant la Cour d’appel siégeant en matière commerciale) et 571 du Nouveau Code de procédure civile pour retenir que le délai d’appel est de 40 jours à compter de la signification du jugement5.
Les signification et notification d’actes judiciaires sont soumises à des régimes différents selon le domicile du destinataire.
En effet, si le destinataire de la signification est domicilié au Luxembourg, le droit luxembourgeois est applicable et la signification est régie par l’article 155 du Nouveau Code de procédure civile.
Si le destinataire a son domicile dans un autre Etat membre de l’Union européenne, la signification, notamment d’un jugement pour faire courir le délai d’appel, est régie par le Règlement (UE) n° 2020/1784 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relatif à la signification et à la notification dans les Etats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale6, applicable à partir du 1er juillet 2022.
Conformément à l’article 13, paragraphe 1, de ce règlement, « La date de la signification ou de la notification effectuée en vertu de l’article 11 est celle à laquelle l’acte a été signifié ou notifié conformément au droit de l’Etat membre requis ». Toutefois, lorsque le droit d’un Etat membre exige qu’un acte soit signifié ou notifié dans un délai déterminé, la date à prendre en considération à l’égard du requérant est celle fixée par le droit de cet Etat membre »7. Ce principe est généralement connu sous le nom de la théorie de la double date.
Si le destinataire a son domicile, comme en l’espèce, dans un Etat signataire de la Convention de La Haye, la signification est faite selon les formes de transmission déterminées par cette Convention8.
Dans la mesure où la Convention de La Haye ne contient aucune disposition sur le point de départ des effets d’une signification, les magistrats d’appel se sont reportés sur l’article 156 du Nouveau Code de procédure civile en tant que disposition de droit commun applicable à toute signification. Ils ont retenu que la Convention de La Haye « ne vise que les modes de transmission et de remise des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale sans porter atteinte à la règle qui soumet la forme de la signification proprement dite à l’empire exclusif de la loi du for (…). En ce qui concerne les significations à l’étranger, l’article 156 (2) du Nouveau Code de procédure civile prévoit que « la signification est réputée faite le jour de la remise de la copie de l’acte à l’autorité compétente pour l’expédier ou le jour de la remise à la poste, ou, en général, le jour où toute autre procédure autorisée de signification à l’étranger a été engagée ». En vertu de ce texte, qui est clair, il n’y a pas lieu de prendre égard à la date de remise de l’acte à l’intéressé. Ni l’accomplissement 5 Voir arrêt attaqué, p. 5.
6 Journal officiel de l’Union européenne L 450/40 du 2.12.2020.
7 La même solution prévalait sous l’empire du Règlement (CE) n° 1393/2007.
8 A remarquer que les Etats-Unis d’Amérique ne se sont pas opposés aux modes de transmission prévus par l’article 10 de la Convention de La Haye, voir https://www.hcch.net/fr/states/authorities/details3/?aid=279.
effectif des procédures de transmission réglées par les conventions internationales ni la remise effective de l’acte au destinataire selon les modalités appliquées par l’autorité requise selon son droit interne n’ont donc en droit luxembourgeois une incidence sur la question de l’existence et de la régularité de la signification/notification. Celle-ci produit ses effets au jour de l’accomplissement des procédures prévues par la loi luxembourgeoise, sans égard à la question de savoir si l’acte est parvenu à destination, respectivement si l’autorité requise a correctement mis en œuvre ses procédures nationales de signification/notification ».
Ce faisant, ils se sont alignés sur une jurisprudence relativement constante en cette matière9 et ils n’ont pas suivi l’arrêt du 28 mars 2019 de la Cour d’appel ayant décidé que « si la signification d’un jugement doit se faire à l’étranger, c’est la date de la remise effective de la décision à l’appelant ou celle à laquelle il a été avisé de son existence qui constitue le point de départ du délai d’appel »10. En cette espèce, la signification était effectuée en Suisse, Etat signataire de la Convention de la Haye. Cet arrêt s’est également référé à la jurisprudence belge qu’il est intéressant de retracer.
Avant l’entrée en vigueur de la loi du 26 décembre 2022 relative à la mention des voies de recours et portant dispositions diverses en matière judiciaire, le droit belge contenait une disposition similaire à l’article 156 (2) du Nouveau Code de procédure civile. En effet, l’article 40 alinéa 1er du Code judiciaire belge énonçait qu’à l’égard de ceux qui n’ont en Belgique ni domicile, ni résidence, ni domicile élu connus, la copie de l’acte doit être adressée par l’huissier de justice sous pli recommandé à la poste, à leur domicile ou à leur résidence à l’étranger et que la signification est en cette hypothèse réputée accomplie par la remise de l’acte aux services de la poste contre le récépissé de l’envoi recommandé.
L’emploi du terme « réputée », tant en législation belge que luxembourgeoise, démontre que le législateur est conscient du caractère artificiel et fictif de cette règle. La question se pose également si cette disposition ne consacre qu’une présomption réfrageable susceptible d’être renversée par la preuve contraire, la preuve de la date effective de la remise de l’acte au destinataire11.
En Belgique, cette fiction a posé des problèmes au regard du respect des droits de la défense auxquels la jurisprudence a réagi, d’abord par un arrêt du 17 décembre 2003 de la Cour d’arbitrage12 et puis par des arrêts de la Cour de cassation.
En effet, la Cour de cassation belge consacre depuis un arrêt du 21 décembre 2007 la théorie de la double date en vertu de laquelle la prise de cours des effets d’une signification (ou notification) varie selon qu’il s’agit des effets intéressant l’expéditeur, 9 Voir jurisprudence citée à la page 6 de l’arrêt attaqué.
10 Cour d’appel, 9e chambre, 28 mars 2019, n° 48/19-IX-CIV, n° CAL-2018-00544 du rôle.
11 Il aurait même été considéré que l’accomplissement régulier des formalités prévues par la loi luxembourgeoise comme loi du for érige en présomption irréfrageable l’achèvement de la signification/notification à la date de l’accomplissement de ces formalités, voir Th. HOSCHEIT, « La transmission des actes vers l’étranger », J.T.L., 2013/28, n° 25, p. 93.
12 Cour d’arbitrage belge, 17 décembre 2003, J.T., 2004/3, n° 6123.
telle l’interruption de la prescription ou de ceux touchant à la situation du destinataire comme le point de départ d’un délai de comparution ou de recours. La sécurité juridique due à l’expéditeur commande que son courrier judiciaire produise les effets recherchés au jour de son expédition, tandis que les garanties du procès équitable requièrent que les délais impartis au destinataire de ce même courrier prennent cours à la date de la réception de celui-ci13.
En vertu de cet arrêt :
« Aux termes de l'article 40, alinéa 1er, du même Code, à ceux qui n'ont en Belgique ni domicile, ni résidence, ni domicile élu connus, la copie de l'acte est adressée par l'huissier de justice sous pli recommandé à la poste, à leur domicile ou à leur résidence à l'étranger et en outre par avion si le point de destination n'est pas dans un pays limitrophe, sans préjudice des autres modes de transmission convenus entre la Belgique et le pays de leur domicile ou de leur résidence, et la signification est réputée accomplie par la remise de l'acte aux services de la poste contre le récépissé de l'envoi dans les formes prévues à l'article.
L'article 2, alinéa 1er, de la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et à la notification à l'étranger des actes judiciaires en matière civile et commerciale dispose que chaque État contractant désigne une autorité centrale qui assume, conformément aux articles 3 à 6, la charge de recevoir les demandes de signification ou de notification en provenance d'un autre État contractant et d'y donner suite.
Suivant l'article 5 de cette Convention, l'autorité centrale de l'État requis procède ou fait procéder à la signification ou à la notification de l'acte, soit selon les formes prescrites par la législation de l'État requis pour la signification ou la notification des actes dressés dans ce pays et qui sont destinés aux personnes se trouvant sur son territoire, soit selon la forme particulière demandée par le requérant, pourvu que celle-
ci ne soit pas incompatible avec la loi de l'État requis.
En vertu de l'article 6, l'autorité centrale de l'État requis ou toute autorité qu'elle aura désignée à cette fin établit une attestation, conforme à la formule annexée à la Convention, relatant l'exécution de la demande, indiquant la forme, le lieu et la date de l'exécution ainsi que la personne à laquelle l'acte a été remis, précisant, le cas échéant, le fait qui aura empêché l'exécution, et cette attestation est directement adressée au requérant.
Il suit de ces dispositions que, lorsqu'une convention règle les modes de transmission des actes judiciaires, il y a signification, à l'égard du destinataire, au moment de la remise de l'acte à celui-ci.
13 J-F. VAN DROOGHENBROECK, « Consécration définitive de la théorie de la double date en droit belge », Revue de droit commercial belge », 2022/1, p. 122.
L'arrêt qui, pour décider que l'appel est tardif, considère que la signification du jugement entrepris a eu lieu à l'égard du demandeur « le 9 novembre 2004, date de l'envoi [sous pli recommandé à la poste] de l'expédition du jugement à l'autorité centrale cantonale suisse en vue de sa remise [au demandeur] », viole l'article 40, alinéa 1er, du Code judiciaire »14.
En 2021, la Cour de cassation belge a encore jugé dans le cadre d’un litige, auquel aucun instrument international n’était applicable, que :
« Le droit à l’accès à un tribunal, garanti par l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, tel qu’il est interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, n’empêche pas les États membres d’assortir l’introduction de recours de conditions, pour autant que celles- ci servent un objectif légitime et qu’il existe une proportion raisonnable entre les conditions imposées et l’objectif poursuivi. Ces conditions ne peuvent avoir pour conséquence qu’il soit porté substantiellement atteinte au droit à introduire un recours.
Aux termes de l’article 40, alinéa 1er, du Code judiciaire, à ceux qui n’ont en Belgique ni domicile, ni résidence, ni domicile élu connus, la copie de l’acte est adressée par l’huissier de justice sous pli recommandé à la poste, à leur domicile ou à leur résidence à l’étranger et en outre par avion si le point de destination n’est pas dans un État limitrophe, sans préjudice des autres modes de transmission convenus entre la Belgique et le pays de leur domicile ou de leur résidence. La signification est réputée accomplie par la remise de l’acte aux services de la poste contre le récépissé de l’envoi dans les formes prévues à l’article.
En vertu de l’article 57 de ce code, à moins que la loi n’en ait disposé autrement, le délai d’appel court à partir de la signification de la décision à personne ou à domicile, ou, le cas échéant, de la remise ou du dépôt de la copie ainsi qu’il est dit aux articles 38 et 40.
En faisant courir le délai d’appel à l’égard du destinataire à partir de la remise de l’acte de la signification de la décision aux services de la poste, soit à partir d’un moment où le destinataire ne peut pas encore avoir connaissance du contenu de la décision, sans qu’il soit en outre possible de déterminer avec certitude quand l’acte à signifier a été présenté au domicile du destinataire ou quand l’intéressé l’a effectivement reçu, ces dispositions restreignent de manière disproportionnée le droit de ce destinataire à introduire un tel recours »15.
Suite à ces arrêts, d’ailleurs favorablement accueillis par les commentateurs, la doctrine a pu conclure que « l’application de l’article 40 alinéa 1er du Code judiciaire en tant qu’il énonce que la signification faite au justiciable domicilié ou résidant à l’étranger 14 Cour de cassation belge, (1ère chambre), 21 décembre 2007, J.T. 2009/23, n° 6357, p. 408, note H.
BOULARBAH, « signification à l’étranger ; la Cour de cassation consacre la double date » ; R.C.J.B., 2009, p.
63, note E. LEROY, « La communication transfrontalière des actes : le choix de la voie la plus performante doit être préféré », p. 78.
15 Cour de cassation belge, (1ère chambre), 28 janvier 2021, C.20.0007. F.
est réputée accomplie par la remise de l’acte aux services de la poste contre le récépissé de l’envoi » devra être écartée dans tous les cas où il s’agira de déterminer la date de la signification à l’égard du destinataire de celle-ci. La disposition précitée conservera en revanche toute sa vigueur pour ce qui concerne les effets juridiques d’une signification ou d’une notification internationale intéressant le justiciable qui l’a requise »16.
A remarquer que l’article 40 du Code judiciaire belge dispose depuis la modification législative précitée que « la signification est réputée accomplie à l'égard de la partie à la requête de laquelle il a été signifié par la remise de l'acte aux services de la poste contre le récépissé de l'envoi dans les formes prévues au présent article. La date de la signification est à l'égard de celui à qui elle est faite, la date qui suit celle à laquelle l'acte a été présenté au domicile ou, le cas échéant, à la résidence de la personne à qui la signification est faite ».
En droit français, la Cour de cassation française a, par des arrêts rendus en 201117, 201418, 201619 et 202020, adopté une solution protectrice des droits du destinataire étranger estimant que la date de la signification (et donc le point de départ du délai de recours) n’était pas celle de la remise au parquet mais celle de sa remise au destinataire.
Cette solution est désormais codifiée à l’article 687-2 du Code de procédure civile, introduit par le décret n°2019-402 du 3 mai 201921.
Ces décisions consacrent la solution de la double date, telle que prévue en droit de l’Union européenne par l’article 13 du Règlement n° 2020/1784 précité, même dans les relations avec des Etats non membres de l’Union européenne et sont unanimement accueillies en doctrine.
La Cour de cassation luxembourgeoise ne s’est pas encore souvent prononcée sur la prise d’effet des significations à l’étranger22. Dans un arrêt très récent, il a été retenu ce qui suit :
16 J-F. VAN DROOGHENBROECK, « Consécration définitive de la théorie de la double date en droit belge », op.cit., n° 19 et 20.
17 Cour de cassation française, civ. 1ère, 23 juin 2011, n° 09-11.066.
18 Cour de cassation française, civ. 1ère, 18 décembre 2014, n° 13-25.745.
19 Cour de cassation française, civ. 2e, 2 juin 2016, n° 14-11.576.
20 Cour de cassation française, civ. 2ème, 30 janv. 2020, n° 18-23.917.
21 Aux termes de cette disposition : « La date de notification d'un acte judiciaire ou extrajudiciaire à l'étranger est, sans préjudice des dispositions de l'article 687-1, à l'égard de celui à qui elle est faite, la date à laquelle l'acte lui est remis ou valablement notifié. Lorsque l'acte n'a pu être remis ou notifié à son destinataire, la notification est réputée avoir été effectuée à la date à laquelle l'autorité étrangère compétente ou le représentant consulaire ou diplomatique français a tenté de remettre ou notifier l'acte, ou lorsque cette date n'est pas connue, celle à laquelle l'une de ces autorités a avisé l'autorité française requérante de l'impossibilité de notifier l'acte.
Lorsqu'aucune attestation décrivant l'exécution de la demande n'a pu être obtenue des autorités étrangères compétentes, nonobstant les démarches effectuées auprès de celles-ci, la notification est réputée avoir été effectuée à la date à laquelle l'acte leur a été envoyé ».
22 Voir notamment Cour de cassation, 28 février 1991, Pas. 28, p. 133.
« Il résulte de l’acte de signification du jugement du 12 janvier 2022 que l’huissier de justice a procédé le 25 mars 2022 à l’attention des demandeurs en cassation, l’un demeurant au Liban, l’autre ayant demeuré à cette époque dans les Emirats Arabes Unis, à l’envoi de l’acte de signification, tant par courrier simple et par courrier recommandé à leurs adresses respectives, que par envoi au Ministère des Affaires étrangères aux fins de transmission par la voie diplomatique.
L’article 156, paragraphe 2, du Nouveau Code de procédure civile soumet, en cas de signification d’un acte à destination de l’étranger, la fixation du point de départ des délais de procédure au seul accomplissement des formalités de signification prévues par la loi du for. Il n’y est dérogé qu’en cas de disposition contraire expresse, soit de droit national, soit de droit international.
La Convention de La Haye du 1er mars 1954 relative à la procédure civile, applicable à la signification faite à l’attention de (…) demeurant au Liban, ne contient pas de disposition de droit matériel portant sur la détermination de la date d’effet d’une signification.
Aucune convention internationale ne s’applique à la signification faite à (…), demeurant à cette époque dans les Emirats Arabes Unis.
Le droit national ne comporte pas de disposition dérogatoire à l’article 156, paragraphe 2, du Nouveau Code de procédure civile en matière civile ordinaire.
Ni l’effectivité de la remise de l’acte de signification, ni la date effective de cette remise n’influent partant sur le point de départ du délai pour se pourvoir en cassation »23.
A remarquer que dans cette espèce, la Convention de La Haye du 1er mars 1954 relative à la procédure civile s’appliquait et non pas la Convention de La Haye.
Si la théorie de l’expédition, en ce qu’elle permet de connaître toujours la date de la signification intervenue, a le mérite de la clarté et sert les intérêts du signifiant, il n’en 23 Cour de cassation, 1er juin 2023, n° 62/2023, n° CAS-2022-00081 du registre avec les conclusions de Madame le premier avocat général Marie-Jeanne KAPPWEILER qui avait conclu que « l’huissier de justice a envoyé l’arrêt à signifier par voie postale au Ministère des affaires étrangères afin d’assurer la remise aux parties signifiées par la voie diplomatique, et directement aux demandeurs en cassation. La partie défenderesse en cassation établit le caractère régulier de la procédure suivie en versant les accusés de réception des envois recommandés remplis par les services de la poste. Conformément à l’article 156, paragraphe (2), du Nouveau code de procédure civile, la signification est dès lors réputée faite en date du 25 mars 2022, date de la remise à la poste. Les demandeurs en cassation se contentent d’indiquer que l’arrêt du 12 janvier 2022 leur a été signifié le 29 avril 2022, reconnaissant ainsi que l’arrêt rendu en date du 12 janvier 2022 leur a été signifié, mais ils ne versent pas d’attestation ou de récépissé daté et légalisé constatant la date à laquelle l’arrêt leur aurait été signifié. Au vu de la présomption de signification à la date de la remise à la poste, prévue à l’article 156, paragraphe (2) du Nouveau code de procédure civile, il appartient aux demandeurs en cassation d’établir que le pourvoi en cassation respecte le délai de 2 mois prévu à l’article 7 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, augmenté du délai de distance de 35 jours prévu à l’article 167 du Nouveau code de procédure civile. L’article 17, alinéa 2, de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation permet à la partie demanderesse de verser un nouveau mémoire afin de répondre à une irrecevabilité du pourvoi soulevée par la partie défenderesse. Les demandeurs en cassation n’ont toutefois pas signifié et déposé de nouveau mémoire afin de prouver que le mémoire en cassation a été signifié endéans le délai légal ».
demeure pas moins qu’elle heurte les garanties du procès équitable et les principes généraux du droit relatifs à l’égalité des armes et au respect des droits de la défense24.
Elle conduit à une double conséquence. D’une part, un acte dont il n’est pas encore acquis qu’il parviendra à son destinataire, produit contre ce dernier des effets susceptibles de porter atteinte à ses droits. D’autre part, même en admettant qu’il y ait remise effective de l’acte, on fait courir un délai de réaction à l’encontre de son destinataire alors qu’il est encore dans l’ignorance du contenu de cet acte, ce qui réduit de manière disproportionnée le délai raisonnable dont il doit pouvoir disposer pour assurer sa défense25.
Il est certes vrai qu’en vertu de la jurisprudence de la Cour européenne de droits de l’homme et reprise par Votre Cour « l’article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit à toute personne le droit à ce qu’un tribunal connaisse des contestations portant sur ses droits et obligations de caractère civil. Ce droit d’accès n’est pas absolu et se prête à des limitations notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’Etat, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation »26.
En d’autres termes, le « droit d’accès au juge, consacré par les dispositions visées aux moyens, n’est pas absolu, les Etats pouvant édicter des prescriptions destinées à réglementer les recours qu'ils organisent et à en fixer les conditions d'exercice, pourvu que ces réglementations aient pour but d'assurer une bonne administration de la justice » 27.
Il reste que, toujours selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, les restrictions apportées au droit d’accès à un tribunal ne doivent pas restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tel que le droit d’accès s’en trouve atteint dans sa substance même. De plus, les limitations ne se concilient avec l’article 6 paragraphe 1 de la Convention que si elles poursuivent un « but légitime » et s’il existe un « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé »28.
La question se pose partant si la restriction qu’entraîne l’application stricte de l’article 156 (2) du Nouveau Code de procédure civile aux significations à l’étranger faisant courir un délai de comparution ou de recours poursuit un but légitime et est proportionnelle au but visé.
24 E. LEROY, « La communication transfrontalière des actes : le choix de la voie la plus performante doit être préféré », R.C.J.B., 2009, p. 85.
25 Idem.
26 Cour de cassation, 13 mars 2020, n° 44/2020, n° CAS-2019-00053 du registre.
27 Cour de cassation, 1er avril 2021, n° 55/2021, n° CAS-2020-00041 du registre.
28 Guide sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, Droit à un procès équitable (volet civil), p.39, n° 135, https://www.echr.coe.int/documents/d/echr/guide_art_6_fra.
Dans ce contexte, le remède théorique du relevé de la déchéance résultant de l’expiration d’un délai imparti pour agir en justice, en ce qu’il contraint le destinataire de l’acte à poser un acte supplémentaire et en ce qu’il ne joue que lorsque la personne n’a pas eu, en temps utile, connaissance de l’acte qui a fait courir le délai, constitue plus un obstacle additionnel qu’une véritable protection contre les conséquences défavorables résultant de l’application de la théorie de l’expédition. Quid de la « simple » amputation d’une partie du délai légalement attribué à une personne ? L’argument suivant lequel le destinataire domicilié à l’étranger serait suffisamment protégé en raison des délais de distance lui accordés n’est pas non plus convaincant. En effet, si le législateur accorde des délais de distance, le destinataire devrait bénéficier de l’entièreté du délai lui accordé sans amputation.
Dans un environnement juridique où l’importance des droits de la défense ne cesse de croître et où les modes de communication entre Etats, même lointains, s’améliorent continuellement, le maintien de la théorie de l’expédition devrait être sérieusement mis en cause, ceci d’autant plus que nos pays limitrophes ont abandonné cette théorie en faveur de celle de la double date.
Gardant à l’esprit que « la signification et la notification d’actes doivent concilier des impératifs contradictoires dictés par l’accès à la justice, la protection juridictionnelle et l’économie de procédure »29, ce qui signifie qu’il faut mettre en balance le souci de faire avancer les procédures avec le respect des droits de la défense et du droit d’accès à la justice, et tout en admettant que la solution préconisée par les jurisprudences belge et française peut parfois donner lieu à des difficultés pratiques, la soussignée se prononce en faveur de la théorie de la double date, entraînant un respect plus strict des droits de la défense.
Les premier et troisième moyens de cassation sont partant fondés.
A titre subsidiaire : Quant au deuxième moyen de cassation :
Le deuxième moyen de cassation est tiré de la violation, sinon de la fausse appréciation, sinon de la fausse interprétation, de l’article 89 (actuellement l’article 109) de la Constitution30 et de l’article 249 du Nouveau Code de procédure civile, en ce que l’arrêt attaqué a déclaré irrecevable l’appel interjeté par les parties demanderesses en cassation dans la mesure où la Cour d’appel a considéré comme hors délai, sur base des articles 155, 156 et 571 du Nouveau Code de procédure civile, l’acte d’appel du 6 décembre 2021, 29 E. LEROY et P. LÜTTGENS « Le nouveau règlement européen n° 2020/1784 en matière de signification et notification : entraide et confiance mutuelle à l’ère du numérique », Revue de droit commercial belge, 2022/1.
30 Depuis l’entrée en vigueur le 1er juillet 2023 de la nouvelle Constitution, l’obligation de motivation est prévue par l’article 109 de la Constitution en les termes suivants (identiques à ceux de l’article 89 de l’ancienne Constitution) : « Tout jugement est motivé. Il est prononcé en audience publique ».
aux motifs que :« en ce qui concerne les significations à l'étranger, l'article 156 (2) du Nouveau Code de procédure civile prévoit que « la signification est réputée faite le jour de la remise de la copie de l'acte à l'autorité compétente pour l'expédier ou le jour de la remise à la poste, ou, en général, le jour où toute autre procédure autorisée de signification à l'étranger a été engagée ». En vertu de ce texte, qui est clair, il n'y a pas lieu de prendre égard à la date de remise de l'acte à l'intéressé », et que : « pour apprécier la validité et les effets de l'acte de signification, il est, dans l'intérêt du signifiant, tenu exclusivement compte des formalités accomplies dans le Grand-Duché. Il importe peu que le destinataire de l'acte n'en ait eu réellement connaissance que bien plus tard ou même qu'il n'en ait pas eu connaissance, les risques d'un défaut ou d'un retard de transmission pèsent exclusivement sur le destinataire de l'acte et non sur l'auteur de la signification de l'acte (Cour d'appel, 20 mai 2009, n°33238 du rôle ; Cour d'appel, 28 juin 2017, n°44698 du rôle ; Cour d'appel, 16 janvier 2019, n°44467 du rôle) », alors que la Cour d’appel, en statuant ainsi, a effectué un défaut de réponse à conclusions, qui est une forme du défaut de motif, constituant un vice de forme, dès lors qu’elle n’a pas répondu aux développements avancés par les parties demanderesses relatifs à l’arrêt opérant un revirement de jurisprudence rendu par la Cour d’appel en date du 28 mars 2019, et qu’elle a ensuite fondé sa décision sur des arrêts antérieurs à cette jurisprudence sans expliquer pourquoi le revirement jurisprudentiel n’était pas applicable au cas d’espèce.
En cas d’accueil des premier et troisième moyens de cassation, l’analyse du deuxième moyen s’avère surabondant. Les commentaires suivants sont ainsi faits à titre subsidiaire, pour l’hypothèse où les deux autres moyens seraient déclarés non fondés.
Le moyen du défaut de réponse à conclusions constitue une forme du défaut de motifs, qui est un vice de forme.
Pour qu’un moyen exige réponse, il faut qu’il comporte un élément de fait et une déduction juridique ; il faut encore que cette déduction juridique soit de nature à influer sur la solution du litige.
Une décision judiciaire est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré31.
Il est généralement admis que les motifs de l’arrêt qui consacrent un fait ou une thèse juridique justifient par là même le rejet des conclusions qui invoquaient un fait ou une thèse contraire32.
En l’espèce, les magistrats d’appel n’ont pas explicitement pris position par rapport à l’arrêt invoqué du 28 mars 2019. Néanmoins, l’arrêt attaqué a retenu ce qui suit :
31 Voir dans ce sens notamment: Cour de cassation, 25 mai 2023, n° 57/2023, n° CAS-2022-00095 du registre.
32 J. et L. BORE, La cassation en matière civile, 6e édition, p. 438, n° 77.263.
« Les formes de transmission entre le Luxembourg et les Etats-Unis sont déterminées dans la Convention de La Haye du 15 novembre 1965, en vigueur entre ces deux pays.
En l’occurrence, l’huissier de justice a, en date du 18 août 2021, envoyé une copie de son exploit de signification et de ses annexes, avec leur traduction en langue anglaise, par courrier recommandé avec avis de réception, à la société SOCIETE4.), agissant comme autorité centrale pour les Etats-Unis, et, pour autant que de besoin, a envoyé une copie de son exploit de signification et de ses annexes, avec leur traduction en langue anglaise, par courrier recommandé avec avis de réception à chacun des appelants.
Il s’ensuit que l’huissier de justice a respecté les formalités prévues par l’article 156 du Nouveau Code de procédure civile et par la Convention de La Haye du 15 novembre 1965.
La Convention de La Haye de 1965 ne contient aucune disposition sur le point de départ des effets de la signification ou de la notification (E.D. Répertoire International, Verbo:
Notification et Signification des actes, édition février 2002, numéro 75).
Ladite Convention ne vise que les modes de transmission et de remise des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale sans porter atteinte à la règle qui soumet la forme de la signification proprement dite à l’empire exclusif de la loi du for (Cour d’Appel 6 décembre 1989, P. 27, 357; Cour d’Appel 16 mars 1993 et 7 décembre 1993, P. 29, 93 et 308; Cour d’Appel 29 mai 2009, 4ème chambre n° 33238 du rôle ; Cour d’Appel 12 décembre 2012, 4ème chambre n° 36618 du rôle).
En ce qui concerne les significations à l’étranger, l’article 156 (2) du Nouveau Code de procédure civile prévoit que « la signification est réputée faite le jour de la remise de la copie de l’acte à l’autorité compétente pour l’expédier ou le jour de la remise à la poste, ou, en général, le jour où toute autre procédure autorisée de signification à l’étranger a été engagée ».
En vertu de ce texte, qui est clair, il n’y a pas lieu de prendre égard à la date de remise de l’acte à l’intéressé.
Ni l’accomplissement effectif des procédures de transmission réglées par les conventions internationales ni la remise effective de l’acte au destinataire selon les modalités appliquées par l’autorité requise selon son droit interne n’ont donc en droit luxembourgeois une incidence sur la question de l’existence et de la régularité de la signification/notification. Celle-ci produit ses effets au jour de l’accomplissement des procédures prévues par la loi luxembourgeoise, sans égard à la question de savoir si l’acte est parvenu à destination, respectivement si l’autorité requise a correctement mis en œuvre ses procédures nationales de signification/notification (cf. T. Hoscheit, La transmission des actes vers l’étranger, J.T. L, 2013/4 n°28, p.89-98, n°23).
Pour apprécier la validité et les effets de l’acte de signification, il est, dans l’intérêt du signifiant, tenu exclusivement compte des formalités accomplies dans le Grand-Duché.
Il importe peu que le destinataire de l’acte n’en ait eu réellement connaissance que bien plus tard ou même qu’il n’en ait pas eu connaissance, les risques d’un défaut ou d’un retard de transmission pèsent exclusivement sur le destinataire de l’acte et non sur l’auteur de la signification de l’acte (Cour d’Appel, 20 mai 2009, n° 33238 du rôle ;
Cour d’appel, 28 juin 2017, n° 44698 du rôle ; Cour d’appel, 16 janvier 2019, n°44467 du rôle) ».
En exposant en détail leur raisonnement, d’ailleurs consacré par de nombreuses autres décisions de justice, qui est essentiellement basé sur le fait que l’article 156 (2) du Nouveau Code de procédure civile est clair et dès lors non susceptible d’interprétation, les magistrats d’appel ont implicitement mais nécessairement rejeté le raisonnement retenu par l’arrêt du 28 mars 2019.
Le deuxième moyen de cassation est partant à rejeter.
Conclusion Le pourvoi est recevable et les premier et troisième moyens sont fondés.
Pour le Procureur général d’Etat l’avocat général Nathalie HILGERT 26