GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 49269C du rôle ECLI:LU:CADM:2024:49269 Inscrit le 7 août 2023 Audience publique du 11 janvier 2024 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 27 juin 2023 (n° 46180 du rôle) en matière de discipline Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 49269C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 7 août 2023 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, …, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 27 juin 2023 (n° 46180 du rôle) ayant déclaré non fondé son recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation, d’une part, de la décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat du 30 mars 2021 ayant prononcé à son égard la sanction disciplinaire de la révocation et, d’autre part, de « l’arrêté du ministre de la Fonction publique », ainsi qualifié, du 6 mai 2021 pris en exécution de la décision du Conseil de discipline du 30 mars 2021 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 6 octobre 2023 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 2 novembre 2023 par Maître Jean-Marie BAULER au nom de l’appelant ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jonathan HOLLER, en remplacement de Maître Jean-Marie BAULER, et Monsieur le délégué du gouvernement Marc LEMAL en leurs plaidoiries à l’audience publique du 12 décembre 2023.
Par courrier du 20 décembre 2011, le directeur du Service de Renseignement de l’Etat (SRE) s’adressa au Premier ministre, ministre d’Etat, ci-après « le Premier ministre », afin de l’informer de plusieurs reproches formulés à l’encontre de Monsieur (A), conseiller de direction adjoint au SRE, détaché au Haut-Commissariat à la Protection nationale.
1 Par courrier du 21 décembre 2011, le Premier ministre saisit le commissaire du Gouvernement chargé de l'instruction disciplinaire, dénommé ci-après « le commissaire du gouvernement », conformément à l'article 56, paragraphe 2, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat, ci-après « le statut général », afin de procéder à une instruction disciplinaire à l'encontre de Monsieur (A).
Par courrier du 3 janvier 2012, le commissaire du gouvernement adjoint informa Monsieur (A) qu'une instruction disciplinaire avait été ordonnée à son encontre tout en l’invitant à se présenter pour une audition devant se dérouler le 24 janvier 2012 afin de prendre position par rapport aux faits lui reprochés, audition ayant finalement eu lieu en dates des 6 et 12 mars 2012.
Par courrier du 8 mai 2013, le commissaire du gouvernement adjoint transmit une copie du dossier disciplinaire au procureur d’Etat du Parquet de Diekirch.
En date du 23 juillet 2013, le commissaire du gouvernement clôtura son instruction par l’émission d’un rapport d’instruction.
Par un courrier du même jour, le commissaire du gouvernement adjoint informa Monsieur (A) qu’il envisageait de transmettre le dossier au Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat, ci-après « le conseil de discipline », conformément à l’article 56, paragraphe 5, du statut général, sans préjudice du droit pour le concerné de prendre inspection du dossier disciplinaire en vue, le cas échéant, de présenter ses observations, respectivement de demander un complément d’instruction.
Par un courrier de son mandataire du 9 août 2013, Monsieur (A) fit parvenir ses observations au commissaire du gouvernement adjoint en sollicitant l’audition de plusieurs témoins, ce qui amena celui-ci à procéder à un rapport d’instruction complémentaire émis le 30 septembre 2013 aux termes duquel la décision de transmission du dossier au conseil de discipline fut maintenue.
Suivant courrier du président du conseil de discipline du 14 novembre 2013, Monsieur (A) fut informé de la suspension de la procédure disciplinaire en attendant l’issue d’une instruction pénale menée à son encontre.
Par un arrêté grand-ducal du 21 août 2020, démission honorable de ses fonctions de conseiller au grade 16 auprès de l’administration gouvernementale fut accordée à Monsieur (A).
Par un jugement du tribunal d’arrondissement de Diekirch, siégeant en matière correctionnelle, du 26 novembre 2020, Monsieur (A) fut condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans, assortie du sursis intégral, ainsi qu’à une amende de 25.000.- €.
En date du 30 mars 2021, le Conseil de discipline prit la décision qui suit :
« (…) Vu le dossier constitué à charge de (A) par le commissaire du Gouvernement adjoint, ci-après le commissaire, régulièrement saisi en application de l'article 56, paragraphe 2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de 1'Etat, ci-après le Statut, 2par courrier du Premier Ministre, Ministre d'Etat, du 21 décembre 2011, au titre de l'instruction disciplinaire à charge de (A) et transmis pour attribution au Conseil de discipline par courrier du 30 septembre 2013.
Vu le rapport d'instruction du 23 juillet 2013, ainsi que le rapport d'instruction complémentaire du 30 septembre 2013.
Vu le courrier du 14 novembre 2013 du Procureur d'Etat de Diekirch adressé en réponse aux courriers des 22 mai et 22 octobre 2013 au mandataire de (A), lui confirmant l'ouverture d'une instruction pénale pour une partie des faits faisant l'objet de l'affaire disciplinaire diligentée.
Vu le courrier du Président du Conseil de Discipline du 14 novembre 2013 informant (A) de la suspension de la procédure disciplinaire en attendant l'issue de l'instruction pénale.
Vu le jugement du tribunal d'arrondissement de et à Diekirch, siégeant en matière correctionnelle, du 26 novembre 2020, coulé en force de chose jugée.
Vu la convocation régulière par lettre recommandée de (A), acceptée le 16 février 2021, pour l'audience du 9 mars 2021 à laquelle il ne s'est pas présenté sans soumettre une excuse valable, de sorte qu'il y a lieu de procéder conformément à l'article 68 alinéa 2 du Statut.
(A) se voit reprocher dans la lettre de saisine du 21 décembre 2011 du Premier Ministre, Ministre d'Etat, les faits suivants :
(1) d'avoir acquis à titre privé, auprès du constructeur d'automobiles (M1) établi à …, trois véhicules de la marque (M1), à des conditions tarifaires privilégiées exclusivement réservées aux administrations publiques nationales et internationales, en faisant croire à (M1) que les voitures étaient destinées au SRE, à savoir d'avoir acquis, à titre privé :
- le véhicule (M1), modèle …, numéro de châssis …, suivant facture du 2 octobre 2008 (facture établie à son nom), - le véhicule (M1), modèle …, numéro de châssis …, suivant facture du 4 février 2008 (facture établie au nom de son épouse, (X)), - le véhicule (M1), modèle …, numéro de châssis …, suivant facture du 28 mai 2009 (facture établie à son nom) ;
(2) d'avoir dissimulé, par des courriers du 6 août 2009, du 27 mai 2008, du 23 janvier 2008 et du 14 octobre 2009, le fait que l'achat des prédits véhicules ne se faisait pas pour le compte du SRE, et d'avoir pris, dans les courriers du 6 août 2009 et du 27 mai 2008, des titres ne lui appartenant pas (s'étant qualifié de « Direktionsrat » dans le courrier du 6 août 2009 et de « Regierungsrat et de « Direktor », dans le courrier du 27 mai 2008) ;
(3) d'avoir régulièrement invité, de 2003 à 2009, des représentants du groupe (M1) dans des restaurants à … (afin d'entretenir une relation privilégiée avec les responsables de (M1) s'occupant de la vente des véhicules (M1) au corps diplomatique et au SRE) sans pour autant pouvoir attester des frais de service dépensés à ce titre moyennant des pièces justificatives, ce contrairement à la note de service 04/01 du 10 décembre 1991 d'après lesquelles lesdites 3pièces doivent être conservées pendant un délai de 10 ans suivant le 1er janvier qui suit l'année de l'opération d'apurement ;
(4) d'avoir vendu des voitures de service dans des conditions de négligence grave, à savoir d'avoir vendu le véhicule (M1) …, entre avril et mai 2009, en se faisant personnellement remettre le prix de vente de 49.500,00 euros (montant restitué par (A) à l'Etat, le 9 juin 2010, suite aux interpellations auxquelles il a été confronté en avril 2010), ainsi que le véhicule (M1) …, entre octobre 2009 et avril 2010, en se faisant personnellement remettre le prix de vente de 30.700,00 euros (montant restitué par (A) à l'Etat, le 9 juin 2010, suite aux interpellations auxquelles il a été confronté en avril 2010) ;
(5) d'avoir commandé des travaux de menuiserie pour le compte du SRE sans présentation de devis, partant, au mépris du respect de la procédure prévue à cet effet, de sorte que le SRE s'est vu confronté à des factures d'un montant total de 50.000,00 euros, présentées en février 2010, dont le montant de 37.000,00 euros n'a pu être payé pour dépassement du budget autorisé ;
(6) d'avoir eu recours à des fournisseurs du SRE pour la réalisation de travaux privés.
À l'audience du Conseil de Discipline du 9 mars 2021, le délégué du Gouvernement a considéré que tous les reproches, sauf celui repris sub 6), sont établis à suffisance par les preuves objectives dégagées par l'instruction disciplinaire et, pour ce qui est des reproches libellés sub 1), 2) et 4), de surplus par le renvoi aux éléments matériels constitutifs des infractions dont a été convaincu (A) suivant jugement pénal du 26 novembre 2020 et lesquels ne sauraient plus être remis en cause. Au regard de la gravité indubitable des faits commis par un cadre supérieur durant des années, de l'émergence continuelle de nouvelles versions les unes aussi indignes que les autres sans aucune introspection par rapport au comportement répréhensible adopté et hautement préjudiciable pour la réputation du SRE en particulier et de l'Etat en général, seule la sanction la plus sévère, à savoir la révocation de (A) sur base de l'article 47 point 10 du Statut, ne saurait se concevoir.
Le Conseil de Discipline considère, à l'instar des développements afférents du commissaire et la prise de position du délégué du Gouvernement à l'audience, que la matérialité du sixième reproche n'est étayée par aucun élément objectif et lasse d'être établi, de sorte qu'il y a lieu d'en faire abstraction.
Avant d'analyser les autres reproches, il y a lieu de préciser que les faits à la base de l'instruction disciplinaire menée à l'encontre de (A) ont également, en partie, fait l'objet d'une instruction pénale. Cette dernière s'est soldée par un jugement du tribunal d'arrondissement de et à Diekirch, siégeant en matière correctionnelle, du 26 novembre 2020 (coulé en force de chose jugée), ayant condamné (A) au pénal, du chef d'infractions aux articles 196,197,206,207,240,245, 506-1,3) et 506-4 du code pénal, à une peine d'emprisonnement de trois (3) ans, assortie du sursis, ainsi qu'à une amende. Il y a lieu de rappeler l'autonomie du droit disciplinaire par rapport au droit pénal de sorte que le même fait, pouvant s'analyser à la fois en une faute pénale et en une faute disciplinaire, peut entraîner les deux formes de poursuite sans que la règle « non bis in idem » ne s'applique dans les rapports du droit pénal et du droit disciplinaire alors que le but de 4ces deux procédures est bien évidemment distinct. D'une part, dans la répression pénale, l'intérêt de la société est en jeu, alors que, d'autre part, dans la répression disciplinaire, seul l'intérêt de la fonction publique est à considérer.
Nonobstant cette autonomie du droit disciplinaire, un jugement pénal a cependant une incidence sur la procédure disciplinaire en ce sens que le Conseil de Discipline ne peut pas remettre en cause la matérialité des faits établis par une décision judiciaire ayant autorité de chose jugée, alors qu'il reste évidemment libre de décider si ceux-ci appellent une sanction et, dans l'affirmative, d'en apprécier la gravité par rapport aux manquements au Statut.
Il se dégage du jugement correctionnel que l'action publique a été mise en mouvement le 25 mai 2013, de sorte que la prescription de l'action publique, concernant les délits reprochés à (A), aurait été acquise en date du 25 mai 2018, et, concernant les crimes correctionnalisés, en date du 25 mai 2023.
S'agissant de la question de la prescription de l'action disciplinaire, il est rappelé que cette action se prescrit, conformément à l'article 74 du Statut, par trois ans à partir du jour où le manquement a été commis, la prescription étant interrompue par la saisine du commissaire et la prescription de l'action disciplinaire n'est en aucun cas acquise avant la prescription de l'action publique.
Quant au reproche 1) : la prise illégale d'intérêt pour avoir acquis, à titre privé, auprès du constructeur d'automobiles (M1) établi à …, trois véhicules de la marque (M1), à des conditions tarifaires privilégiées exclusivement réservées aux administrations publiques nationales et internationales, en faisant croire à (M1) que les voitures étaient destinées au SRE.
La prescription ayant été constatée dans le jugement pénal précité pour ce qui est des voitures achetées respectivement le 2 octobre 2008 et le 4 février 2008, (A) ne saurait plus répondre de ces reproches.
Par contre, pour ce qui est de la voiture de marque (M1) …, numéro de châssis …, achetée suivant facture du 28 mai 2009 établie au nom de (A), ce dernier a été retenu dans les liens de l'infraction à l'article 245 du code pénal par les juges du fond ayant fait valoir « il importe dès lors peu en l'occurrence de connaître le déroulement exact et le contenu des discussions lors du dîner qui a eu lieu dans un restaurant gastronomique à …. et notamment la question de savoir s'il lui avait été proposé par le responsable des ventes auprès de (M1), de profiter également des réductions comme allégué par lui (et radicalement contesté par celui-ci) ou non. En effet, il est sans importance au vu des développements ci-dessus que l'intérêt de (A) de profiter de réductions a pu être licite et s'il y a eu droit, la simple convergence de son intérêt personnel avec l'intérêt public étant suffisant pour caractériser l'infraction. (A) a ainsi favorisé ses intérêts privés au moyen de sa position officielle, au détriment des intérêts particuliers du groupe (M1) auquel il a escroqué des avantages qui ne lui auraient pas été accordés en tant que particulier. (A) ne tombe pas non plus sous l'exception prévue par le deuxième alinéa de l'article 245 aux termes duquel la prise illégale d'intérêts ne s 'applique pas à celui qui ne pouvait, en raison des circonstances, favoriser par sa position ses intérêts privés et qui a agi ouvertement. Cette exception (qui n'est pas prévue par le texte français) doit s'interpréter en ce sens qu'il n'y a pas d'infraction lorsque l'acte 5commis n'a en rien préjudicié l'intérêt général, en d'autres termes lorsque l'acte posé à l'occasion de l'exercice d'une fonction publique s'impose ou se justifie en raison de l'intérêt général. Il est, dans ce cas sans pertinence qu'il a également profité à titre personnel à celui qui l'a décidé. (Les infractions contre l'ordre public, Vol. 5, Larcier, p.359) Il faut toutefois que le titulaire de la fonction ait agi ouvertement. Tel n'est pas le cas du prévenu qui a non seulement usé de mensonges mais encore de manœuvres afin de camoufler ses agissements ».
(A), de par son comportement, a partant manqué à l'article 9.1 du Statut pour avoir, par une prise illégale d'intérêts, omis à se conformer consciencieusement aux lois et règlements qui déterminent les devoirs que l'exercice de ses fonctions lui impose, à l'article 10, paragraphe 1, alinéa 1, du Statut pour avoir porté atteinte à la dignité de sa fonction et donné lieu à scandale en achetant une voiture à titre privé en faisant croire à (M1) que cette voiture était destinée au SRE, ceci afin de profiter des diminutions de prix offertes par (M1) sur les voitures de service du SRE, et à l'article 10, paragraphe 3, du Statut, pour avoir accepté de la part de (M1) des diminutions de prix sur une voiture achetée à titre privé.
Quant au reproche 2) : d'avoir dissimulé, par des courriers du 6 août 2009, du 27 mai 2008, du 23 janvier 2008 et du 14 octobre 2009, le fait que l'achat des prédits véhicules ne se faisait pas pour le compte du SRE, et d'avoir pris, dans les courriers des 6 août 2009 et du 27 mai 2008, des titres ne lui appartenant pas (s'étant qualifié de « Direktionsrat » dans le courrier du 6 août 2009 et de « Regierungsrat et de « Direktor », dans le courrier du 27 mai 2008).
Dans le jugement pénal (A) a été acquitté de l'infraction de procuration indue de sceaux au motif suivant « en l'espèce, il n'a pas été fait une application ou un usage préjudiciable aux droits ou aux intérêts de l'Etat par l'apposition du sceau de l'agence de Diekirch de l'Administration de l'enregistrement et des domaines sur les courriers du 6 août 2009 ».
Par contre pour ce qui est des courriers confectionnés par (A) le 14 octobre 2009, le jugement en question a retenu, en infraction aux articles 196,197,206 et 207 du code pénal, « d'avoir commis un faux en écritures publiques, par contrefaçon de signature et par fabrication de dispositions, et d'en avoir fait usage, en l'espèce :
d'avoir frauduleusement confectionné deux faux en écritures publiques, l'un en langue française et l'autre en langue allemande, portant la date du 14 octobre 2009, émanant prétendument de la Direction de l'Administration de l'enregistrement et des domaines à Luxembourg, écrits destinés à certifier le paiement de la TVA de 15 % sur cinq véhicules immatriculés aux noms de …. de la société (LG). de (A) et de son épouse de l'époque, plus amplement décrits dans ces écrits, en utilisant un papier avec l'entête de la Direction de l'Enregistrement et des Domaines, en apposant une fausse signature censée représenter celle du préposé ayant émis le certificat, en apposant le tampon du Bureau d'Imposition II de Diekirch de l'enregistrement et des domaines et en indiquant un fait qui ne correspond pas à la réalité en ce qui concerne le véhicule immatriculé au nom de l'épouse, la TVA n'ayant pas été acquittée au moment des écrits, comme le confirme le courrier du directeur des Douanes et Accises du 6 juin 2013, et en les envoyant à son correspondant auprès de (MK) ;
6d'avoir fabriqué, sous le nom d'un fonctionnaire, des certificats de toute nature pouvant compromettre des intérêts privés, et de s'être servi d'un faux certificat fabriqué dans les circonstances énumérées à l'article 206, en l'espèce, d'avoir fabriqué, sous son propre nom, en sa qualité de fonctionnaire du Service de Renseignement, chargé de l'achat des véhicules du service, un certificat attestant que les cinq véhicules y énumérés et immatriculés au nom de personnes privées ont été utilisés par le SRE dans des opérations discrètes (), en vue de dissimuler ses agissements en apaisant les interrogations de (MK) quant à l'immatriculation de ces cinq véhicules, et s'en être servi en l'envoyant à (OP), à l'attention de ….. ».
La motivation reprise au jugement a notamment mis en exergue que « le caractère de faux de ces documents découle du fait qu'ils sont destinés à donner l'impression d'émaner d'une administration primafacie compétente, établis dans le dessein de ne pas éveiller la suspicion des responsables de (M1) afin d'éviter des recherches et interrogations ultérieures de la part de ceux-ci, risquant ainsi de dévoiler les agissements du prévenu et de mettre en péril ses intérêts pécuniers.(…) Le document en l'occurrence devait emporter la conviction dans le chef des responsables de (M1) suite à la réunion du 18 juin 2009 à … auprès de (M1) lors de laquelle (B) avait demandé une attestation que les voitures immatriculées aux noms de particuliers étaient utilisées par le SRE et que la TVA afférente avait été payée. Il avait dès lors, en raison de son contenu et surtout de sa forme, une valeur de crédibilité, susceptible d'emporter l'adhésion de ceux auxquels il était envoyé et il était destiné à avoir une influence déterminante sur la formation de leur conviction ».
Ces faits avérés constituent en matière disciplinaire dans le chef de (A) un manquement à l'article 9 paragraphe 1 du Statut pour avoir, par la confection de faux et par l'usage de faux, omis à se conformer consciencieusement aux lois et règlements qui déterminent les devoirs que l'exercice de ses fonctions lui impose, à l'article 10, paragraphe 1, alinéa 1, du Statut pour avoir porté atteinte à la dignité de sa fonction et donné lieu à scandale en fournissant à (M1) des informations mensongères quant à son expéditeur et mensongères quant à son contenu et à l'article 15 du Statut, pour ne pas avoir informé son supérieur hiérarchique qu'il a un intérêt personnel incompatible avec l'intérêt du service lorsque (M1) souhaitait obtenir des explications concernant les voitures non immatriculées au nom du SRE.
Quant au reproche 3) : d'avoir régulièrement invité, de 2003 à 2009, des représentants du groupe (M1) dans des restaurants à … (afin d'entretenir une relation privilégiée avec les responsables de (M1) s'occupant de la vente des véhicules (M1) au corps diplomatique et au SRE), sans pour autant pouvoir attester des frais de service dépensés à ce titre moyennant des pièces justificatives, ce contrairement à la note de service 04/01 du 10 décembre 1991.
(A), lors de son audition par le commissaire, a exigé que les pièces justificatives soient versées au dossier disciplinaire, mais il s'est avéré par la suite que soit ces pièces étaient introuvables, soit avaient disparu. S'il n'a partant pas pu être possible d'établir si (A) a effectivement régulièrement invité des représentants de (M1) dans des restaurants exclusifs à …, il n'en reste pas moins qu'en vertu de la note de service n° 04/01 du 10 décembre 1991, versée au dossier d'instruction, toutes les pièces justificatives relatives aux frais de service doivent être 7conservées pendant un délai de 10 ans à partir du 1er janvier qui suit l'année de l'opération d'apurement.
Il résulte à suffisance des éléments consignés au dossier d'instruction, y compris de l'audition de (C), que (A) était « Chef de branche » en charge de la « gestion administrative » du SRE et que notamment la gestion administrative du personnel, du bâtiment et du budget lui incombait. En cette qualité il était de son devoir d'assurer que la note de service en question soit scrupuleusement respectée et que les pièces justificatives afférentes puissent être consultées endéans le délai prévu. Ayant omis de respecter et de faire respecter, en qualité de responsable seul en charge de ce dossier, la note de service 04/01, (A) a manqué à l'article 9, paragraphe 1, alinéa 2, du Statut en vertu duquel il est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées et à l'article 10, paragraphe 1, alinéa 1, en vertu duquel le fonctionnaire doit, dans l'exercice comme en dehors de l'exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public.
Quant au reproche 4 : d'avoir vendu des voitures de service dans des conditions de négligence grave, à savoir d'avoir vendu le véhicule (M1) …, entre avril et mai 2009, en se faisant personnellement remettre le prix de vente de 49.500,00 euros (montant restitué par (A) à l'Etat, le 9 juin 2010, suite aux interpellations auxquelles il a été confronté en avril 2010), ainsi que le véhicule (M1) 535 Touring, entre octobre 2009 et avril 2010, en se faisant personnellement remettre le prix de vente de 30.700,00 euros (montant restitué par (A) à l'Etat, le 9 juin 2010, suite aux interpellations auxquelles il a été confronté en avril 2010).
Dans le jugement pénal précité il a été retenu à ce sujet « en présence de ces versions divergentes et des incohérences en général des explications invraisemblables fournies par le prévenu, le tribunal n'accorde strictement aucun crédit à la version de (A) notamment eu égard au fait qu'il n'a pas porté plainte auprès de la police malgré l'importance des sommes en question, ni pour vol, ni pour perte et ceci ni au moment de la perte alléguée ni plus tard. Concernant l'argumentation de la défense que le prévenu aurait remboursé les sommes de 49.500 euros et de 30.700 euros en question et que partant il n'y aurait pas de préjudice et dès lors pas non plus de détournement, le tribunal souligne que le détournement de deniers publics constitue une infraction instantanée » et (A) a été retenu dans les liens de l'infraction de détournement de deniers publics en relation avec le prix de vente des véhicules (M1) … et ….
Il s'ensuit que ce comportement de (A) est constitutif d'un manquement à l'article 9 paragraphe 1 du Statut pour avoir, par un détournement de deniers publics, omis de se conformer consciencieusement aux lois et règlements qui déterminent les devoirs que l'exercice de ses fonctions lui impose, à l'article 9, paragraphe 2, du Statut pour, en détournant des fonds publics à des fins privées, ne pas avoir correctement exécuté la tâche lui confiée ainsi qu'à l'article 10, paragraphe 1, du Statut en vertu duquel le fonctionnaire doit, dans l'exercice comme en dehors de l'exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public.
8Quant au 5ième et dernier reproche : d'avoir commandé des travaux de menuiserie pour le compte du SRE sans présentation de devis, partant au mépris du respect de la procédure prévue à cet effet, de sorte que le SRE s'est vu confronté à des factures d'un montant total de 50.000,00 euros, présentées en février 2010, dont le montant de 37.000 euros n'a pu être payé pour dépassement du budget autorisé.
Il est établi au vu des éléments dégagés par l'instruction disciplinaire que certains des travaux de menuiserie effectués par l'entreprise (EF) ont été commandés en violation de la procédure y relative, notamment sans présentation préalable d'une demande d'acquisition sur base d'un devis en dépit de l'instruction de service n°4, intitulée « Réglementation de la gestion financière du Service de renseignements » et (A), lors de son audition, n'a pas contesté que la commande de ces travaux était de sa responsabilité.
En effet, en tant que « Chef de branche » en charge de la gestion administrative du SRE il était le responsable hiérarchiquement le plus élevé de la gestion administrative du personnel, du bâtiment et du budget et il faut en conclure que (A) a manqué à l'article 9, paragraphe 1, alinéa 2, du Statut en vertu duquel le fonctionnaire doit se conformer aux instructions du gouvernement qui ont pour objet l'accomplissement régulier de ses devoirs ainsi qu'aux ordres de service de ses supérieurs pour ne pas s'être conformé à l'article 3 de l'instruction de service n° 4, intitulée « Réglementation de la gestion financière du Service de renseignements », à l'article 9, paragraphe 2, du Statut en vertu duquel le fonctionnaire est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées pour avoir commandé auprès de l'entreprise (EF) des travaux pour lesquels il avait omis d'introduire une demande d'acquisition et à l'article 10, paragraphe 1, alinéa 1, du Statut en vertu duquel le fonctionnaire doit, dans l'exercice comme en dehors de l'exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public pour avoir, par la commande de travaux en violation de la procédure d'acquisition, mis le SRE dans l'impossibilité d'honorer l'engagement financier en résultant.
Aux termes de l'article 53 du Statut, l'application des sanctions se règle notamment d'après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé. Elles peuvent être appliquées cumulativement.
Il est indéniable que les faits avérés commis par un fonctionnaire ayant accédé à la carrière supérieure de l'attaché, par changement de carrière, le 1er décembre 2008 et ayant, au moment de leur perpétration, occupé la fonction de conseiller de direction adjoint du Service de renseignement de l'Etat, sont d'une particulière gravité, accentuée par la condamnation au pénal à une peine d'emprisonnement intervenue pour des infractions décriminalisées et des délits commis en concours réel, dépassant donc le cadre strictement disciplinaire, et particulièrement révélatrice de l'énergie criminelle de (A). Sous cet égard il importe donc peu que (A) n'a aucun antécédent disciplinaire à sa charge.
S'y ajoute que l'attitude adoptée par (A) tout au long de l'instruction disciplinaire, une fois confronté avec des éléments objectifs, est tout simplement indigne d'un fonctionnaire de la carrière supérieure. Au lieu de prendre position sans tergiverser et d'assumer sa responsabilité par rapport à ses agissements, il s'est empêtré dans ses propres contradictions, déployant des efforts 9considérables pour contester l'incontestable et pour tenter de faire endosser une part de responsabilité par d'autres personnes. Le Conseil de Discipline note, à la lecture du jugement pénal, que même dans le cadre de l'instruction pénale, y compris l'instruction à l'audience, (A) s'est distingué par « des explications des plus chimériques », « des versions divergentes », « des incohérences en général, des explications invraisemblables» et ne peut que rejoindre leur constat de la « désinvolture avec laquelle (A) a abusé de sa position au sein du Service de Renseignement » pour pouvoir se livrer à tous ces agissements fautifs.
Toutes les considérations développées ne permettent que de rejoindre l'appréciation du délégué du Gouvernement et de recourir à la sanction la plus sévère prévue au Statut, à savoir la révocation prévue à l'article 47, point 10.
Par ces motifs :
le Conseil de discipline, siégeant en audience publique, (A) régulièrement convoqué, statuant conformément aux dispositions de l'article 68 alinéa 2 du statut général des fonctionnaires de l'Etat, sur le rapport oral de son président, le délégué du Gouvernement entendu en ses conclusions, prononce à l'égard de (A) du chef des manquements retenus ci-dessus la sanction disciplinaire prévue à l'article 47.10. de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat, à savoir la révocation, condamne (A) aux frais de la procédure (…) ».
Par arrêté grand-ducal du 6 mai 2021, la sanction disciplinaire de la révocation fut appliquée à l’encontre de Monsieur (A) avec effet au 30 mars 2021, tout en abrogeant, avec effet à la même date, l’arrêté grand-ducal du 21 août 2020 ayant accordé démission honorable à celui-ci.
Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 juin 2021 (n° 46180 du rôle), Monsieur (A) fit introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du conseil de discipline du 30 mars 2021 et de « l’arrêté du ministre de la Fonction publique », ainsi qualifié, du 6 mai 2021.
Par jugement du 27 juin 2023, le tribunal reçut en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision du conseil de discipline du 30 mars 2021, au fond, le déclara non justifié et en débouta Monsieur (A), dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation, se déclara incompétent pour statuer sur le recours principal en réformation dirigé contre l’arrêté grand-ducal du 6 mai 2021, reçut en la forme le recours subsidiaire en annulation contre ledit arrêté grand-ducal, au fond, le déclara non justifié et en débouta le demandeur, rejeta encore la demande de celui-ci tendant à prononcer l’effet suspensif du jugement à intervenir, ainsi que sa demande en allocation d’une indemnité de procédure, tout en le condamnant aux frais de l’instance.
Le tribunal rejeta en premier lieu le moyen de Monsieur (A) sollicitant la nullité de la décision déférée du conseil de discipline pour violation de ses droits de la défense en raison du refus de refixer la date des plaidoiries et d’avoir statué « par défaut », demande de refixation qui aurait été 10justifiée par la complexité de l’affaire ayant nécessité une instruction disciplinaire de plus d’une année et une instruction pénale de sept années, pour manquer en fait.
Le tribunal rejeta de même le moyen de Monsieur (A) sollicitant la nullité de la décision déférée du conseil de discipline pour défaut de caractérisation des faits disciplinaires, au motif que ledit conseil n’aurait jamais fait la moindre corrélation avec les faits reprochés lors de l'instruction disciplinaire et ne les aurait pas qualifiés sur un plan disciplinaire mais se serait contenté de reprendre le jugement pénal.
Il rejeta encore le moyen tiré d’une prétendue violation du principe de légalité consacré par l'article 14 de la Constitution et par l’article 7, paragraphe 1er, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), les premiers juges relevant, d’une part, par référence à deux arrêts de la Cour Constitutionnelle (arrêt n° 23/04 du 3 décembre 2004 et arrêt n° 41/07 du 14 décembre 2007), que si en règle générale le droit disciplinaire devait répondre aux exigences du principe de la légalité des peines, le droit disciplinaire était appelé à tolérer dans la formulation des comportements illicites et dans l’établissement des peines à encourir une marge d’interprétation, sans que le principe de la spécification de l’incrimination et de la peine ne soit affecté, dans la mesure où des critères logiques, techniques et d’expérience professionnelle permettaient de prévoir avec une sûreté suffisante la conduite à sanctionner et la sévérité de la peine à appliquer, et, d’autre part, que ledit principe ne faisait pas obstacle à ce qu’en matière disciplinaire les infractions soient définies par référence aux obligations légales et réglementaires auxquelles est soumise une personne en raison des fonctions qu’elle exerce, de la profession à laquelle elle appartient ou de l’institution dont elle relève. Sur ce point, les premiers juges rejetèrent encore l’argumentation du demandeur tendant à mettre en exergue le fait que par un arrêté grand-ducal du 21 août 2020, il avait été admis à la retraite avec effet au 1er janvier 2021, soit avant le prononcé de la sanction disciplinaire actuellement litigieuse.
De même, le tribunal rejeta le moyen de Monsieur (A) tiré d’une prétendue violation du principe d'impartialité consacré par l'article 6 de la CEDH et des articles 41 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ci-après « la Charte », que ce soit par rapport aux développements du demandeur relatifs à la composition du conseil de discipline ou à son argumentaire mettant en cause l’impartialité du commissaire du gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire.
Il rejeta encore le moyen de Monsieur (A) tiré d’une prétendue violation du principe non bis in idem, tel que prévu par l’article 4 du Protocole n° 7 à la CEDH, et l’article 14-7 du Pacte des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966, l’intéressé argumentant en substance qu’en raison de sa condamnation au pénal les mêmes faits ne pourraient plus donner lieu à une sanction disciplinaire sous peine de faire double emploi avec la condamnation pénale.
Concernant la proportionnalité de la décision en cause, le tribunal releva en premier lieu que le demandeur ne contestait pas la matérialité des faits lui reprochés et retenus par la décision déférée, de même qu’il n’avait pas valablement remis en cause la qualification des comportements retenus par rapport aux obligations et devoirs des fonctionnaires de l’Etat. Il nota ensuite qu’au vu de la gravité conséquente des reproches avérés, Monsieur (A) ayant gravement violé, dans le cadre de 11sa fonction et à plusieurs reprises, son obligation de se conformer aux lois et règlements lui imposés ainsi que compromis les intérêts du service public, en abusant de la confiance lui accordée par sa hiérarchie dans le but de s’enrichir personnellement au détriment de l’Etat, la confiance de ce dernier dans son agent était irrémédiablement rompue et que seule une sanction impliquant la fin des relations de travail était envisageable en l’espèce, ce d’autant plus que les faits litigieux, d’ailleurs également passibles de peines correctionnelles, avaient gravement porté atteinte à la dignité de ses fonctions, tout en ayant donné lieu à un scandale retentissant ayant affecté la responsabilité politique du ministre de l’Etat de l’époque. Sur ce point, le tribunal releva encore l’énergie criminelle se dégageant du comportement du demandeur, l’insouciance et le manque d’introspection de ce dernier essayant par tous les moyens de se délier de sa responsabilité en niant les évidences.
Concernant finalement l’argumentation de Monsieur (A) tirée d’un prétendu dépassement du délai raisonnable, le tribunal releva en premier lieu qu’en présence de poursuites pénales pour les mêmes faits, l'autorité administrative pouvait estimer prudent d'attendre qu'une décision judiciaire ait statué définitivement sur l'action publique en vue d’arrêter la matérialité des faits litigieux, sans que ce choix ne la dispensât de l'obligation de statuer, par la suite, dans un délai raisonnable. Il nota ensuite que si le demandeur s’était certes déjà fait notifier l’ouverture d’une affaire disciplinaire à son encontre en date du 3 janvier 2012, il ne pouvait pas être reproché aux autorités disciplinaires d’avoir attendu que l’enquête pénale soit clôturée, se concrétisant par le jugement précité du 26 novembre 2020 du tribunal correctionnel de Diekirch, coulé en force de chose jugée, et qu’au vu des nombreuses contestations de la part du demandeur concernant sa responsabilité, seul l’aboutissement de la procédure pénale avait permis d’arrêter de manière incontestable le déroulement exact des faits litigieux.
Quant au volet du recours dirigé contre l’arrêté grand-ducal du 6 mai 2021, le tribunal retint que ledit arrêté était un acte d’exécution de la décision du conseil de discipline du 30 mars 2021 pris par l’autorité de nomination dans le cadre d’une compétence liée, en application de l’article 52 du statut général. Il releva en outre que, comme le conseil de discipline avait retenu la sanction de la révocation, impliquant au vœu de l’article 47, point 10, « (…) la perte de l’emploi, du titre et du droit à la pension, (…) », c’était à bon droit que l’arrêté grand-ducal du 21 août 2020, ayant accordé au demandeur démission honorable de ses fonctions à partir du 1er janvier 2021 avec attribution du titre honorifique de ses fonctions, a dû encourir l’abrogation, sans que le demandeur eût pu, dans le cadre d’une éventuelle prise de position y relative, influer concrètement sur le contenu de la décision à prendre.
Par requête d’appel déposé au greffe de la Cour administrative le 7 août 2023, Monsieur (A) a régulièrement entrepris le jugement du 27 juin 2023 dont il demande la réformation sinon l’annulation, avec annulation conséquente de la décision du conseil de discipline du 30 mars 2021 et de l’arrêté grand-ducal du 6 mai 2021, sinon voir « rapporter la sanction litigieuse à plus juste proportion ».
Quant au recours contre la décision du conseil de discipline du 30 mars 2021 A l’appui de son appel, Monsieur (A) réitère en premier lieu son moyen de première instance tiré de la prétendue violation de ses droits de la défense en raison du refus du conseil de discipline de refixer la date des plaidoiries du 9 mars 2021. Il signale dans ce contexte que dans un délai de 1214 jours ouvrés entre la convocation et l’audience, il aurait été impossible d’instruire le dossier, ce qui aurait provoqué que l’audience du 9 mars 2021 se serait tenue sans sa présence et celle de son mandataire. Dans ce contexte, il relève encore que le premier rapport d’instruction aurait contenu 79 pages et plusieurs centaines d’annexes, que le rapport complémentaire aurait compris 22 pages, que l’instruction pénale menée à son encontre aurait duré plus de 7 années et que le conseil de discipline, dans sa décision du 30 mars 2021, se serait uniquement basé sur le jugement pénal du 26 novembre 2020 pour établir la matérialité des faits et le condamner sans « ouvrir » le rapport d’instruction du 23 juillet 2013 et le rapport complémentaire du 30 septembre 2013.
C’est cependant à juste titre que les premiers juges ont relevé que contrairement au délégué du gouvernement auprès du conseil de discipline, le mandataire du demandeur avait été en charge du dossier dès le début de l’instruction disciplinaire et s’était fait communiquer tant le rapport principal que son complément à la clôture de l’instruction en 2013 avec possibilité de prendre inspection des pièces du dossier, tout en s’étant occupé de la défense de Monsieur (A) devant les instances pénales ayant abouti au jugement correctionnel précité du 26 novembre 2020. Partant, tant l’appelant que son mandataire ont eu une connaissance quasi-intégrale du dossier disciplinaire au plus tard depuis le mois de septembre 2013, de sorte que la communication itérative du dossier disciplinaire trois semaines avant l’audience des plaidoiries du 9 mars 2021 devant le conseil de discipline ne peut pas être considérée comme ayant pu affecter les droits de la défense de l’appelant.
Dans ce contexte, il est encore indifférent de spéculer sur les circonstances dans lesquelles le délégué du gouvernement a pu se préparer en vue de l’audience des plaidoiries devant le conseil de discipline, étant constant en cause que celui-ci n’a pris connaissance du dossier que le 19 février 2021 et que d’un point de vue objectif aucun déséquilibre au niveau de la possibilité de prise de connaissance du contenu du dossier disciplinaire entre le délégué du gouvernement et la défense de Monsieur (A), préjudiciable à ce dernier, ne transperce du dossier.
Le moyen afférent est partant à rejeter.
En deuxième lieu, Monsieur (A) réitère son moyen d’annulation pour défaut de caractérisation des faits disciplinaires en soutenant que le conseil de discipline se serait contenté de reprendre le jugement pénal, sans jamais faire la moindre corrélation avec les faits lui reprochés lors de l'instruction disciplinaire et sans qualifier ceux-ci sur un plan disciplinaire. Ainsi, le conseil de discipline se serait contenté de qualifier « péremptoirement » les faits de manquements à l’article 9, paragraphe (1), alinéas 1er et 2, et à l’article 10, paragraphe (1), alinéa 1er, et paragraphe (3), du statut général, ce qui ne constituerait en aucun cas une « caractérisation » des faits disciplinaires et une qualification juridique des faits propres à la procédure disciplinaire, le conseil de discipline ayant manifestement substitué le jugement du tribunal correctionnel de Diekirch du 26 novembre 2020 aux rapports d’instruction du commissaire du gouvernement et manqué de la sorte à son devoir d’instruction de l’affaire.
Ledit moyen est cependant à rejeter pour manquer en fait.
En effet, à l’instar des premiers juges, la Cour se doit de relever, d’une part, que la décision déférée du conseil de discipline énonce bien les faits à la base de la saisine du commissaire du 13gouvernement en date du 21 décembre 2011 ayant fait l’objet de l’instruction disciplinaire qui s’en est suivie, laquelle a été clôturée par le rapport d’instruction précité, tel que complété, d’autre part, que le conseil de discipline s’est référé au jugement correctionnel du 26 novembre 2020, coulé en force de chose jugée, pour statuer sur les seuls faits ainsi juridiquement établis et non prescrits afin de les qualifier au sens du droit disciplinaire, et, de troisième part, que la décision déférée prend soin, pour tous les faits finalement retenus et qui ne faisaient plus l’objet de contestations de la part de Monsieur (A), de les qualifier et de les passer en revue par rapport aux obligations statutaires auxquelles ce dernier était soumis.
En troisième lieu, Monsieur (A) réitère son moyen de première instance tiré d’une violation du principe de légalité des délits et des peines, tel que consacré par l’article 14 de la Constitution et l’article 7 de la CEDH. Il soutient dans ce contexte que les « incriminations » du statut général seraient trop vagues et que le fonctionnaire poursuivi ne saurait pas à quelle peine il devrait s’attendre tant l’éventail des sanctions serait important « allant de l’avertissement jusqu’à la révocation ». Son cas serait révélateur dans ce contexte, étant donné qu’il n’aurait pas été condamné par la juridiction pénale à la peine accessoire de l’interdiction du droit de remplir des fonctions, emplois ou offices publics, telle que prévue à l’article 24 du Code pénal, et aurait pu continuer sa carrière de fonctionnaire auprès d’une autre administration, bénéficiant même de promotions. Ainsi, il aurait été victime d’une insécurité juridique inacceptable, ce d’autant plus qu’il aurait bénéficié d’un arrêté de mise à la retraite antérieur à la sanction disciplinaire sous rubrique. En outre, le conseil de discipline n'aurait caractérisé aucune infraction disciplinaire, alors qu’il se serait contenté de reprendre les infractions retenues au pénal pour les qualifier péremptoirement de manquements aux articles 9, paragraphe (1), alinéas 1er et 2, ainsi que 10, paragraphe (1), alinéa 1er et 10, paragraphe (3), du statut général, lesdits articles étant des dispositions « fourre-tout », susceptibles d'être invoquées à l'appui de n'importe quel manquement et aux fins de prononcer n'importe quelle sanction, et le fonctionnaire poursuivi serait exposé à une incertitude et à une insécurité juridique disproportionnées et partant inacceptables. Finalement, il estime encore que le choix de la sanction de la révocation prononcée à son encontre semblerait intimement liée au fait qu’il se trouvait déjà à la retraite et que toute autre sanction plus proportionnée aurait manqué d’« effet répressif » à son égard.
En vertu de l’article 7, paragraphe 1er, de la CEDH, invoqué par l’appelant : « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise ».
Ledit article consacre le principe de la légalité des peines, tout comme l’article 14 de la Constitution [actuel article 19, alinéa 1er, de la Constitution revisée] en vertu duquel : « Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu de la loi ».
Les premiers juges se sont à juste titre appuyés sur les enseignements à tirer de la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle qui a retenu à différentes occasions qu’en droit disciplinaire la légalité des peines suit les principes généraux du droit pénal et doit observer les mêmes exigences constitutionnelles de base, que le principe de la légalité des peines entraîne la nécessité de définir les infractions en termes suffisamment clairs et de préciser le degré de répression pour en exclure l’arbitraire et pour permettre aux intéressés de mesurer exactement la portée de ces dispositions et 14que le principe de la spécification de l’incrimination est le corollaire de celui de la légalité des peines. Tel que les premiers juges l’ont relevé à bon escient, la Cour Constitutionnelle a encore retenu que le droit disciplinaire tolère dans la formulation des comportements illicites et dans l’établissement des peines à encourir une marge d’indétermination sans que le principe de la spécification de l’incrimination et de la peine n’en soit affecté, si des critères logiques, techniques et d’expérience professionnelle permettent de prévoir avec une sûreté suffisante la conduite à sanctionner et la sévérité de la peine à appliquer1, et que, par ailleurs, le principe de la légalité des peines ne fait pas obstacle à ce qu’en matière disciplinaire les infractions soient définies par référence aux obligations légales et réglementaires auxquelles est soumise une personne en raison des fonctions qu’elle exerce, de la profession à laquelle elle appartient ou de l’institution dont elle relève2.
De même, la Cour se doit de rappeler, à partir de la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle, que la circonstance que le statut général prévoit un certain nombre de devoirs et d’obligations incombant notamment aux fonctionnaires et que, par ailleurs, la même loi prévoit un catalogue de sanctions disciplinaires, n’est pas contraire au principe de la légalité des peines, dans la mesure où les devoirs sont décrits avec suffisamment d’objectivité et que l’arbitraire des sanctions à appliquer est évité par le biais de l’article 53 du statut général, qui impose que l’application des sanctions disciplinaires doit se régler notamment d’après la gravité de la faute commise, le grade, la nature de l’emploi et les antécédents disciplinaires du fonctionnaire inculpé.
A cet égard, la Cour relève encore que l’examen de la juste pondération des critères prévus à l’article 53 du statut général et partant celui de la proportionnalité de la peine retenue, y compris les critiques de l’appelant selon lesquelles le conseil de discipline n’aurait pas prononcé la peine accessoire prévue à l’article 11 du Code pénal, par renvoi de l’article 24 dudit code, sera opéré ci-après, les premiers juges ayant encore relevé à bon escient dans ce contexte que le fait que le juge pénal n’a pas prononcé pareille peine accessoire ne saurait, par application du principe de l’indépendance du droit disciplinaire par rapport au droit pénal, s’imposer au pouvoir disciplinaire, lequel reste libre, dans le respect de l’autorité de la chose jugée au pénal quant à la matérialité des faits litigieux, de faire sa propre appréciation quant à la sanction disciplinaire adaptée, d’autant plus que l’objet même de la poursuite disciplinaire vise notamment à juger l’impact des fautes disciplinaires commises par un fonctionnaire sur la manière dont l’intéressé a rempli ses fonctions.
Finalement, il convient encore de rejeter l’argumentaire de Monsieur (A) tiré du fait qu’il a bénéficié d’un arrêté grand-ducal lui accordant sa retraite avec effet au 1er janvier 2021 pour manquer de pertinence. En effet, indépendamment du constat que l’arrêté grand-ducal du 21 août 2020, abrogé par la suite, a été pris avant le prononcé de la sanction disciplinaire actuellement litigieuse et sans prise en considération de la procédure disciplinaire en cours, l’article 46 du statut général prévoit expressément que « le fonctionnaire qui a quitté le service reste soumis à la juridiction disciplinaire pour les faits ou omissions qui entraîneraient la révocation d’un fonctionnaire en activité. Toutefois l’action disciplinaire devra être intentée dans les six mois qui suivent la cessation des fonctions. Si le fonctionnaire est reconnu coupable de tels faits ou omissions, il est déclaré déchu du titre, du droit à la pension et de la pension (…) ».
1 arrêt n° 23/04 du 3 décembre 2004 de la Cour Constitutionnelle, Mém. A n° 201 du 23 décembre 2004 2 arrêt n° 41/07 du 14 décembre 2007 de la Cour Constitutionnelle, Mém. A n° 1 du 11 janvier 2008.
15Il s’ensuit que les premiers juges ont à juste titre rejeté le moyen fondé sur une violation du principe de la légalité des peines.
En quatrième lieu, Monsieur (A) réitère son moyen tiré d’une prétendue violation du principe d’impartialité « consacré par les droits de la défense et par l’article 6 de la CEDH ». Il reproche dans ce contexte au tribunal de n’avoir analysé ce moyen que sous l’angle de l’impartialité « subjective », alors que son moyen tenant à la composition du conseil de discipline viserait le « principe d’impartialité objective ». Or, les premiers juges n’auraient pas concrètement pris position quant au reproche tiré d’un manque d’indépendance du conseil de discipline qui « appartiendrait » au ministère de la Fonction publique et que les fonctionnaires de ce ministère seraient « surreprésentés » au sein du conseil de discipline.
Ainsi, la composition du conseil de discipline, organe décisionnel dans lequel siègeraient des représentants de l’Etat, poserait manifestement problème. Outre les deux magistrats professionnels, ledit conseil serait composé notamment d’un délégué du ministère de la Fonction publique et d’un délégué du ministère d’Etat devant être considérés comme parties en cause et le fait que sur les cinq membres composant le conseil de discipline deux représentent l’Etat poserait un problème d’équilibre face au seul représentant de la Chambre des fonctionnaires et employés publics, ce d’autant plus que ces deux fonctionnaires « font courir le risque d’avoir, en amont et au sein de leurs ministères respectifs, une connaissance des dossiers jugés par le Conseil auprès duquel ils siègent ».
A cela s’ajouterait le constat que les délégués du gouvernement seraient tous des fonctionnaires du ministère de la Fonction publique et qu’ils plaideraient devant le chef du cabinet dudit ministère. Il signale encore que le délégué du gouvernement auprès du conseil de discipline serait nommé à l’occasion du même arrêté grand-ducal que les membres du conseil de discipline et qu’il se poserait un sérieux problème d’équilibre face au seul représentant de la Chambre des fonctionnaires et employés publics, tout en se référant à ce sujet aux doutes exprimés en 2002 par le Conseil d’Etat3.
Finalement, le commissariat chargé de l’instruction dépendrait directement du ministère ayant la fonction publique dans ses attributions, de sorte qu’il y aurait lieu de constater qu’à toutes les étapes de la procédure un représentant dudit ministère serait impliqué. En outre, le commissaire chargé de l’instruction exercerait de facto et de jure trois fonctions incompatibles, à savoir celles de « juge d’instruction » au moment de l’instruction du dossier, celle de « juge » au moment du classement sinon du renvoi de l’affaire, et celle de « procureur », son rapport devant être considéré comme un réquisitoire.
En ordre subsidiaire, Monsieur (A), au dispositif de sa requête d’appel, demande encore de poser à la Cour de justice de l'Union européenne, ci-après « la CJUE », une question préjudicielle de la teneur suivante :
« L'article 59 alinéas 1er et 3 du Statut général des fonctionnaires de l'Etat, en tant qu'il prévoit d'une part que le Conseil de discipline est composé notamment d'un délégué du ministère de la Fonction publique et d'un délégué du ministère d'Etat, tous considérés comme représentant la partie poursuivante, et d'autre part d'un délégué du Gouvernement qui « défendra les intérêts 3 Doc. parl. n° 4891/05, avis du Conseil d’Etat du 20 décembre 2002, page 25 16du Gouvernement », ce dernier appartenant également au ministère de la Fonction publique et enfin, l'article 56 du Statut, en tant qu'il confie l'instruction disciplinaire au commissaire du Gouvernement chargé de l'instruction disciplinaire lui-même fonctionnaire au sein du ministère de la Fonction publique et tenant ses bureaux auprès dudit ministère, sont-ils conformes aux articles 41 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ? ».
D’un point de vue de l’impartialité subjective, Monsieur (A) critique encore l’omniprésence lors de l’instruction disciplinaire du directeur du SRE qui se serait comporté comme un véritable « directeur d’enquête » à son égard en intervenant personnellement pendant six mois an niveau de l’enquête disciplinaire pour donner des consignes, témoigner, dresser des rapports et fournir des pièces. Ainsi, le directeur du SRE aurait dressé en date du 20 décembre 2011 un rapport qui serait à l’origine des poursuites et il aurait aussi été témoin à charge lors de l’instruction disciplinaire, de sorte que la « collision manifeste » entre le directeur du SRE et le commissaire du gouvernement adjoint vicierait fondamentalement l’instruction disciplinaire et ne garantirait plus l’indépendance et l’impartialité de l’autorité « enquêtrice ».
Aux termes de l’article 59 du statut général :
« Le Conseil de discipline est composé de deux magistrats de l'ordre judiciaire, d'un délégué du ministre, d'un délégué du ministre d'Etat et d'un représentant à désigner par la Chambre des Fonctionnaires et Employés Publics, ainsi que d'un nombre double de suppléants choisis selon les mêmes critères. (…) ».
Il convient de rappeler en premier lieu que suivant le droit national, le conseil de discipline ne constitue pas une juridiction et que dans la mesure où l’intéressé bénéficie au niveau contentieux d’un double degré de juridiction avec des organes juridictionnels répondant aux exigences de l’article 6 de la CEDH, celles-ci ne sauraient être appliquées avec la même rigueur à l’encontre d’organes siégeant au niveau précontentieux, à savoir au niveau administratif, tels le commissaire du gouvernement et le conseil de discipline.4 - Si l’article 6 de la CEDH impose certes des impératifs à respecter en matière de procès équitable, les garanties afférentes n’ont néanmoins pas pour autant vocation à s’appliquer au niveau d’une procédure disciplinaire purement administrative, en ce qu’elles n’entrent en ligne de compte qu’à un stade ultérieur, au niveau de l’instance juridictionnelle compétente pour connaître du recours dirigé contre la décision administrative traduisant l’aboutissement de ladite procédure disciplinaire et que tant le commissaire du gouvernement que le conseil de discipline ne constituent que des étapes dans le processus décisionnel aboutissant à la sanction disciplinaire et ne revêtent pas en eux-mêmes un caractère juridictionnel. Dans ce contexte, c’est encore à bon droit que le tribunal a rappelé que de manière générale, il convient d’assurer que l’enquête disciplinaire soit conduite par une personne compétente à condition que son impartialité ne soit pas contestable et que l’autorité amenée à prendre la décision sur la sanction à appliquer doit être impartiale, d’une part, d’un point de vue subjectif, en ce qu’elle ne doit pas avoir procédé à des prises de position antérieures de nature à préjuger du résultat de la procédure disciplinaire et, d’autre part, d’un point de vue objectif par rapport à ses conditions structurelles ou organisationnelles.
4 Cour adm. 17 décembre 2009, n° 25839C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Fonction publique, n° 292 et autres références y citées 17Or, force est de constater d’abord qu’il est fait application en l’espèce du principe de l’échevinage et que, outre les deux magistrats de l’ordre judiciaire, le conseil de discipline se compose à la fois de représentants de l’employeur public et de représentants de la Chambre des fonctionnaires et employés publics, en tant que représentants des fonctionnaires et employés de l’Etat. Partant, les deux côtés – employeur public et agents publics – se trouvent ainsi tous les deux représentés et il est inhérent au système instauré sur base du principe de l’échevinage que le ou les représentants de l’employeur public soient des fonctionnaires de l’Etat relevant précisément de l’administration publique.5 Pour le surplus, Monsieur (A) ne soutient même pas que les représentants des deux ministères visés par l’article 59 du statut général aient concrètement manifesté une quelconque attitude laissant paraître un doute quant à leur impartialité ou indépendance par rapport à leur employeur.
A l’instar du tribunal, la Cour tient encore à relever que l’appelant aurait eu la possibilité, le cas échéant, de solliciter, sur le fondement de l’article 60 du statut général, la récusation d’un desdits membres suspectés de partialité subjective, ce qu’il est cependant resté en défaut de faire.
Il s’ensuit que le moyen afférent de Monsieur (A) visant l’indépendance et l’impartialité du conseil de discipline, sous tous les aspects soulevés, est à rejeter.
Quant à l’impartialité du commissaire de gouvernement, la Cour se doit de rappeler que le commissaire du gouvernement n'exerce pas trois fonctions distinctes et incompatibles, mais est appelé, aux termes d'une instruction à charge et à décharge, à décider du sort de l'affaire, cette décision n'ayant par ailleurs que la qualité d'un acte préparatoire, le conseil de discipline demeurant souverain dans son appréciation et pouvant décider soit qu'il n'y a pas lieu de prononcer une sanction, soit d'appliquer une ou plusieurs sanctions mineures, soit d'appliquer une sanction plus sévère que celle envisagée par le commissaire du gouvernement. Le fait que le rapport du commissaire du gouvernement clôture l'instruction disciplinaire menée à charge et à décharge du fonctionnaire et qu'il délimite les faits mis à sa charge ne saurait pas non plus être considéré comme mettant en cause son impartialité, le commissaire du gouvernement n'étant pas, par la suite, appelé à intervenir dans la procédure disciplinaire, et notamment lors de la procédure devant le conseil de discipline.6 Plus précisément, d’après les dispositions issues du statut général, le commissaire du gouvernement est essentiellement un organe d’instruction procédant à charge et à décharge qui, à la fin de l’instruction, peut prendre une décision à choisir parmi les options posées par l’article 56 du statut général, consistant soit à classer l’affaire, soit à transmettre le dossier au ministre du ressort lorsqu’il estime que les faits établis par l’instruction constituent des manquements mineurs à sanctionner par les peines situées en bas de l’échelle des peines, soit encore à transférer le dossier au conseil de discipline lorsqu’il estime que les mêmes faits établis par l’instruction constituent des manquements devant être sanctionnés par des sanctions plus sévères que celles entrevues en termes d’aiguillage suivant la deuxième option. En instruisant à charge et à décharge, d’un côté, et en jouant le rôle d’organe de classement, sinon de transmission à la fin de l’instruction, de 5 Cour adm. 14 juillet 2016, n° 37460C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Fonction publique, n° 290 et autres références y citées 6 Cour adm. 17 décembre 2009, n° 25839C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Fonction publique, n° 285 et autres références y citées 18l’autre, le commissaire du gouvernement ne prend pas de décision dirimante en défaveur du fonctionnaire soumis à l’instruction disciplinaire, seul le classement mettant fin à la procédure, et les transmissions suivant les deux autres options de la loi laissant en principe pleine liberté de jugement aux organes de décision respectivement saisis.7 La tâche du commissaire du gouvernement, telle qu’organisée par l’article 56 du statut général, ne révèle dès lors pas une partialité objective, telle qu’avancée par l’appelant.
Cette conclusion n’est pas remise en cause par les développements de Monsieur (A) quant au rôle joué par le directeur du SRE lors de l’instruction disciplinaire en cause. En effet, tel que relevé à bon escient par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, les pièces du dossier ne permettent pas de déceler une quelconque collusion entre le directeur du SRE et le commissaire du gouvernement adjoint, ledit directeur n’étant pas à l’origine de la procédure disciplinaire menée à l’encontre de Monsieur (A) mais le ministre du ressort de l’appelant. S’il est exact que le directeur du SRE a été impliqué au niveau de l’instruction disciplinaire en dénonçant des faits portés à sa connaissance, en se renseignant sur l’état d’avancement du dossier, en étant entendu comme témoin et en versant des pièces au dossier, ces interventions rentrent dans le cadre d’action d’un chef d’administration responsable de la bonne réputation du service qu’il dirige et ne sauraient être qualifiées d’actes de « collusion » avec le commissaire du gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire viciant fondamentalement l’instruction disciplinaire.
Il s’ensuit qu’aucune partialité ni objective ni subjective dans le chef du commissaire du gouvernement ne ressort du dossier, de sorte que le moyen afférent de Monsieur (A) est à rejeter.
Concernant finalement le reproche de l’appelant que les délégués du gouvernement sont des fonctionnaires rattachés au ministère de la Fonction publique et plaident de la sorte devant le chef du cabinet dudit ministère, la Cour ne perçoit pas en quoi cette appartenance au ministère ayant la fonction publique en ses attributions poserait un problème d’impartialité au niveau du conseil de discipline, son rôle consistant précisément à défendre les intérêts du gouvernement et à requérir éventuellement une sanction disciplinaire à l’égard d’un fonctionnaire fautif et non pas à participer à la prise de décision du conseil de discipline.
Il s’ensuit que l’argumentation afférente de Monsieur (A) est également à abjuger.
Au vu de ce qui précède, la Cour n’est dès lors pas non plus amenée à saisir la CJUE de la question préjudicielle suggérée par l’appelant.
Monsieur (A) réitère ensuite son moyen tiré d’une violation du principe non bis in idem en raison de sa condamnation au pénal pour les mêmes faits par un jugement rendu le 26 novembre 2020 par le tribunal correctionnel de Diekirch en argumentant que l'autonomie du droit disciplinaire par rapport au droit pénal ne saurait se justifier par la seule différence des intérêts protégés, à savoir ceux de « la société » pour le droit pénal et ceux de « la fonction publique » pour le droit disciplinaire. Ainsi, le droit disciplinaire ne jouirait que d’une certaine autonomie s’il est circonscrit à des faits à qualifier exclusivement de disciplinaires, mais que dans le présent dossier 7 Cour adm. 14 juillet 2016, n° 37460C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Fonction publique, n° 285 et autres références y citées 19les faits en cause ne seraient pas des « éléments typiques à une infraction d’ordre disciplinaire ».
En effet, il s’agirait des mêmes faits que ceux jugés par la juridiction pénale et de la même sanction encourue et il n’y aurait aucun caractère propre à la faute disciplinaire lui reprochée. Partant, les faits susceptibles d'être sanctionnés pénalement et qui ont déjà fait l'objet d'une peine pénale ne seraient pas susceptibles de donner lieu à une sanction disciplinaire sous peine de faire double emploi, d’autant plus que la sanction de la révocation serait une sanction assimilable à la sanction pénale pouvant être prononcée par le juge pénal en application des articles 11, paragraphe (1), et 24 du Code pénal, peine que le juge pénal n’aurait cependant pas prononcée en l’espèce, tout en rappelant dans ce contexte que le conseil de discipline n’aurait pas caractérisé d’éventuels manquements disciplinaires mais se serait limité à reprendre la qualification des faits telle que faite par le juge pénal.
C’est cependant à bon droit que les premiers juges ont rappelé qu’il est de jurisprudence constante que le principe non bis in idem, qui fait certes obstacle à ce que l’administration puisse sanctionner disciplinairement deux fois ou davantage une personne en raison des mêmes faits, ne s’oppose toutefois pas à ce qu’il soit infligé, à raison des mêmes faits, une sanction pénale et une sanction disciplinaire, dès lors que ces deux types de sanctions sont de nature différente et poursuivent des objectifs différents. En effet, l'autonomie du droit disciplinaire et les caractères propres à la faute disciplinaire font que celle-ci est déterminée selon des critères qui sont différents de ceux qui permettent de définir l'infraction pénale. Cette indépendance se manifeste notamment du point de vue qu'un même fait peut s'analyser à la fois en une faute pénale et en une faute disciplinaire, entraînant les deux formes de poursuite, ce qui revient à dire que la règle non bis in idem ne s'applique pas dans les rapports du droit pénal et du droit disciplinaire. En effet, le but de ces deux procédures est distinct, puisque, d'une part, au niveau de la répression pénale, l'intérêt de la société est en jeu, alors que, d'autre part, au niveau de la répression disciplinaire, seul l'intérêt de la fonction publique est à considérer.8 C’est encore à juste titre que les premiers juges ont relevé que si le jugement du tribunal correctionnel de Diekirch du 26 novembre 2020 avait retenu que les faits commis par Monsieur (A) étaient à qualifier d’infractions pénales, à savoir notamment de détournement de deniers publics, de blanchiment-détention et de blanchiment-utilisation, de la prise illégale d’intérêts et du faux en écriture publiques, les mêmes comportements sont également à qualifier de fautes disciplinaires, le conseil de discipline ayant conclu, pour chaque comportement retenu à l’égard de l’appelant, à une violation des devoirs et obligations lui incombant en sa qualité de fonctionnaire en vertu des articles 9, 10 et 15 du statut général.
Sur ce point, c’est encore à juste titre que le tribunal a rejeté l’argumentation de Monsieur (A) selon laquelle la sanction de la révocation serait une sanction assimilable à la sanction pénale prévue par l’article 11 du Code pénal. En effet, force est de constater en premier lieu que l’appelant n’a précisément pas écopé de cette peine, facultative et limitée dans la durée aux termes de l’article 24 du Code pénal, applicable en matière correctionnelle, ladite sanction impliquant une interdiction de remplir des fonctions, emplois ou offices publics, peine pouvant être prononcée à l’encontre de toute personne qu’elle soit agent public ou non, tandis que la sanction disciplinaire de la révocation ne concerne que les fonctionnaires publics. En outre, la conséquence d’une 8 Cour adm. 13 mars 2014, n° 31821Ca du rôle, Pas. adm. 2022, V° Fonction publique, n° 243 et autres références y citées 20condamnation pénale à pareille interdiction ne relève pas de la procédure disciplinaire, telle que réglée par les articles 51 et suivants du statut général, mais elle comporte pour le fonctionnaire la perte de plein droit de son emploi, de son titre et de son droit à la pension en application de l’article 49 du statut général.
Le moyen de l’appelant tiré d’une prétendue violation du principe non bis in idem est partant à rejeter.
Finalement, Monsieur (A) soutient que la sanction disciplinaire prononcée à son encontre serait disproportionnée et violerait le principe général du délai raisonnable.
Il expose sur ce point qu’il aurait accédé le 1er décembre 2008 à la carrière supérieure de l’attaché, par changement de carrière, que depuis 2013, il aurait obtenu trois promotions aux grades 14, 15 et 16 et que les faits lui reprochés n’auraient pas entravé le bon fonctionnement du service public à l’occasion des tâches lui confiées. Ainsi, durant les huit années postérieures aux faits et les années ayant suivi le jugement pénal du 26 novembre 2020, jamais l’Etat employeur n’aurait remis en cause sa confiance envers lui et il n’aurait jamais été envisagé de mettre fin, même de manière conservatoire, à la relation de travail. En outre, l’appelant fait valoir qu’il aurait un casier disciplinaire vierge avec une grande ancienneté dans la fonction publique et qu’il aurait remboursé l’ensemble des sommes détournées.
Dans sa réplique, l’appelant signale encore qu’il se dégagerait de diverses jurisprudences que des fonctionnaires, accusés de faits nettement plus graves, auraient été condamnés à des peines manifestement moins sévères.
Quant au dépassement du délai raisonnable, il faudrait prendre en compte la durée s'étant écoulée entre la date de notification des reproches à l’origine de la procédure disciplinaire, en l’occurrence le 3 janvier 2012, et la décision juridictionnelle du 27 juin 2023 statuant sur le recours introduit contre la sanction disciplinaire prononcée le 30 mars 2021, soit en tout plus de 11 années. Il y aurait dès lors, en l'espèce, un dépassement du délai raisonnable susceptible de se répercuter sur la prise en compte du caractère proportionné de la peine disciplinaire prononcée à son encontre, en ce qu’un tel dépassement serait susceptible d'aboutir à un allègement de la sanction à prononcer sur le plan disciplinaire.
Finalement, Monsieur (A) estime encore que la partie étatique ne saurait valablement argumenter qu’il n’aurait pas droit à un allègement de la sanction en raison de son âge et du fait qu’il est entretemps à la retraite, étant donné qu’une attitude plus diligente des autorités étatiques aurait engendré que l’éventail des sanctions susceptibles d’être prononcées à son encontre, ayant pu avoir un effet concret sur sa situation, eût été plus large.
L’article 9 du statut général énonce ce qui suit :
« 1. Le fonctionnaire est tenu de se conformer consciencieusement aux lois et règlements qui déterminent les devoirs que l’exercice de ses fonctions lui impose.
21Il doit de même se conformer aux instructions du gouvernement qui ont pour objet l’accomplissement régulier de ses devoirs ainsi qu’aux ordres de service de ses supérieurs.
2. Il est responsable de l’exécution des tâches qui lui sont confiées ; il doit prêter aide à ses collègues dans la mesure où l’intérêt du service l’exige, la responsabilité de ses subordonnés ne le dégage d’aucune des responsabilités qui lui incombent (…) ».
Aux termes de l’article 10 du statut général :
« 1. Le fonctionnaire doit, dans l’exercice comme en dehors de l’exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public. (…) 3. Le fonctionnaire ne peut solliciter, accepter ou se faire promettre d’aucune source, ni directement ni indirectement, des avantages matériels dont l’acceptation pourrait le mettre en conflit avec les obligations et les défenses que lui imposent les lois et les règlements et notamment le présent statut. ».
Finalement, l’article 15 du statut général dispose que :
« Le fonctionnaire qui dans l’exercice de ses fonctions est amené à se prononcer sur une affaire dans laquelle il peut avoir un intérêt personnel de nature à compromettre son indépendance doit en informer son supérieur hiérarchique. (…) ».
La Cour relève que dans sa décision du 30 mars 2021, le conseil de discipline a notamment relevé ce qui suit :
« Il est indéniable que les faits avérés commis (…) sont d’une particulière gravité, accentuée par la condamnation au pénal à une peine d’emprisonnement intervenue pour des infractions décriminalisées et des délits commis en concours réel, dépassant le cadre strictement disciplinaire, et particulièrement révélatrice de l’énergie criminelle de (A). Sous cet égard il importe donc peu que (A) n’a aucun antécédent disciplinaire à sa charge.
S’y ajoute que l’attitude adoptée par (A) tout au long de l’instruction disciplinaire, une fois confronté avec des éléments objectifs, est tout simplement indigne d’un fonctionnaire de la carrière supérieure. Au lieu de prendre position sans tergiverser et d’assumer sa responsabilité par rapport à ses agissements, il s’est empêtré dans ses propres contradictions, déployant des efforts considérables pour contester l’incontestable et pour tenter de faire endosser une part de responsabilité par d’autres personnes. Le Conseil de Discipline note, à la lecture du jugement pénal, que même dans le cadre de l’instruction pénale, y compris l’instruction à l’audience, (A) s’est distingué par « des explications des plus chimériques », « des versions divergentes », « des incohérences en général des explications invraisemblables » et ne peut que rejoindre le constat de la « désinvolture avec laquelle (A) a abusé de sa position au sein du Service de Renseignement » pour pouvoir se livrer à tous ces agissements fautifs ».
22De manière générale, la première obligation du fonctionnaire consiste à avoir un comportement digne en toutes circonstances, dans l’exercice comme en dehors du service, et à s’assurer que la réputation de l’administration soit préservée.
Il convient d’abord de noter que la sanction disciplinaire infligée à l’appelant l’a été sur la base de griefs établis par le jugement du tribunal correctionnel de Diekirch du 26 novembre 2020, actuellement coulé en force de chose jugée, l’intéressé ne contestant plus autrement à l’heure actuelle la matérialité des faits lui reprochés et remontant aux années 2008 à 2010 en sa qualité de conseiller de direction adjoint du SRE.
En outre, la Cour se doit de relever, à l’instar du conseil de discipline, l’extrême gravité des faits avérés, l’appelant ayant gravement violé, dans le cadre de sa fonction et à de multiples reprises, son obligation de se conformer aux lois et règlements lui imposés et compromis de la sorte les intérêts du service public, en abusant de la confiance lui accordée par sa hiérarchie, dans le but de s’enrichir personnellement au détriment de l’Etat.
Il s’y ajoute que les faits établis se sont étalés sur une période de deux années au sein du SRE, service étatique d’une particulière sensibilité devant pouvoir compter sur des fonctionnaires à l’abri de tout soupçon faisant preuve d’une moralité exemplaire.
De plus, il n’est pas contesté que les faits litigieux, d’ailleurs également passibles de peines correctionnelles, concernant les délits de blanchiment et de prise illégales d’intérêts, respectivement criminelles, en ce qui concerne le détournement de deniers publics et le faux en écritures publiques, ont gravement porté atteinte à la dignité de ses fonctions, tout en ayant donné lieu à un scandale retentissant ayant finalement engagé la responsabilité politique du ministre de l’Etat de l’époque.
Finalement, tel que relevé à bon escient par le délégué du gouvernement, il se dégage du rapport d’instruction que Monsieur (A), lors de l’instruction pénale, n’a jamais reconnu le caractère fautif des faits lui reprochés en niant « jusqu’au bout » les évidences et n’a pas montré le moindre signe de repentir.
Dès lors, la Cour arrive à la conclusion que l’appelant a méconnu ses obligations statutaires telles que découlant du statut général, dont notamment l’article 10, paragraphe 1er, alinéa 1er, qui impose au fonctionnaire d’éviter tout comportement qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public, sans que ces manquements objectifs ne puissent être atténués par une quelconque explication crédible.
Concernant la gravité de la sanction disciplinaire à retenir à l’encontre de Monsieur (A), l’article 53 du statut général prévoit que « l’application des sanctions se règle notamment d’après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé ».
La Cour constate que Monsieur (A) a accédé le 1er décembre 2008 à la carrière supérieure de l’attaché par changement de carrière, qu’il est actuellement âgé de … ans et à la retraite depuis le 231er janvier 2021, qu’il n’a pas d’antécédents disciplinaires et qu’il n’est pas contesté qu’il a entretemps remboursé les montants détournés.
Néanmoins, la Cour partage l’appréciation des premiers juges ayant retenu qu’au vu de l’énergie criminelle mise en lumière par le comportement de l’appelant, l’insouciance et le manque d’introspection de ce dernier, qui a essayé par tous les moyens, au cours de la procédure pénale menée à son encontre, de se délier de sa responsabilité en niant les évidences, seule la sanction la plus grave de la révocation est de nature à sanctionner adéquatement sur le plan disciplinaire les faits reprochés, sans qu’une disproportion ne puisse être constatée à cet égard.
Cette conclusion n’est énervée ni par le fait que l’appelant a fini par rembourser intégralement les sommes détournées, vu qu’il n’a jamais assumé ses responsabilités en fournissant de nombreuses explications incohérentes et invraisemblables par rapport aux faits lui reprochés, ni par l’absence d’antécédents disciplinaires dans son chef, au vu de sa haute fonction occupée auprès du SRE exigeant un comportement exemplaire.
C’est partant à tort que l’appelant réclame l’application d’une sanction moins sévère au regard de circonstances atténuantes.
Quant à la durée de la procédure disciplinaire au regard du principe général du délai raisonnable, la Cour rappelle que ledit principe est appelé à régir l’ensemble de la procédure, à la fois précontentieuse et contentieuse, en ce sens que ce principe peut être invoqué en tant que correctif pour rétablir, en raison de l’écoulement du temps, l’équilibre entre l’exercice de l’autorité administrative, d’une part, et celui de la situation du fonctionnaire sous instruction disciplinaire, pour autant que des délais accumulés ne résultent pas du seul fait de ce dernier, d’autre part, y compris l’impact à relativiser à cet escient concernant la peine à prononcer le cas échéant.9 – Même en l'absence de texte prévoyant un délai déterminé, toute autorité disciplinaire a, dès qu’elle a connaissance de faits susceptibles de donner lieu à sanction, l’obligation d’entamer et de poursuivre la procédure disciplinaire avec célérité afin que sa décision intervienne dans un délai raisonnable. En effet, le respect du délai raisonnable s’impose notamment pour assurer la sécurité juridique et pour éviter une trop longue incertitude sur l’issue de la procédure disciplinaire. Le caractère raisonnable du délai doit être apprécié in concreto dans chaque cas et aux divers stades de la procédure, en fonction des circonstances de la cause, de la nature de l’affaire, du comportement de l’agent et de celui de l’autorité.10 La Cour tient à rappeler que le dépassement du délai raisonnable ne peut justifier la nullité de la procédure, mais est susceptible d’entraîner une réduction réelle de la sanction à prononcer par le juge administratif siégeant comme juge de la réformation.
Pour l’appréciation du caractère raisonnable du délai, le point de départ du délai est constitué par la notification du reproche qui déclenche la procédure disciplinaire susceptible d’aboutir à une sanction et il convient dès lors de prendre en compte la durée séparant la date de la notification des 9 Cour adm. 10 mai 2011, n° 27528C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Fonction publique, n° 279 et autres références y citées 10 Cour adm. 2 mai 2015, n° 34075Ca du rôle, Pas. adm. 2022, V° Fonction publique, n° 279 et autres références y citées 24faits reprochés ayant déclenché la procédure disciplinaire de la décision juridictionnelle définitive statuant sur le recours introduit contre la sanction disciplinaire.
Cependant, concernant précisément l’hypothèse d’une procédure pénale parallèle, il a été jugé qu’en présence de poursuites pénales pour les mêmes faits, l'autorité, si elle n'est pas tenue de surseoir à statuer jusqu'à ce que la juridiction répressive se soit définitivement prononcée, peut toutefois estimer prudent d'attendre qu'une décision judiciaire ait statué définitivement sur l'action publique en vue d’arrêter la matérialité des faits litigieux, sans que ce choix ne la dispense de l'obligation de statuer, par la suite, dans un délai raisonnable11.
Cette solution s’impose d’autant plus en l’espèce au vu de l’attitude de Monsieur (A), n’ayant jamais assumé ses responsabilités tout au long de la procédure pénale mais ayant au contraire continué à nier les évidences par ses nombreuses contestations et explications incohérentes, de sorte que la matérialité des multiples faits à la base de sa condamnation disciplinaire n’a pu être établie définitivement que par le jugement pénal précité du 26 novembre 2020.
Partant, la Cour partage la conclusion des premiers juges qu’il ne peut être reproché aux autorités disciplinaires d’avoir attendu que la procédure pénale soit clôturée par le jugement du tribunal correctionnel de Diekirch du 26 novembre 2020 et que ce dernier soit coulé en force de chose jugée.
Concernant ensuite la durée de l’instruction disciplinaire, il ressort des éléments et pièces du dossier administratif que le Premier ministre a saisi le commissaire du gouvernement en date du 21 décembre 2011 des faits incriminés et qu’en date du 30 septembre 2013, après avoir posé une multitude d’actes d’instruction, le commissaire du gouvernement a clôturé son instruction par l’émission de son rapport d’instruction complémentaire. Il se dégage en outre du dossier que par courrier du président du conseil de discipline du 14 novembre 2013, Monsieur (A) a été informé de la suspension de la procédure disciplinaire en attendant l’issue de l’instruction pénale.
Suite au jugement du tribunal correctionnel de Diekirch du 26 novembre 2020, le conseil de discipline a prononcé en date du 30 mars 2021, soit quatre mois plus tard, la sanction disciplinaire de la révocation à l’encontre de Monsieur (A). La Cour constate dès lors que la procédure précontentieuse s’est étalée sur deux périodes respectives de 21 et 4 mois, soit un total de 25 mois.
Suite à l’introduction du recours contentieux le 29 juin 2021, le tribunal administratif a rendu le jugement entrepris le 27 juin 2023, soit à peu près 24 mois après le dépôt de la requête introductive de première instance.
La durée totale de la procédure disciplinaire entamée le 21 décembre 2012, y non compris la durée de la procédure pénale, et la date du prononcé du présent arrêt s’élève dès lors à peu près à 55 mois.
En premier lieu, la Cour retient que la durée sur laquelle s’est étalée la procédure précontentieuse, à savoir pratiquement 25 mois, n’a rien d’excessif, spécialement au regard de la multitude des actes d’instruction accomplis.
11 Cour adm. 11 novembre 2008, n° 24324C du rôle, Pas. adm 2022, V° Fonction publique, n° 280 et les autres références y citées 25 Il en est de même pour la durée du délai d’à peu près 17 mois qui s’est écoulée entre la fin de l’instruction de l’affaire devant le tribunal administratif fin janvier 2022 et le prononcé du jugement par le tribunal administratif le 27 juin 2023, entrecoupé par l’audience des plaidoiries de l’affaire devant le tribunal du 24 février 2023, délai qui d’un point de vue objectif n’est pas excessif au vu de la multitude des manquements disciplinaires établis à l’encontre de Monsieur (A).
Au vu de ce qui précède, la Cour retient que le délai global entre la date de prise de connaissance des faits à la base de la présente procédure disciplinaire et le jour du prononcé du présent arrêt, y non compris la durée de la procédure pénale, soit à peu près 55 mois, n’est pas excessif, au vu des circonstances de la cause, de sorte que l’argumentation afférente de l’appelant est à rejeter.
Quant au recours contre l’arrêté grand-ducal du 6 mai 2021 Concernant ledit arrêté grand-ducal, Monsieur (A) conclut d’abord à une violation de l'article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », alors qu’il n’aurait ni été informé de l'intention de l'administration par la communication des éléments de fait et de droit qui l'amènent à agir, ni bénéficié d'un quelconque délai pour prendre position.
En deuxième lieu, il invoque une violation de l'article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, en ce que l'arrêté grand-ducal du 6 mai 2021 aurait abrogé, avec effet à la même date, l'arrêté grand-ducal du 21 août 2020 lui accordant démission honorable de ses fonctions à partir du 1er janvier 2021 avec attribution du titre honorifique de ses fonctions, l’appelant soulignant que l'arrêté grand-ducal du 21 août 2020 serait sans équivoque un acte recognitif de droits.
Il estime que l’arrêté grand-ducal du 6 mai 2021 aurait procédé à une « abrogation », tout en soutenant que cet acte serait soumis aux garanties de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
D’après l’appelant, les deux articles 8 et 9 précités entendraient faire coexister deux principes, à savoir celui de la légalité permettant à l’administration de faire disparaître de l’ordonnancement juridique un acte administratif illégal et celui de la sécurité juridique relevant de l’exigence de stabilité des situations juridiques recognitives de droit. Partant, ce serait à tort que l’autorité administrative aurait dans le cas d’espèce considéré qu’elle est en droit d’abroger « à tout moment » un acte administratif unilatéral créateur de droits. En outre, l’administration ne saurait prétendre pouvoir abroger un acte créateur de droits à tout moment, l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne l’y autorisant pas expressément. Or, dans la mesure où les garanties procédurales énoncées à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 auraient été étendues au retrait d’un acte administratif prévu à l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, les deux conditions de fond devant présider au retrait des actes administratifs, à savoir le délai de retrait de trois mois et l’obligation d’information, devraient être étendues à l’abrogation des actes administratifs.
26Partant, comme l'arrêté grand-ducal du 21 août 2020 lui accordant démission honorable de ses fonctions aurait été abrogé plus de 10 mois après par l'arrêté litigieux du 6 mai 2021, ce dernier serait à annuler de ce chef.
Aux termes de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 :
« En dehors des cas où la loi en dispose autrement, le retrait rétroactif d´une décision ayant créé ou reconnu des droits n´est possible que pendant le délai imparti pour exercer contre cette décision un recours contentieux, ainsi que pendant le cours de la procédure contentieuse engagée contre cette décision. (…) ».
Or, à l’instar des premiers juges, la Cour relève que l’arrêté grand-ducal du 21 août 2020 accordant à Monsieur (A) démission honorable de ses fonctions, s’il constitue bien un acte recognitif de droits dans le chef de l’appelant, n’a pas été retiré rétroactivement à la date où il a été pris, mais avec effet au 30 mars 2021, date de la décision du conseil de discipline, de sorte que ledit article 8 ne s’applique pas pour ne pas concerner le cas de figure se présentant en l’espèce, de sorte que le moyen afférent est d’ores et déjà à rejeter.
En ce qui concerne le moyen tenant à une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, disposant que « Sauf s´il y a péril en la demeure, l´autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d´office pour l´avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d´une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l´amènent à agir. (…) », c’est à bon droit que le délégué du gouvernement renvoie aux dispositions spécifiques du statut général et plus précisément à l’article 52 du statut général selon lequel « L’autorité de nomination est tenue d’appliquer la sanction disciplinaire conformément à la décision du Conseil de discipline visée à l’article 70. (…) » et de l’article 70 du statut général qui dispose que la décision sanctionnant l’agent « (…) est incessamment communiquée au ministère du ressort dont relève le fonctionnaire inculpé qui fait procéder à son application conformément à l’article 52, alinéa 1er ».
Finalement, l’article 46 du statut général dispose que :
« Le fonctionnaire qui a quitté le service reste soumis à la juridiction disciplinaire pour les faits ou omissions qui entraîneraient la révocation d’un fonctionnaire en activité. Toutefois l’action disciplinaire devra être intentée dans les six mois qui suivent la cessation des fonctions.
Si le fonctionnaire est reconnu coupable de tels faits ou omissions, il est déclaré déchu du titre, du droit à la pension et de la pension. Cette perte ne porte pas préjudice aux droits découlant de l’assurance rétroactive prévue en matière de coordination des régimes de pension ».
Partant, l’arrêté grand-ducal du 6 mai 2021 ne constitue qu’un simple acte d’exécution de la décision du conseil de discipline du 30 mars 2021 pris par l’autorité de nomination dans le cadre d’une compétence liée, en application des dispositions applicables du statut général, dont notamment son article 52, de sorte que l’arrêté grand-ducal du 21 août 2020 ayant accordé au 27demandeur démission honorable de ses fonctions à partir du 1er janvier 2021 avec attribution du titre honorifique de ses fonctions a dû encourir l’abrogation.
En effet, s’il est vrai que l’arrêté grand-ducal du 6 mai 2021 est intervenu en dehors de l’initiative de l’appelant, il n’en restait pas moins que l’autorité administrative n’a disposé d’aucune marge d’appréciation et qu’elle a statué dans le cadre d’une compétence liée. Dans ces conditions, des observations de Monsieur (A), à supposer qu’elles aient dû être fournies, n’auraient pu avoir la moindre influence concrète sur le contenu de la décision à prendre appliquant la sanction disciplinaire de la révocation prononcée le 30 mars 2021 et abrogeant l’arrêté grand-ducal du 21 août 2020.
Or, il convient de rappeler, dans le contexte de l’applicabilité éventuelle de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, que celui-ci s’inscrit dans le cadre des objectifs de la loi habilitante du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse, contenus à l’alinéa 2 de son article 1er énonçant que les règles générales destinées à réglementer la procédure administrative non contentieuse à résulter précisément du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 « doivent notamment assurer le respect des droits de la défense de l’administré en aménageant dans la mesure la plus large possible la participation de l’administré à la prise de la décision administrative ».
Toutefois, la procédure de collaboration prévue à travers l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 n’est pas une fin en soi et présuppose un objet restant à être discuté. Or, dans la mesure où l’arrêté grand-ducal du 6 mai 2021 ne constitue qu’un simple acte d’exécution pris par l’autorité de nomination dans le cadre d’une compétence liée en vertu des dispositions précitées du statut général, suite à la décision du conseil de discipline du 30 mars 2021 ayant, quant à elle, respecté les droits de la défense de Monsieur (A), il convient de rejeter également, par confirmation du tribunal, le moyen tiré d’une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel n’est pas fondé en ses deux volets, de sorte que l’appelant en est à débouter et le jugement dont appel à confirmer.
Monsieur (A) sollicite encore l’allocation d’une indemnité de procédure de chaque fois 1.250.-€ pour la première instance et pour l’instance d’appel.
Eu égard à l’issue du litige, lesdites demandes en allocation d'une indemnité de procédure sont à rejeter.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l'égard de toutes les parties ;
reçoit l'appel du 7 août 2023 en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
28partant, confirme le jugement du 27 juin 2023 ;
déboute Monsieur (A) de ses demandes en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne l’appelant aux dépens de l'instance d'appel.
Ainsi délibéré et jugé par :
Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le premier conseiller en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour ….
s. … s. SPIELMANN Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 janvier 2024 Le greffier de la Cour administrative 29