GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 48906C ECLI:LU:CADM:2024:48906 Inscrit le 5 mai 2023 Audience publique du 16 janvier 2024 Appel formé par l’(A) ((A)) a.s.b.l., ……, contre un jugement du tribunal administratif du 29 mars 2023 (n° 45819 du rôle) ayant statué sur son recours contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire en présence de la (B) (B), de Madame (D) et de Madame (F), ainsi que de la (G) ((G)), de Monsieur (H), de Monsieur (I) et de Monsieur (J), en matière de représentativité syndicale Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 48906C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 5 mai 2023 par Maître Benoît ENTRINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’association sans but lucratif (A) a.s.b.l. ((A)), établie et ayant son siège social à L-… …, …, …, inscrite au R.C.S. de Luxembourg sous le numéro …., agissant par ses représentants légaux, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 29 mars 2023 (n° 45819 du rôle) par lequel ledit tribunal l’a déboutée de son recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire du 2 mars 2021 portant retrait de la reconnaissance à l’(A) de la qualité de syndicat justifiant de la représentativité dans un secteur particulièrement important de l’économie, en l’occurrence celui des « banques et assurances » ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Max GLODE, en remplacement de l’huissier de justice Geoffrey GALLE, les deux demeurant à Luxembourg et immatriculés près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, du 15 mai 2023 portant signification de cette requête d’appel à :
- la (B) (B), établie et ayant son siège social à L-… …, …, …, représentée par son bureau exécutif, sinon son comité exécutif actuellement en fonctions, - Madame (D), prise en sa qualité de Présidente de l’(B), demeurant professionnellement à L…, …, …, - Madame (F), prise en sa qualité de Secrétaire Centrale de l’(B), demeurant professionnellement à L-… …, …, …, 1- la (G) ((G)), établie et ayant son siège social à L-… …, …, rue …, représentée par son comité directeur actuellement en fonctions, - Monsieur (H), pris en sa qualité de Président National du (G), demeurant professionnellement à L-… …, …, rue …, - Monsieur (I), pris en sa qualité de Secrétaire Général du (G), demeurant professionnellement à L-… …, …, rue …, - Monsieur (J), pris en sa qualité de Secrétaire Syndical du (G), demeurant professionnellement à L-… …, …, rue …, Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 5 juin 2023 par Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 12 juin 2023 par Maître Romain ADAM, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’(B), de Madame (D) et de Madame (F), préqualifiées ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 14 juin 2023 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom du (G), de Monsieur (H), de Monsieur (I) et de Monsieur (J), préqualifiés ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 14 juillet 2023 par Maître Benoît ENTRINGER au nom de l’appelante ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 27 septembre 2023 par Maître Romain ADAM au nom de l’(B), de Madame (D) et de Madame (F), préqualifiées ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 13 octobre 2023 par Maître Jean-Marie BAULER au nom du (G), de Monsieur (H), de Monsieur (I) et de Monsieur (J), préqualifiés ;
Vu le courriel de Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK du 19 octobre 2023 sollicitant la refixation de l’affaire initialement prévue pour plaidoiries à l’audience du 24 octobre 2023 suite à la non-communication du mémoire en réplique du 14 juillet 2023 de l’appelante à la partie étatique ;
Vu le courriel du greffe de la Cour administrative du 19 octobre 2023 refixant l’affaire pour plaidoiries à l’audience du 23 novembre 2023 et autorisant la partie étatique à déposer un mémoire en duplique pour le 16 novembre 2023 ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 13 novembre 2023 par Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement dont appel ;
Le rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maîtres Benoît ENTRINGER, Romain ADAM, Jonathan HOLLER, en remplacement de Maître Jean-Marie BAULER, et Madame le délégué du 2gouvernement Charline RADERMECKER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 novembre 2023.
Par arrêté ministériel du 2 mars 2005, le ministre du Travail et de l’Emploi reconnut à l’a.s.b.l.
(A), ci-après désignée par « l’(A) », « conformément aux articles 3 et 8 de la loi du 30 juin 2004 concernant les repartions collectives de travail, le règlement des conflits collectifs de travail, ainsi que l’Office National de Conciliation, et notamment par application des articles 6 et 7 de la loi précitée » la qualité de « syndicat justifiant de la représentativité dans un secteur particulièrement important de l’économie luxembourgeoise, en l’occurrence pour les employés privés du secteur « banques et assurances » ».
Par courrier du 12 novembre 2020 remis en mains propres, la (B), ci-après « l’(B) », et la (G), ci-
après « le (G) », présentèrent au ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire, ci-après « le ministre », une requête de retrait de la représentativité sectorielle de l’(A) conformément à l’article L.161-8 du Code du travail en arguant en substance que cette dernière aurait enfreint les articles L.161-4, L-161-5, L.161-6 et L.161-7 dudit Code, articles encadrant les rapports collectifs du travail, et qu’elle ne remplirait plus les conditions de l’article L.161-7 du Code du travail pour ne pas avoir obtenu plus de 50% des voix lors des dernières élections aux délégations du personnel en 2019.
Cette requête de retrait de la représentativité sectorielle fut encore complétée par une prise de position commune de l’(B) et du (G) datant, d’après les explications non remises en cause de la partie étatique, du 25 novembre 2020.
Par courrier de son mandataire du 11 février 2021, l’(A) fit parvenir ses observations au ministre.
Par courrier du 23 février 2021, l’Inspection du travail et des mines, ci-après désignée par « l’ITM », s’adressa au ministre dans les termes suivants :
« (…) Par la présente, nous nous référons au courriel du 19 novembre 2020 de Madame (…), dont copie en annexe, nous demandant de bien vouloir vous communiquer un rapport circonstancié dans le cadre de la procédure prévue à l’article L.168-8 [L.161-8] du Code du travail et par rapport à la requête en retrait de la représentativité sectorielle de l’(A) déposée conjointement par l’(B) et le (G) en date du 12 novembre 2020.
A cet effet, et suite au courrier du 11 février 2021 de Me Benoît Entringer, mandataire de l’(A), nous vous prions de bien vouloir trouver en annexe ledit rapport circonstancié. (…) ».
Par décision du 2 mars 2021, le ministre procéda au retrait de la reconnaissance de l’(A), de sa qualité de syndicat justifiant de la représentativité dans un secteur particulièrement important de l’économie, décision formulée comme suit :
« (…) Vu les articles L. 161-3 à L. 161-8 du Code du travail ;
3Vu la demande de retrait de la reconnaissance comme syndicat justifiant de la représentativité dans un secteur particulièrement important de l’économie luxembourgeoise, en l’occurrence celui des « banques et assurances », accordée à (A) ((A)) par arrêté ministériel du 2 mars 2005, présentée le 12 novembre 2020 par les syndicats (B) et (G) sur base de l’article L. 161-8, paragraphe 3 ;
Vu l’avis circonstancié de l’Inspection du travail et des mines du 23 février 2021 établi conformément à l’article L. 161-8, paragraphe 1er du Code du travail ;
Considérant que la demande introduite par les syndicats (B) et (G) remplit les conditions de forme alors qu’elle a été remise en main propre, est motivée et est appuyée par des pièces ;
Considérant que les syndicats (B) et (G), en tant que syndicats justifiant de la représentativité nationale générale, sont signataires des conventions collectives de travail des salariés des secteurs des banques et des assurances ;
Considérant que l’(O) a partiellement dénoncé en date du 11 novembre 2020 la convention collective de travail des salariés du secteur des banques et que, conformément à l’article L.162-
10, paragraphe 1er du Code du travail, ceci vaut demande d’ouverture des négociations au sens de l’article L. 162-2 du même code ;
Considérant que les syndicats (B) et (G), en tant que syndicats justifiant de la représentativité nationale générale, font d’office partie de la commission de négociation à constituer en application de l’article L. 162-1, paragraphe 1er du Code du travail ;
Considérant dès lors que les syndicats (B) et (G) ont un intérêt né et actuel ;
Considérant qu’en date du 2 mars 2005 (A) ((A)) a été reconnue comme syndicat justifiant de la représentativité dans un secteur particulièrement important de l’économie luxembourgeoise, en l’occurrence pour le secteur « banques et assurances » sur base des résultats obtenus lors des élections de novembre 2003 dans le groupe 3 de la (K) ;
Considérant que dans le cadre de la fusion de l’ancienne (K) de l’ancienne (L) l’intitulé du groupe a été modifié mais la composition est restée la même ;
Considérant que (A) ((A)) a présenté des listes et obtenu des élus lors de la dernière élection pour la (Q) et remplit donc le critère prévu au point 1 de l’article L. 161-7 du code du travail ;
Considérant que lors de ces élections (A) ((A)) n’a obtenu que 49,22% des voix dans le groupe 4 « Banques et Assurances/services financiers et intermédiation financière » et que dès lors le critère prévu au point 2 premier tiret de l’article L. 161-7 du Code du travail n’est plus rempli ;
Considérant que la demande de retrait présentée conjointement par les syndicats (B) et (G) est fondée ;
4 Considérant que les pièces évoquées dans ce qui précède font partie intégrante du dossier et de la motivation du présent arrêté ;
Arrête:
Art. 1er. La reconnaissance comme syndicat justifiant de la représentativité dans un secteur particulièrement important de l’économie luxembourgeoise, en l’occurrence celui des « banques et assurances », est retirée à (A) ((A)).
Art. 2. L’arrêté ministériel du 2 mars 2005 portant reconnaissance à (A) ((A)) de la qualité de syndicat justifiant de la représentativité pour les employés privés dans un secteur particulièrement important de l’économie est abrogé.
Art. 3. Le présent arrêté est notifié aux parties intéressées et sa publication au Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg est ordonnée. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mars 2021 (n° 45819 du rôle), l’(A) introduisit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 2 mars 2021.
Par requête séparée déposée au greffe du tribunal administratif le 2 avril 2021 (n° 45850 du rôle), l’(A) sollicita le sursis à exécution de cette même décision, demande qui fut rejetée par ordonnance du président du tribunal administratif du 4 mai 2021.
Par jugement du 29 mars 2023, le tribunal administratif, après s’être déclaré incompétent pour connaître du recours principal en réformation, reçut le recours subsidiaire en annulation en la forme, au fond le déclara non justifié et en débouta la demanderesse, tout en condamnant celle-ci aux frais et dépens de l’instance.
Pour ce faire, le tribunal rejeta en premier lieu le moyen de l’(A) tiré d’une violation de l’article L.161-8, paragraphe (1), du Code du travail en raison de la prétendue inexistence d’un rapport circonstancié de l’ITM. Il releva notamment qu’au vu du dossier, la nature dudit rapport, de même que l’identité de son auteur et le fait qu’il soit intervenu préalablement à la décision ministérielle litigieuse ne pouvaient être raisonnablement mis en doute, tout en précisant que l’article L.161-8 du Code du travail ne prescrivait aucune forme particulière, pour pareil rapport et ne prévoyait, par ailleurs, aucune compétence personnelle particulière pour l’établissement dudit rapport, celui-
ci devant seulement émaner de l’ITM.
Quant aux développements de l’(A) relatifs aux articles 8 et 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, le tribunal nota que dans la mesure où la procédure de retrait de la reconnaissance de représentativité sectorielle était expressément prévue à l’article L.161-8 du Code du travail et que la demanderesse restait en défaut d’expliquer en quoi cette procédure ne lui garantirait pas une protection équivalente à celle prévue par les dispositions dudit règlement grand-ducal, les développements y relatifs étaient à rejeter.
5 Les premiers juges, après avoir retenu que l’intérêt né et actuel de l’(B) et du (G) ne pouvait être raisonnablement mis en doute, relevèrent encore dans ce contexte que, faute pour le ministre de s’être vu soumettre une demande de retrait de la reconnaissance de la représentativité sectorielle de l’(A) directement après les élections ayant eu lieu en 2019 par un syndicat présentant un intérêt né et actuel, celui-ci n’avait pas la possibilité de procéder au retrait, voire, d’abroger l’arrêté ministériel du 2 mars 2005 portant reconnaissance à l’(A) de sa qualité de syndicat justifiant de la représentativité sectorielle et que partant une éventuelle inaction de sa part concernant pareil retrait ne pouvait en tout état de cause être qualifiée d’accord tacite, le tribunal rappelant encore à cet égard que le législateur n’avait prévu aucun délai pour introduire une demande de retrait de représentativité sectorielle. Partant, le tribunal arriva à la conclusion que les développements de l’(A) quant à une prétendue reconnaissance tacite de sa représentativité sectorielle par le ministre laissaient également d’être fondés.
Après avoir cité l’article L.161-7, point (2), du Code du travail, le tribunal nota en premier lieu que pour retenir que l’(A) ne remplissait plus le critère de la représentativité sectorielle, le ministre avait considéré qu’elle n’avait pas obtenu 50% des voix pour le groupe 4 de la (Q) et s’était dès lors basé sur le premier tiret de l’article L.161-7, point (2), du Code du travail. Il souligna ensuite que le législateur n’avait pas fait dépendre l’applicabilité du premier ou deuxième tiret de l’article L.161-7, point (2), du Code du travail du nombre de conventions collectives caractérisant un groupe, mais que pour déterminer si le groupe 4 pouvait être qualifié de groupe coïncidant entièrement avec le champ d’application de la convention collective concernée, tel que visé au premier tiret dudit article L.161-7, point (2), il convenait de se référer, à l’instar de l’ITM, aux travaux parlementaires, le texte légal n’étant pas clair et précis.
Le tribunal nota qu’il se dégageait sans équivoque du commentaire des articles que le critère chiffré qu’un syndicat doit remplir pour pouvoir bénéficier d’une représentativité dans un secteur particulièrement important pour l’économie, critère formulé sous forme alternative, se rapportait à un cadre sectoriel déterminé et que c’était à bon droit que le ministre s’était basé sur les critères chiffrés prévus à l’article L.161-7, point (2), premier tiret, du Code du travail pour procéder au retrait de la reconnaissance de la représentativité sectorielle de l’(A) au niveau du groupe 4 à la (Q), ce d’autant plus que l’arrêté ministériel du 2 mars 2005 ayant, initialement, reconnu la représentativité sectorielle à l’(A) sur base des résultats obtenus lors des élections de novembre 2003 dans le groupe 3 de la (K), groupe intitulé « Employés appartenant au secteur des banques et assurances », était, quant à lui, également basé sur l’article L.161-7, point (2), premier tiret, du Code du travail.
Le tribunal rejeta encore le moyen de l’(A) tiré d’un prétendu défaut d’impartialité de l’ITM, en ce que celle-ci aurait fourni des renseignements à des représentants de l’(B) relatifs au résultat des élections de mars 2019 et ce à travers un échange de courriers électroniques entre les concernés datant d’octobre et de novembre 2020, en retenant en substance que la demanderesse restait en défaut de soulever une quelconque disposition légale qui aurait été violée, qualifiant les développements de l’(A) comme étant simplement suggérés et non soutenus effectivement.
Concernant finalement les contestations de l’(A) relatives aux résultats des élections de mars 2019, le tribunal constata d’abord que celle-ci avait expressément admis, dans sa prise de position 6adressée le 11 février 2021 au directeur de l’ITM, que lors de ces mêmes élections, elle « n’avait pas obtenu 50% des voix émises, mais seulement 49,22% » et que malgré cette circonstance tant le ministre que l’(B) et le (G) lui auraient reconnu sa représentativité sectorielle et son indépendance syndicale. Le tribunal en déduisit que l’(A) était partant malvenue de contester lesdits résultats, ce d’autant plus que dans le cadre de son recours, elle maintenait ses développements quant à une acceptation tacite du ministre en ce qui concerne sa qualité de syndicat bénéficiant d’une représentativité sectorielle en dépit des résultats obtenus lors des élections de mars 2019. Par ailleurs, le tribunal rejeta l’argumentation de la demanderesse basée sur l’affirmation que les « neutres et autres » auraient dû être pris en compte, de sorte qu’elle aurait obtenu non pas 49,22% des voix émises, mais bien 54,84%, la question de savoir s’il y a lieu de prendre en considération les candidats neutres ne se posant pas dans le cadre de l’article L.161-7, point (2), premier tiret, du Code du travail, mais uniquement dans le cadre du deuxième tiret du même article, non applicable en l’espèce.
Le tribunal rejeta partant le recours de l’(A) pour ne pas être fondé.
Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 5 mai 2023, l’(A) a fait relever appel du jugement du 29 mars 2023.
Dans son mémoire en réponse du 12 juin 2023, l’(B) soulève in limine litis l’« incompétence de la Cour » pour connaître d’un recours en réformation contre la décision ministérielle entreprise au motif qu’aucun recours au fond n’est prévu en la matière. Dans ce contexte, elle signale que, contrairement à ce que ferait valoir la partie appelante, le tribunal, dans son jugement du 29 mars 2023, n’avait pas déclaré le recours principal en réformation non justifié, mais s’était déclaré incompétent pour connaître du recours en réformation et avait bien statué sur la question du bien-fondé du recours en annulation.
Dans un deuxième ordre d’idées, l’(B) demande encore à la Cour de voir déclarer la requête d’appel nulle, sinon irrecevable, en ce que l’(A) ferait valoir que « l’appel est fondé sur ce que le jugement entrepris cause torts et griefs à l’appelant en ce qu’il a :
-
déclaré le recours principal en réformation (…) non justifié et en a débouté, -
dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation, (…) », et que pareille confusion ne lui permettrait pas de décerner l’intention de la partie appelante quant à une éventuelle limitation de son appel à certains points du jugement entrepris, voire quant au grief que le jugement a quo lui aurait concrètement causés.
La Cour tient à rappeler en premier lieu que la question de la compétence du juge administratif pour connaître d’un recours devient en appel une question de fond qui conditionne le bien-fondé de l’appel et non la compétence de la Cour pour connaître de l’appel régulièrement formé1, la compétence de la Cour se résumant à se prononcer sur les appels interjetés contre les jugements de première instance.
Partant, l’argumentation afférente de l’(B) demandant à la Cour de se déclarer incompétente est à rejeter, la question de la nature du recours prévu par le Code du travail en la présente matière relevant du fond du litige.
1 cf. Cour adm. 18 décembre 2018, n° 41576C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 1167 7 L’appel ayant pour le surplus été relevé suivant les formes et délai par la loi, il est recevable.
La Cour constate ensuite que si en page 2 de sa requête d’appel, la partie appelante n’a pas cité correctement le dispositif du jugement entrepris et a par ailleurs admis à l’audience des plaidoiries du 23 novembre 2023 que sa requête d’appel est « mal rédigée » sur ce point, il se dégage cependant clairement du dispositif de la requête d’appel, auquel la Cour se réfère seul, que l’(A) demande à ce que son appel soit déclaré fondé, tout en sollicitant la réformation sinon l’annulation de la décision du ministre du 2 mars 2021.
Au vu de ce qui précède, la terminologie certes malencontreuse contenue au dispositif de la requête d’appel, par laquelle l’appelante sollicite principalement la réformation et seulement en ordre subsidiaire l’annulation de la décision ministérielle, n’a pas pu engendrer un doute préjudiciable aux droits de la défense de l’(B) et ne porte dès lors pas à conséquence, de sorte que le moyen afférent tendant à voir « déclarer nulle, sinon irrecevable la requête d’appel en la forme » est à rejeter.
A travers son mémoire en réponse, l’(B) demande encore la suppression d’un certain nombre de passages contenus dans la requête d’appel pour être calomnieux, injurieux ou diffamatoires, par application de l’article 452, alinéa 2, du Code pénal, et plus précisément les passages suivants :
« Comme l’(A) est, et de loin, le syndicat le plus représentatif dans le secteur « banques et assurance » cette démarche ministérielle visait indubitablement à affaiblir sa position et donc celle de ses membres et sympathisants à un moment critique pour l’ensemble des salariés du secteur, secteur, comme dit le ministre, particulièrement important pour l’économie nationale.
La décision entreprise n’est pas faite pour favoriser tous les salariés du secteur, mais uniquement pour mettre en position de force, si faire se peut, les centrales bénéficiaires de la décision dont s’agit.
Celle-ci n’est basée sur rien d’autre que le quorum numérique fixé ne varietur en mars 2019 et sur la perspective d’avenir par l’élimination d’un concurrent puissant et donc gênant.
Ainsi se trouvent réunies toutes les conditions qui caractérisent l’absence de droit par trafic d’influence ».
Il y a lieu de noter en premier lieu que la possibilité de prononcer même d’office la suppression des écrits devant les juridictions administratives est expressément prévue à l’article 31 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, rendu applicable en instance d’appel par l’article 54 de ladite loi.
Il convient de constater ensuite que par les passages incriminés, l’(A) insinue en substance que le ministre, en raison d’affinités particulières, n’aurait pas statué en droit, mais se serait laissé influencer par les syndicats (B) et (G) afin de retirer à un concurrent la représentativité sectorielle litigieuse. Or, si la terminologie choisie est certes à qualifier de « langage fort » et n’est pas 8forcément nécessaire ou indispensable pour soutenir l’argumentation de l’appelante, la Cour arrive cependant à la conclusion que par ces propos, le litismandataire de l’(A) tente de décrire le contexte politique et syndical dans lequel s’inscrit la décision litigieuse, et que, ce faisant, il n’a pas dépassé les limites à ne pas franchir en matière de liberté d’expression ni porté une atteinte démesurée aux droits de la défense des parties adverses.
Il s’ensuit que la demande en suppression des passages incriminés présentée par l’(B) est à abjuger.
A l’appui de son appel, l’(A) réitère en premier lieu son moyen de légalité externe tiré de la prétendue inexistence d’un rapport circonstancié de l’ITM en violation de l’article L.161-8, paragraphe (1), du Code du travail, d’après lequel « [l]a décision portant octroi, refus ou retrait de reconnaissance des qualités visées aux articles L.161-3 à L.167-7 incombe au ministre ayant le Travail dans ses attributions, statuant sur la base d’un rapport circonstancié établi par l’Inspection du travail et des mines ».
Elle relève dans ce contexte que le ministre, sous la signature de Monsieur (M), coordinateur général, aurait communiqué en date du 8 mars 2021 un document qui constituerait prétendument un rapport circonstancié émanant de l’ITM, document qui ne serait ni daté ni signé et qui ne comporterait pas d’entête, de sorte qu’il serait rigoureusement impossible d’en connaître l’auteur et d’apprécier si ledit écrit est antérieur à la prise de la décision ministérielle.
C’est cependant à bon escient que les parties intimées rétorquent que si l’avis en question ne comporte effectivement pas de signature et n’a pas été dressé sur un papier comportant l’entête de l’ITM, la nature de cet avis, de même que l’identité de son auteur ressortent à suffisance non seulement de son intitulé, à savoir « Rapport circonstancié sur base de l’article L.161-8 (1) du Code du travail concernant la demande en retrait de la représentativité sectorielle de l’(A), présentée conjointement par l’(B) et le (G) », mais également de son contenu, ledit rapport débutant en effet par la définition du champ d’analyse de l’ITM dans le cadre d’une procédure de demande de retrait de la représentativité sectorielle. Il se dégage en outre du dossier administratif, et, plus particulièrement, d’un courrier adressé le 23 février 2021 par le directeur de l’ITM au ministre, que celui-ci a identifié le rapport en question comme étant un rapport émanant de ses services et, comme préalable à une éventuelle décision de retrait de reconnaissance de représentativité, étant donné que dans ledit courrier le directeur de l’ITM a non seulement fait expressément référence à l’article L.161-8 du Code du travail, mais a également précisé que la communication du rapport en question se fait dans le cadre de la « requête en retrait de représentativité sectorielle de l’(A) déposée conjointement par l’(B) et le (G) en date du 12 novembre 2020 ». Pour le surplus, il convient encore de noter qu’il ressort du libellé de la décision du ministre du 2 mars 2021 que celui-ci s’est expressément référé à ce même rapport, en mentionnant « l’avis circonstancié de l’Inspection du travail et des mines du 23 février 2021 établi conformément à l’article L. 161-8, paragraphe 1er du Code du travail » et que l’(A) a elle-même reconnu l’existence de ce rapport circonstancié pour en avoir contesté certains extraits par son courrier officiel du 25 mars 2021.
Partant, le moyen de l’appelante tiré de la prétendue inexistence préalable d’un rapport circonstancié de l’ITM à la prise de la décision ministérielle est à rejeter pour manquer en fait.
9L’appelante conteste ensuite tout intérêt né et actuel dans le chef des syndicats (B) et (G) en ce que le ministre, depuis les dernières élections aux chambres professionnelles, aurait « pour le moins approuvé tacitement une situation existante depuis deux années déjà et bien connue par lui ». Cette situation aurait créé des droits qui ne pourraient être retirés au profit de deux centrales syndicales concurrentes au moment précis où dans le secteur « banques et assurances », des conventions collectives étaient venues à échéance avec des négociations en vue de modifier celles-
ci pour une nouvelle période de trois années. Comme elle serait de loin le syndicat le plus représentatif dans le secteur « banques et assurances », la démarche ministérielle aurait indubitablement visé à affaiblir sa position et partant celle de ses membres et sympathisants, à un moment critique pour l’ensemble des salariés du secteur et aurait été prise pour mettre en position de force les centrales bénéficiaires de la décision dont s’agit.
Dans ce contexte, l’(A) renvoie à la lettre conjointe de l’(B) et du (G) du 12 novembre 2020 à l’adresse du ministre, qui serait à l’origine de la décision de retrait du 2 mars 2021, et qui ne serait rien d’autre que la réponse indirecte au message de son secrétaire général du 10 novembre 2020 qui avait appelé à la solidarité des salariés et de leurs syndicats à la veille des négociations pour une nouvelle convention collective dans chacune des deux branches « banques » et « assurances ».
Or, les syndicats (B) et (G) auraient fait croire au ministre que leurs droits auraient été violés en passant sous silence que les démarches entreprises par l’(A) l’avaient été « sous réserve de la ratification par leurs membres respectifs ». Partant, loin de vouloir « faire bande à part », elle aurait toujours fait preuve de solidarité sociale et les syndicats (B) et (G) auraient eu intérêt à négocier avec les partenaires sociaux en vue d’aboutir à la conclusion de deux nouvelles conventions collectives de travail au lieu d’obtenir la révocation de la décision lui reconnaissant sa représentativité sectorielle, ce d’autant plus qu’elle devrait, de toute façon, être admise aux négociations de la convention collective litigieuse pour avoir obtenu plus de 50 % des suffrages lors des dernières élections pour les délégations du personnel dans les entreprises relevant de l’une comme de l’autre des deux conventions collectives en cause. Partant, les syndicats (B) et (G) auraient présenté un intérêt soi-disant né et actuel qui, en réalité, n’en serait pas un.
L’appelante soutient en outre que la décision ministérielle serait « empreinte de nullité » en ce que le ministre, à la suite des élections du 12 mars 2019 et d’une entrevue au cours du mois d’avril 2019, lui aurait assuré que sa représentativité sectorielle resterait acquise et que cette information n’aurait plus été démentie par les pouvoirs étatiques, ni par les autres organisations syndicales.
Ainsi, les actes administratifs individuels créateurs de droit bénéficieraient d’une intangibilité de principe et l’administré serait en droit d’avoir une confiance légitime dans le fait que l’administration ne portera pas atteinte à l’avenir au droit ainsi conféré. L’(A) estime encore que s’il n’était pas exclu de retirer pour l’avenir un doit acquis, encore faudrait-il que l’administration motive sa décision et qu’elle respecte « les formes légales » et que le ministre, en revenant sans justification particulière sur sa décision antérieure, tout en ne respectant pas les conditions légales pour le faire, aurait rompu « cette confiance légitime ».
Les parties intimées concluent au rejet de ces moyens.
Aux termes de l’article L.161-8 du Code du travail :
10« (1) La décision portant octroi, refus ou retrait de reconnaissance des qualités visées aux articles L.161-3 à L.161-7 incombe au ministre ayant le Travail dans ses attributions, statuant sur la base d’un rapport circonstancié établi par l’Inspection du travail et des mines.
(2) La décision d’octroi ou de refus est rendue à la requête du syndicat intéressé joignant à sa demande dûment motivée toutes les pièces à l’appui.
(3) La décision de retrait est rendue à la requête de tout syndicat justifiant d’un intérêt né et actuel (…) ».
Tel que relevé à juste titre par les premiers juges, et indépendamment de la question de savoir si l’(A) avait décidé de faire « cavalier seul » en vue d’aboutir à un accord de principe avec l’(N) ((N)) et l’(O) (O) visant purement et simplement à reconduire les conventions collectives sectorielles concernées, il se dégage du dossier soumis à l’appréciation de la Cour que les syndicats (B) et (G) disposaient d’un intérêt né et actuel au jour de l’introduction de la demande de retrait de la représentativité sectorielle de l’(A). En effet, il ressort du rapport circonstancié de l’ITM qu’en date du 11 novembre 2020, l’(O) avait partiellement dénoncé la convention collective des salariés des banques, dénonciation valant, d’après l’article L.162-10, paragraphe (1),2 du Code du travail, demande d’ouverture de négociations au sens de l’article L.162-2 du même code, et que l’(B) et le (G), en tant que syndicats représentatifs à l’échelle nationale, ont à l’évidence un intérêt direct et personnel à participer aux négociations collectives et ce conformément aux articles L.162-
1 et suivants du Code du travail et partant à contester la représentativité d’un syndicat partie aux mêmes négociations. Comme, la représentativité nationale dans le chef tant de l’(B) que du (G) n’est pas contestée, et qu’en tant que tels, ils sont appelés à participer à la négociation des conventions collectives de travail et notamment à celles prévues pour le groupe 4 de la (Q), conventions dont ils sont signataires, et ce conformément à l’article L.162-1 du Code du travail, leur intérêt né et actuel de contester la représentativité sectorielle de l’(A) est donné suite à la dénonciation partielle de la convention collective des salariés de banque par l’(O).
Partant, au vu du simple constat que tant l’(B) et le (G) sont des syndicats représentatifs sur la plan national et signataires aux conventions collectives litigieuses, leur intérêt né et actuel à demander le retrait de la représentativité sectorielle de l’(A) pour pouvoir participer aux négociations desdites conventions collectives est donné et le moyen afférent de l’appelante est partant à rejeter.
Il convient de relever ensuite que si l’article L.161-8 du Code du travail prévoit certes la possibilité pour le ministre d’octroyer voire de retirer la reconnaissance de représentativité sectorielle à un syndicat, cette possibilité suppose toutefois toujours une demande préalable d’un syndicat justifiant d’un intérêt né et actuel et ledit article ne prévoit pas la possibilité pour le ministre de procéder à un tel octroi ou encore retrait de sa propre initiative, le paragraphe (2) dudit article prévoyant expressément que « [l]a décision d’octroi ou de refus est rendue à la requête du syndicat intéressé joignant à sa demande dûment motivée toutes les pièces à l’appui ».
Pour le surplus, tel que relevé de manière pertinente par les parties intimées, l’article L.161-8, paragraphe (3), du Code du travail ne prévoit aucun délai ou instant précis pour un syndicat 2 « (1) La convention collective de travail peut être dénoncée, en tout ou partie, moyennant un préavis à fixer par la convention collective. (…) La dénonciation faite conformément à l’alinéa qui précède vaut demande d’ouverture de négociations au sens de l’article 162-2. ».
11intéressé justifiant d’un intérêt né et actuel pour introduire sa demande de retrait de la représentativité. Partant, à défaut de s’être vu soumettre pareille demande de retrait de la représentativité sectorielle de l’(A) directement après les élections ayant eu lieu au mois de mars 2019, le ministre n’avait pas la possibilité légale de se prononcer sur la représentativité sectorielle de l’(A) et de procéder au retrait voire d’abroger l’arrêté ministériel du 2 mars 2005 portant reconnaissance à l’(A) de sa qualité de syndicat justifiant de la représentativité sectorielle et une éventuelle inaction de sa part concernant un tel retrait ne saurait partant être qualifiée d’accord tacite ayant pu faire naître un droit acquis dans le chef de l’appelante.
Au vu de ce qui précède, la Cour retient dès lors que le ministre ne dispose d’aucun droit de prendre une initiative en vue d’une décision portant octroi, refus ou retrait de reconnaissance d’une représentativité dans le chef d’une organisation syndicale, ce droit incombant uniquement à un syndicat justifiant d’un intérêt né et actuel.
Il s’ensuit que le ministre n’a pas non plus pu assurer à l’(A) que sa représentativité sectorielle après les élections du 12 mars 2019 lui resterait acquise et que celle-ci aurait été en droit d’avoir une confiance légitime en qu’il ne serait pas porté atteinte au prétendu droit ainsi conféré jusqu’à la prochaine échéance électorale.
Finalement, concernant le reproche que le ministre n’aurait pas respecté « les formes légales », il convient de noter que la partie appelante avait fait parvenir au ministre en date du 11 février 2021, par l’intermédiaire de son mandataire, une prise de position circonstanciée et que le ministre a pris sa décision conformément aux dispositions légales applicables sur base du rapport circonstancié dressé par l’ITM, tel que prévu à l’article L.161-8, paragraphe (1), du Code du travail, rapport qui a expressément pris en compte le point de vue de l’(A) se dégageant de sa prise de position du 11 février 2021.
L’argumentation afférente de l’appelante est partant à rejeter.
L’appelante réitère ensuite son moyen d’annulation de la décision ministérielle litigieuse en soutenant que le ministre aurait fait une application erronée de la loi en prenant en compte le seuil fixé à l’article L.161-7, point (2), premier tiret, du Code du travail, au lieu de se référer au seuil prévu au second tiret du point (2) de ce même article. Dans ce contexte, l’(A) critique la motivation des premiers juges ayant retenu qu’elle n’aurait obtenu que 49,22% des voix dans le groupe 4 « banques et assurances – services financiers et intermédiation financière » et que partant le critère prévu au point 2, premier tiret, de l’article L.161-7 ne serait plus rempli. L’appelante soutient dans ce contexte que le ministre aurait appliqué une mauvaise base légale et que serait tout au plus l’article L.161-7, point (2), deuxième tiret, du Code du travail qui serait applicable, l’appelant argumentant que l’analyse du ministre reposerait sur la prémisse erronée qu’il n’y aurait qu’une seule convention collective concernant le groupe 4 « Salariés appartenant au secteur des services financiers et de l’intermédiation financière », alors qu’en réalité deux conventions collectives existeraient pour ce groupe, qui ne coïnciderait pas entièrement avec le champ d’application de l’une ou l’autre convention collective.
D’après l’(A), la question essentielle qui se poserait en l’espèce serait celle de savoir si le groupe 4 à la (Q) se recouvrirait exactement avec « la convention collective » sur tous les points, ce qui, 12au vu des deux conventions collectives existantes, ne serait manifestement pas le cas. Ainsi, si les deux conventions collectives avaient trait à des salariés qui sont dans le même groupe, il n’y aurait aucune coïncidence entre le groupe, d’un côté, et les salariés « (O) » et ceux de l’(N), de l’autre.
Partant, il aurait appartenu au ministre de vérifier si les conditions d’application du deuxième tiret du point (2) de l’article L.167-7 du Code de travail étaient données, à savoir si l’(A) avait obtenu 50% des voix lors des dernières élections aux délégations du personnel.
Dans sa réplique, l’appelante signale encore qu’il existerait même pour le groupe 4 une troisième convention collective pour les salariés de la société (P) S.A., exerçant le commerce sous l’appellation « ….. », et que le groupe 4 de la (Q) comprendrait dès lors en réalité quatre catégories de salariés, à savoir, en premier lieu, ceux soumis à la convention collective « banques », en deuxième lieu, ceux soumis à la convention collective « assurances », en troisième lieu, ceux soumis à la convention collective « Worldline » et en quatrième lieu, ceux qui ne sont soumis à aucune convention collective. Partant, un groupe comprenant quatre catégories de salariés avec trois conventions collectives différentes ne coïnciderait par définition pas entièrement avec le champ d’application de l’une quelconque de ces conventions, mais le dépasserait largement et ne serait partant pas homogène.
Dès lors, uniquement le second tiret du point (2) de l’article L.161-7 du Code du travail devrait trouver application et le seul critère à prendre en considération serait le décompte des voix pour les dernières élections aux délégations du personnel, données qui ne seraient cependant pas connues pour n’avoir ni été publiées, ni même intégralement collectées par l’administration publique. Or, comme ces données ne seraient pas disponibles, il conviendrait alors de se référer aux seules données publiées par l’ITM relatives au nombre de délégués élus des trois syndicats lors des élections de 2019 et il se dégagerait de ces chiffres qu’elle aurait obtenu, pour 297 entreprises comptabilisés, 299 délégués effectifs contre 117 délégués effectifs pour le (G) et 154 délégués effectifs pour l’(B). Ainsi, elle aurait remporté plus que 50% des délégués élus dans les entreprises concernées, les mandats obtenus par les autres syndicats, dits neutres, ne devant pas être pris en considération dans la computation des voix, de sorte qu’elle bénéficierait de la représentativité dans un secteur particulièrement important de l’économie. En affinant ces résultats, l’on constaterait encore qu’elle aurait obtenu 198 délégués effectifs avec 40,41% des suffrages dans le secteur « banques » contre 101 délégués pour l’(B) et 62 délégués pour le (G) et dans le secteur des entreprises d’assurances 46 délégués effectifs avec 38,33% des voix contre 25 délégués pour l’(B) et 17 délégués pour le (G).
Les parties intimées concluent au rejet de ce moyen.
Aux termes de l’article L.161-7 du Code du travail :
« Pour pouvoir prétendre à l’octroi de la reconnaissance d’une représentativité au sens de l’article L.161-6, le syndicat doit :
1. avoir présenté des listes et compté des élus lors des dernières élections à la (Q) ;
2. avoir obtenu 13- soit cinquante pour cent des voix pour le groupe de la (Q) au cas où le groupe coïncide entièrement avec le champ d’application de la convention collective concernée, - soit, au cas où le groupe de la (Q) ne coïncide pas entièrement avec le champ d’application de la convention collective concernée, ou si le groupe est composé totalement ou partiellement de salariés non couverts par le champ d’application du présent titre, cinquante pour cent des voix lors des dernières élections aux délégations du personnel du secteur tel que défini conformément à l’article L.161-6, paragraphe (2). Ne sont prises en considération, dans ce cas, que les voix recueillies par les candidats qui se sont présentés sous le sigle du syndicat demandeur, à l’exclusion des candidats dits neutres ».
Comme le ministre, dans la décision litigieuse, s’est basé sur l’article L.161-7, point 2, premier tiret, du Code du travail pour dénier à l’(A) la représentativité sectorielle, étant relevé que les partie s’accordent pour retenir que l’appelante n’a pas obtenu 50% des voix pour le groupe 4 de la (Q), il convient de se prononcer d’abord sur la question de savoir si l’existence de deux voire trois conventions collectives dans ledit groupe, pour lequel l’(A) avait présenté une liste de candidats pour les élections à la (Q) en 2019, ne coïncide pas entièrement « avec le champ d’application de la convention collective concernée », respectivement si l’existence de plusieurs conventions collectives doit entraîner le constat que le groupe 4 n’est pas à considérer comme un groupe homogène mais comme un groupe hétérogène avec comme conséquence l’inapplicabilité de l’article L.161-7, point 2, premier tiret, du Code du travail.
Il convient de noter que le groupe 4 en question est intitulé « Salariés appartenant au secteur des services financiers et de l’intermédiation financière » et englobe les activités bancaires et d’assurances, ainsi que les activités financières auxiliaires et que « historiquement » ledit groupe était intitulé « employés appartenant au secteur des banques et assurances ».
En outre, la Cour constate qu’il se dégage d’un courrier de la (Q) du 7 décembre 2020 à l’attention de l’ITM que si l’intitulé du groupe 4 (ancien groupe 3) a été adapté lors de la fusion de l’ancienne (L) avec l’ancienne (K), la composition dudit groupe n’a pas été modifiée depuis 2005, c’est-à-
dire depuis la prise de l’arrêté ministériel du 2 mars 2005 portant reconnaissance à l’(A) de la qualité de syndicat justifiant de la représentativité pour les employés privés dans un secteur particulièrement important de l’économie.
Or, tel que relevé à bon escient par la partie (B), le considérant 11 dudit arrêté ministériel a relevé que « l’acceptation économique large exige d’inclure dans le secteur, pour la fixation de l’importance de l’emploi, les auxiliaires financiers et d’autres activités semblables, apparentées, mutuellement complémentaires » et le considérant 15 « que le groupe 3 de la (K) pour lequel l’(A) a présenté une liste coïncide entièrement avec les secteur pour lequel l’(A) demande d’être reconnue comme représentative ».
Ceci étant dit, tel que relevé ci-avant, la Cour partage le constat des premiers juges que le libellé de l’article L.161-7 du Code du travail manque de clarté et de précision.
En effet, il y a lieu de constater en premier lieu que la distinction entre groupe homogène et groupe hétérogène, entraînant soit l’applicabilité du premier ou du deuxième tiret du point (2) de l’article 14L.167-7 du Code du travail, ne dépend pas de l’existence d’une ou de plusieurs conventions collectives de travail au sein d’un groupe de la (Q), étant donné que le terme « convention collective », au niveau des deux tirets litigieux, est à chaque fois employé au singulier. Ainsi, d’un côté, un groupe de la (Q) peut être qualifié d’hétérogène même s’il n’existe qu’une seule convention collective de travail ne visant pas tous les salariés composant un groupe et, d’un autre côté, l’existence de plusieurs conventions collectives ne doit pas nécessairement conduire au constat qu’un groupe n’est plus homogène, l’essentiel étant, aux yeux de la Cour, d’apprécier la nature des activités auxquelles s’adonnent les salariés du groupe en question. Autrement dit, des salariés faisant parti de secteurs différents et régis par des conventions collectives distinctes peuvent faire partie d’un même groupe de la (Q), à condition d’exercer des activités semblables engendrant que ledit groupe est à qualifier d’homogène.
En termes d’interprétation trois méthodes essentielles se présentent au juge, à savoir une méthode historique permettant d’analyser les termes à interpréter à partir de la gestation du texte, une interprétation littérale ou étymologique se présentant à partir de la lettre du texte et une interprétation téléologique prenant en compte le but, voire la finalité de la disposition sous analyse.
Il est de principe que si les trois méthodes d’interprétation n’amènent pas le juge à une interprétation concordante du texte, il faut mais il suffit que le juge interprète celui-ci d’après le sens qu’il convient de donner à la disposition litigieuse, compte tenu plus particulièrement de sa finalité.3 Or, comme relevé ci-avant, la Cour retient que l’interprétation littérale ou étymologique préconisée par la partie appelante du sens à donner à l’article L.161-7 du Code du travail n’est, faute de définition de la notion de « groupe », pas de nature à donner une réponse claire et précise, permettant de définir si le premier ou le deuxième tiret de l’article L.161-7, point (2), du Code du travail est applicable.
Au vu de ce constat, c’est à bon escient que les premiers juges se sont référés aux commentaires des articles relatifs au projet de loi n° 5045 desquels il se dégage qu’il faut faire preuve d’une certaine souplesse et que notamment en ce qui concerne le secteur bancaire, lequel fait partie du groupe 4 de la (Q), il est légitime d’associer des activités complémentaires ou semblables, comme par exemple les activités des assureurs ou des auxiliaires financiers4. Ainsi, il ressort sans équivoque du commentaire des articles que le critère chiffré qu’un syndicat doit remplir pour pouvoir bénéficier d’une représentativité dans un secteur particulièrement important pour l’économie, critère formulé sous forme alternative, se rapporte à un cadre sectoriel déterminé et qu’un syndicat peut prétendre à une telle représentativité notamment s’il « (…) a obtenu 50% des voix lors des élections pour le groupe de la chambre professionnelle concernant le ou les catégories de salariés visés, mais cela seulement si le groupe en question de la chambre professionnelle coïncide totalement avec le champ d’application de la convention collective ; par exemple, les conventions collectives « banques », « assurances », « auxiliaires financiers », pour lesquels on peut s’imaginer qu’un syndicat revendique la représentativité « sectorielle » au sens de la présente loi, coïncident avec les salariés représentés par un groupe de la (K) »5.
3 Cour adm. 27 octobre 2016, n° 37299C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Lois et règlements, n° 166 et autre référence y citée.
4 Projet de loi n°5045, Commentaire des articles, page 65.
5 Projet de loi n°5045, Commentaire des articles, page 65.
15 La Cour relève en outre, au vu de l’intitulé du groupe 4 à la (Q), à savoir « Salariés appartenant au secteur des services financiers et de l’intermédiation financière » qu’aucune des trois conventions collectives citées par l’appelante ne déborde le cadre sectoriel déterminé par ledit groupe 4 employant des salariés qui remplissent des activités semblables de même nature.
Cette solution se recoupe, par ailleurs, avec l’approche adoptée lors de la prise de l’arrêté ministériel du 2 mars 2005 portant reconnaissance à l’(A) de la qualité de syndicat justifiant de la représentativité pour les employés privés dans un secteur particulièrement important de l’économie, ledit arrêté ayant pris en compte pour le groupe litigieux tant le secteur « banques et assurances » au sens strict (considérant 9) que « les auxiliaires financiers et d’autres activités semblables, apparentées, mutuellement complémentaires » (considérant 11), pour en déduire que le groupe 3 (actuel groupe 4) « pour lequel l’(A) a présenté une liste [qui] coïncide entièrement avec le secteur pour lequel l’(A) demande d’être reconnue comme représentative » (considérant 15) et pour arriver à la conclusion que l’(A) est reconnue comme syndicat justifiant de la représentativité sectorielle, au vu du constat qu’elle a obtenu 51,68% des voix lors des élections de novembre 2003.
Finalement, cette solution est en concordance avec la propre attitude de l’(A) dans le passé, telle que décrite à la page 11 du rapport circonstancié de l’ITM, à savoir : « l’(A) se revendique être « le syndicat du [secteur] n°1 du secteur financier » et ne limite plus son activité aux seuls secteurs bancaires et assurance. L’(A) intervient d’ailleurs dans le cadre de négociations de conventions collectives d’entreprises faisant partie du secteur financier, mais n’appartenent ni à celui des banques, ni à celui des assurances (i.e. (R), et (S)).
Le groupe 4 de la (Q) constitue par conséquent un groupe homogène pour lequel l’(A) affiche expressément son ambition de représenter l’ensemble du groupe ».
La Cour partage dès lors la conclusion du tribunal que le groupe 4 à la (Q) constitue un groupe homogène et non pas un groupe hétérogène et que c’est partant également à bon droit que le ministre s’est basé sur les critères chiffrés prévus à l’article L.161-7, point (2), premier tiret, du Code du travail pour procéder au retrait de la reconnaissance de la représentativité sectorielle de l’(A).
Finalement, l’(A) reproche encore aux premiers juges d’avoir retenu qu’elle aurait critiqué sans justification un manque d’impartialité de l’ITM. Elle soutient dans ce contexte qu’elle aurait simplement constaté, de manière parfaitement justifiée, que tous les résultats des élections des délégués du personnel n’auraient pas été publiées, ce qui ne reviendrait pas à mette en doute l’impartialité d’une administration ou des fonctionnaires qui la composent. Dans ce contexte, l’appelante relève encore, contrairement à la compréhension du tribunal, qu’elle n’aurait pas contesté les résultats des élections de 2019 mais qu’elle aurait simplement attiré l’attention sur le caractère incomplet des résultats publiés des dernières élections aux délégations du personnel du secteur et qu’au regard des seuls résultats publiés, il ne ferait aucun doute qu’elle aurait recueilli largement plus de 50% des voix aux élections des délégués du personnel du secteur concerné et remplirait partant le critère de représentativité sectorielle tel que visé par l’article L.161-7, point (2), deuxième tiret, du Code du travail.
16La Cour relève sur ce point que l’argumentation afférente de l’appelante repose sur la prémisse de base erronée tablant sur l’applicabilité de l’article L.161-7, point (2), deuxième tiret, du Code du travail préconisant la prise en compte des voix lors des dernières élections aux délégations du personnel pour un secteur particulièrement important de l’économie. En effet, eu égard à la conclusion retenue ci-avant que la représentativité sectorielle de l’(A) est à apprécier sur base des critères chiffrés prévus à l’article L.161-7, point (2), premier tiret, du Code du travail avec comme conséquence l’inapplicabilité du deuxième tiret dudit article L.161-7, point (2), l’argumentation de l’(A) tirée du caractère incomplet des résultats publiés des dernières élections aux délégations du personnel manque de pertinence et est, à son tour, à rejeter.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel n’est pas fondé et que le jugement entrepris est à confirmer.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;
reçoit l’appel du 5 mai 2023 en la forme ;
au fond, le dit non fondé et en déboute l’association sans but lucratif (A) a.s.b.l. ;
partant, confirme le jugement entrepris du 29 mars 2023 ;
condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.
Ainsi délibéré et jugé par :
Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour …….
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CAMPILL 17