GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 49163C ECLI:LU:CADM:2024:49163 Inscrit le 13 juillet 2023
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Audience publique du 30 janvier 2024 Appel formé par Madame (A) et consort, ….., contre un jugement du tribunal administratif du 28 juin 2023 (n° 46921 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 49163C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 13 juillet 2023 par Maître Marcel MARIGO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le …. à ….
(Gabon), agissant en son nom personnel, ainsi qu’au nom et pour le compte de son fils mineur, (B), né le …. à …. (Sénégal), tous les deux de nationalité gabonaise, demeurant ensemble à L-…. …., …., …., dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-
Duché de Luxembourg le 28 juin 2023 (n° 46921 du rôle), par lequel ledit tribunal les a déboutés de leur recours tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 décembre 2021 portant refus de faire droit à leur demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 17 août 2023 par Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST pour compte de l’Etat ;
Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 10 octobre 2023.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Le 8 janvier 2020, Madame (A), agissant en son nom personnel, ainsi qu’au nom et pour le compte de son fils mineur, (B), introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, désigné ci-après par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après la « loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Madame (A) fut entendue par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, service criminalité organisée - police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, une recherche effectuée dans la base de données AE.VIS le même jour ayant révélé que l’intéressée s’était vu octroyer un visa de la part des autorités luxembourgeoises pour la période du 11 novembre 2019 au 11 février 2020.
En dates des 12 mars et 7 mai 2021, Madame (A) fut auditionnée par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 15 décembre 2021, notifiée à l’intéressée par un courrier recommandé expédié le 21 décembre 2021, le ministre résuma les déclarations de Madame (A) auprès du service de police judiciaire et du ministère comme suit :
« (…) En mains, votre fiche des motifs datée du 8 janvier 2020, le rapport du Service de Police Judiciaire du 8 janvier 2020, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 12 mars et 7 mai 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les pièces remises à l’appui de votre demande.
Il en ressort que vous seriez de nationalité gabonaise, d’ethnie Punu, de confession chrétienne et que vous auriez vécu dans le quartier « (C) » (page 2 de votre rapport d’entretien) à ….. au Gabon. Vous auriez été employée en tant qu’agent administratif au Ministère de (D).
Concernant vos craintes en cas de retour au Gabon, vous indiquez que vous auriez peur que votre père envoie des gens pour vous agresser et vous ajoutez que vous ne voudriez pas que votre fils grandisse dans un climat d’insécurité.
Vous expliquez dans ce contexte que le 17 octobre 2019, alors que vous auriez voulu récupérer votre fils à la sortie de l’école, vous l’auriez trouvé avec le pantalon mouillé et il vous aurait expliqué qu’il y aurait eu un « monsieur qui voulait qu’il monte dans son véhicule » (page 6 de votre rapport d’entretien). Vous précisez que ce « monsieur » aurait essayé d’amadouer votre fils en lui proposant des « bonbons et des jeux vidéo » (page 7 de votre rapport d’entretien). Votre fils aurait crié et le « monsieur » serait monté à bord d’une « camionnette blanche » (page 7 de votre rapport d’entretien) sans que toutefois vous ne puissiez l’apercevoir. Vous ajoutez que cet évènement vous aurait fait paniquer car vous auriez vous-même été agressée le 28 mars 2019. Vous expliquez que vous seriez montée à bord d’un taxi dans lequel le chauffeur, une femme et un homme se seraient trouvés. On vous aurait volé votre téléphone portable ainsi que forcée à donner le code d’une application de payement.
Vous auriez été également attouchée par la femme et violée par l’homme se trouvant dans le taxi.
Madame vous déplorez l’insécurité qui régnerait au Gabon et relatez des évènements ayant eu lieu en 2018 qui auraient mené à la mort d’un de vos cousins, un dénommé « (F) » (fiche des motifs) qui aurait été âgé de … ans. Vous indiquez qu’il aurait été « kidnappé devant son établissement » (fiche des motifs) et qu’il aurait été retrouvé sur la plage « trois jours plus tard » (fiche des motifs), sans « ses yeux, sa langue et son sexe » (fiche des motifs). Vous ajoutez qu’il s’agirait de sacrifices humains pour « rester au pouvoir » (page 8 de votre rapport d’entretien) et que les autorités de votre pays y seraient mêlées. Vous précisez dans ce contexte que vous auriez retrouvé votre père biologique à l’âge de … ans et qu’à l’époque il aurait exercé le métier de ….. à la Cour Constitutionnelle de la République du Gabon, qu’il serait d’ethnie mpongwe au sujet de laquelle vous déclarez qu’ils feraient leurs « rituels, pour assouvir leur pouvoir d’autorité, pour avoir des richesses » (page 11 de votre rapport d’entretien).
En outre, Madame, vous déclarez qu’à l’âge de … ans vous auriez été violée par le mari de votre mère, que le petit-frère de votre mère aurait abusé de vous à l’âge de … ans et que le fils de la deuxième femme du mari de votre mère aurait également abusé de vous.
En 2005, Madame, vous vous seriez rendue à la mairie pour y faire légaliser votre acte de naissance, le « monsieur » qui vous y aurait reçue, aurait mis « quelque chose dans la boisson » (page 11 de votre rapport d’entretien), vous aurait complimentée et aurait « commencé des attouchements » (page 11 de votre rapport d’entretien). Par chance, son téléphone aurait sonné et vous auriez réussi à prendre la fuite.
A l’appui de votre demande, vous présentez les documents suivants :
- Votre passeport n°…. ainsi que celui de votre fils n°…., tous deux authentifiés par la Section Expertise Documents de l’Unité de la Police de l’aéroport ;
- Une copie de votre acte de naissance ainsi qu’une copie de l’acte de naissance de votre fils ;
- Le jugement du Tribunal de première instance de ….. du 22 novembre 2019, vous confiant la garde de votre fils ;
- Une attestation d’emploi au poste d’assistante juridique en service au Secrétariat Général du Ministère de (D), de la Justice Garde des Sceaux du Gabon ;
- Une Autorisation de mise en congé vous accordant un congé allant du 6 décembre 2019 au 6 janvier 2020. (…) ».
A travers cette décision, le ministre considéra qu’une partie du récit de Madame (A) n’était pas crédible, et rejeta, pour le surplus, sa demande de protection internationale et celle de son fils mineur comme non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Le 24 janvier 2022, Madame (A), agissant également au nom et pour le compte de son fils mineur, fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 15 décembre 2021 par laquelle elle et son fils mineur se sont vu refuser l’octroi d’un statut de protection internationale, et de la décision contenue dans le même acte portant à leur égard ordre de quitter le territoire luxembourgeois.
Dans son jugement du 28 juin 2023, le tribunal administratif reçut ce recours en la forme, mais le rejeta comme étant non justifié en ses deux volets.
Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 13 juillet 2023, Madame (A), agissant également au nom et pour le compte de son fils mineur, fit régulièrement relever appel de ce jugement du 28 juin 2023.
Arguments des parties En fait, elle rappelle les événements tels qu’ils résultent en substance de ses auditions devant l’agent du ministère en se référant notamment à l’agression subie par elle le 28 mars 2019, à la tentative d’enlèvement de son fils du 17 octobre 2019, ainsi qu’à l’enlèvement et la mort de son cousin (F). Elle expose que son père biologique, un membre de l’ethnie Mpongwe et ayant occupé de hautes fonctions au sommet de l’Etat qui l’auraient rendu intouchable, aurait eu des velléités de la sacrifier avec son fils afin d’accroître son pouvoir, ce qui aurait donné lieu aux différentes agressions subies par elle et son fils.
En droit, elle critique la décision de rejet du tribunal par confirmation, en substance, de l’analyse du ministre relative au défaut de crédibilité de son récit et elle prend position par rapport aux incohérences et contradictions que le ministre affirme avoir constatées.
Elle explique qu’il lui serait reproché de tenter de s’approprier la mort du « jeune (F) » pour donner un degré de gravité à son récit qui n’aurait pas lieu d’être, de donner des indications qui seraient fausses à cet égard, de prétendre qu’il s’agirait de son cousin, et que le ministre se serait fondé sur des indications de certains médias gabonais.
Elle estime que l’analyse des informations recoupées sur ce « meurtre » montrerait qu’il existerait une grande incertitude quant aux circonstances du décès du dénommé « (F) », et que les déclarations du procureur de ….. de l’époque à ce sujet, auxquelles le ministre aurait fait référence, seraient sujettes à caution, au motif que l’Etat gabonais, du moins des acteurs importants de l’Etat gabonais, seraient accusés du « crime » commis à l’encontre du dénommé « (F) », l’appelante remettant en cause les conclusions du procureur de ….. selon lesquelles ce dernier serait mort de noyade, en se référant à un rapport de l’Office Français de Protection des Réfugiés (OFPRA) qui ferait état de plusieurs crimes rituels qui auraient été « maquillés » en noyade.
L’appelante poursuit en expliquant que si les indications données par le père du dénommé « (F) » sur les traces de coups sur le corps de ce dernier ne correspondaient pas exactement à celles qu’elle aurait données à l’agent du ministère, ce constat ne suffirait pas à discréditer son récit, au motif qu’il serait établi que les familles des victimes auraient écarté la thèse de la noyade qu’auraient tentée de promouvoir les autorités gabonaises. Elle estime que les différences quant aux constatations sur le corps du dénommé « (F) » n’occulteraient pas le fait essentiel de son récit, à savoir que son « cousin » aurait été victime d’un crime rituel.
L’appelante reproche au ministre de ne pas l’avoir invitée à prendre position par rapport aux incohérences ou mensonges qu’il aurait relevés, sinon à fournir des explications ou verser des pièces supplémentaires à ce sujet, tel que l’article 16 de la directive 2013/32/UE du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, ci-après désignée par la « directive 2013/32/UE », l’exigerait. Cette même exigence serait par ailleurs reprise par l’article 15 de la loi du 18 décembre 2015.
L’appelante en déduit que le ministre aurait pris sa décision entreprise en violation de ces dispositions légales et qu’il aurait conclu à tort au défaut de crédibilité de son récit.
Elle se prévaut ensuite de l’article 2, point f), de la loi du 18 décembre 2015 pour contester les conclusions du ministre selon lesquelles, d’une part, les abus sexuels qu’elle aurait subis ne seraient pas liés aux critères de fond prévus par cette dernière disposition légale, et, d’autre part, le défaut de protection des autorités gabonaises ne serait en tout état de cause pas établi.
Quant au premier volet, elle fait valoir qu’elle aurait été considérée comme agent administratif au ministère de (D) gabonais sans bénéficier du statut de fonctionnaire, de sorte qu’elle aurait été dans une situation très précaire qui l’aurait non seulement placée dans une catégorie sociale fragile, mais également exposée, tel que le rappellerait l’OFPRA, à des crimes rituels qui auraient cours au Gabon et dont la recrudescence aurait été constatée depuis l’arrivée au pouvoir de (G). L’appelante en déduit que les critères d’octroi du statut de réfugié prévus par la loi du 18 décembre 2015 seraient remplis.
Quant au second volet, elle argue que les agressions qu’elle et son fils auraient subies en mars et octobre 2019 démontreraient que non seulement sa vie serait en danger, mais aussi qu’elle ne pourrait pas bénéficier d’une protection adéquate de la part des autorités compétentes gabonaises, l’appelante se référant à sa plainte contre « X » qui n’aurait pas abouti et à une inertie complète des autorités de poursuite qui serait révélatrice d’une absence de démarche entreprise par les autorités gabonaises pour retrouver les auteurs de ces agressions. Elle conclut qu’elle n’aurait dès lors pas pu bénéficier d’une protection suffisante de leur part.
L’appelante se prévaut ensuite de l’article 42, paragraphes (1) et (2), de la loi du 18 décembre 2015 pour réitérer que son récit serait crédible et faire valoir que ses craintes atteindraient le degré de gravité requis par ces dispositions.
En ce qui concerne le refus du ministre de lui accorder la protection subsidiaire, l’appelante se réfère à l’article 2, point g), de la loi du 18 décembre 2015 pour soutenir qu’il existerait des motifs sérieux et avérés de croire qu’elle et son fils risqueraient de subir des atteintes graves, au sens de l’article 48 de la prédite loi, en cas de retour dans leur pays d’origine.
Elle poursuit en faisant valoir qu’elle risquerait des traitements inhumains, et que les menaces graves contre sa vie qu’elle aurait subies avant son départ du Gabon seraient constitutives d’une violence aveugle laquelle émanerait de personnes désireuses d’acquérir du pouvoir et des richesses en commettant des crimes rituels sur elle et son fils. Leurs agresseurs seraient des acteurs au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, dans la mesure où leurs actions se rapprocheraient de crimes rituels qui profiteraient aux acteurs de la vie politique gabonaise. Le prédit rapport de l’OFPRA, qui daterait de 2018, relaterait ainsi comment l’imaginaire sacrificiel et anthropophagique, qui hanterait les sociétés modernes, aurait poussé certains acteurs de la vie politique gabonaise à commettre ces crimes. Ce même rapport révélerait également des sources indiquant que des hautes personnalités avides de pouvoir pourraient également s’en prendre à leurs proches si le commanditaire l’exigeait.
L’appelante affirme que son père biologique serait justement une personnalité proche du pouvoir politique en place. Ces crimes incluraient l’enlèvement et l’assassinat d’enfants, le prélèvement d’organes sur des enfants, tel que cela aurait failli arriver à son fils, ou encore, comme elle-même l’aurait subi, le viol. L’OFPRA préciserait que les crimes rituels toucheraient des catégories défavorisées ou fragiles de la population, l’appelante faisant valoir qu’en tant que mère célibataire sans revenus conséquents, elle aurait été une proie facile avec son fils. Elle en conclut que même s’il était décidé qu’elle-même et son fils ne répondraient pas aux conditions pour se voir accorder le statut de réfugié, les conditions pour bénéficier de la protection subsidiaire seraient remplies.
Concernant l’ordre de quitter le territoire, l’appelante met en avant que son éloignement et celui de son fils vers leur pays d’origine entraînerait qu’une « atteinte à sa vie programmée ne fait l’ombre d’aucun doute » et qu’au vu de ses autres moyens et faits relatés qui devraient être considérés comme crédibles, un retour les exposerait à « des atteintes graves sous formes de persécutions avérées », de sorte que l’ordre de quitter devrait encourir la réformation.
Le délégué du gouvernement conclut en substance à la confirmation du jugement entrepris sur base des motifs y énoncés.
Analyse de la Cour En ce qui concerne la légalité externe et plus particulièrement le moyen tiré de la violation de la directive 2013/32/UE, les premiers juges ont légitimement pu souligner, d’abord, que les directives ne peuvent être directement applicables et invoquées par les seuls justiciables que si leurs dispositions sont inconditionnelles et suffisamment précises et que l’Etat n’a pas transposé dans les délais ladite directive ou s’il en a fait une transposition incorrecte et, ensuite, qu’il aurait appartenu à l’appelante d’invoquer à la base de ses prétentions les dispositions pertinentes de la loi du 18 décembre 2015.
Cependant, dans la mesure où l’appelante a ajouté en instance d’appel l’article 15 de la loi du 18 décembre 2015 comme base légale de son moyen, la Cour est appelée à examiner le bien-fondé de celui-ci.
L’article 15 de la loi du 18 décembre 2015, qui constitue la transposition de la disposition afférente de l’article 16 de la directive 2013/32/UE, dispose comme suit dans son paragraphe (1) :
« (1) Lors de l’entretien personnel sur le fond d’une demande de protection internationale, le ministre veille à ce que le demandeur ait la possibilité concrète de présenter les éléments nécessaires pour étayer sa demande de manière aussi complète que possible, conformément à l’article 37. Cela inclut la possibilité de fournir une explication concernant les éléments qui pourraient manquer et toute incohérence ou contradiction dans les déclarations du demandeur ».
L’argumentaire de l’appelante tend en dernière analyse à voir interpréter cette disposition dans le sens d’imposer au ministre une obligation de convoquer un demandeur de protection internationale à un entretien complémentaire afin de lui permettre de prendre position par rapport à des informations que le ministre aurait recueillies de sources externes et qui mettraient en doute la crédibilité du récit du demandeur de protection internationale.
La Cour de Justice de l’Union européenne a cependant jugé dans son arrêt du 22 novembre 2012 (M.M., aff. C-277/1, ECLI:EU:C:2012:744) que l’obligation de coopération de l’autorité compétente n’impose pas d’obligation pour les Etats membres de communiquer préalablement les motifs fondant une décision négative et que le devoir de coopération vise l’établissement des circonstances factuelles qui soutiennent la demande de protection internationale et non pas l’appréciation juridique de ceux-ci à la lumière des conditions de reconnaissance du statut de réfugié ou d’octroi de la protection subsidiaire, cette appréciation juridique relevant de la seule responsabilité de l’autorité compétente. Dès lors que le demandeur de protection internationale a été effectivement entendu par le ministre et a pu valablement exposer son récit de manière complète, tel qu’il le confirme également en signant le rapport relatif à son entretien, l’instruction de cette demande par le ministre, comportant notamment la confrontation du contenu factuel du récit aux sources d’informations externes accessibles afin de vérifier la réalité des faits invoqués, ainsi que des risques de persécutions et d’atteintes graves invoqués, relève également de la seule responsabilité du ministre pour autant qu’il ne se fonde pas sur des éléments d’informations sans aucun lien avec le récit pour rejeter la demande.
Or, en l’espèce, l’appelante n’affirme point qu’elle n’aurait pas pu exposer exhaustivement les faits invoqués à la base de sa demande de protection internationale ou que le ministre aurait fondé sa décision négative sur des éléments entièrement étrangers à son récit.
Sa critique vise plutôt l’utilisation, par le ministre, de certaines sources d’informations afin de vérifier concrètement le contenu matériel de son récit à la base de sa demande. Cet exercice relève, d’après ce qui précède, du pouvoir d’instruction du ministre et ne déclenche pas une obligation pour ce dernier de convoquer l’appelante à un entretien complémentaire.
Il s’ensuit que le moyen de l’appelante relatif à la légalité externe de la décision déférée est à écarter comme étant non justifié.
Quant à la légalité interne, comme rappelé à juste titre par les premiers juges, il se dégage de la lecture combinée des articles 2, sub f) et h), 39, 40 et 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions suivantes : les actes invoqués doivent être motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social ; ces actes doivent être d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe 1er, et doivent émaner de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 – étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, celles-ci sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions – ; enfin, le demandeur doit ne pas pouvoir ou vouloir se réclamer de la protection de son pays d’origine.
La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d'origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l'article 48 », ledit article 48 loi énumérant en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ». L'octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire.
Il s’y ajoute que la définition du réfugié contenue à l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2, sub g), de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur de protection internationale ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du juge devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
L’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.
En l’espèce, la Cour rejoint la conclusion des premiers juges, fondée sur un examen minutieux du récit de l’appelante et de tous les éléments invoqués par elle, les arguments soumis en instance d’appel correspondant par ailleurs à ceux avancés en première instance, auquel examen la Cour renvoie dans la mesure où il n’est pas repris ci-après, qu’indépendamment de la crédibilité dudit récit, elle reste en défaut d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier, dans son chef et dans celui de son fils mineur, une crainte actuelle fondée de subir des persécutions respectivement un risque réel de subir des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, en cas de retour au Gabon.
Ainsi, les premiers juges ont relevé à bon escient que l’appelante a mentionné à de multiples reprises lors de son entretien auprès du ministère que la raison essentielle l’ayant motivée à quitter son pays d’origine avec son fils mineur et à introduire une demande de protection internationale au Luxembourg tient au sentiment général d’insécurité qu’elle éprouve au Gabon, respectivement au sein de la société gabonaise en général, ainsi qu’au sein de sa propre famille. Or, comme ils l’ont souligné à juste titre, un sentiment général d’insécurité ne figure pas parmi les motifs de persécution visés par l’article 2, point f), de la loi du 18 décembre 2015 et n’est pas non plus de nature à établir l’existence, dans le chef de la demanderesse et de son fils mineur, d’un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
L’appelante se prévaut encore d’un certain nombre de viols et d’agressions sexuelles subies entre 1982 et 2019, telles que précisées dans le jugement entrepris. Ici encore, la Cour rejoint l’analyse des premiers juges qui ont retenu en substance que ces différents actes ont été commis par des personnes différentes, à des époques différentes et dans des circonstances distinctes, de sorte à constituer essentiellement des actes isolés qui ne traduisent pas un risque actuel et réel que l’appelante serait exposée à des actes similaires de la part de ces personnes en cas de retour au Gabon.
Par rapport à la crainte exprimée par l’appelante face à son père biologique, les premiers juges ont valablement conclu à partir des propres déclarations de l’appelante dans le cadre de son entretien qu’elle a affirmé ne pas en connaître les raisons de sa crainte et mentionné, dans ce contexte, l’existence d’une peur qu’elle n’arrive pas à expliquer. Même si elle affiche encore une peur face à son père biologique en raison de son appartenance à l’ethnie des Mpongwes en faisant état de « pratiques occultes » et de sacrifices commis par des membres de cette ethnie et qu’elle met en avant qu’elle fait partie de l’ethnie des Punu, la Cour partage la conclusion des premiers juges qu’elle n’a fourni aucune explication, ni soumis aucun élément de nature à établir l’existence d’une crainte fondée d’être victime de persécutions de la part de son père biologique en raison de sa propre appartenance et de celle de son fils à l’ethnie des Punu, voire que de telles pratiques ou sacrifices seraient spécialement dirigés contre des enfants qui en seraient les principales victimes.
C’est partant à bon droit que le ministre puis les premiers juges ont refusé à l’appelante et à son fils le statut de réfugié.
Par rapport au statut de la protection subsidiaire, les éléments de fait à la base de la demande de protection subsidiaire étant les mêmes que ceux invoqués par l’appelante à l’appui de sa demande du statut de réfugié, il y a lieu de suivre les premiers juges en ce qu’ils ont conclu qu’il n’existe pas davantage de motifs sérieux et avérés de croire qu’en cas de retour dans son pays d’origine, l’appelante courrait un risque réel de subir, à raison de ces mêmes faits, des atteintes graves telles que visées aux points a), et b) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
Plus particulièrement, les premiers juges ont valablement souligné qu’il ne ressort à suffisance ni des explications de l’appelante, ni d’aucun autre élément soumis à l’appréciation de la Cour que des personnes de pouvoir ou d’influence enlèveraient des personnes majeures ou des enfants pour pratiquer des « crimes rituels » sur eux, respectivement que les autorités gabonaises entretiendraient, dissimuleraient ou seraient elles-mêmes à l’origine de ces pratiques. En outre, pas plus qu’en première instance, l’appelante n’a ni versé le « rapport OFPRA » daté de l’année 2018 auquel elle se réfère, dont il ressortirait que les autorités gabonaises tenteraient de dissimuler ces crimes en faisant croire à des noyades, ni cité un quelconque extrait dudit rapport dans le corps de sa requête. A défaut d’autres éléments, et quand bien même l’appelante affirme que ce serait la tentative d’enlèvement de son fils qui aurait déclenché sa décision de fuir son pays d’origine, cet incident a été considéré à juste titre par les premiers juges comme n’étant pas, à lui seul, de nature à démontrer qu’elle-même ou son fils encourrait personnellement et concrètement le risque d’être victime, en cas de retour au Gabon, d’une nouvelle tentative d’enlèvement et de subir, en conséquence, des « pratiques occultes » ou des sacrifices.
En ce qui concerne dans ce cadre la mort du « jeune (F) », au-delà du fait relevé par les premiers juges que le ministre a légitimement contesté la présentation des faits de l’appelante et son lien avec cette personne sur base d’un article de presse relatif à cet incident, ils ont justement retenu que ce drame unique n’établit pas non plus que les personnes appartenant à l’ethnie des Mpongwes – en ce compris le père biologique de l’appelante – ou des personnes de pouvoir ou d’influence procéderaient à des enlèvements et pratiqueraient des rituels de nature à porter atteinte à l’intégrité physique ou à la vie de leurs victimes, ni que lesdites victimes seraient systématiquement des personnes appartenant à l’ethnie Punu ou des enfants, ni enfin que les autorités gabonaises seraient complices de telles pratiques ou tenteraient de les dissimuler. A défaut d’autres éléments, la mort du dénommé « (F) » ne saurait partant établir l’existence d’un risque réel pour l’appelante et son fils de subir des atteintes graves en cas de retour au Gabon.
Finalement, l’appelante n’avance aucun motif fondé sur l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015 et la Cour rejoint l’analyse exacte des premiers juges à cet égard.
Dès lors, il y a lieu, par confirmation du jugement dont appel, de déclarer également comme non fondée la demande de protection subsidiaire de l’appelante.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre, puis les premiers juges, ont rejeté la demande de protection internationale prise en son double volet et que le jugement est à confirmer sous ce rapport.
L’appelante sollicite encore la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de la protection internationale, comme conséquence de l’octroi d’une protection internationale.
Dans la mesure où le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a refusé aux appelants le statut de protection internationale – statut de réfugié et protection subsidiaire – et que le refus d’octroi de pareil statut est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire par le ministre, la demande de réformation de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter à son tour et le jugement est à confirmer en ce qu’il a refusé de réformer ledit ordre.
L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelante et de confirmer le jugement entrepris.
PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 13 juillet 2023 en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, partant, confirme le jugement entrepris du 28 juin 2023, donne acte à l’appelante de ce qu’elle bénéfice de l’assistance judiciaire, condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.
Ainsi délibéré et jugé par:
Serge SCHROEDER, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu à l’audience publique du 30 janvier 2024 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller, en présence du greffier assumé de la Cour …… s. …..
s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30 janvier 2024 Le greffier de la Cour administrative 10