La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/02/2024 | LUXEMBOURG | N°49093C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 08 février 2024, 49093C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 49093C ECLI:LU:CADM:2024:49093 Inscrit le 29 juin 2023

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Audience publique du 8 février 2024 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 8 juin 2023 (n° 48348 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale

---------------------------------------------------------

-------------------------------------------------------

Vu l’acte d’appel, inscri...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 49093C ECLI:LU:CADM:2024:49093 Inscrit le 29 juin 2023

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Audience publique du 8 février 2024 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 8 juin 2023 (n° 48348 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 49093C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 29 juin 2023 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à …. (Afghanistan) et être de nationalité afghane, demeurant à L-… …, …, rue …., dirigé contre un jugement du 8 juin 2023 (n° 48348 du rôle), par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg l’a débouté de son recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 décembre 2022 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et ordre de quitter le territoire ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 28 juillet 2023 par Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Shirley FREYERMUTH, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, et Monsieur le délégué du gouvernement Vyacheslav PEREDERIY en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 octobre 2023.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 22 juillet 2020, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après la « loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée / police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Afin de déterminer l’âge de Monsieur (A), le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après le « ministre », demanda en date du 23 juillet 2020 au Laboratoire National de Santé – service médico-judiciaire – département médecine légale, ci-après le « LNS », une expertise médico-légale, le rapport médico-légal (« Rechtsmedizinisches Gutachten zur Altersschätzung ») y relatif du 4 août 2020 ayant attesté un âge minimal de 17 ans dans le chef de l’intéressé.

En date du 23 septembre 2021, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 15 décembre 2022, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le 20 décembre 2022, le ministre informa Monsieur (A) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 22 juillet 2020 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 22 juillet 2020 et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 23 septembre 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Avant tout progrès en cause, il convient de noter que vous avez introduit une demande de protection internationale en Grèce en date du 25 novembre 2019 sous une autre identité, à savoir celle de (A1), né le ….. alors qu’au Luxembourg vous déclarez vous nommer (A) et être né le ….. Vous avez quitté la Grèce, en direction du Luxembourg, sans avoir attendu l’issue de votre procédure de protection internationale, et vous expliquez à cet égard que « Quand je suis rentré dans le camp, j’ai vu que 18 personnes étaient blessées par couteux. C’était pire qu’en Afghanistan. La police n’est même pas venue. Il n’y avait pas de sécurité.» (p.4/11 de votre rapport d’entretien). Avant d’arriver au Luxembourg, vous seriez passé par la Croatie, la Slovénie, l’Italie et la France, sans toutefois y introduire de demande de protection internationale.

De plus, vous avez au moment de vote arrivée au Luxembourg déclaré au Service de Police Judiciaire être né le …., et puis, lors de votre entretien avec l’agent ministériel, être né le ….. Toutefois, selon les autorités helléniques votre date de naissance serait le ….. Afin d’écarter tout doute quant à votre âge, vous avez été invité le 4 août 2020 à vous soumettre à un examen médical ayant pour finalité de déterminer votre âge. Selon le rapport d’expertise médicale du Laboratoire National de Santé, vous avez au moins 17 ans. Ainsi, vous avez été enregistré avec la date de naissance du …..

Vous déclarez être de nationalité afghane, d’ethnie Hazara, de confession musulmane chiite et vous indiquez avoir vécu à ….., dans le district de …. situé dans la province de …..

Vous relatez que votre mère et votre frère vivraient toujours en Afghanistan, mais que vous seriez sans nouvelles d’eux depuis la prise de pouvoir par les Talibans.

Concernant vos craintes en cas de retour en Afghanistan, vous prétendez premièrement avoir peur d’être recruté de force par les Talibans ou bien d’être tué par ces derniers.

Vous affirmez qu’avant votre départ, votre quartier aurait été sous le contrôle des Talibans. Un jour, plus précisément deux mois avant votre départ d’Afghanistan, c’est-à-dire il y a environ trois ans, les Talibans seraient venus à la mosquée de votre quartier et auraient informé les barbes blanches qu’ils exigeraient qu’un homme de chaque famille les rejoigne pour combattre et assurer la sécurité du quartier. Ils auraient ordonné aux barbes blanches de leur fournir une liste des adolescents de chaque maison. Vous précisez que les Talibans auraient fait la même démarche dans d’autres quartiers, et qu’ils auraient emmené ces adolescents à la guerre, où beaucoup d’entre eux auraient perdu la vie.

Vous continuez vos dires en indiquant que deux mois après leur premier passage, les Talibans seraient revenus dans le quartier et auraient réclamé cette liste. Vous affirmez que vous seriez certain que votre nom aurait figuré sur ladite liste, étant donné que vous auriez été le responsable de votre famille, votre père étant décédé. Ainsi, en raison de cette supposition vous auriez décidé de quitter l’Afghanistan de manière préventive. Vous expliquez cependant ne pas savoir avec certitude ce qui, respectivement quels noms auraient figuré sur la liste, car vous ne l’auriez jamais vue.

Deuxièmement, vous invoquez la situation sécuritaire précaire à laquelle seraient exposés les Afghans d’ethnie Hazara en Afghanistan. Vous mentionnez que « Même maintenant, les talibans ont demandé que les hazâras sortent des quartiers. Dans certaines villes, ils ont amené des filles hazâras avec eux » (p.7/11 de votre rapport d’entretien) et que « Les talibans tuaient des gens parce qu’ils étaient des chiites » (p.8/11 de votre rapport d’entretien).

Troisièmement, vous ajoutez qu’en cas de retour en Afghanistan vous seriez menacé de la peine de mort par les Talibans, car le porte-parole des Talibans aurait déclaré dans les médias que ceux qui sont partis en Europe et qui retournent en Afghanistan seront punis.

Vous ne versez aucun document à l’appui de votre demande de protection internationale et vous indiquez avoir perdu votre carte d’identité en Grèce.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Premièrement, vous indiquez avoir quitté votre pays d’origine au motif que vous auriez peur des représailles des Talibans en raison du fait que votre départ pourrait être interprété par ces derniers comme un refus de les rejoindre.

Avant tout progrès en cause il convient de souligner que vous n’avez à aucun moment été personnellement menacé par les Talibans. Vous vous bornez simplement à faire état d’une prétendue liste établie par les barbes blanches du village sur demande des Talibans et dans laquelle il serait indiqué que vous seriez obligé de rejoindre les Talibans. L’ensemble des éléments que vous mettez en avant dans ce contexte ne repose sur aucun fait concret et n’a trait qu’à des propos prétendument rapportés dont vous ignorez la teneur exacte.

De plus, il convient de souligner que vos craintes sont dénuées de tout lien avec les motifs énumérés par la Convention de Genève et la Loi de 2015 alors que vous ne craignez pas de subir de représailles de la part des Talibans du fait de votre race, de votre nationalité, de votre religion, de votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques, mais simplement étant donné que vous auriez refusé de les rejoindre.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que vous ne sauriez bénéficier du statut de réfugié.

A cela s’ajoute qu’il ne ressort pas des informations en mes mains que les Talibans procéderaient depuis leur prise de pouvoir à des recrutements forcés de jeunes, pour intégrer leurs rangs, de sorte que votre crainte n’est plus fondée. En effet, il convient de souligner que vos craintes remontent à 2018, c’est-à-dire à un moment où les Talibans avaient intérêt à forcer les jeunes hommes à rejoindre leurs rangs en vue de combattre les autorités afghanes pour renverser celles-ci du pouvoir. Or, en raison du changement du régime et de l’instauration d’un nouveau gouvernement après le mois d’août 2021, vos craintes relatives au recrutement forcé ne sont plus d’actualité et sont à qualifier de purement hypothétiques, et ce d’autant plus que vous n’auriez jamais effectué une formation militaire, et vous êtes désormais une personne adulte.

Or, une crainte hypothétique, qui n’est basée sur aucun fait réel ou probable ne saurait constituer une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention et de la Loi de 2015.

Deuxièmement, Monsieur, vous mentionnez également être à risque dans votre pays d’origine en raison de votre appartenance à l’ethnie Hazara et de votre confession musulmane chiite. Dans ce contexte, vous indiquez que toutes les personnes d’ethnie Hazara seraient dans la ligne de mire des Talibans.

Force est de constater que votre crainte d’être tué en Afghanistan à cause de votre confession musulmane chiite ou de votre ethnie Hazara relève du champ d’application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015 alors que cette crainte est liée à votre religion respectivement à votre ethnie.

Or, il convient de constater que vous ne formulez aucune crainte concrète qui reposerait sur des faits ou éléments concrets et vous vous bornez à faire état de considérations générales et impersonnelles. Or, la seule appartenance à l’ethnie Hazara n’est pas suffisante pour se voir octroyer une protection internationale. Il ne saurait en effet pas être question de l’existence de persécutions généralisées et systématiques touchant toute la population Hazara, c’est-à-dire plus de 4 millions de personnes.

Ainsi, à défaut d’établir en quoi vous seriez personnellement à risque d’être persécuté en raison de votre appartenance ethnique, il convient de conclure que les craintes que vous exprimez sont purement hypothétiques et traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité.

Or, une crainte hypothétique, qui n’est basée sur aucun fait réel ou probable ne saurait constituer une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention et de la Loi de 2015.

Troisièmement, Monsieur, vous indiquez craindre d’être tué par les Taliban alors qu’ils considéreraient tous ceux qui auraient vécu en Europe comme étant des mécréants.

Toutefois, il convient de noter que vous n’étayez aucunement vos dires et n’expliquez pas en quoi vous seriez personnellement considéré comme un mécréant en cas de retour en Afghanistan. En effet, vous vous bornez de mentionner que les Talibans auraient annoncé de punir tous les mécréants revenant d’Europe, mais vous n’établissez aucunement que vous auriez acquis un tel profil de « mécréant » ou qu’un tel profil pourrait vous être imputé en cas de retour. A cet égard, et faute de preuve d’une adoption visible d’un mode de vie occidental, votre seul séjour en Europe ne saurait suffire à vous attribuer un tel profil ou à démontrer le risque d’une telle imputation en cas de retour dans votre pays d’origine.

De plus, aucune source d’informations publique pertinente et disponible ne permet de démontrer que le seul séjour en Europe d’un ressortissant afghan, afin d’y demander une protection internationale, l’exposerait de manière systématique, en cas de retour dans son pays d’origine, à des persécutions ou à des atteintes graves de la part des Talibans.

Il convient dès lors de conclure que les craintes que vous exprimez sont, une fois de plus, purement hypothétiques. Or, comme susmentionné, une crainte hypothétique, qui n’est basée sur aucun fait réel ou probable ne saurait constituer une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention et de la Loi de 2015.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié, et notamment que vous auriez peur soit d’être recruté de force par les Taliban, soit d’être tué par les Taliban en raison de votre appartenance à l’ethnie Hazara et de votre confession musulmane chiite, ou encore d’être tué par les Taliban alors qu’ils considéreraient tous ceux qui auraient vécu en Europe comme étant des mécréants.

En ce qui concerne votre crainte d’être recruté de force par les Talibans, il convient de noter que ce motif a été analysé dans la première partie de la présente décision et rejeté comme étant une crainte hypothétique. Dans ce contexte, il y a lieu de réitérer que vous n’avez à aucun moment été personnellement approché ou menacé par les Talibans, et que vous ne pouvez que supposez que votre nom aurait figuré sur la liste, sans néanmoins avoir de certitude quant à cette allégation qui reste ainsi une pure supposition de votre part. De plus, comme développé ci-dessus, il ne ressort pas des informations en mes mains que les Talibans procéderaient depuis leur prise de pouvoir à des recrutements forcés de jeunes, voire d’adolescents, pour intégrer leurs rangs. Finalement, il y a lieu de noter que vous êtes désormais une personne adulte.

En ce qui concerne vos craintes d’être tué par les Talibans en raison de votre appartenance à l’ethnie Hazara et de votre confession musulmane chiite, ou encore d’être tué par les Taliban alors qu’ils considéreraient tous ceux qui auraient vécu en Europe comme étant des mécréants, il convient de noter que à défaut d’établir en quoi vous seriez personnellement à risque d’être persécuté en raisons de ces motifs, il y a lieu de conclure que les craintes que vous exprimez sont purement hypothétiques et traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination d’Afghanistan, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2023, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 15 décembre 2022 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par jugement du 8 juin 2023, le tribunal reçut en la forme le recours en réformation en ses deux branches, au fond, le dit non justifié et en débouta le demandeur, qu’il condamna encore aux frais de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 29 juin 2023, Monsieur (A) a régulièrement relevé appel de ce jugement.

A l’appui de son appel et en fait, il rappelle être de religion musulmane chiite, d’ethnie hazara et être originaire de la province de …. et cite les passages du procès-verbal de son entretien avec le ministère relatant les circonstances de son départ d’Afghanistan.

En droit, l’appelant estime que le ministre et les premiers juges auraient commis une erreur manifeste d’appréciation en ne lui octroyant pas le statut de réfugié ou celui conféré par la protection subsidiaire.

En ce qui concerne d’abord le refus de lui accorder le statut de réfugié, l’appelant avance que l’octroi d’un tel statut serait soumis à la réunion de trois conditions cumulatives :

premièrement, que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015 ; deuxièmement, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de cette loi ; troisièmement, que ces actes émanent de personnes qualifiées d’acteurs aux termes de l’article 39 de cette loi.

Il insiste sur le fait qu’il y aurait un conflit armé dans sa région d’origine et qu’il y aurait des persécutions systématiques à l’égard des opposants supposés aux talibans, des personnes qui auraient refusé de combattre à leurs côtés, de même que des Hazaras.

Concernant plus particulièrement la situation des Hazaras en Afghanistan, il cite le communiqué de presse du Conseil des droits de l’Homme du 12 septembre 2022, qui aurait soulevé des craintes d’un possible génocide des Hazaras. Il invoque également un rapport de Humans Rights Watch du 6 septembre 2022 qui évoquerait les violences commises à l’encontre de cette minorité et il en conclut qu’un jeune homme tel que lui-même courrait un grave risque de subir des traitement inhumains et dégradants.

En outre, l’appelant se réfère à une décision de la Cour nationale du droit d’asile française, ci-après la « CNDA », du 14 février 2023, dans laquelle cette dernière aurait estimé que l’état de conflit armé pouvait être déclaré dans douze provinces afghanes, et notamment la province dont l’appelant est originaire.

L’appelant reproche aux premiers juges d’avoir retenu à tort que ses craintes de persécution seraient purement hypothétiques, alors même qu’il aurait dénoncé des faits de persécutions et des craintes de persécution en raison de son appartenance à un certain groupe social, à savoir celui des rapatriés de l’Occident, au sens de l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015.

Il conclut que les persécutions et les craintes de persécutions dont il aurait été victime en raison de son appartenance ethnique, de sa confession religieuse et de son appartenance à un certain groupe social seraient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015.

L’appelant conclut que les trois conditions cumulatives permettant de lui octroyer le statut de réfugié seraient remplies en l’espèce, de sorte qu’il y aurait lieu de réformer en ce sens le jugement entrepris ainsi que la décision ministérielle du 15 décembre 2022.

En ce qui concerne ensuite le refus de lui accorder le statut conféré par la protection subsidiaire, l’appelant cite les articles 2, sub g), et 48 de la loi du 18 décembre 2015 pour conclure qu’au vu des développements effectués dans le cadre de ses arguments relatifs à l’octroi du statut de réfugié, il serait évident qu’il courrait, en cas de retour en Afghanistan, un risque réel de subir des atteintes graves telles que définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

De son côté, l’Etat conclut à la confirmation du jugement dont appel essentiellement à partir des développements et conclusions du tribunal y contenus.

La partie étatique souligne que l’appelant n’apporte aucun nouvel argument par rapport à son recours en première instance et que, dès lors, il n’y aurait aucune raison de réformer le jugement entrepris.

Comme rappelé à juste titre par les premiers juges, il se dégage de la lecture combinée des articles 2, sub f) et h), 39, 40 et 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions suivantes : les actes invoqués doivent être motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social ; ces actes doivent être d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), et doivent émaner de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 – étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, celles-ci sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions – ; enfin, le demandeur doit ne pas pouvoir ou vouloir se réclamer de la protection de son pays d’origine.

La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d'origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l'article 48 », ledit article 48 loi énumérant en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ». L'octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Il s’y ajoute que la définition du réfugié contenue à l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2, sub g), de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur de protection internationale ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du juge devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

L’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existante dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’appelant invoque différents motifs à la base de sa demande du statut de réfugié, à savoir le risque d’être persécuté par les Talibans en raison (i) de son refus de rejoindre les rangs des Talibans, (ii) de son appartenance ethnique hazara, et (iii) de son occidentalisation.

Tout d’abord, concernant la crainte de l’appelant d’être perçu comme un opposant politique aux Talibans du fait de son refus de rejoindre leurs rangs, c’est à juste titre que le tribunal a retenu que ces faits, qui ont eu lieu en 2018, ne sont plus pertinents au regard de la situation actuelle, alors qu’il y a eu un changement de régime en août 2021 et que les craintes de l’appelant de faire l’objet d’un recrutement forcé sont dès lors hypothétiques.

Concernant les craintes de l’appelant de faire l’objet de persécutions ou d’atteintes graves de la part des Talibans en raison de son appartenance à l’ethnie hazara, les premiers juges se sont à juste titre appuyés sur la jurisprudence de la Cour administrative par rapport à la situation générale des membres de cette communauté en Afghanistan, ayant retenu que s’il se dégage des sources à sa disposition que les membres de l’ethnie hazara font l’objet de la persistance d’actes de violence et de harcèlements de la part des Talibans, il ne ressort néanmoins pas des éléments d’informations lui soumis que les Hazaras feraient l’objet de persécutions généralisées et systématiques du seul fait de leur origine ethnique ou de leur confession musulmane chiite. Tel que déjà retenu par la Cour dans ses arrêts des 19 mai 2022 (n° 46363C du rôle) et 30 juin 2022 (n° 46108C du rôle), les attaques menées contre les Hazaras sont pour la plupart l’œuvre de l’organisation terroriste Etat islamique de la province du … et visent surtout les lieux de culte chiites respectivement des civils hazaras en raison de leur profil de fonctionnaires, de journalistes ou encore de personnel d’organisations non gouvernementales, attaques qui sont pour le surplus très ponctuelles, non quotidiennes et perpétrées dans les grandes villes du pays.

La Cour a encore retenu dans des arrêts du 21 février 2023 (n° 48083C du rôle) et 5 décembre 2023 (n° 48946C du rôle) qu’un rapport « EUAA Country Guidance :

Afghanistan » d’avril 2022 recommande de vérifier si la personne hazara concernée présente d’autres éléments qui permettraient de conclure qu’elle correspond à un profil plus à risque que d’autres.

Il s’ensuit que le seul fait d’être hazara et de confession chiite n’est pas suffisant en soi pour justifier une crainte de persécution dans le chef de l’appelant.

Cette conclusion n’est pas invalidée par les sources d’informations additionnelles invoquées par l’appelant en instance d’appel. En effet, s’il est certes vrai que certaines publications évoquent un sérieux risque de génocide des Hazaras chiites en Afghanistan, il n’en demeure pas moins que la Cour ne dispose pas de suffisamment d’éléments permettant de retenir que la situation actuelle puisse être qualifiée de telle.

S’agissant de la question de l’existence, en l’espèce, d’autres éléments personnels qui permettraient de conclure que l’appelant encourt individuellement un risque de persécutions en tant que membre de la minorité ethnique et religieuse hazara chiite, la Cour est amenée à conclure qu’au regard de ce qu’elle vient de retenir par rapport au vécu personnel de l’appelant que les motifs invoqués par celui-ci ne permettant pas de retenir qu’en cas de retour en Afghanistan, il se trouverait particulièrement dans le viseur des Talibans de sa région d’origine.

Concernant la prétendue « occidentalisation » de l’appelant, il ne ressort pas des éléments soumis à l’appréciation de la Cour que des personnes « occidentalisées », majeures et de sexe masculin, qui retournent en Afghanistan risqueraient des persécutions de ce fait, même si elles peuvent être regardées avec suspicion ou faire l’objet de stigmatisation ou de rejet. Partant, la Cour arrive à la conclusion que l’appelant reste en défaut d’expliquer les raisons concrètes qui pourraient conduire les Talibans à le persécuter du seul fait d’avoir vécu quelques années en Europe et que les craintes afférentes ne traduisent dès lors qu’un vague sentiment d’insécurité.

Par voie de conséquence, la Cour rejoint entièrement et fait sienne l’analyse exhaustive faite par les premiers juges des motifs invoqués à la base de la demande de protection internationale par rapport aux conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire, et de la conclusion en tirée selon laquelle l’appelant ne fait pas état d’éléments suffisants permettant de justifier une crainte de persécutions au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, ni de motifs sérieux et avérés de croire qu’il court en Afghanistan un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, points a) et b), de la même loi.

Enfin, en ce qui concerne la situation sécuritaire prévalant actuellement en Afghanistan, la Cour n’est pas saisie d’éléments permettant de conclure à l’existence d’une situation de conflit interne au sens de l’article 48 point c), de la loi du 18 décembre 2015, la conclusion des premiers juges étant également à confirmer sur ce point.

A cet égard, la Cour relève encore que les rapports produits en cause ne permettent pas de conclure à l’existence d’une situation où l’ampleur de la violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé est telle qu’il existerait des motifs sérieux de croire qu’un civil, du seul fait de sa présence sur place, court un risque réel d’être exposé à des atteintes graves au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015, l’appelant n’ayant, par ailleurs, pas apporté des éléments qui permettraient de retenir qu’il serait personnellement exposé, en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, à un risque réel découlant d’une violence aveugle au point qu’il faille admettre qu’en cas de retour en Afghanistan, il courrait un risque réel de menace grave pour sa vie ou sa personne.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que les premiers juges sont à confirmer en ce qu’ils ont retenu que les faits relatés par l’appelant ne permettaient pas l’octroi d’une protection internationale dans son chef et qu’ils ont par suite rejeté le recours pour ne pas être fondé.

L’appelant sollicite encore, par réformation du jugement entrepris, l’annulation de l’ordre de quitter le territoire comme conséquence de l’octroi d’une protection internationale.

Or, comme le jugement entrepris est à confirmer en tant qu’il a rejeté la demande d’octroi du statut de la protection internationale de l’appelant - statut de réfugié et protection subsidiaire - et que le refus dudit statut entraîne automatiquement l’ordre de quitter le territoire, l’appel dirigé contre le volet de la décision des premiers juges ayant refusé de réformer cet ordre est encore à rejeter.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelant et de confirmer le jugement entrepris.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 29 juin 2023 en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelant, partant, confirme le jugement entrepris du 8 juin 2023, condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu à l’audience publique du 8 février 2024 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller, en présence du greffier de la Cour …… s. …..

s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 février 2024 Le greffier de la Cour administrative 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49093C
Date de la décision : 08/02/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/02/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2024-02-08;49093c ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award