GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 49095C ECLI:LU:CADM:2024:49095 Inscrit le 29 juin 2023
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Audience publique du 19 mars 2024 Appel formé par l’administration communale de Leudelange contre un jugement du tribunal administratif du 19 mai 2023 (n° 44442 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du directeur de l’administration des Contributions directes et une décision du ministre de l’Intérieur en matière de finances communales
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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 49095C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 29 juin 2023 par la société anonyme SCHILTZ & SCHILTZ S.A., inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg et ayant son siège social à L-1610 Luxembourg, 24-26, avenue de la Gare, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B 220.251, représentée aux fins des présentes par Maître Jean-Louis SCHILTZ, avocat à la Cour, assisté de Maître Charles HURT, avocat à la Cour, tous deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de Leudelange, établie à sa maison communale sise à L-3361 Leudelange, 5, place des Martyrs, représentée par son collège des bourgmestre et échevins en fonctions, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 19 mai 2023 (n° 44442 du rôle), par lequel ledit tribunal reçut en la forme le recours principal en réformation introduit par elle à l’encontre de la décision N° …………. du directeur de l’administration des Contributions directes du 19 février 2020 concernant la participation de la commune de Leudelange au produit de l’impôt communal commercial généré en 2019, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre ladite décision, se déclara incompétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision du ministre de l'Intérieur et ses annexes du 6 mars 2020 intitulée « Finances communales - Décompte 2019 et plan de paiement 2020 », reçut en la forme le recours subsidiaire en annulation dirigé contre ladite décision, au fond, déclara ces recours non justifiés et en débouta et condamna la partie demanderesse aux frais et dépens de l’instance ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 28 septembre 2023 par la société à responsabilité limitée RODESCH AVOCATS A LA COUR s.à r.l., inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg et ayant son siège social à L-1470 Luxembourg, 7-11, route d’Esch, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B 265.322, représentée aux fins des présentes par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 27 octobre 2023 par la société anonyme SCHILTZ & SCHILTZ S.A., représentée par Maître Jean-Louis SCHILTZ, assisté de Maître Charles HURT, pour compte de l’administration communale de Leudelange ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 17 novembre 2023 par la société à responsabilité limitée RODESCH AVOCATS A LA COUR s.à r.l., représentée par Maître Albert RODESCH, pour compte de l’Etat du Grand-
Duché de Luxembourg ;
Vu l’avis de la Cour administrative du 30 novembre 2023 autorisant chaque partie à fournir un mémoire supplémentaire en vue de prendre position par rapport aux arrêts de la Cour constitutionnelle du 17 novembre 2023 (nos 00186, 00187, 00188 et 00189 du registre) ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe de la Cour administrative le 22 décembre 2023 par la société anonyme SCHILTZ & SCHILTZ S.A., représentée par Maître Jean-Louis SCHILTZ, pour compte de l’administration communale de Leudelange ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe de la Cour administrative le 16 janvier 2024 par la société à responsabilité limitée RODESCH AVOCATS A LA COUR s.à r.l., représentée par Maître Albert RODESCH, pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maîtres Jean-Louis SCHILTZ et Albert RODESCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er février 2024.
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Le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après le « directeur », émit en date du 19 février 2020 la décision n° …………. concernant la participation directe au produit de l’impôt commercial communal perçu en 2019 par la commune de Leudelange et l’affectation au Fonds de dotation globale des communes, ci-après le « FDGC », ladite décision étant libellée comme suit :
« (…) Vu les articles 7(2) et 9 de la loi modifiée du 1er mars 1952 modifiant certaines dispositions relatives aux impôts directs ;
Vu les rentrées fiscales de l'impôt commercial communal du pays s'élevant en 2019 à …. € ;
Vu les rentrées fiscales de l'impôt commercial communal s'élevant en 2019 à …. € au profit de votre commune ;
Vu la population totale du pays en 2019 calculée par l'Institut national de la statistique et des études économiques du Grand-Duché de Luxembourg s'élevant à 613.894 habitants et la population de votre commune en 2019 calculée par l'Institut national de la statistique et des études économiques du Grand-Duché de Luxembourg s'élevant à 2.668 habitants ;
Considérant le montant de …. € correspondant à 35% du produit en impôt commercial communal généré sur le territoire de votre commune en 2019 ;
Considérant le montant de …. € correspondant à 35% de la moyenne nationale par habitant des recettes en impôt commercial communal multipliée avec la population de votre commune.
Par ces motifs, La participation directe de votre commune au produit en impôt commercial communal généré en 2019 sur le territoire de votre commune s'élève à …. € ;
Le montant de …. € est affecté au Fonds de dotation globale des communes. (…) ».
Par courrier du 6 mars 2020, le ministre de l’Intérieur, ci-après le « ministre », transmit au bourgmestre de la commune de Leudelange le « décompte de l’année 2019 relatif aux recettes provenant du Fonds de dotation globale des communes (FDGC), la participation directe au produit de l’Impôt commercial communal (ICC) et le montant de la contribution de la commune de Leudelange au Fonds de l’emploi (FdE) » avec annexes explicatives quant aux calculs, s’élevant à un montant de … euros.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 mai 2020 et inscrite sous le numéro 44442 du rôle, l’administration communale de Leudelange, ci-après « l’administration communale », fit introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation (i) de la décision directoriale précitée N° …………. du 19 février 2020 ainsi que (ii) de l’acte précité du ministre du 6 mars 2020.
Dans son jugement du 19 mai 2023, le tribunal administratif reçut en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision N° …………. du directeur du 19 février 2020 et dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre ladite décision. Il se déclara incompétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision du ministre et ses annexes du 6 mars 2020, mais reçut en la forme le recours subsidiaire en annulation dirigé contre ladite décision. Quant au fond, le tribunal déclara les deux recours non justifiés et en débouta l’administration communale, tout en la condamnant aux frais et dépens de l’instance.
Pour aboutir à cette solution, le tribunal écarta d’abord le moyen d’irrecevabilité étatique tiré du libellé obscur de la requête introductive et celui tiré de l’absence de contenu décisionnel dans l’acte ministériel du 6 mars 2020 en jugeant que ce dernier contient un élément décisionnel tenant aux participations définitives et leur répartition entre les communes, de même qu’il détermine le montant de la contribution de l’administration communale au Fonds pour l’Emploi.
Quant au fond, le tribunal rejeta comme n’étant pas justifiés les moyens de l’administration communale qui étaient fondés sur six questions préjudicielles que le tribunal avait déjà soumises à la Cour constitutionnelle par jugement du 31 janvier 2020 (n° 41195 du rôle) dans le cadre du recours introduit par l’administration communale contre les décisions du directeur et du ministre concernant la répartition de l’impôt commercial communal pour l’année 2017. Le tribunal fonda son rejet sur les réponses à ces questions apportées par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 13 novembre 2020 (n° 00156 du registre) retenant en substance la conformité à l’article 107, paragraphe 1, de la Constitution, sous les différents aspects visés dans les questions préjudicielles, de l’article 9 de la loi modifiée du 1er mars 1952 modifiant certaines dispositions relatives aux impôts directs, ci-après la « loi du 1er mars 1952 », de l’article 3, paragraphe 2, de la loi du 14 décembre 2016 portant création d’un fonds de dotation globale des communes, ci-après la « loi du 14 décembre 2016 », et de l’article 8 de la loi modifiée du 30 juin 1976 portant dotation d’un fonds de chômage, ci-après la « loi du 30 juin 1976 ».
En deuxième lieu, le tribunal refusa de soumettre à la Cour constitutionnelle quatre nouvelles questions préjudicielles présentées par l’administration communale en se fondant en partie sur les réponses fournies par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 13 novembre 2020 et en partie sur le caractère clairement infondé des questions soumises.
Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 29 juin 2023, l’administration communale a fait régulièrement relever appel de ce jugement du 19 mai 2023.
Dans la mesure où les questions relatives à la recevabilité du recours en première instance relèvent certes du fond du litige en instance d’appel, mais conditionnent l’étendue du réexamen à effectuer par le juge d’appel en ce qu’une réformation du jugement entrepris dans le sens de la déclaration d’irrecevabilité du recours rend superfétatoire tout examen du fond du litige, il y a lieu d’examiner en premier les moyens d’irrecevabilité que l’Etat déclare réitérer en instance d’appel.
Quant à la recevabilité du recours Quant au libellé obscur de la requête de première instance L’Etat réitère en premier lieu son moyen relatif au libellé obscur de la requête introductive de première instance, au motif que l’administration communale aurait introduit un recours en réformation à l’encontre de la décision déférée sans la moindre précision quant à la teneur de la réformation et sans demander un renvoi devant les autorités compétentes. Il explique que, dans le cadre d’un recours en réformation, à la différence d’un recours en annulation, le juge devrait vider le fond du litige, soit en confirmant la décision incriminée, soit en substituant sa propre décision à celle de l’administration. Ainsi, ce ne serait qu’en présence d’un vice de procédure que le juge de la réformation pourrait se limiter à annuler la décision. Il est encore d’avis que si le tribunal était amené à annuler, dans le cadre de la réformation, la décision déférée, « l’intégralité de l’échafaudage fiscal complexe de l’ICC, voire du financement des communes et du FdE » serait ébranlée, sans que la Cour ne puisse prendre une décision se substituant à celle du directeur et du ministre. Une telle décision aurait, par ailleurs, « (…) des conséquences incommensurables pour les communes lésées alors qu'elle modifierait radicalement la répartition des recettes provenant de l'ICC entre les diverses communes, raison pour laquelle il eût été impérieux de préciser exactement l'objet du recours en réformation ».
L’Etat poursuit que ses droits de la défense seraient atteints, puisqu’il ne serait pas en mesure de « distiller », à partir de la demande formulée par l’administration communale, le contenu de la décision que celle-ci souhaiterait voir prendre en lieu et place de celle attaquée, l’Etat affirmant en tout cas ne pas être en mesure de prendre position par rapport à une décision à prendre par la Cour par substitution de celle de l’administration, pareille décision n’ayant pas été suggérée dans le recours.
Par ailleurs, l’Etat donne à considérer que s’il est vrai qu’un demandeur peut invoquer des moyens d’annulation à l’appui d’un recours en réformation, il appartiendrait cependant au juge de substituer dans ce cas une nouvelle décision conforme à l’interprétation commandée de la loi. L’argument du tribunal, suivant lequel l’administration communale aurait pu se limiter à demander l’annulation des actes déférés dans la mesure où le recours en réformation serait directement lié aux questions de constitutionnalité soulevées, manquerait de base légale, au motif que la recevabilité d’un recours contentieux ne saurait dépendre exclusivement de la nature des arguments développés à son appui, mais devrait s’apprécier au vu du libellé du dispositif.
Si, dans une matière où un recours en réformation est prévu, le demandeur peut limiter son recours en demandant au juge administratif de ne pas épuiser son pouvoir de réformation, mais de restreindre son contrôle aux seules questions de légalité d’une décision litigieuse et de l’annuler, encore faut-il que cette demande soit présentée en bonne et due forme et que l’intérêt à agir du demandeur reste vérifié par rapport à cette demande.
En l’espèce, à travers sa requête introductive déposée le 18 mai 2020, l’administration communale a introduit un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision directoriale précitée N° …………. du 19 février 2020 et l’acte précité du ministre du 6 mars 2020 en demandant plus précisément au tribunal de « déclarer le présent recours en réformation, sinon en annulation fondé et justifié ; partant, annuler les décisions entreprises pour violation de la loi dans le cadre du recours en réformation introduit par la requérante ; sinon, pour le cas où le recours en réformation ne devait pas être recevable, annuler par « annulation » et sur base des mêmes moyens sus-analysés les décisions entreprises ».
Il se dégage de ce libellé du dispositif de la requête introductive que l’administration communale a certes entendu exercer la voie de recours prévue par la loi contre les deux actes décisionnels déférés, mais limiter la portée de son recours à l’examen de la légalité desdits actes et solliciter en conséquence seulement leur annulation en cas de constat de leur illégalité.
Ce faisant, l’administration communale a partant valablement fait usage de la faculté de limiter la portée de son recours dans le dispositif même de sa requête introductive et, comme les premiers juges l’ont relevé à bon droit, l’administration communale est restée cohérente dans cette approche en ayant soulevé, dans le cadre du fond du recours, des questions de constitutionnalité des dispositions légales appliquées.
L’administration communale fait encore valoir pertinemment que le constat de non-conformité des lois en cause à la Constitution auquel le recours sous examen est susceptible d’aboutir impliquera des modifications législatives, ce qui correspond à une situation à laquelle ni le juge administratif, ni la Cour constitutionnelle ne pourront remédier.
Dans ces conditions l’administration communale ne saurait être obligée à étendre l’objet de son recours au-delà de sa demande en annulation des actes déférés afin de combler en quelque sorte le vide juridique entraîné par une éventuelle déclaration de non-conformité à la Constitution.
C’est partant à bon droit que les premiers juges ont rejeté le moyen d’irrecevabilité pour cause de libellé obscur pour ne pas être fondé.
Quant à la recevabilité du recours contre l’acte ministériel du 6 mars 2020 En deuxième lieu, l’Etat réitère son moyen d’irrecevabilité suivant lequel le courrier précité du ministre du 6 mars 2020 ne contiendrait aucune décision susceptible d’un recours, s’agissant d’une lettre à laquelle serait jointe une note explicative ayant un contenu informationnel se fondant sur la décision précitée du directeur du 19 février 2020. Suivant l’Etat, le ministre n’aurait procédé à aucune appréciation, mais n’aurait fait que respecter la loi au vu des données lui fournies par l’administration des Contributions directes, de sorte que le courrier ministériel ne constituerait qu’une information sur la répartition entre les communes du produit de l’impôt commercial communal conformément aux dispositions légales applicables.
L’Etat critique dans ce cadre le tribunal pour s’être fondé sur le texte de l’article 5, paragraphe (2), de la loi du 14 décembre 2016 pour en déduire le caractère décisionnel de la lettre ministérielle et il argue que le caractère décisionnel ne résulterait pas d’un « libellé imprécis, voire inapproprié d’un terme d’une disposition légale » et qu’il faudrait prendre acte de ce qu’au vœu de la loi, le ministre serait tenu de communiquer et de suivre le résultat du calcul opéré par l’administration des Contributions directes.
Les premiers juges se sont référés à bon escient à l'article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif pour en déduire qu’il limite l'ouverture d'un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives suivant lesquelles l'acte litigieux doit constituer une décision administrative, c'est-à-dire émaner d'une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu'il doit s'agir d'un acte comprenant un élément décisionnel affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste.
C’est pareillement à juste titre que les premiers juges se sont fondés sur l’article 5, paragraphe (2), de la loi du 14 décembre 2016, lequel dispose comme suit : « Après la fin de l’année, le ministre ayant l’Intérieur dans ses attributions détermine, sur base des dispositions des articles 2 et 3, les participations définitives ainsi que leur répartition entre les communes et verse aux communes les sommes ainsi fixées, déduction faite des sommes avancées en vertu du paragraphe 1er du présent article ».
Comme ils l’ont valablement constaté, cette disposition attribue au ministre la compétence de « déterminer » les participations définitives au FDGC, ainsi que leur répartition entre les communes. Cette « détermination » correspond ainsi, au vœu de ladite disposition, à une compétence propre du ministre pour prendre un acte décisionnel à contenu obligatoire à l’égard des communes. Ce n'est pas l’affirmation du caractère « imprécis, voire inapproprié » du terme « détermine » au vu des pouvoirs propres attribués par l’article 7 de la loi du 1er mars 1952 au directeur de l’administration des Contributions directes et au vu de la détermination préalable par le ministre ayant les Finances dans ses attributions qui permet de dénier à l’acte ministériel du 6 mars 2020 la nature d’acte décisionnel au vu de son caractère final dans la procédure de fixation des participations définitives au FDGC, de leur répartition entre les communes ainsi que de détermination du montant de la contribution de l’administration communale au Fonds de l’Emploi, ci-après le « FdE ».
La Cour partage dès lors la conclusion des premiers juges que lesdits éléments décisionnels ne peuvent manifestement pas être qualifiés de simple information et que le moyen étatique d’irrecevabilité est à rejeter pour ne pas être fondé.
Il découle de ces développements que c’est à bon droit que le tribunal a écarté les moyens d’irrecevabilité soulevés par l’Etat et qu’il a reçu en la forme le recours principal en réformation à l’encontre de la décision N° …………. du directeur du 19 février 2020 et le recours subsidiaire en annulation dirigé contre la décision du ministre du 6 mars 2020 et qu’il a procédé à l’examen du mérite au fond de ce double recours.
Quant à la nécessité d’une mise en intervention d’autres communes du pays La partie étatique met encore en exergue le fait que, selon elle, une décision d’annulation ne pourrait intervenir qu’après avoir mis en intervention toutes les communes « indirectement mais gravement lésées par pareille décision dans la mesure où leurs intérêts [seraient] totalement opposés à ceux de la commune requérante », dès lors que la décision déférée leur procurerait un avantage direct par l’application de la péréquation, de sorte qu’elles auraient un intérêt évident à la solution du litige. L’Etat souligne que d’après l’argumentaire de l’administration communale, l’impôt commercial communal serait un impôt communal et le rôle de l’Etat devrait se limiter à celui d’encaisser pour compte d’une commune qui devrait pouvoir toucher l’intégralité du produit de l’impôt commercial communal généré sur son territoire.
Afin de justifier le préjudice grave emporté par une décision reconnaissant le bien-fondé de l’argumentation de l’administration communale, l’Etat se fonde sur des informations reçues de la part de la direction des finances communales pour faire valoir que 21 communes n’auraient plus disposé au titre de l’année en cause de moyens financiers pour payer leurs dépenses courantes, que 53 autres communes n’auraient plus eu au titre de l’année en cause de réserves financières pour des projets d’infrastructure élémentaires et que seulement 10 communes seraient gagnantes, dont l’administration communale.
Dès lors, il conviendrait d’ordonner la mise en intervention de « toutes les communes intéressées, c’est-à-dire celles qui bénéficient d’un système de péréquation depuis la loi de 1952 ».
L’Etat critique le tribunal pour avoir écarté cette demande en faisant valoir que sur le montant de …. millions d’euros d’impôt commercial communal récoltés sur le territoire de l’administration communale, elle se serait vu redistribuer ….millions d’euros par les mécanismes en place et que les …. millions d’euros auraient bénéficié aux autres communes, de sorte que l’annulation des décisions déférées causerait nécessairement un préjudice pour ces autres communes.
Cette demande a pourtant été écartée à juste titre par le tribunal.
En effet, comme les premiers juges l’ont justement relevé, les décisions déférées ont été prises à l’égard de la seule administration communale en ce qu’elles déterminent sa participation directe au produit de l’impôt commercial communal, le montant affecté au FDGC et le montant de la contribution de l’administration communale au FdE. De même, comme l’administration communale fait valoir à juste titre, l’arrêt de la Cour n’a qu’un effet inter partes et ne s’impose pas aux autres communes. L’Etat n’avance pas qu’en cas d’une annulation de ces décisions, un éventuel remboursement à l’administration communale des montants attribués au titre de l’année 2019 au FDGC et au FdE sur leur base emportera également une récupération auprès des autres communes bénéficiaires de leurs parts reçues à partir du montant des recettes d’impôt commercial communal générées sur le territoire de l’administration communale et affecté au FDGC. Une affectation directe de la situation financière d’autres communes en cas de succès du recours sous analyse de l’administration communale n’est partant pas établie.
Pour le surplus, il est bien vrai qu’une annulation des décisions déférées, suite à un arrêt à intervenir de la Cour constitutionnelle ayant retenu la non-conformité à la Constitution des dispositions légales mises en cause par l’administration communale, engendrera nécessairement des changements au cadre législatif du système de péréquation qui sont de nature à avoir des incidences sur les recettes futures des autres communes à partir du FDGC.
Cependant, ces changements ne sauraient être fixés par le juge administratif ou la Cour constitutionnelle, mais dépendront du contenu effectif de ces changements tels qu’ils seront proposés par le gouvernement et adoptés à travers la procédure législative afférente et il appartiendra aux communes de faire valoir leurs intérêts à travers leurs organes de représentation par rapport aux modifications qui seront proposées et adoptées dans le cadre de ce processus législatif. Une mise en intervention des autres communes dans le cadre de la procédure contentieuse sous examen ne leur procurerait partant à cet égard aucune plus-value dans la préservation de leurs intérêts financiers respectifs.
Par voie de conséquence, la Cour rejoint les premiers juges dans leur conclusion qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande étatique d’une mise en intervention d’autres communes du pays et écarte cette demande.
Quant au fond Liminairement, la Cour relève que l’Etat estime que les questions préjudicielles proposées par l’administration communale et examinées dans la suite devraient toutes être déclarées irrecevables, sinon n’auraient plus lieu d’être posées, au motif que les mêmes dispositions légales auraient déjà été soumises à l’examen de la Cour constitutionnelle et que cette dernière ne pourrait pas aboutir à des conclusions différentes de celles contenues dans ses arrêts du 13 novembre 2020 (nos 156 et 157 du registre) ayant confirmé la conformité desdites dispositions légales à l’article 107, paragraphe 1, de la Constitution.
L’administration communale fait cependant valoir à juste titre que le juge constitutionnel statue dans le cadre du litige particulier à la base de sa saisine et par rapport aux questions de conformité qui lui sont posées. Or, dans lesdits arrêts du 13 novembre 2020, la Cour constitutionnelle s’est prononcée sur le principe du système de péréquation entre communes par le FDGC, sur la conformité du critère incitatif des logements sociaux et sur le principe de l’affection d’une partie des recettes de l’impôt commercial communal à l’entité étatique du FdE. Dès lors qu’à travers ses moyens soulevés suite à ces arrêts du 13 novembre 2020 et les questions préjudicielles afférentes telles que formulées, l’administration communale soulève des questions de conformité à la Constitution, et notamment à son article 107, paragraphe 1, d’autres volets distinguables du régime légal de participation et de répartition du produit global de l’impôt commercial communal entre les communes du pays, elle ne se heurte pas à une irrecevabilité des nouvelles questions préjudicielles mises en avant.
La Cour examinera partant les moyens et les questions préjudicielles afférentes de l’administration communale sur base de cette prémisse.
Quant au critère de la « population ajustée » L’administration communale expose que le tribunal aurait apparemment adopté un raisonnement suivant lequel deux versions de l’article 3 de la loi du 14 décembre 2016 pourraient être distinguées : la version originaire inscrite dans la loi du 14 décembre 2016 même et applicable jusqu’à la loi du 26 avril 2019 concernant le budget des recettes et des dépenses de l’Etat pour l’exercice 2019, ci-après la « loi du 26 avril 2019 », et celle découlant de la modification par cette dernière loi.
En effet, dans le cadre de deux recours introduits par l’administration communale contre les décisions du directeur et du ministre au titre des années d’imposition 2017 et 2018, elle aurait soulevé la question de la conformité de l'article 3, paragraphe (2), point 2. lettre a), point i), de la loi du 14 décembre 2016 et de l'article 8, paragraphe 2, de la loi du 30 juin 1976 à l’article 107 de la Constitution en ce qui concerne le critère de la « population ajustée » qui n’était pas précisé dans le texte de la loi même. Le tribunal aurait considéré ce moyen comme suffisamment pertinent pour soumettre, par jugements du 5 mai 2023, à la Cour constitutionnelle des questions préjudicielles à cet égard. En revanche, dans le jugement entrepris, le tribunal aurait pris le contrepied de son raisonnement concernant les années 2017 et 2018 en se fondant sur la modification de l’article 3 de la loi du 14 décembre 2016 opérée par la loi du 26 avril 2019.
Cette modification se limiterait pourtant à insérer telles quelles, sans autres précisions, les dispositions de l’ancien règlement grand-ducal du 14 décembre 2016 portant exécution de la loi du 14 décembre 2016 dans le texte de l’article 3, paragraphe (2), point 2., lettre a), de la loi du 14 décembre 2016. Cette nouvelle disposition serait néanmoins tout aussi imprécise que la disposition de l’ancien règlement grand-ducal en ce que les critères d’aménagement du territoire à la base de la notion de la « population ajustée », tout comme les critères à la base des pourcentages particuliers applicables à certaines villes et communes ne seraient nullement définis dans la loi. Elle insiste sur l’exigence formulée par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 8 décembre 2017 (n° 00131 du registre) qui aurait mis en exergue que les « aspects pertinents » de la détermination de l’ajustement de la population des communes soient définis dans la loi même.
L’administration communale réfute l’argumentation étatique suivant laquelle la Cour constitutionnelle aurait déjà validé les dispositions de l’article 3, paragraphe (2), de la loi du 14 décembre 2016 et de l’article 8 de la loi du 30 juin 1976 dans ses arrêts du 13 novembre 2020. Elle argue que le juge constitutionnel statuerait dans le cadre de la question préjudicielle lui soumise et qu’en conséquence, il aurait seulement validé ces dispositions par rapport au critère des logements sociaux et du principe de l’affectation d’une partie des recettes d’impôt commercial communal au FdE. La Cour constitutionnelle ne se serait partant pas encore prononcée sur les questions actuellement soulevées par l’appelante.
L’administration communale critique ainsi que le tribunal a rejeté la question préjudicielle afférente proposée par elle en considérant que le nouveau libellé de l’article 3, paragraphe (2), point 2., lettre a), de la loi du 14 décembre 2016 ne porterait pas à critique à l’égard de l’article 107, paragraphe 1, de la Constitution. Or, comme la Cour constitutionnelle aurait jugé dans un arrêt du 8 décembre 2017 (n° 131 du registre), cette disposition devrait être lue à l’aune des dispositions de la Charte européenne de l’autonomie locale du 15 octobre 1985, approuvée par la loi du 18 mars 1987, ci-après la « Charte », dont l’article 4.4 impliquerait que toute intervention des autorités centrales dans un domaine relevant de la compétence des communes devrait être prévue par des dispositions législatives clairement formulées. En se référant aux travaux parlementaires relatifs à la loi du 14 décembre 2016 pour conclure que la disposition en cause serait suffisamment précisée, le tribunal aurait en revanche fait l’aveu du caractère ambigu du texte de loi qui ne répondrait partant pas aux exigences de l’article 4.4 de la Charte. L’administration communale ajoute que le tribunal se serait référé aux travaux parlementaires relatifs à la loi du 14 décembre 2016 et non pas à ceux visant la loi du 26 avril 2019 et qu’en présence de ces mêmes travaux parlementaires, il aurait quand même posé deux questions préjudicielles visant l’article 3, paragraphe (2), point 2., lettre a), de la loi du 14 décembre 2016. Le raisonnement du tribunal admettant une précision suffisante de cette disposition ne tiendrait dès lors pas. La conclusion s’imposerait plutôt que le mécanisme pour la répartition de 82% du solde du FDGC ne serait toujours pas déterminable à partir des textes de lois sur base de conditions et modalités suffisamment précises.
L’administration communale critique encore que le tribunal s’est encore référé à un « exemple chiffré » figurant dans les travaux parlementaires pour le considérer comme transposable en l’espèce afin d’expliciter l’article 3, paragraphe (2), point 2., lettre a), de la loi du 14 décembre 2016. Cet « exemple chiffré » ne permettrait cependant pas d’identifier les critères d’aménagement du territoire à la base de la notion de la « population ajustée » et d’expliquer en conséquence les pourcentages particuliers appliqués à certaines villes et communes seulement. Il serait d’autant plus grave qu’aucun exemple chiffré ne permettrait de vérifier le respect du principe de l’autonomie communale lu à l’aune de la Charte.
Elle réfute ensuite l’analyse étatique basée sur le programme directeur d’aménagement du territoire, ci-après le « PDAT », et à la notion des « Centres de développement et d’attraction », ci-après les « CDA », y prévue pour établir une hiérarchie entre les communes.
D’après l’administration communale, le PDAT ne concernerait pas les finances communales, ne serait, par ailleurs, pas opérationnel et serait dépourvu de valeur juridique contraignante pour ne constituer qu’un instrument d’orientation pour les autorités. De même, les CDA ne seraient pas définis dans une disposition légale et correspondraient à une notion de planification sans force normative. Elle se prévaut encore de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 8 décembre 2017 pour faire valoir qu’un mécanisme de distribution des fonds issus du FDGC devrait être déterminable à partir du texte de loi sur base des conditions et modalités suffisamment précises fixées dans la loi, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce au regard de la circonstance que le PDAT serait dépourvu de valeur juridique contraignante, de sorte à confirmer les inconstitutionnalités mises en avant en première instance. Elle ajoute que les reproches d’inconstitutionnalité de l'article 3, paragraphe (2), point 2., lettre a), de la loi du 14 décembre 2016 vaudraient mutatis mutandis à l’encontre de l'article 8, paragraphe (2) de la loi du 30 juin 1976 en ce que cette dernière disposition ne ferait que se référer à la notion de la « population ajustée » contenue dans la première.
L’administration communale réitère partant sa demande de voir adresser à la Cour constitutionnelle les deux questions préjudicielles suivantes :
« L'article 3 paragraphe (2) point 2. lettre a) de la loi du 14 décembre 2016 en ce qu'il prévoit que 82 pour cent du solde du FDGC sont répartis d'après la «population ajustée », elle-même déterminée (i) en fonction de critères d'aménagement du territoire non autrement définis, ni précisés et (ii) de pourcentages préétablis applicables (iii) seulement à certaines villes et communes et pas d'autres (iv) sans pour autant prévoir de critères retraçables et suffisamment précis pour établir l'ajustement, est-il conforme à l'article 107 (1) de la Constitution lu à la lumière des articles 4.4., 9.1. et 9.2. de la Charte ? » et « L'article 8 paragraphe 2 de la loi du 30 juin 1976 en ce qu'il prévoit qu'une première contribution au Fonds de l'emploi est déterminée d'après la « population ajustée », elle-même déterminée (i) en fonction de critères d'aménagement du territoire non autrement définis, ni précisés et (ii) de pourcentages préétablis applicables (iii) seulement à certaines villes et communes et pas d'autres (iv) sans pour autant prévoir de critères retraçables et suffisamment précis pour établir l'ajustement, est-il conforme à l'article 107 (1) de la Constitution lu à la lumière des articles 4.4., 9.1. et 9.2. de la Charte ? » L’Etat déclare en substance se rallier principalement aux développements contenus dans le jugement a quo, sinon que les questions préjudicielles devraient être déclarées irrecevables.
La Cour tient à préciser liminairement que l’administration communale a certes proposé des libellés des mêmes questions préjudicielles en visant les articles 121, paragraphe (1), et 123, paragraphe (3), de la Constitution dans sa teneur applicable à partir du 1er juillet 2023 pour le cas où la Cour considérerait que cette dernière devrait être appliquée.
Cependant, la Cour constate que dans son arrêt susvisé du 17 novembre 2023 (n° 00186 du registre), la Cour constitutionnelle a pris en considération l’article 107, paragraphe 1, de la Constitution dans sa version antérieure au 1er juillet 2023, au motif que les questions à toiser se rapportaient au principal à la seule année 2017. Dans la mesure où l’administration communale soulève actuellement des questions similaires se rapportant à la répartition de l’impôt commercial communal au titre de l’année 2019, il y a lieu de conclure que seules les dispositions de la Constitution dans sa teneur d’avant le 1er juillet 2023 sont pertinemment invoquées par l’administration communale et qu’il y a lieu de faire abstraction des questions préjudicielles fondées sur les articles 121, paragraphe (1), et 123, paragraphe (3), de la Constitution révisée.
Aux termes de l’article 3, paragraphe (2), point 2., lettre a), de la loi du 14 décembre 2016 :
« 82 pour cent entre les communes d’après la population ajustée, l’ajustement étant défini en fonction de critères d’aménagement du territoire et de densité et effectué avec la somme des pourcentages définis comme suit :
i) Quant aux critères d’aménagement du territoire, la population de la Ville de Luxembourg est augmentée à raison de 45 pour cent, celle de la Ville d’Esch-sur-Alzette à raison de 25 pour cent et celles des villes de Differdange, de Dudelange, d’Echternach, de Grevenmacher, de Remich, de Vianden et de Wiltz, de même que celle des communes de Clervaux, de Junglinster, de Mersch, de Redange-sur-Attert et de Steinfort à raison de 5 pour cent.
ii) Quant à la densité, l’ajustement de la population se situe dans un intervalle de -5 pour cent à 5 pour cent en appliquant une progression linéaire sur l’intervalle de densité allant de 0 à 2 000 habitants par km2. Pour les communes où la densité dépasse les 2 000 habitants par km2, l’ajustement est effectué avec 5 pour cent. Aux termes de la présente loi, on entend par « densité », le ratio entre la population et la superficie totale de la commune en km2. ».
En vertu de l’article 8, paragraphe (2), point a), de la loi du 30 juin 1976 :
« La participation de chaque commune au Fonds de l’emploi se compose de deux contributions:
a) Une première contribution se fait par les communes dont la moyenne des recettes combinées par population ajustée dépasse de 10 pour cent au moins la moyenne nationale par population ajustée, la population ajustée étant définie à l’article 3, paragraphe 2, point 2, lettre a) de la loi portant création d’un Fonds de dotation globale des communes. La contribution correspond au montant de ce dépassement jusqu’à concurrence du montant défini à l’article 8, paragraphe 1er. Si la somme de tous les dépassements excède le montant précité, la contribution de chaque commune est réduite proportionnellement afin que les communes en question contribuent le montant défini à l’article 8, paragraphe 1er. (…) ».
L’article 3, paragraphe (2), point 2., lettre a), de la loi du 14 décembre 2016 utilise ainsi la notion de la « population ajustée » comme clé de répartition du FDGC et précise que cet ajustement est effectué sur base de critères d’aménagement du territoire, visé au sous-point i), et de densité, visé au sous-point ii). L’article 8, paragraphe (2), point a), de la loi du 30 juin 1976 définit la participation des communes au FdE également sur base du critère de la « population ajustée » et renvoie pour son contenu à l’article 3, paragraphe (2), point 2., lettre a), de la loi du 14 décembre 2016. La teneur actuelle de cette dernière disposition – applicable au litige sous examen - résulte de la reprise intégrale et à l’identique du règlement grand-ducal du 14 décembre 2016 à travers la modification par la loi du 26 avril 2019.
Les critiques de l’appelante relatives au défaut de précision suffisante visent exclusivement le sous-point i) de l’article 3, paragraphe (2), point 2., lettre a), de la loi du 14 décembre 2016 en ce que les « critères d’aménagement du territoire » y mentionnés ne seraient pas précisés plus loin.
La Cour admet que l’approche choisie par le libellé du sous-point i) de l’article 3, paragraphe (2), point 2., lettre a), de la loi du 14 décembre 2016 apparaît comme singulière à première vue.
En effet, lorsque la lettre a) de cette disposition indique que « l’ajustement [est] défini en fonction de critères d’aménagement du territoire », on s’attendrait normalement à ce que le sous-point i) soit définirait plus précisément ces critères dans son texte même, soit comporterait un renvoi à une autre législation précise qui prévoirait et définirait plus loin les critères d’aménagement à appliquer.
Ledit sous-point i) correspond cependant à une approche différente en ce que le texte énonce lui-même directement les communes qui bénéficient d’un ajustement vers le haut de leur population et le niveau de cet ajustement.
C’est de manière non critiquable que les premiers juges se sont référés aux travaux parlementaires relatifs à la loi du 14 décembre 2016 et aux développements de l’Etat, par ailleurs réitérés en instance d’appel, pour retenir que les communes bénéficiant de ces différents ajustements correspondent à celles qui sont définies comme CDA par le PDAT et que les différents niveaux d’ajustement (45%, 25% et 5%) correspondent à la classification des communes visées en tant que CDA d’ordre supérieur (45%), d’ordre moyen (25%) ou d’ordre régional (5%).
Il s’ensuit qu’à travers le sous-point i) de l’article 3, paragraphe (2), point 2., lettre a), de la loi du 14 décembre 2016, le législateur a pris le choix d’énoncer directement dans cette disposition même le résultat de l’application des critères d’aménagement du territoire, non autrement énoncés, en énumérant les communes bénéficiant d’ajustements et les niveaux respectifs de ces derniers.
S’il est vrai que le texte du sous-point i) de l’article 3, paragraphe (2), point 2., lettre a), de la loi du 14 décembre 2016 ne permet pas de retracer à partir de son libellé même les critères de détermination des communes auxquelles des ajustements seraient appliqués, les premiers juges ont cependant reconnu à bon escient qu’aucun texte, ni aucun principe n’exige que la justification d’une disposition légale déterminée devrait figurer directement dans le corps du texte de loi lui-même. De même, les critiques de l’appelante tendant à contester le recours au contenu du PDAT en tant qu’instrument dépourvu de valeur contraignante sont à écarter, étant donné que le caractère normatif réside bien dans le contenu du sous-point i) de l’article 3, paragraphe (2), point 2., lettre a), de la loi du 14 décembre 2016 par rapport auquel le PDAT ne constitue qu’un cadre de référence ayant conduit au contenu contraignant de cette disposition.
Pour le surplus, en désignant directement et limitativement les communes se voyant appliquer des ajustements de leur population et le niveau de ces derniers, le mécanisme litigieux de répartition des fonds issus du FDGC, tel que ressortant de l’article 3, paragraphe (2), point 2., lettre a), de la loi du 14 décembre 2016 et, par ricochet, celui de la contribution au FdE, découlant de l’article 8, paragraphe (2), point a), de la loi du 30 juin 1976, doivent être considérés comme déterminant de manière suffisamment précise, et partant de manière conforme à l'article 107, paragraphe 1, de la Constitution lu à la lumière des articles 4.4., 9.1. et 9.2. de la Charte, les conditions et modalités tenant au critère de la population ajustée, déclinée en les sous-critères d’aménagement du territoire et de densité de la population.
La Cour rejoint partant entièrement la conclusion des premiers juges qu’il n’y a pas lieu de soumettre à la Cour constitutionnelle les deux questions préjudicielles susvisées au motif qu’elles sont dénuées de tout fondement, conformément à l’article 6, alinéa 2, point b), de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle. Le moyen afférent de l’administration communale est partant à rejeter.
Quant au plafonnement de la participation directe et aux critères pour la répartition L’administration communale critique le tribunal pour avoir écarté une autre question préjudicielle dont elle avait sollicité la soumission à la Cour constitutionnelle en retenant que cette dernière y aurait déjà répondu dans ses arrêts du 13 novembre 2020.
Elle conteste cette analyse en exposant que la Cour constitutionnelle aurait décidé que l’autonomie financière des communes, ancrée à l’article 107, paragraphe 1, de la Constitution, serait à apprécier non seulement de manière isolée, en termes de participation directe fixée par l'article 9 de la loi du 1er mars 1952, mais également par rapport aux fonds retirés du FDGC.
Or, ledit article 9 de la loi du 1er mars 1952 définirait la participation directe des communes à l’impôt commercial communal sur base d’un calcul purement arithmétique ne prenant en compte ni les besoins des communes, ni leurs compétences, ni la politique économique nationale. Ainsi, la nécessaire mise en perspective par rapport à ces derniers facteurs ne pourrait en conséquence être opérée qu’à travers le mécanisme prévu par la loi du 14 décembre 2016 et notamment son article 3, paragraphe (2), point 2, lettre a). Or, en vertu de ce dernier texte légal, 87% des fonds issus du FDGC seraient répartis en fonction de critères démographiques et géographiques fondés sur un calcul arithmétique et seulement 13% en fonction de critères économiques. L’appelante en déduit qu’elle critiquerait valablement que ces dispositions légales ne permettraient pas de mettre en perspective le montant perçu par une commune par rapport aux nécessités d’exercice autonome de ses compétences dans le cadre de la politique économique nationale, conformément à la mise en perspective préconisée par la Cour constitutionnelle.
L’administration communale réitère ainsi sa demande de voir soumettre à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle formulée comme suit :
« Prenant en compte (i) pour les communes dont l'ICC est supérieur à la moyenne nationale, la participation directe correspondant à 35 % de la moyenne nationale de l'ICC appliquée au nombre d'habitants prévue par l'article 9 de la loi du 1er mars 1952 et sachant que (ii) la part revenant à la Commune au titre du FDGC est indispensable pour assurer à la Commune son autonomie au sens de l'article 9.1. de la Charte, l'article 3 paragraphe (2) point 2. lettres a) et e) de la loi du 14 décembre 2016 et l'article 9 de la loi du 1er mars 1952 en ce que :
- l'article 9 de la loi du 1er mars 1952 limite la part de l'ICC relaissée à la commune à 35 % selon les préceptes repris ci-dessus, soit 35 % de la moyenne nationale pour les communes dont l'ICC est supérieur à la moyenne nationale et en même temps - l'article 3 paragraphe (2) point 2. lettres a) et e) de la loi du 14 décembre 2016 retient que 82 % du solde du FDGC sont distribués en fonction de critères de la population (de surcroît « ajustés ») et 5 % en fonction de la superficie et prenant en compte les critères économiques pour 13 % seulement, sont-ils conformes à l'article 107 (1) de la Constitution lu à la lumière des articles 3.1., 9.1. et 9.2. de la Charte ? » La Cour tient à préciser liminairement que l’administration communale a certes proposé un second libellé de la même question préjudicielle en visant les articles 121, paragraphe (1), et 123, paragraphe (3), de la Constitution dans sa teneur applicable à partir du 1er juillet 2023 pour le cas où la Cour considérerait que cette dernière devrait être appliquée.
Cependant, comme par rapport aux questions préjudicielles examinées ci-avant et pour les mêmes motifs, la Cour conclut que seules les dispositions de la Constitution dans sa teneur d’avant le 1er juillet 2023 sont pertinemment invoquées par l’administration communale et qu’il y a lieu de faire abstraction de la question préjudicielle fondée sur les articles 121, paragraphe (1), et 123, paragraphe (3), de la Constitution révisée.
L’argumentation de l’appelante revient à soutenir en substance que l’effet cumulé a) du plafonnement, par l’article 9 de la loi du 1er mars 1952, de la participation directe d’une commune au produit de l’impôt commercial communal généré sur son territoire au plus bas des montants entre 35 % du produit des recettes et 35 % de la moyenne nationale par habitant des recettes en impôt commercial communal multipliés avec la population de la commune, sans prévoir un quelconque critère économique au-delà de ce « calcul arithmétique » pour cette participation directe, b) la répartition du FDGC, plus particulièrement la répartition du solde au-delà de la dotation forfaitaire graduelle en fonction de la population prévue par l’article 3, paragraphe (2), point 1., de la loi du 14 décembre 2016, qui est fondée seulement à hauteur de 3% d’après le nombre d’emplois salariés et de 9% d’après l’indice socio-économique, soit à raison de seulement 12% sur des critères qualifiés par l’appelante comme « critères économiques », ne suffirait pas aux exigences de l’article 107, paragraphe 1, de la Constitution à la lumière des articles 3.1., 9.1. et 9.2. de la Charte dans la mesure où les communes pouvant être considérées comme économiquement plus fortes, en ce que l’impôt commercial communal généré sur leur territoire est supérieur à la moyenne nationale, ne pourraient pas bénéficier d’une part plus importante de l’impôt commercial communal généré sur leur territoire en raison de l’activité économique plus importante sur leur territoire.
La Cour constate que dans son arrêt du 13 novembre 2020 (n° 00156 du registre), la Cour constitutionnelle a confirmé la conformité à l’article 107, paragraphe 1, de la Constitution, lu à l’aune des articles pertinents de la Charte, d’abord du principe que l’impôt perçu par des entités étatiques dans l’intérêt d’une commune en tant que ressource propre peut ne pas revenir intégralement à cette commune (réponse à la première question) et ensuite du principe du système de la péréquation financière auquel participe la mise en place du FDGC sur base du principe de solidarité entre communes exprimé par l’article 9.5. de la Charte (réponse à la troisième question).
Il est encore vrai que la Cour constitutionnelle a énoncé comme conditions pour la reconnaissance de la conformité des mécanismes de participation et de répartition du produit de l’impôt commercial communal la condition générale qu’une commune continue à disposer de ressources propres suffisantes, dans le cadre de la politique économique nationale, en vue de l’exercice de ses compétences, telles que prévues par la Constitution et la loi (réponse à la première question) et celle, plus particulière, que les communes financièrement plus fortes, devant abandonner une partie consistante du produit de l’impôt commercial communal généré sur leur territoire, gardent la liberté d’option leur revenant en raison du principe de l’autonomie communale dans le cadre de leur propre domaine de responsabilité (réponse à la troisième question).
Or, il échet de constater que dans sa réponse à la première question, la Cour constitutionnelle a spécifiquement considéré comme valable « l’article 9 de la loi du 1er mars 1952, en ce qu’il prévoit une « participation directe » des communes à l’ICC qui est une ressource propre des communes », soit la première des deux dispositions visées par l’appelante et le mécanisme de participation directe plafonnée à 35% y prévu sur base du « calcul arithmétique » ainsi désigné par l’appelante.
Dans le cadre de son examen de la deuxième question, rejetée comme étant irrecevable, la Cour constitutionnelle a insisté sur la nécessité de tenir compte du total cumulé de la participation directe et du montant réparti à partir du FDGC afin de dégager le pourcentage revenant finalement à une commune par rapport au produit de l’ICC généré sur son territoire en vue de le mettre en perspective par rapport aux besoins des communes mesurés aux nécessités d’exercice autonome de leurs compétences, compte tenu du principe de solidarité entre communes.
Par rapport à ce second volet d’attribution du produit de l’impôt commercial communal découlant de la répartition du FDGC, la Cour constitutionnelle a insisté sur la fonction de protection des collectivités locales financièrement plus faibles qui est assurée, dans le cadre du principe de solidarité entre communes exprimé par l’article 9.5. de la Charte, par les procédures de péréquation financière destinées à corriger la répartition inégale des sources potentielles de financement, dont en premier lieu l’impôt commercial communal, afin de permettre aux communes financièrement les plus faibles de fonctionner de manière autonome dans le cadre des compétences leur déférées par la Constitution et les lois de nature à garantir une certaine liberté d’option dans leur propre domaine de responsabilité. Or, l’argumentation de l’appelante, tendant à une prise en compte accrue de l’importance de l’activité économique sur son territoire, génératrice de l’impôt commercial communal constituant sa ressource propre, tend précisément à affecter ce mécanisme de solidarité entre communes, validé par la Cour constitutionnelle, en réduisant les parts des fonds du FDGC qui pourraient être allouées aux communes plus faibles financièrement.
A cet égard, le tribunal a relevé pertinemment que dans le cadre de son examen de la quatrième question préjudicielle lui adressée, la Cour constitutionnelle a considéré, dans son arrêt susvisé du 13 novembre 2020, que l’affirmation d’une privation des communes par rapport à l’impôt commercial communal généré sur leur territoire du fait du transfert par la loi de 65% de ce produit au FDGC « est de nature à fausser la question posée » et que l’affectation de cette partie du produit de l’impôt commercial communal au FDGC par l’effet de l’article 9 de la loi du 1er mars 1952 est conforme à l’article 107, paragraphe 1, de la Constitution, lu à la lumière des articles 9.1. et 9.5. de la Charte. Il y a lieu d’en déduire, à l’instar du tribunal, que le régime du FDGC, qui implique que la commune en question ne dispose plus, dans un premier temps, que du solde restant de 35% dudit produit est conforme au principe constitutionnel de l’autonomie communale, d’autant plus que la Cour constitutionnelle a insisté, comme relevé ci-avant, sur le principe de la solidarité entre communes qui doit prévaloir dans le système de la répartition des fonds du FDGC entre les communes du pays.
Il s’y ajoute que le tribunal a considéré à juste titre que la question préjudicielle proposée se base sur une hypothèse factuelle qui revient à affirmer que les critères de répartition de l’impôt commercial communal, ainsi que du solde du FDGC auraient pour conséquence que les communes pouvant être considérées comme économiquement plus fortes seraient privées de ressources propres suffisantes ne leur permettant pas de fonctionner conformément aux exigences de l’autonomie communale, mais que l’administration communale n’a soumis un quelconque élément probant soutenant une telle affirmation, ayant déjà été à l’origine de la deuxième et de la quatrième questions préjudicielles soumises à la Cour constitutionnelle dans le cadre de ses arrêts, précités, du 13 novembre 2020 et écartées par cette dernière.
Par voie de conséquence, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle ne fournit aucun début d’indice permettant d’accorder un quelconque crédit à la thèse de l’appelante suivant laquelle le respect de l’article 107, paragraphe 1, de la Constitution, lu à la lumière des articles 9.1. et 9.5. de la Charte, impliquerait nécessairement que les communes pouvant être considérées comme économiquement plus fortes, en ce que l’impôt commercial communal généré sur leur territoire est supérieur à la moyenne nationale, devraient pouvoir bénéficier d’une part plus importante de l’impôt commercial communal généré sur leur territoire en raison de l’activité économique plus importante sur leur territoire. La lecture des arrêts de la Cour constitutionnelle du 13 novembre 2020 conforte plutôt la thèse contraire de la constitutionnalité des mécanismes existants.
Ici encore, en conséquence, la conclusion s’impose partant que, par confirmation des premiers juges, il n’y a pas lieu de soumettre à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle susvisée au motif qu’elle est dénuée de tout fondement, conformément à l’article 6, alinéa 2, point b), de la loi prévisée du 27 juillet 1997. Le moyen afférent de l’administration communale est partant à rejeter.
Quant au respect de l’égalité entre les communes L’administration réitère finalement son moyen fondé sur une non-conformité de l’article 3, paragraphe (2), point 2., lettre a), sous-point i), de la loi du 14 décembre 2016 à l’article 10bis de la Constitution en ce qu’il fixe, sans autres précisions, des pourcentages particuliers applicables à certaines communes seulement.
Elle critique le tribunal pour avoir rejeté ce moyen et argue que toute différenciation devrait être objectivement justifiée et qu’en l’absence de critères clairs et précis inscrits dans la loi, il ne serait pas satisfait à cette exigence. Le texte de l’article 3, paragraphe (2), point 2., lettre a), sous-point i), de la loi du 14 décembre 2016 ne fournirait pourtant aucune justification rationnelle de la disparité instaurée entre les communes du pays, ni un critère objectif permettant de retracer le traitement différencié prévu.
Elle demande partant de voir soumettre à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle libellée comme suit :
« L'article 3 paragraphe (2) point 2. lettre a) point i. de la loi du 14 décembre 2016 en ce qu'il prévoit un traitement différent voire privilégié pour certaines communes et les résidents qu'elles représentent, mais pas pour d'autres - sans pour autant établir en fonction de quels critères cette différentiation est établie -, est-il conforme à l'article 10bis de la Constitution ? » La Cour tient à préciser liminairement que l’administration communale a certes proposé un second libellé de la même question préjudicielle en visant l’article 15, paragraphe (1), de la Constitution dans sa teneur applicable à partir du 1er juillet 2023 pour le cas où la Cour considérerait que cette dernière devrait être appliquée.
Cependant, comme par rapport aux autres questions préjudicielles examinées ci-avant et pour les mêmes motifs, la Cour conclut que seules les dispositions de la Constitution dans sa teneur d’avant le 1er juillet 2023 sont pertinemment invoquées par l’administration communale et qu’il y a lieu de faire abstraction de la question préjudicielle fondée sur l’article 15 de la Constitution révisée.
Ensuite, en premier lieu, il y a lieu de rappeler que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle (cf. Cour const. 31 janvier 2024, n° 00190 du registre), la mise en œuvre de la règle constitutionnelle d’égalité devant la loi suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable.
La pétition de principe, qui se trouve nécessairement à la base du moyen soulevé par l’appelante, suivant laquelle toutes les communes du pays se trouveraient dans une situation comparable en ce qui concerne les finances communales sous l’aspect de leurs droits à la ressource fiscale de l’impôt commercial communal généré sur leur territoire, voire au niveau du territoire national, laisse pourtant de convaincre au vu notamment des arrêts prévisés de la Cour constitutionnelle du 13 novembre 2020 qui insistent sur la fonction de protection des collectivités locales financièrement plus faibles qui est assurée, dans le cadre du principe de solidarité entre communes exprimé par l’article 9.5. de la Charte, par les procédures de péréquation financière destinées à corriger la répartition inégale des sources potentielles de financement, dont en premier lieu l’impôt commercial communal. Or, en admettant la nécessité d’un rééquilibrage financier entre les communes financièrement plus faibles et celles financièrement plus fortes, la Cour constitutionnelle a nécessairement reconnu de manière implicite des différences à divers degrés des situations entre les communes du pays.
La comparabilité de la situation financière de l’appelante par rapport aux autres communes du pays est ainsi foncièrement mise en doute par les conclusions des arrêts de la Cour constitutionnelle du 13 novembre 2020.
En deuxième lieu, même en présence de personnes se trouvant dans une situation comparable, le législateur peut néanmoins, sans violer le principe d’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que la différence instituée procède de disparités objectives et qu’elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but.
A cet égard, la Cour rappelle sa conclusion déjà dégagée supra, premièrement, qu’aucun texte, ni aucun principe n’exige que la justification d’une disposition légale déterminée devrait figurer directement dans le corps du texte de loi lui-même et, deuxièmement, qu’en conséquence, le recours par l’Etat au contenu du PDAT, instrument dépourvu de valeur contraignante, pour justifier les différenciations entre les communes du pays selon leur statut de CDA n’est pas critiquable, étant donné que le caractère normatif réside bien dans le contenu du sous-point i) de l’article 3, paragraphe (2), point 2., lettre a), de la loi du 14 décembre 2016 par rapport auquel le PDAT ne constitue qu’un cadre de référence ayant conduit au contenu contraignant de cette disposition.
Or, tout comme en première instance, l’Etat explique pertinemment que le coût des missions d'une commune dépend proportionnellement de la taille de sa population, de sorte que la distribution du FDGC selon le critère de la population serait essentielle. Dans ce contexte, il fait valoir, sur base de données statistiques officielles, qu’il existe une corrélation quasi-linéaire entre les dépenses ordinaires de fonctionnement d'une commune, tels que notamment les frais de fonctionnement des écoles primaires, les frais en personnel communal ou l'entretien de la voirie communale, et la taille de sa population. Ainsi, à travers la loi du 14 décembre 2016, le législateur a opté pour la distribution de 82% du FDGC en fonction de la population ajustée de la commune, afin de garantir aux communes un financement adéquat de leurs missions, conformément à l'article 9 de la Charte. L’Etat ajoute qu’il n’en reste pas moins qu’entre 9 et 10% des fonds du FDGC sont répartis sur base de l’indice socio-économique qui servirait de pondération à la population.
L’Etat précise à cet égard encore qu’une répartition sur base de ce même modèle de calcul ne serait en revanche pas praticable pour les Villes de Luxembourg et d'Esch-sur-Alzette au regard de leur taille tellement élevée et de leur offre de services tellement différente des autres communes, notamment dans la catégorie « Loisirs, sports, culture et cultes », respectivement « Logements et équipements collectifs », ce qui engendrerait des dépenses ordinaires d’un ordre de grandeur largement supérieur à celui des autres communes par rapport à leur population. Cette différence objective rendrait nécessaire de procéder à des ajustements individuels des taux, sans lesquels les communes en question seraient substantiellement dans l’incapacité d’assumer leurs fonctions nationales. Enfin, des arguments similaires expliqueraient l'ajustement de 5% pour les 12 autres centres de développement et d'attraction régionaux tels qu’actuellement définis dans le PDAT qui constituent des centres urbains ou localités dont le degré d’équipement en services publics et privés est tel qu’ils assurent une fonction d’approvisionnement pour leurs arrière-pays respectifs.
Au regard encore de la reconnaissance, par les arrêts prévisés de la Cour constitutionnelle du 13 novembre 2020, de la validité du système des procédures de péréquation financière destinées à corriger la répartition inégale des sources potentielles de financement en tant que mécanismes de protection des collectivités locales financièrement plus faibles dans le cadre du principe de solidarité entre communes exprimé par l’article 9.5.
de la Charte, ces développements fournis par l’Etat afin de justifier les ajustements de la population en faveur de certaines communes instaurés par le sous-point i) de l’article 3, paragraphe (2), point 2., lettre a), de la loi du 14 décembre 2016 sont de nature à faire considérer les ajustements mis en cause par l’appelante a priori comme élément valable d’un système cohérent et conforme à la finalité de péréquation financière entre les communes.
L’appelante ne soumet en revanche pas de moyen concret qui permettrait d’assumer un défaut d’adéquation ou de proportionnalité de ces ajustements par rapport au but du système qui devrait amener à la saisine de la Cour constitutionnelle en vue de l’examen dudit système de péréquation et, plus particulièrement, des ajustements de la population en faveur de certaines communes par rapport à la règle constitutionnelle de l’égalité devant la loi.
Par voie de conséquence, la conclusion s’impose que, par confirmation des premiers juges, il n’y a pas non plus lieu de soumettre à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle susvisée au motif qu’elle est dénuée de tout fondement, conformément à l’article 6, alinéa 2, point b), de la loi susvisée du 27 juillet 1997. Le moyen afférent de l’administration communale est partant également à rejeter.
Il découle de l’ensemble de ces développements qu’il n’y a pas lieu de soumettre à la Cour constitutionnelle les questions préjudicielles suggérées par l’appelante et que l’appel sous examen n’est justifié en aucun de ses moyens. Il y a partant lieu de débouter l’appelante de son appel et de confirmer le jugement entrepris.
PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 29 juin 2023 en la forme, écarte la demande de l’Etat tendant à la mise en intervention d’autres communes, au fond, dit qu’il n’y a pas lieu de soumettre à la Cour constitutionnelle les questions préjudicielles suggérées par l’administration communale de Leudelange et rejette l’appel comme étant non justifié, partant, confirme le jugement entrepris du 19 mai 2023, condamne l’administration communale de Leudelange aux dépens de l’instance d’appel.
Ainsi délibéré et jugé par:
Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu à l’audience publique du 19 mars 2024 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller Serge SCHROEDER, en présence du greffier assumé de la Cour …..
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s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 mars 2024 Le greffier de la Cour administrative 19