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14/05/2024 | LUXEMBOURG | N°49484C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 14 mai 2024, 49484C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 49484C du rôle ECLI:LU:CADM:2024:49484 Inscrit le 26 septembre 2023

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Audience publique du 14 mai 2024 Appel formé par Monsieur (A) et consort, …., contre un jugement du tribunal administratif du 9 août 2023 (n° 46707 du rôle) ayant statué sur leur recours contre des actes de l’administration du Cadastre et de la Topographie en présence de Madame (D) et consort, ……, en matière de division cadastrale Vu la requête d’appel inscrite sous

le numéro 49484C du rôle et déposée le 26 septembre 2023 au greffe de la Cour ...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 49484C du rôle ECLI:LU:CADM:2024:49484 Inscrit le 26 septembre 2023

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Audience publique du 14 mai 2024 Appel formé par Monsieur (A) et consort, …., contre un jugement du tribunal administratif du 9 août 2023 (n° 46707 du rôle) ayant statué sur leur recours contre des actes de l’administration du Cadastre et de la Topographie en présence de Madame (D) et consort, ……, en matière de division cadastrale Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 49484C du rôle et déposée le 26 septembre 2023 au greffe de la Cour administrative par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A) et de son épouse, Madame (B), demeurant ensemble à L-…, dirigée contre le jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 9 août 2023 (n° 46707 du rôle) par lequel ils ont été déboutés de leur recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation :

- d’une « décision de l’administration du Cadastre et de la Topographie (…), intervenue à une date inconnue et matérialisée par un extrait cadastral du 14 juin 2019 (…), en ce qu’elle opère une division cadastrale de la parcelle numéro (P1) (…), pour la renommer parcelle numéro (P2) en l’amputant d’une parcelle de 7 ca, enregistrée sous le numéro (P3), qu’elle attribue à la parcelle voisine, numéro (P4), de la dame (D) », et - d’une « décision du Directeur de l’administration du Cadastre de la Topographie, datée du 27 mars 2020 (…), en ce que cette décision refuse de faire droit à la demande, que les requérants lui ont adressée en date du 16 mars 2020 (…), de procéder au redressement de la parcelle (P1) et constater que le mur mitoyen borde cette parcelle »;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Gilles HOFFMANN, demeurant à Luxembourg, du 3 octobre 2023 portant signification de cette requête d’appel à 1) Madame (D), demeurant à L-

… et 2) Monsieur (F), demeurant à la même adresse;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 26 octobre 2023;

Vu la lettre de Maître Francois MOYSE déposée le 24 novembre 2023 au greffe de la Cour administrative demandant à la Cour d’engager la procédure d’inscription en faux contre certaines pièces versées par la partie étatique;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 27 novembre 2023 par Maître François MOYSE au nom des appelants, préqualifés;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Gilles HOFFMANN, demeurant à Luxembourg, du 30 novembre 2023 portant signification de ce mémoire en réplique à 1) Madame (D) et 2) Monsieur (F), préqualifiés;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 18 décembre 2023;

Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Delphine KORSEC, en remplacement de Maître François MOYSE, et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries à l’audience publique du 23 janvier 2024;

Vu l’avis de la Cour du 8 février 2024 prononçant la rupture du délibéré afin de permettre aux parties de prendre position sur la question soulevée dans ledit avis;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe de la Cour administrative le 7 mars 2024 par Maître François MOYSE au nom des appelants;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 8 mars 2024;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Tessy SIEDLER, demeurant à Luxembourg, du 14 mars 2024 portant signification de ce mémoire supplémentaire à 1) Madame (D) et 2) Monsieur (F), préqualifiés;

De l’accord des mandataires des parties et sur rapport complémentaire du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 21 mars 2024.

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Par acte notarié du 7 septembre 2015, Monsieur (A)et son épouse, Madame (B), ci-après désignés par « les époux (A-B) », ont acquis une maison d’habitation à L-…, inscrite au cadastre de la commune de ……, section …., sous le n° (P5), d’une contenance de 3 ares et 64 centiares.

Lors du mesurage n° 2967 de l’administration du Cadastre et de la Topographie, ci-après désignée par « l’ACT », du 25 avril 2018, furent créées la parcelle n° (P6), d’une contenance de 1 are et 43 centiares, et la parcelle n° (P1), d’une contenance de 2 ares et 25 centiares, issues de la division de l’ancienne parcelle n° (P5).

Le 23 avril 2019, l’ACT adressa aux époux (A-B) un projet de contrat d’abornement concernant la délimitation entre la parcelle n° (P1) leur appartenant et la parcelle voisine n° (P4) appartenant à Madame (D).

Par courrier du 3 mai 2019, Monsieur (A) fit part à l’ACT de son désaccord avec ce projet de contrat d’abornement.

Le 14 juin 2019, l’ACT procéda à un nouveau mesurage n° 2996, à la suite duquel 7 centiares, correspondant à l’ancien « lot A » figurant sur le plan du 2 octobre 1979 (mesurage n° 1095), furent retirés de la parcelle n° (P1) pour former une nouvelle parcelle n° (P3), le restant de la parcelle n° (P1) devenant une nouvelle parcelle portant le n° (P2) (2a 18ca).

L’extrait du plan cadastral du 14 juin 2019 relatif au mesurage n° 2996 renseigne, en légende, Madame (D) comme propriétaire de la parcelle n° (P3) (7ca) et de la parcelle n° (P7) (10a 6ca), tandis que les époux (A-B) sont renseignés comme propriétaires de la parcelle n° (P2) (2a 18ca). Cet extrait contient, en outre, les remarques suivantes :

« - Ce plan remplace le mesurage 2967 du 25/04/2018 suite à une erreur matérielle concernant la limite entre la propriété (A)-(B) et la propriété (D).

- L’ensemble des parcelles (P6) et (P2) correspond à l’ancienne parcelle (P5) appartenant à (A) 1/2 et (B) 1/2 suivant acte du 07/09/2015.

- La parcelle (P3) correspond au lot A du 02/10/1979 (mesurage 1095).

- L’ensemble des parcelles (P3), (P7) et le lot 3 du 06/08/2003 (mesurage 2083) correspond au lot 1 du 05/09/1961 (mesurage 373) ».

Par lettre recommandée du 15 janvier 2020 de leur mandataire de l’époque, les époux (A-B) mirent le directeur de l’ACT en demeure d’émettre un nouvel extrait cadastral de leur terrain avec une nouvelle légende des parcelles « sur lequel le mur et le terrain de mes mandants se trouvent entièrement sur leur propriété ainsi qu’il en aurait toujours été depuis et avant le mesurage 2996 du 14 juin 2019 ».

Le directeur de l’ACT répondit le 20 janvier 2020 comme suit :

« (…) En résumé, je vous rappelle qu’il s’agissait d’une erreur commise par notre administration lors du morcellement du 25 avril 2018 où la contenance du lot A de 7ca a été ajoutée à la contenance de la parcelle de vos mandants. Cet ajout n’a jamais fait l’objet d’un acte de vente et n’est de ce fait jamais entré dans la propriété de vos mandants.

Cette erreur a été redressée par Monsieur (G), géomètre officiel, en date du 14 juin 2019. La rectification comprend donc la délimitation de la contenance de 7ca qui a été par erreur ajoutée à la contenance d’origine de la parcelle de vos mandants. (…) ».

Par lettre recommandée de leur mandataire de l’époque du 16 mars 2020, les époux (A-B) prirent position sur cette lettre du 20 janvier 2020, tout en mettant le directeur de l’ACT en demeure de « procéder à l’établissement d’un nouveau mesurage qui confirmerait que le mur se trouve en limite de propriété en fixant une date et une heure afin que ce mesurage soit contradictoire ».

Le 27 mars 2020, le directeur de l’ACT leur répondit en les termes suivants:

« (…) La présente fait suite à votre courrier datant du 16 mars 2020.

En ce qui concerne les interprétations concernant la contenance et les limites d’une parcelle, je me réfère à l’article 9 de la loi du 25 juillet 2002 portant création et réglementation des professions de géomètre et de géomètre officiel […] qui dispose que: «Le géomètre officiel a seul qualité pour procéder aux opérations techniques ou études relatives aux limites et superficies des biens fonciers lorsque ces opérations ont pour but l’établissement de constats, procès-verbaux, plans de bornage et autres plans destinés à être annexés à des actes authentiques notariés, judiciaires ou administratifs.

Il en est de même pour toute opération de fixation de nouvelles limites de la propriété immobilière, notamment par suite de division, de partage, de morcellement, de lotissement, de remembrement ou d’échange.» En me rapportant à votre courrier susmentionné, je souhaite préciser que les limites d’une parcelle ne sont pas définies par un certificat d’autorisation de construire de la part de la commune mais par un plan établi par un Géomètre officiel.

En ce qui concerne la contenance d’une parcelle, je me réfère encore aux clauses de non-garantie de la contenance et à l’article 1619 du code civil qui dispose que: «Dans tous les autres cas, soit que la vente soit faite d’un corps certain et limité, soit qu’elle ait pour objet des fonds distincts et séparés, soit qu’elle commence par la mesure ou par la désignation de l’objet vendu suivie de la mesure, l’expression de cette mesure ne donne lieu à aucun supplément de prix, en faveur du vendeur, pour l’excédent de mesure, ni en faveur de l’acquéreur, à aucune diminution du prix pour moindre mesure, qu’autant que la différence de la mesure réelle à celle exprimée au contrat est d’un vingtième en plus ou en moins, eu égard à la valeur de la totalité des objets vendus, s’il n’y a stipulation contraire.» Un historique détaillé a été établi par notre administration et envoyé à Madame (H) en date du 21.10.2019. En l’absence d’un acte de vente relatif au lot A, la limite valable reste celle qui a été définie lors du mesurage numéro 1095 de l’année 1979 portant création du lot A.

Si vous souhaitez qu’il soit procédé à un bornage (contradictoire) je vous prie de faire une demande à l’Administration du cadastre et de la topographie ou bien à un Géomètre officiel privé. (…) ».

Par lettre recommandée du 19 mars 2021, les époux (A-B) demandèrent au directeur de « procéder dans les meilleurs délais aux diligences nécessaires pour revenir aux limites et à la contenance fixées lors du mesurage n° 2967 du 25 avril 2018 ».

Par courrier du 3 mai 2021, l’ACT répondit ce qui suit :

« (…) Il semble donc inutile de reprendre les détails de l’affaire. En résumé, il s’agissait d’une erreur commise par notre administration lors du morcellement du 25 avril 2018 où la contenance du lot A de 7ca a été ajoutée à la contenance de la parcelle de vos mandants. Cet ajout n’a jamais fait l’objet d’un acte de vente et n’est de ce fait jamais entré dans la propriété de vos mandants.

En ce qui concerne vos interrogations soulevées concernant l’interprétation de la contenance et des limites d’une parcelle, je vous rappelle l’article 9 de la loi du 25 juillet 2002 portant création et réglementation des professions de géomètre et de géomètre officiel […] qui dispose que: «Le géomètre officiel a seul qualité pour procéder aux opérations techniques ou études relatives aux limites et superficies des biens fonciers lorsque ces opérations ont pour but l’établissement de constats, procès-verbaux, plans de bornage et autres plans destinés à être annexés à des actes authentiques notariés, judiciaires ou administratifs.

Il en est de même pour toute opération de fixation de nouvelles limites de la propriété immobilière, notamment par suite de division, de partage, de morcellement, de lotissement, de remembrement ou d’échange.» En l’absence d’un acte de vente relatif au lot A, la limite valable reste celle qui a été définie lors du mesurage numéro 1095 de l’année 1979 portant création du lot A.

Le plan rectificatif du 14.06.2019 (mesurage 2996) a été élaboré avec le seul but de remédier à l’erreur survenue lors du mesurage 2967, où le lot A de 7ca a été incorporé erronément dans la parcelle (P1), et de revenir à une documentation cadastrale correcte.

Le seul outil, dont l’ACT dispose afin de régler une différence entre une limite cadastrale et une limite de possession est celui du contrat d’abornement. Il s’agit d’un document permettant de trouver un accord à l’amiable entre les différents propriétaires.

Pour rappel, dès la connaissance de l’erreur survenue, une entrevue a eu lieu dans nos locaux avec les parties concernées pour les mettre en connaissance des faits. Lors de cette dernière, la possibilité de fixer une limite de possession dans un contrat d’abornement a été évoquée. Par la suite, et comme vous mentionnez dans votre courrier, le projet d’un tel document n’a pas trouvé l’appui de vos mandants et donc, cette procédure a dû être abandonnée. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 novembre 2021, les époux (A-B) firent introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation (i) de la décision ainsi qualifiée de l’ACT, matérialisée par un extrait cadastral du 14 juin 2019, portant division de la parcelle n° (P1) leur appartenant pour la renommer parcelle n° (P2) en l’amputant d’une parcelle de 7 centiares, référencée sous le n° (P3), qu’elle attribue à la parcelle voisine n° (P4) de Madame (D) et (ii) d’une décision ainsi qualifiée du directeur de l’ACT du 27 mars 2020 en ce qu’elle refuse de faire droit à leur demande du 16 mars 2020 de procéder au redressement de la parcelle n° (P1) leur appartenant et de constater que le mur mitoyen borde cette parcelle.

Par jugement du 9 août 2023, le tribunal administratif se déclara incompétent pour connaître du recours principal en réformation, déclara le recours subsidiaire en annulation recevable, mais non fondé et en débouta les demandeurs, tout en rejetant leur demande en allocation d’une indemnité de procédure et en les condamnant aux frais de l’instance.

Pour statuer ainsi, le tribunal rejeta tout d’abord le moyen d’irrecevabilité soulevé par le délégué du gouvernement tenant à ce que les actes déférés ne constitueraient pas des décisions administratives susceptibles de faire l’objet d’un recours contentieux. Il retint ainsi que l’extrait cadastral querellé portant une nouvelle division cadastrale des parcelles concernées, constituait une décision émanant d’une autorité administrative et qu’elle faisait grief dès lors que cette nouvelle division cadastrale matérialisait le constat de l’ACT que le « lot A » appartenait non pas aux époux (A-B), mais aux voisins. Le tribunal retint que cet extrait cadastral constituait un indice de propriété, même s’il ne valait pas titre de propriété. Il en déduisit que la nouvelle division cadastrale affectait suffisamment la situation personnelle des époux (A-B) au point de lui permettre de retenir la qualification d’acte de nature à faire grief et partant d’acte susceptible de recours devant les juridictions administratives. Pour les mêmes motifs, le tribunal retint que les époux (A-B) justifiaient d’un intérêt suffisant à agir contre la division cadastrale litigeuse afin de voir examiner sa légalité. Quant au courrier querellé du directeur de l’ACT du 27 mars 2020, le tribunal considéra qu’il portait implicitement refus de faire droit à la demande des époux (A-B) de revenir à la situation antérieure issue du mesurage n° 2967 du 25 avril 2018 pour en déduire que ce courrier constituait également un acte administratif susceptible de recours à l’égard duquel les demandeurs avaient un intérêt suffisant à agir.

Quant au fond, le tribunal rejeta le moyen tiré d’une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », en retenant que la partie étatique avait indiqué à suffisance les motifs l’ayant amenée à agir tant au niveau précontentieux, qu’en cours de procédure contentieuse.

Il rejeta ensuite le moyen tiré d’une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, après avoir dégagé des éléments de la cause que les époux (A-B) avaient été mis au courant de l’intention de l’ACT de redresser l’erreur indiquée par elle et qu’ils avaient eu l’occasion de présenter leur point de vue et d’influer sur la prise de la décision.

Le tribunal écarta pareillement le moyen tiré d’une violation de l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 en retenant que cette disposition n’était pas applicable au litige, dès lors qu’elle visait uniquement la collaboration de tierces personnes à l’élaboration d’une décision administrative, alors que les époux (A-B) étaient directement concernés par les décisions litigieuses.

En ce qui concerne la question de la compétence de l’ACT pour prendre les décisions litigieuses, le tribunal estima que comme la décision matérialisée par l’extrait cadastral du 14 juin 2019 avait pour but de redresser une erreur commise lors d’un mesurage antérieur, elle pouvait être qualifiée tant de mise à jour de la documentation cadastrale au sens de l’article 2 a) de la loi modifiée du 25 juillet 2002 portant création et réglementation des professions de géomètre et de géomètre officiel, ci-après désignée par « la loi du 25 juillet 2002 », que d’opération de délimitation de limites de propriété au sens de l’article 2 d) de la même loi, pour en conclure à la compétence de l’ACT.

Quant au bien-fondé des actes déférés, le tribunal considéra que c’était a priori à juste titre et dans le but légitime de revenir à une documentation cadastrale correcte que l’ACT avait procédé à la division cadastrale litigieuse, telle que ressortant de l’extrait cadastral du 14 juin 2019, afin de redresser l’erreur commise lors du mesurage n° 2967 du 25 avril 2018, consistant dans l’incorporation erronée du « lot A », d’une contenance de 7 centiares, dans la parcelle n° (P1) appartenant aux époux (A-B), et que le directeur avait, à travers sa décision du 27 mars 2020, refusé de faire droit à leur demande de revenir à la situation d’avant le mesurage de 2019. Le tribunal estima en effet que les époux (A-B) étaient restés en défaut de démontrer le caractère erroné des explications fournies par la partie adverse, et notamment de produire un titre de propriété attestant qu’ils étaient propriétaires du « lot A » en question.

Le tribunal écarta ensuite le moyen tiré d’une violation du principe de confiance légitime, en considérant que les époux (A-B) ne pouvaient pas se prévaloir d’un droit acquis, étant donné que le mesurage n° 2967 du 25 avril 2018 n’avait pas pu créer dans leur chef un droit subjectif, puisqu’il était erroné et qu’un extrait cadastral, tel celui relatif au mesurage de 2018, ne valait pas titre de propriété.

Finalement, le tribunal rejeta encore le moyen fondé sur la méconnaissance du principe de l’estoppel, après avoir retenu que l’approche adoptée en l’espèce par l’ACT et destinée à redresser une erreur commise par le passé, n’impliquait pas de contradiction ou d’incohérence au détriment des époux (A-B).

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 26 septembre 2023, les époux (A-B) ont régulièrement relevé appel de ce jugement.

Arguments des parties A l’appui de leur appel, ils soutiennent que l’extrait cadastral qui était annexé à l’acte notarié d’acquisition de la maison d’habitation située sur la parcelle n° (P5) représenterait un découpage parcellaire conforme à la réalité du terrain et que le mesurage n° 2967 du 25 avril 2018 aurait repris les mêmes limites de la parcelle, superposables sur le mur existant.

Ils expliquent que le 25 janvier 2019, Monsieur (A) aurait été convoqué à une réunion auprès de l’ACT avec ses voisins, les époux (D)-(F), lors de laquelle il se serait vu présenter un plan modifiant la limite de sa parcelle de manière à attribuer aux époux (D)-(F) la propriété du mur mitoyen séparant sa parcelle de celle de ses voisins, qu’il aurait refusé de signer. Il aurait également refusé d’accepter le contrat d’abornement qui lui aurait été envoyé quelques semaines plus tard et reprenant la proposition non acceptée précédemment. L’ACT aurait alors procédé le 14 juin 2019 à un nouveau mesurage n° 2996, qui aurait visé à rectifier le mesurage n° 2967 antérieur, en retirant à la parcelle n° (P1) (2a 25ca), devenant la parcelle n° (P2) (2a 18ca), un « lot A » de 7 centiares, référencé comme parcelle n° (P3) et rattachée à la parcelle de Madame (D).

Les appelants précisent que, contrairement à ce qu’affirme l’ACT, celle-ci n’aurait pas procédé au mesurage n° 2996 du 14 juin 2019 en raison de la découverte fortuite d’une prétendue erreur commise lors du mesurage n° 2967 de 2018, mais que ce mesurage de 2019 serait l’aboutissement d’une demande de morcellement des époux (D)-(F). Une telle contrevérité ne pourrait, selon eux, être fondée que par la volonté de l’ACT de cacher la vérité et de masquer un détournement de pouvoir.

Ils font valoir qu’à travers le mesurage n° 2996 du 14 juin 2019, l’ACT nierait la réalité sur le terrain en se fondant sur de prétendues discussions remontant à 1979 pour créer, unilatéralement et en l’absence de toute décision du juge civil quant à un prétendu droit des époux (D)-(F), pourtant contesté par Monsieur (A) notamment dans son courrier du 3 mai 2019, une parcelle de 7 centiares sur leur terrain qu’elle attribuerait à leurs voisins. Ce faisant, l’ACT ne se contenterait pas seulement de les priver de la mitoyenneté du mur séparant les deux propriétés, mais elle créerait ex nihilo, sur leur propriété, une parcelle qu’elle attribuerait aux époux (D)-(F).

Ils soulignent que la parcelle n° (P3) de 7 centiares, ainsi attribuée aux époux (D)-(F), ferait intégralement partie de leur jardin et serait contiguë au susdit mur mitoyen pour se trouver à l’intérieur du périmètre défini par ledit mur. Ce mur aurait tous les attributs civils d’un mur mitoyen. En effet, du bord du trottoir jusqu’au fond de la parcelle, il présenterait le même aspect avec une sommité à double pentes, les appelants expliquant encore qu’en contrebas de ce mur mitoyen, y prenant appui, juste sous le chaperon, ils auraient aménagé un potager surélevé qui, à travers le mesurage litigieux de 2019, serait intégré dans la parcelle voisine, en faisant totalement abstraction du mur mitoyen.

Les appelants précisent encore qu’il se dégagerait de l’historique des parcelles litigieuses, tel que fourni par l’ACT, que le mur mitoyen entre la parcelle de Madame (D) et celle de leur prédécesseur, Monsieur (J), aurait déjà été présent lors du mesurage n° 2083 du 6 août 2003, dont le plan afférent ne contiendrait aucune trace du « lot A ». Ils ajoutent qu’une comparaison entre le mesurage de 2003 et celui de 2019 montrerait que le « lot A » n’aurait jamais pris aucun effet après l’hypothèse de sa naissance en 1979, avant de ressortir sans justes motifs en 2019. Ce « lot A » n’apparaîtrait pas non plus sur l’extrait cadastral joint à l’acte notarié d’acquisition précité du 7 septembre 2015. Le « lot A » n’ayant ainsi jamais produit d’effet avant 2019, ce ne serait pas le mesurage de 2018 qui l’aurait, par erreur, fait disparaître.

Sur ce, les appelants soutiennent en substance que la division cadastrale de la parcelle n° (P1) leur appartenant, telle que matérialisée par l’extrait cadastral du 14 juin 2019, devenant la parcelle n° (P2), en l’amputant de 7 centiares formant la parcelle n° (P3), et en attribuant celle-ci à Madame (D), ensemble la décision du directeur du 27 mars 2020, violeraient la législation applicable et reposeraient sur une erreur manifeste d’appréciation, voire sur un détournement de pouvoir, de sorte qu’elles devraient encourir l’annulation.

Plus particulièrement, ils réitèrent leur moyen tiré d’une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, au motif que les décisions litigieuses, sous couvert de rectification d’une erreur matérielle, constitueraient des décisions de retrait et que l’ACT aurait omis de leur communiquer les éléments de droit qui l’amenaient à procéder à la modification litigieuse.

Ce serait également à tort que les premiers juges n’ont pas annulé les décisions litigieuses pour violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

Les appelants réitèrent ensuite le moyen tiré d’une violation du principe de confiance légitime. Ils soutiennent qu’il aurait appartenu à l’ACT de prouver en quoi la situation, en l’absence de titre de propriété visant la parcelle litigieuse, aurait changé, alors qu’il serait de jurisprudence que « tout revirement d’attitude de l’administration doit reposer sur des motifs dûment exprimés ». L’ACT aurait indiqué qu’en 1979, le « lot A » ne serait pas devenu une parcelle parce qu’il n’y aurait pas eu d’acte notarié. Or, en usant du même argument fondé sur « l’absence d’acte notarié », l’ACT aurait créé en 2019 une parcelle relative au « lot A ». Ce faisant, elle aurait également violé le principe de l’estoppel.

Ils soutiennent finalement que les décisions litigieuses seraient entachées d’un détournement de pouvoir. Ils reprochent à l’ACT de justifier la prise des décisions litigieuses par la découverte fortuite d’une erreur matérielle commise lors du mesurage de 2018, alors que le mesurage de 2019 ne relèverait d’aucune des situations donnant compétence au géomètre pour ce faire en vertu de la loi du 25 juillet 2002. Si ce dernier mesurage était légalement fondé comme fixation de nouvelles limites de propriété à la suite de la demande de morcellement des époux (D)-(F), il y aurait lieu d’admettre que l’ACT leur aurait caché la vérité, en ne rattachant pas la rectification de son erreur à ce morcellement et entaché ses décisions d’un détournement de pouvoir. Ils reprochent également à l’ACT d’affirmer que son seul moyen pour régler une différence de limites serait le contrat d’abornement, alors qu’elle aurait en l’espèce, en l’absence de pareil contrat d’abornement, procédé à une modification de la limite sinon cadastrale, du moins de possession.

En ordre subsidiaire, pour le cas où la Cour ne ferait pas droit à leur demande d’annulation des décisions critiquées, les appelants demandent à la Cour de surseoir à statuer afin de leur permettre de faire constater devant les juridictions judiciaires compétentes leur droit de propriété sur la parcelle n° (P3) et sur la mitoyenneté du mur existant.

Le délégué du gouvernement demande en substance la confirmation du jugement entrepris.

Dans leur mémoire en réplique, les appelants reprochent encore à la partie étatique de ne pas prendre position sur la question de la mitoyenneté du mur séparant leur propriété de celle des époux (D)-(F).

Ils critiquent, dans ce contexte, le fait que le mur séparant les deux propriétés aurait disparu en cours de procédure, alors qu’en première instance, les graphiques versés auraient laissé deviner deux traits parallèles, représentatifs d’un mur, tandis que les mêmes graphiques versés en instance d’appel ne montreraient qu’« une rature qui noircit, comme une simple ligne », marquant seulement une limite de propriété et non la représentation de ce mur. Ils indiquent avoir procédé le 24 novembre 2023, eu égard à ces modifications, à une inscription en faux, sur le fondement de l’article 19 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Les appelants insistent ensuite, concernant le moyen tiré d’une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, sur le caractère de décision de retrait des décisions litigieuses, puisque la partie étatique aurait admis que leur parcelle aurait été « amputée » de 7 centiares lors du mesurage de 2019. Ils contestent avoir été valablement informés par l’ACT de la rectification du mesurage de 2018, alors que la réunion susvisée du 25 janvier 2019 n’aurait porté que sur la mitoyenneté du mur existant sur la limite des parcelles, sans qu’il n’y eût été question du « lot A de 1979 ». D’ailleurs, ce ne serait pas le mesurage de 2018 qui a créé la situation litigieuse, mais le mesurage de 2019.

En outre, la partie étatique aurait omis de prendre position par rapport à leurs critiques quant à la question de la compétence de l’ACT pour procéder aux rectifications litigieuses, que celle-ci justifierait par « une étude relative aux limites », telle que prévue par l’article 9 de la loi du 25 juillet 2002. Selon eux, le mesurage n° 2996 de 2019, en ce qu’il conduit à la création de la parcelle n° (P3), ne relèverait d’aucune des situations donnant compétence au géomètre pour ce faire.

Ils signalent encore, en ce qui concerne l’absence de croquis en annexe du « point 8. » du document relatant la chronologie des faits, produit par la partie étatique, qui justifierait cette absence par une « note de mutation interne », que cette note ne serait pas produite en cause, de sorte qu’il y aurait lieu de retenir que la partie étatique aurait failli à son obligation, conformément à la jurisprudence, de collaborer à l’établissement des preuves.

S’agissant du moyen tiré d’un détournement de pouvoir, les appelants font valoir que ce ne serait qu’en instance d’appel que la partie étatique se prévaudrait de l’argument de l’« étude relative aux limites ». Ils critiquent ainsi la façon de l’ACT d’affirmer que le seul outil dont celle-ci disposerait pour régler une différence entre une limite cadastrale et une limite de possession serait le contrat d’abornement pour ensuite conclure, en l’absence de contrat d’abonnement, qu’un plan de mensuration officielle aurait été établi. Ces affirmations seraient contradictoires et démontreraient, selon eux, à suffisance le détournement de pouvoir.

Ils soutiennent ensuite que les conditions et modalités en vue des travaux de mensuration n’auraient pas été respectées en l’espèce, telles que notamment prévues par les articles 8 et 11 de la loi du 25 juillet 2002, ce qui permettrait de démontrer le détournement de pouvoir.

Concernant la question de la compétence des juridictions administratives pour connaître du présent litige, la Cour a prononcé le 8 février 2024 la rupture du délibéré afin de soumettre cette question aux parties en ce que le litige apparaît fondamentalement tendre à une question de délimitation des propriétés concernées.

Dans leur mémoire supplémentaire, les appelants affirment ne pas contester que les questions relevant du contentieux de la propriété et de ses limites soient des questions de droit privé qui ne relèvent pas de la compétence des juridictions administratives mais des juridictions judiciaires. Ils estiment toutefois que leur recours n’aurait pas pour objet une contestation d’un droit civil, et plus particulièrement du droit de propriété, mais porterait uniquement sur la légalité des décisions critiquées de l’ACT, de sorte que le juge administratif serait compétent pour connaître de leur recours.

Ils invoquent encore le principe selon lequel le juge de l’action est le juge de l’exception et se prévalent d’une jurisprudence du tribunal administratif selon laquelle, en l’absence d’une disposition expresse contraire de la loi, le juge administratif est compétent pour trancher les problèmes préalables nécessaires à la solution du litige principal, même ceux relevant du droit civil.

En ordre subsidiaire, si par impossible la Cour retenait qu’elle était saisie d’une question relative à un droit de propriété, laquelle n’était formulée que de façon subsidiaire, les appelants font valoir qu’il appartiendrait au juge administratif d’examiner s’il existait un autre recours contre l’acte administratif litigieux tenant en échec l’exercice du droit de propriété invoqué. Or, il serait un fait que les époux (D)-(F) n’auraient jamais fait valoir la moindre prétention quant à la parcelle litigieuse, créée ex nihilo dans leur jardin par le mesurage n° 2996 du 14 juin 2019. De même, le mur existant marquerait, depuis plusieurs dizaines d’années, la limite des propriétés qui semblerait convenir à chacun. Ils ne pourraient dès lors pas utilement agir devant les juridictions judiciaires, ni au pétitoire ni au possessoire, faute de trouble. Ils ne pourraient pas non plus agir contre l’auteur du trouble, soit l’ACT, devant les tribunaux judiciaires, puisque celle-ci ne pourrait prétendre pour elle-même au moindre droit sur la parcelle litigieuse. Une telle hypothèse renverrait nécessairement à la compétence des juridictions administratives.

Ils ajoutent que les décisions juridictionnelles ayant prononcé un sursis à statuer en raison d’un conflit de propriété et renvoyé devant les juridictions judiciaires, auraient toujours comporté une discussion sur le droit de propriété entre les parties, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

Les appelants rappellent ensuite à toutes fins utiles que leur action ne reposerait que de façon subsidiaire sur une question de droit de propriété et que leur action principale ne viserait que la réformation sinon l’annulation des décisions de l’ACT.

Enfin, ils estiment que si la Cour ne venait pas à annuler les décisions litigieuses, il y aurait lieu, par application de la loi du 23 janvier 2023 portant règlement des conflits d’attribution et portant modification de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, d’examiner la possibilité d’un renvoi préjudiciel devant la Cour constitutionnelle pour trancher le problème de la compétence juridictionnelle.

Le délégué du gouvernement, dans son mémoire supplémentaire, conclut également à la compétence du juge administratif pour connaître du litige et que si un doute devait subsister, il y aurait lieu de procéder au renvoi préjudiciel devant la Cour constitutionnelle, conformément à la loi précitée du 23 janvier 2023.

Analyse de la Cour Remarque préliminaire Il convient tout d’abord de relever que par courrier de leur avocat du 23 novembre 2023, les appelants ont demandé à la Cour d’engager la procédure d’inscription en faux, telle que prévue par l’article 19 de la loi précitée du 21 juin 1999, contre certaines pièces produites en cause par la partie étatique. Cette demande a été retirée par le mandataire des appelants à l’audience de fixation de l’affaire du 30 novembre 2023, ce dont acte leur a été donné à cette audience.

Quant à la compétence d’attribution des juridictions administratives pour connaître du recours La question première qui se pose à la Cour est celle de la compétence d’attribution, encore appelée compétence ratione materiae, des juridictions de l’ordre administratif pour connaître du recours, telle que formulée par les époux (A-B).

La compétence d’attribution est une question d’ordre public et a dès lors pu être valablement soulevée pour la première fois par la Cour à travers la réouverture des débats à laquelle elle a procédé.

La compétence d’attribution des juridictions administratives est définie à l’article 2, paragraphe (1), de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après « la loi du 7 novembre 1996 », qui ouvre un recours en annulation devant les juridictions de l’ordre administratif contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible. L’article 3, paragraphe (1), de la même loi dispose encore que si la loi prévoit un recours en réformation, c’est pareil recours qui se trouve ouvert devant le juge administratif en raison de la prévision spécifique de la loi.

Le recours des appelants est dirigé contre une décision ainsi qualifiée de l’ACT, matérialisée par l’extrait cadastral du 14 juin 2019, ainsi que contre le courrier du 27 mars 2020 du directeur de l’ACT portant prétendument refus de faire droit à leur demande de voir redresser la parcelle n° (P1) et de voir constater que le mur mitoyen borde cette parcelle.

Comme aucun texte législatif n’attribue aux juridictions administratives compétence pour connaître comme juge du fond d’un recours dirigé contre lesdits actes de l’ACT, c’est à bon droit que le tribunal administratif s’est déclaré incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.

Quant au recours subsidiaire en annulation, les parties étaient, en première instance, en désaccord quant à la qualification des actes querellés de l’ACT en tant que décisions administratives susceptibles d’un recours en annulation.

Pour les appelants, ces actes constituaient des décisions administratives susceptibles de faire l’objet d’un recours devant le juge administratif, leur action ne reposant, selon eux, que de façon subsidiaire sur une question relative au droit de propriété. Le délégué du gouvernement, pour sa part, soutenait que ces actes ne constituaient pas de décisions administratives susceptibles d’un recours en annulation. Les premiers juges ont toutefois suivi la thèse des appelants.

Selon la jurisprudence constante, l’article 2 de la loi du 7 novembre 1996 limite l’ouverture d’un recours en annulation devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste.

Si les appelants affirment poursuivre uniquement la rectification des données cadastrales qui, selon eux, seraient erronées, la Cour est toutefois amenée à relever que leur demande tend en réalité à faire reconnaître les limites et la contenance de leur propriété par rapport à celles de la propriété de Madame (D) et, plus particulièrement, tend à ce que le « lot A » de 7 centiares, formant la parcelle n° (P3), ainsi que le mur de séparation existant, soient renseignés sur l’extrait cadastral comme faisant partie de leur propriété. En dernière analyse, ils soulèvent ainsi une question de délimitation de leur propriété, dès lors qu’ils se prétendent propriétaires du « lot A » de 7 centiares, voire de la mitoyenneté du mur de séparation existant entre leur propriété et celle de Madame (D), alors que d’après l’ACT, ledit « lot A » n’aurait jamais fait partie de leur propriété, mais de celle de Madame (D), à défaut d’acte de transfert afférent.

Or, il est patent que les contestations portant sur des droits civils, dont fait partie le droit de propriété, relèvent de la compétence des juridictions judiciaires et non des juridictions administratives.

Au-delà, la Cour est amenée à retenir que les actes querellés de l’ACT ne constituent pas des décisions administratives faisant grief susceptibles de faire l’objet d’un recours contentieux.

En effet, en ce qui concerne l’extrait cadastral du 14 juin 2019, s’il émane bien d’une autorité administrative, il ne constitue cependant pas une décision administrative qui fait grief, étant donné que l’ACT, qui ne fait qu’assurer la mutation des actes authentiques relatifs à une modification ou un transfert du droit de propriété dans les registres fonciers et adapter le plan cadastral en fonction, ne prend pas elle-même de décision en ce qui concerne une contestation de délimitation du droit de propriété. Un extrait cadastral peut ainsi certes constituer un indice de la propriété foncière, mais il ne constitue pas un titre de propriété.

Il s’ensuit que l’extrait cadastral du 14 juin 2019 ne peut pas être qualifié de décision administrative de nature à faire grief susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux.

Quant au courrier déféré du directeur de l’ACT du 27 mars 2020, il se dégage des termes suscités de ce courrier que le directeur se borne à rappeler les dispositions légales pertinentes applicables et à indiquer qu’en l’absence d’acte de vente relatif au « lot A » de 7 centiares, la limite de propriété reste celle qui avait été définie lors du mesurage n° 1095 de 1979, tout en précisant que les appelants, s’ils souhaitent voir procéder à un bornage contradictoire, peuvent en faire la demande à l’ACT. Cette lettre ne prend dès lors pas de décision, étant donné qu’elle ne fait qu’informer les appelants sur la situation juridique, de sorte qu’elle ne constitue pas non plus de décision administrative faisant grief susceptible d’un recours contentieux.

Les actes querellés ne constituant partant pas de décisions administratives faisant grief, la compétence ratione materiae des juridictions de l’ordre administratif ne se trouve pas vérifiée en l’espèce.

Par voie de conséquence, la demande subsidiaire des appelants tendant à ce que la Cour prononce le sursis à statuer pour leur permettre de faire constater par le juge judiciaire l'existence du droit de propriété dont ils se prévalent est à rejeter.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, sans qu’il soit nécessaire de saisir la Cour constitutionnelle de la question de compétence, que si c’est à bon droit que les premiers juges se sont déclarés incompétents pour connaître du recours principal en réformation, c’est cependant à tort qu’ils ont déclaré le recours subsidiaire en annulation recevable et qu’il y a dès lors lieu à réformation du jugement entrepris dans ce sens.

Les appelants sollicitent l’allocation d’une indemnité de procédure de 3.000 euros pour chacune des instances. Cette double demande est à rejeter en ce que les conditions légales justifiant pareille allocation ne se trouvent pas réunies en l’espèce.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties;

déclare l’appel recevable;

confirme le jugement entrepris en ce que le tribunal s’est déclaré incompétent pour connaître du recours principal en réformation;

réformant, déclare irrecevable le recours subsidiaire en annulation des époux (A-B);

partant, rejette l’appel;

rejette la demande tendant au sursis à statuer telle que formulée par les appelants;

déboute les appelants de leurs demandes en allocation d’une indemnité de procédure;

condamne les appelants aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le premier conseiller en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour …… s. … s. SPIELMANN 14


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49484C
Date de la décision : 14/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2024-05-14;49484c ?

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