GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 50347C du rôle ECLI:LU:CADM:2024:50347 Inscrit le 19 avril 2024 Audience publique du 13 juin 2024 Appel formé par l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 25 mars 2024 (n° 48838 du rôle) ayant statué sur le recours de Monsieur (A), …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile [actuellement ministre des Affaires intérieures] en matière de protection internationale Vu l’acte d'appel inscrit sous le numéro 50347C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 19 avril 2024 par Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER, agissant au nom et pour compte de l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg, en vertu d'un mandat lui conféré à cet effet par le ministre des Affaires intérieures le 17 avril 2024, dirigé contre le jugement du 25 mars 2024 (n° 48838 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg a déclaré fondé le recours en réformation introduit par Monsieur (A), déclarant être né le …. à … (Pakistan), de nationalité afghane, demeurant actuellement à L-… …, …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile [actuellement ministre des Affaires intérieures] du 14 mars 2023 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et ordre de quitter le territoire et, dans le cadre du recours en réformation, a annulé, d’une part, le refus ministériel d’une protection internationale et renvoyé le dossier « devant le ministre actuellement compétent aux fins d’un nouvel examen au fond de la demande de protection internationale de Monsieur (A), limité à la question de la crainte de celui-ci de subir des violences de la part des talibans en raison de son appartenance à l’ethnie hazara et de sa confession chiite » et, d’autre part, l’ordre de quitter le territoire;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 21 mai 2024 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), préqualifié;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;
1 Le rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Vincent STAUDT, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 juin 2024.
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Le 13 janvier 2021, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après la « loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée/police des étrangers, dans un rapport du même jour.
En dates des 20 septembre et 25 octobre 2021, il fut encore entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 14 mars 2023, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le 16 mars 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après le « ministre », l’informa que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Ladite décision est libellée comme suit :
« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 13 janvier 2021 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la loi de 2015 »).
Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant à vos déclarations En mains votre fiche manuscrite du 13 janvier 2021, le rapport du Service de Police Judiciaire du 13 janvier 2021, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 20 septembre et 25 octobre 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale ainsi que les documents remis à l’appui de votre demande de protection internationale.
Avant tout autre développement, il convient de signaler que vos revirements de position au fil de votre témoignage ainsi que vos déclarations contradictoires et incohérentes ont complexifié la synthétisation de votre rapport d’entretien de sorte que la reconstitution ci-dessous ne 2représente qu’une tentative de refléter au mieux votre vécu en Afghanistan et les motifs vous ayant poussé à introduire une demande de protection internationale au Luxembourg.
Monsieur, vous déclarez être né en … à … au Pakistan, de nationalité afghane, célibataire, de confession musulmane chiite et d’ethnie hazara. À l’âge d’un an vous seriez retourné vivre dans votre pays d’origine dans la province de ….., où vous seriez resté jusqu’à votre départ d’Afghanistan.
À l’appui de votre demande, vous avancez avoir quitté l’Afghanistan car vous auriez été menacé par des ennemis de votre père alors que celui-ci aurait eu une dette impayée et par des membres d’un groupe « mafieux » (p.5/18 de votre rapport d’entretien) alors que vous auriez refusé de travailler pour eux. Ainsi, vous indiquez qu’en cas de retour dans votre pays d’origine, vous auriez des craintes pour votre sécurité personnelle alors que vous redoutez que les membres de ce groupe « mafieux » (p.15/18 de votre rapport d’entretien) ne soient devenus des Talibans et vous auriez « honte » de revoir vos parents puisque vous n’auriez pas suivi leurs avertissements relatifs à vos mauvaises fréquentations.
En ce qui concerne les problèmes relatifs à votre père, vous expliquez qu’il aurait emprunté de l’argent vers 2013-2014 à trois personnes pour apporter une aide financière à son cousin (B) et qu’il se serait porté garant de ce dernier. Toutefois, (B) n’aurait pas été en mesure de rembourser cet argent et les prêteurs seraient par conséquent venus le réclamer auprès de votre père qui n’en aurait également pas été capable. Par conséquent, votre père aurait décidé de s’exiler en Iran et depuis vous n’auriez plus eu de nouvelles de sa part. Vous seriez devenu le « responsable de la famille » (p.5/18 de votre rapport d’entretien), insinuant que vous auriez été contraint de commencer à travailler étant donné que vous auriez été en charge de subvenir aux besoins de votre mère et de votre petit frère. Au cours de deux mois ayant suivi le départ de votre père, les prêteurs seraient passés à plusieurs reprises à votre domicile, vous auraient posé des questions à son égard et vous auraient menacé.
En ce qui concerne les problèmes que vous auriez eus avec des membres d’un groupe « mafieux », vous indiquez que vous auriez progressivement appris à les connaître alors que vous auriez travaillé dans un ….. dans le quartier …… Vous n’auriez pas directement soupçonné qu’ils auraient été des délinquants puisque vous auriez eu plusieurs occasions de sympathiser avec eux alors qu’ils vous auraient régulièrement invité à des célébrations de mariage ainsi qu’« à la piscine et ils m’amenaient jouer aussi » (p.6/18 de votre rapport d’entretien).
Puis, graduellement, vous auriez réalisé qu’il se serait agi de « mafieux » puisqu’ils « avaient des couteaux et des poings américains. Ils vendaient du haschisch » (p.6/18 de votre rapport d’entretien) et auraient commis des arnaques. Alors que vous auriez travaillé dans un …..
à ….. qu’ils auraient parfois fréquenté, ils y seraient venus une fois pour vous proposer de travailler avec eux, proposition que vous auriez refusée puisque vous les auriez suspectés de vouloir vous faire commettre des activités illégales, voire immorales.
Vous indiquez qu’un soir en 2017-2018, vous vous seriez rendu à une soirée à laquelle ces « mafieux » vous auraient invité. Ils auraient fumé du haschisch et ils vous en auraient proposé.
Vous auriez refusé mais après leur insistance, vous en auriez consommé. Vous auriez eu des 3vertiges et vous vous seriez senti malade. Entre-temps, vous rapportez que certains d’entre eux, notamment les dénommés (D) et (F), vous auraient « embrassé et embêté » (p.8/18 de votre rapport d’entretien) et qu’ils vous « touchaient partout, le visage partout même aux parties intimes » (p.6/18 de votre rapport d’entretien). Ils auraient d’ailleurs voulu que vous portiez des habits de femme et dansiez car selon vous : « quand ils faisaient danser un garçon ça leur procurait du plaisir » (p.8/18 de votre rapport d’entretien). Vous auriez refusé et vous seriez parti en justifiant ne pas vous sentir bien. Dès le lendemain, ils seraient revenus vous voir en insistant que vous deviez les rejoindre à d’autres soirées, offre que vous auriez refusée.
Deux jours après la soirée, vous vous seriez rendu à la police avec votre mère pour témoigner qu’« il y a des personnes qui me menacent » (p.7/18 de votre rapport d’entretien), en dénonçant notamment les attouchements de (D) et (F). Le premier aurait été interpellé et interrogé par la police mais il aurait démenti vos accusations. Par faute de preuve et car les policiers « ne m’ont pas cru » (p.7/18 de votre rapport d’entretien), (D) aurait été relâché. Le lendemain, vous auriez été menacé par (F) qui vous aurait prévenu que « si j’allais revoir la police il allait me tuer » (p.7/18 de votre rapport d’entretien).
Vous auriez ensuite été viré de votre travail dans le ….. car des membres du groupe « mafieux » seraient venus à plusieurs reprises pour vous voir et vous embêter afin que « j’arrête de travailler dans le magasin pour aller avec eux » (p.9/18 de votre rapport d’entretien), tout en se disputant avec votre patron. Sans emploi, à la recherche de ressources financières et vous sentant menacé alors que vous auriez eu peur que « (F) me frappe, m’embête et qu’il m’amène ou kidnappe » (p.10/18 de votre rapport d’entretien), voire « qu’ils allaient me tuer » (p.12/18 de votre rapport d’entretien), vous auriez accepté de travailler avec eux dans le ….. de (F). Vous les auriez prévenus que vous ne souhaitiez pas « qu’on me touche et je ne veux pas danser » (p.12/18 de votre rapport d’entretien). Cependant, au cours de votre deuxième journée de travail, (F) vous aurait demandé de participer à une soirée avec lui. Redoutant de devoir danser ou d’être victime de nouveaux attouchements, voire un viol, vous auriez décidé de rentrer chez vous et ne seriez pas retourné travailler à son …… Vous auriez ensuite trouvé un nouvel emploi et quelques jours plus tard, alors que vous seriez sorti de votre travail et vous trouviez dans le quartier de ….., (F) vous aurait saisi par derrière, vous aurait insulté, frappé et menacé avec un couteau avant que vous ne preniez la fuite.
Rapportant les faits à votre mère, vous auriez déménagé les jours suivants dans le quartier de ….. où vous auriez trouvé des passeurs de sorte que vous auriez quitté l’Afghanistan « il y a environ 2 ans et 8 mois » (p.2/18 de votre rapport d’entretien), soit en janvier 2019. Vous expliquez ensuite que vous vous seriez rendu en Iran et que vous auriez été renvoyé à deux reprises en Afghanistan. La troisième tentative aurait été fructueuse et vous auriez vécu une année en Iran avant de vous rendre en Turquie. Au bout de cinq-six mois, vous seriez parti en Grèce où vous seriez resté quatre mois avant de vous rendre en Italie en train, de traverser la France et de finalement rejoindre le Luxembourg.
Depuis votre départ de votre pays d’origine, vous auriez eu des nouvelles de votre père qui serait retourné vivre à ….. et aurait réussi avec son cousin à rembourser sa dette aux préteurs.
Vous précisez ressentir de la honte de revoir vos parents « parce que je ne les ai pas écoutés quand 4j’étais là-bas. Je ne peux pas retourner » (p.15 de votre rapport d’entretien), à savoir que vous n’auriez pas respecté les recommandations de votre mère quant au fait que vous n’auriez pas dû fréquenter les membres du groupe « mafieux ». Finalement, vous indiquez avoir peur de (D) et (F) car depuis la prise des pouvoirs des Talibans en août 2021, il se pourrait qu’ils soient devenus des Talibans au motif qu’« Ils étaient déjà en contact avec les talibans il y a longtemps (…). (D) et (F) achetaient leur haschisch auprès des talibans » (p.16/18 de votre rapport d’entretien).
À l’appui de votre demande de protection internationale, vous présentez :
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Une photographie de votre carte d’identité prise à partir de votre téléphone portable ;
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l’original d’un duplicata de votre carte d’identité.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Avant tout autre développement en cause, il convient de rappeler qu’il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, craintes et persécutions par lui allégués, sur base d’un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre l’administration en mesure de saisir l’intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l’analyse d’une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.
Or, la question de crédibilité se pose avec acuité dans votre cas alors qu’il y a lieu de constater que vos revirements de position, vos réponses évasives et vos contradictions répétitives ne font pas état de manière crédible qu’il existerait des raisons sérieuses de croire que vous encourriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la Loi de 2015.
Par conséquent Monsieur, je tiens à vous informer que la crédibilité de votre récit est remise en cause pour les raisons suivantes :
Premièrement, vous déclarez avoir quitté l’Afghanistan aux alentours du mois de janvier 2019 pour ensuite traverser le Pakistan, l’Iran, la Turquie, la Grèce, l’Italie et la France, sans toutefois y introduire de demande de protection internationale, avant d’arriver au Luxembourg.
Vous affirmez ne pas avoir introduit de demande de protection internationale dans ces autres pays car « J’avais de la famille éloignée ici au Luxembourg. Elle m’a dit qu’il y a des choses positives et négatives au Luxembourg » (p.5/18 de votre rapport d’entretien) et que vous ne seriez pas resté en Turquie car « Les autres Afghans ont dit que la Grèce était mieux. J’avais aussi peur que la Turquie me renvoie en Afghanistan » (p.5/18 de votre rapport d’entretien).
5Or, il est évident que tel n’est pas le comportement d’une personne réellement persécutée ou à risque d’être persécutée ou de devenir victime d’atteintes graves et qui serait réellement à la recherche d’une protection internationale. En effet, alors qu’on peut attendre d’une telle personne qu’elle introduise sa demande de protection dans le premier pays sûr rencontré et dans les plus brefs délais, vous avez choisi de traverser plusieurs pays en passant notamment par la Turquie, la Grèce, l’Italie et la France. Force est de constater que vous n’avez pas recherché une forme quelconque de protection dans ces pays sûrs rencontrés et que cette idée ne vous est venue qu’après votre arrivée au Luxembourg.
Un tel comportement ne correspond clairement pas à celui d’une personne qui aurait été forcée à quitter son pays d’origine à la recherche d’une protection internationale et qui aurait été reconnaissante de se voir offrir une protection dans les pays sûrs visités. Par ailleurs, le fait que vous auriez uniquement été motivé de rejoindre le Luxembourg pour des motifs de convenance personnelle ne saurait justifier le fait que vous ayez pris la décision de quitter la Grèce, et de traverser d’autres pays européens sans y introduire de demande de protection internationale. Il convient en effet de souligner que les critères d’octroi de la protection internationale en Grèce, en Italie ou en France sont strictement identiques à ceux appliqués au Luxembourg.
Deuxièmement, il y a lieu de retenir que dès l’introduction de votre demande de protection internationale en date du 13 janvier 2021 vous avez tenu des propos fallacieux quant à votre âge dans le but d’induire en erreur les autorités luxembourgeoises.
En effet, il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous avez tout d’abord prétendu le 20……. que vous seriez né le ……. 20…, donc un mineur âgé de 16 ans, conformément aux informations disponibles sur le duplicata de votre carte d’identité que vous avez remis. Ensuite, après l’inspection de votre téléphone portable par le Service de Police Judicaire, une photographie de votre ancienne carte d’identité a été retrouvée et celle-ci informe que vous étiez âgé de trois ans en 20……., de sorte que vous seriez né en 20……. Par ailleurs, il a été découvert que vous vous êtes enregistré sur votre téléphone portable comme étant né le …….19…..
Interrogé quant à ses diverses incohérences, vous avez répondu que vous ne saviez pas quelle carte d’identité contenait vos réelles données, respectivement donc quel âge vous aviez, et que vous ne compreniez pas « warum auf den zwei ID-Karten zwei verschiedene Geburtsdaten stehen. In Afghanistan ist da so. Vielleicht haben sie sich geirrt » (p.2/5 du rapport du Service de Police Judiciaire). N’ayant pas réussi à duper par vos nouvelles déclarations mensongères le Service de Police Judiciaire, vous avez fini par admettre à celui-ci que vous auriez : « vielleicht 18 » plutôt que 16 ans.
Il appert aussi que vous tenez des propos contradictoires lorsque vous évoquez la situation de votre père. En effet, vous prétendez que celui-ci aurait introduit la demande pour obtenir le duplicata de votre carte d’identité, dont la date de délivrance est en juin 2020, ce qui impliquerait qu’il aurait habité en Afghanistan et que vous auriez été en contact avec lui. En même temps, et paradoxalement, vous avancez que vous n’auriez « seit langem keinem Kontakt mehr mit ihm » (p.2/5 du rapport du Service de Police Judiciaire) alors qu’il se serait exilé en Iran et que vous ne l’auriez pas recroisé lorsque vous y auriez vécu un an après votre fuite d’Afghanistan.
6 Finalement, n’étant plus en mesure de réfuter le fait que vous ne seriez pas un mineur de 16 ans et que des irrégularités sont relevés sur le duplicata de votre carte d’identité (notamment le placement de la photo et l’absence du numéro de l’ancienne carte d’identité) vous déclarez finalement au cours de votre entretien personnel que celui-ci serait un « vrai » (p.2/18 de votre rapport d’entretien) mais que votre date de naissance serait volontairement fausse, de sorte que l’année 20…… a été retenue comme votre date de naissance et non 20…… Vous changez également de version en expliquant désormais que c’est votre oncle maternel qui aurait obtenu ce duplicata pour votre compte, et non pas votre père, et qu’il aurait fait modifier votre date de naissance après vous avoir conseillé de vous faire passer pour un mineur lors de votre introduction d’une demande de protection internationale dans le but d’être éligible pour une demande de regroupement familial.
Malgré vos confessions et précisions tardives au cours de votre entretien personnel, force est de constater que vous avez suivi les conseils de votre oncle maternel en essayant de vous faire passer pour un mineur en présentant une fausse pièce d’identité de sorte que vous n’avez pas joué franc jeu avec les autorités luxembourgeoises. Vos explications relatives au fait que ce serait désormais votre oncle maternel et non plus votre père qui aurait obtenu votre duplicata en Afghanistan n’emporte pas conviction alors qu’il pourrait s’agir d’une tentative de corriger votre incohérence susmentionnée et de vous aligner sur ce qui deviendra un des motifs invoqués au cours de votre entretien personnel, à savoir les problèmes que vous auriez rencontré en Afghanistan après l’exil de votre père, avec qui vous auriez perdu contact, alors qu’il n’aurait pas été en mesure de rembourser sa dette.
Troisièmement, il appert que vous avez tenu des déclarations incomplètes auprès du Service de Police Judicaire en date du 13 janvier 2021 en ne mentionnant qu’un seul et unique motif pour justifier votre fuite d’Afghanistan alors que vous en invoquez un additionnel dans le cadre de vos entretiens auprès du Ministère des Affaires étrangères des 20 septembre et 25 octobre 2021, de sorte qu’il convient de s’interroger sur l’authenticité du motif supplémentaire que vous avez invoqué.
En effet, il ressort du rapport du Service de Police Judicaire que vous auriez uniquement quitté votre pays d’origine car « Feinde meines Vaters haben mir gedroht. Mein Vater hat Geld geliehen, er konnte dies jedoch nicht zurück bezahlen er flüchtete in den Iran. Die Leute drohten mir nun » (p.2/5 du rapport du Service de Police Judiciaire). Vous avez également mentionné ce motif durant votre entretien personnel mais force est de constater qu’il ne s’agit pas de votre motif principal puisque vous ne vous attardez que très brièvement sur celui-ci. Il est cependant anormal de constater que la majorité de votre récit repose sur un motif que vous n’avez nullement mentionné auprès du Service de Police Judiciaire, à savoir les problèmes que vous auriez eus avec des membres d’un groupe « mafieux » et les attouchements dont vous auriez été victime. Or, le fait que vous n’ayez pas évoqué ce motif en date du 13 janvier 2021 auprès du Service de Police Judicaire pousse irrémédiablement à s’interroger sur son authenticité.
Vous tentez par ailleurs de justifier cette prétendue négligence en expliquant dans le cadre de vos entretiens que « je suis timide. Je n’arrivais pas à dire à la police en bas ce qui m’est arrivé.
Donc je n’ai que raconté ce qui est arrivé à mon père » (p.13/18 de votre rapport d’entretien), 7sous-entendant vraisemblablement que vous n’auriez pas osé dire à la police luxembourgeoise que vous auriez été victime d’attouchements en Afghanistan. Toutefois, Monsieur, cette justification ne saurait nullement porter conviction pour plusieurs raisons. D’une part, il n’est pas crédible que vous auriez eu des difficultés à vous exprimer à ce sujet devant la police luxembourgeoise alors que vous auriez supposément été en mesure de le faire devant la police afghane en y dénonçant les « attouchements » de (D) et (F) et le fait « qu’ils m’ont embrassé » (p.8/18 de votre rapport d’entretien). D’autre part, vous auriez très bien pu décrire à la police luxembourgeoise votre vécu de manière plus générale, sans avoir à entrer dans les détails que vous jugez sensibles quant aux attouchements dont vous auriez supposément été victime, en mentionnant tout de même que vous auriez été menacé par des membres d’un groupe « mafieux » qui auraient insisté pour que vous travaillez avec eux. Par ailleurs, l’on ne saurait être dupé par votre prétendu caractère « timide » (p.13/18 de votre rapport d’entretien) alors que celui-ci ne vous aurait étrangement pas empêché de tenter à plusieurs reprises d’induire en erreur les autorités luxembourgeoises quant à votre date de naissance.
Partant, compte tenu que vous n’avez qu’invoqué auprès du Service de Police Judiciaire les menaces que vous auriez reçus des prêteurs de votre père en raison de son non remboursement d’une dette, sans même évoquer d’une quelconque autre manière les problèmes que vous auriez eus avec des membres d’un groupe « mafieux », et que paradoxalement, ce dernier motif représente le fil conducteur de votre rapport d’entretien alors que vous ne vous y attardez que très brièvement sur les problématiques de votre père, il convient d’en déduire que ce motif n’est pas crédible.
Il est également raisonnable de penser que vous auriez réalisé entre le 13 janvier 2021, date correspondant à l’introduction de votre demande de protection internationale et rédaction de votre rapport du Service de Police Judiciaire, et le 20 septembre 2021, date de votre premier entretien personnel, que les menaces des prêteurs n’auraient pas été suffisantes pour vous voir octroyer une protection internationale et que vous vous seriez donc senti contraint d’inventer un nouveau motif. Cette déduction se base non seulement sur le fait que les problèmes que vous auriez eus avec les prêteurs auraient été temporaires puisqu’ils ne vous auraient menacé que durant les deux mois ayant suivi le départ de votre père et que rien de grave ne vous serait concrètement arrivé, mais aussi par le fait qu’entre-temps votre père aurait réussi à rembourser sa dette de sorte que les prêteurs ne représentent plus aucune menace pour votre sécurité personnelle.
Quatrièmement, il convient de remettre en doute la crédibilité de votre récit lorsque vous évoquez le départ de votre père d’Afghanistan en raison d’une dette impayée et, par extension, les conséquences que son exil aurait eues sur votre quotidien.
Vous expliquez en tout début d’entretien que votre père aurait quitté votre pays d’origine « 1 an avant que je quitte l’Afghanistan » (p.5/18 de votre rapport d’entretien), respectivement donc vers janvier 20… puisque vous déclarez en septembre 2021 que vous auriez quitté votre pays d’origine « il y a environ 2 ans et 8 mois » (p.2/18 de votre rapport d’entretien), c’est-à-dire vers janvier 20….. Cependant, vous vous contredisez plus tardivement dans votre entretien en mentionnant que « Quand je suis parti en Iran ça faisait déjà 3-4 ans qu’il avait quitté l’Afghanistan » (p.14/18 de votre rapport d’entretien), de sorte que votre père aurait quitté votre pays d’origine en 20…-20…. et non plus en 20…… Finalement, lorsque l’agent en charge de votre 8entretien vous demande de maintenir un déroulement chronologique inchangé afin de garder un semblant de cohérence dans votre récit, alors qu’une confusion inéluctable règne sur celui-ci, vous répondez désormais que « Mon père est parti en Iran en 20… » (p.12/18 de votre rapport d’entretien).
Force est donc de constater que vous donnez trois temporalités différentes - à savoir 2015-2016, 2017, ou 2018 - pour dater le départ de votre père d’Afghanistan et qu’il est par conséquent impossible à ce jour de savoir quelle date il convient de maintenir, d’autant plus que, selon la version retenue, le déroulement chronologique des autres évènements qui en découle se trouve constamment perturbé.
En effet, si l’on retient l’année 2017 ou 2018 comme étant la date réelle du départ de votre père en Afghanistan, il est dès lors aberrant de constater que vous puissiez répondre à l’agent en charge de votre entretien qu’« il n’y a pas eu de problème » (p.12/18 de votre rapport d’entretien), en dehors de vos ennuis avec le groupe « mafieux », entre 2017 et 2019 alors que temporellement cette période aurait dû coïncider avec les problèmes que vous auriez eus avec les prêteurs étant donné qu’ils seraient venus à votre domicile pour réclamer l’argent en vous menaçant « plusieurs jours consécutifs 1 mois et demi et 2 mois après le départ de mon père » (p.14/18 de votre rapport d’entretien).
Inversement, il convient de noter que le même constat s’impose lorsque l’agent en charge de votre entretien vous demande si quelque chose de particulier s’est déroulé pendant les 3-4 années précédant votre départ d’Afghanistan, respectivement entre 2015 et 2019 et que vous répondez cette-fois ci : « Non mais les gens auxquels mon père avait emprunté de l’argent m’embêtaient » (p.14/18 de votre rapport d’entretien) alors que cette période devrait également coïncider à la période au cours de laquelle vous auriez eu des problèmes avec les membres du groupe « mafieux ».
Il en est de même lorsque vous prétendez que vous seriez « devenu responsable de la famille. J’étais obligé de travailler » (p.5/18 de votre rapport d’entretien) après le départ de votre père et que vous enchaînez directement votre récit en expliquant que par conséquent vous auriez commencé à travailler « quand j’avais l’âge de 11 ans », respectivement en 2013, pour subvenir aux besoins financiers de votre famille. Or, ce déroulement chronologique perd entièrement de sa crédibilité si l’année retenue du départ de votre père date de 2017 ou 2018. Une énième version révisée (p.12/18 de votre rapport d’entretien), que vous présentez plus tard, conformément à la demande de l’agent en charge de votre entretien qui est inévitablement désorienté par vos multiples versions, ne saurait également porter conviction puisqu’il s’agit là encore de modifications alambiquées que vous apportez uniquement, après avoir été averti de vos incohérences, dans le but de vous aligner sur votre récit pour garder un semblant de crédibilité.
À cela s’ajoute que vous avez évoqué lors de votre première journée d’entretien, le 20 septembre 2021, que vous n’auriez « plus de nouvelles » (p.4/18 de votre rapport d’entretien) de votre père depuis son départ en Iran. Ensuite, dans le cadre de la relecture, en date du 25 octobre 2021, vous avez informé l’agent en charge de votre entretien que « j’ai eu de ses nouvelles. Il est à ….. avec ma mère » (p.4/18 de votre rapport d’entretien). Nonobstant […] cette modification, il appert toutefois que ces deux déclarations ne peuvent qu’être qualifiées de 9mensongères si elles sont comparées avec une des deux versions retenues de votre rapport du Service de Police Judiciaire datant du 13 janvier 2021, à savoir que vous auriez en réalité maintenu le contact avec votre père et que celui-ci aurait été en Afghanistan en 2020. En effet, comme susmentionné, il convient de rappeler qu’il était impossible de démêler le vrai du faux dans ce rapport puisque vous présentez deux versions différentes en indiquant d’une part « Mein Vater hat den Antrag für die neue Tazkira gemacht, da ich die alte verloren habe » et d’autre part « Ich habe meinen Vater im Iran nicht gesehen, da ich seit langem keinen Kontakt mehr mit ihm habe ».
Partant, compte tenu de vos contradictions et multiples révisions qui bouleversent drastiquement le déroulement chronologique de votre récit lorsque vous témoignez de l’exil de votre père, il convient de ne pas accorder de la crédibilité à vos dires et de sérieusement considérer l’éventualité que votre père n’aurait en réalité pas quitté temporairement l’Afghanistan au cours des périodes que vous avancez, que vous n’auriez pas perdu contact avec lui au cours de celles-
ci, et par extension, que les prêteurs ne seraient pas forcément venus vous menacé personnellement à votre domicile.
Cinquièmement, le constat du caractère fictif de votre récit est d’ailleurs corroboré par le fait que vous modifiez constamment son déroulement chronologique dans d’autres contextes, à l’image des incohérences temporelles précédemment soulevées en ce qui concerne votre père.
A cet égard, il convient avant tout de soulever que vos excuses justificatives, telles que « je ne me rappelle pas bien des dates et des années » (p.5/18 de votre rapport d’entretien), « Je ne me rappelle pas de la date précise » (p.7/18 de votre rapport d’entretien) ou « j’ai oublie pas mal de choses (…) J’ai oublié les années et les dates » (p.12/18 de votre rapport d’entretien) ne sauraient être suffisantes pour justifier et ignorer les chamboulements du déroulement chronologique qui se produisent au cours de votre entretien. En d’autres termes, il est totalement compréhensible que vous ne soyez pas en mesure de vous rappeler précisément de certaines dates mais il ne saurait être justifiable que le déroulement chronologique des faits, respectivement l’ordre des évènements, ou leur durabilité soient constamment modifiés.
Il est par exemple aberrant de constater que vous puissiez déclarer que : « J’étais obligé de travailler et finalement j’ai accepté de travailler pour eux. Au début, je pensais qu’ils étaient gentils » (p.10/18 de votre rapport d’entretien), sous-entendant clairement ici que vous n’auriez pas soupçonné les mauvaises intentions des « mafieux » les jours précédents votre acceptation de travailler avec eux dans le ….. de (F). Or, un tel jugement de votre part ne peut concorder avec vos autres déclarations antérieures puisque, chronologiquement parlant, vous auriez été victime d’attouchements de la part de (F) et (D), seriez allé porter plainte à la police et auriez été menacé par (F) avant même de commencer à travailler dans ce …… Partant, cette incohérence remet la crédibilité du déroulement chronologique de votre récit en doute et par extension sa crédibilité entière. D’autant plus que dans votre version initiale, vous expliquez que vous auriez accepté de travailler dans le ….. de (F), alors que vous auriez déjà été un employé à l’usine après avoir été viré du ….. : « J’ai été obligé d’arrêter de travailler (…) 2-3 semaines plus tard j’ai trouvé un autre travail (…) dans une usine de gâteaux. Les mafieux m’ont retrouvé un jour (…) Ils m’ont demandé de travailler dans leur …… J’ai accepté » (p.5/18 de votre rapport d’entretien). Or, ce déroulement chronologique ci ne concorde aucunement avec une autre version selon laquelle vous soutenez que vous auriez commencé à travailler pour eux avant même de travailler à l’usine : « quand j’ai 10arrêté de travailler au ….. j’ai travaillé pour eux 1 ou 2 journées. C’était pendant les 2-3 semaines que je n’avais pas de travail » (p.10/18 de votre rapport d’entretien).
Par ailleurs, alors que cette version révisée contredit le déroulement chronologique que vous aviez jusqu’à-là utiliser, il se trouve qu’elle dément également votre déclaration relative au fait qu’au cours de ces deux-trois semaines « non » [sic] il ne se serait rien passé de particulier en dehors du fait que « j’étais à la maison. Je sortais de temps en temps. Je cherchais du travail » (p.9/18 de votre rapport d’entretien).
Vous évoquez par la suite qu’après avoir arrêté de travailler pour eux « je n’ai plus travaillé pendant trois mois » (p.12/18 de votre rapport d’entretien) alors qu’initialement vous aviez rapporté que vous auriez seulement était pendant deux-trois semaines sans travail :
« pendant les deux-trois semaines que je n’avais pas de travail » (p.10/18 de votre rapport d’entretien).
Le fait que votre récit soit qualifié d’incohérent se trouve encore corroborer lorsque vous prétendez dans un premier temps que vous auriez été menacé au couteau par (F) dès le « lendemain » (p.7/18 de votre rapport d’entretien) de votre visite au poste de police, puis dans un deuxième temps vous décidez de changer de version en indiquant que cette menace au couteau se serait produite lors de « mon 5e jour de travail à l’usine » (p.9/18 de votre rapport d’entretien) ou « après avoir commencé à travailler dans l’usine » (p.11/18 de votre rapport d’entretien), soit quelques semaines après votre visite au poste de police et non plus le « lendemain » alors qu’il vous aurait seulement menacé cette fois-ci mais sans couteau. Par cette révision, il appert que les motifs de cette menace au couteau sont également différents puisque d’une part il l’aurait fait le « lendemain » en raison de votre dénonciation auprès de la police, et d’autre part lorsque vous seriez sorti de l’usine pour rentrer chez vous car « je refusais d’aller avec lui » (p.10/28 de votre rapport d’entretien) pour vous faire danser.
En ce qui concerne la menace qui se serait déroulée « après avoir commencé à travailler dans l’usine », respectivement lors de « mon 5e jour de travail à l’usine », vous indiquez que vous auriez décidé de quitter l’Afghanistan « environ 1 semaine après » (p.11/18 de votre rapport d’entretien). Or, cette déclaration ne peut s’aligner temporellement sur ce que vous avez prétendu antérieurement, à savoir que vous auriez supposément encore travaillé « 1 mois » dans l’usine (p.9/18 de votre rapport d’entretien). Vous êtes alors interrogé par l’agent en charge de votre entretien quant à cette incohérence et répondez que vous auriez en réalité été menacé au couteau « après que j’ai arrêté de travailler à l’usine de gâteaux » (p.11/18 de votre rapport d’entretien) et non plus « après avoir commencé ». Or, cette justification n’emporte aucunement conviction puisqu’il s’agit d’une énième modification du déroulement chronologique de votre récit alors que vous aviez confirmé à plusieurs reprises, de différentes manières, que cela se serait produit lorsque vous auriez encore été un employé à l’usine, sur le trajet de retour à votre domicile.
Vous informez aussi l’agent en charge de votre entretien que vous auriez commencé à travailler dans l’usine vers la « fin de l’année 2017 » (p.9/18 de votre rapport d’entretien).
Cependant, sachant que vous y auriez travaillé pendant un mois et que vous auriez décidé de quitter l’Afghanistan une semaine après que vous auriez arrêté de travailler à l’usine en raison de 11l’attaque au couteau dont vous auriez prétendument été victime, il en ressort qu’il serait dès lors temporellement impossible que vous puissiez alléguer, le 20 septembre 2021 lors de votre premier entretien, avoir quitté l’Afghanistan « il y a environ 2 ans et 8 mois » (p.2/18 de votre rapport d’entretien), c’est-à-dire en janvier 2019.
Partant, il convient de percevoir ces multiples modifications comme des tentatives infructueuses de vous aligner du mieux que possible sur vos déclarations précédentes alors qu’en réalité vous vous perdez manifestement dans vos mensonges et vous enlisez dans un récit sans queue ni tête. Partant, aucune crédibilité ne peut être accordée à votre témoignage.
Sixièmement, votre récit est parsemé d’autres contradictions et incohérences, moins flagrantes mais tout de même étonnantes, qui prises dans leur globalité ne font que réduire la crédibilité qui lui est accordée.
Il est par exemple difficile de vous croire lorsque vous évoquez que (F) vous aurait demandé de venir travailler dans son ….. environ deux-trois mois après que vous seriez allé dénoncer ses attouchements à la police et qu’il vous aurait prétendument menacé le « lendemain » en vous prévenant que « si j’allais revoir la police il allait me tuer » (p.7/18 de votre rapport d’entretien).
Il n’est également pas crédible que les membres du groupe « mafieux » vous auraient forcé à travailler pour eux au motif qu’« ils gaspillaient beaucoup d’argent pour moi. J’étais obligé de travailler et de les rembourser » (p.10/18 de votre rapport d’entretien) alors qu’en même temps, vous avancez que « Les 2 jours que j’ai travaillé là-bas c’était bien j’étais payé et j’ai eu des baskets » (p.12/18 de votre rapport d’entretien).
Il n’est pas crédible que vous ayez « fait 10 ans d’école » (p.2/18 de votre rapport d’entretien) alors que vous auriez en même-temps, selon vos déclarations, commencé à travailler « quand j’avais 11 ans » (p.5/18 de votre rapport d’entretien). Par ailleurs, il est impossible de se faire une idée claire et précise des différents emplois que vous auriez occupés et au cours de quelle période alors que vous expliquez d’une part que vous auriez commencé à travailler dès vos 11 ans dans un ….. à ….., respectivement dès 2013, et par après dans une …… lorsque vous aviez 15-16 ans, soit en 2017-2018 (p.5/18 de votre rapport d’entretien). Cependant, vous avez également mentionné, à une seule et unique reprise, que vous auriez travaillé dans un ….. (p.6/18 de votre rapport d’entretien) lorsque vous auriez commencé à faire connaissance avec des membres du groupe « mafieux », respectivement avant même d’avoir travaillé dans un …… Or, non seulement vous ne mentionnez plus jamais cet emploi que vous auriez exercé, mais de plus cela ne se chevauche aucunement de manière temporelle sur les informations précitées.
Tout comme, il n’est pas crédible que votre mère aurait financé votre trajet pour fuir l’Afghanistan alors que vous prétendez en même temps qu’elle n’aurait pas été en mesure de subvenir aux besoins familiaux et que vous auriez été contraint de travailler dès votre plus jeune âge : « Mes parents n’avaient pas d’argent. Ils me demandaient de travailler » (p.13/18 de votre rapport d’entretien).
Enfin, il convient aussi de relever que lorsque l’agent en charge de votre entretien vous 12demande en fin d’entretien si vous avez porté plainte contre les menaces émises par les prêteurs ou « pour d’autres faits que vous avez mentionnés » (p.15/18 de votre rapport d’entretien), vous répondez par la négative alors que l’on est en raisonnablement droit de s’attendre de votre part de rappeler ici que vous seriez allé porter plainte contre (D) et (F). Votre réponse négative pousse donc automatiquement à s’interroger sur la crédibilité de votre visite au poste de police, d’autant plus que vous ne versez aucun document permettant de le prouver.
Votre récit n’étant pas crédible, aucune protection internationale ne vous est accordée. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 avril 2023, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle du 14 mars 2023 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Par jugement du 25 mars 2024, le tribunal administratif déclara le recours en réformation recevable et fondé pour annuler tant le refus de reconnaissance d’une protection internationale que l’ordre de quitter le territoire, avec renvoi du dossier devant le ministre des Affaires intérieures, entretemps compétent en la matière, « aux fins d’un nouvel examen au fond de la demande de protection internationale de Monsieur (A), limité à la question de la crainte de celui-ci de subir des violences de la part des talibans en raison de son appartenance à l’ethnie hazara et de sa confession chiite ».
Pour arriver à cette conclusion et après avoir rejoint les doutes du ministre quant à la crédibilité du récit du demandeur au vu du grand nombre d’incohérences, de contradictions et donc de mensonges, notamment au sujet de son identité et, plus particulièrement, de ses date et lieu de naissance et de la chronologie des évènements relatés, donc des différentes versions des faits présentées au fil de ses auditions, et retenu que le récit de l’intéressé, considéré dans sa globalité, n’était pas de nature à emporter leur conviction, les premiers juges considérèrent cependant qu’indépendamment de cet état des choses, l’intéressé avait, à travers sa requête en justice, fait valoir des violences générales commises à l’encontre des membres de l’ethnie hazara à laquelle il appartiendrait, sans que le délégué du gouvernement n’ait quant à lui pris position sur ce point précis, de sorte qu’ils seraient dans l’impossibilité d’apprécier le « bien-fondé du refus d’octroi d’une protection internationale sous l’angle d’un éventuel risque pour Monsieur (A) de subir des violences de la part des talibans en raison de son appartenance à l’ethnie hazara et de sa confession chiite » et ainsi d’épuiser leur pouvoir en réformation et étaient ainsi amenés à annuler la décision déférée et à renvoyer le dossier au ministre nouvellement compétent aux fins dudit examen supplémentaire par eux circonscrit.
Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 19 avril 2024, l’Etat a régulièrement fait entreprendre le jugement du 25 mars 2024.
En substance et en ordre principal, le délégué du gouvernement reproche aux premiers juges d’avoir, après confirmation de l’absence de crédibilité d’ensemble du récit de l'intimé, néanmoins sanctionné le ministre pour avoir omis d’analyser sa demande de protection internationale au regard de son appartenance à l'ethnie hazara et de sa confession chiite.
13En effet, au regard de la doctrine et de la jurisprudence constante afférente, un récit non crédible dispenserait le ministre de vérifier plus loin si les conditions de fond de l'octroi d'une protection internationale sont réunies. Admettre le contraire et suivre la logique des premiers juges reviendrait à accorder du crédit à des déclarations retenues comme étant mensongères.
En ordre strictement subsidiaire, pour le cas où une analyse au fond de la demande de protection internationale de l'intimé limitée à son appartenance à l'ethnie hazara et à sa confession chiite était néanmoins à faire, le délégué estime que la demande de protection internationale en question n’est justifiée en aucune de ses branches.
Concernant le statut de réfugié, la première des conditions légalement posées, à savoir des actes devant être motivés par un des critères de fond définis à l'article sub 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, ne serait pas vérifiée, au motif qu'à l'heure actuelle, le seul fait d'appartenir à l'ethnie hazara et d'être de confession chiite ne serait pas suffisant pour se prévaloir d'une crainte fondée d'être persécuté par les Talibans en Afghanistan et partant de se voir octroyer le statut de réfugié.
Concernant le volet relatif au statut conféré par la protection subsidiaire, que l'intimé fonderait sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié, il conviendrait encore de conclure qu'il n'établirait pas non plus qu'il existe de sérieuses raisons de croire qu'il encourrait, en cas de retour dans son pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 points a) et b), de la loi du 18 décembre 2015.
Sur ce, le délégué demande à la Cour de réformer le jugement entrepris en conséquence.
L’intimé demande en substance la confirmation du jugement a quo.
En effet, sa crainte de subir de graves persécutions de la part des autorités talibanes, non examinée par l'autorité ministérielle et par rapport à laquelle il devrait se voir appliquer le bénéfice du doute, tel que prévu par l'article 37, paragraphe (5), de la loi du 18 décembre 2015 impliquerait le renvoi du dossier tel que décidé par les premiers juges.
Il entend pointer le fait que différentes sources internationales relèveraient clairement la perpétration par les Talibans de traitements inhumains et dégradants à l'égard de la minorité Hazara.
L’intimé estime que cette question ne peut pas être abordée directement par le juge administratif, un examen adéquat et impartial des demandes de protection internationale requérant que la question soit examinée en premier lieu par le ministre.
En effet, selon l’intimé, le ministre serait soumis à l’obligation de procéder à un examen adéquat et impartial des demandes de protection internationale et le défaut de l'autorité ministérielle de s’être prononcée sur un volet crucial de sa demande, à savoir ses craintes de persécution de la part des Talibans en raison de son appartenance ethnique hazara, constituerait un 14manquement à son obligation afférente et compromettrait non seulement son droit à une procédure équitable, mais également son droit à un recours effectif.
Il serait partant « impératif que cette lacune soit corrigée afin de garantir que la partie intimée puisse pleinement exercer ses droits légaux et avoir accès à une justice effective et équitable. Il est donc essentiel que cette lacune soit corrigée et que l'autorité ministérielle soit tenue de se prononcer sur les craintes de persécution du demandeur, conformément à ses obligations légales et aux principes fondamentaux découlant de l'article 10 de la loi du 18 décembre 2015, et des articles 6 et 13 de la CEDH, ou toutes autres dispositions plus favorables ».
Au-delà, l’intimé estime avoir « fait état de manière crédible d'une crainte justifiée de persécutions ou d'atteintes graves au sens de la Convention de Genève, et de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, en raison de son appartenance à l'ethnie hazara et de sa confession chiite, de sorte que c'est à bon droit que les juges de première instance ont estimé que la décision ministérielle litigieuse nécessite l'annulation ».
Le jugement serait partant à confirmer, respectivement, « dans l'hypothèse, et si par impossible, où Votre Cour estime l'appel de la partie appelante fondé, il y a lieu de renvoyer l'affaire devant les juges de première instance, afin que ces derniers puissent toiser le volet relatif au fond, et ceci dans le respect du principe du double degré de juridiction ».
Liminairement, la Cour se réfère et se rallie aux premiers juges en ce qui concerne leur cadrage juridique du litige, de même qu’elle fait siennes leurs considérations pertinentes relativement à l’exigence de la crédibilité des déclarations d’un demandeur d’asile, étant rappelé que la crédibilité du récit constitue en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, spécialement dans la mesure où des éléments de preuve matériels font défaut.
Au-delà, la Cour rejoint encore les premiers juges en ce qu’ils ont constaté qu’en l’espèce, de nombreuses et flagrantes incohérences et contradictions caractérisent et affectent fondamentalement le récit de l’intimé, lequel appert inconsistant et évolutif, de même que mensonger, partant non crédible dans sa globalité, de sorte à ne pas être de nature à emporter la conviction du juge, état des choses sur lequel l’intimé lui-même ne revient plus et ne remet pas en discussion en instance d’appel.
Ceci dit, c’est à bon escient que le délégué du gouvernement relève que l'examen de la crédibilité du récit d'un demandeur d'asile constitue une étape nécessaire pour pouvoir répondre à la question de savoir si le demandeur d'asile a ou non des raisons fondées de craindre d'être persécuté du fait de l'un des motifs prévus par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ou risque réellement de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
Or, dès lors que, comme c’est le cas en l’espèce, la crédibilité générale du récit de l’intimé est viscéralement et globalement ébranlée, jusqu’au niveau même de l’identité de l’intéressé, 15aucune crainte de persécution, ni aucune atteinte grave ne saurait être retenue dans son chef et le ministre n’est pas critiquable en ce qu’il n’a pas, au-delà, effectué une analyse subséquente des conditions de fond de l'octroi d'une protection internationale.
En effet, le constat afférent entraîne nécessairement que l’intimé ne fait pas de manière crédible état d'une situation concrète et d'un vécu personnel qui établiraient dans son chef plus qu'une simple possibilité de persécution.
La demande de reconnaissance de réfugié a partant été rejetée à bon droit par le ministre et le jugement est à réformer sur ce point.
Pour le surplus, la Cour tient à remarquer qu’en l’espèce, concernant la situation concrète et individuelle et le vécu de l'intimé, mise à part sa déclaration d’appartenir à l'ethnie hazara, il n'apporte pas le moindre élément individuel propre visant à établir qu'il aurait une crainte individuelle fondée d'être persécuté en raison de sa prétendue appartenance à l'ethnie hazara et à sa prétendue confession chiite en cas de retour en Afghanistan.
La même conclusion s'impose encore a priori en ce qui concerne le statut de la protection subsidiaire considéré en tout cas au regard des points a) et b) de l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
Il est cependant vrai que sous le rapport d’une demande de protection internationale subsidiaire, il convient de procéder à une analyse allant au-delà de l'analyse globale de crédibilité du récit à la base de la demande de protection internationale au cas et dans la mesure où une demande de protection subsidiaire, certes caractérisée par un récit non crédible, véhicule une demande de protection sur base de la situation sécuritaire du pays d'origine telle que visée au point c) de l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015, c’est-à-dire que lorsque le demandeur invoque un contexte de violence aveugle dans le cadre d'un conflit armé interne ou international au sens de ladite disposition.
Or, l’intéressé appert véhiculer pareil motif de protection depuis son recours introductif de première instance.
Sous ce rapport, la Cour ne saurait cependant pas entériner la thèse de l’intimé consistant à soutenir qu’à défaut de prise de position du ministre compétent sur un motif de persécution avancé, le juge administratif ne saurait ipso facto s’y prononcer, mais serait tenu de renvoyer l’affaire devant l’administration. En effet, cette thèse se heurte à l’office même du juge de la réformation qui est appelé à connaître d’un recours lui soumis sur base de la situation telle qu’elle se présente en droit et en fait au jour où il est appelé à en connaître, lequel serait vidé de sa substance si tout élément nouveau devait être considéré comme appelant le juge à renvoyer systématiquement le dossier devant l’administration pour qu’elle s’y prononce au préalable.
Ceci dit, concernant la situation sécuritaire qui prévaut actuellement en Afghanistan, la Cour, saisie de l’entièreté du fond du litige, tel qu’il lui a été dévolu par l’effet de l’appel étatique dirigé contre un jugement ayant statué au fond, de sorte qu’un renvoi devant les premiers juges, comme le réclame encore l’intimé, n’est point requis pour garantir le double degré, se doit de 16constater qu’elle n’a pas été saisie d’éléments suffisants permettant de conclure à l’existence d’une situation de conflit interne en Afghanistan au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015.
La demande de protection internationale de l’intimé, prise en son double volet, laisse partant d’être justifiée et le jugement est à réformer en ce sens.
Quant à l'ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de protection internationale, force est de constater que le constat d’un refus justifié d’une protection internationale est a priori automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire par le ministre, de sorte que la demande de réformation de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter à son tour et le jugement est encore à réformer sur ce point.
Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel étatique dirigé contre le jugement entrepris est fondé et que la demande de protection internationale de l’intimé n’est justifiée ni dans son volet principal, ni dans celui subsidiaire, de manière que ledit jugement encourt la réformation dans le sens que le recours contentieux dirigé par l’actuel intimé contre la décision ministérielle du 14 mars 2023 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et ordre de quitter le territoire est à rejeter.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause;
reçoit l’appel en la forme;
au fond, le déclare justifié;
partant, par réformation du jugement du 25 mars 2024, rejette le recours en réformation dirigé par Monsieur (A) contre la décision ministérielle du 14 mars 2023 portant refus de sa demande de protection internationale et ordre de quitter le territoire;
condamne l’intimé aux dépens des deux instances.
17Ainsi délibéré et jugé par :
Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour …… s. …… s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 juin 2024 Le greffier de la Cour administrative 18