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27/06/2024 | LUXEMBOURG | N°43827

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 27 juin 2024, 43827


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50020C ECLI:LU:CADM:2024:50020 Inscrit le 1er février 2024 Audience publique du 27 juin 2024 Appel formé par Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 22 décembre 2023 (n° 43827 du rôle) ayant statué sur le recours introduit par Monsieur (B) contre un arrêté du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse en matière de mise à la retraite Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 50020C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 1er février 2024 pa

r Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ord...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50020C ECLI:LU:CADM:2024:50020 Inscrit le 1er février 2024 Audience publique du 27 juin 2024 Appel formé par Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 22 décembre 2023 (n° 43827 du rôle) ayant statué sur le recours introduit par Monsieur (B) contre un arrêté du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse en matière de mise à la retraite Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 50020C du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 1er février 2024 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, au nom de Madame (A), veuve de feu Monsieur (B), demeurant à L-…, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 22 décembre 2023 (n° 43827 du rôle) par lequel le tribunal s’est déclaré incompétent pour connaître du recours principal en réformation introduit par Monsieur (B) contre un arrêté du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse du 18 octobre 2019 ayant abrogé l’arrêté ministériel du 27 septembre 2017 ayant prononcé sa mise à la retraite avec effet au 1er octobre 2017 tout en le réintégrant dans sa fonction de chargé de cours avec effet au 1er août 2019 et l’a débouté du recours subsidiaire en annulation dirigé conte ce même arrêté ministériel ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 29 février 2024 par le délégué du gouvernement pour compte de l’Etat ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 2 avril 2024 par Maître Jean-Marie BAULER au nom de l’appelante ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 22 avril 2024 par le délégué du gouvernement pour compte de l’Etat ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

1 Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 7 mai 2024.

Par une décision du 20 septembre 2017, la Commission des pensions du secteur étatique, ci-après « la Commission des pensions », retint que « (…) Monsieur (B) est hors d’état de continuer son service, de le reprendre dans la suite et d’occuper un autre emploi tel que la mise à la pension d’invalidité de Monsieur (B) s’impose (…) », décision qui fut suivie par un arrêté ministériel du 27 septembre 2017 retenant la mise à la retraite de Monsieur (B) avec effet au 1er octobre 2017.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 26 octobre 2017, inscrite sous le numéro 40303 du rôle, Monsieur (B) fit introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de cette décision de la Commission des pensions.

Par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 40304 du rôle, il sollicita encore l’obtention d’un sursis à exécution par rapport à ladite décision, demande qui fut rejetée par une ordonnance du 7 novembre 2017 du président du tribunal administratif.

Par jugement interlocutoire du 27 novembre 2018, le tribunal administratif déclara le recours principal en réformation recevable sur base de l’article 42 de la loi modifiée du 25 mars 2015 instituant un régime de pension spécial transitoire pour les fonctionnaires de l’Etat et des communes ainsi que pour les agents de la Société nationale des Chemins de Fer luxembourgeois, ci-après « la loi du 25 mars 2015 », et dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation. Quant au fond, le tribunal ordonna, avant tout progrès en cause, l’institution d’une mesure d’expertise en nommant le docteur … en vue de « (…) se prononcer dans un rapport écrit et motivé sur la question de savoir si Monsieur (B) est atteint d’infirmités qui le mettraient hors d’état de continuer son service et, dans l’affirmative, s’il est apte à exercer, le cas échéant, une autre fonction publique éventuellement à temps partiel pour raisons de santé, éventuellement avec changement d’emploi. (…) ».

Le rapport d’expertise fut déposé au greffe du tribunal administratif le 29 janvier 2019.

Dans son jugement du 26 juin 2019, inscrit sous le numéro 40303a du rôle, le tribunal déclara le recours principal en réformation justifié et, par réformation de la décision de la Commission des pensions du 20 septembre 2017, déclara Monsieur (B) apte à reprendre son service à temps plein, tout en renvoyant le dossier en prosécution de cause devant le ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, ci-après « le ministre ».

En date du 18 juillet 2019, le ministre prit un arrêté rapportant avec effet au 1er octobre 2017 celui du 27 septembre 2017 ayant porté la mise à la retraite de Monsieur (B) et décida la réintégration de celui-ci avec effet au 1er août 2019 au service de la formation professionnelle auprès du Centre national de formation professionnelle dans sa fonction de chargé de cours, employé de l’Etat du groupe de traitement B1.

2Par courrier du 3 octobre 2019, le ministre informa Monsieur (B) de son intention de procéder à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 18 juillet 2019 dans les termes suivants :

« (…) Je tiens à vous informer de mon intention de procéder à l'annulation de l'arrêté ministériel du 18 juillet 2019 vous concernant, dont l'article 1er dispose que « l'arrêté ministériel du 27 septembre 2017 déclarant la mise à la retraite de Monsieur (B) avec effet au 1er octobre 2017, est rapporté », et ce sur base de l'article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'État et des communes.

En effet, au vu du jugement rendu par le tribunal administratif en date du 26 juin 2019, la décision de la Commission des pensions du 20 septembre 2017 a été réformée et vous avez été déclaré apte à reprendre votre service à temps plein. Or, la réformation d'une décision ne peut avoir d'effets que pour le futur, à l'exclusion de tout effet rétroactif. Il s'ensuit que c'est à tort que l'arrêté ministériel du 18 juillet 2019 a rapporté l'arrêté de 2017 de mise à la retraite alors qu'il aurait dû abroger ledit arrêté avec effet au 1er août 2019.

Eu égard aux considérations exposées ci-avant, un nouvel arrêté ministériel en la matière devra être pris qui annulera et remplacera celui du 18 juillet 2019, non conforme à la décision des juges administratifs précitée.

Finalement, je tiens à vous informer qu'en vertu de l'article 9 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, vous disposez d'un délai de huit jours à partir du jour de la notification de la présente pour présenter vos observations par écrit ou être entendu en personne. (…) ».

Par courrier du 17 octobre 2019, Monsieur (B) sollicita un entretien afin d’être entendu en personne au sujet de la décision ministérielle projetée.

En date du 18 octobre 2019, le ministre prit l’arrêté suivant :

« (…) Vu la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'État, notamment son article 37bis ;

Considérant le jugement rendu par le tribunal administratif en date du 26 juin 2019 ayant réformé la décision de la Commission des pensions du 20 septembre 2017, déclarant Monsieur (B), chargé de cours au Centre national de formation professionnelle continue …, hors d'état de continuer son service, de le reprendre dans la suite et d'occuper un autre emploi, et ayant déclaré Monsieur (B) apte à reprendre son service à temps plein ;

Considérant que l'arrêté ministériel du 18 juillet 2019 est non conforme au jugement rendu par le tribunal administratif précité ;

Considérant que Monsieur (B) a été invité en date du 11 octobre 2019 par lettre recommandée à présenter ses observations quant à l'annulation de l'arrêté ministériel du 18 juillet 2019, conformément à l'article 9 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'État et des communes ;

Considérant que Monsieur (B) a été contacté en date du 16 octobre 2019 par téléphone, lors duquel a été fixé un rendez-vous pour le 17 octobre 2019, auquel Monsieur (B) ne s'est pas présenté ;

3 Vu la vacance de poste : 2018/C/565/MENJE/SFP ;

Arrête:

Art. 1er. - L'arrêté ministériel du 27 septembre 2017 déclarant la mise à la retraite de Monsieur (B) avec effet au 1er octobre 2017, est abrogé avec effet au 1er août 2019.

Art. 2. - Monsieur (B) (matricule …) est réintégré au Service de la formation professionnelle auprès du Centre national de formation professionnelle continue d'…, dans sa fonction de chargé de cours, employé de l'État du groupe d'indemnité B1, avec effet au 1er août 2019.

Art. 3. Le présent arrêté annule et remplace l'arrêté ministériel du 18 juillet 2019. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 novembre 2019, inscrite sous le numéro 43827 du rôle, Monsieur (B) fit introduire un recours tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de l’arrêté ministériel du 18 octobre 2019.

Par arrêté du 8 janvier 2020, le ministre abrogea avec effet au 1er août 2019 l’arrêté du 27 septembre 2017 et décida la réintégration de Monsieur (B) avec effet à la même date, tout en rapportant l’arrêté ministériel du 18 octobre 2019 et celui du 18 juillet 2019.

Dans son jugement du 22 décembre 2023, le tribunal se déclara incompétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre l’arrêté du 18 octobre 2019 pris par le ministre à l’encontre de Monsieur (B), reçut le recours subsidiaire en annulation dirigé contre cet arrêté ministériel en la pure forme et au fond le déclara non justifié et en débouta l’appelant, tout en rejetant la demande en allocation de procédure de 1.500 € telle que formulée par celui-

ci et en le condamnant aux frais et dépens de l’instance.

Pour arriver à cette conclusion, le tribunal rejeta de prime abord le moyen d’irrecevabilité soulevé par la partie étatique et consistant à remettre en question l’intérêt à agir de Monsieur (B) au regard de la circonstance que le ministre aurait, à travers un arrêté du 8 janvier 2020, fait droit à sa demande d’annuler l’arrêté du 18 octobre 2019. A cet égard, le tribunal retint que dans la mesure où il avait, par jugement du 22 décembre 2023, inscrit sous le numéro 44367 du rôle, annulé l’arrêté ministériel du 8 janvier 2020, la situation de Monsieur (B) quant à sa mise à la retraite et sa réintégration professionnelle se trouvait à nouveau régie par l’arrêté ministériel du 18 octobre 2019 faisant l’objet du recours inscrit sous le numéro 43827 du rôle. Dans ce même contexte, le tribunal releva que l’arrêté du 18 juillet 2019 avait été annulé par celui du 18 octobre 2019, qui avait à son tour abrogé l’arrêté ministériel du 27 septembre 2017 avec effet seulement au 1er août 2019 - et non pas tel que l’arrêté du 18 juillet 2019 l’avait fait avec effet au 1er octobre 2017 -, de sorte que Monsieur (B) pouvait se prévaloir d’un intérêt à agir à l’encontre de l’arrêté ministériel du 18 octobre 2019 puisqu’en cas d’annulation de celui-ci, il estimait ne plus devoir être considéré comme ayant été à la retraite entre le 1er octobre 2017 et le 1er août 2019, ce qui aurait une incidence sur le montant de sa future retraite.

Quant au fond, le tribunal releva qu’à travers l’arrêté ministériel du 18 juillet 2019, le ministre avait exécuté le jugement du tribunal administratif du 26 juin 2019, inscrit sous 4numéro 40303a du rôle, qui avait, par réformation de la décision de la Commission des pensions du 20 septembre 2017, retenu que Monsieur (B) était apte à reprendre son service à temps plein et ce compte tenu d’une amélioration de son état de santé. Le tribunal constata encore que les dispositions de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après « le règlement grand-ducal 8 juin 1979 », trouvaient application et que les conditions de délai telles que prévues par cette disposition avaient été respectées, l’arrêté ministériel du 18 juillet 2019 n’ayant pas encore été devenu définitif au moment de la notification de celui du 18 octobre 2019. S’agissant de la cause d’annulation, le tribunal releva qu’à travers l’arrêté du 18 juillet 2019, le ministre avait, en exécution du jugement du 26 juin 2019 précité, ordonné la réintégration de Monsieur (B) avec effet au 1er août 2019 tout en annulant sa mise à la retraite pour la période du 1er octobre 2017 au 1er août 2019, ce qui aux yeux du tribunal constituait un excès de pouvoir, le tribunal ayant relevé que la réformation de la décision de la Commission des pensions du 20 septembre 2017 suivant jugement du 26 juin 2019 n’était pas motivée par une erreur d’appréciation ayant affecté ab initio cette décision, mais par une amélioration de l’état de santé de Monsieur (B). Le tribunal en conclut que l’arrêté ministériel du 18 juillet 2019 était affecté d’une cause d’annulation, de sorte que le ministre avait pu, en application de l’article 8 du règlement grand-ducal 8 juin 1979, procéder à son retrait par le biais de l’arrêté litigieux du 18 octobre 2019.

Par rapport au moyen fondé sur une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, le tribunal rappela que les arrêtés ministériels des 18 juillet 2019 et 18 octobre 2019 constituaient des actes d’exécution du jugement du 26 juin 2019 ayant réformé la décision de la Commission des pensions du 20 septembre 2020, de sorte que le ministre ne disposait pas de pouvoir d’appréciation en la matière, mais avait une compétence liée. Il retint ensuite que l’arrêté du 18 octobre 2019 devait être considéré comme une exécution correcte du jugement du 26 juin 2019 pour réintégrer Monsieur (B) avec effet au 1er août 2019, tout en maintenant sa mise à la retraite durant la période du 1er octobre 2017 au 1er août 2019, tandis que l’arrêté du 18 juillet 2019 avait annulé la mise à la retraite visant la période du 1er octobre 2017 au 1er août 2019.

Le tribunal constata enfin que Monsieur (B) n’avait présenté aucun élément utile tendant à mettre en cause la légalité interne de l’arrêté du 18 octobre 2019 et qui aurait pu influer sur la prise de cette décision. En conséquence, il rejeta comme étant non fondé le moyen fondé sur une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal 8 juin 1979.

Par une requête déposée au greffe de la Cour administrative le 1er février 2024, Madame (A), déclarant être la veuve de Monsieur (B), a relevé appel contre le jugement du 22 décembre 2023.

Quant à la recevabilité de l’appel Arguments des parties Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité de la requête d’appel pour plusieurs motifs, à savoir :

(i) la requête d’appel serait irrecevable pour libellé obscur puisque Madame (A) ne préciserait pas de manière suffisante ses prétentions, la partie étatique mettant en substance en avant que l’appelante resterait en défaut d’indiquer de façon précise son 5intérêt à interjeter appel et en l’occurrence en faisant valoir qu’il ne serait pas clair si elle entend faire valoir des prétentions financières suite à la procédure administrative contentieuse en relation avec le décompte versé pour la première fois en instance d’appel ou si elle entend obtenir une reconstitution de carrière, (ii) l’appel serait irrecevable pour défaut d’intérêt à agir, sinon pour défaut de qualité à agir en instance d’appel dans le chef de Madame (A), puisqu’il aurait fallu procéder par le biais d’une reprise d’instance dans la mesure où Monsieur (B) était décédé avant la prise en délibéré de l’affaire en première instance, Madame (A) ne pouvant continuer cette affaire qui ne lui serait pas opposable sans reprise d’instance, la partie étatique soulignant encore, par renvoi à l’article 38 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après « la loi du 21 juin 1999 », que celle-ci ne faisait pas partie de la procédure de première instance, de sorte à ne pas pouvoir interjeter appel contre un jugement ne la concernant pas directement, (iii) Madame (A) n’aurait aucun intérêt à agir, puisque la succession de Monsieur (B) aurait été recueillie par ses trois enfants, l’appelante ne s’étant vue attribuer que l’usufruit de la maison sise à … et des meubles meublants, ce dont la partie étatique conclut que toute prétention financière ne reviendrait pas à Madame (A) mais aux trois enfants du couple, seuls héritiers de Monsieur (B), (iv) l’appelante n’aurait aucun intérêt à agir, puisque l’arrêté ministériel, dont elle demande la réformation sinon l’annulation, ne la concernerait pas personnellement dans la mesure où il ne s’agirait pas de sa propre fin de carrière, mais de celle de son mari défunt ; l’appelante ne pourrait dès lors pas se prévaloir d’une lésion à caractère individualisé et ne pourrait retirer de l’annulation de l’arrêté litigieux aucune satisfaction certaine et personnelle, (v) le décompte reprenant un prétendu solde créditeur en faveur de Monsieur (B) de l’ordre de 54.835,30 € ne permettrait pas de justifier l’intérêt à agir, la partie étatique remettant en doute la pertinence et l’exactitude de cette pièce, voire sa valeur probante, ce d’autant plus que les prétentions avancées en instance d’appel ne seraient pas concordantes avec ce qui avait été avancé en première instance. Aussi, sur base des déclarations faites par Monsieur (B) à l’audience du 9 août 2017 ayant abouti à la décision de la Commission des pensions du 20 septembre 2017, il conviendrait de retenir que les considérations ayant poussé Monsieur (B) à solliciter la réformation sinon l’annulation de l’arrêté de mise à la retraite litigieux résidaient dans le fait qu’il espérait pouvoir bénéficier d’une pension de vieillesse à cinq sixièmes. Or, Madame (A) resterait en défaut de démontrer son intérêt personnel, tandis que son époux aurait touché de son vivant une pension d’invalidité à partir du 1er mars 2020 jusqu’à son décès, de sorte que toutes prétentions financières en relation avec sa pension n’auraient plus lieu d’être, la pension ayant été payée et une reconstitution de carrière n’étant plus possible.

Enfin, la partie étatique rappelle que dans la mesure où seul un recours en annulation avait pu être introduit contre l’arrêté du 18 octobre 2019, les juridictions administratives ne pourraient pas prononcer une réintégration tel que cela est sollicité à travers le dispositif de la 6requête introductive d’instance, l’appelante y demandant à la Cour de constater que « Monsieur (B) a droit à sa réintégration dans sa fonction de chargé de cours avec effet au 1er octobre 2007 ».

Dans sa réplique, l’appelante fait valoir par rapport au moyen tiré du libellé obscur qu’en première instance l’objet du recours était de faire annuler l’arrêté ministériel du 18 octobre 2019 ayant prononcé la réintégration de Monsieur (B) dans sa fonction de chargé de cours avec effet au 1er août 2019, alors que l’appelante est d’avis que la réintégration aurait dû se faire à la date du 1er octobre 2017, afin que son époux défunt puisse bénéficier d’un recalcul de sa rémunération sur cette période entre la pension touchée et le traitement qu’il aurait dû toucher s’il avait effectivement été réintégré dans sa fonction de chargé de cours avec effet au 1er octobre 2017. Le décompte produit par elle illustrerait dès lors la différence entre le traitement de son mari décédé en tant que chargé de cours et le montant de sa pension d’invalidité. Un tel recalcul du traitement pour la période du 1er octobre 2017 au 1er août 2019, estimé à 54.835,30 €, aurait un impact sur le montant de la pension de son époux et donc également sur sa propre pension de conjoint survivant.

S’agissant du reproche de la partie étatique qu’elle n’avait pas procédé par reprise d’instance, l’appelante se réfère à l’article 21 de la loi du 21 juin 1999 et est d’avis qu’une reprise d’instance n’était pas nécessaire du moment que le décès est intervenu à un moment où les délais pour échanger les mémoires étaient expirés. Elle souligne que si certes l’acte déféré en première instance ne faisait plus grief à son époux décédé, il causerait grief à elle, de sorte à fonder son intérêt à agir.

S’agissant des contestations de la partie étatique quant à sa qualité d’héritière, l’appelante fait en substance valoir que son intérêt à agir ne serait pas la conséquence des règles successorales, mais du fait qu’elle était le conjoint de feu Monsieur (B) et qu’à ce titre elle aurait droit à une pension de conjoint survivant, par référence à l’article 18 de la loi du 25 mars 2015.

Quant à l’affirmation de l’Etat selon laquelle son intérêt ne serait pas établi, l’appelante déclare se rapporter à prudence de justice et renvoie à ses développements concernant les droits qu’elle pourrait faire valoir en tant que bénéficiaire d’une pension de conjoint survivant.

Enfin, elle fait valoir que l’arrêté du 18 juillet 2019 avait rapporté celui du 27 septembre 2017 ayant déclaré la mise à la retraite de son époux avec effet au 1er octobre 2017, de sorte que l’arrêté du 27 septembre 2017 avait disparu de l’ordonnancement juridique et qu’en conséquence il ne serait pas nécessaire de prendre un nouvel arrêté.

Dans sa duplique, la partie étatique déclare se rapporter à prudence de justice quant à son moyen tiré du libellé obscur au regard des nouveaux éléments fournis par la partie appelante dans sa réponse, faisant état d’un impact du recours sur le montant de la pension de Monsieur (B) et par ricochet sur la pension de conjoint survivant revenant à l’appelante.

L’Etat est toutefois d’avis que les questions soulevées par lui en relation avec le moyen fondé sur libellé obscur seraient toujours d’actualité par rapport à la question de l’intérêt agir.

Par ailleurs, la partie étatique insiste sur la considération que Madame (A) n’était pas partie au litige en première instance, de sorte qu’elle ne pourrait pas relever appel.

7Pour le surplus, l’Etat continue à remettre en question l’intérêt à agir de l’appelante.

Appréciation de la Cour La Cour n’est pas tenue par l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par les parties à l’instance, mais dispose du droit de les traiter selon la logique juridique dans laquelle ils s’insèrent.

Comme la partie étatique a insisté sur la considération que Madame (A) n’était pas partie en première instance, il convient de prime abord d’examiner la question de la qualité à interjeter appel dans le chef de celle-ci.

La Cour relève de prime abord que la qualité pour interjeter appel est à distinguer de l’intérêt d’interjeter appel qui n’est à vérifier qu’une fois que la qualité pour faire appel est donnée1.

Ont qualité pour interjeter appel toutes les parties ayant figuré en première instance. En revanche, l’appel introduit par une partie n’ayant pas été partie en première instance est irrecevable2.

En l’espèce, force est de relever que le recours a été introduit par Monsieur (B), qui, selon les explications concordantes des parties à l’instance, est décédé le … 2021, soit après l’échange des mémoires en première instance et avant la prise en délibéré de l’affaire.

Il est de principe que le décès d’une partie ne met pas fin à l’instance en cours, mais la suspend à partir du moment où le décès est communiqué à l’autre partie jusqu’à la repise de l’instance, l’article 21 de la loi du 21 juin 1999 disposant que : « (1) Dans les affaires qui ne sont point en état d’être jugées, la procédure est suspendue par la communication du décès de l’une des parties (…) (2) Une affaire est en état d’être jugée lorsque les délais pour échanger les mémoires sont expirés. (3) La suspension dure jusqu’à la mise en demeure pour reprendre l’instance ou constituer avocat. (…) ».

Il convient encore de relever que l’action en justice introduite par le de cujus est, sous réserve des actions intransmissibles, transmise aux héritiers par voie successorale comme un élément patrimonial, l’article 724 du Code civil disposant que « (…) Les héritiers peuvent, dès l'instant du décès, exercer les droits et actions du défunt. (…) »3.

La Cour relève ensuite qu’il résulte des déclarations de la partie étatique sur base de l’acte de notoriété produit en cause en première instance, non autrement contesté par Madame (A), que la succession de Monsieur (B) a été recueillie par ses trois enfants, chacun à part égale, et que seul l’usufruit de la maison et des meubles meublant la garnissant revient à son épouse survivante, de sorte que l’action en justice litigieuse introduite par Monsieur (B) n’a pas été transmise à son épouse, mais à ses enfants.

1 Cour adm. 1er février 2007, numéro 21572C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 1071 et les autres références y citées ; Répertoire du contentieux administratif, Dalloz, « Introduction de l’appel » par Roland Vandermeeren, n° 110 et 174.

2 Répertoire du contentieux administratif, précité, n° 109 et suivants.

3 cf aussi Répertoire de procédure civile, Dalloz, « Action en justice » par Nicolas CAYROL, n° 114 et suivants.

8Force est encore de constater qu’indépendamment de la question de savoir si en l’espèce, la recevabilité d’un appel par les héritiers de Monsieur (B) aurait été conditionnée par une reprise d’instance avant la prise en délibéré de l’affaire en première instance, fait est que ceux-ci ne se sont pas manifestés pour reprendre l’action introduite par le de cujus que ce soit première instance ou pour interjeter appel en déclarant vouloir poursuivre le procès introduit par Monsieur (B).

Au contraire, la requête d’appel a été introduite par « Madame (A), veuve de feu Monsieur (B) », partant par Madame (A) en son nom personnel, sans qu’elle ne fasse d’ailleurs valoir qu’elle agit en qualité d’ayant droit de son mari afin de poursuivre le procès introduit par lui.

Or, tel que cela a été retenu ci-avant, l’appel d’une personne qui n’a pas été partie à l’instance, tel que cela est le cas de l’appelante, est irrecevable.

Si l’appelante, dans le patrimoine de laquelle l’action introduite par son époux décédé n’est, au regard des considérations qui précèdent, pas entré, avance des considérations tenant à une incidence éventuelle de l’issue du procès introduit par son époux décédé sur l’assiette de calcul de la pension de conjoint survivant lui revenant, ces considérations ont trait à la question de l’intérêt à intervenir dans le procès introduit par son époux, mais ne lui confèrent pas la qualité pour interjeter en nom personnel appel contre un jugement rendu dans une instance à laquelle elle n’était pas partie.

Il s’ensuit et sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les autres moyens d’irrecevabilité invoqués par la partie étatique ou de procéder plus en avant, que l’appel est à déclarer irrecevable pour défaut de qualité à interjeter appel dans le chef de Madame (A).

L’appelante sollicite une indemnité de procédure de l’ordre de 1.250 euros pour chacune des instances. Eu égard à l’issue du litige, ces demandes sont à rejeter.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

déclare l’appel irrecevable ;

déboute l’appelante de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure pour les deux instances ;

condamne l’appelante aux frais et dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, 9et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.

s. SCHINTGEN s. CAMPILL 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 43827
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2024-06-27;43827 ?

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