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27/06/2024 | LUXEMBOURG | N°48683

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 27 juin 2024, 48683


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50311C ECLI:LU:CADM:2024:50311 Inscrit le 10 avril 2024 Audience publique du 27 juin 2024 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 11 mars 2024 (n° 48683 du rôle) ayant statué sur le recours de Monsieur (A), …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 50311C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 10 avril 2024 par Monsieur le délÃ

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50311C ECLI:LU:CADM:2024:50311 Inscrit le 10 avril 2024 Audience publique du 27 juin 2024 Appel formé par l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 11 mars 2024 (n° 48683 du rôle) ayant statué sur le recours de Monsieur (A), …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 50311C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 10 avril 2024 par Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER, agissant au nom et pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, en vertu d’un mandat lui conféré à cet effet par le ministre des Affaires intérieures le 19 mars 2024, dirigé contre le jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 11 mars 2024 (n° 48683 du rôle), par lequel ledit tribunal a déclaré fondé le recours en réformation introduit par Monsieur (A), déclarant être né le … dans la province de … (Afghanistan) et être de nationalité afghane, demeurant à L-…, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 10 février 2023 rejetant sa demande de protection internationale et lui ordonnant de quitter le territoire et, dans le cadre du recours en réformation, a annulé, d’une part, la décision portant refus de faire droit à la demande de protection internationale et renvoyé le dossier devant le ministre actuellement compétent en vue de se prononcer sur le caractère fondé de la crainte de subir des persécutions ou des atteintes graves invoquée par Monsieur (A) et, d’autre part, l’ordre de quitter le territoire;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 30 avril 2024 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’intimé;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Vincent STAUDT et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 juin 2024.

1Le 16 octobre 2020, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée/police des étrangers, dans un rapport du même jour.

En date des 9 juillet, 9 septembre et 15 octobre 2021, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 10 février 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », rejeta la demande de protection internationale présentée par Monsieur (A) et lui ordonna de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 16 octobre 2020 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 16 octobre 2020, votre fiche des motifs du 16 octobre 2020 et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 9 juillet, 9 septembre et 15 octobre 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de votre demande de protection internationale.

Vous déclarez être de nationalité afghane, être né le …, d’ethnie …, marié et père d’un garçon, de confession musulmane chiite et avoir vécu jusqu’en 2008 à (a), un quartier du district de … dans la province de … où vous auriez vécu sans exercer de profession. Après 2008, vous auriez vécu au Pakistan mais en 2015, vous vous seriez fait renvoyer en Afghanistan alors que votre titre de séjour pakistanais serait arrivé à échéance. Vous auriez réussi à retourner au Pakistan mais entre 2015 et 2020, la police pakistanaise vous aurait renvoyé à maintes reprises en Afghanistan. En mars 2020, vous auriez définitivement quitté l’Afghanistan en direction de la France en passant par le Pakistan, l’Iran, la Grèce et l’Italie.

Concernant vos craintes en cas de retour en Afghanistan, vous expliquez craindre d’être tué soit par votre oncle paternel, l’iman de son village, soit par les Taliban au motif qu’ils vous considéreraient comme mécréant et que votre père aurait été Arbaki.

2Quant aux événements qui se seraient déroulés avant votre départ d’Afghanistan, vous déclarez avoir été obligé de quitter votre pays d’origine suite à une manigance orchestrée par votre oncle paternel en relation avec un conflit foncier. Vous décrivez votre oncle paternel comme un homme de mauvaise foi qui vous aurait maltraité et même abusé de vous pendant votre enfance.

Dans ce contexte, vous racontez qu’en 2008, votre père qui aurait apparemment été un commandant des Arbakis, aurait été décapité par les Taliban. Après cet événement, vous auriez subi un tel choc que vous souffririez jusqu’à aujourd’hui de troubles psychiques et auditifs.

Etant donné que les Taliban auraient menacé de tuer l’ensemble de votre famille, vous auriez décidé de confier les terres héritées de la part de votre père à votre oncle paternel, le nommé (B) qui aurait été un ancien commandant de l’Etat entretemps devenu le chef de son quartier, et de rejoindre votre oncle maternel au Pakistan.

Vous indiquez qu’en 2020, votre oncle maternel aurait contacté votre oncle paternel pour l’informer que vous vous rendriez ensemble en Afghanistan afin d’organiser la vente de vos terrains. Votre oncle paternel lui aurait cependant expliqué qu’il serait inutile de vous déplacer à deux et que seule votre présence avec l’acte de propriété des terrains serait suffisante pour réaliser la vente. Vous auriez décidé de vous rendre à (b) et ensuite d’emprunter un itinéraire en avion vers (c) pour éviter les barrages routiers contrôlés par les Taliban.

D’après vos propos, votre vie aurait été en danger étant donné que vous seriez le fils d’un soi-disant ancien Arbaki.

Une fois arrivé chez votre oncle paternel, il vous aurait demandé de lui remettre l’acte de propriété des terrains qui auraient atteint une valeur importante compte tenu de leurs emplacements géographiques stratégiques. Vous auriez ensuite pris contact avec un agent immobilier qui aurait rapidement trouvé un client potentiel. Vous auriez donc demandé à votre oncle paternel de vous rendre l’acte de propriété des terrains pour les vendre, mais ce dernier, qui aurait d’ailleurs été candidat aux élections de la ville de … et aux élections parlementaires, se serait emporté et vous aurait giflé. Il aurait été furieux que vous ayez contacté un agent immobilier sans vous concerter avec lui et aurait menacé l’agent immobilier en lui rappelant qu’il serait un homme de pouvoir et qu’il aurait décidé de garder les terrains pour soi-même.

Il vous aurait conseillé de retourner au Pakistan sans perdre de temps et de ne dévoiler votre dispute à personne. Il vous aurait menacé de mort et de dénoncer aux Taliban que vous seriez le fils d’un ancien Arbaki. Votre oncle maternel vous aurait cependant ordonné de ne quitter en aucun cas l’Afghanistan sans avoir récupéré l’acte de propriété des terrains.

Vous continuez vos dires en indiquant que votre oncle paternel vous aurait invité à participer à la lecture du Coran qui allait se tenir en présence d’un imam et d’autres villageois au domicile de l’un de ses voisins. Vous relatez que vous lui auriez expliqué que vous ne saviez pas lire le Coran et que vous craindriez la réaction de l’imam et des autres participants. Votre oncle vous aurait cependant rassuré en vous promettant que vous ne seriez pas amené à lire le Coran mais que vous n’auriez qu’à écouter et participer au déjeuner prévu après la prière.

Lors de la distribution des corans, vous auriez cependant étonnamment avoué de manière volontaire à la personne qui aurait été en charge de la distribution des corans que vous ne seriez pas capable de le lire. Votre oncle aurait instantanément saisi cette occasion pour vous dénoncer de haute voix devant l’imam et tous les participants en criant : « Vous avez vu ? Un grand garçon qui parle anglais mais qui ne sait pas lire le coran. Qu’est-ce que les autres adolescents vont apprendre de lui, il n’a rien à leur apprendre. Il est comme son père » (p. 7/22 3de votre rapport d’entretien). L’imam aurait été hors de soi et votre oncle lui aurait suggéré d’organiser un interrogatoire pour déterminer si vous êtes un vrai musulman ou non.

Le lendemain, vous auriez été convoqué à vous présenter devant l’imam et les fidèles du quartier et vous leur auriez avoué que vous ne sauriez ni lire le Coran ni répondre à des questions en relation avec la religion musulmane. Vous auriez même insulté la religion en avançant qu’elle serait la raison principale pour les attaques kamikazes, de nombreux morts et le décès de votre père. L’imam vous aurait craché au visage et vous aurait giflé. Vous auriez alors laissé tomber le coran qui se serait déchiré en tombant par terre. Les fidèles du quartier qui auraient assisté à cette scène vous auraient traité de mécréant en vous menaçant de mort.

Votre cousin, le fils de votre oncle paternel, aurait même filmé tous ces événements. L’imam aurait décidé de vous accorder quelques jours avant de vous punir de 100 coups de fouet et vous aurait ordonné, sous la menace de vous tuer, d’apprendre par cœur une surate.

Suite à ces événements, votre oncle paternel vous aurait conseillé de fuir le pays au plus vite. L’une de ses quatre femmes avec laquelle vous vous seriez bien entendue, vous aurait prévenu que votre oncle aurait remis la vidéo enregistrée par votre cousin aux Taliban et que vous devriez à tout prix éviter d’emprunter les voies terrestres pour quitter le pays.

Sans perdre du temps, vous vous seriez rendu dans une agence de voyage qui aurait organisé votre voyage prévu deux jours plus tard. En attendant, vous auriez décidé de vous installer dans une chambre d’hôtel jusqu’au jour de votre départ. A l’hôtel, alors que vous auriez été en train de boire un thé à la réception, un homme se serait présenté à vous en prétendant qu’il serait un ancien ami de votre père. Il vous aurait demandé quand et par quel chemin vous alliez quitter l’Afghanistan et vous lui auriez tout raconté sans vous poser de questions. Le lendemain vous auriez appris que cet homme serait en effet une connaissance de votre oncle paternel et qu’il l’aurait utilisé pour vous localiser. Votre oncle serait venu à l’hôtel vous rendre visite le lendemain en étant très aimable et rassurant et il vous aurait persuadé de l’accompagner chez lui et qu’il allait vous rendre votre acte de propriété et vous trouver lui-même un client pour vos terrains. Vous auriez été méfiant mais vous auriez finalement accepté sa proposition avec l’espoir de pouvoir récupérer l’acte de propriété des terrains.

Le lendemain de votre retour, votre oncle vous aurait demandé d’aller chauffer la mosquée tôt dans la matinée et il vous aurait fait croire qu’il aurait trouvé un client potentiel pour vos terrains. D’après votre récit, votre oncle se serait rendu dans la mosquée avant vous et aurait aspergé d’essence l’intérieur de l’immeuble. Malgré le fait que vous auriez ressenti une forte d’odeur d’essence, vous auriez étrangement tout de même utilisé un briquet pour allumer la poêle et la mosquée aurait directement pris feu. En essayant de quitter la mosquée pour aller chercher de l’aide, votre oncle et son fils vous auraient bloqué le chemin et vous auraient enfermé dans une chambre. Votre oncle aurait utilisé les haut-parleurs de la mosquée en criant : « Je vous ai dit qu’il n’était pas musulman, il voulait bruler la mosquée et ensuite s’enfuir au Pakistan. J’ai ses billets. Il y a quelques jours en arrière, il a insulté l’imam et manqué de respect au coran. Il l’a jeté. Il est athée comme son père » (p.8/22 de votre rapport d’entretien). Il aurait ainsi réussi à éveiller la colère des habitants du village et la police vous aurait arrêté de suite en ajoutant : « Non, nous allons l’emmener. Il sera jugé. Et nous allons l’exécuter. On est dans un pays musulman » (p. 8/22 de votre rapport d’entretien).

Durant votre emprisonnement, le responsable de la prison se serait acharné sur vous.

Vous prétendez que vous auriez été torturé pendant environ une semaine et que le responsable 4de prison vous aurait potentiellement violé sans que vous ne vous en rendiez compte alors que vous auriez perdu connaissance avant qu’il ne passe à l’acte. Il vous aurait attaché les pieds au plafond et se serait dirigé complètement nu vers vous. Vous auriez été tellement choqué que vous auriez perdu conscience et à votre réveil, vous auriez tremblé en ayant des maux de tête et devant vomir.

Enfin, vous rapportez que votre oncle maternel aurait appris que vous seriez détenu en prison et se serait directement rendu en Afghanistan. Endéans une semaine et en soudoyant deux gardiens, il aurait réussi à vous faire sortir de prison. Après votre libération et en voulant quitter la prison, d’autres policiers vous auraient directement arrêté et vous auraient donner (sic) des coups. Ils vous auraient obligé à dénoncer les deux policiers qui auraient participé à votre fugue et vous auraient réincarcéré en prison. Le responsable de prison vous aurait expliqué que vous alliez être transféré dans une autre prison à … et être exécuté. Vous auriez été embarqué dans un véhicule avec d’autres prisonniers. Sortis de nulle part, des Taliban aurait surgi et arrêté le véhicule. Une altercation aurait eu lieu avec les policiers chargés d’effectuer votre transfert. Ceux-ci auraient finalement pris la fuite en vous abandonnant.

Ensemble avec un autre prisonnier, vous auriez réussi à regagner une route principale sur laquelle vous auriez rencontré un homme âgé qui aurait accepté de vous embarquer dans sa remorque et de vous conduire jusqu’à la frontière pakistanaise. Grâce à un passeur, vous auriez finalement réussi à quitter l’Afghanistan pour vous rendre au Pakistan en traversant la frontière à pieds. Vous auriez ensuite appris par votre oncle maternel que les autorités afghanes, les Taliban et les imams seraient tous à votre recherche.

A l’appui de votre demande, vous déposez les pièces suivantes :

• Une copie de votre carte d’identité ;

• Une attestation médicale ainsi qu’un certificat attestant un suivi psychiatrique.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Avant tout autre développement en cause, il convient de rappeler qu’il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, craintes et persécutions par lui allégués, sur base d’un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre l’administration en mesure de saisir l’intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l’analyse d’une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Or, la question de crédibilité se pose avec acuité dans votre cas alors qu’un cumul de faits tout à fait irréalistes et manifestement inventés de toutes pièces ne font pas état de manière crédible qu’il existerait des raisons sérieuses de croire que vous encourriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la Loi de 2015.

5Par conséquent Monsieur, je tiens à vous informer que la crédibilité de votre récit est remise en cause pour les raisons suivantes :

Premièrement, vous déclarez avoir quitté l’Afghanistan en mars 2020 pour ensuite traverser le Pakistan, l’Iran, la Turquie, la Grèce, l’Italie et la France, sans toutefois y introduire de demande de protection internationale, avant d’arriver au Luxembourg. Vous affirmez ne pas avoir introduit de demande de protection internationale en Grèce parce que « La police grecque frappait les demandeurs, c’était trop compliqué en Grèce. J’étais trop embêté par la police au Pakistan, je n’avais pas envie de me faire embêter par le police grecque » (p.5/22 de votre rapport d’entretien). Vous ajoutez que lorsque vous vous seriez trouvé en Grèce, une dame se serait adressée à vous et vous aurait conseillé de continuer votre chemin vers le Luxembourg. Vous auriez alors suivi son conseil en quittant la Grèce.

Or, il est évident que tel n’est pas le comportement d’une personne réellement persécutée ou à risque d’être persécutée ou de devenir victime d’atteintes graves et qui serait réellement à la recherche d’une protection internationale. En effet, alors qu’on peut attendre d’une telle personne qu’elle introduise sa demande de protection dans le premier pays sûr rencontré et dans les plus brefs délais, vous avez choisi de traverser plusieurs pays en passant notamment par la Turquie, la Grèce, l’Italie et la France. Ensuite, sur un simple conseil hasardeux reçu de la part d’une inconnue jamais rencontrée auparavant, vous auriez fortuitement décidé de vous rendre au Luxembourg. Force est de constater que vous n’avez pas recherché une forme quelconque de protection dans cette multitude de pays sûrs rencontrés et que cette idée ne vous est venue qu’après votre arrivée au Luxembourg.

Un tel comportement ne correspond clairement pas à celui d’une personne qui aurait été forcée à quitter son pays d’origine à la recherche d’une protection internationale et qui aurait été reconnaissante de se voir offrir une protection dans les pays sûrs visités. Votre argument selon lequel il serait compliqué d’obtenir une protection en Grèce ne saurait justifier le fait que vous ayez pris la décision de quitter ce pays, et de traverser d’autres pays européennes sans y introduire de demande de protection internationale. Il convient en effet de souligner que les critères d’octroi de la protection internationale en Grèce, en Italie ou en France sont strictement identiques à ceux appliqués au Luxembourg, alors qu’ils découlent de la Convention de Genève ainsi que des directives européennes transposées dans ces trois pays que vous avez traversés avant votre arrivée au Luxembourg.

Deuxièmement, il ressort de la lecture de votre rapport d’entretien qu’un conflit foncier avec votre oncle paternel, un certain dénommé (B), aurait déclenché un enchaînement d’événements malheureux ayant conduit à votre arrestation, emprisonnement, à des actes de torture et à une condamnation à mort à votre encontre.

Or, force est de constater que vos propos contiennent des passages tout à fait rocambolesques, irréalistes et compromettantes pour la crédibilité générale de votre récit. Il paraît évident que vous tentez manifestement d’aggraver votre situation en Afghanistan en ajoutant des éléments plus burlesques les uns que les autres.

En effet, il y a lieu de noter que si votre oncle paternel avait vraiment été un homme de pouvoir comme vous le décrivez et un politicien en quête de voix électoraux au sein de sa communauté, rien ne justifierait ses actions néfastes envers un membre de sa famille qui n’auraient comme conséquence d’entacher sa réputation et de porter atteinte à son image. Si sa notoriété au sein de sa communauté avait été aussi importante, il aurait certainement trouvé 6un moyen plus discret pour régler votre litige relatif aux terrains de votre père sans créer de scandale et d’éveiller l’attention de l’ensemble de tout un village.

Ensuite, concernant votre participation à la lecture du coran suite à laquelle des voisins et des imams auraient découvert que vous ne sauriez pas lire le Coran, il paraît consternant et invraisemblable que vous ayez accepté d’accompagner votre oncle tout en étant conscient de ses mauvaises intentions et les maltraitances subies de sa part. Toute personne de bon sens aurait évité cette situation délicate et ne se serait pas mis délibérément en danger en sachant ce qui pourrait l’attendre. De plus, d’après votre récit, vous auriez volontairement avoué que vous ne sauriez pas lire le Coran alors qu’à ce moment, personne ne vous aurait demandé de le faire.

Votre récit prend par après une tournure de plus en plus burlesque et illusoire. Vous racontez en effet qu’après avoir été averti de la part de l’une des quatre femmes de votre oncle que ce dernier ne vous voudrait que du mal, vous auriez décidé de vous rendre dans une agence de voyage et à organiser au plus vite votre départ vers le Pakistan. Vous évoquez ensuite un inconnu qui se serait présenté à vous à l’hôtel dans lequel vous auriez hébergé en attendant votre jour de départ, en se faisant passer pour un ancien ami de votre père décédé quinze ans auparavant. Comme si vous ne vous seriez déjà pas trouvé dans une situation délicate, il est tout à fait étonnant que vous auriez ingénument décidé de lui faire confiance et de lui dévoiler votre projet de départ sans vous poser la moindre question ou de vous douter qu’il s’agirait peut-être d’un coup monté par votre oncle. D’après vos propos, vous auriez facilement été retrouvé car « Il n’y a pas beaucoup d’hôtels à la gare routière. Ceux qui partent au Pakistan vont dans cet hôtel » (p.14/22 de votre rapport d’entretien). Monsieur, il est peu vraisemblable que dans une ville telle que … qui s’étend sur une surface de ……. km2 et compte une population d’environ 600.000 habitants, il n’existe qu’un seul hôtel connu pour étant l’hôtel dans lequel résideraient toutes les personnes voulant se rendre au Pakistan. Votre oncle se serait alors rendu à l’hôtel suite à cette fameuse rencontre et vous aurait persuadé de l’accompagner chez lui alors que vous auriez été tout à fait conscient de quoi il serait capable après tout ce que vous auriez enduré à cause de lui. Vous expliquez d’ailleurs vous-même « Moi je savais qu’il ne voulait pas me donner l’acte de propriété, c’est sa femme qui me l’avait dit.

Je suis allé chez mon oncle paternel, vu que mon oncle maternel m’a dit de récupérer l’acte de propriété. Quand j’y suis arrivé, sa femme m’a demandé pourquoi j’étais revenu. Elle m’a dit que mon oncle n’allait pas me rendre l’acte de propriété » (p. 8/22 de votre rapport d’entretien).

Malgré votre vécu et l’avertissement reçu de la part de l’une des épouses de votre oncle paternel, il paraît encore plus incroyable que vous ayez, le lendemain de votre retour chez votre oncle, naïvement accepté de suivre ses instructions et d’aller préchauffer la mosquée du quartier de (a) dans laquelle vous auriez été menacé de mort quelques jours auparavant par les religieux et les habitants du village. Ensuite, malgré le fait d’avoir ressenti l’odeur de l’essence en entrant dans la mosquée « Quand je suis arrivé à la mosquée, il y avait une odeur d’essence. Je sais que c’est lui car c’est lui qui m’avait dit d’y aller et sa femme m’avait averti qu’il créait des problèmes pour moi » (p.15/22 de votre rapport d’entretien), vous auriez étonnamment décidé d’allumer la poêle et la mosquée aurait ainsi pris feu. Curieusement, des policiers, les villageois et les imams du village auraient été sur place exactement à ce moment-là et auraient tous assisté à cette scène. Vous avancez que suite à cet incendie, vous auriez été arrêté, emprisonné et torturé pendant environ une semaine en ajoutant que le responsable de la prison vous aurait potentiellement violé sans que vous ne vous en rendiez compte. Ici encore, il est à soulever qu’il est étonnant que vous ne soyez pas en mesure de 7présenter une quelconque séquelle liée à ces actes de torture et que vous ne vous rappeliez pas si oui ou non vous avez été violé lors de votre emprisonnement.

Ensuite, vous affirmez que votre oncle maternel aurait appris mystérieusement que vous vous seriez retrouvé enfermé dans une prison et qu’il serait venu à votre secours en soudoyant tout simplement deux gardiens de prison qui vous auraient libéré sans la moindre hésitation.

Ces derniers vous auraient conseillé d’emprunter un chemin de fuite sur lequel vous vous seriez fait arrêté (sic) et de nouveau emprisonné (sic). Votre récit inventé de toutes pièces atteint son comble alors que vous racontez qu’une heure après votre nouvelle incarcération vous auriez été embarqué dans une camionnette pour être transféré dans la prison de … dans laquelle vous devriez être exécuté. Comme par miracle et sortis de nulle part, des Taliban auraient arrêté la camionnette et une altercation aurait eu lieu entre ces derniers et les policiers en charge de votre transfert. Les policiers auraient pris la fuite en vous abandonnant sur place. Un miracle enchaînant un autre, un chauffeur âgé se serait arrêté et aurait accepté de vous conduire jusqu’à la frontière pakistanaise, un trajet de dix heures. Inutile de préciser qu’il aurait évidemment eu à bord de son véhicule tout le matériel nécessaire pour vous libérer de vos chaînes.

Monsieur, force est de constater que votre récit contient des coïncidences et des événements hasardeux et époustouflants manifestement inventés de toutes pièces qui compromettent indéniablement la crédibilité de vos propos. Il est évident que vous ne jouez pas franc jeu avec les autorités luxembourgeoises et que votre récit est rempli de faits illusoires et irréalistes. De plus, toutes vos déclarations restent à l’état de simples propos non confortés par un quelconque élément de preuve tangible qui serait pourtant facile à présenter si votre récit ne serait qu’un peu sincère.

Il y a aussi lieu de constater que vous n’avez pas été en mesure de prouver votre identité. En effet, il ressort de votre rapport de police que vous n’auriez jamais été en possession d’un passeport et que vous auriez laissé votre carte d’identité en Afghanistan. Lors de votre entretien du 9 juillet 2021, vous changez de version en insinuant que vous ne sauriez pas où se trouverait votre carte d’identité : « Je ne sais pas. Elle se trouvait à la maison mais maintenant je ne sais pas » (p.2/22 de votre entretien). Vous avez cependant été en mesure de remettre une copie de votre carte d’identité que votre mère vous aurait envoyée en ajoutant qu’elle n’aurait cependant pas retrouvé l’original. Il est toujours surprenant qu’une copie d’un document puisse être fournie sans toutefois savoir où se trouve l’original. Inutile de vous expliquer que la vérification de l’authenticité d’un document ne peut être établie sur base d’une simple copie. De ce fait, ni votre identité, ni votre origine afghane ne peuvent être formellement établies et il est irréfutable que vous ne jouez pas franc jeu avec les autorités luxembourgeoises pour des raisons qui vous sont propres. A cela s’ajoute que vous n’apportez aucune preuve quant au décès de votre père ou les menaces pesant sur les membres de votre famille en lien avec les activités de votre père. Notons par ailleurs que nos recherches n’ont pas permis de trouver de traces de votre oncle paternel qui, d’après vos déclarations, serait ou aurait été un homme de pouvoir et un politicien célèbre dans sa région.

Votre récit n’étant pas crédible, aucune protection internationale ne vous sera accordée.

Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la Loi de 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

8 Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de l’Afghanistan, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 mars 2023, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 10 février 2023 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par jugement du 11 mars 2024, le tribunal administratif déclara le recours en réformation recevable et fondé, alors qu’il considéra le récit du demandeur crédible, et annula partant, dans le cadre du recours en réformation, tant la décision du ministre du 10 février 2023 portant refus de faire droit à la demande de protection internationale, avec renvoi du dossier devant le ministre actuellement compétent en la matière, à savoir le ministre des Affaires intérieures, en vue de se prononcer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale, que l’ordre de quitter le territoire.

Pour arriver à cette conclusion, le tribunal, ne partageant pas les doutes du ministre sur l’identité et la nationalité afghane de Monsieur (A), retint, contrairement au ministre, que le récit de Monsieur (A) ne manquait pas de crédibilité dans son ensemble.

Il estima ainsi notamment par rapport au constat du ministre de l’absence de dépôt d’une demande de protection internationale dans les autres pays européens traversés par Monsieur (A), qu’un tel comportement n’était pas de nature à remettre en question la crédibilité de son récit dans son intégralité, d’autant que ce dernier avait fourni des explications satisfaisantes quant aux raisons pour lesquelles il avait choisi de ne pas déposer de demande d’asile dans les autres pays traversés avant d’arriver au Luxembourg.

Il considéra ensuite que le récit de Monsieur (A) ne contenait pas de réelles contradictions susceptibles de mettre doute la réalité des faits invoqués, en relevant par ailleurs que le ministre s’était basé en grande partie sur une analyse subjective des faits invoqués et en lui reprochant même d’avoir fait « une appréciation tendancieuse des faits ».

Il releva encore que Monsieur (A) avait fourni un récit détaillé sur près de vingt pages quant à son vécu et qu’il avait répondu à toutes les questions lors de son entretien, et ce de manière cohérente, sans se contredire quant au déroulement des différents faits, pour en conclure, au vu du récit globalement cohérent et malgré un comportement qui pouvait être qualifié de crédule, que la crédibilité de son récit n’était pas affectée dans sa globalité, en dépit des doutes du ministre, de manière à déclarer le récit du demandeur dans son ensemble comme étant crédible.

Le tribunal en conclut, et sans qu’il soit besoin de statuer plus en avant, qu’il y avait lieu d’annuler, dans le cadre du recours en réformation, la décision portant refus d’octroi d’une protection internationale ainsi que l’ordre de quitter le territoire, tout en renvoyant le dossier au ministre actuellement compétent pour se prononcer sur le caractère fondé de la crainte du demandeur de subir des persécutions ou des atteintes graves, dès lors que le ministre s’était arrêté, dans le cadre de l’examen de la demande de protection internationale, à l’étape préalable de l’évaluation de la crédibilité de son récit.

9 Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 10 avril 2024, l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg a régulièrement relevé appel de ce jugement.

A l’appui de son appel, le délégué du gouvernement relate l’exposé des faits à la base de la demande de protection internationale de l’intimé, tel qu’il a été repris dans la décision ministérielle litigieuse précitée.

Il soutient que l’analyse des premiers juges serait erronée et que ce serait à bon droit que le ministre est arrivé à la conclusion que le récit de l’intimé n’était pas crédible dans son ensemble.

Il insiste ainsi sur l’accumulation d’allégations qu’il qualifie de « rocambolesques, irréalistes et compromettants pour la crédibilité générale du récit de l’intimé », tout en relevant que ce dernier n’aurait pas été à même de prouver ni son identité ni sa nationalité faute de documents authentiques.

Il réfute la conclusion des premiers juges selon laquelle l’Etat ne se serait pas basé sur une analyse objective des faits, tout en soulignant que l’enchaînement des faits tel que présenté par l’intimé ne serait tout simplement pas plausible. Ainsi, l’intimé aurait invoqué tous les motifs possibles que les réfugiés afghans pouvaient généralement invoquer à l’appui de leur demande de protection internationale, ce qui serait de nature à jeter le discrédit sur son récit. Il précise que les recherches de l’Etat n’auraient rien donné sur l’existence de l’oncle paternel qui, selon l’intimé, serait un homme de pouvoir et un homme politique connu dans sa région.

Le délégué du gouvernement expose ensuite les raisons pour lesquelles il estime que les faits relatés par l’intimé ne sont pas plausibles voire invraisemblables, notamment en ce qui concerne le prétendu incident lié à la lecture du Coran, les circonstances et l’organisation de son départ d’Afghanistan et le fait qu’il aurait rencontré dans l’hôtel où il se cachait avant son départ pour le Pakistan, un prétendu ancien ami de son père, les tentatives de récupérer l’acte de propriété des terres, ainsi que les circonstances de l’incendie de la mosquée et finalement les circonstances de son évasion de prison avec l’aide de son oncle maternel vivant au Pakistan, sa capture par les talibans et sa fuite en taxi vers le Pakistan.

Le délégué met encore en doute la force probante des pièces produites par l’intimé en première instance après le dépôt du mémoire en réponse, et notamment une lettre de la police criminelle de … de 2023 adressée aux « moudjahidines de l’Emirat islamique » et non à l’intimé lui-même, de sorte à se demander comment celui-ci se l’est procurée. Il estime par ailleurs que le certificat médical établi le 24 février 2023, soit deux ans et demi après l’arrivée de l’intimé au Luxembourg, qui ferait état de souffrances psychologiques en raison d’un état de stress post-traumatique dans le chef de l’intimé, ne saurait suffire pour justifier l’octroi d’une protection internationale, alors qu’il ne permettrait ni d’établir si l’intimé en souffrait déjà à son arrivée au Luxembourg, ni de déterminer les causes exactes de cet état de stress.

Quant aux photos de tombes produites par l’intimé en première instance, d’après le délégué, celles-ci ne permettraient pas de corroborer le récit de l’intimé.

Il critique encore les premiers juges pour avoir conclu que l’absence de dépôt de demande d’asile dans l’un des pays par lui traversés depuis l’Afghanistan ne constituerait pas un indice du manque de crédibilité du récit de l’intimé.

10 Sur ce, le délégué du gouvernement demande à la Cour de réformer sinon d’annuler le jugement entrepris dans le sens d’une confirmation de la décision ministérielle du 11 mars 2024.

L’intimé demande en substance la confirmation du jugement entrepris.

Déclarant être de nationalité afghane, d’ethnie … et de religion musulmane chiite, il dit craindre des persécutions sinon des atteintes graves, en cas de retour dans son pays d'origine en raison d’un conflit successoral lié au passé militaire de son père qui aurait été commandant dans l’armée afghane et aurait été décapité par les talibans en 2008, ce qui aurait amené lui et sa famille à fuir vers le Pakistan. De retour en Afghanistan en 2020 pour vendre un bien immobilier familial, il aurait été confronté à l’opposition de son oncle paternel qui aurait employé différents stratagèmes pour entraver ses projets. Ainsi, lors de sa tentative de récupérer un acte de propriété, il aurait même été accusé d’avoir tenté d’incendier la mosquée. Il aurait été emprisonné dans des conditions inhumaines et aurait subi des actes de torture et même des tentatives de viol de la part du chef de la prison. Ayant réussi à s’évader, il aurait rejoint le Pakistan, mais resterait marqué par les événements traumatiques subis.

S’agissant de la crédibilité de son récit, l’intimé rejoint les premiers juges en leurs conclusions, tout en sollicitant le bénéfice du doute sur base de l’article 37, paragraphe 5, de la loi du 18 décembre 2015. Il ajoute, concernant la seule pièce qu’il aurait réussi à produire, à savoir une copie de sa carte d’identité, que dès lors qu’aucune procédure d’inscription en faux n’aurait été engagée, cette pièce devrait être considérée comme étant véridique.

L’intimé se prévaut ensuite de l’article 42, paragraphe 1er, point b), de la loi du 18 décembre 2015 pour soutenir que le fait pour lui d’invoquer plusieurs motifs de persécution ne pourrait pas remettre en cause sa crédibilité, dès lors qu’en ce qui le concerne, les persécutions constitueraient une accumulation de diverses mesures.

Concernant l’affirmation de la partie étatique de ne pas s’être livrée à une appréciation subjective des faits invoqués, il rappelle que la partie étatique devrait procéder à une analyse tant subjective qu’objective des faits.

Il rappelle encore, en se référant aux lignes directrices de l’UNHCR, que la seule absence de documents ne permettrait pas de conclure à un manque de crédibilité du récit d’un demandeur de protection internationale.

Enfin, pour le cas où la Cour donnerait raison à la partie étatique, l’intimé sollicite le renvoi de l’affaire devant le tribunal afin de bénéficier du double degré de juridiction.

Les premiers juges sont tout d’abord à confirmer en ce qui concerne le cadrage juridique qu’ils ont fait du litige et auquel la Cour se réfère, de même qu’elle fait siennes leurs considérations pertinentes relativement à l’exigence de crédibilité des déclarations d’un demandeur de protection internationale, étant rappelé que la crédibilité du récit constitue en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, spécialement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

La Cour ne partage cependant pas la conclusion des premiers juges ayant retenu la crédibilité générale du récit de l’intimé.

11 En effet, à l’appui de sa demande de protection internationale, l’intimé, qui déclare être de nationalité afghane et être originaire du district de … dans la province de … et avoir vécu de 2008 à 2020 comme réfugié afghan au Pakistan, invoque en substance une crainte de persécution de la part des talibans en raison du passé militaire de son père et en raison d’un conflit foncier avec son oncle paternel qui aurait œuvré pour s’approprier un bien immobilier lui légué par son père et qui l’aurait fait emprisonner au motif qu’il aurait tenté d’incendier la mosquée.

Contrairement aux premiers juges, la Cour partage les doutes exprimés par le ministre quant à l’identité et la nationalité de l’intimé. Au-delà du constat que l’intimé n’a pas su expliquer de manière convaincante pour quelle raison sa mère a su lui envoyer une copie de sa carte d’identité et non pas l’original, alors qu’il avait déclaré au début avoir laissé sa carte d’identité en Afghanistan, puis affirmé l’avoir égarée, il convient en tout état de cause de retenir que ce document présenté en copie ne démontre pas vraiment l’identité de l’intimé, étant donné que son authenticité ne saurait être vérifiée.

Par ailleurs, concernant l’itinéraire que l’intimé a parcouru avant d’arriver au Luxembourg, si les premiers juges ont certes retenu à bon escient que l’absence de dépôt de demande d’asile dans les autres pays européens traversés ne saurait nécessairement impacter la crédibilité de son récit dans son ensemble, et si l’intimé a bien expliqué les raisons pour lesquelles il a préféré ne pas demander l’asile en Grèce, il convient néanmoins de relever qu’il est encore passé par l’Italie et la France sans y solliciter l’asile, ce qui est difficilement compatible avec une personne qui se dit persécutée.

En ce qui concerne ensuite la crédibilité du récit de l’intimé en rapport avec son vécu qui l’aurait poussé à quitter l’Afghanistan respectivement le Pakistan, le ministre a refusé de lui reconnaître le statut de réfugié et de lui octroyer le statut de protection subsidiaire au motif que son récit ne constituait qu’un « cumul de faits tout à fait irréalistes et manifestement inventés de toutes pièces ».

La Cour, à l’instar du ministre, est amenée à la conclusion que le vécu relaté par l’intimé à travers ses déclarations n’est pas de nature à la convaincre. En effet, il convient de relever que les événements relatés par l’intimé en rapport avec le conflit foncier qui l’oppose à son oncle paternel, l’incident de la lecture du Coran, l’accusation d’avoir tenté d’incendier la mosquée, son arrestation, son emprisonnement et les mauvais traitements prétendument subis, son évasion grâce à son oncle maternel vivant pourtant au Pakistan, sa nouvelle arrestation et son évasion grâce aux talibans ayant arrêté le fourgon qui devait l’amener à la prison où il devrait être exécuté, puis sa fuite vers la frontière pakistanaise à bord d’un taxi, sont tout simplement invraisemblables et non plausibles.

La Cour ne saurait pas non plus suivre les premiers juges en leur constat que le ministre se serait livré à une appréciation subjective voire tendancieuse du récit de l’intimé, alors qu’il a exposé à suffisance et de manière complète, étayée et adéquate, les raisons pour lesquelles il a considéré que le récit de l’intimé n’était pas crédible en prenant en compte l’ensemble des éléments du dossier.

Dans ce contexte, la Cour considère en outre que le bénéfice du doute ne peut pas être accordé à l’intimé, tel que celui-ci le revendique, dès lors que son récit ne paraît pas crédible dans sa globalité.

12 Cette conclusion n’est pas invalidée par l’attestation médicale établie le 12 février 2024 par un médecin psychiatre qui établit que l’intimé est régulièrement suivi depuis le 14 juin 2021 et qu’il présente certains symptômes, et notamment des « troubles anxieux et post-traumatiques », et que son état ne fait que s’aggraver malgré le traitement suivi depuis le début de l’année 2024 en raison de la déportation de l’épouse et du fils du Pakistan vers l’Afghanistan telle que rapportée par l’intimé. Si cette attestation indique encore que le patient revoit des scènes traumatiques voire sanguinaires ou de décapitation, il convient de relever que le médecin ne peut que constater un syndrome de stress post-traumatique, mais il n’est pas garant de la véracité des propos que lui rapporte son patient, de sorte que cette attestation ne permet pas d’établir un lien entre ces troubles et les faits allégués à l’appui de sa crainte, ni si ces troubles existaient déjà à son arrivée au Luxembourg. Ce type de document ne saurait dès lors être considéré comme déterminant, dans le cadre de la question de l’établissement des faits invoqués à l’appui de la demande de protection internationale, ni rétablir la crédibilité défaillante d’un récit.

Il suit de ce qui précède que la Cour, à l’instar du ministre, mais contrairement aux premiers juges, arrive à la conclusion que le récit de l’intimé n’est pas crédible dans sa globalité et qu’il tente sciemment d’induire en erreur au sujet de son vécu, de sorte qu’aucune crainte de persécution voire aucun risque réel de subir des atteintes graves ne sauraient être retenus dans son chef.

C’est par conséquent à juste titre que le ministre a refusé d’accorder à l’intimé le statut de réfugié.

La même conclusion s’impose encore a priori en ce qui concerne le statut de protection subsidiaire considéré sous l’angle des points a) et b) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Il convient toutefois de procéder, sous l’angle de la demande de protection subsidiaire, d’aller au-delà de l’analyse préalable de la crédibilité du récit à la base d’une demande de protection internationale au cas où une telle demande, certes caractérisée par un récit non crédible véhicule une demande de protection subsidiaire sur base de la situation sécuritaire du pays d'origine, telle que visée au point c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Or, l’intéressé appert invoquer pareil motif de protection depuis son recours introductif de première instance.

Ceci dit, concernant la situation sécuritaire prévalant actuellement en Afghanistan, la Cour, saisie de l’entièreté du litige du fond, tel qu’il lui a été dévolu par l’effet de l’appel étatique dirigé contre un jugement ayant statué au fond, de sorte qu’un renvoi devant les premiers juges, comme le réclame encore l’intimé, n’est point requis pour garantir le double degré, se doit de constater qu’elle n’a pas été saisie d’éléments suffisants permettant de conclure à l’existence d’une situation de conflit armé interne en Afghanistan au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015.

La demande de protection internationale de l’intimé, prise en son double volet, laisse partant d’être justifiée et le jugement est à réformer en ce sens.

13Quant à l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de protection internationale, force est de constater que le constat d’un refus justifié d’une protection internationale est a priori automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire par le ministre, de sorte que la demande de réformation de l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter et le jugement est encore à réformer sur ce point.

Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel étatique dirigé contre le jugement entrepris est fondé et que la demande de protection internationale de l’intimé n’est justifiée ni dans son volet principal, ni dans son volet subsidiaire, de manière que ledit jugement encourt la réformation dans le sens que le recours contentieux formé par l’actuel intimé contre la décision ministérielle du 10 février 2023 portant refus de faire droit à la demande de protection internationale et ordre de quitter le territoire est à rejeter.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties;

reçoit l’appel en la forme;

au fond, le dit justifié;

partant, réformant le jugement entrepris du 11 mars 2024, rejette le recours en réformation formé par l’intimé à l’encontre de la décision ministérielle entreprise du 10 février 2023 comme n’étant pas justifié et en déboute l’intimé;

condamne l'intimé aux dépens des deux instances.

Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.

s. SCHINTGEN s. CAMPILL 14


Synthèse
Numéro d'arrêt : 48683
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2024-06-27;48683 ?

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