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02/07/2024 | LUXEMBOURG | N°49602C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 02 juillet 2024, 49602C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 49602C ECLI:LU:CADM:2024:49602 Inscrit le 23 octobre 2023

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Audience publique du 2 juillet 2024 Appel formé par Monsieur (A) et consorts, …, contre un jugement du tribunal administratif du 16 octobre 2023 (n° 47542 du rôle) dans un litige les opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de regroupement familial

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Vu l’act...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 49602C ECLI:LU:CADM:2024:49602 Inscrit le 23 octobre 2023

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Audience publique du 2 juillet 2024 Appel formé par Monsieur (A) et consorts, …, contre un jugement du tribunal administratif du 16 octobre 2023 (n° 47542 du rôle) dans un litige les opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de regroupement familial

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 49602C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 23 octobre 2023 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le ….. à … (Afghanistan), demeurant à L-…., …, rue ….., de Monsieur (B), né …. à …. (Afghanistan), demeurant en Afghanistan, de Madame (C), née le …. à …. (Afghanistan), demeurant en Afghanistan, tous les trois de nationalité afghane, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte des enfants mineurs (D), née en …, (E), né en …, (F), née en …, et (G), née le …. …, tous les quatre de nationalité afghane et demeurant en Afghanistan, ayant tous élu domicile en l’étude de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 16 octobre 2023 (n° 47542 du rôle), par lequel ledit tribunal reçut en la forme leur recours tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 mars 2022 rejetant leur demande de regroupement familial, sinon leur demande d’une autorisation de séjour pour raisons privées, sinon leur demande d’autorisation de séjour pour motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 16 novembre 2023 par Monsieur le délégué du gouvernement Vyacheslav PEREDERIY pour compte de l’Etat ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 16 janvier 2024.

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En date du 14 juillet 2015, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après le « ministère », une demande de protection internationale, au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après la « loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 20 juin 2017, remise en mains propres à l’intéressé le 18 juillet 2017, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après le « ministre », accorda à Monsieur (A) le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ainsi qu’une autorisation de séjour valable jusqu’au 19 juin 2022, qui fut renouvelée jusqu’au 14 juin 2027.

Par courrier du 28 septembre 2021, Monsieur (A) introduisit, par l’intermédiaire de son mandataire, à titre principal, une demande de regroupement familial au sens des articles 69 et 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après la « loi du 29 août 2008 », subsidiairement une demande d’autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité au sens de l’article 78, paragraphe (3), de ladite loi et, encore plus subsidiairement, une demande d’autorisation de séjour pour raisons privées au sens de l’article 78, paragraphe (1), de la même loi dans le chef de son père, Monsieur (B), de sa mère, Madame (C), de ses sœurs (F), (D) et (G), ainsi que de son frère (E).

Par décision du 21 mars 2022, le ministre refusa de faire droit à cette demande sur base des considérations et motifs suivants :

« (…) J’accuse bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date du 28 septembre 2021, par lequel vous sollicitez à titre principal une autorisation de séjour en tant que membre de famille, à titre subsidiaire une autorisation de séjour vie privée pour des motifs humanitaires et à titre encore plus subsidiaire une autorisation de séjour vie privée basée sur les liens familiaux dans le chef des membres de famille de votre mandant.

I.

Demande de regroupement familial en faveur des parents et de la fratrie de votre mandant Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

En effet, conformément à l'article 73, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, « la demande en obtention d'une autorisation de séjour en tant que membre de la famille est accompagnée des preuves que le regroupant remplit les conditions fixées et de pièces justificatives prouvant les liens familiaux, ainsi que des copies intégrales des documents de voyage des membres de la famille ».

Etant donné qu’à l’exception d’une copie du passeport du père de votre mandant, aucun document traduit concernant les personnes à regrouper a été joint à la demande de regroupement familial, je ne suis pas en mesure d’établir l’identité des personnes à regrouper ni le lien familial entre votre mandant et eux.

Même si conformément à l’article 73, paragraphe (3) : « lorsqu’un bénéficiaire d'une protection internationale ne peut fournir les pièces justificatives officielles attestant les liens familiaux, il peut prouver l’existence de ces liens par tout moyen de preuve. La seule absence de pièces justificatives ne peut motiver une décision de rejet de la demande de regroupement familiale », il ressort de l’article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration que « l’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leurs pays d’origine » et que le regroupement familial de la fratrie n’est pas prévu.

Or, il n’est également pas prouvé que les parents de votre mandant sont à sa charge, qu’ils sont privés du soutien familial dans son pays d'origine et qu’ils ne peuvent pas subvenir à leurs besoins par leurs propres moyens.

Par conséquent, l’autorisation de séjour en tant que membre de famille leur est refusée sur base des articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée.

(…) II.

Demande d’autorisation de séjour pour motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité Il y a lieu de soulever que le ressortissant d’un pays tiers doit se trouver en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois conformément à l’article 39, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration pour solliciter une autorisation de séjour sur base de l'article 78 (3).

Dans ce contexte, je me permets de citer une partie d’un arrêt de la Cour administrative du 25 juin 2015 (numéro 36058C du rôle) et une partie d’un jugement du 2 décembre 2015 (numéro 35581 du rôle) :

« Cette façon de procéder de la norme communautaire consiste à conférer aux Etats membres une option par rapport à laquelle ceux-ci ont conservé la possibilité d’en faire usage ou de ne pas en faire usage et, dans l’hypothèse où ils en font l’usage, de le faire avec une plus ou moins grande latitude, étant entendu que les raisons de la délivrance du titre de séjour à une personne, par hypothèse en séjour irrégulier, relèvent du spectre humanitaire au sens large. Dès lors, les Etats membres ont gardé la latitude de prendre en considération des motifs du spectre humanitaire au sens large avec plus ou moins d’amplitude et ont dès lors conservé la possibilité d’encadrer plus ou moins strictement la délivrance de pareil titre de séjour, s’agissant par hypothèse de personnes en séjour irrégulier, pourvu toutefois que la base humanitaire n’en fasse pas défaut ».

« En ce qui concerne le refus de qualifier les faits invoqués de motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, force est au tribunal de rappeler que cette disposition est le fruit de la transposition de l'article 6 paragraphe 4 de la directive européenne 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, prévoyant la possibilité pour les Etats membres d'accorder un titre de séjour autonome pour des « motifs charitables, humanitaires ou autres » à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire. Le législateur luxembourgeois en prévoyant à ce titre une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité a limité ce pouvoir discrétionnaire aux cas d'espèces où les faits ou circonstances invoqués sont de nature à léser de manière gravissime des droits fondamentaux de l’Homme ».

La demande en obtention d’une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires d’une exceptionnelle gravité dans le chef des intéressés précités et séjournant hors territoire luxembourgeois n'est en conséquence pas recevable.

(…) III.

Demande d'autorisation de séjour vie privée basée sur les liens familiaux Vous sollicitez à titre subsidiaire une autorisation de séjour pour raisons privées conformément à l’article 78 de la loi du 29 août 2008 précitée en faveur des membres de famille de votre mandant.

Je suis au regret de vous informer que je ne suis non plus en mesure de faire droit à cette requête. En effet, afin de pouvoir bénéficier d’une autorisation de séjour pour des raisons privées sur base de l’article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 précitée, les intéressés doivent, conformément à l’article 78, paragraphe (2) de la loi, témoigner de ressources suffisantes ainsi que des liens personnels ou familiaux, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité. Je ne dispose cependant d’aucune preuve que les intéressés remplissent ces conditions.

Je vous rappelle que « l’article 8 de la CEDH garantit seulement l'exercice du droit au respect d’une vie familiale « existante ». Ainsi, la notion vie familiale ne se résume pas uniquement à l'existence d’un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d’une vie familiale effective, c'est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres et existante, voire préexistante, à l’entrée sur le territoire national. D’ailleurs une vie familiale n’existe pas du seul fait du soutien financier apporté par une personne à une autre sans qu’aucun autre rapport ne lie les deux personnes. De plus, une personne adulte voulant rejoindre sa famille dans le pays de résidence de celle-ci ne saurait être admise au bénéfice de l’article 8 de la CEDH que lorsqu’il existe des éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux ». Or, aucun document ne témoigne de liens familiaux au-delà d’éventuels liens affectifs normaux entre des membres de famille.

Par ailleurs, les membres de famille de Monsieur (A) ne remplissent aucune condition qui lui permettrait de bénéficier d’une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l’article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

Par conséquent, l’autorisation de séjour leur est refusée sur base des articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 juin 2022, Monsieur (A), Monsieur (B) et Madame (C), ces derniers agissant également en nom et pour compte de leurs enfants mineurs (F), (D), (E), et (G), ci-après les « (ABCDEFG) », firent introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 21 mars 2022.

Dans son jugement du 16 octobre 2023, le tribunal administratif reçut ce recours en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta les demandeurs, tout en les condamnant aux frais et dépens de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 23 octobre 2023, les (ABCDEFG) ont régulièrement relevé appel de ce jugement.

Les appelants font valoir que le 18 juillet 2017, Monsieur (A) avait obtenu le statut de réfugié. Le 28 septembre 2021, soit peu de temps après la prise de contrôle du pouvoir en Afghanistan par les talibans, il aurait introduit une demande en regroupement familial pour les membres de sa famille. Il aurait fourni à cette occasion tous les documents d’identité dont il aurait disposé.

Les appelants font valoir que Monsieur (A) aurait assumé la charge financière pour sa famille restée en Afghanistan depuis un certain temps et ce même avant d’obtenir le statut de réfugié au Luxembourg.

Ils affirment que Monsieur (A) transmettrait de l’argent à sa famille quand bien même ses propres moyens seraient limités. En effet, alors que Monsieur (A) lui-même vivrait dans une situation précaire, les consorts (ABCDEFG) n’auraient personne d’autre que lui pour subvenir à leurs besoins en Afghanistan. Les appelants s’appuient sur les preuves des virements qu’ils auraient versées au dossier afin d’attester de la dépendance financière qui existerait entre eux.

Concernant l’exigence d’un lien affectif suffisamment étroit, les appelants font valoir qu’il y aurait entre eux un lien particulier et étroit qui irait au-delà d’un simple lien affectif.

Ils insistent sur le fait qu’en Afghanistan la notion de famille s’entendrait dans un sens large et que d’ailleurs ce serait dans ce sens que la Cour aurait interprété l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, ci-après la « CEDH », dans un arrêt du 15 mars 2018 (n°40345C du rôle). De même, les appelants invoquent en leur faveur un autre arrêt de la Cour, datant du 26 avril 2022 (n°46765C du rôle) et dans lequel la Cour aurait reconnu une unité familiale entre des parents et leur enfant majeur. Les appelants en déduisent qu’il y aurait lieu de reconnaître dans leur chef l’existence d’un lien affectif suffisamment particulier et étroit dans le sens de l’article 8 de la CEDH.

Ensuite, les appelants font valoir qu’il y aurait lieu de leur accorder le regroupement familial du fait de la vulnérabilité des frères et sœurs mineurs de Monsieur (A). Ils affirment à ce sujet que ceux-ci vivent dans un pays où leur sécurité ne serait pas garantie par le gouvernement en place et qui serait d’ailleurs un gouvernement non reconnu et tyrannique.

Afin d’appuyer leurs affirmations, ils citent un communiqué de presse du Conseil de droits de l’Homme datant du 12 septembre 2022, un extrait d’un rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés datant du 10 juillet 2023 et un article de presse de « Brown Political Review », intitulé « Taliban takeover leaves hazaras uniquely vulnerable », datant du 13 novembre 2022.

Il ressortirait de l’ensemble de ces publications qu’il y aurait en Afghanistan un risque de génocide à l’encontre des minorités ethniques.

Les appelants concluent que l’article 8 de la CEDH devrait être interprété dans ce contexte en tenant notamment compte de la nécessité pour les enfants mineurs de vivre dans un milieu satisfaisant leurs besoins élémentaires. Ils reprochent aux premiers juges d’avoir méconnu le bénéfice de l’article 8 précité aux enfants mineurs et notamment eu égard aux commentaires des travaux parlementaires de l’article 12 de la loi du 29 août 2008 concernant le regroupement familial et la définition de la notion « être à charge ».

Les appelants concluent qu’ils rempliraient toutes les conditions requises afin de bénéficier du regroupement familial et que la décision ministérielle attaquée devrait encourir l’annulation.

La partie étatique demande la confirmation du jugement a quo en affirmant que les appelants invoqueraient exactement les mêmes arguments qu’en première instance.

Le délégué du gouvernement demande à la Cour de confirmer les premiers juges qui auraient conclu à bon droit que les appelants n’auraient pas réussi à rapporter la preuve que les virements effectués par Monsieur (A) auraient été faits pour le compte de ses parents Monsieur (B) et Madame (C).

En outre, le délégué du gouvernement demande la confirmation des conclusions des premiers juges qui auraient conclu que les appelants n’auraient pas rapporté la preuve de liens étroits et une dépendance particulière autre que les liens affectifs normaux qui caractérisent les relations d’une personne adulte avec sa famille.

De plus, la partie étatique affirme que les arrêts de la Cour auxquels les appelants auraient fait référence ne seraient pas pertinents en l’espèce, au motif que dans l’arrêt du 15 mars 2018 (n°40345C du rôle), le regroupement familial n’aurait pas été accordé et dans l’arrêt du 26 avril 2022 (n°46765C du rôle), il s’agirait d’un regroupement familial entre des parents et leur fils.

Tout d’abord, la Cour constate que les appelants développent à l’appui de leur appel des moyens qui visent exclusivement le refus d’un regroupement familial en leur faveur sans réitérer des moyens quant aux refus d’autorisations de séjour pour des raisons privées ou pour des motifs humanitaires également contenus dans la décision attaquée.

En ce qui concerne le cadre légal pertinent, il convient de relever que les premiers juges l’ont correctement situé en se référant aux dispositions de l’article 69 de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel :

« (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :

1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;

2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;

3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.

(2) Sans préjudice du paragraphe (1) du présent article, pour le regroupement familial des membres de famille visés à l’article 70, paragraphe (5) le regroupant doit séjourner depuis au moins douze mois sur le territoire luxembourgeois.

(3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale ».

L’article 70 de la loi du 29 août 2008, qui définit les membres de la famille susceptibles de rejoindre le bénéficiaire d’une protection internationale dans le cadre du regroupement familial, dispose que :

« (1) Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants :

a) le conjoint du regroupant ;

b) le partenaire avec lequel le ressortissant de pays tiers a contracté un partenariat enregistré conforme aux conditions de fond et de forme prévues par la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats ;

c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, tel que défini au point b) qui précède, à condition d’en avoir le droit de garde et la charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord.

(2) Les personnes visées aux points a) et b) du paragraphe (1) qui précède, doivent être âgées de plus de dix-huit ans lors de la demande de regroupement familial.

(3) Le regroupement familial d’un conjoint n’est pas autorisé en cas de mariage polygame, si le regroupant a déjà un autre conjoint vivant avec lui au Grand-Duché de Luxembourg.

(4) Le ministre autorise l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial aux ascendants directs au premier degré du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, sans que soient appliquées les conditions fixées au paragraphe (5), point a) du présent article.

(5) L’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre :

a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine ;

b) aux enfants majeurs célibataires du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont objectivement dans l’incapacité de subvenir à leurs propres besoins en raison de leur état de santé ;

c) au tuteur légal ou tout autre membre de la famille du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, lorsque celui-ci n’a pas d’ascendants directs ou que ceux-ci ne peuvent être retrouvés ».

Les premiers juges ont correctement analysé ces dispositions en ce sens qu’elles règlent les conditions à partir desquelles un ressortissant de pays tiers, membre de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement au Luxembourg, peut rejoindre celui-ci.

En vertu de l’article 69, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, lorsqu’un bénéficiaire d’une protection internationale introduit une demande de regroupement avec un membre de sa famille dans un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale, de manière exceptionnelle il ne doit pas remplir les conditions du paragraphe (1) de l’article 69, à savoir celles de rapporter la preuve qu’il dispose (i) de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, (ii) d’un logement approprié pour recevoir le membre de sa famille et (iii) de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.

Or, la Cour constate qu’en l’espèce Monsieur (A) a introduit la demande de regroupement familial en dehors du délai des 6 mois suivant l’octroi de la protection internationale dans son chef. Par conséquent, Monsieur (A) doit satisfaire aux conditions précitées du paragraphe (1) de l’article 69. Toutefois, et tel que cela a été relevé par les premiers juges, avant d’analyser plus en détail si les conditions du paragraphe (1) de l’article 69 sont effectivement respectées dans le chef de Monsieur (A), il y a lieu d’examiner si les personnes à regrouper sont effectivement éligibles audit regroupement par application de l’article 70 de la loi du 29 août 2008.

Ainsi, concernant le regroupement dans le chef des parents de Monsieur (A), Monsieur (B) et Madame (C), l’article 70 paragraphe (5), point a), de la loi du 29 août 2008 exige que les parents du regroupant soient à sa charge et qu’ils soient privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine. A ce titre, c’est à bon droit que les premiers juges ont rappelé qu’il se dégage de la jurisprudence constante des juridictions administratives et des travaux parlementaires se trouvant à la base de l’élaboration de la loi du 29 août 2008, et plus particulièrement du commentaire de l’article 12 de cette loi, qu’il faut entendre par « être à charge », « le fait pour le membre de la famille (…) de nécessiter le soutien matériel de ce ressortissant ou de son conjoint afin de subvenir à ses besoins essentiels dans l’Etat d’origine ou de provenance de ce membre de la famille au moment où il demande à rejoindre ledit ressortissant (…) La preuve de la nécessité d’un soutien matériel peut être faite par tout moyen approprié, alors que le seul engagement de prendre en charge ce même membre de la famille, émanant du ressortissant communautaire ou de son conjoint, peut ne pas être regardé comme établissant l’existence d’une situation de dépendance réelle de celui-ci (CJCE du 9 janvier 2007, affaire C-1-05). ».

Ainsi, la notion d’être « à charge » est essentiellement à entendre dans le sens d’un soutien matériel, fourni par le regroupant et nécessaire au membre de la famille pour subvenir à ses besoins essentiels dans son pays d’origine ou de provenance, respectivement l’absence de ce soutien qui aurait pour conséquence de priver le membre de la famille des moyens pour subvenir à ses besoins essentiels.

Or, les premiers juges ont encore conclu à bon droit qu’en l’espèce, les appelants n’ont pas rapporté la preuve de la dépendance financière entre Monsieur (A) et ses parents.

La Cour fait sienne l’appréciation faite par les premiers juges des extraits de virements effectués par Monsieur (A). En effet, la Cour constate que sur ces relevés, il y a au moins six bénéficiaires différents sans qu’aucun d’entre eux ne soit Monsieur (B) ou Madame (C) : le bénéficiaire du virement du 9 février 2021 est « (J)» ; le bénéficiaire du virement du 13 janvier 2021 est « (K) » ; le bénéficiaire du virement du 17 juin 2019 est « (L) ; le bénéficiaire du virement du 13 mai 2019 est « (M) » ; le bénéficiaire du virement du 15 mars 2019 est « (N) » et le bénéficiaire du virement du 24 janvier 2019 est « (O) ». L’appelant n’a pas fourni d’explications à cet égard.

Il y a donc lieu de conclure que le ministre a valablement pu refuser le regroupement familial au bénéfice des parents de Monsieur (A).

Ensuite, concernant la fratrie de Monsieur (A), c’est encore de manière exacte que les premiers juges ont rappelé que l’article 70 de la loi du 29 août 2008 ne vise pas la fratrie au titre de membres de la famille susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial avec un regroupant installé au Luxembourg, de sorte que le refus du ministre, visant la fratrie de Monsieur (A), n’est dès lors pas non plus sujet à critique au regard des dispositions des articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008.

Partant, c’est a priori à bon droit que le ministre a refusé la demande de regroupement familial aux parents et à la fratrie de Monsieur (A) au regard des dispositions des articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008.

Il convient cependant de vérifier encore si le refus du regroupement familial en application de ces critères et conditions généraux prévus par les articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008 relativement au regroupement familial de membres de la famille d’un bénéficiaire d’une protection internationale n’aboutit pas à un résultat qui se heurte au droit au respect de la vie privée et familiale des appelants eu égard à leur situation individuelle et particulière, les appelants invoquant l’article 8 de la CEDH pour contester la validité du refus ministériel.

L’article 8 de la CEDH est libellé comme suit :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, se son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, si la notion de « vie familiale » se limite normalement au noyau familial, elle existe aussi entre frères et sœurs, ainsi qu’entre parents et enfants adultes, dès lors que des éléments de dépendance renforcés sont vérifiés. Ladite Cour a en effet précisé que « les rapports entre adultes (…) ne bénéficieront pas nécessairement de la protection de l’article 8 sans que soit démontrée l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux. » (Commission EDH, 10 décembre 1984, S. et S. c. Royaume-Uni (req.

n° 10375/83), D.R. 40, p. 201. En ce sens, voir également par exemple CEDH, 17 septembre 2013, F.N. c. Royaume Uni (req. n° 3202/09), § 36 ; CEDH, 30 juin 2015, A.S. c. Suisse (req.

n° 39350/13), § 49).

En outre, au-delà d’un lien de parenté, la notion de « vie familiale » requiert l’existence d’un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d’une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existantes, voire préexistantes à l’entrée sur le territoire national. Ainsi, le but du regroupement familial est de reconstituer l’unité familiale, avec impossibilité corrélative pour les intéressés de s’installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays.

En l’espèce, la Cour rejoint l’analyse des premiers juges d’après laquelle les liens étroits que Monsieur (A) déclare entretenir avec ses parents et sa fratrie restent à l’état de pure affirmation. Les appelants n’ont pas rapporté une quelconque preuve de nature à démontrer l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance autres que les liens affectifs normaux qui caractérisent les relations d’une personne adulte avec sa famille d’origine, s’étant limités à affirmer l’existence de tels liens, sans fournir une explication concrète à cet égard, et encore moins des justificatifs démontrant l’existence plus particulièrement de contacts réguliers avant l’introduction de la demande de regroupement familial, étant précisé que Monsieur (A) a quitté son pays d’origine en 2014, qu’il a obtenu sa protection internationale en 2017 et qu’il n’a introduit sa demande de regroupement familial qu’en 2021, soit près de 4 années plus tard.

Pour le surplus, la Cour ne saurait suivre les appelants dans leur argumentation fondée sur la vulnérabilité des frères et sœurs mineurs de Monsieur (A) et sur la situation générale en Afghanistan. Les premiers juges ont en effet souligné à bon escient que les frères et sœurs mineurs du regroupant vivent avec leurs parents et leur frère aîné, Monsieur (H), en Afghanistan. Ils ont valablement conclu qu’à défaut d’éléments concrets mis en avant par les appelants permettant de retenir qu’il serait dans l’intérêt supérieur des enfants de vivre séparés de leurs parents et de leur frère, la préservation de ce lien doit prévaloir, sans que la simple invocation par les appelants de la situation sécuritaire en Afghanistan ne saurait être suffisante pour retenir le contraire dans le cadre de l’application de l’article 8 de la CEDH.

Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que c’est à bon droit que le ministre n’a pas réservé une suite favorable à la demande de l’appelant tendant au regroupement familial de ses parents et de sa fratrie.

Il s’ensuit que l’appel sous examen n’est pas justifié et que le jugement entrepris est à confirmer.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 23 octobre 2023 en la forme, au fond, déclare l’appel non justifié et en déboute les appelants, partant, confirme le jugement entrepris du 16 octobre 2023, condamne les appelants aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu à l’audience publique du 2 juillet 2024 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller, en présence du greffier de la Cour ……..

s. ……..

s. SCHROEDER 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49602C
Date de la décision : 02/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2024-07-02;49602c ?

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