N° 110 / 2024 du 04.07.2024 Numéro CAS-2023-00153 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, quatre juillet deux mille vingt-quatre.
Composition:
Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, président, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.
Entre l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG, représenté par le Premier ministre ayant ses bureaux à L-1341 Luxembourg, 2, Place de Clairefontaine, et pour autant que de besoin par le ministre des Finances ayant ses bureaux à L-1352 Luxembourg, 3, rue de la Congrégation, demandeur en cassation, comparant par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître François KREMER, avocat à la Cour, et la société à responsabilité limitée SOCIETE1.), établie et ayant son siège social à L-ADRESSE1.), représentée par le gérant, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), défenderesse en cassation.
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Vu le jugement attaqué numéro 2023TALCH14/00105 rendu le 7 juin 2023 sous le numéro TAL-2023-02016 du rôle par le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, quatorzième chambre, siégeant en matière de bail commercial et en instance d’appel ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 15 septembre 2023 par l’ETAT DU GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG (ci-après « l’ETAT ») à la société à responsabilité limitée SOCIETE1.), déposé le 20 septembre 2023 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Sur les conclusions de l’avocat général Anita LECUIT.
Sur les faits Selon le jugement attaqué, le Tribunal de paix de Luxembourg, siégeant en matière de bail à loyer, avait dit que la résiliation d’un contrat de bail commercial notifiée par le demandeur en cassation à la défenderesse en cassation était injustifiée et sans effet, le demandeur en cassation n’ayant fourni aucune pièce justifiant la réalité des travaux invoqués comme motif de résiliation dans un courrier postérieur.
Le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, après avoir retenu que le contrat de bail n’avait pas été valablement résilié faute par le bailleur d’avoir indiqué le motif de résiliation dans la lettre de résiliation, a confirmé ce jugement.
Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation, sinon du refus d'application, sinon de la fausse application, sinon de la fausse interprétation de l’article 1762-11 alinéa 2 du Code civil, aux termes duquel :
ou en refuser le renouvellement :
1° aux fins d’occupation personnelle par le bailleur ou par ses descendants au 1er degré ;
2° en cas d’abandon de toute location aux fins d’activité identique ;
3° en cas de reconstruction ou de transformation de l’immeuble loué. » en ce que le jugement attaqué a retenu que le contrat de bail conclu entre parties n’a pas été valablement résilié par courrier du 18 décembre 2019, avec effet au 30 juin 2020, faute pour le bailleur d’avoir indiqué le motif de résiliation dans ledit courrier » ;
aux motifs qu’ au vu du libellé de l’article 1762-11 alinéa 2 du Code civil, ne prévoyant aucun délai endéans lequel le motif de résiliation doit être indiqué, et eu égard à l’essence de la loi du 3 février 2018, consistant notamment dans la protection du preneur, le tribunal en déduit que la résiliation doit être immédiatement motivée, c’est-à-dire dans le courrier de résiliation.
Contrairement à la position de l’ETAT, le fait que le législateur n’a pas prévu de délai endéans lequel le motif de résiliation doit être communiqué au locataire démontre son intention d’obliger le bailleur d’indiquer le motif de résiliation immédiatement dans le courrier de résiliation » ;
alors qu’en ayant retenu qu’un bailleur désirant résilier un contrat de bail commercial serait obligé d’indiquer dans son courrier de résiliation le motif de résiliation, le Tribunal d’arrondissement a ajouté à l’article 1762-11 alinéa 2 du Code civil une condition non prévue par la loi, de sorte qu’il a violé ledit article. ».
Réponse de la Cour Vu l’article 1762-11, alinéa 2, du Code civil qui dispose « Le bailleur peut résilier le bail avec le préavis prévu à l’article 1762-7, ou en refuser le renouvellement :
1. aux fins d’occupation personnelle par le bailleur ou par ses descendants au 1er degré ;
2. en cas d’abandon de toute location aux fins d’activité identique ;
3. en cas de reconstruction ou de transformation de l’immeuble loué. » Aucune disposition légale ne prévoit l’obligation pour le bailleur d’indiquer le motif de la résiliation d’un bail commercial dans le courrier de résiliation.
En retenant que le motif de la résiliation du bail commercial doit figurer dans la lettre de résiliation, les juges d’appel ont ajouté une condition non prévue par la loi, de sorte qu’ils ont violé la disposition légale visée au moyen.
Il s’ensuit que le jugement attaqué encourt la cassation.
PAR CES MOTIFS, sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens, la Cour de cassation casse et annule le jugement attaqué numéro 2023TALCH14/00105 rendu le 7 juin 2023 sous le numéro TAL-2023-02016 du rôle par le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, quatorzième chambre, siégeant en matière de bail commercial et en instance d’appel ;
déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont suivis, remet les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant le jugement cassé et pour être fait droit, les renvoie devant le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, autrement composé ;
condamne la défenderesse en cassation aux frais et dépens de l’instance en cassation ;
ordonne qu’à la diligence du Procureur général d’Etat, le présent arrêt soit transcrit sur le registre du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg et qu’une mention renvoyant à la transcription de l’arrêt soit consignée en marge de la minute du jugement annulé.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Agnès ZAGO en présence de l’avocat général Anita LECUIT et du greffier Daniel SCHROEDER.
Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation Etat du Grand-Duché de Luxembourg c/ la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) sàrl (affaire n° CAS-2023-00153 du registre) Le pourvoi en cassation, introduit au nom et pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH, laquelle est représentée par Maître François KREMER, avocat à la Cour, par un mémoire en cassation signifié le 15 septembre 2023 à la défenderesse en cassation, la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) sàrl, et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 20 septembre 2023, est dirigé contre un jugement 2023TALCH14/00105, rendu le 7 juin 2023 par le Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, quatorzième chambre, siégeant en matière de bail commercial et en instance d’appel, statuant contradictoirement, sous le numéro du rôle TAL-2023-02016 du rôle.
L’article 7 de la loi du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, telle que modifiée (ci-après la « loi du 18 février 1885 ») fixe à deux mois le délai pour l’introduction du recours en cassation pour la partie demanderesse en cassation qui demeure dans le Grand-Duché.
Il ne résulte ni du mémoire en cassation ni des pièces versées à son appui que le jugement attaqué a été signifié au demandeur en cassation, en sorte qu’il faut admettre que ce délai n’a pas commencé à courir.
Le pourvoi en cassation a partant été interjeté dans les forme et délai prévus à l’article 7 de la loi du 18 février 1885.
Aucun mémoire en réponse n’a été déposé.
Faits et rétroactes Le litige opposant le demandeur en cassation à la défenderesse en cassation a pour objet la résiliation du bail commercial liant les parties depuis le 1er juillet 2002, cette résiliation ayant été notifiée par l’actuel demandeur en cassation à sa cocontractante par courrier recommandé du 18 décembre 2019, avec effet au 30 juin 2020.
Face aux contestations adverses, l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, actuel demandeur en cassation, a introduit une requête en action déclaratoire de la résiliation du contrat de bail commercial devant le tribunal de paix de et à Luxembourg pour voir constater, entre autres, que le contrat de bail a été valablement résilié en date du 18 décembre 2019, avec effet au 30 juin 2020.
Suivant jugement n°114/23 du 13 janvier 2023, inscrit sous le numéro L-BAIL-400/22 du rôle, le juge de paix a déclaré recevable la requête de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, mais a dit injustifié et sans effet la résiliation notifiée par courrier du 18 décembre 2019 à la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) sàrl, a dit non fondé la demande à voir dire que la société à responsabilité limitée SOCIETE1.) sàrl est occupant sans droit ni titre après le 31 décembre 2022, a réservé toutes les autres demandes et refixé la continuation des débats à une date ultérieure.
Pour en arriver à cette solution le juge de paix a retenu en substance que le fait pour le bailleur, de ne pas avoir indiqué le motif de la résiliation du bail commercial dans la lettre de résiliation du 18 décembre 2019, n’impactait pas la validité de la résiliation, en sorte que le motif de la résiliation aurait pu être valablement fourni par un courrier postérieur, daté au 9 juin 2020, sans pour autant, de ce fait, être tardif. Le juge de paix a ensuite déclaré qu’en cas de contestations du locataire néanmoins, il incombait au bailleur d’établir que le motif de résiliation existait et qu’il était justifié. Il a finalement constaté qu’en l’occurrence l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg n’avait pas rapporté la preuve du caractère réel et sérieux du motif invoqué et en a conclu que la résiliation était injustifiée et partant à déclarer inopérante.
Le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, quatorzième chambre, siégeant en instance d’appel, a confirmé le jugement de première instance, bien que pour d’autres motifs, et il a renvoyé l’affaire en prosécution de cause devant le tribunal de paix de Luxembourg.
Plus précisément le tribunal d’arrondissement siégeant en instance d’appel a réformé le premier juge en ce qu’il avait déclaré valable la résiliation du contrat de bail commercial intervenue le 18 décembre 2019, alors même que la lettre de résiliation ne comportait pas le motif de la résiliation. Contrairement au juge de paix, le tribunal a ainsi retenu que le motif de résiliation devait être indiqué dans le courrier de résiliation-même, et il en a conclu que faute de motifs, la résiliation intervenue suivant courrier du 18 décembre 2019 était à déclarer non-valable. De ce constat le tribunal a finalement, à l’instar du juge de paix, bien que sur fondement d’une motivation différente, déduit que la résiliation était à déclarer inopérante et sans effet.
De ce jugement du 7 juin 2023 rendu par le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, statuant en instance d’appel, inscrit sous le numéro du rôle TAL-2023-
02016, qui fait l’objet du présent pourvoi, les passages pertinents pour les besoins du présent pourvoi se lisent comme suit :
« Au vu du désaccord des parties quant à la validité de la résiliation faite par l’ETAT, il appartient au tribunal de rechercher si la résiliation faite le 18 décembre 2019 par l’ETAT a valablement mis fin aux relations contractuelles ou si ladite résiliation n’est pas conforme aux dispositions légales.
A titre préliminaire, aux termes de l’article 3 de la loi du 3 février 2018 portant sur le bail commercial et modifiant certaines dispositions du Code civil (ci-après « la loi du 3 février 2018 »), les dispositions de ladite loi sont applicables aux contrats en cours à partir de sa date d’entrée en vigueur. Conformément à l’article 4 de la loi du 3 février 2018, ladite loi entre en vigueur le 1er jour du mois qui suit sa publication au Mémorial, soit le 1er mars 2018.
Le présent litige entre parties est par conséquent régi par les dispositions de la loi du 3 février 2018.
A la lecture du projet de loi n° 6864 ayant abouti à la loi du 3 février 2018, ainsi que des travaux parlementaires afférents, le tribunal relève que l’objectif primordial recherché par le législateur était la protection du preneur, tout en préservant le droit de propriété en vue de ne pas priver le bailleur de la faculté de pouvoir librement disposer de son bien.
Ainsi, le projet de loi susvisé a été motivé par le fait qu’ « il s’est révélé au cours des dernières années que le manque de protection du preneur pouvait aboutir à des situations abusives, pas nécessairement créées par les bailleurs mais provoquées souvent par d’autres commerçants cherchant à s’installer dans les lieux occupés auparavant pendant des décennies, voire pendant des générations, par un preneur qui avait toujours honoré ses engagements. » Le législateur a encore fait « constater avec regret la disparition de nombreux commerces à cause d’une protection qui, au cours des dernières années, s’est révélée insuffisante » (cf. Projet de loi portant sur le bail commercial et modifiant certaines dispositions du Code civil n° 6864, Exposé des motifs, p. 2).
Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 3 février 2018, l’article 1762-11 alinéa 2 du Code civil prévoit que « Le bailleur peut résilier le bail avec le préavis prévu à l’article 1762-7, ou en refuser le renouvellement :
1° aux fins d’occupation personnelle par le bailleur ou par ses descendants au 1er degré ;
2° en cas d’abandon de toute location aux fins d’activité identique ;
3° en cas de reconstruction ou de transformation de l’immeuble loué. » Selon l’article 1762-7 du même code, le délai de résiliation du contrat de bail ne peut être inférieur à six mois.
En l’occurrence, les parties ne remettent pas en cause l’obligation de motiver la résiliation d’un contrat de bail commercial. Ces dernières sont seulement en désaccord quant à la date de communication du motif de résiliation.
Au vu du libellé de l’article 1762-11 alinéa 2 du Code civil, ne prévoyant aucun délai endéans lequel le motif de résiliation doit être indiqué, et eu égard à l’essence de la loi du 3 février 2018, consistant notamment dans la protection du preneur, le tribunal en déduit que la résiliation doit être immédiatement motivée, c’est-à-dire dans le courrier de résiliation.
Contrairement à la position de l’ETAT, le fait que le législateur n’a pas prévu de délai endéans lequel le motif de résiliation doit être communiqué au locataire démontre son intention d’obliger le bailleur d’indiquer le motif de résiliation immédiatement dans le courrier de résiliation.
Il est constant en cause que par courrier recommandé avec avis de réception du 18 décembre 2019, l’ETAT a entendu résilier le contrat de bail conclu entre parties avec effet au 30 juin 2020, sans indiquer un quelconque motif.
Le délai de préavis de six mois a partant été respecté par l’ETAT.
Il est également constant en cause que l’ETAT a indiqué à la société SOCIETE1.), pour la première fois, son motif de résiliation, consistant dans des travaux de grande envergure, en date du 9 juin 2020, soit trois semaines avant la fin annoncée des relations contractuelles entre parties.
Au vu des développements qui précèdent, notamment eu égard à l’obligation de motiver la résiliation immédiatement dans le courrier de résiliation, il y a lieu de retenir que l’indication du motif de résiliation par l’ETAT à son locataire presque six mois après le courrier de résiliation est intervenue tardivement.
Il y a partant lieu de dire que le contrat de bail conclu entre parties n’a pas été valablement résilié par courrier du 18 décembre 2019, avec effet au 30 juin 2020, faute pour le bailleur d’avoir indiqué le motif de résiliation dans ledit courrier.
Le tribunal tient à relever que l’ETAT invoque le moyen selon lequel la résiliation, - non valablement faite -, ne serait pas inopérante mais que la sanction devrait consister dans le paiement d’une indemnité d’éviction au locataire, dans le seul cas où le motif de résiliation consistant dans des travaux de grande envergure serait injustifié. L’ETAT n’invoque toutefois pas ledit moyen au cas où le tribunal viendrait à la conclusion, - tel qu’en l’espèce -, que la résiliation n’aurait pas été valablement faite en l’absence d’indication de motif de résiliation dans le courrier de résiliation.
La résiliation du contrat de bail du 18 décembre 2019, n’ayant pas été valablement faite, est dès lors à déclarer inopérante et sans effet, par confirmation du jugement entrepris. »1 A l’appui de son pourvoi le demandeur en cassation présente quatre moyens de cassation.
A titre liminaire la soussignée relève qu’il appert de l’analyse et de la mise en parallèle des deux décisions que le tribunal a tiré du défaut de résiliation valable faute de motifs indiqués dans la lettre de motivation, la même conséquence légale que le juge de paix a déduit du caractère injustifié du motif de résiliation fourni postérieurement au courrier de résiliation.
Autrement exprimé le tribunal d’arrondissement a-t-il jugé que le bien-fondé des motifs avancés par le bailleur ne devait être analysé que dans l’hypothèse où la résiliation se trouve « immédiatement » motivée, c’est-à-dire, dans le courrier de résiliation-même.
Dans la mesure où tel n’était pas le cas en l’espèce, les juges d’appel ont débouté le bailleur de ses prétentions, en amont de toute analyse au fond.
Le tribunal a donc, en quelque sorte, sanctionné la résiliation pour non-respect d’une condition de forme, alors que le juge de paix, en analysant si le motif de résiliation était justifié, a examiné le fond du litige.
I) Le premier moyen de cassation vise le passage de la décision entreprise dans le cadre duquel les magistrats du fond ont tiré des conséquences légales de leur libre interprétation de la volonté du législateur, plutôt que de s’en tenir aux termes du texte de loi.
Sur le premier moyen de cassation « tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la fausse application, sinon de la fausse interprétation de l’article 1762-11 alinéa 2 du Code civil, aux termes duquel :
« Le bailleur peut résilier le bail avec le préavis prévu à l’article 1762-7, ou en refuser le renouvellement :
1° aux fins d’occupation personnelle par le bailleur ou par ses descendants au 1er degré ;
1 Jugement attaqué, page 17, alinéa 6 et suivants 2° en cas d’abandon de toute location aux fins d’activité identique ;
3° en cas de reconstruction ou de transformation de l’immeuble loué. » En ce que le jugement attaqué a retenu que « le contrat de bail conclu entre parties n’a pas été valablement résilié par courrier du 18 décembre 2019, avec effet au 30 juin 2020, faute pour le bailleur d’avoir indiqué le motif de résiliation dans ledit courrier » ;
Aux motifs qu’ « au vu du libellé de l’article 1762-11 alinéa 2 du Code civil, ne prévoyant aucun délai endéans lequel le motif de résiliation doit être indiqué, et eu égard à l’essence de la loi du 3 février 2018, consistant notamment dans la protection du preneur, le tribunal en déduit que la résiliation doit être immédiatement motivée, c’est-à-dire dans le courrier de résiliation .
Contrairement à la position de l’ETAT, le fait que le législateur n’a pas prévu de délai endéans lequel le motif de résiliation doit être communiqué au locataire démontre son intention d’obliger le bailleur d’indiquer le motif de résiliation immédiatement dans le courrier de résiliation » ;
Alors qu’en ayant retenu qu’un bailleur désirant résilier un contrat de bail commercial serait obligé d’indiquer dans son courrier de résiliation le motif de résiliation, le Tribunal d’arrondissement a ajouté à l’article 1762-11 alinéa 2 du Code civil une condition non prévue par la loi, de sorte qu’il a violé ledit article.
La lecture du premier moyen de cassation permet de constater qu’il critique en substance les juges du fond d’avoir imposé au bailleur qu’il indique les motifs de résiliation du bail commercial dans la lettre de résiliation-même, alors cependant que la disposition légale applicable à la résiliation du bail commercial à l’initiative du bailleur, à savoir l’article 1762-11 alinéa 2 du Code civil, institué par la loi du 3 février 2018 portant sur le bail commercial et modifiant certaines dispositions du Code civil (ci-après « la loi du 3 février 2018 »), n’impose pas une telle obligation au bailleur.
Dans le cadre de la discussion de son moyen, le demandeur en cassation souligne que l’article 1762-7 du Code civil faisant état des modalités de résiliation devant être observées par le bailleur, contient comme seules obligations, le respect d’un délai de préavis de six mois et l’envoi de la résiliation par lettre recommandée avec avis de réception.
Le demandeur en cassation rappelle ensuite que la justification avancée par les magistrats d’appel à la base de leur décision, en ce qu’elle repose sur le renvoi à « l’essence de la loi du 3 février 2018, consistant notamment dans la protection du preneur », -essence que les juges du fond ont déduit du projet de loi n°6864 ayant abouti à la loi du 3 février 2018, ainsi que des travaux parlementaires afférents-, ne saurait justifier l’ajout d’une condition non prévue par le texte de loi finalement adopté.
Le demandeur en cassation souligne encore que si le législateur aurait voulu imposer au bailleur un délai spécifique endéans lequel le motif de la résiliation devait être porté à la connaissance du preneur, il n’aurait pas manqué d’insérer cette condition dans le texte de loi.
Le demandeur en cassation étaye son argumentation en invoquant d’une part l’article 1762-10 du Code civil2 qui prévoit expressément le délai endéans lequel le bailleur doit donner son avis sur une demande de renouvellement du bail commercial exprimée par le preneur, et d’autre part l’article 12 de la loi du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation3 (ci-après « la loi du 21 septembre 2006 ») qui impose clairement au bailleur déclarant un besoin personnel, l’obligation de motiver la résiliation dans la lettre de résiliation-même. Le demandeur en cassation fait finalement état d’une jurisprudence constante en matière de bail à usage d’habitation aux termes de laquelle il est jugé qu’en l’absence d’indication légale d’un délai endéans lequel le bailleur doit produire le motif de la résiliation, il suffit que le bailleur exprime son intention de mettre fin au bail, sans pour autant être obligé de motiver en même temps la résiliation. D’après cette jurisprudence, « l’analyse du bien-fondé du motif ne se fait pas au moment de la dénonciation, mais au moment où la résiliation du bail et le déguerpissement du locataire sont requis. »4 La soussignée rejoint le demandeur en cassation dans son raisonnement ainsi que dans son affirmation qu’il n’y a « aucune raison objectivement soutenable pour considérer que le bailleur d’un bail commercial devrait être soumis à des obligations supplémentaires renforcées, respectivement plus exigeantes par rapport à celles du bailleur d’un bail à usage d’habitation ».5 Cette réflexion s’impose, de l’avis de la soussignée, surtout lorsque, comme en l’état, il est question d’ajouter une obligation de forme à la résiliation à adresser au preneur d’un bail commercial, partant d’un professionnel.
2 L’article 1762-10 alinéa 3 du Code civil dispose que, « Elle [la demande en renouvellement] doit être formulée, sous peine de déchéance, au moins six mois avant l’expiration du contrat de bail. Le bailleur devra dans les trois mois dès réception, faire connaître son avis. » 3 L’article 12 de la loi du 21 septembre 2006 dispose que, « (1) Le contrat de bail peut être conclu à durée déterminée ou indéterminée. En l’absence d’un écrit, il est présumé conclu à durée indéterminée.
(2) Tout contrat de bail visé par la présente loi, à l’exception du contrat portant sur un logement tel que défini à l’article 6, qui vient à cesser pour n’importe quelle cause, est prorogé à moins que, a) le bailleur déclare avoir besoin des lieux pour les occuper lui-même ou pour les faire occuper de manière effective par un parent ou allié au troisième degré inclusivement, b) le locataire ne remplisse pas ses obligations, c) il existe d’autres motifs graves et légitimes à établir par le bailleur, le transfert de propriété du logement ne vaut pas motif grave et légitime.
(3) Par dérogation à l’article 1736 du Code civil, le délai de résiliation dans les cas prévus au paragraphe (2), point a, est de six mois. La lettre de résiliation doit être écrite, motivée et accompagnée, le cas échéant, de pièces afférentes et s’effectuer par voie de lettre recommandée à la poste avec avis de réception. Elle doit mentionner, sous peine de nullité, le texte du présent paragraphe. » 4 TAL, 11 mai 1989, n°39745 du rôle 5 Pourvoi en cassation, page 8, dernier alinéa L’article 1762-11 du Code civil, en ce qu’il dispose que « Le bailleur peut résilier le bail avec effet immédiat en cas d’inexécution des obligations contractuelles par le preneur.
Le bailleur peut résilier le bail avec le préavis prévu à l’article 1762-7, ou en refuser le renouvellement :
1° aux fins d’occupation personnelle par le bailleur ou par ses descendants au 1er degré ;
2° en cas d’abandon de toute location aux fins d’activité identique ;
3° en cas de reconstruction ou de transformation de l’immeuble loué. » prévoit en son alinéa 2 la possibilité pour le bailleur de résilier ou de refuser le renouvellement d’un contrat de bail commercial avec un délai de préavis de six mois pour trois motifs différents.
Cet article rejoint dès lors l’article 12 de la loi du 21 septembre 2006 en ce sens qu’il énonce, à l’image du prédit article, les exceptions au principe général de la prorogation légale du bail.
Malgré cette similitude les deux articles diffèrent néanmoins à plusieurs égards, et cela notamment dans la mesure où les motifs énoncés ne sont pas identiques et les délais de préavis à respecter différents. Par ailleurs, la loi du 21 septembre 2006 prévoit expressément des formalités spécifiques à respecter en cas de résiliation du bail à usage d’habitation pour besoin personnel du bailleur, ces conditions étant plus strictes qu’en cas de résiliation pour d’autres raisons.6 Le jugement dont pourvoi qui, dans le cadre du premier moyen de cassation, est critiqué pour violation de l’article 1762-11 alinéa 2 du Code civil, comporte la motivation suivante sur le point considéré, « au vu du libellé de l’article 1762-11 alinéa 2 du Code civil, ne prévoyant aucun délai endéans lequel le motif de résiliation doit être indiqué, et eu égard à l’essence de la loi 6 La lecture de l’article 12 (3) de la loi du 21 septembre 2006 révèle les conditions de forme de la résiliation pour besoins personnels du bailleur, à savoir :
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La résiliation doit se faire par écrit ;
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La lettre de résiliation doit être envoyée par courrier recommandé à la poste avec avis de réception ;
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La lettre doit énoncer les raisons à la base de la résiliation du bail ;
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Il faut joindre, le cas échéant, des pièces prouvant les raisons invoquées, sans que la loi ne spécifie toutefois de quelles pièces il s’agit ;
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La lettre de résiliation doit, sous peine de nullité, mentionner le texte du paragraphe (3) de l’article 12 de la loi du 21 septembre 2006 qui énonce les conditions dans lesquelles le bail à usage d’habitation eut être résilié pour besoin personnel.
du 3 février 2018, consistant notamment dans la protection du preneur, le tribunal en déduit que la résiliation doit être immédiatement motivée, c’est-à-dire dans le courrier de résiliation .
[…] le fait que le législateur n’a pas prévu de délai endéans lequel le motif de résiliation doit être communiqué au locataire démontre son intention d’obliger le bailleur d’indiquer le motif de résiliation immédiatement dans le courrier de résiliation ».
Il appert de cette motivation que les juges du fond se sont basés sur l’esprit de la loi pour retenir que les motifs de la résiliation devaient, sous peine d’invalidité de la résiliation, être indiqués dans la lettre de résiliation-même, cette dernière devant par ailleurs satisfaire à l’article 1762-7 du Code civil en respectant un délai de résiliation de six mois.
Le raisonnement des magistrats d’appel est fondé sur la prémisse que toute résiliation d’un bail commercial par le bailleur doit être motivée. Les magistrats d’appel ont ensuite, par interprétation de l’esprit de la loi, qu’ils ont qualifié de soucieux de la « protection du preneur », retenu que les motifs à la base de la résiliation devaient, sous peine de rendre la résiliation inopérante et sans effet, être invoqués dans la lettre de motivation-même.
Or, de l’avis de la soussignée, si cette obligation devait s’imposer au bailleur, on pourrait se demander pour quelle raison le législateur n’a pas expressément prévu, à l’instar de ce qui est prévu à l’article 12 (3) de la loi du 21 septembre 2006, dans l’hypothèse où le bailleur d’un immeuble à usage d’habitation invoque comme motif de résiliation du contrat de bail le besoin personnel, que la motivation doit impérativement être indiquée dans la lettre de résiliation.
Le Conseil d’Etat avait d’ailleurs dans son deuxième avis complémentaire du 14 juillet 2017, évoqué l’article 12 de la loi du 21 septembre 2006, bien que dans le cadre de ses commentaires par rapport à l’article 1762-7 du Code civil. Toujours est-il cependant que l’article 12 de la loi du 21 septembre 2006 n’a, par conséquent, pu échapper à l’attention des auteurs du projet de loi n°6864.
Force est encore de constater que le législateur a prévu à l’article 1762-7 du Code civil la forme par laquelle la résiliation doit être portée à la connaissance du cocontractant ainsi que le délai de préavis. Aux termes de cet article la résiliation doit ainsi être communiquée par courrier recommandé avec accusé de réception et le délai de préavis est fixé à six mois. Pour fixer la durée du préavis à respecter par le bailleur c’est d’ailleurs à ce seul article que se réfère l’article 1762-11 alinéa 2 du Code civil, sans ajouter une autre condition de forme à respecter lors de la résiliation du bail par le bailleur pour l’un ou l’autre des trois motifs de résiliation possibles. Aucune exigence de forme supplémentaire n’est dès lors évoquée, tel que cela est pourtant prévu à l’article 12 (3) de la loi du 21 septembre 2006 pour le seul motif du besoin personnel invoqué par le bailleur.
De l’avis de la soussignée il ne s’agit pas là d’une inadvertance ou d’une formulation malencontreuse du texte de loi, mais bien d’un choix délibéré, motivé par le principe fondamental de la liberté contractuelle et par le constat qu’une contrainte supplémentaire de forme à imposer au bailleur, à l’instar de ce qui est prévu en matière de bail à usage d’habitation, serait disproportionnée en matière de bail commercial, face à l’évidence que le cocontractant locataire est, par définition, un professionnel.
Cette réflexion se fonde tout d’abord sur le contexte socio-économique duquel émane la loi du 3 février 2018. Ainsi, et cela est souligné à plus d’un endroit dans le cadre des travaux parlementaires ayant mené à l’adoption de la loi du 3 février 2018 introduisant l’article 1762-11 dans le Code civil, s’il est vrai que la réglementation sur le bail commercial prévue par la loi du 3 février 2018 visait la protection des commerçants locataires, de leurs fonds de commerce ainsi que de leurs employés, autant l’idée était-
elle d’assurer en même temps le droit fondamental qu’est le droit de propriété, revenant au bailleur-propriétaire. Autrement dit fallait-il rechercher un juste équilibre entre l’atteinte acceptable à la liberté contractuelle et la préservation des intérêts du locataire.
La protection du preneur n’était dès lors pas la seule préoccupation du législateur. Le but visé semble plutôt avoir été une mise en balance des deux objectifs visés ci-dessus par une réglementation offrant aux parties la sécurité juridique nécessaire pour leur permettre de planifier leurs actes en tout sérénité, grâce à un ensemble de règles de droit prévisibles, claires et transparentes.
Cette réalité amène la soussignée à considérer que la limitation du droit de disposer de sa propriété, et plus particulièrement la limitation du droit, pour le bailleur, de résilier le bail, qui se fonde sur le souci de protection du locataire, preneur professionnel, doit être soigneusement aménagée et réglementée afin d’assurer un juste équilibre entre les droits fondamentaux en jeux.
Par ailleurs, la soussignée s’interroge si l’obligation d’imposer l’indication des motifs de la résiliation dans la lettre de résiliation est, in fine, à visée réellement protectrice du preneur, alors qu’il ne s’agit-là, en définitive, que d’une règle supplémentaire de forme et non de fond.
En effet, et tel était d’ailleurs le raisonnement tenu par le juge de paix dans la présente affaire, en l’absence d’indication de motifs il est toujours loisible au preneur de solliciter les motifs à la base de la résiliation et la charge de la preuve de leur bien-fondé incombe alors tout naturellement au bailleur. Si ce dernier n’est pas en mesure d’établir la véracité des motifs invoqués, la résiliation en viendrait à être déclarée injustifiée.
Dans la mesure où en matière de contrat de bail commercial le preneur est, en principe, à qualifier de professionnel, il paraît légitime d’attendre de lui qu’il sollicite les motifs de la résiliation en cas d’intérêt.
Finalement, la soussignée donne à considérer qu’en vertu de l’article 1739 du Code civil7 qui figure à la section Ire -Des règles communes aux baux des maisons et des biens ruraux-, du Chapitre II –Du louage des choses-, du Titre VIII –Du contrat de louage-, la tacite reconduction du bail est exclue, bien que le preneur soit resté en possession des lieux loués, lorsque le bailleur n’a pas cessé de manifester son intention de ne pas consentir un nouveau bail.
Cet article n’impose pas que le congé soit motivé.
Il s’agit là d’une règle générale applicable en matière de louages de choses.
Si dès lors une loi spéciale viserait à déroger à une règle de droit plus générale, il faudrait qu’elle le fasse de manière expresse.
Au vu des considérations qui précèdent, la soussignée est d’avis que les juges du fond ne sauraient déroger à une règle de droit générale en invoquant la seule « essence » d’une loi spéciale postérieure, en l’absence d’une disposition claire et non équivoque en ce sens.
En conclusions la soussignée retient que l’interprétation retenue par le juge de paix qui s’en est tenu à la lettre de l’article 1762-11 alinéa 2 du Code civil, est parfaitement logique et protecteur des droits du preneur professionnel, auquel il est loisible de solliciter les motifs à la base de la résiliation.
En exigeant que la lettre de motivation doive comporter les motifs de résiliation, les magistrats d’appel ont ajouté une condition à la loi que le texte de loi visé au moyen ne prévoit pas.
Si Votre Cour devait suivre ce raisonnement, elle en déduira que le premier moyen de cassation est fondé et que l’arrêt encourt la cassation de ce chef.
II) Les trois moyens restants critiquent tous, sous différents aspects, le passage de la décision aux termes duquel les magistrats du fond ont retenu qu’ils n’avaient pas à analyser le moyen invoqué en appel par l’actuel demandeur en cassation selon lequel la résiliation, -non valablement faite-, serait à sanctionner par le paiement d’une indemnité d’éviction plutôt que d’être déclaré inopérante et sans effet, au motif que ce moyen n’aurait visé que l’hypothèse où les magistrats auraient analysé, et ensuite déclaré injustifiés, les motifs invoqués à la base de la résiliation. Ces trois moyens s’articulent dès lors autour du grief que le tribunal d’arrondissement aurait omis de se prononcer sur le moyen invoqué en appel par l’actuel demandeur en cassation selon lequel toute résiliation (quelconque, donc indépendamment de 7 L’article 1739 du Code civil dispose que, «lorsqu’il y a un congé signifié, le preneur, quoiqu’il ait continué sa jouissance, ne peut invoquer la tacite reconduction », l’irrégularité retenue) déclarée injustifiée ou non valable, se résout en dommages-intérêts via l’indemnité d’éviction.
Sur le second moyen de cassation Tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la fausse application, sinon de la fausse interprétation de l’article 4 du Code civil, aux termes duquel :
« le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice. » En ce que le Tribunal d’arrondissement a décidé que « la résiliation du contrat de bail du 18 décembre 2019, n’ayant pas été valablement faite, est […] à déclarer inopérante et sans effet, par confirmation du jugement entrepris » ;
Aux motifs que « [l]e tribunal tient à relever que l’ETAT invoque le moyen selon lequel la résiliation, - non valablement faite-, ne serait pas inopérante mais que la sanction devrait consister dans le paiement d’une indemnité d’éviction au locataire, dans le seul cas où le motif de résiliation consistant dans des travaux de grande envergure serait injustifié. L’ETAT n’invoque toutefois pas ledit moyen au cas où le tribunal viendrait à la conclusion, -tel qu’en l’espèce-, que la résiliation n’aurait pas été valablement faite en l’absence d’indication de motif de résiliation dans le courrier de résiliation » ;
Alors qu’en n’ayant ni analysé ni répondu au moyen de l’Etat selon lequel une résiliation injustifiée ne peut se résoudre qu’en dédommagement via l’indemnité d’éviction tel que prévu par l’article 1762-12 du Code civil, au prétexte que l’Etat n’aurait dans son moyen pas spécifiquement visé l’hypothèse dans laquelle la résiliation n’aurait pas été valablement faite en l’absence d’indication de motif de résiliation, les juges d’appel ont commis un déni de justice ».
Le second moyen de cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir commis un déni de justice.
Dans le cadre de la discussion du moyen le demandeur en cassation soutient qu’il ressort clairement de l’acte d’appel que, « […] le moyen soutenu par l’Etat va au-delà de cette seule hypothèse spécifique dans laquelle son motif de résiliation serait déclaré « injustifié », et que l’Etat a soutenu l’argument selon lequel une (quelconque) irrégularité dans le cadre de la résiliation du bail ne devrait pas rendre la résiliation inopérante, que ce soit en raison d’un motif déclaré injustifié ou en raison de l’absence de déclaration du motif dans un certain délai. […] »8 Autrement exprimé, le demandeur en cassation semble reprocher aux magistrats d’appel d’avoir refusé de statuer sur un moyen invoqué par lui en instance d’appel, au motif que 8 Pourvoi en cassation, page 11, alinéa 2 la portée dudit moyen aurait été limitée à l’hypothèse où le motif de résiliation invoqué aurait, dans un premier temps, été analysé par les juges pour, dans un deuxième temps, être déclaré injustifié.
Or, de l’avis de la soussignée le moyen manque en fait en ce que, ainsi compris, il résulte d’une lecture erronée de la décision entreprise.
Le tribunal n’a en effet pas refusé de statuer, mais il a, en revanche, pris position par rapport au moyen invoqué en précisant sa propre lecture de l’argumentation lui soumise et en tirant ensuite les conséquences juridiques de son raisonnement qui se trouve exposé dans le cadre de la motivation de sa décision.
Il en suit que le moyen est irrecevable, sinon n’est pas fondé.
A titre subsidiaire, on pourrait également admettre que sous le couvert de la violation du texte de loi visé au moyen, ce dernier ne tend qu’à demander à Votre Cour de rejuger le moyen invoqué par l’actuel demandeur en cassation à l’appui de son acte d’appel et à mettre en cause l’appréciation souveraine des juges du fond, dont le contrôle échappe à Votre Cour.
Il en suit que le moyen ne saurait être accueilli.
Sur le troisième moyen de cassation « tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la fausse application, sinon de la fausse interprétation de l’article 61 alinéa 1er du Nouveau Code de procédure civile, aux termes duquel :
« Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. » En ce que, le Tribunal d’arrondissement a retenu que la résiliation du Contrat de bail du 18 décembre 2019 est à déclarer inopérante et sans effet ;
Aux motifs que « [l]e tribunal tient à relever que l’ETAT invoque le moyen selon lequel la résiliation, - non valablement faite-, ne serait pas inopérante mais que la sanction devrait consister dans le paiement d’une indemnité d’éviction au locataire, dans le seul cas où le motif de résiliation consistant dans des travaux de grande envergure serait injustifié. L’ETAT n’invoque toutefois pas ledit moyen au cas où le tribunal viendrait à la conclusion, -tel qu’en l’espèce-, que la résiliation n’aurait pas été valablement faite en l’absence d’indication de motif de résiliation dans le courrier de résiliation » ;
Alors qu’en ayant décidé qu’en l’absence d’invocation par l’Etat du moyen selon lequel la résiliation non valablement faite n’est pas inopérante au cas où la résiliation n’a pas été valablement faite en l’absence d’indication de motif de résiliation dans le courrier de résiliation du Contrat de bail serait à déclarer inopérante et sans effet, les juges d’appel n’ont pas tranché le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicable, ceci en violation de l’article 61 alinéa 1er du Nouveau Code de procédure civile.
Dans le cadre de la discussion du troisième moyen de cassation, le demandeur en cassation soutient d’abord que de par la formulation et les termes employés à l’appui de sa motivation, la décision entreprise ferait sous-entendre que si l’actuel demandeur en cassation avait spécialement invoqué le moyen selon lequel la sanction d’une résiliation non valablement faite en l’absence de motif de résiliation dans le courrier de résiliation-
même devait consister en une condamnation à des dommages-intérêts au locataire, les juges l’auraient éventuellement suivi dans ce raisonnement.
Or, cette lecture est, de l’avis de la soussignée, erronée, dans la mesure où les termes et formulations employées par les magistrats du fond dans le cadre de leur motivation, ne permettent pas d’accréditer une telle interprétation.
A l’appui de son troisième moyen, le demandeur en cassation reproche aux juges d’appel d’avoir refusé ou omis de se prononcer sur les conséquences juridiques de leurs propres constations en fait et en droit, au motif que les parties n’auraient pas plaidé sur un aspect précis.
Plus précisément, le demandeur en cassation soutient-il qu’après avoir décidé qu’en sa qualité de bailleur il n’aurait pas valablement résilié le contrat de bail, les juges d’appel auraient dû tirer les conséquences juridiques et logiques qui s’imposaient à la suite de cette constatation, ces conséquences étant dictées par l’application des articles 1762-11 et 1762-12 du Code civil. Ce faisant, les magistrats d’appel auraient dû arriver à la solution qu’« en présence d’un contrat de bail d’une durée supérieure à neuf ans, le bailleur peut donc également invoquer les motifs prévus à l’article 1762-11 du Code civil pour résilier un contrat de bail respectivement pour s’opposer au renouvellement dudit contrat, sans être obligé, dans ce cas, de payer une indemnité d’éviction […] ».9 Les magistrats d’appel ont jugé que, faute par l’actuel demandeur en cassation d’avoir invoqué le moyen, « selon lequel la résiliation, - non valablement faite-, ne serait pas inopérante mais que la sanction devrait consister dans le paiement d’une indemnité d’éviction au locataire, […] au cas où le tribunal viendrait à la conclusion, -tel qu’en l’espèce-, que la résiliation n’aurait pas été valablement faite en l’absence d’indication de motif de résiliation dans le courrier de résiliation », la résiliation serait à déclarer inopérante et sans effet.
9 Pourvoi en cassation, page 12, dernier alinéa En premier lieu peut-on retenir que les magistrats du fond ont dès lors, à partir des faits et prétentions leurs soumis, procédé à leur qualification et analyse, et en ont ensuite déduit une conséquence juridique.
Ainsi compris, peut-on considérer que sous couvert d’une violation de l’article 61 alinéa 1er du Nouveau Code de procédure civile, le moyen ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation des faits à laquelle les juges du fond ont souverainement procédé.
Le moyen ne saurait être accueilli.
On pourrait également considérer que le moyen n’est pas fondé, dans la mesure où les magistrats d’appel, après avoir déterminé l’objet du litige au regard des prétentions des parties, en ont tiré les conséquences juridiques qui les ont menées à suivre le juge de paix pour ce qui est de la sanction qu’il avait retenue suite au constat que la résiliation du bail avait été fondée sur des motifs injustifiés, sans étendre leur motivation à l’analyse d’une éventuelle réparation par paiement d’une indemnité d’éviction au locataire.
Sur le quatrième moyen de cassation « tiré de la violation, sinon du refus d’application, sinon de la fausse application, sinon de la fausse interprétation de l’article 1762-11 alinéa 2 du Code civil, aux termes duquel :
« Le bailleur peut résilier le bail avec le préavis prévu à l’article 1762-7, ou en refuser le renouvellement :
1° aux fin d’occupation personnelle par le bailleur ou par ses descendants au 1er degré ;
2°en cas d’abandon de toute location aux fins d’activité identique ;
3°en cas de reconstruction ou de transformation de l’immeuble loué. » Selon l’article 1762-7 du même code, le délai de résiliation du contrat de bail ne peut être inférieur à six mois. » En ce que le Tribunal d’arrondissement a retenu que la résiliation du Contrat de bail du 18 décembre 2019 est à déclarer inopérante et sans effet ;
Aux motifs que la « résiliation du contrat de bail du 18 décembre 2019, n’a […] pas été valablement faite»;
Alors que les juges d’appel, après avoir décidé que la résiliation du Contrat de bail n’a pas été valablement faite (quod non), auraient dû tirer les conséquences juridiques et logiques qui s’imposaient à la suite de cette constations et décider que l’Etat serait obligé de payer à SOCIETE1.) une indemnité d’éviction ; en ayant cependant jugé que la résiliation serait à déclarer inopérante et sans effets, les juges d’appel ont violé l’article 1762-11 alinéa 2 du Code civil. » Le quatrième moyen de cassation fait grief aux juges du fond d’avoir déduit les conséquences juridiques erronées du constat que le bail n’a pas été valablement résilié par le bailleur.
Ainsi, d’après le demandeur en cassation, les juges du fond auraient dû décider qu’il incombait au bailleur de payer une indemnité d’éviction au locataire au lieu de juger que la résiliation non valablement faite était inopérante et sans effet.
Le demandeur en cassation considère que faute par l’article 1762-11 du Code civil de prévoir cette sanction, et en considération du fait que l’article 1762-12 du Code civil retient qu’au terme d’une durée de neuf années au moins d’occupation des lieux loués, le bailleur peut résilier le bail ou en refuser le renouvellement, sans devoir fournir de justification s’il verse une indemnité d’éviction, les magistrats d’appel n’ont pas déduit les conséquences logiques qui s’imposaient au regard de la disposition visée au moyen.
Le raisonnement exposé par le demandeur en cassation est en effet de dire qu’aux termes de l’article 1762-12 du Code civil, le bailleur de lieux loués depuis au moins neuf années, même s’il ne fournit pas de motifs de résiliation, peut toujours sortir de la relation contractuelle en versant une indemnité d’éviction. Il en déduit qu’il n’est dès lors pas logique de juger que le bailleur qui, comme en l’espèce, ne fournit pas de motif à l’appui de sa lettre de résiliation ou qui n’a pas suffisamment justifié le motif invoqué, ne saurait sortir de la relation contractuelle dans l’immédiat, via le paiement d’une indemnité d’éviction.
En premier lieu la soussignée considère que l’article 1762-11 alinéa 2 du Code civil, en ce qu’il prévoit la possibilité pour le bailleur de résilier ou de refuser le renouvellement d’un contrat de bail commercial avec un délai de préavis de six mois pour trois motifs différents, est étranger au grief formulé au moyen.
Il en suit que le moyen est irrecevable.
A titre subsidiaire, peut-on considérer que sous couvert de la disposition visée au moyen, le demandeur en cassation souhaite remettre en discussion l’appréciation souveraine des juges du fond.
Le moyen ne saurait être accueilli.
A titre encore plus subsidiaire la soussignée entend relever qu’elle ne saurait suivre le demandeur en cassation en son raisonnement, alors que l’article 1762-12 du Code civil établit une règle particulière, qui exclut l’application de l’article 1762-11 du même code.
L’article 1762-12 du Code civil vise en effet les situations dans lesquelles le locataire qui voit son bail résilié ou n’obtient pas le renouvellement du bail commercial ayant couru depuis plus de neuf années, se voit attribuer une indemnité d’éviction avant la fin du bail.
L’idée n’est, dans le cadre de cet article, pas celle d’une sanction, mais bien plus celle d’une indemnisation visant à compenser la perte, par le locataire, de son fonds de commerce.
Il en suit que la situation n’est pas comparable à celle de la décision qui est objet du présent pourvoi.
Le moyen n’est pas fondé.
Conclusion Le pourvoi est recevable ;
Le premier moyen de cassation est fondé ;
Les deuxième, troisième et quatrième moyens de cassation sont à rejeter.
Pour le Procureur général d’Etat Avocat général Anita Lecuit 21