GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50161C ECLI:LU:CADM:2024:50161 Inscrit le 8 mars 2024 Audience publique du 4 juillet 2024 Appel formé par la société à responsabilité limitée (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 29 janvier 2024 (n° 46194 du rôle) ayant statué sur son recours contre deux actes de la commune de Leudelange, Leudelange en présence de Madame (B), …, en matière de droit de préemption Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 50161C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 8 mars 2024 par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES S.A., inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2146 Luxembourg, 63-65, rue de Merl, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B240929, représentée aux fins de la présente procédure d’appel par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée (A), en abrégé « (A) », établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant en fonctions, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 29 janvier 2024 (n° 46194 du rôle), ayant déclaré irrecevable son recours en annulation en tant que dirigé contre la décision du conseil échevinal de Leudelange du 8 avril 2021 confirmant au notaire que la commune entend exercer son droit de préemption, tout en rejetant son recours en annulation pour le surplus pour défaut d’objet en ce qu’il est dirigé contre la délibération du conseil communal de Leudelange du 2 avril 2021 ayant décidé d’exercer son droit de préemption concernant un terrain à bâtir situé à Leudelange, …, inscrit au cadastre de la commune de Leudelange, section A de Leudelange, sous le numéro (P1), d’une contenance de … ares, … centiares, tout en rejetant la demande en allocation d’une indemnité de procédure de la société (A) et en condamnant celle-ci aux frais et dépens de l’instance ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Laura GEIGER, demeurant à Luxembourg, immatriculée près du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, des 20 et 21 mars 2024 1portant signification de cette requête d’appel à l’administration communale de Leudelange, représentée par son collège des bourgmestre et échevins en fonctions, ayant sa maison communale à L-3361 Leudelange, 5, Place des Martyrs, et à Madame (B), demeurant à L-… ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 22 avril 2024 par Maître Anne-Laure JABIN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de Leudelange ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 21 mai 2024 par Maître Georges KRIEGER, au nom de l’appelante ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 21 juin 2024 par Maître Anne-Laure JABIN, au nom de l’administration communale de Leudelange ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement dont appel ;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maîtres Sébastien COUVREUR, en remplacement de Maître Georges KRIEGER, et Anne-Laure JABIN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 juin 2024.
En date du 24 février 2021, la société à responsabilité limité (A), ci-après « la société (A) », signa un compromis de vente portant sur une parcelle, sise à Leudelange, …, inscrite au cadastre de la commune de Leudelange, ci-après « la commune », section A de Leudelange, sous le numéro (P1), ci-après « la parcelle (P1) », avec Madame (B) en tant que partie venderesse.
Par courrier du 10 mars 2021, Maître Mireille HAMES, notaire instrumentant, de résidence à Mersch, s’enquit auprès de la commune afin de savoir si la parcelle est située en zone constructible et si elle est dotée de toute l’infrastructure nécessaire et si la commune désirait exécuter ou non son droit de préemption.
Lors de la séance du 2 avril 2021, le conseil communal de Leudelange, ci-après le « conseil communal », siégeant à huis clos, décida d’exercer son droit de préemption concernant la parcelle, l’extrait de cette délibération étant libellé comme suit :
« (…) Considérant qu’il appartient au Conseil communal de prendre les décisions relatives aux actes de disposition des biens de la commune dont l’exercice du droit de préemption fait partie ;
Considérant que le Conseil communal a décidé unanimement en séance du 30 mars 2021 de convoquer le 2 avril 2021 une réunion d’urgence du Conseil communal afin de pouvoir délibérer dans les délais impartis sur la présente demande de préemption et que partant l’urgence est invoquée ;
Vu le décret du 14 décembre 1789 relatif à la constitution des municipalités ;
2 Vu le décret des 16-24 août 1790 sur l’organisation judiciaire ;
Vu la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse – PANC ;
Vu le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes ;
Vu la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain ;
Vu la loi modifiée du 17 avril 2018 concernant l’aménagement du territoire ;
Vu la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles ;
Vu la loi du 22 octobre 2008 portant promotion de l’habitat dite « Loi Pacte logement », modifiée par la loi du 03 mars 2017 dite « Omnibus » ;
Vu les circulaires ministérielles no. 3897 du 2 septembre 2020 concernant la loi Pacte logement, droit de préemption des communes – jugement du tribunal administratif du 22 juillet 2020 et no. 3951 du 19 janvier 2021 concernant la loi Pacte logement, droit de préemption des communes – arrêt de la Cour administrative du 5 janvier 2021 ;
Vu la demande du droit de préemption telle que reproduite ci-dessous ;
Vu la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ; (…) décide à l’unanimité des voix de réaliser un projet de logements à caractère social sur le terrain en question. (…) ».
Par une note manuscrite portant la date du 8 avril 2021, le secrétaire communal informa Maître HAMES que la commune désirait faire usage de son droit de préemption et qu’un courrier avec la décision officielle du conseil communal suivrait.
Il ressort d’un jugement non appelé rendu le 29 janvier 2024, inscrit sous le numéro 48270 du rôle, que l’acte de vente entre Madame (B) et la commune fut signé en date du 30 avril 2021 et que par délibération du 11 mai 2021, le conseil communal approuva ledit acte notarié.
Par courriers séparés du 24 juin 2021, la commune informa Madame (B) ainsi que la société (A) de la décision du 2 avril 2021 tout en les priant de prendre position sur ladite décision dans un délai de 8 jours.
3 Par requête déposée le 2 juillet 2021, inscrite sous le numéro 46194 du rôle, la société (A) fit introduire un recours en annulation à l’encontre de la « délibération du conseil communal de Leudelange, qui aurait été rendue lors de sa séance du 2 avril 2021, par laquelle il a décidé d'exercer son droit de préemption concernant un terrain à bâtir situé à Leudelange, …, et inscrit au cadastre de la commune de Leudelange, section A de Leudelange, sous le numéro (P1), d'une contenance de … a … ca. » et « pour autant que de besoin, [de] la « décision du collège échevinal » de Leudelange du 8 avril 2021, par laquelle il confirme au notaire que la commune entend exercer son droit de préemption ».
Par jugement du 29 janvier 2024 (n° 46194 du rôle), le tribunal déclara ce recours en annulation irrecevable en tant que dirigé contre la décision du conseil échevinal de Leudelange du 8 avril 2021 confirmant au notaire que la commune entendait exercer son droit de préemption, tout en rejetant le recours en annulation pour défaut d’objet en tant que dirigé contre la délibération du conseil communal de Leudelange du 2 avril 2021, en rejetant la demande en allocation d’une indemnité de procédure de la société (A) et en condamnant celle-ci aux frais et dépens de l’instance.
Pour arriver à cette solution, le tribunal a tout d’abord retenu qu’il résultait du formulaire rempli par le secrétaire communal qu’en date du 8 avril 2021, le collège échevinal avait confirmé au notaire que la commune entendait exercer son droit de préemption, de sorte à avoir exprimé une intention, laquelle ne correspondait pas à la décision d’exercer le droit de préemption ouvrant seul le droit au recours contentieux.
Concernant la décision du conseil communal du 2 avril 2021 portant exercice du droit de préemption, le tribunal a d’abord constaté que celle-ci a été remplacée par une délibération du 9 juillet 2021 par laquelle la commune a de nouveau décidé d’exercer son droit de préemption.
De ce fait, d’après le tribunal, la délibération du 2 avril 2021 avait perdu son objet, de sorte à emporter le rejet du recours.
Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 8 mars 2024, la société (A) a fait entreprendre le jugement précité du 29 janvier 2024 (n° 46194 du rôle) dont elle sollicite la réformation dans le sens de voir prononcer l’annulation de la délibération du conseil communal de Leudelange du 2 avril 2021 ayant décidé d’exercer son droit de préemption concernant le terrain à bâtir litigieux, tout en demandant la condamnation de la commune de Leudelange au paiement d’une indemnité de procédure de 5.000.- €, ainsi qu’à l’entièreté des frais.
Même si ces éléments de fait sont ultérieurs à ceux directement sous analyse dans la présente affaire, il convient de relever que sur base de la délibération du conseil communal de Leudelange du 2 avril 2021 un acte notarié a été conclu le 30 avril 2021 entre la commune et Madame (B), lequel a été approuvé par délibération du conseil communal de Leudelange du 11 mai 2021.
Cette délibération a été approuvée par le ministre de l’Intérieur suivant décision du 25 octobre 2021, ensemble celle du 2 avril 2021 portant exercice du droit de préemption.
4 Par jugement non appelé du 29 janvier 2024 (n° 48270 du rôle), le tribunal administratif annula cette décision ministérielle d’approbation en raison de l’inobservation des dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ».
Il convient de relever encore qu’en date du 14 juin 2021 les autorités communales avaient décidé de reprendre la procédure d’exercice du droit de préemption en contactant à la fois Madame (B) et la société (A) sur base de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979. Cette procédure aboutit à une seconde délibération d’exercice du droit de préemption du 9 juillet 2021, laquelle fut à son tour attaquée en annulation par la société (A).
Par jugement du 29 janvier 2024 (n° 47155 du rôle), le tribunal annula également cette délibération du 9 juillet 2021 pour non-observation des dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
Ce jugement fait l’objet d’un appel parallèle de la commune de Leudelange du 7 mars 2024 toisé par arrêt de ce jour (n° 50155 du rôle).
A travers son mémoire en duplique, la commune sollicite la nullité, sinon l’irrecevabilité du présent appel pour violation du principe de l’estoppel.
Elle tire argument de l’allégation de la société (A) qu’elle ne pouvait pas relever appel du jugement précité du 29 janvier 2024 (n° 48270 du rôle) ayant annulé l’approbation ministérielle de la délibération communale du 2 avril 2021 présentement litigieuse parce que ce jugement ne lui causerait pas grief.
La commune en déduit que pareille déclaration fait douter de l’intérêt à agir de l’appelante à ce niveau et lui reproche un défaut de cohérence impliquant la nullité, sinon l’irrecevabilité de l’appel.
Suivant la commune, ladite société aurait dû également appeler le jugement précité ayant annulé l’approbation ministérielle y toisée sous peine d’enfreindre le principe de l’estoppel.
S’il est vrai qu’un appel dirigé contre le jugement précité ayant annulé l’approbation ministérielle y toisée aurait eu le mérite de soumettre à la Cour l’entièreté des trois litiges ci-avant soumis au tribunal dans le même contexte de l’exercice du droit de préemption litigieux par la commune de Leudelange, il n’en reste pas moins qu’outre une certaine incohérence dans ses moyens, aucun reproche plus en avant ne saurait être fait à la partie appelante en ce qu’elle n’a pas appelé également le jugement précité.
D’ailleurs, la commune aurait eu autant d’intérêt à ce faire.
5La Cour constate que l’appelante n’est pas dans une situation où elle se serait contredite aux dépens de la commune, de sorte que le moyen de nullité voire d’irrecevabilité de l’appel soulevé par celle-ci est à rejeter.
L’appel ayant pour le surplus été interjeté suivant les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
La commune sollicite la confirmation du jugement dont appel en ce qu’il a déclaré le recours dirigé par l’appelante contre la délibération communale du 2 avril 2021 sans objet.
Il convient tout d’abord de préciser que le jugement dont appel du 29 janvier 2024 n’est pas remis en cause en ce qu’il a déclaré irrecevable le recours initial de l’appelante dirigé contre l’écrit du secrétaire communal de la commune de Leudelange du 8 avril 2021, lequel ne revêt effectivement pas de caractère décisionnel.
Reste la question de savoir si les premiers juges ont pu valablement déclarer le recours de l’appelante sans objet au motif qu’en date du 14 juin 2021 l’administration communale de Mondorf-les-Bains a réitéré la procédure de préemption qui connut comme résultat la seconde déclaration d’exercice du droit de préemption du 9 juillet 2021, précitée.
Même abstraction faite de ce que l’administration communale a choisi de ne point révéler aux signataires du compromis auquel elle s’adressa ainsi le 14 juin 2021, à savoir Madame (B) et l’appelante, l’existence de l’acte notarié du 30 avril 2021 passé entre elle et Madame (B), ni son approbation par le conseil communal en date du 11 mai 2021, il convient de se rendre à l’évidence que c’est bien la décision communale du 2 avril 2021 qui se trouve à la base de cet acte notarié approuvé par le conseil communal et, par ailleurs, transcrit à la Conservation des hypothèques et exécuté entre parties.
Dès lors, la Cour ne saurait suivre les premiers juges en ce qu’avec la partie communale ils ont conclu que la délibération du 9 juillet 2021 avait remplacé celle du 2 avril 2021 en ce qu’il est patent que c’est bien la première délibération portant exercice du droit de préemption, en ce qu’elle a été suivie par l’acte notarié approuvé par le conseil communal, qui a concrétisé la préemption opérée par la commune, tandis que finalement la seconde démarche ayant abouti à la seule délibération du 9 juillet 2021, sans concrétisation effective plus en avant depuis trois ans, ne saurait être regardée dans ces circonstances comme ayant simplement remplacé la première.
Dès lors, c’est à tort que les premiers juges ont déclaré sans objet le recours de l’appelante dirigé contre la délibération communale du 2 avril 2021.
Plus loin au fond, l’appelante sollicite l’annulation de la délibération communale du 2 avril 2021.
Elle conclut à une violation manifeste des dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, en ce que cette délibération communale, comme d’ailleurs toute la 6procédure ayant abouti à l’acte notarié de vente du 30 avril 2021 et son approbation par le conseil communal en date du 11 mai 2021, a été menée par exclusion de la principale intéressée, c’est-à-dire l’appelante, acquéreuse aux termes du compromis de vente conclu avec Madame (B), à la base de l’ensemble de la procédure.
En second lieu, l’appelante conclut à la violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 dans le chef de la délibération communale portant exercice du droit de préemption attaquée, de même que de l’article 3 de la loi modifiée du 22 octobre 2008 portant promotion de l’habitat et création d’un pacte logement avec les communes, ci-après « la loi du 22 octobre 2008 », dite « Pacte logement ».
L’appelante reproche à la commune l’absence de toute motivation et estime qu’un complément de motivation ne saurait être proposé en cours d’instance en cette matière.
En troisième lieu, l’appelante énonce que la commune aurait eu recours à une séance à huis clos contrairement aux exigences de l’article 21 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, ci-après « la loi communale ».
En quatrième lieu, elle conclut à la violation de l’article 10 de la loi du 22 octobre 2008 en ce qu’elle aurait omis d’indiquer dans sa délibération en question les prix et conditions auxquels l’exercice du droit de préemption aurait dû être opéré par elle.
En cinquième et dernier lieu, l’appelante conclut à un défaut de nécessité de la décision de préemption en ce qu’elle-même, à titre d’opérateur privé, aurait été pareillement capable de réaliser l’équivalent du projet communal annoncé.
Ainsi, une balance devrait être faite entre les inconvénients engendrés par l’ingérence communale, d’un côté, y compris l’atteinte à son droit de propriété et, d’un autre côté, le bienfait pour l’intérêt général. Ces deux facteurs devraient se trouver dans un rapport de proportionnalité acceptable.
La commune conclut au rejet des cinq moyens proposés pour être nullement fondés et devant emporter le rejet de l’appel.
Il est patent que l’opération de préemption d’avril/mai 2021 a été effectuée par omisson complète de la procédure prévue par l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 destinée à permettre aux tiers intéressés, en l’occurrence les parties au compromis de vente ayant donné lieu à l’exercice du droit de préemption de pouvoir présenter leurs observations voire d’être entendus en personne après que la commune désireuse d’exercer son droit de préemption leur aurait fait part de cette intention.
7 Dès lors, le constat de non-observation des dispositions de l’article 9 en question est tout aussi patent, étant constant que l’hypothèse d’un péril en la demeure, c’est-à-dire d’une urgence particulière, ne se trouve ni alléguée, ni surtout vérifiée dans le cas d’espèce.
La question posée est celle de la sanction à prévoir par le juge administratif face à pareille inobservation dans le cas particulier de l’espèce.
Il est vrai qu’a priori la situation telle que se dégageant des particularités du cas d’espèce apparaît comme étant outrancière, tant en ce qui concerne le fait pour la commune de précipiter les choses en avril 2021, à l’insu de la principale intéressée, l’appelante, acquéreuse évincée, que par la suite en ce qui concerne la démarche du 14 juin 2021 ayant abouti à la seconde décision d’exercice du droit de préemption du 9 juillet 2021, précitée, en ce qu’à l’époque, les responsables communaux ont tu tant l’existence de l’acte notarié du 30 avril 2021 que celle de son approbation par le conseil communal le 11 mai 2021, au-delà de l’évitement de fait du dialogue au motif que la prise de position de l’appelante eût été tardive.
Force est de constater que les parties se trouvent actuellement, et ce depuis trois ans, dans une situation de parfait blocage, tel que leurs mandataires l’ont relaté à l’audience des plaidoiries.
Il est constant que tous les arguments ont été échangés et que la Cour se trouve en possession de tous les éléments que l’appelante a pu apporter comme ayant pu être ceux qu’elle aurait pu proposer si elle avait pu utilement formuler ses observations à l’époque voire être entendue par les responsables communaux.
Essentiellement, ces éléments se recouvrent actuellement avec les moyens proposés pour faire tomber la délibération du 2 avril 2021.
Il s’avère encore qu’eu égard aux antécédents de l’affaire, un dialogue constructif entre parties ne semble guère possible actuellement, leurs prises de position respectives devant la Cour s’analysant essentiellement en dialogue de sourds.
Il s’y ajoute que l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 présuppose que toutes les options restent ouvertes, l’administration qui se propose d’agir en dehors de l’initiative de l’administré devant se borner à faire part de son intention de modifier voire de révoquer une situation juridique existante.
Or, depuis le passage de l’acte notarié du 30 avril 2021, approuvé par le conseil communal le 11 mai 2021, entre-temps transcrit et exécuté, cette perspective d’open end n’existe plus comme telle, tandis que tous ces éléments de droit civil échappent comme tels à la compétence du juge administratif.
Si normalement l’inobservation totale des dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est de nature à emporter l’annulation de la décision administrative prise 8sur ce mépris, il convient également de mettre en exergue que la procédure mise en place de la sorte n’est pas une fin en soi et que pareille annulation comportant un retour à la situation de départ avec recommencement à zéro de la procédure de l’article 9 en question ne s’envisage utilement et effectivement que s’il est vérifié que pareille procédure ait une quelconque chance de dégager un résultat concret.
Autrement dit, il importe que l’administré normalement appelé à bénéficier de la procédure sur base du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ait pu faire valoir des éléments de participation de nature à emporter raisonnablement une autre décision que celle qui a été prise.
C’est ce contrôle que le juge administratif est appelé à effectuer dans un cas de figure tel celui de l’espèce avant de ne tirer une quelconque conséquence de l’inobservation des dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
A partir des éléments de la délibération communale du 2 avril 2021 critiquée, aucun doute n’est permis quant à l’assiette du droit de préemption exercé.
Il s’agit bien de la parcelle (P1) faisant l’objet du compromis entre Madame (B) et l’appelante.
Aucun doute n’est non plus permis quant au fait que cette parcelle est éligible face au droit de préemption communal prévu par la loi du 22 octobre 2008, en ce qu’elle fait partie des parcelles constructibles telles qu’y visées.
Pour le surplus, il résulte clairement de ladite délibération, tout comme des écrits ultérieurs émanant de la commune, que l’objectif de l’exercice du droit de préemption consiste en la réalisation de logements sociaux sur la parcelle préemptée. Cette réalisation rentre clairement parmi les objectifs d’utilité publique prévus par la loi.
Dès lors, le troisième moyen proposé par l’appelante consistant en une violation des dispositions de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 et de celles de l’article 3 de la loi du 22 octobre 2008 s’avère être sans fondement dès ce stade.
Il résulte de la systémique même du droit de préemption, telle que prévue par la loi du 22 octobre 2008, que la commune qui préempte est appelée à se substituer à la partie acquéreuse au niveau de l’acte de vente à conclure.
Il s’ensuit qu’à défaut de précision, le droit de préemption est appelé à s’exercer sur l’objet du compromis de vente tel qu’y énoncé et au prix tel qu’y figurant, sans qu’il ne soit besoin de le préciser expressément, ces éléments découlant implicitement et per se de l’exercice du droit de préemption par rapport à une situation, telle celle de l’espèce, où le compromis de vente à la base porte sur une seule parcelle clairement délimitée par rapport à laquelle un prix de vente précis a été stipulé.
9 Dès lors, le quatrième moyen tiré de la violation de l’article 10 de la loi du 22 octobre 2008 est également appelé à tomber à faux dès ce stade.
Le fait que la délibération du 2 avril 2021 ait été opérée à huis clos n’est pas non plus de nature à impacter directement sur la nécessité d’une procédure contradictoire en application de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
Tel que le mandataire de l’appelante l’a bien expliqué à l’audience des plaidoiries, les dispositions de l’article 9 auraient pu être remplies en impliquant notamment les mandataires des parties soumis au devoir de confidentialité.
De même, la validité-même de la délibération portant exercice du droit de préemption ne dépend pas de cette modalité de procéder, sauf circonstances exceptionnelles non vérifiées en l’espèce.
Dès lors, le second moyen proposé est également appelé à tomber à faux.
Enfin, la Cour est appelée à se rendre à l’évidence que le seul élément concret que l’appelante ait produit au cours de toute la procédure précontentieuse, puis contentieuse, est celui qu’elle-même aurait pu réaliser les logements sociaux que la commune se destine à mettre en place sur le terrain par elle préempté et qu’aucun rapport de proportionnalité stricte n’existerait entre les bienfaits pour l’intérêt général, d’un côté, et l’ingérence par rapport aux droits de l’appelante, de l’autre.
Ce moyen repose sur une fausse prémisse.
En effet, la loi du 22 octobre 2008 prévoit, sous le respect de conditions précises, toutes respectées, dans la mesure des critiques de l’appelante, tel que ci-avant relaté, un droit de préemption dans le chef de la commune.
En agissant de la sorte, le législateur a précisément entendu éviter le débat qu’entend engager présentement l’appelante.
Face à une possibilité de préempter lui signalée, il est certes loisible à la commune, en application des dispositions de la loi du 22 octobre 2008, d’exercer son droit de préemption.
Elle n’est point obligée à ce faire, même si elle remplit toutes les conditions afférentes.
Sa démarche est dictée par l’opportunité politique qu’une majorité au conseil communal définit et en conformité de laquelle celui-ci opère.
10Toutefois, une fois la décision prise par le conseil communal d’exercer le droit de préemption, la question de savoir si l’acquéreur évincé avait éventuellement pu réaliser le même projet ne se pose plus.
Décider le contraire reviendrait à remettre en cause l’essence même du droit de préemption prévu par la loi.
Cette conclusion est d’autant plus vérifiée dans l’hypothèse où, tel le cas d’espèce, tout au long de la procédure, le conseil communal a agi à l’unanimité et ce avant et après les élections communales de juin 2023, ce d’autant plus où la composition du collège échevinal et d’une certaine partie du conseil communal a changé suite à ces élections.
Dès lors, le cinquième et dernier moyen proposé par l’appelante est également appelé à tomber à faux.
Par voie de conséquence aucun moyen de l’appelante ne se trouve justifié, sauf celui tiré de la violation des dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
La situation de l’espèce est passablement exceptionnelle et dénote, pour le moins, une a-culture juridique caractérisée à la fois au niveau des responsables communaux et du notaire instrumentant à la tête de l’acte précité du 30 avril 2021.
L’office du juge administratif ne consiste pas seulement à dire le droit, mais encore à trouver des solutions valables, de nature à éliminer autant que possible les points litigieux entre parties dans un objectif de paix sociale.
Il résulte de l’ensemble des développements qui précèdent que si la commune avait valablement opéré sa procédure d’exercice du droit de préemption, sachant qu’elle rentrait parfaitement dans toutes les conditions pour ce faire, tel que dégagé ci-avant, et que si elle avait appliqué, comme il aurait fallu le faire, les dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 dès le début du mois d’avril 2021, même en devançant la notification officielle du dossier de préemption par le notaire, en faisant part aux parties au compromis, dont l’appelante, de son intention d’exercer son droit de préemption et en conférant à celles-ci la possibilité de formuler leurs observations voire d’être entendues en personne, l’issue normale de cette procédure aurait été, sur base des éléments actuellement fournis au dossier, que l’appelante n’aurait pas pu proposer d’éléments de participation valables de nature à changer la démarche légitime de la commune d’exercer son droit de préemption, en ce que celle-ci coche en définitive toutes les cases pour ce faire valablement.
Dès lors, même dans une configuration exceptionnelle telle celle de l’espèce compte tenu de la procédure menée, une annulation pour non-respect des dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 correspondrait à imposer aux parties un repassage par une procédure 11stérile et inopportune, aucun élément de participation valable n’ayant pu être mis en avant par l’appelante à ce sujet.
La Cour est dès lors amenée à prononcer un constat de non-conformité au regard du mépris manifeste des dispositions de l’article 9 en question de nature à ouvrir un droit à des dommages et intérêts dans le chef de l’appelante, acquéreuse évincée.
Enfin, si la Cour est amenée à tenir compte de l’autorité de la chose jugée du jugement non appelé du tribunal du 29 janvier 2024 (n° 48270 du rôle) ayant annulé notamment la décision ministérielle d’approbation de la délibération communale litigieuse du 2 avril 2021, il n’en reste pas moins, en termes de cohérence, que dans la mesure où il vient d’être jugé définitivement que celle-ci n’a pas été remplacée par la délibération du 9 juillet 2021, conclusion également tirée par l’arrêt parallèle de ce jour dans l’affaire portant le numéro 50155C du rôle, il reste qu’au regard du constat de non-conformité prononcé, sans conséquence juridique au niveau administratif pour l’acquéreur évincé, la voie s’ouvre à nouveau pour une présentation à la fois de l’acte notarié du 30 avril 2021 et de la délibération communale d’approbation du 11 mai 2021 à l’autorité de tutelle aux fins d’approbation.
La Cour se doit de mettre en exergue que la manière de procéder de l’administration communale en l’occurrence n’est nullement un exemple à suivre et qu’un rééquilibrage du non-respect manifeste des règles procédurales doit, dans pareil cas de figure, être dûment opéré au niveau indemnitaire échappant comme tel à la compétence du juge administratif.
L’appelante sollicite encore la condamnation de l’administration communale de Leudelange au paiement d’une indemnité de procédure de 5.000.- € au motif qu’il serait manifestement inéquitable de laisser à son unique charge les frais et dépens exposés pour faire valoir ses droits devant la Cour, dont notamment les frais et honoraires d’avocat.
Eu égard à l’issue du litige, cette demande est fondée en son principe.
Compte tenu de l’omission complète du respect des dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 au niveau de la démarche communale en avril 2021, lors de l’exercice de son droit de préemption, la Cour évalue ex aequo et bono le montant à allouer à la partie appelante à celui par elle réclamé de 5.000.- €.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;
déclare l’appel recevable ;
au fond, le dit justifié ;
12partant, par réformation du jugement dont appel, dit que le recours de l’appelante n’était pas devenu sans objet, mais au contraire se trouve fondé à travers le constat de non-conformité pour inobservation des dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin1979 lors de l’exercice du droit de préemption en avril 2021 par la commune de Leudelange ;
condamne l’administration communale de Leudelange à payer à l’appelante une indemnité de procédure de 5.000.- €.
fait masse des dépens des deux instances et les impose à l’administration communale de Leudelange.
Ainsi délibéré et jugé par :
Francis DELAPORTE, président, Henri CAMPILL, vice-président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.
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