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09/07/2024 | LUXEMBOURG | N°49909C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 09 juillet 2024, 49909C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 49909C ECLI:LU:CADM:2024:49909 Inscrit le 9 janvier 2024 Audience publique du 9 juillet 2024 Appel formé par la société à responsabilité limitée (A) SARL, ….., contre deux décisions du conseil communal de Rosport-Mompach et une décision du ministre de l’Intérieur en présence de Monsieur (B), …, et consorts en matière de droit de préemption Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 49909C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 9 janvier 2024 par Maître Anne-Laure JABIN, avocat à la

Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 49909C ECLI:LU:CADM:2024:49909 Inscrit le 9 janvier 2024 Audience publique du 9 juillet 2024 Appel formé par la société à responsabilité limitée (A) SARL, ….., contre deux décisions du conseil communal de Rosport-Mompach et une décision du ministre de l’Intérieur en présence de Monsieur (B), …, et consorts en matière de droit de préemption Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 49909C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 9 janvier 2024 par Maître Anne-Laure JABIN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée (A) s.à r.l., établie et ayant son siège social à L-… …, …, rue ….l, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B ….., représentée par son gérant en fonction, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 29 novembre 2023 (n° 46618 du rôle) ayant déclaré recevable mais non justifié son recours en annulation des délibérations du conseil communal de la commune de Rosport-Mompach des 2 avril et 12 mai 2021 portant sur l’exercice du droit de préemption par rapport à la parcelle n° 1435/4174, sise à ……, au lieu-dit « Im Gerstfeld », section ……, ainsi que de la décision d’approbation desdites délibérations communales du ministre de l’Intérieur du 26 juillet 2021, tout en la déboutant de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure et en la condamnant aux frais et dépens de l’instance ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Patrick MULLER, demeurant à Diekirch, immatriculé près le tribunal d’arrondissement de et à Diekirch. du 10 janvier 2024 portant signification de cette requête d’appel à l’administration communale de Rosport-Mompach, représentée par son conseil échevinal en fonctions, ayant sa maison communale à L-6582 Rosport, 9, rue Henri Tudor ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Marine HAAGEN, en remplacement de l’huissier de justice Nadine, dite Nanou TAPELLA, les deux demeurant à Esch-sur-Alzette, immatriculées près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, du 15 janvier 2024 portant signification de cette requête d’appel à Monsieur (B), demeurant à L-… …, …. …, à Monsieur 1(C), demeurant à B-… …, …, avenue …., et à Madame (D), demeurant à L-… …, …, rue ….. ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 5 février 2024 par Monsieur le délégué du gouvernement Paul SCHINTGEN ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 12 février 2024 par Maître Steve HELMINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de Rosport-Mompach ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 5 mars 2024 par Maître Anne-Laure JABIN au nom de l’appelante ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 26 mars 2024 par Monsieur le délégué du gouvernement Paul SCHINTGEN ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 4 avril 2024 par Maître Steve HELMINGER au nom de l’administration communale de Rosport-Mompach ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement dont appel ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Anne-Laure JABIN et Maître Adrien KARIGER, en remplacement de Maître Steve HELMINGER, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Paul SCHINTGEN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 avril 2024.

______________________________________________________________________________

En date du 20 juillet 2020, la société à responsabilité limitée (A) SARL, ci-après « la société (A) », signa un compromis de vente portant sur une parcelle inscrite au cadastre de la commune de Rosport-Mompach, ci-après « la commune », sise à ….., au lieu-dit « Im Gerstfeld », section ….., sous le numéro 1435/4174, ci-après « la parcelle 1435/4174 », avec Monsieur (B), feu Monsieur (E) et Madame (D), ci-après « les vendeurs », en tant que parties venderesses.

Par courrier du 8 mars 2021, Maître (F), notaire instrumentant, de résidence à ……, informa la commune de la transaction envisagée.

Par courrier du 11 mars 2021, le collège des bourgmestre et échevins de la commune, ci-après « le collège échevinal », informa Maître (F) que la décision concernant l’exercice du droit de préemption allait figurer à l’ordre du jour de la séance du conseil communal du 2 avril 2021.

Lors de la séance du 2 avril 2021, le conseil communal décida d’exercer son droit de préemption concernant la parcelle 1435/4174, l’extrait pertinent de cette délibération étant libellé comme suit :

« (…) Vu la loi modifiée du 25 février 1979 concernant l’aide au logement ;

2 Vu la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 ;

Vu la loi modifiée du 22 octobre 2008 portant promotion de l’habitat et création d’un pacte logement avec les communes ;

(…) Considérant que la commune bénéficie ainsi d’un droit de préemption en ce qui concerne la vente d’une parcelle sise à ……, au lieu-dit « Im Gerstfeld », inscrite au cadastre de la commune de Rosport-Mompach, section……, sous le numéro cadastral 1435/4174, étant donné que cette parcelle est située partiellement dans une zone urbanisée ou destinée à être urbanisée, respectivement partiellement dans une bande de cent mètres longeant la limite de la zone urbanisée ou destinée à être urbanisée du village de …… ;

Vu le dossier de notification concernant la vente par Monsieur (B), Monsieur (E) et Madame (D) à la société (A) S.à r.l., présenté par Maître (F), notaire à ……, suivant lettre du 8 mars 2021 et comprenant les informations requises en vertu de l’article 8 de la loi modifiée du 22 octobre 2008 précitée ;

Vu le compromis de vente y annexé ;

(…) Considérant qu’une pénurie de logements doit être constatée au Grand-Duché de Luxembourg et qu’il s’avère de plus en plus difficile de trouver des logements à coût modéré ;

Considérant que la commune s’est fixée pour objectif de créer des logements abordables sur le territoire communal ;

Considérant que pour atteindre ce but, il y a lieu de faire valoir le droit de préemption de la commune en ce qui concerne la vente de la parcelle susmentionnée ;

(…) Après en avoir délibéré conformément à la loi, Décide à l’unanimité des voix de faire valoir son droit de préemption aux prix et conditions mentionnés dans le dossier de notification en ce qui concerne la vente d’une parcelle sise à ……, au lieu-dit « Im Gerstfeld », inscrite au cadastre de la commune de Rosport-Mompach, section……, sous le numéro 1435/4174, terre labourable, d’une contenance de 1ha 50a 49ca.

3 L’acquisition de ladite parcelle est réalisée dans l’intérêt de la réalisation de logements visés par les dispositions relatives aux aides à la construction d’ensembles prévues par la loi modifiée du 25 février 1979 concernant l’aide au logement (…) ».

Par courriers séparés du 7 avril 2021, Maître (F), les parties venderesses ainsi que la société (A) furent informées de la décision du 2 avril 2021.

Par courrier du 16 avril 2021, la société (A) demanda, en vertu de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », une réunion avec la commune afin de pouvoir présenter ses observations quant à la décision du 2 avril 2021.

Le 5 mai 2021 eut lieu une réunion entre Monsieur (G), gérant de la société (A), et le collège échevinal ainsi que des responsables de la commune.

Lors de la séance du 12 mai 2021, le conseil communal confirma sa décision du 2 avril 2021.

En date du 21 juin 2021, la société (A) introduisit, par l’intermédiaire de son mandataire, un recours gracieux auprès de la commune et, par courrier séparé du même jour, elle fit parvenir au ministre de l’Intérieur, ci-après « le ministre », ledit recours gracieux en le priant de ne pas approuver la délibération du conseil communal.

Le 26 juillet 2021, le ministre répondit au mandataire de la société (A) comme suit :

« (…) Il ressort de votre réclamation sous objet, que vous soulevez deux arguments à l’appui de votre demande de refus d’approbation de la délibération du 12 mai 2021 du conseil communal de la commune de Rosport-Mompach.

En ce qui concerne l’argument relatif au non-respect de la procédure administrative non-contentieuse, il m’importe de me référer à un jugement du 22 juillet 2020 (n° 42595) ainsi que du 3 mars 2021 (n° 40914a) rendus par le Tribunal administratif.

En effet, selon les prédits jugements, « les formalités procédurales inscrites à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 consacrent des garanties visant à ménager à l’administré concerné une possibilité de prendre utilement position par rapport à la décision projetée et de faire valoir, au préalable, son point de vue et ses moyens qui sont de nature à influer sur cette décision et, le cas échéant, à modifier la décision envisagée initialement. » Cependant, le Tribunal poursuit en affirmant : « La participation de l’administré à l’élaboration de la décision administrative ne présente cependant une réelle utilité que dans la 4mesure où celui-ci est en mesure, par son intervention, d’apporter des éléments et arguments de nature à influencer la décision à intervenir. » Or, selon le jugement précité rendu en date du 3 mars 2021 par le Tribunal administratif, « l’annulation d’une décision administrative, acte grave, ne doit intervenir que lorsque le contenu de la nouvelle décision à intervenir à la suite de l’annulation est susceptible de différer de celui de la décision annulée. » Dès lors, selon ce même jugement, les décisions qui ont méconnu l’obligation de faire participer l’administré au processus décisionnelle ne sont entachées d’illégalité entraînant leur annulation et le renvoi devant l’administration que dans les hypothèses où l’administré a la possibilité d’influencer concrètement le contenu de la décision à prendre.

Bien qu’il ressort[e] du dossier, que l’administration communale de Rosport-Mompach n’a pas respecté à la lettre les formalités procédurales inscrites à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, je tiens à soulever que, vu l’état jurisprudentiel actuel, le prédit non-respect n’entraine pas d’office une annulation de l’acte administratif en cause, soit de la délibération du 2 avril 2021. En effet, sur base du dossier qui m’a été communiqué, les autorités communales ont notifié à votre mandante, par lettre du 7 avril 2021, leur intention de préempter, tout en lui offrant la possibilité de prendre position. Ainsi, les autorités communales ont entendu et pris en considération les observations de la société (A) S.à.r.l le 5 mai 2021.

Par ailleurs, en me basant sur le dossier qui m’a été communiqué, il semble que les observations faites par votre mandante en date du 5 mai 2021 n’ont pas été de nature à influer sur la décision initiale de la commune d’exercer le droit de préemption, vu que le conseil communal a pris une délibération le 12 mai 2021 confirmant sa décision de préemption initiale du 2 avril 2021.

En ce qui concerne votre argument tendant à conclure à une impossibilité de préempter sur la parcelle 1435/4174, je me réfère aux explications ci-dessous.

En effet, selon l’article 3 de la loi modifiée du 22 octobre 2008 portant promotion de l’habitat et création d’un pacte logement avec les communes, le droit de préemption peut être exercé par la commune « pour toute parcelle non construite située dans une zone urbanisée ou destinée à être urbanisée sur le territoire communal » et pour « toute parcelle entièrement ou partiellement dans une bande de cent mètres longeant la limite de la zone urbanisée ou destinée à être urbanisée et située à l’extérieur de ces zones ».

Etant donné que la parcelle 1435/4174 se trouve partiellement dans une bande de cent mètres longeant la limite de la zone urbanisée ou destinée à être urbanisée, elle tombe sous le champ d’application de la loi modifiée du 22 octobre 2008.

5En me référant aux explications précitées, je tiens à vous informer que le dossier sous objet a été approuvé. (…) ».

Par requête déposée le 26 octobre 2021, la société (A) fit introduire un recours en annulation à l’encontre de 1) la « délibération du 2 avril 2021 », de 2) « la délibération du 12 mai 2021 à chaque fois du conseil communal de la commune de Rosport-Mompach portant sur l’exercice du droit de préemption pour la parcelle n° 1435/4171 », ainsi que de 3) « [l]’approbation desdites délibérations par la ministre de l’Intérieur en date du 26 juillet 2021 et reçu[e] le 2 août 2021 ».

Par jugement du 29 novembre 2023, le tribunal déclara ce recours recevable mais non fondé et en débouta la société (A) tout en la déboutant également de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure et en la condamnant aux frais et dépens de l’instance.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 9 janvier 2024, la société (A) a fait entreprendre le jugement précité du 29 novembre 2023 dont elle sollicite la réformation dans le sens de voir annuler les délibérations communales attaquées des 2 avril et 12 mai 2021, ainsi que la décision d’approbation afférente du ministre du 26 juillet 2021, de voir condamner l’Etat au paiement d’une indemnité de procédure de ……- € et de voir condamner les parties défenderesses ainsi qualifiées aux frais et dépens.

Tant la commune que l’Etat se rapportent à prudence de justice quant à la recevabilité de l’appel.

L’appel ayant été interjeté suivant les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

La commune soulève encore la caducité de l’appel dans la mesure où elle n’a pas eu la possibilité, au moment de rédiger son mémoire en réponse, de contrôler la signification de la requête d’appel à toutes les parties ayant été présentes en première instance.

Cette preuve ayant été rapportée entre-temps, ce moyen est devenu sans objet.

La commune réitère son moyen d’irrecevabilité du recours initial en tant que dirigé à l’encontre de la décision d’approbation ministérielle du 26 juillet 2021. Elle soulève ainsi la question de savoir quelle est l’interprétation à donner à l’article 107 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 dans sa mouture applicable au moment de la prise de la décision ministérielle critiquée.

En s’appuyant sur le principe de l’autonomie communale et sur la procédure suivie en matière d’acquisition par la commune d’éléments immobiliers, la commune estime qu’en matière d’exercice du droit de préemption, il n’appartient pas au ministre d’intervenir directement par rapport à la décision communale d’exercice du droit de préemption, mais uniquement, tel que pour 6les acquisitions immobilières communales suivant le régime de droit commun, au niveau de l’approbation demandée par rapport à l’acte notarié à passer entre parties.

L’appelante demande la confirmation du jugement dont appel sur ce point et la consécration de la recevabilité de son recours également par rapport à la décision ministérielle critiquée. Elle reproche à la commune de se contredire par rapport au contenu de sa propre délibération, situation qu’elle dit être apparentée à la théorie de l’estoppel. Elle énonce que suivant l’aveu même de la commune, le conseil communal n’aurait adopté l’acte notarié que le 21 juillet 2021, soit avant l’approbation ministérielle de la délibération du même conseil ayant décidé la préemption, ce qui serait d’ailleurs pour le moins curieux.

Le moyen formulé par la commune vise l’irrecevabilité du recours initial et s’analyse en tant que question au fond en instance d’appel.

L’appelante actuelle a attaqué à travers son recours initial la décision du ministre de l’Intérieur du 26 juillet 2021 qui, tout en l’informant qu’il a approuvé les deux délibérations communales, également attaquées, portant exercice du droit de préemption, prend position par rapport au recours gracieux ainsi désigné formulé par la société (A) à l’encontre des délibérations communales critiquées continuées au ministre le 21 juin 2021, cette communication comportant également une demande de non-approbation des deux délibérations communales en question.

Au-delà des questions de fond plus amplement touchées par la commune à l’appui de son moyen d’irrecevabilité, il convient de retenir à ce stade de la procédure que dans la mesure où la décision ministérielle attaquée répond précisément à une communication de la société (A) d’un soi-disant recours gracieux avec demande expresse de non-approbation des délibérations communales litigieuses, la réponse ministérielle du 26 juillet 2021 non seulement fait éminemment corps avec les délibérations communales en question, mais encore constitue l’aboutissement non contentieux de la démarche de l’appelante actuelle auprès du ministre.

Toutes ces considérations justifient la conclusion du tribunal suivant laquelle le recours de la société (A) est à déclarer recevable non seulement en tant que dirigé contre les deux délibérations communales litigieuses, mais encore en tant que formé contre la décision ministérielle critiquée du 26 juillet 2021.

Le moyen d’irrecevabilité, tel que formulé par la commune, est dès lors à rejeter.

Plus loin au fond, la partie appelante réitère son moyen tiré de la non-observation alléguée des dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ».

Elle reproche d’abord à la commune un vice de procédure non réparable en ce que la première délibération du 2 avril 2021 aurait été prise sans donner la possibilité aux principaux 7intéressés, à savoir les parties venderesses et acquéreuse au compromis de vente à la base de la procédure d’exercice du droit de préemption, de faire valoir préalablement leurs moyens en fournissant leurs observations voire en ayant la possibilité d’être entendus en personne.

La délibération du 2 avril 2021 étant viciée, elle n’aurait pas pu être confirmée par celle du 12 mai 2021, laquelle aurait tout au plus pu l’annuler et la remplacer.

Il est encore reproché à la commune de ne pas avoir donné la possibilité à l’appelante de faire valoir l’entièreté de ses moyens.

S’il était vrai que sur la seconde procédure le gérant de l’appelante a pu s’exprimer devant les autorités communales, il serait tout aussi établi que celui-ci avait annoncé la remise d’un avis juridique en gestation.

Or, en ce que le collège échevinal a de suite convoqué peu de jours après une réunion du conseil communal, cet avis juridique n’aurait pas pu être pris en considération à sa juste valeur dans une situation où il n’y aurait eu aucune urgence à accélérer de la sorte le processus décisionnel aboutissant à violer le principe du contradictoire dans le chef de l’appelante.

Pour celle-ci, au vu de l’ensemble des griefs relatés, la procédure resterait viciée et le jugement dont appel serait à réformer sur ce point, entraînant l’annulation des délibérations communales attaquées, ainsi que de la décision ministérielle d’approbation afférente.

Les parties publiques sollicitent, chacune en ce qui la concerne, la confirmation du jugement dont appel, essentiellement sur bases des éléments et arguments y contenus.

La question première qui se pose en l’occurrence est celle de savoir si après une première délibération portant exercice du droit de préemption du 2 avril 2021 prise sans que les formalités de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 aient été observées, la commune a pu réitérer la procédure aux fins de régularisation.

La Cour voudrait souligner tout d’abord que les formalités de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 sont essentielles pour que les parties intéressées au compromis et particulièrement l’acquéreur, qui risque d’être évincé en cas d’exercice du droit de préemption, puissent faire valoir leurs droits et observations.

Tant que la situation n’est pas figée par un acte de vente authentique, elle peut s’analyser en situation open end et s’il avait été oublié, sans fraude, d’opérer la procédure prévue par l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, une régularisation de la procédure pourrait toujours être opérée, à condition que toutes les voies restent ouvertes et que la participation des parties intéressées, dont particulièrement l’acquéreur potentiellement évincé, puisse encore éventuellement changer le cours des choses (Cour adm. 4 juillet 2024, n° 50155C du rôle).

8En effet, la procédure prévue par l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 présuppose que les dés ne soient pas déjà jetés, que la situation ne soit pas encore figée et que les observations des parties intéressées puissent encore apporter un changement à celle-ci.

En ce qu’en l’occurrence, lors du réengagement de la procédure en mai 2021, l’acte notarié de vente n’avait pas encore été passé, contrairement à l’hypothèse toisée dans l’arrêt précité du 4 juillet 2024, une régularisation de la situation a pu être envisagée encore et le conseil communal pouvait reprendre la procédure par application des dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 et permettre aux parties intéressées, dont surtout l’acquéreuse risquant d’être évincée, de faire valoir leurs observations ou d’être entendues en personne.

Dès lors, également l’argument suivant lequel le conseil communal aurait dû annuler sa délibération du 2 avril 2021 avant de réengager la procédure est appelé à tomber à faux dans la mesure où la volonté d’exercer le droit de préemption est restée constante et que le réengagement de la procédure vise précisément à assurer le respect du principe du contradictoire à la base des dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

S’agissant d’un argument, le moyen étant celui de la violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, aucun grief de non-réponse à un moyen ne saurait être valablement élevé à l’encontre des premiers juges qui ont bien toisé la question de la violation soulevée de l’article 9 en question.

Quant au délai observé, il convient de relever que le réengagement de la procédure du 14 avril 2021 a été notifié ce jour même à la partie appelante et qu’un délai de quasiment trois semaines avait été laissé à celle-ci, en ce que la réunion avec son gérant eut lieu en date du 5 mai 2021.

Dès lors, le délai d’au moins huit jours prévu par l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 et devant être laissé à l’administré pour pouvoir présenter ses observations ou demander à être entendu en personne a été largement observé en l’occurrence et il aurait été aisément possible de fournir à la date du 5 mai 2021 la note juridique annoncée.

Une réunion dans le cadre du mécanisme contradictoire prévu par l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 n’est pas destinée, telle une instance juridictionnelle, à épuiser l’entièreté de la matière juridique pouvant, le cas échéant, être soulevée autour de la question passablement technique, à la fois juridiquement et pratiquement, de l’exercice d’un droit de préemption tel que prévu par la loi du 22 octobre 2008.

De fait, il résulte du procès-verbal de la séance du 5 mai 2021 que le gérant de l’appelante a bien exposé la problématique essentielle qui se pose dans le présent cas de figure qui est celle de savoir si le terrain faisant l’objet du compromis de vente à la base de la démarche d’exercice du droit de préemption communale, accusant une surface d’1ha, 50a, 49 ca, dont seulement grosso modo 10 ares sont constructibles, peut faire l’objet de pareil droit de préemption, surtout lorsque la majeure partie non seulement relève de la zone verte, mais encore est incluse dans une zone Natura 2000.

9La question soulevée est celle encore discutée devant la Cour de savoir si pareille constellation d’un terrain dont la part minime remplit l’objectif de la loi du 22 octobre 2008 tendant à la mise en place de logements, peut encore faire l’objet d’un droit de préemption ou doit être assimilée à une situation de non-exercice de ce droit vu que la part majeure ne sera jamais constructible.

Au procès-verbal de la réunion du 5 mai 2024, le passage pertinent des explications du gérant de l’appelante se lit comme suit : « Le réclamant fait l’observation que d’après une jurisprudence en la matière, la commune n’aurait pas le droit de préempter pour la parcelle sise à …… d’une contenance de 1ha 50a 49ca pour y construire des logements, étant donné que seulement une partie de cette parcelle longeant la rue existante est constructible, environ 10 ares, et que le terrain est situé en grande partie en dehors du périmètre du village de ……, il a demandé un avis juridique auprès de son avocat et recommande à la commune de faire vérifier la légalité de la décision par l’avocat de la commune. Il conteste la légalité de cette décision, étant donné que la loi exigerait une constructibilité de la parcelle entière. Il soulève le problème de l’accès au pré qui est situé au fonds de la partie constructible de la parcelle ».

Force est à la Cour de constater que de la sorte, le gérant de l’appelante a cerné la problématique essentielle qui soulève effectivement un point d’ordre juridique se doublant d’un élément de systémique prévu par la loi, tel qu’il sera exposé plus loin au fond.

Ainsi, compte tenu du délai de trois semaines accordé à la partie appelante pour présenter ses observations à la réunion fixée au 5 mai 2021, une violation des dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, du fait que les responsables communaux n’aient pas attendu la présentation de la note juridique annoncée, ne saurait être retenue.

Le fait est que la question litigieuse clairement énoncée par le gérant de l’appelante reste toujours ouverte devant la Cour, appelée à la toiser définitivement.

Il résulte encore de cette seule considération qu’une annulation de la procédure pour non-observation des dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne s’envisage pas raisonnablement en ce qu’elle aurait pour seule conséquence de recommencer un débat stérile devant les autorités communales dans une hypothèse où le point litigieux est éminemment d’ordre juridique et appelé à être toisé définitivement par la juridiction compétente.

Dès lors, par confirmation du jugement dont appel, il y a lieu d’écarter le moyen d’annulation tiré de la violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

C’est ensuite que l’appelante réitère encore son moyen de première instance tiré de l’impossibilité de préempter une parcelle dont l’intégralité de l’assiette n’est pas constructible, voire, tel le cas d’espèce, où seulement une part minime l’est.

Pareille situation contreviendrait aux exigences de l’article 3 de la loi du 22 octobre 2008.

L’appelante met l’accent, d’un côté, sur une impossibilité par elle alléguée concernant la préemption d’une parcelle classée en zone Natura 2000, tout en insistant, par ailleurs, sur la 10disproportion qui existerait dans un cas de figure tel celui de l’espèce où seulement cinq pourcents de l’assiette de la parcelle se trouvent en zone constructible et que, pour le surplus, le chemin d’accès vers la parcelle non constructible passerait par cette partie constructible.

Ici encore les parties publiques sollicitent le rejet du moyen par confirmation du jugement dont appel.

Il est vrai, tel que déjà ci-avant relevé, que seulement environ 10 ares de la parcelle accusant une superficie totale de 1ha, 50a, 49ca, se trouvent en zone constructible et que l’essentiel du restant de la parcelle, non seulement se trouve situé en zone verte, mais pour grande partie en zone Natura 2000.

Ainsi que le tribunal l’a relevé à bon escient, l’article 3 de la loi du 22 octobre 2008 prévoit que les pouvoirs préemptants, dont la commune, peuvent exercer un droit de préemption « sur toutes les parcelles situées entièrement ou partiellement dans une bande de 100 mètres longeant la limite de la zone urbanisée ou destiné à être urbanisé et situé à l’extérieur de ces zones ».

Il n’est pas sérieusement contestable que la parcelle litigieuse rentre en tant que telle dans les prévisions de l’article 3 en question.

Il n’est plus contesté non plus devant la Cour que le projet communal d’ériger des logements, clairement énoncé dans la délibération du 12 mai 2021, rentre également dans les prévisions de l’article 3 concernant les objectifs de la loi par rapport auxquels la commune est tenue à une obligation de résultat.

Il est encore constant que la partie constructible de la parcelle litigieuse devrait permettre à la commune, compte tenu du plan d’aménagement particulier Nouveau quartier (PAP-NQ) sur les parcelles adjacentes, normalement la construction de six unités de logements à coût modéré, voire de logements abordables selon les énonciations mêmes de la partie appelante.

C’est à ce stade qu’un élément de systémique prévu par la loi du 22 octobre 2008 entre en ligne de compte.

Le mécanisme du droit de préemption prévu par cette loi fonctionne en tant que mécanisme volontaire de substitution.

Ce mécanisme est volontaire en ce que face à une possibilité de préempter lui signalée, il est certes loisible à la commune, en application des dispositions de la loi du 22 octobre 2008, d’exercer son droit de préemption.

Elle n’est point obligée à ce faire, même si elle remplit toutes les conditions afférentes.

Sa démarche est dictée par l’opportunité politique qu’une majorité au conseil communal définit et en conformité de laquelle celui-ci opère.

11Toutefois, une fois la décision prise par le conseil communal d’exercer le droit de préemption, la question de savoir si l’acquéreur évincé avait éventuellement pu réaliser le même projet ne se pose plus.

Décider le contraire reviendrait à remettre en cause l’essence même du droit de préemption prévu par la loi.

Sur toutes ces considérations, le mécanisme de préemption est volontaire dans le chef du pouvoir préemptant.

Il s’agit en plus d’un mécanisme de substitution.

Une fois que le pouvoir préemptant a valablement exprimé sa volonté de préempter, c’est-à-dire exercer son droit de préemption, dans la mesure où l’immeuble faisant l’objet du compromis à la base de la démarche de préemption rentre dans les prévisions de la loi du 22 octobre 2008, le pouvoir préemptant, en l’occurrence la commune, se substitue à l’acquéreur au compromis.

Cette substitution implique nécessairement que la préemption doit porter sur l’entièreté de l’immeuble faisant l’objet visé du compromis de vente et par rapport auquel également le prix a été fixé.

Cette conséquence est manifeste dans l’hypothèse vérifiée de l’espèce où une seule parcelle cadastrale fait l’objet du compromis de vente par rapport à laquelle un prix global de vente a été stipulé.

Aucune question de proportion voire de part minime tendant vers zéro ne trouve sa place face à pareille mécanisme.

Il est patent également, dans un cas de figure tel celui de l’espèce, qu’en termes de valeur, la part minime de l’assiette revêt la part majeure de la valeur, tandis que la part majeure de l’assiette située en zone verte, voire en zone Natura 2000, revêt une valeur pécuniaire minime.

Toutes autres considérations présentées par l’appelante, dont notamment les besoins de terrains dans le chef de la commune voire ses capacités de mise en place de logements sociaux, voire encore ses prises de positions antérieures par rapport à des immeubles dont la possibilité de préemption lui a été signalée restent sans caractère pertinent par rapport aux objectifs et à la systémique de la loi ci-avant dégagés.

Partant, le moyen tiré de la violation de l’article 3 de la loi du 22 octobre 2008 est à écarter sous tous ces aspects par confirmation du jugement dont appel.

12Afin d’être complète par rapport à la problématique soulevée par rapport au fond à travers les craintes de la commune et relevé par certains arguments de l’appelante, il convient de relever qu’il est vrai que normalement l’autorité de tutelle n’intervient qu’une fois que l’acte notarié fut conclu sur base d’une délibération communale d’exercice du droit de préemption et dûment approuvé par le conseil communal.

L’autorité de tutelle n’a pas à intervenir, en termes normaux, pour approuver anticipativement, avant l’acte notarié passé, une délibération d’exercice du droit de préemption d’un conseil communal.

Cependant, dans le cas d’espèce, le ministre, autorité de tutelle, a été saisi anticipativement par l’appelante qui s’opposait dès ce stade à ce qu’un acte de préemption intervienne sur base des délibérations d’exercice du droit de préemption précitées des 2 avril et 12 mai 2021.

Dans ce cas de figure, le ministre a bien été amené à statuer sur le soi-disant recours gracieux qui s’analyse en démarche d’opposition à voir procéder à l’acte notarié sur base de ces délibérations.

Il est vrai que cette démarche ne devrait normalement pas faire école sous peine d’alourdir encore la procédure déjà passablement laborieuse et complexe.

Dans ce cadre, ce n’est qu’en stricte logique juridique que le tribunal a statué par rapport à la décision ministérielle querellée du 26 juillet 2021 qui, tout en rejetant la démarche de l’appelante, a valablement pu procéder à l’approbation des délibérations communales ainsi visées, en ce que de manière complémentaire elles ont pu, sur régularisation de la procédure au regard de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, porter exercice du droit de préemption en application des dispositions de l’article 3 de la loi du 22 octobre 2008.

Dès lors, les premiers juges ont également pu valablement rejeter le recours de l’appelante sous ce troisième volet concernant la décision ministérielle du 26 juillet 2021.

En conclusion, l’appel principal n’est justifié en aucun de ses moyens et encourt le rejet, de sorte que le jugement dont appel est à confirmer en ce qu’il a déclaré le recours en annulation de l’appelante non fondé dans sa globalité.

L’appelante sollicite la condamnation de l’Etat au paiement d’une indemnité de procédure de ……- €.

Eu égard à l’issue du litige, cette demande est à rejeter.

13 Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

déclare l’appel recevable ;

le dit non fondé ;

partant en déboute l’appelante ;

confirme le jugement dont appel ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure de l’appelante ;

condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Francis DELAPORTE, président, Henri CAMPILL, vice-président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour …… s. …..

s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 juillet 2024 Le greffier de la Cour administrative 14


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49909C
Date de la décision : 09/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2024-07-09;49909c ?

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