GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50186C ECLI:LU:CADM:2024:50186 Inscrit le 12 mars 2024 Audience publique du 11 juillet 2024 Appel formé par Monsieur (A) et consorts, …, contre un jugement du tribunal administratif du 31 janvier 2024 (no 47240 du rôle), ayant statué sur leur recours dirigé contre une décision du ministre de l’Environnement, en présence de la société à responsabilité limitée (EE), …, en matière de protection de la nature Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 50186C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 12 mars 2024 par Maître Pierre GOERENS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre de avocats du barreau de Luxembourg, au nom de 1) Monsieur (A), demeurant à L-…, 2) Monsieur (B), demeurant à L-…, 3) Monsieur (C), demeurant à L-…, et 4) Monsieur (D), demeurant à L-…, dirigée contre le jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 31 janvier 2024 (no 47240 du rôle) par lequel ledit tribunal s’est déclaré incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal dirigé contre une décision du ministre de l’Environnement du 17 août 2021 et a déclaré irrecevable le recours subsidiaire en annulation dirigé contre cette même décision pour défaut d’intérêt à agir ;
Vu l’exploit de l’huissier de de justice Geoffrey GALLE, demeurant à Luxembourg, du 20 mars 2024, portant signification de cette requête d’appel à la société à responsabilité limitée (EE), établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant en fonctions ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 11 avril 2024 par le délégué du gouvernement pour compte de l’Etat ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 22 avril 2024 par Maître Anne-Laure JABIN, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre de avocats du barreau de Luxembourg, pour compte de la société à responsabilité limitée (EE), préqualifiée ;
Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Pierre GOERENS au greffe de la Cour administrative le 22 mai 2024 pour compte des appelants ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 3 juin 2024 par le délégué du gouvernement pour compte de l’Etat ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 24 juin 2024 par Maître Anne-Laure JABIN pour compte de la société à responsabilité limitée (EE), préqualifiée ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pierre GOERENS, Maître Anne-Laure JABIN et Madame le délégué du gouvernement Linda MANIEWSKI en leurs plaidoiries respectives à l'audience publique du 25 juin 2024.
Par le biais d’un formulaire de demande daté au 1er avril 2021 et réceptionné le 16 avril 2021 par le ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, ci-après « le ministre », la société à responsabilité limitée (EE), ci-après « la société (EE) », introduisit en sa qualité de propriétaire de la parcelle inscrite au cadastre de la commune de Mersch, section D de Beringen, sous le numéro (P3), ci-après « la parcelle », sur le fondement de la loi modifiée du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, ci-après « la loi du 18 juillet 2018 », une demande « d’autorisation relative à la protection de la nature, en vertu de la procédure « Art. 27 » - Mesure d’atténuation anticipée du PAP « (Rue) » » avec la description suivante :
« Le dossier correspond à la mesure d’atténuation anticipée du projet immobilier PAP « (Rue) » (SD n° M17) à Mersch.
Plusieurs études environnementales ont été réalisées. Dans ce contexte le bilan écologique a été fait, C’est ainsi que l’analyse a dévoilé la nécessité de réaliser une expertise chiroptérologie.
Comme résultat, une mesure d’atténuation anticipée a été sollicitée, pour laquelle plusieurs démarches ont été accomplies.
Premièrement une parcelle située à Mersch, entre l’Alzette et la rue d’Ettelbruck, et à environ 700 m du PAP « (Rue) », a été sélectionnée, sur laquelle la proposition d’aménagement et le bilan écologique ont été faits ».
En date du 3 mai 2021, le chef de l’arrondissement Centre-Ouest de l’Administration de la Nature et des forêts émit un avis favorable sous réserve que (i) la réalisation des mesures d’atténuation anticipatives se fasse conformément à la demande et aux plans soumis, (ii) la réalisation concrète des mesures d’atténuation anticipatives se fasse avant la réalisation du projet de construction « (Rue) » et (iii) les mesures d’atténuation anticipatives fassent l’objet d’un monitoring pendant 25 ans.
Par décision du 17 août 2021, le ministre fit droit à la demande introduite par la société (EE). Ladite décision est libellée comme suit :
« (…) Vu la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles ;
Vu la demande 16 avril 2021 du bureau (FF) pour la société (EE) sàrl ayant pour objet la destruction de biotopes et d'habitats d'espèces d'intérêt communautaire protégés au sens de l'article 17 de la prédite loi dans l'intérêt de la réalisation du PAP « (Rue) » sur des fonds inscrits au cadastre de la commune de Mersch, section D de Beringen, sous les numéros (P1) et (P2) ;
Constatant sur base de l'étude de terrain « Expertise environnementale sur le PAP '(Rue)' a Mersch - Rapport final », du bureau (GG) finalisé en février 2020 que le projet a une incidence significative sur un habitat de chasse essentiel de la Pipistrelle commune, la Sérotine commune, la Noctule commune, et la Noctule de Leisler, des espèces protégées particulièrement ; Vu le document « Demande d'autorisation relative à la protection de la nature - mesure d'atténuation anticipée dans le cadre du PAP '(Rue)' - Rapport final » élaboré par le bureau (GG) finalisé en date du 10 mars 2021 et le plan « 260417 » élaboré par le bureau (FF) en date du 10 février 2021 pour la réalisation de mesures d'atténuation ;
Vu l'article 27 de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles relative à la prescription de mesures d'atténuation anticipant les menaces et risques de l'incidence significative sur un site, une aire ou une partie d'un site ou d'une aire, afin de maintenir en permanence la continuité de la fonctionnalité écologique du site, de l'aire ou d'une partie du site ou de l'aire pour l'espèce mentionnée ci-dessus ;
Vu le bilan écologique portant référence 2021_00154-Mersch créant 131.109 éco-points élaboré en date du 30 mars 2021 par le bureau (FF) ;
Arrête :
Article 1er - Les mesures d'atténuation anticipées proposées dans le document « Demande d'autorisation relative à la protection de la nature - mesure d'atténuation anticipée dans le cadre du PAP '(Rue)' - Rapport final » élaboré par le bureau (GG) finalisé en date du 10 mars 2021 visant à minimiser les incidences sur les espèces de chauves-souris susmentionnées sont validées dans le respect des conditions définies par le présent arrêté.
Article 2.- Le préposé de la nature et des forêts territorialement compétent (…) est averti avant la mise en œuvre des mesures d'atténuation.
Article 3.- En ce qui concerne les mesures d'atténuation anticipées en vertu de l'article 27 de ladite loi du 18 juillet 2018 visant les espèces protégées particulièrement, précisément la Pipistrelle commune, la Sérotine commune, la Noctule commune, la Noctule de Leisler :
a) Les mesures d'atténuation sont réalisées sur un fonds inscrit au cadastre de la commune de Mersch, section D de Beringen, sous le numéro (P3) et en concertation avec le préposé de la nature et des forêts territorialement compétent ;
b) Les mesures d'atténuation sont mises en œuvre conformément au chapitre 6 du document mentionné à l'article 1er ;
c) La plantation des haies et des arbres à haute tige se fait moyennant des essences feuillues indigènes ;
d) Le cas échéant, les mesures d'atténuation sont protégées contre la dent du bétail ou du gibier moyennant des clôtures de protection du type URSUS. La hauteur de la clôture se limite à une hauteur de 2m ;
e) Tout emploi de fertilisants organiques ou minéraux ainsi que tout emploi de produits phytopharmaceutiques sur la totalité de la surface visée ci-dessus sont interdits ;
f) En cas de reprise moindre des plantations, un regarnissage annuel est réalisé par les soins du requérant ;
g) Une convention pour la mise en œuvre et la gestion des mesures d'atténuation susmentionnée m'est soumise à l'approbation avant le 1er octobre 2021 ;
h) La mise en œuvre des mesures d'atténuation ainsi que leur fonctionnalité écologique pour les chauves-souris susmentionnées doivent être surveillées et contrôlées par un expert agréé sur une durée totale de vingt-cinq ans.
Une évaluation des mesures d'atténuation (monitoring) visant les espèces protégées particulièrement et des mesures de gestion et d'amélioration y relatives, qui est à charge du requérant est obligatoire suite à la réalisation du projet autorisé ainsi que tous les cinq ans. Pour le cas où les résultats de cette évaluation ne seraient pas satisfaisants, l'adaptation de la gestion des mesures compensatoires s'impose. Un rapport de cette évaluation qui est à charge du requérant est à établir par une personne agréée, dans le cadre de la loi du 21 avril 1993 relative à l'agrément de personnes physiques ou morales privées ou publiques autres que l'État pour l'accomplissement de tâches techniques d'étude et de vérification dans le domaine de l'environnement. Ce rapport est à adresser au ministre par le requérant.
Pour le cas où les résultats de cette évaluation ne seraient pas satisfaisants, l'adaptation de la gestion des mesures d'atténuation s'impose.
Pour les premières cinq années, un rapport annuel y relatif m'est soumis pour approbation, comprenant le cas échéant, des propositions d'adaptation des mesures de gestion et d'amélioration. A la suite, les évaluations sont à réaliser et les rapports y afférents me sont soumis pour approbation dans un rythme de cinq ans.
Une copie de la convention signée entre le requérant et le bureau agrée élaborant le rapport de monitoring m'est transmise en double exemplaire.
Le premier rapport de monitoring est à élaborer immédiatement après la période de reproduction suivant les mise-en-œuvre des mesures d'atténuation ;
i) Dans l'hypothèse où les mesures d'atténuation réalisées sont jugées satisfaisantes par le ministre ayant l'Environnement dans ses attributions, une nouvelle demande autorisation par le maître d'ouvrage me doit être soumise conformément à l'article 27 de la prédite loi pour l'abattage des structures vertes sise sur les terrains du futur PAP « (Rue) » à Mersch ;
Article 4.- Une réception en bonne et due forme est organisée par le maître d'ouvrage une fois que les mesures compensatoires et d'atténuation sont achevées, en présence des responsables de l'Administration de la nature et des forêts.
Article 5.- Pendant toute la phase du chantier, les plantations destinées à rester sur place et réalisées sont visiblement protégées par une clôture fixe à réceptionner par le préposé de la nature et des forêts territorialement compétent afin d'éviter tout endommagement du système racinaire.
La présente autorisation porte exclusivement sur la création de mesures d'atténuation et de compensation pour la Pipistrelle commune, la Sérotine commune, la Noctule commune, la Noctule de Leisler en vertu des articles 21 et 27 de la prédite loi et n'habilite pas le maître d'ouvrage à procéder à la destruction des biotopes et habitats protégés sur le site du PAP « (Rue) » pour laquelle une nouvelle demande d'autorisation en vertu de l'article 17 me doit être soumise. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 mars 2022, Messieurs (A), (B), (C) et (D), ci-après « les consorts (A-D) », ont introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre du 17 août 2021.
Par un jugement du 31 janvier 2024, le tribunal se déclara incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal et déclara irrecevable le recours subsidiaire en annulation pour défaut d’intérêt à agir dans le chef des parties demanderesses, tout en rejetant leur demande en allocation d’une indemnité de procédure et en mettant les frais et dépens à leur charge.
Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 12 mars 2024, les consorts (A-D) ont régulièrement interjeté appel contre ce jugement.
Arguments des parties Quant aux faits, les appelants exposent que la décision ministérielle litigieuse s’inscrirait dans le cadre d’une demande visant la destruction de biotopes et d’habitats d’espèces protégées en vue de la réalisation du projet d’aménagement particulier « (Rue) », ci-après « le PAP (Rue) ».
Ils critiquent ensuite les conclusions du rapport du bureau (GG), au motif que celui-
ci ne correspondrait pas à la réelle situation des chiroptères sur les terrains devant accueillir le PAP (Rue), ainsi que le ministre pour ne pas avoir tiré les conséquences légales s’imposant en application de l’article 27 de la loi du 18 juillet 2018.
Ils rappellent que la décision litigieuse s’inscrirait dans le cadre plus large du PAP (Rue) portant sur une grande zone de terrains, classés en majeure partie en zone HAB-1, mais soumis à une servitude CEF-3 (zone de servitude « urbanisation-habitats espèces protégées ») et ce en raison de la présence de différentes espèces de chiroptères hautement protégées. Toutes ces parcelles formeraient un grand espace vert au sein de l’agglomération de Mersch et constitueraient l’habitat, des zones de chasse et des corridors de survol pour les chiroptères. A cet égard, les appelants se réfèrent à la « Strategische Umweltprüfung » réalisée dans le cadre de l’élaboration du nouveau plan d’aménagement général, à une étude approfondie du bureau (HH), à un document « Fledermauskundliche Untersuchungen zur Neuaufstellung des Plan d’aménagement général (PAG) der Gemeinde Mersch » du bureau de (II) et aux rapports du bureau (GG) des 18 février 2020 et 10 mars 2021.
Les appelants expliquent également que les mesures d’atténuation prévues dans la décision litigieuse seraient réalisées sur un site se trouvant à une distance d’environ 700 mètres du site du PAP (Rue).
En droit, ils reprochent aux premiers juges d’avoir déclaré irrecevable leur recours pour défaut d’intérêt à agir.
A cet égard, ils affirment que l’arrêté litigieux constituerait un des préalables à la viabilisation des parcelles dans le cadre du PAP (Rue), de sorte que leur intérêt à agir devrait être examiné en considération de la procédure de viabilisation du site prise dans sa globalité et non pas, comme les premiers juges l’ont fait, au regard du seul arrêté litigieux pris de façon isolée.
Ils ajoutent qu’ils seraient les voisins directs des parcelles visées par le PAP.
S’agissant de Monsieur (C), il serait impacté par le PAP (Rue) dans la mesure où une nouvelle route sortirait en face de sa maison d’habitation. Par ailleurs, ils auraient une vue sur les biotopes et les habitats protégés.
Ils auraient dès lors un intérêt à préserver (i) la présence des chiroptères sur le site du PAP (Rue) puisque l’observation des chiroptères depuis leurs terrasses respectives leur donnerait une satisfaction personnelle et (ii) les arbres et arbustes actuels sur le site, sur lesquels ils auraient une vue directe, puisqu’ils constitueraient leur cadre de vie actuel et ce depuis des décennies, ce d’autant plus que ces arbres et arbustes constitueraient en outre l’habitat, le gîte et la zone de chasse des chiroptères présents sur le site.
Les appelants font dès lors valoir que la conservation de cet ensemble d’arbres, du biotope et des habitats protégés constituerait leur but affiché, tout en estimant qu’au regard d’une jurisprudence rendue en matière d’approbation d’un PAG, la volonté de s’opposer à la destruction d’un ensemble d’arbres sur lequel ils auraient une vue directe constituerait à elle seule un intérêt suffisant.
En outre, ils font valoir que la décision litigieuse se rapporterait directement à la question de la destruction du biotope et des habitats d’intérêt communautaire protégés sur le site dont ils seraient les voisins. Ils estiment que la décision litigieuse concernerait le site du PAP (Rue), au motif que les mesures d’atténuation anticipées seraient à effectuer sur ce site. De plus, la décision litigieuse se référerait à une demande de procéder à la destruction de biotopes et d’habitats d’intérêt communautaire protégés au sens de l’article 17 de la loi du 18 juillet 2018. Ils donnent encore à considérer qu’ils devraient bénéficier d’un recours effectif à un moment où leur recours pourrait avoir une portée réelle, en faisant valoir que si les chiroptères protégés adoptaient le nouveau site et que par la suite l’autorisation de destruction des habitats sur le site du PAP (Rue) était délivrée, leur argumentation selon laquelle les mesures d’atténuation anticipatives auraient dû être faites sur le site du PAP (Rue) ne serait plus pertinente.
Ils font valoir que leur intérêt à agir consisterait également dans le fait que la destruction des biotopes et habitats protégés ne pourrait pas être autorisée si les mesures d’atténuation devaient se faire sur le site PAP (Rue) et s’il devait s’avérer impossible de réaliser les mesures sur ce site. Leur satisfaction consisterait dès lors dans le fait que dans ce cas de figure l’ensemble des biotopes et habitats protégés ne serait pas détruit.
Ils critiquent, par ailleurs, les premiers juges pour avoir pris en compte, afin d’apprécier leur intérêt à agir, la seule décision faisant l’objet du recours, sans prendre en compte la portée de la décision dans le cadre de la procédure de viabilisation du PAP (Rue).
Enfin, ils font valoir que le raisonnement du tribunal aboutirait à une situation où certaines décisions administratives seraient soustraites à tout contrôle juridictionnel à défaut de partie ayant un intérêt à agir. Or, le droit de pouvoir faire contrôler la légalité d’un acte administratif devrait prévaloir sur des considérations d’intérêt à agir sous peine de violer le principe du droit à l’accès à un tribunal tel que garanti par la Convention européenne des droits de l’homme. Sur base de cette considération, ils devraient disposer d’un intérêt suffisant pour agir contre la décision litigieuse en l’espèce.
Pour le surplus, ils prennent position quant au fond de leur recours.
Dans leur réplique, les appelants donnent à considérer que s’ils n’avaient certes pas de droit acquis à l’observation des chiroptères présents sur les parcelles susceptibles d’accueillir le PAP (Rue), ces considérations justifieraient néanmoins leur intérêt à agir pour faire contrôler en justice que les décisions administratives portant sur ces parcelles aient été prises en toute légalité et conformément à l’ensemble des lois et règlements applicables.
En outre, ils donnent à considérer que l’Etat confirmerait que le projet final consisterait dans la destruction du biotope et de l’habitat protégé. Ils auraient ainsi un intérêt à agir dans la mesure où, d’après eux, les mesures d’atténuation devraient être effectuées sur le site même du PAP pour que l’habitat soit protégé sur ce site, la décision litigieuse ayant à tort retenu que les mesures d’atténuation anticipatives pourraient être réalisées sur un autre site. La décision litigieuse porterait dès lors sur la définition du site et de l’endroit où devraient être exécutées les mesures d’atténuation anticipatives et non pas dans une autre décision à venir.
Pour le surplus, ils reprennent en substance les moyens exposés dans la requête d’appel.
Analyse de la Cour La Cour relève de prime abord que les appelants ne remettent pas en question le volet du jugement dont appel à travers lequel les premiers juges se sont déclarés incompétents pour connaître du recours principal en réformation, conclusion qui n’est d’ailleurs pas sujette à critique.
S’agissant de la recevabilité du recours subsidiaire en annulation en termes d’intérêt à agir, la Cour relève que cette question de recevabilité du recours en première instance devient une question de fond en instance d’appel.
Les premiers juges ont à juste titre posé le principe que la recevabilité d’un recours contentieux est conditionnée par l’existence d’un acte de nature à faire grief et ayant produit cet effet sur la personne du demandeur, que l’intérêt doit être né et actuel, effectif, légitime1 1 Cour adm. 17 février 2000, n° 11608C, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 17 et les autres références y citées.
et personnel, par opposition à un intérêt impersonnel et général2 et qu’il faut que la décision querellée entraîne des conséquences fâcheuses pour le demandeur auxquelles l’annulation poursuivie est de nature à mettre fin.
Ils ont encore à juste titre relevé qu’un demandeur doit non seulement justifier d’un intérêt personnel distinct de l’intérêt général, mais encore d’un intérêt certain et direct, un simple intérêt indirect à agir ne suffisant pas pour former un recours contentieux, encore qu’il soit le cas échéant jugé suffisant pour intervenir dans une instance, soit en y étant appelé, soit en y apparaissant volontairement3.
A titre complémentaire, la Cour relève encore que l’intérêt à agir doit être apprécié par rapport à l’objet et à la portée de la décision administrative spécifique précisément visée par le recours et non pas par rapport à d’autres décisions susceptibles d’être prises dans le cadre d’un projet plus global, un tel intérêt n’étant pas susceptible d’être qualifié d’intérêt direct.
Se pose dès lors, en termes d’intérêt à agir, la question de savoir en quoi la décision litigieuse, compte tenu de son objet et de sa portée, affecte concrètement les requérants de façon négative et en quoi son annulation puisse mettre fin à ces conséquences.
En l’espèce, au regard des éléments du dossier soumis à son appréciation, ensemble les moyens présentés par les parties à l’instance, la Cour arrive à la conclusion que les appelants n’ont pas, pas plus qu’en première instance, justifié l’existence dans leur chef d’un intérêt à agir répondant aux critères énoncés ci-avant, de sorte que la Cour est amenée à confirmer le tribunal dans sa conclusion selon laquelle le recours est à déclarer irrecevable pour défaut d’intérêt à agir.
A cet égard, la Cour partage entièrement le constat des premiers juges qu’il n’est pas établi en quoi les mesures autorisées sont concrètement de nature à affecter négativement la situation personnelle des appelants.
En effet, les premiers juges ont à cet égard de façon pertinente relevé l’objet de la décision litigieuse, à savoir l’approbation des mesures d’atténuation anticipées proposées dans le rapport final du bureau (GG) du 10 mars 2021 visant à minimiser les incidences sur différentes catégories de chauves-souris susceptibles d’être affectées par le futur PAP (Rue) et consistant en l’occurrence en des plantations et installations diverses accompagnées d’autres mesures (haies vives, arbres, mares, gestion en prairie maigre de fauche, mise en place de nichoirs) à réaliser selon les conditions énoncées dans l’arrêté ministériel litigieux, ces mesures étant destinées in fine à la création d’espaces de chasse 2 En ce sens « Le contentieux administratif en droit luxembourgeois » par Rusen ERGEC, Procédure contentieuse, n° 114, Pas. adm. 2023, p. 73.
3 Cour adm. 17 février 2000, n° 11608C, précité.
et de gîtes potentiels aux chiroptères4 et devant faire l’objet d’une évaluation suite à la réalisation du projet ainsi que tous les 5 ans.
Le tribunal a encore à juste titre pris en compte le fait que les mesures approuvées seront réalisées non pas sur les parcelles destinées à accueillir le PAP (Rue) et dont les appelants se prévalent être les voisins - qualité dont ils entendent déduire leur intérêt à agir -, mais sur des parcelles situées à environ 700 mètres de l’assiette du PAP (Rue) et sur lesquelles ils n’affirment en tout état de cause ni avoir une vue directe ni être impactés d’une quelconque autre manière.
Il convient encore de relever que comme l’arrêté a pour objet des mesures en faveur des chiroptères dont les appelants s’érigent en défenseurs, ces mesures devraient a priori être saluées par eux et la Cour ne décèle pas en quoi l’annulation de l’autorisation, qui aurait pour effet que les mesures de plantations réalisées ne bénéficient alors plus d’autorisation, puisse leur procurer une satisfaction personnelle.
Les appelants ne sont pas fondés à affirmer que leur intérêt à agir devrait être apprécié plus globalement au motif que la décision litigieuse constituerait une étape dans la procédure de réalisation du PAP (Rue).
Certes, ladite décision se situe dans ce contexte et fait en l’occurrence, selon son libellé, suite à une « demande (…) ayant pour objet la destruction de biotopes et d'habitats d'espèces d'intérêt communautaire protégés » au sens de l'article 17 de la prédite loi dans l'intérêt de la réalisation du PAP « (Rue) » ».
Néanmoins, dans le cadre de la réalisation d’un projet de viabilisation d’un site, tel que cela est le cas du PAP (Rue), chaque autorisation - relevant d’autorités administratives et de législations différentes - doit être appréciée de façon isolée lorsqu’il s’agit de vérifier l’existence d’un intérêt à agir dans le chef d’un recourant, l’intérêt à agir avancé par un même administré par rapport à une décision n’étant pas forcément pertinent par rapport à l’ensemble des décisions susceptibles d’être prises dans la mesure où toutes les décisions prises dans ce processus ne l’affectent pas de la même façon.
La Cour relève encore, tel que les premiers juges l’ont souligné à juste titre, que la décision déférée précise explicitement qu’elle « porte exclusivement sur la création de mesures d'atténuation et de compensation pour la Pipistrelle commune, la Sérotine commune, la Noctule commune, la Noctule de Leisler en vertu des articles 21 et 27 de la prédite loi et n'habilite pas le maître d'ouvrage à procéder à la destruction des biotopes et habitats protégés sur le site du PAP « (Rue) »5 pour laquelle une nouvelle demande d'autorisation en vertu de l'article 17 » doit être soumise au ministre. La destruction des biotopes dont les appelants s’érigent en défenseurs n’est dès lors pas acquise en raison de la seule délivrance de l’autorisation actuellement litigieuse. Cette précision confirme que l’objet de la décision 4 Cf page 19 du rapport « Les aménagements prévus visent donc à augmenter le potentiel d’accueil de la chiroptérofaune en leur offrant des zones de chasse essentielles (prairies, mares) et des gîtes potentiels (arbres, nichoirs, haies). ».
5 Souligné par la Cour.
litigieuse n’est justement pas de détruire les biotopes et habitats protégés sur les parcelles du PAP (Rue) que les appelants déclarent vouloir défendre, ni plus loin la réalisation des travaux d’urbanisation liées au PAP (Rue) qu’ils semblent essentiellement vouloir empêcher.
Au contraire, il se dégage clairement des conditions de l’arrêté litigieux que la destruction de biotopes protégés sur les parcelles destinées à accueillir le PAP (Rue), tout comme leur urbanisation, ne pourront se faire qu’à un deuxième stade, sous réserve de la délivrance respectivement des autorisations ministérielles et communales afférentes, qui sont d’ailleurs susceptibles de faire l’objet d’un recours à part dans les hypothèses où elles feraient grief aux appelants.
La Cour ne saurait pas non plus accueillir l’argument des appelants selon lequel un intérêt à agir leur devrait être reconnu du seul fait qu’une illégalité éventuelle affecterait la décision litigieuse, voire du seul fait qu’à défaut d’autre administré faisant valoir un intérêt à agir, la décision litigieuse ne serait pas soumise à un contrôle juridictionnel.
En effet et tel que cela a été retenu ci-avant, il est de jurisprudence constante que la justification d’un intérêt à agir par rapport à une décision administrative, qui bénéficie de la présomption de légalité, est une condition sine qua non de la recevabilité du recours, ce qui présuppose dès lors que le recourant établisse que la décision affecte négativement sa situation, circonstance que la sanction de la décision est susceptible de réparer.
Ce n’est qu’à condition que l’intérêt à agir se trouve vérifié qu’entrent en ligne de compte les causes d’illégalité que l’administré entend faire valoir, celles-ci n’étant toutefois pas per se de nature à justifier son intérêt à agir, lequel est apprécié indépendamment du bien-fondé des moyens au fond présentés à l’appui du recours.
Dès lors et contrairement à ce qui est soutenu par les appelants, l’intérêt à agir ne peut pas découler de la simple affirmation que la décision serait affectée d’une illégalité.
En tout état de cause, cette conclusion n'est pas incompatible avec le droit d’accès à la justice dans la mesure où l’accès à un juge ne signifie pas qu’une décision administrative doit pouvoir être attaquée indépendamment de tout intérêt à agir.
Enfin, la Cour souligne que l’annulation de la décision litigieuse telle que sollicitée par les appelants n’aura pas non plus pour effet d’empêcher la réalisation du PAP (Rue), tel que cela semble être le but poursuivi par eux, à côté de leur affirmation de vouloir protéger les chiroptères et les arbres et arbustes présents sur les parcelles voisines.
En effet, l’annulation de la décision litigieuse ne rendrait pas inconstructibles ces parcelles, qui sont classées en zone HAB-1, de sorte à être a priori susceptibles d’accueillir des constructions.
S’y ajoute, tel que relevé ci-avant, que la décision litigieuse ne confère pas l’autorisation de détruire les biotopes sur les parcelles destinées à accueillir le PAP (Rue).
S’agissant du débat mené par les appelants au sujet de l’emplacement des mesures d’atténuation, la Cour confirme, par adoption des motifs, l’analyse des premiers juges selon laquelle il s’agit là d’un moyen ayant trait au fond du litige.
La Cour rejoint dès lors les premiers juges en leur conclusion que les appelants n’expliquent pas de manière convaincante en quoi les mesures autorisées à travers la décision ministérielle querellée, à ne pas confondre avec les mesures d’urbanisation de l’assiette voisine du PAP (Rue) et constituant d’abord des mesures en faveur des espèces qu’ils déclarent vouloir protéger, sur une surface éloignée dont, de plus, ils ne sont pas les voisins directs, sont concrètement susceptibles d’impacter d’une quelconque manière négativement leur qualité de vie, de sorte qu’ils ne peuvent pas se prévaloir d’un intérêt à agir personnel et direct de ce chef.
Eu égard à l’issue du litige, la demande en paiement d’une indemnité de procédure de l’ordre de 5.000 euros pour chaque instance telle que formulée par les parties appelantes est à rejeter.
La demande en paiement d’une indemnité de procédure de 1.500 euros à charge de chacun des appelants, telle que formulée par la société (EE), est encore à rejeter dans la mesure où il n’est pas justifié à suffisance en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais non compris dans les dépens.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l'égard de toutes les parties ;
reçoit l’appel du 12 mars 2024 en la forme ;
au fond, le déclare non justifié ;
partant en déboute les appelants ;
confirme le jugement du 31 janvier 2024 ;
déboute les parties appelantes et la société à responsabilité limitée (EE) de leurs demandes en allocation d’indemnités de procédure respectives ;
condamne les appelants aux frais et dépens de la présente instance d’appel.
Ainsi délibéré et jugé par :
Francis DELAPORTE, président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.
s. SCHINTGEN s. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juillet 2024 Le greffier de la Cour administrative 13