GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50205C ECLI:LU:CADM:2024:50205 Inscrit le 15 mars 2024 Audience publique du 11 juillet 2024 Appel formé par Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 6 février 2024 (no 48758 du rôle) ayant statué sur son recours contre une décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse en matière de reconnaissance de diplômes Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 50205C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 15 mars 2024 par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), demeurant à L-…, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 6 février 2024 (no 48758 du rôle) l’ayant déboutée de son recours tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse du 23 janvier 2023, prise sur recours gracieux, refusant la reconnaissance d’équivalence de son diplôme de « Baccalauréat – Attestation de fin d’études secondaires (complètes) », délivré le 22 juin 2002 par l’« Ecole Secondaire Générale n° … » de la ville de … en Russie, au diplôme de fin d’études secondaires luxembourgeois ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 15 avril 2024 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 15 mai 2024 par Maître Jean-Marie BAULER au nom de l’appelante ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 11 juin 2024 ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris ;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jonathan HOLLER, en remplacement de Maître Jean-Marie BAULER, et Madame le délégué du gouvernement Aurore GIGOT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 juin 2024.
1Du 1er septembre 1991 au 16 juin 2000, Madame (A) fut inscrite au sein de l’établissement municipal d’enseignement général « Ecole Secondaire Générale n° … » de la ville de … en Russie.
Le 16 juin 2000, Madame (A) obtint le « brevet de fin d’études secondaires » dudit établissement.
Il ressort des affirmations des parties qu’elle fut inscrite de 2000 à 2002 au sein de l’établissement municipal d’enseignement général « Ecole Secondaire Générale n° … » de la ville de … en Russie.
Le 22 juin 2002, elle obtint le « Baccalauréat – Attestation de fin d’études secondaires (complètes) » dudit établissement.
De 2002 à 2003, Madame (A) poursuivit ses études au sein de l’établissement « Lycée technique électromécanique » de la ville de … en Russie.
En 2007, elle reprit ses études au sein de l’établissement « Collège d’enseignement médical de base de … » en Russie et obtint le « Diplôme de fin d’études secondaires professionnelles », avec la qualification de « Prothésiste dentaire » en spécialité de « Stomatologie orthopédique » en date du 28 juin 2010.
Le 21 mai 2019, le ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, ci-après désigné par « le ministre », attesta que le « Diplôme de fin d’études secondaires professionnelles, Prothésiste dentaire en spécialité de Stomatologie orthopédique » décerné à Madame (A) par le « Collège d’enseignement médical de base de … » est assimilable au diplôme d’aptitude professionnelle (DAP) luxembourgeois, prothésiste-dentaire, correspondant au niveau 3 d’études et de formation du cadre luxembourgeois des qualifications.
Le 10 février 2022, Madame (A) adressa au ministre une demande de reconnaissance de son diplôme de fin d’études secondaires russe.
Par courrier du 7 avril 2022, le Service de la reconnaissance des diplômes du ministère de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse accusa réception de cette demande et sollicita des pièces complémentaires, à savoir une copie des diplômes ou certificats ou encore, le cas échéant, des bulletins des deux dernières années scolaires de l’intéressée, tout en indiquant qu’une copie du diplôme universitaire de celle-ci ferait défaut.
Suite à un rappel du ministère du 27 juin 2022, Madame (A) répondit, par courrier du 5 juillet 2022, qu’elle ne possède aucun diplôme universitaire et réitéra sa demande de reconnaissance de son diplôme de fin d’études secondaires.
Le 19 septembre 2022, le ministre retint que le niveau d’études de l’intéressée était assimilable à la réussite d'une classe de 4e de l'enseignement secondaire classique luxembourgeois.
Cette décision est libellée comme suit:
2« (…) Vu la loi modifiée du 10 mai 1968 portant réforme de l'enseignement secondaire classique ;
Vu la loi modifiée du 19 décembre 2008 portant réforme de la formation professionnelle et portant modification de la loi modifiée du 4 septembre 1990 portant réforme de l'enseignement secondaire général ;
Vu la loi modifiée du 25 juin 2004 portant organisation des lycées ;
Vu le règlement grand-ducal modifié du 14 juillet 2005 déterminant l'évaluation et la promotion des élèves de l'enseignement secondaire général et de l'enseignement secondaire classique ;
Vu les résultats scolaires obtenus en Fédération de Russie (Baccalauréat - Attestation de fin d'études secondaires complètes - année scolaire 2002) ;
Il est certifié que :
Art. 1er. Le niveau d'études présenté par Madame (A), née le … à … (Fédération de Russie), est assimilable à la réussite d'une classe de 4e de l'enseignement secondaire classique luxembourgeois. (…) ».
Contre cette décision, Madame (A) introduisit le 10 octobre 2022 un recours gracieux, qui fut rejeté par une décision du ministre du 23 janvier 2023, libellée comme suit :
« (…) Je fais suite à votre recours gracieux, daté du 10 octobre 2022, introduit contre la décision de refus, datée du 19 septembre 2022, de reconnaissance d'équivalence de vos résultats scolaires obtenus en Fédération de Russie (Baccalauréat — attestation de fin d'études secondaires complètes) délivrés en date du 22 juin 2002 par l'établissement municipal d'enseignement général par rapport au diplôme de fin d'études secondaires luxembourgeois.
Je suis au regret de vous informer que je ne peux que confirmer ma décision du 19 septembre 2022 et donc ne pas y réserver une suite favorable.
En effet, les pays européens, dans une approche commune, s'alignent sur le fait qu'il faut avoir accompli au moins 12 années de scolarité consécutives pour pouvoir accéder à des études supérieures. Le Luxembourg suit cette logique en exigeant l'accomplissement d'au moins 12 années scolaires pour pouvoir avoir accès aux études supérieures.
Or, en analysant les pièces à l'appui de votre demande de reconnaissance d'équivalence, force est de constater que votre diplôme de fin d'études secondaires générales complètes russe vous a été délivré après l'accomplissement de 10 années de scolarité, ce qui démontre clairement une différence substantielle dans la durée de scolarité minimale à accomplir, afin d'accéder aux études supérieures dans les pays respectifs.
La Convention sur la reconnaissance des qualifications relatives à l'enseignement supérieur dans la région européenne du 11 avril 1997, signée par la Fédération de Russie, dispose, en son article VI.1, que « Chaque partie reconnaît, aux fins de l'accès aux programmes relevant de son système d'enseignement supérieur, les qualifications délivrées par les autres Parties et qui satisfont, dans ces Parties, aux conditions générales d'accès à l'enseignement 3supérieur, à moins que l'on ne puisse démontrer qu'il existe une différence substantielle entre les conditions générales d'accès dans la Partie dans laquelle la qualification a été obtenue et dans la Partie dans laquelle la reconnaissance de la qualification est demandée. … ».
Étant donné que votre diplôme ne couvre qu'une scolarité de 10 années, vous ne remplissez pas les conditions requises pour pouvoir prétendre à une reconnaissance d'équivalence de votre diplôme au diplôme de fin d'études secondaires luxembourgeois. Dès lors, vous n'avez pas accès à l'enseignement supérieur au Luxembourg.
Pour vous permettre de combler les différences entre votre formation et celle nécessaire au Luxembourg pour obtenir un droit d'accès à l'enseignement supérieur, je ne peux que vous conseiller de contacter le Service de la Formation des Adultes (SFA), auprès de la Maison de l'Orientation au Luxembourg, afin de vous renseigner à ce sujet et de convenir d'un rendez-vous. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 mars 2023, Madame (A) fit introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 23 janvier 2023 portant refus de reconnaissance de son diplôme de fin d’études secondaires russe comme étant équivalent au diplôme de fin d’études secondaires luxembourgeois.
Par jugement du 6 février 2024, le tribunal se déclara incompétent pour connaître du recours principal en réformation, déclara le recours subsidiaire en annulation recevable mais non fondé et en débouta la demanderesse, tout en rejetant sa demande en communication du dossier administratif, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure et sa demande basée sur l’article 35 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives et la condamna aux frais de l’instance.
Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 15 mars 2024, Madame (A) a régulièrement relevé appel de ce jugement.
En premier lieu, l’appelante réitère son moyen tiré d’une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ». Elle reproche au ministre de n’avoir indiqué ni les éléments pris en compte pour conclure qu’elle n’aurait accompli que dix années de scolarité, ni les vérifications faites et les conditions applicables dans le cadre de l’analyse de l’équivalence des diplômes. Elle estime que les éléments fournis par la partie étatique au cours de la procédure contentieuse n’apporteraient pas davantage d’éclaircissements. Ce ne serait que dans le cadre du mémoire en duplique que le délégué du gouvernement aurait indiqué les calculs, auxquels la partie étatique avait procédé, mais il aurait également évoqué une base légale supplémentaire, à savoir l’article III.2 de la Convention sur la reconnaissance des qualifications relatives à l’enseignement supérieur dans la région européenne, faite à Lisbonne le 11 avril 1997, ci-après désignée par « la Convention de Lisbonne », de sorte que cette réponse tardive aurait méconnu ses droits de la défense. En outre, elle souligne que le ministre se serait trompé dans l’indication de la base légale, alors que dans la décision litigieuse, il se serait référé à l’article VI.1 de la Convention de Lisbonne, mais aurait en fait cité les termes de l’article IV.1 de ladite convention. Elle reproche à cet égard aux premiers juges d’avoir retenu que cette erreur ne portait pas à conséquence si l’administré avait su se défendre utilement.
4En deuxième lieu, elle invoque une violation de l’article IV.1 de la Convention de Lisbonne en reprochant au ministre d’avoir limité son analyse des différences substantielles entre les diplômes visés à la durée de la scolarité poursuivie.
A cet égard, elle se prévaut du Rapport explicatif de la Convention de Lisbonne, ci-après désigné par « le Rapport explicatif », selon lequel les Etats parties, lors de l’examen des différences substantielles entre les deux qualifications concernées, devraient considérer la valeur des qualifications plutôt que d’avoir recours à une comparaison automatique de la durée des études requises, tout en précisant que le ministre aurait disposé de toutes les informations nécessaires pour étudier la valeur de ses qualifications, alors qu’elle aurait joint ses bulletins à sa demande. Elle soutient que les premiers juges auraient fait une mauvaise application de l’article IV.1 de ladite convention, dès lors qu’ils n’auraient pas vérifié si le ministre avait analysé si la prétendue différence de durée de scolarité avait substantiellement influé sur le contenu du programme d’enseignement.
A titre subsidiaire, elle soutient que ce serait à tort que les premiers juges ont retenu qu’elle ne pourrait pas se prévaloir de son « diplôme de fin d’études secondaires professionnelles, Prothésiste dentaire en spécialité de Stomatologie orthopédique » pour conclure à l’équivalence de celui-ci au diplôme de fin d’études secondaires luxembourgeois.
Elle estime au contraire que les années poursuivies dans le cadre de ces études devraient se cumuler avec celles poursuivies les années précédentes.
De même, elle critique les premiers juges pour avoir retenu que dès lors que la première année scolaire primaire ne serait que facultative, celle-ci ne pourrait pas compter. Elle estime cependant que le fait qu’elle a été scolarisée en 1991, l’année marquant la fin de l’Union soviétique, ne peut pas jouer en sa défaveur. Au moment de sa scolarisation en 1991, les parents auraient pu choisir si leur enfant effectuait trois ou quatre ans de scolarité au niveau primaire.
Avant sa scolarisation, le nombre d’années dans le primaire aurait été de quatre ans et ses parents auraient décidé, avec le directeur de son école, de la scolariser à l’âge de 6 ans et donc de lui faire effectuer quatre années en primaire. Elle conclut qu’elle aurait fait au moins 11 années d’études pour l’obtention de son baccalauréat. Le fait que des enfants à l’époque auraient pu obtenir leur diplôme après seulement 10 ans ne pourrait pas lui enlever cette année supplémentaire.
L’appelante invoque ensuite une violation de l’article III.5 de la Convention de Lisbonne au motif que le ministre aurait pris sa décision, sachant qu’il ne disposait pas de toutes les pièces nécessaires pour prendre une décision en toute connaissance de cause. Or, au lieu de tenir le dossier en suspens jusqu’à la communication des pièces demandées ou de lui adresser un courrier de rappel, la décision de refus litigieuse aurait été prise, bien que le dossier n’eût pas été complet.
En troisième lieu, l’appelante conclut à l’annulation de la décision litigieuse pour violation de la loi, sinon pour excès de pouvoir, en faisant valoir que le ministre aurait omis de vérifier la valeur de ses qualifications et érigé l’équivalence de la durée des études en condition d’équivalence des diplômes en question, sinon pour violation du principe de proportionnalité, dans la mesure où le ministre aurait considéré qu’une différence de la durée de scolarité de deux ans constituerait, à elle seule, une « différence substantielle » entre son diplôme russe et le diplôme luxembourgeois, tout en soulignant qu’il y aurait tout au plus une différence d’une année de scolarité en l’espèce, de sorte que le ministre aurait commis une erreur matérielle d’appréciation.
5 Elle souligne encore que la Convention de Lisbonne aurait été non seulement conclue avec des pays européens, mais également avec des pays de l’Asie et de l’ancienne Union soviétique. Le ministre aurait partant fait une interprétation extensive et contraire à l’esprit de cette convention en considérant le système européen comme système de référence en la matière. Selon elle, il n’aurait jamais été dans l’esprit de la Convention de Lisbonne de refuser la reconnaissance de diplômes obtenus après 10 ou 11 années.
Le délégué du gouvernement conclut en substance à la confirmation du jugement entrepris. Il souligne que le système scolaire russe présenterait une différence substantielle avec le système scolaire luxembourgeois au niveau de la durée de l’enseignement secondaire, à savoir une différence de deux années. En effet, au moment de la scolarisation de l’appelante, l’enseignement primaire n’aurait consisté qu’en trois années d’études et non pas quatre comme indiqué par celle-ci, alors que ce ne serait qu’en 2015 que le nombre d’années de l’enseignement primaire aurait été augmenté de trois à quatre. Il s’ensuivrait qu’au moment où l’appelante aurait obtenu son diplôme de fin d’études secondaires russe, le système scolaire de son pays aurait été basé sur une durée de scolarité de dix ans pour accéder à un diplôme de fin d’études secondaires. Cette différence de deux années constituerait bien une différence substantielle entre les deux systèmes scolaires, sans que cette décision ne puisse être considérée comme arbitraire ou automatique, alors que le Rapport explicatif lui-même indiquerait comme différence substantielle notamment « une différence de durée de la formation influant substantiellement sur le contenu du programme d’enseignement ». Il estime dès lors que cette différence de deux années constituerait en soi déjà une différence substantielle, sans qu’il soit nécessaire d’analyser le contenu du programme d’enseignement russe, tout en précisant que l’appelante resterait en défaut de démontrer que le contenu du programme d’enseignement russe serait comparable au programme luxembourgeois.
Quant au moyen tiré d’une violation de l’article III.5 de la Convention de Lisbonne, le délégué du gouvernement souligne qu’il incomberait en premier lieu au demandeur qui sollicite la reconnaissance de son diplôme de fournir aux autorités compétentes les informations nécessaires à l’examen de sa demande. Il précise que le service compétent du ministère aurait, par deux courriers des 7 avril et 27 juin 2022, vainement sollicité les documents nécessaires, de sorte qu’aucun reproche ne saurait être fait au ministre d’avoir pris sa décision sans disposer des documents sollicités.
S’agissant du moyen tiré d’une violation du principe de proportionnalité, le délégué du gouvernement fait valoir que le calcul du nombre d’années de scolarité serait un critère décisif en la matière et que l’approche commune des pays européens sur l’accomplissement d’au moins 12 années de scolarité consécutives serait justifiée et permettrait de caractériser une différence substantielle entre le système scolaire luxembourgeois et le système scolaire russe.
La différence de la durée de la scolarité de deux années n’aurait pas été choisie arbitrairement par le Luxembourg, mais s’inscrirait dans une approche européenne commune dans le but duquel la Convention de Lisbonne aurait été adoptée, de sorte que le principe de proportionnalité serait respecté. D’ailleurs le Rapport explicatif prévoirait des cas concrets de ce qui pouvait être qualifié de différence substantielle, dont « une différence de durée de la formation influant substantiellement sur le contenu du programme d’enseignement ».
Dans son mémoire en réplique, l’appelante insiste encore sur ce que l’Etat partie qui refuse la reconnaissance d’un diplôme étranger devrait non seulement prouver qu’il existe une différence dans la durée de formation, mais encore que cette différence soit susceptible 6d’influer substantiellement sur le contenu du programme d’enseignement. Elle considère partant, contrairement à la partie étatique, que la seule différence de durée de la formation ne saurait être qualifiée de différence substantielle. Or, le ministre n’aurait pas contrôle le contenu du programme d’enseignement russe, voire la comparabilité des programmes d’enseignement luxembourgeois et russe, de sorte qu’il y aurait lieu de conclure qu’il aurait violé l’article IV.1 de la Convention de Lisbonne. Se référant à un tableau récapitulatif de ses études, elle estime avoir démontré qu’elle aurait poursuivi au moins 12 années d’études pour l’obtention d’un double baccalauréat, à savoir d’abord un baccalauréat général, puis un baccalauréat professionnel. Elle ajoute qu’au vu de la comparabilité des niveaux de formation russe et français, la France, par un décret du 3 février 2016, aurait reconnu que tous les diplômes liés à la réussite de l’enseignement secondaire russe bénéficieraient d’une reconnaissance de plein droit en France.
Elle conteste en outre que la charge de la preuve de la comparabilité du contenu du programme d’enseignement russe avec le programme luxembourgeois lui incomberait, en faisant valoir que selon la Convention de Lisbonne, la charge de la preuve incomberait à l’Etat partie. Par ailleurs, elle soutient, en renvoyant à ses pièces, que pour ce qui concerne les mathématiques et la physique, le contenu du baccalauréat russe serait similaire, sinon comparable au baccalauréat luxembourgeois.
S’agissant de la question de la communication des bulletins scolaires, elle réfute la version des faits sur ce point présentée par le délégué du gouvernement en précisant que son époux aurait eu le 27 juin 2022 un entretien téléphonique avec le fonctionnaire en charge du dossier qui aurait affirmé que le seul document manquant était une lettre, rédigée par elle, qui confirme qu’elle n’a pas fait d’études supérieures, ce qu’elle aurait fait par courrier du 5 juillet 2022. Le ministre aurait alors pris sa décision sans la recontacter au sujet des prétendues pièces manquantes.
Elle insiste encore sur ce que l’existence d’une prétendue approche commune des pays européens resterait à l’état de simple allégation, et serait même contredite par l’existence du décret français susvisé, et même si une telle approche européenne existait, elle serait contraire aux dispositions et à l’esprit même de la Convention de Lisbonne puisqu’elle imposerait le système des pays membres de l’Union européenne comme le système de référence en la matière.
L’appelante invoque ensuite encore un moyen nouveau tiré d’une violation du principe de collaboration administrative sur base de l’article 1er de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse et de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 au motif que le fonctionnaire du ministère aurait omis de lui indiquer quels documents manquaient exactement, alors qu’il aurait deux fois répété la même demande, en utilisant les mêmes termes, qu’elle aurait fourni tous les documents qui lui avaient été demandés par courrier et par téléphone et que le ministre aurait pris sa décision sur base d’un dossier incomplet au lieu de s’échanger davantage avec elle.
Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement fait encore valoir que l’appelante resterait en défaut de prouver que sa scolarité aurait dépassé les dix ans, le tableau qu’elle aurait rédigé ne constituant pas une preuve suffisante à cet égard. Il insiste en outre sur le fait qu’une différence de durée entre la moyenne européenne et le système russe de deux ans constituerait une différence substantielle au sens de la Convention de Lisbonne et que la charge 7de la preuve quant à la comparabilité du contenu du programme d’enseignement russe au programme luxembourgeois, incomberait à l’appelante.
En ce qui concerne tout d’abord le moyen de légalité externe tiré d’une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, c’est pour de justes motifs que la Cour fait siens que les premiers juges ont rejeté ce moyen comme non fondé. En effet, ce moyen procède de la considération erronée que la légalité d’une décision de refus serait conditionnée par l’indication d’une motivation exhaustive, alors que l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 impose uniquement une motivation sommaire. En outre, il a été jugé qu’une insuffisance dans l’indication des motifs n’est pas de nature à aboutir à l’annulation de l’acte si la motivation sur laquelle repose l’acte est précisée au plus tard au cours de la procédure contentieuse pour permettre à l’administré d’y prendre position et à la juridiction administrative d’exercer son contrôle, ce qui a été le cas en l’espèce.
Or, en l’espèce, les premiers juges ont à bon droit pu constater que la décision litigieuse énonce les considérations de fait et de droit qui la fondent, de sorte que le moyen tiré du défaut de motivation en la forme doit être écarté, indépendamment à ce stade du bien-fondé de ces motifs.
Cette conclusion n’est pas invalidée par le fait que le ministre ait mentionné un numéro d’article erroné de la Convention de Lisbonne, dès lors qu’il a toutefois cité les termes de l’article IV.1 qu’il visait en réalité, et sur lequel l’appelante s’est elle-même basée, dans ses écrits de première instance, de sorte qu’elle n’a pas pu se méprendre sur la vraie base légale de la décision de refus litigieuse.
L’appelante fait encore valoir, en termes de réplique, que le motif de refus fondé sur une approche commune européenne qui, selon elle serait inexistante, ne répondrait pas aux prescrits de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1978. Cet argument relève cependant du bien-fondé des motifs de la décision litigieuse qui ne peut être apprécié que dans le cadre d’une analyse au fond de ceux-ci.
Par ailleurs, si l’appelante conclut encore à une violation de ses droits de la défense en ce que le délégué du gouvernement aurait invoqué une nouvelle base légale à l’appui de la décision de refus litigieuse dans son mémoire en duplique déposé en première instance, il convient de relever que l’article III.2 de la Convention de Lisbonne ainsi visé, qui prévoit que « Chaque partie veille à ce que les procédures et critères utilisés dans l’évaluation et la reconnaissance des qualifications soient transparents, cohérents et fiables », ne constitue pas une nouvelle base légale de la décision litigieuse, mais a été cité par le délégué du gouvernement à l’appui de son affirmation que la procédure se serait déroulée en l’espèce en toute transparence.
Il s’ensuit que le moyen tiré d’une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, s’analysant en un défaut d’indication de motifs, est à rejeter comme non fondé.
En ce qui concerne le moyen tiré d’une violation du principe général de collaboration fondé sur l’article 1er de la loi précitée du 1er décembre 1978 et l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1978, il convient de rappeler que la loi du 1er décembre 1978 et notamment son article 1er, bien qu’il pose le principe du respect des droits de la défense et de la participation active de l’administré à la prise de la décision administrative, ne constitue que 8la base habilitante du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 et n’a dès lors pas vocation à s’appliquer directement.
Quant à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement conclut à la non-applicabilité en l’espèce dudit article 9 qui dispose comme suit :
« Sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir.
Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d’au moins huit jours doit être accordé à la partie concernée pour présenter ses observations.
Lorsque la partie concernée le demande endéans le délai imparti, elle doit être entendue en personne. (…) ».
En effet, la Cour se doit de relever que la décision litigieuse ne constitue ni une décision de révocation ou de modification d’office pour l’avenir d’une décision antérieure ayant créé ou reconnu des droits à une partie visée par ledit article 9, ni encore une décision prise en dehors d’une initiative de la partie concernée, étant donné que la décision litigieuse a été justement prise à l’initiative de l’appelante.
Il s’ensuit que le moyen tiré d’une violation de l’article 9 précité est à rejeter comme non fondé.
Cela dit, la Cour constate que l’appelante critique en substance la partie étatique d’avoir pris sa décision, sans que le dossier de demande n’eût été complet. Or, il se dégage des éléments du dossier, et notamment des courriers de l’agent du service compétent du ministère des 7 avril et 27 juin 2022, que ce dernier sollicitait des pièces de la part de l’appelante, et notamment les bulletins scolaires des deux dernières années, que l’appelante a omis de fournir. Si l’appelante affirme que lors d’un entretien téléphonique du 27 juin 2022 entre son mari et l’agent du service compétent, ce dernier aurait uniquement réclamé une lettre de sa part confirmant qu’elle ne possédait pas de diplôme universitaire, cette affirmation non autrement étayée, ne suffit pas à démontrer que le ministère aurait renoncé à obtenir les bulletins scolaires en question. Aucun reproche ne saurait dès lors être retenu dans le chef du ministre concernant un prétendu défaut de collaboration procédurale, ce d’autant plus que l’appelante a elle-même réclamé par son courrier du 5 juillet 2022 la prise d’une décision. Ce moyen laisse partant d’être fondé.
Quant au fond, la Cour est amenée à relever que la demande de reconnaissance de l’appelante a été principalement refusée au motif qu’elle ne pouvait faire valoir qu’une scolarité de 10 ans, au motif que selon une approche commune des pays européens, une scolarité d’au moins 12 ans consécutifs serait exigée, la différence de deux années constituant ainsi aux yeux de l’autorité ministérielle une différence substantielle au sens de l’article IV.1 de la Convention de Lisbonne.
Or, la Cour se doit de relever que si la partie étatique se prévaut d’une prétendue approche commune européenne selon laquelle une scolarité d’au moins 12 années consécutives 9serait requise, elle ne précise toutefois pas sur quelle base légale repose cette prétendue approche commune.
Par ailleurs, cette approche commune semble être remise en cause par l’existence d’une multitude d’accords bilatéraux et multilatéraux sur la reconnaissance des qualifications des Etats parties, à qui la convention de Lisbonne laisse la possibilité de conclure pareils accords, possibilité qui apparaît avoir été largement utilisée par les Etats parties, et notamment par la France qui a conclu en 2015 un accord bilatéral avec la Fédération de Russie prévoyant la reconnaissance automatique du baccalauréat russe général ou professionnel.
Quant à la durée de la scolarité de l’appelante, la partie étatique ayant conclu à une durée de 10 ans, tandis que l’appelante revendique une durée d’au moins 11 ans, la Cour ne partage cependant pas le raisonnement de la partie étatique, confirmé par les premiers juges, ayant abouti à faire abstraction de la première année scolaire primaire accomplie par l’appelante. Que cette première année scolaire primaire ait été facultative ou obligatoire à l’époque de la scolarisation de l’appelante, il est un fait que l’appelante a été scolarisée à l’âge de 6 ans, ce qui porte sa scolarité dans l’enseignement primaire à 4 ans, et qu’elle a accompli cette première année d’enseignement primaire, de sorte que cette dernière est à prendre en considération dans le calcul de la durée de la période de scolarité. De la sorte, il convient de retenir une durée de scolarité de 11 ans et non pas de 10 ans, telle que retenue par l’autorité ministérielle.
La Cour arrive ainsi à la conclusion que la soi-disant différence substantielle dans la durée de scolarité minimale à accomplir se trouve ainsi réduite à un an.
Aux termes de l’article IV.1 de la Convention de Lisbonne : « Chaque Partie reconnaît, aux fins de l’accès aux programmes relevant de son système d’enseignement supérieur, les qualifications délivrées par les autres Parties et qui satisfont, dans ces Parties, aux conditions générales d’accès à l’enseignement supérieur, à moins que l’on ne puisse démontrer qu’il existe une différence substantielle entre les conditions générales d’accès dans la Partie dans laquelle la qualification a été obtenue et dans la Partie dans laquelle la reconnaissance de la qualification est demandée. ».
D’après l’article IV.1 du Rapport explicatif, une « différence substantielle » au sens de l’article IV.1 précité de la Convention de Lisbonne peut consister notamment dans une « différence de durée de la formation influant substantiellement sur le contenu du programme d'enseignement ».
Dans la mesure où la différence dans la durée de formation constatée est ainsi réduite à une année, tel que la Cour vient de le retenir ci-dessus, de sorte qu’elle ne saurait guère être qualifiée de substantielle, et où la partie étatique reste en défaut de préciser dans quelle mesure cette différence dans la durée de formation aurait influé substantiellement sur le contenu du programme d’enseignement suivi par l’appelante, la Cour arrive à la conclusion que la décision de refus litigieuse est à annuler pour défaut de motivation suffisante équivalant à une erreur d’appréciation.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation de la partie étatique selon laquelle la charge de la preuve quant à la comparabilité du contenu du programme d’enseignement incomberait à l’appelante. S’il est vrai que selon l’article III.3, points 1 et 2, de la Convention de Lisbonne, la responsabilité de fournir des informations nécessaires 10relatives aux qualifications dont la reconnaissance est demandée incombe, en première instance, au demandeur, il n’en demeure pas moins que selon le point 5 du même article, il appartient à l’organisme qui entreprend l’évaluation de démontrer qu’une demande ne remplit pas les conditions requises, ce que la partie étatique a justement omis de faire à suffisance de droit en l’espèce.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel est fondé et que par réformation du jugement entrepris, la décision de refus du ministre du 23 janvier 2023 encourt l’annulation avec renvoi de l’affaire devant le ministre en prosécution de cause.
L’appelante sollicite l’allocation d’une indemnité de procédure de 1.250 euros pour chacune des deux instances.
Nonobstant l’issue du litige, il y a lieu de rejeter comme non justifiées ces demandes, étant donné qu’il n’appert point de l’ensemble des éléments en cause en quoi il serait inéquitable de laisser à charge de l’appelante les frais irrépétibles.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;
reçoit l’appel en la forme ;
au fond, le dit également justifié ;
partant, par réformation du jugement dont appel, annule la décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse du 23 janvier 2023, prise sur recours gracieux, refusant à l’appelante la reconnaissance d’équivalence de son diplôme de « Baccalauréat – Attestation de fin d’études secondaires (complètes) », lui décerné le 22 juin 2002 par l’« Ecole Secondaire Générale n° … » de la ville de … en Russie, au diplôme de fin d’études secondaires luxembourgeois;
renvoie l’affaire au ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse en prosécution de cause ;
rejette les demandes de l’appelante en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne l’Etat aux dépens des deux instances.
Ainsi délibéré et jugé par :
Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, 11et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.
s. SCHINTGEN s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juillet 2024 Le greffier de la Cour administrative 12