GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 50339C du rôle ECLI:LU:CADM:2024:50339 Inscrit le 18 avril 2024 Audience publique du 11 juillet 2024 Appel formé par Monsieur (A) et consorts, …, contre un jugement du tribunal administratif du 18 mars 2024 (n° 49050a du rôle) en matière de protection internationale Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 50339C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 18 avril 2024 par Maître Noémie SADLER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Soudan), et être de nationalité soudanaise, et de son épouse, Madame (B), déclarant être née le … à … et être de nationalité soudanaise, agissant au nom et pour le compte de leur enfant mineur, (C), né le … à …, demeurant tous ensemble à L-…, dirigée contre le jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 18 mars 2024 (no 49050a du rôle) par lequel ledit tribunal a rejeté le recours en réformation introduit contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 1er juin 2023 portant rejet de la demande de protection internationale introduite par l’enfant (C) ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 17 mai 2024 par le délégué du gouvernement pour compte de l’Etat ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Catherine WARIN, en remplacement de Maître Noémie SADLER et Monsieur le délégué du gouvernement Vyacheslav PEREDERIY en leurs plaidoiries respectives à l'audience publique du 11 juin 2024 ;
Vu la rupture du délibéré suivant avis du 13 juin 2024 ;
Le rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Noémie SADLER et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l'audience publique du 20 juin 2024.
Le 1er juin 2021, Monsieur (A), connu sous différents alias, et son épouse, Madame (B), connue également sous différents alias, ci-après « les époux (A-B) », accompagnés de leurs enfants mineurs (D) et (E), introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « loi du 18 décembre 2015 ».
Par décision du 14 juillet 2021, notifiée aux intéressés en mains propres le surlendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », déclara irrecevable la demande de protection internationale des époux (A-B) en application de l’article 28, paragraphe (2), point a), de la loi du 18 décembre 2015, au motif qu’une protection internationale leur avait été accordée par les autorités italiennes en date du 18 juin 2021.
Le recours introduit le 22 juillet 2021 à l’encontre de cette décision fut déclaré non fondé par jugement du tribunal administratif du 18 août 2021, inscrit sous le numéro 46280 du rôle.
En date du 22 avril 2022, Madame (B) donna naissance à son fils (C).
Le 14 juillet 2022, les époux (A-B) introduisirent une demande de protection internationale au nom de leur enfant mineur (C).
Le 17 août 2022, ils se présentèrent au ministère afin d’expliquer les raisons pour lesquelles ils avaient introduit une demande de protection internationale au nom de leur fils mineur.
Le 3 avril 2023, les époux (A-B) furent entendus séparément sur les motifs à la base de la demande de protection internationale de leur fils mineur.
Par décision du 1er juin 2023, notifiée aux intéressés par lettre recommandée expédiée le lendemain, le ministre refusa de faire droit à la demande de protection internationale de l’enfant (C) en statuant dans le cadre d’une procédure accélérée.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 16 juin 2023, inscrite sous le numéro 49050 du rôle, les époux (A-B) introduisirent au nom et pour le compte de leur fils mineur (C) un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 1er juin 2023 d’opter pour la procédure accélérée, de celle ayant refusé de faire droit à la demande de protection internationale et de celle lui ayant ordonné de quitter le territoire.
Par un jugement du 10 juillet 2023, inscrit sous le numéro 49050 du rôle, et en application de l’article 35, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, le premier juge siégeant en remplacement du vice-président présidant la première chambre du tribunal administratif jugea que le recours n’était pas manifestement infondé et renvoya l’affaire en chambre collégiale du tribunal administratif.
Par un jugement du 18 mars 2024, inscrit sous le numéro 49050a du rôle, la formation collégiale du tribunal administratif vida ledit jugement du 10 juillet 2023 et déclara non justifié le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 1er juin 2023 portant refus d’une protection internationale dans le chef de l’enfant (C) et débouta celui-ci de sa demande de protection internationale, déclara justifié le recours en réformation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte et l’annula dans le cadre de la réformation.
Par une requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 18 avril 2024, Monsieur (A) et Madame (B), déclarant agir au nom et pour compte de leur fils mineur (C), ont interjeté appel contre ce jugement du 18 mars 2024.
Dans sa réponse, l’Etat a interjeté appel incident contre le volet du jugement ayant annulé l’ordre de quitter le territoire.
Par son avis du 13 juin 2024, la Cour a prononcé la rupture du délibéré afin de permettre aux parties de prendre position, de façon orale à l’audience des plaidoiries, sur la question de la recevabilité de l’appel au regard du fait que l’original de la requête d’appel, numérotée des pages 1 à 12, ne comporte pas de page 11 et plus particulièrement ne comporte pas de dispositif, tandis que les copies de la requête d’appel telles que déposées ne comportent pas les pages 2, 4, 6, 8, 9 et 11.
Le litismandataire des appelants a déposé au greffe un exemplaire de la requête d’appel, comportant la page 11 et a fait valoir que l’omission constatée au niveau du dépôt de la requête d’appel ne porterait pas à conséquence dans la mesure où il n’y aurait pas eu atteinte aux droits de la défense et où les prétentions ressortiraient également de la motivation de la requête.
L’Etat pour sa part a expliqué avoir reçu de façon informelle une copie de la page 11 de la requête d’appel et avoir ainsi pu rédiger le mémoire en réponse sans lésion de ses droits de la défense.
Aux termes de l’article 39, paragraphe (1), de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après « la loi du 21 juin 1999 » : « L’appel est interjeté par une requête déposée au greffe de la Cour administrative, dénommée ci-après « Cour », en original et quatre copies et signifiée aux parties ayant figuré en première instance ou y ayant été dûment appelées. ».
Aux termes de l’article 41, paragraphe (1), de la loi du 21 juin 1999 :
« La requête qui porte date, contient:
– les noms, prénoms et domicile de l’appelant, – l’indication du jugement contre lequel appel est interjeté, – l’exposé sommaire des faits et des moyens invoqués, – les prétentions de l’appelant et – le relevé des pièces dont il entend se servir. ».
Cette disposition requiert dès lors, entre autres, l’indication des prétentions de la partie appelante dans la requête d’appel, qui doit être déposée en original et quatre copies.
Selon la jurisprudence des juridictions administratives, les prétentions de l’appelant au sens de l’article 41 de la loi du 21 juin 1999, tout comme l’objet de la demande telle que véhiculée à travers la requête introductive d’instance conformément à l’article 1er de la même loi, sont en principe à indiquer au dispositif de la requête introductive d’instance1, qui a pour objet de les préciser et de les cadrer de façon claire. Le résultat que le plaideur entend obtenir est partant celui circonscrit dans le dispositif de la requête introductive d'instance. L’importance du dispositif a également été consacrée par rapport aux mémoires en ce qu’il a été retenu que foi doit être donnée au dispositif d’un mémoire par rapport aux motifs le soutenant2.
Il est certes vrai que de façon exceptionnelle une imprécision au niveau de la formulation du dispositif, voire une contrariété entre le dispositif et la motivation de la requête introductive ou de la requête d’appel, ne portent pas à conséquence en termes de recevabilité du recours, respectivement de l’appel, en l’occurrence, lorsque des éléments précis se dégagent sans méprise possible du corps de la requête sous-tendant directement le dispositif et à condition qu’il n’y ait pas atteinte aux droits de la défense3.
La situation est toutefois différente en l’espèce. En effet, la Cour constate que la requête d’appel ne pêche pas par une imprécision de son dispositif, voire par des contradictions l’affectant, mais les appelants ont fait déposer une requête d’appel lacunaire et qui ne correspond pas à l’acte qu’ils ont entendu déposer, tel que cela se dégage des explications de leur litismandataire à l’audience des plaidoiries, qui a admis que la requête d’appel a été déposée sans la page 11, sur laquelle figure non seulement une partie de la motivation à l’appui de l’appel, mais surtout qui contient la quasi intégralité du dispositif dont les appelants ont entendu saisir la Cour, à l’exception de la demande de condamnation de l’Etat aux frais. S’y ajoute que la requête d’appel était accompagnée de quatre copies, 1 Cour adm. 18 décembre 2007, n° 23363C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 386 ;
Cour adm. 29 juillet 2020, n° 44224C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 1166.
2 Cour ad. 1er décembre 2016, n° 38334C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 903.
3 Cour adm. 18 décembre 2007, précité.
qui ne comportent toutefois que les pages paires de la requête d’appel et qui partant, outre de ne pas contenir non plus la page 11 de la requête, ne correspondent pas à l’original de la requête telle qu’elle a été déposée.
Dans ces conditions, la requête d’appel telle que déposée, à défaut de dispositif, ne contient pas les prétentions des appelants. La conséquence en est que la Cour n’a pas été valablement saisie, les appelants l’ayant mise dans l’impossibilité d’exercer son office à défaut d’avoir libellé leurs prétentions et la Cour ne pouvant pas suppléer à cette carence en cherchant à déterminer les prétentions des parties à travers la motivation de la requête.
Dans ces conditions, la Cour ne peut que déclarer l’appel irrecevable.
Les appelants ne sont pas admis à combler la requête d’appel lacunaire par le fait de verser ex post et en dehors du délai d’appel la page manquante, dans la mesure où c’est la requête d’appel telle que déposée, qui doit comporter toutes les mentions requises par la loi, qui saisit la Cour et qui est censée cadrer en l’occurrence les prétentions des parties.
Les appelants ne sont pas non plus admis à soutenir que leurs prétentions se dégageraient de façon claire de la motivation de la requête d’appel, voire qu’il n’y aurait pas eu atteinte aux droits de la défense. Si certes, tel que cela a été retenu ci-avant, la motivation de la requête d’appel peut, le cas échéant, compléter des légères imprécisions au niveau du libellé des prétentions figurant au dispositif, elle ne saurait toutefois combler une lacune aussi fondamentale que l’absence de dispositif. Pour les mêmes considérations, le fait que l’Etat plaide ne pas avoir été lésé dans ses droits de la défense n’est pas de nature à couvrir l’irrégularité constatée, qui ne saurait être couverte par l’article 29 de la loi du 21 juin 1999.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel est à déclarer irrecevable. L’appel incident formulé par l’Etat est à son tour à déclarer irrecevable puisqu’il se greffe sur l’appel principal.
Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l'égard de toutes les parties;
déclare irrecevable l’appel introduit le 18 avril 2024 par les consorts (A-B-C) ;
déclare irrecevable l’appel incident formulé par l’Etat ;
condamne les consorts (A-B-C) aux frais de l’instance d’appel ;
Ainsi délibéré et jugé par :
Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le premier conseiller en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Jean-Nicoals SCHINTGEN.
s. SCHINTGEN s. SPIELMANN Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juillet 2024 Le greffier de la Cour administrative 6