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14/08/2024 | LUXEMBOURG | N°50272C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 14 août 2024, 50272C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50272C ECLI:LU:CADM:2024:50272 Inscrit le 29 mars 2024

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Audience publique du 14 août 2024 Appel formé par Monsieur (A) et consorts, …, contre un jugement du tribunal administratif du 19 mars 2024 (n° 47236 du rôle) dans un litige les opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de regroupement familial

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Vu l’acte d’appe...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 50272C ECLI:LU:CADM:2024:50272 Inscrit le 29 mars 2024

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Audience publique du 14 août 2024 Appel formé par Monsieur (A) et consorts, …, contre un jugement du tribunal administratif du 19 mars 2024 (n° 47236 du rôle) dans un litige les opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de regroupement familial

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 50272C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 29 mars 2024 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … à … (Afghanistan), de nationalité afghane, demeurant à L-…, agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour compte de ses frères et sœur mineurs, (B), né le … à …, district de … (Afghanistan), (C), né le … à …, district de … (Afghanistan) et (D), née le … à …, district de … (Afghanistan), tous les trois de nationalité afghane et demeurant en Afghanistan, ayant tous élu domicile en l’étude de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 19 mars 2024 (n° 47236 du rôle), par lequel ledit tribunal reçut en la forme leur recours tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 27 octobre 2021 rejetant la demande de regroupement familial dans le chef des frères et sœur de Monsieur (A), ainsi que d’une décision confirmative de refus du même ministre du 4 février 2022, intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 26 avril 2024 par Monsieur le délégué du gouvernement Vyacheslav PEREDERIY pour compte de l’Etat ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 20 juin 2024.

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En date du 29 décembre 2015, Monsieur (A), mineur à l’époque, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après la « loi du 18 décembre 2015 ».

Par ordonnance du 4 mars 2016, le juge des tutelles auprès du tribunal de la jeunesse et des tutelles près le Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg désigna un administrateur ad hoc dans le chef de Monsieur (A).

Par décision du 21 mars 2018, notifiée à l’intéressé en mains propres le 27 mars 2018, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après le « ministre », accorda à Monsieur (A) le statut conféré par la protection subsidiaire au sens de la loi du 18 décembre 2015.

En date du 21 septembre 2018, un titre de séjour, valable du 27 mars 2018 au 20 mars 2023, fut délivré à Monsieur (A) en vertu de son statut conféré par la protection subsidiaire.

Par courrier du 21 décembre 2018, Monsieur (A) fit introduire une première demande de regroupement familial au sens de l’article 69 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après la « loi du 29 août 2008 », dans le chef de sa belle-mère, Madame (E), et de ses frères et sœur (B), (C) et (D) et sollicita, à titre subsidiaire, la délivrance, dans leur chef, d’une autorisation de séjour pour motifs humanitaires sur base de l’article 78, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008.

Par décision du 9 janvier 2019, le ministre déclara la demande en obtention d’une autorisation de séjour pour motifs humanitaires irrecevable, tout en sollicitant des pièces supplémentaires concernant les personnes à regrouper.

Par courrier du 27 août 2021, réceptionné le 7 septembre 2021, Monsieur (A) introduisit une nouvelle demande de regroupement familial au sens de l’article 69 de la loi du 29 août 2008 dans le chef de ses frères et sœur (B), (C) et (D). A titre subsidiaire, il sollicita la délivrance, dans leur chef, d’une autorisation de séjour pour motifs humanitaires sur base de l’article 78, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, sinon d’une autorisation de séjour pour raisons privées sur base de l’article 70, paragraphe (1), point c), de ladite loi.

Par décision du 27 octobre 2021, le ministre refusa de faire droit à la demande de regroupement familial dans le chef d’(B), (C) et (D), déclara la demande en obtention d’une autorisation de séjour pour motifs humanitaires irrecevable et informa Monsieur (A) qu’il était disposé à considérer l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons privées conformément à l’article 78, paragraphes (1), point c), et (2), de la loi du 29 août 2008 à condition de lui faire parvenir divers documents. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) J'accuse bonne réception de votre courrier du 27 août 2021 par lequel vous introduisez, je cite « (…) j’introduis principalement une demande de regroupement familial en vertu de l'article 69 et 70 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et de l'immigration. Subsidiairement, je souhaite introduire une demande d'autorisation de séjour vie privée, pour des motifs humanitaires d'une exceptionnelle gravité basée sur l'article 78(3) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, et encore plus subsidiairement, une demande d'autorisation de séjour vie privée basée sur les liens familiaux en vertu de l'article 78 (1) (c) de la même loi (…) ».

1.

Demande de regroupement familial en faveur de vos frères et de votre sœur Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

En effet, le regroupement familial de la fratrie n'est pas prévu à l'article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.

Par ailleurs, les enfants (B), (C) et (D) ne remplissent aucune condition qui leur permettrait de bénéficier d'une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

Par conséquent, l'autorisation de séjour leur est refusée sur base des articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.

La présente décision est susceptible de faire l'objet d'un recours devant le Tribunal administratif. La requête doit être déposée par un avocat à la Cour dans un délai de 3 mois à partir de la notification de la présente décision.

2.

Demande d'autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d'une exceptionnelle gravité dans le chef de vos frères et de votre sœur Il y a lieu de soulever que le ressortissant d'un pays tiers doit se trouver en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois conformément à l'article 39, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration pour solliciter une autorisation de séjour sur base de l'article 78 (3).

Dans ce contexte, je me permets de citer une partie d'un arrêt de la Cour administrative du 25 juin 2015 (numéro 36058C du rôle) et une partie d'un jugement du 2 décembre 2015 (numéro 35581 du rôle) :

« Cette façon de procéder de la norme communautaire consiste à conférer aux Etats membres une option par rapport à laquelle ceux-ci ont conservé la possibilité d'en faire usage ou de ne pas en faire usage et, dans l'hypothèse où ils en font l'usage, de le faire avec une plus ou moins grande latitude, étant entendu que les raisons de la délivrance du titre de séjour à une personne, par hypothèse en séjour irrégulier, relèvent du spectre humanitaire au sens large. Dès lors, les Etats membres ont gardé la latitude de prendre en considération des motifs du spectre humanitaire au sens large avec plus ou moins d'amplitude et ont dès lors conservé la possibilité d'encadrer plus ou moins strictement la délivrance de pareil titre de séjour, s'agissant par hypothèse de personnes en séjour irrégulier, pourvu toutefois que la base humanitaire n'en fasse pas défaut ».

«En ce qui concerne le refus de qualifier les faits invoqués de motifs humanitaires d'une exceptionnelle gravité, force est au tribunal de rappeler que cette disposition est le fruit de la transposition de l'article 6 paragraphe 4 de la directive européenne 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, prévoyant la possibilité pour les Etats membres d'accorder un titre de séjour autonome pour des « motifs charitables, humanitaires ou autres » à un ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire. Le législateur luxembourgeois en prévoyant à ce titre une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d'une exceptionnelle gravité a limité ce pouvoir discrétionnaire aux cas d'espèces où les faits ou circonstances invoqués sont de nature à léser de manière gravissime des droits fondamentaux de l'Homme ».

La demande en obtention d'une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires d'une exceptionnelle gravité dans le chef des enfants (B), (C) et (D) et séjournant hors territoire luxembourgeois n'est en conséquence pas recevable.

La présente décision est susceptible de faire l'objet d'un recours devant le Tribunal administratif. La requête doit être déposée par un avocat à la Cour dans un délai de 3 mois à partir de la notification de la présente décision.

Néanmoins, je suis disposé à considérer l'octroi d'une autorisation de séjour pour raisons privées conformément à l'article 78, paragraphes (1) c) et (2) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration dans le chef des enfants (B), (C) et (D) à condition de me faire parvenir les documents suivants :

⎯ un engagement de prise en charge en bonne et due forme souscrit en faveur des enfants (B), (C) et (D) ainsi que les trois dernières fiches du garant ;

⎯ une preuve que vous disposez d'un logement approprié au Luxembourg ainsi que l'accord écrit du propriétaire, accompagné d'une pièce d'identité, à y loger trois personnes supplémentaires ;

⎯ la preuve que les enfants (B), (C) et (D) disposent d'une assurance maladie couvrant tous les risques sur le territoire luxembourgeois (assurance de voyage);

⎯ une copie de toutes les pages des passeports des enfants (B), (C) et (D);

⎯ L'original ou une copie certifiée conforme du jugement de droit de garde vous octroyant la garde des enfants (B), (C) et (D), authentifié par une autorité compétente et légalisé par l'ambassade représentant les intérêts luxembourgeois.

⎯ Par la suite, l'exequatur par le Tribunal d'arrondissement à Luxembourg/Diekirch du droit de garde précité, exequatur qui est à demander par un avocat à la Cour conformément à l'article 680 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Si les documents ne sont pas rédigés dans les langues allemande, française ou anglaise, une traduction certifiée conforme par un traducteur assermenté doit être jointe.

La décision à l'octroi éventuel d'une autorisation de séjour sera prise sur base de l'examen des documents produits, sans préjudice du fait que toutes les conditions en vue de l'obtention d'une autorisation de séjour doivent être remplies au moment de la décision. (…) ».

Par courriel du 27 janvier 2022, Monsieur (A) fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision précitée du 27 octobre 2021, lequel fut rejeté par le ministre le 4 février 2022 dans les termes suivants :

« (…) J'accuse bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu par courriel en date du 27 janvier 2022.

Je tiens à vous rappeler que le regroupement familial de la fratrie n'est pas prévu à l'article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration et contrairement à vos dires, la demande de regroupement familial dans le chef des enfants (B), (C) et (D) ne rentre pas dans les prévisions de l'article 78, paragraphe (1) c) de la loi citée. De même, la demande en obtention d'une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires d'une exceptionnelle gravité dans le chef des intéressés séjournant hors territoire luxembourgeois n'est pas recevable.

Par conséquent, je suis au regret de vous informer qu'à défaut d'éléments pertinents nouveaux, je ne peux que confirmer ma décision du 27 octobre 2021 dans son intégralité.

Par ailleurs, je tiens à vous informer que notre proposition de considérer l'octroi d'une autorisation de séjour pour raisons privées conformément à l'article 78, paragraphe (1) c) reste maintenu sous condition que votre mandant nous fait parvenir les documents nécessaires demandés en date du 27 octobre 2021, une exonération des « formalités sollicitées » n'étant pas possible. On ne saurait alors soulever que l'article 8 de la CEDH n'a pas été respecté.

(…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 mars 2022, inscrite sous le numéro 47236 du rôle, Monsieur (A), agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour compte de ses frères et sœur mineurs (B), (C) et (D), ci-après les « consorts (A) », fit introduire un recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 27 octobre 2021 en ce qu’elle refuse de faire droit à la demande de regroupement familial dans le chef de ces derniers, ainsi que de la décision ministérielle confirmative de refus du 4 février 2022, intervenue sur recours gracieux.

Dans son jugement du 19 mars 2024, le tribunal administratif reçut ce recours en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta les demandeurs, tout en rejetant leur demande en communication du dossier administratif et en les condamnant aux frais et dépens de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 29 mars 2024, les consorts (A) ont régulièrement relevé appel de ce jugement.

Moyens des parties Les appelants font valoir que le 27 mars 2018, Monsieur (A) aurait obtenu la protection subsidiaire et en date du 21 décembre 2018, il aurait introduit une demande en regroupement familial ainsi qu’une demande d’autorisation de séjour pour des raisons privées pour les membres de sa famille et notamment sa belle-mère Madame (E), sa sœur (D), son frère (C) et son frère Monsieur (B).

En droit, les appelants argumentent que ce serait à tort que les premiers juges ont écarté l’application de l’article 70 de la loi du 29 août 2008 alors que d’après eux, cette disposition trouverait application notamment en l’interprétant à la lumière de l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après la « Charte », et de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après la « CEDH ». Ils affirment à ce sujet qu’à son arrivée au Luxembourg et au moment du dépôt de sa première demande de regroupement familial, Monsieur (A) aurait été dans une situation de particulière vulnérabilité du fait de sa minorité.

Ils affirment ensuite qu’ils auraient perdu leur mère biologique et que la fratrie aurait été élevée par leur père et leur belle-mère avec qui ils auraient vécu ensemble. Leur père aurait disparu lorsque Monsieur (A) aurait quitté l’Afghanistan. Ils affirment qu’ils auraient eu une vie familiale effective au sein de leur fratrie.

Les appelants reprochent ensuite aux premiers juges d’avoir exigé de la preuve des échanges réguliers entre Monsieur (A) et sa famille alors qu’une telle preuve serait impossible à apporter au vu de la situation actuelle en Afghanistan. Ils ajoutent que l’absence de contacts réguliers ne préjugerait en rien de leurs liens affectifs forts et étroits alors qu’ils auraient vécu toute leur vie ensemble avant le départ d’Afghanistan de Monsieur (A).

Les appelants citent ensuite les travaux parlementaires de la loi du 29 août 2008 qui permettraient de définir ce qu’il faut entendre par le terme « être à charge » à savoir « le fait pour le membre de la famille (…) de nécessiter le soutien matériel de ce ressortissant ou de son conjoint afin de subvenir à ses besoins essentiels dans l’Etat d’origine ou de provenance de ce membre de la famille au moment où il demande à rejoindre ledit ressortissant (…) ».

Les appelants affirment que les frères et sœur mineurs dépendraient de Monsieur (A) financièrement comme en attesteraient les virements qu’il aurait effectués en dates du 14 avril 2021 et du 7 juin 2021. Ils affirment à ce sujet qu’il serait injuste d’exiger de la part d’une personne en situation de précarité financière de payer des sommes qu’elle ne possèderait pas et qu’il serait important de prendre en considération le contexte économique et social dans lequel cette personne évoluerait. Les appelants ajoutent que le fait de ne pas tenir compte de la situation économique et sociale de Monsieur (A) pourrait constituer une violation de l’article 8 de la CEDH.

Les appelants concluent qu’ils rempliraient toutes les conditions requises afin de bénéficier du regroupement familial et que la décision ministérielle attaquée devrait encourir l’annulation.

La partie étatique demande la confirmation pure et simple du jugement a quo en affirmant que les appelants invoqueraient exactement les mêmes arguments qu’en première instance.

Analyse de la Cour Tout d’abord, la Cour constate que les appelants développent à l’appui de leur appel des moyens qui visent exclusivement le refus d’un regroupement familial en leur faveur sans réitérer les moyens quant au refus d’une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires ou aux conditions fixées pour l’octroi d’une autorisation de séjour pour des raisons privées également contenus dans les décisions attaquées, de sorte que la Cour n’est pas amenée à examiner ces volets des décisions attaquées.

En ce qui concerne le cadre légal pertinent, il convient de relever que les premiers juges l’ont correctement situé en se référant aux dispositions de l’article 69 de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel :

« (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :

1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;

2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;

3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.

(2) Sans préjudice du paragraphe (1) du présent article, pour le regroupement familial des membres de famille visés à l’article 70, paragraphe (5) le regroupant doit séjourner depuis au moins douze mois sur le territoire luxembourgeois.

(3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale ».

L’article 70 de la loi du 29 août 2008, qui définit les membres de la famille susceptibles de rejoindre le bénéficiaire d’une protection internationale dans le cadre du regroupement familial, dispose que :

« (1) Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants :

a) le conjoint du regroupant ;

b) le partenaire avec lequel le ressortissant de pays tiers a contracté un partenariat enregistré conforme aux conditions de fond et de forme prévues par la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats ;

c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, tel que défini au point b) qui précède, à condition d’en avoir le droit de garde et la charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord.

(2) Les personnes visées aux points a) et b) du paragraphe (1) qui précède, doivent être âgées de plus de dix-huit ans lors de la demande de regroupement familial.

(3) Le regroupement familial d’un conjoint n’est pas autorisé en cas de mariage polygame, si le regroupant a déjà un autre conjoint vivant avec lui au Grand-Duché de Luxembourg.

(4) Le ministre autorise l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial aux ascendants directs au premier degré du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, sans que soient appliquées les conditions fixées au paragraphe (5), point a) du présent article.

(5) L’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre :

a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine ;

b) aux enfants majeurs célibataires du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont objectivement dans l’incapacité de subvenir à leurs propres besoins en raison de leur état de santé ;

c) au tuteur légal ou tout autre membre de la famille du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, lorsque celui-ci n’a pas d’ascendants directs ou que ceux-ci ne peuvent être retrouvés ».

Les premiers juges ont correctement analysé ces dispositions en ce sens qu’elles règlent les conditions à partir desquelles un ressortissant de pays tiers, membre de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement au Luxembourg, peut rejoindre celui-ci.

En vertu de l’article 69, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, lorsqu’un bénéficiaire d’une protection internationale introduit une demande de regroupement avec un membre de sa famille dans un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale, de manière exceptionnelle il ne doit pas remplir les conditions du paragraphe (1) de l’article 69, à savoir celles de rapporter la preuve qu’il dispose (i) de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, (ii) d’un logement approprié pour recevoir le membre de sa famille et (iii) de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.

Or, la Cour constate qu’en l’espèce, Monsieur (A) a introduit la demande de regroupement familial en dehors du délai des six mois suivant l’octroi de la protection internationale dans son chef. Par conséquent, Monsieur (A) doit satisfaire aux conditions précitées du paragraphe (1) de l’article 69. Toutefois, avant d’analyser plus en détail si les conditions du paragraphe (1) de l’article 69 sont effectivement remplies dans le chef de Monsieur (A), il y a lieu d’examiner si les personnes à regrouper sont effectivement éligibles audit regroupement par application de l’article 70 de la loi du 29 août 2008.

Or, c’est de manière exacte que les premiers juges ont rappelé que l’article 70 de la loi du 29 août 2008 ne vise pas la fratrie au titre de membres de famille susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial avec un regroupant qui est installé au Luxembourg, de sorte que le refus du ministre, visant la fratrie de Monsieur (A), n’est dès lors pas non plus sujet à critique au regard des dispositions des articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008.

Partant, c’est a priori à bon droit que le ministre a refusé la demande de regroupement familial à la fratrie de Monsieur (A) au regard des dispositions des articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008.

Il convient cependant de vérifier encore si le refus du regroupement familial en application de ces critères et conditions généraux prévus par les articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008 relativement au regroupement familial de membres de la famille d’un bénéficiaire d’une protection internationale n’aboutit pas à un résultat qui se heurte au droit au respect de la vie privée et familiale des appelants eu égard à leur situation individuelle et particulière, les appelants invoquant l’article 8 de la CEDH pour contester la validité du refus ministériel.

L’article 8 de la CEDH est libellé comme suit :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, se son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, si la notion de « vie familiale » se limite normalement au noyau familial, elle existe aussi entre frères et sœurs, ainsi qu’entre parents et enfants adultes, dès lors que des éléments de dépendance renforcés sont vérifiés. Ladite Cour a en effet précisé que « les rapports entre adultes (…) ne bénéficieront pas nécessairement de la protection de l’article 8 sans que soit démontrée l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux. » (Commission EDH, 10 décembre 1984, S. et S. c. Royaume-Uni (req. n° 10375/83), D.R. 40, p. 201. En ce sens, voir également par exemple CourEDH, 17 septembre 2013, F.N. c. Royaume-Uni (req. n° 3202/09), § 36 ; CourEDH, 30 juin 2015, A.S. c. Suisse (req. n° 39350/13), § 49).

En outre, au-delà d’un lien de parenté, la notion de « vie familiale » requiert l’existence d’un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d’une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existantes, voire préexistantes à l’entrée sur le territoire national. Ainsi, le but du regroupement familial est de reconstituer l’unité familiale, avec impossibilité corrélative pour les intéressés de s’installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays.

Les premiers juges ont encore rappelé à juste titre qu’il ressort de la jurisprudence relative à l’article 8 de la CEDH, qu’un regroupant ne peut invoquer l’existence d’une vie familiale à propos d’une personne ne faisant pas partie du noyau familial strict qu’à condition qu’il démontre qu’il est à sa charge et qu’un lien de dépendance autre que les liens affectifs normaux est établi.

En l’espèce, la Cour rejoint l’analyse des premiers juges d’après laquelle Monsieur (A) reste en défaut de démontrer l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance autres que les liens affectifs normaux qui caractérisent les relations d’une personne avec sa famille d’origine, l’intéressé s’étant limité à affirmer l’existence de tels liens, sans fournir une explication concrète à cet égard, et encore moins des justificatifs démontrant l’existence plus particulièrement de contacts réguliers avant l’introduction de la demande de regroupement familial.

Les premiers juges ont en effet relevé à juste titre qu’il ressort des déclarations faites par Monsieur (A) lors de son entretien dans le cadre de sa demande de protection internationale qu’il n’aurait plus vécu avec sa fratrie depuis août 2013 lorsqu’il a quitté l’Afghanistan pour aller travailler en Iran et où il est resté jusqu’en 2015, soit jusqu’à son départ pour l’Europe.

Par conséquent, c’est à bon droit que les premiers juges ont déduit qu’avant son entrée sur le territoire luxembourgeois en 2015, Monsieur (A) ne partageait plus de vie familiale effective avec sa fratrie depuis plus de deux ans et qu’ainsi la vie familiale dont il se prévaut a éclaté bien avant son arrivée au Luxembourg.

En outre, c’est encore à juste titre que les premiers juges ont retenu que l’appelant n’a pas réussi à rapporter la preuve que sa fratrie aurait été dans une situation de dépendance financière vis-à-vis de lui au moment de la prise des décisions litigieuses à un tel point que sans ce soutien matériel, ils ne pourraient pas subvenir à leurs besoins essentiels en Afghanistan. Les premiers juges ont correctement relevé que des versements isolés effectués au profit d’une personne tierce ne sont pas de nature à prouver que les frères et sœur de Monsieur (A) sont à sa charge. Les explications des appelants d’après lesquelles ce serait injuste de lui reprocher ses propres moyens financiers limités sont inopérantes. En effet, tel que rappelé ci-dessus, le fait d’être à la charge du demandeur du regroupement est une condition nécessaire pour pouvoir invoquer l’existence d’une vie familiale à propos d’une personne ne faisant pas partie du noyau familial strict.

Le moyen des appelants fondé sur l’article 8 de la CEDH est partant à rejeter. Etant donné que les droits garantis à l'article 7 de la Charte correspondent à ceux qui sont garantis par l'article 8 de la CEDH, la même conclusion s’impose par rapport audit article 7.

Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que c’est à bon droit que le ministre n’a pas réservé une suite favorable à la demande de Monsieur (A) tendant au regroupement familial avec sa fratrie.

Il s’ensuit que l’appel sous examen n’est pas justifié et que le jugement entrepris est à confirmer.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 29 mars 2024 en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute les appelants, partant, confirme le jugement entrepris du 19 mars 2024, condamne les appelants aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu à l’audience publique du 14 août 2024 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller Serge SCHROEDER, en présence du greffier en chef de la Cour Anne-Marie WILTZIUS.

S. WILTZIUS S. SCHROEDER 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50272C
Date de la décision : 14/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2024-08-14;50272c ?

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