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08/10/2024 | LUXEMBOURG | N°50319C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 08 octobre 2024, 50319C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 50319C du rôle ECLI:LU:CADM:2024:50319 Inscrit le 12 avril 2024 Audience publique du 8 octobre 2024 Appel formé par Madame (A) et consorts, …… contre un jugement du tribunal administratif du 27 mars 2024 (n° 47436 du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 50319C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 12 avril 2024 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de :

1. Madame (A),

née le …. à …….. (Afghanistan), demeurant à L-… …, …, rue …., 2. son père, M...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 50319C du rôle ECLI:LU:CADM:2024:50319 Inscrit le 12 avril 2024 Audience publique du 8 octobre 2024 Appel formé par Madame (A) et consorts, …… contre un jugement du tribunal administratif du 27 mars 2024 (n° 47436 du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 50319C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 12 avril 2024 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de :

1. Madame (A), née le …. à …….. (Afghanistan), demeurant à L-… …, …, rue …., 2. son père, Monsieur (B), né le …. à …….., demeurant à …….. en Afghanistan, 3. sa mère, Madame (D), née le …. à …….., demeurant à …….. en Afghanistan, 4. son frère, Monsieur (F), né le ….. à …….., demeurant à ….. (Iran), 5. sa soeur, Madame (G), née le ….. à …….., résidant à …….. (Afghanistan), 6. sa soeur, Madame (H), née le ….., à …….., résidant à …….., tous de nationalité afghane et élisant domicile en l’étude de leur litismandataire, préqualifié, dirigé contre le jugement du 27 mars 2024 (n° 47436 du rôle), par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg les a déboutés de leur recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 28 mars 2022 portant rejet de la demande de regroupement familial dans le chef de Monsieur (B), de Madame (D), de Monsieur (F), de Monsieur (J), de Madame (G) et de Madame (H);

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 10 mai 2024;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 4 juin 2024 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH au nom des appelants;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 26 juin 2024;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;

1Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Yasmine GUEBASI, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, et Madame le délégué du gouvernement Pascale MILLIM en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 septembre 2024.

Par une décision du 17 novembre 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », accorda à Madame (A) le statut de réfugié ainsi qu’une autorisation de séjour valable jusqu’au 16 novembre 2026.

Le 3 mars 2022, Madame (A) introduisit une demande de regroupement familial sur la base de l’article 69 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », au profit de ses parents, Monsieur (B) et Madame (D), de ses frères Monsieur (F) et Monsieur (J), ainsi que de ses sœurs, Madame (G) et Madame (H).

Par décision du 28 mars 2022, le ministre refusa de faire droit à cette demande. Cette décision est libellée comme suit:

« (…) J'accuse bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date du 3 mars 2022.

Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

En effet, conformément à l'article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration « l'entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu'ils sont à sa charge et qu'ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leurs pays d'origine ».

Or, il n'est pas prouvé que Monsieur (B) et Madame (D) sont à charge de votre mandante, qu'ils sont privés du soutien familial dans leur pays d'origine et qu'ils ne peuvent pas subvenir à leurs besoins par leurs propres moyens. Un seul virement de …..€ en décembre 2021 est largement insuffisant afin de prouver que les parents de votre mandante sont à sa charge.

Concernant le regroupement familial en faveur de la fratrie de votre mandante, je tiens à vous informer que le regroupement familial de la fratrie n'est pas prévu à l'article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.

Par ailleurs, Monsieur (B), Madame (D), Monsieur (F), Monsieur (J), Madame (G) et Madame (H) ne remplissent aucune condition afin de bénéficier d'une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

L'autorisation de séjour leur est en conséquence refusée conformément aux articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 mai 2022, Madame (A), son père, Monsieur (B), sa mère, Madame (D), ses frères, Monsieur (F) et Monsieur (J), ainsi que 2ses sœurs, Madame (G) et Madame (H), firent introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle de refus précitée du 28 mars 2022.

Par jugement du 27 mars 2024, le tribunal administratif reçut ce recours en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta les demandeurs, tout en les condamnant aux frais de l’instance.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 12 avril 2024, Madame (A), ses parents, Monsieur (B) et Madame (D), son frère, Monsieur (F) et ses sœurs, Madame (G) et Madame (H), ci-après désignés collectivement par « les consorts (A-B-D-F-G-

H-J) », ont régulièrement fait entreprendre ce jugement.

A l’audience fixée pour les plaidoiries, la Cour a soulevé la question de la recevabilité de l’appel formé par Monsieur (J) à travers le mémoire en réplique déposé le 4 juin 2024 au greffe de la Cour administrative.

Le litismandataire des appelants et le délégué du gouvernement se sont tous les deux rapportés à la sagesse de la Cour à cet égard.

Conformément à l’article 39 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, l’appel est interjeté par une requête déposée au greffe de la Cour administrative. Le fait pour Monsieur (J) de figurer comme partie appelante uniquement dans le mémoire en réplique ne saurait suppléer à son omission d’avoir interjeté appel dans le délai légal à travers une requête d’appel.

Il s’ensuit que l’appel, formé à travers le mémoire en réplique, est à déclarer irrecevable dans le chef de Monsieur (J).

Pour le surplus, l’appel est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, les appelants font valoir que Madame (A) s’étant vu accorder le statut de réfugié au Luxembourg, elle a demandé le regroupement familial au profit de ses parents et de ses frères et sœurs. Ils soutiennent que leur famille se trouverait dans une situation précaire depuis le départ de Madame (A) vers le Luxembourg, alors que les parents dépendraient financièrement de cette dernière, à travers les quelques virements qu’elle aurait effectués. Ils précisent qu’avant son départ, Madame (A) aurait subvenu aux besoins des parents grâce à son emploi d’……. pour le compte d’une entreprise. La fratrie ne pourrait pas subvenir aux besoins de la famille au motif que les deux jeunes sœurs auraient été étudiantes avant la prise de pouvoir par les talibans et que depuis, leur situation serait très difficile. Quant aux frères, ils ne pourraient pas non plus s’occuper des parents, alors qu’ils auraient tous les deux quitté l’Afghanistan.

En droit, les appelants, après avoir relevé que les premiers juges ont retenu à juste titre qu’ils rempliraient les conditions de l’article 69, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, de sorte que les conditions du paragraphe (1) de cette même disposition n’avaient pas à être remplies, insistent sur l’existence d’un « lien suffisamment particulier et étroit au-delà d’un simple lien affectif » entre Madame (A), ses parents et son frère au sens de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après « la CEDH ».

3 Ils insistent également sur le fait que la notion de famille en Afghanistan serait à entendre dans un sens plus large. A cet effet, ils se réfèrent à un arrêt de la Cour administrative du 15 mars 2018 (n° 40345C du rôle) au sujet de l’article 8 de la CEDH, dans lequel la Cour aurait retenu un sens plus large à attribuer à la notion de famille. De même, ils invoquent un autre arrêt du 26 avril 2022 (n° 46765C du rôle), dans lequel la Cour aurait reconnu l’existence d’une vie familiale effective entre des parents et leur enfant majeur.

Ils précisent ensuite qu’ils auraient vécu tous ensemble avant que Madame (A) ne parte pour le Luxembourg et qu’ils resteraient en contact régulier.

Ils en déduisent qu’il y aurait lieu de reconnaître dans le chef des différents membres de leur famille à regrouper l’existence d’un lien affectif suffisamment particulier et étroit au sens de l’article 8 de la CEDH.

En deuxième lieu, les appelants font valoir que la mère et les deux jeunes sœurs de Madame (A) ne pourraient pas continuer à vivre en Afghanistan où elles risqueraient d’être victimes de traitement contraires à l’article 3 de la CEDH et où leur sécurité ne serait pas assurée par les autorités au pouvoir. Cette vulnérabilité des femmes de la famille à regrouper les ferait dépendre financièrement de Madame (A).

Comme en première instance, les appelants se prévalent ensuite d’un communiqué de presse du Conseil des droits de l’homme du 12 septembre 2022 quant à la nécessité d’une enquête sur l’existence d’un génocide de l’ethnie hazara, d’un rapport de l’Organisation suisse d’aides aux réfugiés (OSAR) du 10 juillet 2023 à propos des conséquences du régime des talibans, d’un article de presse du 13 novembre 2022 évoquant une particulière vulnérabilité des personnes issues de l’ethnie hazara et d’un rapport de la Cour pénale internationale du 31 octobre 2022.

Concernant leur incapacité à fournir des documents supplémentaires, les appelants estiment avoir entrepris tous les efforts possibles pour réunir les documents nécessaires à l’appui de leur demande de regroupement familial, lesquels démontreraient, selon eux, la dépendance financière de Madame (A) et l’absence d’autres membres de famille en Afghanistan susceptibles de les soutenir, tout en rappelant les difficultés à réunir des éléments de preuve supplémentaires au vu de la situation générale prévalant dans leur pays d'origine.

En guise de conclusion, ils font valoir que les principes sous-tendant leur droit au respect de la vie privée et familiale se dégageant de l’article 8 de la CEDH, notamment le droit à l’unité familiale, devraient être respectés. En particulier, le principe de l’unité familiale jouerait un rôle fondamental, surtout pour les jeunes enfants qui dépendraient entièrement de Madame (A) pour satisfaire leurs besoins élémentaires.

En outre, les appelants sont d’avis que les premiers juges auraient omis de prendre en compte l’intérêt supérieur des deux jeunes sœurs de Madame (A), lesquelles seraient privées en Afghanistan de leurs droits les plus élémentaires, et notamment de leur droit à une éducation.

Ce serait partant à tort que les premiers juges n’ont pas retenu que le regroupement familial était à accorder, le refus afférent étant contraire à l’article 8 de la CEDH et « aux travaux parlementaires à la base de la prédite loi », les appelants se référant plus 4particulièrement au commentaire de l’article 12 de ladite loi relatif au regroupement familial des membres de la famille d’un citoyen de l’Union européenne.

Ils précisent encore que Madame (A) disposerait d’un logement au Luxembourg qui lui permettrait d’héberger les membres de sa famille à regrouper.

Le délégué du gouvernement conclut en substance au rejet de l’appel et à la confirmation du jugement entrepris.

En termes de réplique, les appelants estiment que le bénéfice du doute devrait leur profiter en ce qui concerne les contestations de la partie étatique de leur dépendance financière vis-à-vis de Madame (A) et de l’existence d’un lien affectif suffisamment étroit. Ils estiment déraisonnable d’attendre d’eux qu’ils fournissent des preuves inaccessibles. En citant des sources d’informations plus récentes, ils se prévalent encore d’une détérioration de la situation des droits des femmes, qui plus est d’ethnie hazara, en Afghanistan, tout en insistant sur les défaillances de leur pays d'origine qui ne leur permettraient pas de réunir davantage d’éléments de preuve, tout en faisant valoir qu’il y aurait lieu de tenir compte des efforts déjà accomplis pour rassembler les documents nécessaires à l’appui de leur demande de regroupement familial.

Tout d’abord, la Cour relève que le cadre légal d’une autorisation de séjour de membre de famille du ressortissant de pays tiers, telle que revendiquée par les appelants en l’espèce, est déterminé par les articles 69, paragraphes (1) et (3), et 70 de la loi du 29 août 2008, et non pas par l’article 12 de cette même loi visant le regroupement familial de membres de famille des citoyens de l’Union européenne, de sorte que la référence faite par les appelants à cette disposition est d’emblée à écarter pour être dépourvue de pertinence.

Les articles 69 et 70 disposent ce qui suit :

Art. 69 « (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :

1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;

2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;

3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.

(…) (3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale. ».

Art. 70 « (1) Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants :

5a) le conjoint du regroupant ;

b) le partenaire avec lequel le ressortissant de pays tiers a contracté un partenariat enregistré conforme aux conditions de fond et de forme prévues par la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats ;

c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, tel que défini au point b) qui précède, à condition d’en avoir le droit de garde et la charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord.

(2) Les personnes visées aux points a) et b) du paragraphe (1) qui précède, doivent être âgées de plus de dix-huit ans lors de la demande de regroupement familial.

(3) Le regroupement familial d’un conjoint n’est pas autorisé en cas de mariage polygame, si le regroupant a déjà un autre conjoint vivant avec lui au Grand-Duché de Luxembourg.

(4) Le ministre autorise l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial aux ascendants directs au premier degré du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, sans que soient appliquées les conditions fixées au paragraphe (5), point a) du présent article.

(5) L’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre :

a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine ;

b) aux enfants majeurs célibataires du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont objectivement dans l’incapacité de subvenir à leurs propres besoins en raison de leur état de santé ;

c) au tuteur légal ou tout autre membre de la famille du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, lorsque celui-ci n’a pas d’ascendants directs ou que ceux-ci ne peuvent être retrouvés. ».

Tel que cela a été relevé à juste titre par les premiers juges, ces dispositions règlent les conditions dans lesquelles un ressortissant de pays tiers, membre de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement au Luxembourg, peut rejoindre celui-ci, l’article 69 fixant les conditions à remplir par le regroupant pour être admis à demander le regroupement familial, l’article 70 définissant les conditions à remplir par les différentes catégories de personnes y visées pour être considérées comme membres de famille susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial.

En ce qui concerne la demande de regroupement familial dans le chef des parents de Madame (A), les premiers juges sont à confirmer en ce qu’ils ont retenu que les dispositions précitées de l’article 69 permettent à un bénéficiaire d’une protection internationale d’être rejoint, au titre du regroupement familial, par les membres de sa famille visés à l’article 70, sans que le bénéfice de ce droit ne soit soumis aux conditions de ressources, de logement et de couverture d’une assurance maladie énoncées à l’article 69, paragraphe (1), précité, qui s’appliquent au titre du regroupement familial de droit commun des étrangers.

Les premiers juges ont pareillement relevé à bon droit que l’octroi d’une autorisation de séjour sur la base de l’article 70, paragraphe (5), point a), de la loi du 29 août 2008, visant les ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant, est subordonné à la réunion de deux conditions cumulatives, à savoir que lesdits ascendants sont (i) à la charge du regroupant et (ii) privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine.

6La Cour constate que les premiers juges ont analysé la question de savoir si les parents de Madame (A), à savoir Monsieur (B) et Madame (D), étaient financièrement dépendants de leur fille.

Les premiers juges ont, dans ce contexte, correctement dégagé à partir de l’article 70, paragraphe (5), point a), de la loi du 29 août 2008 que les conditions légales d’un regroupement familial ne sont données que par la preuve de l’existence d’une situation de dépendance économique effective vis-à-vis du regroupant, charge dont la preuve appartient aux appelants.

Or, cette preuve n’a été et n’est toujours pas rapportée en cause. En effet, à l’instar du tribunal, la Cour retient que les quatre transferts d’argent effectués entre le 21 décembre 2021 et le 22 février 2022, soit antérieurement à la prise de la décision litigieuse, pour un montant total de …… euros, ne sont pas suffisants pour rapporter la preuve que les parents de Madame (A) soient à sa charge, étant donné que ces derniers ne figurent pas comme bénéficiaires de ces transferts, ni n’est-il démontré que ces transferts leur aient été effectivement remis. La Cour partage par ailleurs la conclusion des premiers juges que même à admettre que cet argent leur avait été transmis, ce constat à lui seul est insuffisant pour établir que les parents dépendent du soutien financier de leur fille.

Pareillement, la Cour considère que l’attestation émanant prétendument des autorités locales du district ……. du 5 mai 2022 versée en cause, dès lors qu’elle ne comporte ni en-tête, ni le nom des signataires qui figurent sur l’attestation, n’est pas de nature à emporter la conviction de la Cour. Quant aux autres attestations testimoniales émanant de personnes privées, lesquelles, ainsi que le tribunal l’a relevé à bon escient, ne résident pas en Afghanistan mais en Europe, il ne peut pas être exclu qu’elles ont été rédigées par pure complaisance pour les besoins de la demande de regroupement familial, de sorte qu’il y a lieu de n’y attacher qu’une force probante limitée et, en tous les cas, insuffisante pour renverser la conviction de la Cour.

La Cour est partant amenée à retenir que les appelants restent en défaut de démontrer que les parents de Madame (A) étaient à la charge de leur fille, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a refusé de leur accorder une autorisation de séjour sur la base de l’article 70, paragraphe (5), point a), de la loi du 29 août 2008, l’examen de la deuxième condition posée par cette même disposition, à savoir celle ayant trait au soutien familial nécessaire dans le pays d’origine, devenant surabondant au vu du caractère cumulatif des deux conditions.

En ce qui concerne la demande de regroupement familial dans le chef du frère et des deux sœurs de Madame (A), les premiers juges ont relevé à bon droit, et ce n’est d’ailleurs pas contesté par les appelants, que l’article 70 de la loi du 29 août 2008 ne vise pas la fratrie au titre des membres de la famille susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial avec un regroupant installé au Luxembourg, de sorte qu’il appert que le ministre a pu valablement refuser la demande de regroupement familial soumise en ce qui concerne la fratrie de Madame (A).

Il convient cependant de vérifier encore si le refus du regroupement familial en application des dispositions des articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008 relativement au regroupement familial de membres de la famille d’un bénéficiaire d’une protection internationale n’aboutit pas à un résultat qui se heurte au droit au respect de la vie privée et familiale des appelants eu égard à leur situation individuelle et particulière, les appelants invoquant l’article 8 de la CEDH pour contester la validité du refus ministériel.

7L’article 8 de la CEDH est libellé comme suit :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, se son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, si la notion de « vie familiale » se limite normalement au noyau familial, elle existe aussi entre frères et sœurs, ainsi qu’entre parents et enfants adultes, dès lors que des éléments de dépendance renforcés sont vérifiés. Ladite Cour a en effet précisé que « les rapports entre adultes (…) ne bénéficieront pas nécessairement de la protection de l’article 8 sans que soit démontrée l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux » (Commission EDH, 10 décembre 1984, S. et S. c. Royaume-Uni (req. n° 10375/83), D.R. 40, p. 201. En ce sens, voir également par exemple CEDH, 17 septembre 2013, F.N. c. Royaume Uni (req. n° 3202/09), § 36 ; CEDH, 30 juin 2015, A.S. c. Suisse (req. n° 39350/13), § 49).

En outre, au-delà d’un lien de parenté, la notion de « vie familiale » requiert l’existence d’un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d’une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existantes, voire préexistantes à l’entrée sur le territoire national. Ainsi, le but du regroupement familial est de reconstituer l’unité familiale, avec impossibilité corrélative pour les intéressés de s’installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays.

En l’espèce, la Cour rejoint l’analyse des premiers juges d’après laquelle les liens étroits que Madame (A) déclare entretenir avec ses parents et sa fratrie restent à l’état de pure allégation. Les appelants n’ont pas rapporté une quelconque preuve de nature à démontrer l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance autres que les liens affectifs normaux qui caractérisent les relations d’une personne adulte avec sa famille d’origine, s’étant limités à affirmer l’existence de tels liens, sans fournir une explication concrète à cet égard, et encore moins des justificatifs démontrant l’existence plus particulièrement de contacts réguliers avant l’introduction de la demande de regroupement familial. Ainsi, le seul fait d’avoir grandi et vécu ensemble avec ses parents et sa fratrie n’est pas suffisant à cet égard pour établir l’existence d’un lien de dépendance autre que les liens affectifs normaux. S’y ajoute que les frères et sœurs de Madame (A) sont tous majeurs.

A défaut de preuve de l’existence d’une vie familiale susceptible d’être protégée par l’article 8 de la CEDH, il n’y a pas lieu d’examiner plus en avant le bien-fondé, voire la pertinence des développements dont se prévalent les appelants pour se réclamer de la protection de cette disposition et fondés sur l’existence d’une vulnérabilité particulière des deux jeunes sœurs de Madame (A) du fait d’un risque allégué existant dans leur chef en Afghanistan, y compris les explications fournies au sujet de la situation sécuritaire prévalant dans ce pays et en particulier celle de la minorité ethnique hazara, cet examen étant surabondant.

8Il s’ensuit qu’au regard des éléments du dossier à la disposition du ministre et à défaut d’autres explications fournies par les appelants, la Cour ne saurait déceler en l’espèce une violation par le ministre de son obligation au respect de l’article 8 de la CEDH et, en l’occurrence, une atteinte disproportionnée à une vie familiale qui corresponde aux critères d’intensité requis par cette disposition.

En ce qui concerne le renvoi tout à fait vague fait par les appelants dans leur requête d’appel à l’intérêt supérieur des sœurs de Madame (A) d’être regroupées avec celle-ci au motif qu’elles n’auraient pas de perspectives d’avenir dans leur pays d'origine, cet argument, relevé dans le contexte du reproche d’une violation de l’article 8 de la CEDH, ne saurait mettre en échec la légalité du refus litigieux. En effet, au-delà du fait que ce moyen n’est pas autrement étayé en instance d’appel, la Cour relève que dans la mesure où elle vient de retenir que la vie familiale susceptible d’être protégée par l’article 8 de la CEDH, telle qu’invoquée, n’est pas établie à suffisance, le reproche d’un défaut de prise en compte de l’intérêt supérieur des sœurs de Madame (A), lesquelles au demeurant sont majeures, en ce qu’il repose sur la prémisse d’une rupture d’une telle unité familiale est à rejeter pour les mêmes considérations.

Enfin, à admettre que les appelants aient entendu se prévaloir de la situation sécuritaire existant en Afghanistan indépendamment du moyen fondé sur l’article 8 de la CEDH, cette situation ne saurait constituer une cause d’illégalité du refus litigieux et conduire à l’annulation de celui-ci, dans la mesure où la situation sécuritaire dans le pays d’origine ne constitue pas per se une cause de justification de l’octroi d’une autorisation de séjour au titre d’un regroupement familial telle que recherchée par les appelants.

En ce qui concerne, enfin, la demande des appelants, formulée au dispositif de la requête d’appel, de « constater que les décisions ministérielles contreviennent par voie de conséquence à l’article 12, paragraphe (2), de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au regroupement familial », le moyen afférent est à rejeter comme un moyen non autrement soutenu auquel la Cour n’a pas à répondre, alors qu’il appartient aux appelants d’expliquer utilement le sens qu’ils entendent donner à leur moyen, le simple renvoi à une disposition légale étant insuffisant.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter les appelants et de confirmer le jugement entrepris.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties;

déclare l’appel irrecevable dans le chef de Monsieur (J);

pour le surplus, reçoit l’appel en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

partant, confirme le jugement entrepris du 27 mars 2024;

condamne les appelants aux dépens de l’instance d’appel.

9 Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour …….

s. …… s. CAMPILL 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50319C
Date de la décision : 08/10/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/10/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2024-10-08;50319c ?

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