N° 147 / 2024 pénal du 17.10.2024 Not. 35113/17/CD Numéro CAS-2023-00181 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, dix-sept octobre deux mille vingt-quatre, sur le pourvoi de PERSONNE1.), né le DATE1.) à ADRESSE1.) (République du Kosovo), demeurant à L-ADRESSE2.), actuellement détenu au Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff, prévenu et défendeur au civil, demandeur en cassation, comparant par Maître Sam PLETSCH, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, en présence du Ministère public, et de la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE PENSION, établissement public, établie à L-ADRESSE3.), représentée par le président du conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro J35, demanderesse au civil, défenderesse en cassation, l’arrêt qui suit :
Vu l’arrêt attaqué rendu le 8 novembre 2023 sous le numéro 67/23 Ch. Crim.
par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, dixième chambre, siégeant en matière criminelle ;
Vu le pourvoi en cassation formé par PERSONNE1.) suivant déclaration du 5 décembre 2023 au greffe du Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 28 décembre 2023 par PERSONNE1.) à la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE PENSION, déposé le 2 janvier 2024 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Sur les conclusions du premier avocat général Marc HARPES.
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg avait condamné le demandeur en cassation, du chef de meurtre, à une peine de réclusion assortie d’un sursis partiel. La Cour d’appel, au pénal, a annulé le jugement pour autant que la juridiction de première instance avait prononcé une peine illégale et, évoquant partiellement, a condamné le demandeur en cassation à une peine de réclusion de même durée assortie d’un sursis partiel plus large et, au civil, a confirmé le jugement.
Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Pour violation de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (droit à un procès équitable et le principe de l’égalité des armes), ainsi que de l’article 6.3.b de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (temps et facilités nécessaires pour organiser sa défense).
En ce que l’arrêt attaqué :
2023 » Aux motifs que :
qu’PERSONNE1.) a été parfaitement en mesure d’organiser sa défense, ce malgré sa privation de liberté en raison d’une révocation de son contrôle judiciaire par un arrêt de la Cour d’appel du 24 juillet 2023, et que ses droits de la défense n’ont nullement été affectés.
2 En effet, depuis l’acte d’appel de son mandataire en date du 7 juin 2021, PERSONNE1.) a été à même d’organiser sa défense. Il était ainsi assisté d’au moins trois avocats, dont un désigné d’office par la Cour, avocats qui ont cependant déposé leur mandant, respectivement l’avocat désigné d’office a été déchargé par la Cour d’appel de son mandat à sa demande expresse. La défense d’PERSONNE1.) a notamment consisté dans un mémoire intitulé "Analyse critique du jugement du 29 avril 2021".
Il y a cependant lieu de rejeter le mémoire en conclusion d’PERSONNE1.), daté au 4 octobre 2023, reçu par la Cour d’appel en date du 18 octobre 2023, ainsi que le mémoire daté au 29 octobre 2023, reçu par la Cour d’appel en date du 6 novembre 2023. En effet, contrairement au premier mémoire, qui a fait l’objet d’un débat contradictoire à l’audience publique du 25 septembre 2023, les mémoires précités n’ont été communiqués à la Cour d’appel qu’après la prise en délibéré de l’affaire. Ces mémoires, n’ayant pas fait l’objet d’un débat contradictoire, sont dès lors à rejeter.
La révocation du contrôle judiciaire intervenue par arrêt du 24 juillet 2023 par la chambre des vacations de la Cour d’appel n’est pas non plus de nature à porter atteinte aux droits de la défense du prévenu, une copie de l’intégralité du dossier ayant été remise au prévenu respectivement à ses mandataires et les plumitifs d’audience de première instance ainsi qu’une copie de son mémoire lui ont été communiqués à sa demande au centre pénitentiaire ».
Alors que :
La demanderesse en cassation était représentée en première instance par Me Philippe PENNING, qui a déposé son mandat après avoir interjeté appel contre le jugement du 29 avril 2021.
Ensuite, tel que relevé par la Cour, la demanderesse en cassation a été représentée par deux mandataires, qui ont chacun déposé leur mandat de sorte que la demanderesse en cassation n’était plus représentée par un avocat, lorsque l’arrêt du 24 juillet 2023, révoquant son contrôle judiciaire est intervenu.
L’audience en appel étant fixée au 25 septembre 2023, la demanderesse en cassation, n’étant pas en mesure de trouver, en pleine période de vacances judiciaires un nouvel avocat pour reprendre sa défense, et était partant contrainte à préparer seule sa défense.
Dès lors la demanderesse en cassation a demandé à sa tante de lui remmener le dossier répressif au Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff, Suivant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, Gacon c. France). » 3 La demanderesse en cassation s’est vue délivrer une copie du dossier répressif au Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff seulement en date du 11 septembre 2023, soit moins de deux semaines avant l’audience du 25 septembre 2023.
De surcroît les seuls manuels de droit disponible au Centre pénitentiaire d’Uerchterhaff, sont un Code pénal, ainsi que le manuel de Me Gaston VOGEL.
Aucun accès à la jurisprudence récente, ni au niveau national, ni au niveau international n’était possible au Centre pénitentiaire d’Uerchterhaff, alors que malgré demandes expresses en ce sens le prévenu n’avait aucun accès internet, ni à des manuels, revues ou recueils de jurisprudence à sa disposition.
Au vu de ce qui précède, la demanderesse en cassation n’avait pas les mêmes facilités que le Ministère public pour organiser sa défense pour l’audience du 25 septembre 2023, ce d’autant plus que le Parquet général s’est opposé catégoriquement à toute remise supplémentaire de l’audience.
Dans ce contexte il est manifestement contraire aux articles 6 et 6.3.b. de la CEDH de rejeter les mémoires déposés par le demandeur en cassation après les débats, alors qu’au vu de la communication tardive de son dossier, il n’était pas en mesure de préparer utilement sa défense, d’une part parce qu’il n’avait pas le matériel nécessaire à sa disposition et d’autre part parce qu’il n’avait pas les facilités nécessaires, à savoir des manuels actualisés ou un accès à la base de donnée jurisprudentielle, de sorte qu’il y avait une manifeste différence entre les moyens à disposition du prévenu et ceux à disposition du ministère public.
Dès lors l’arrêt du 8 novembre 2023, doit être cassé et annulé, pour violation des articles 6 et 6.3.b. de la Convention Européenne des droits de l’Homme. ».
Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé les dispositions visées au moyen en rejetant les deux mémoires déposés par lui après la prise en délibéré de l’affaire, alors qu’il n’aurait pas été en mesure de préparer utilement sa défense avant l’audience en raison de son incarcération, de la communication tardive de son dossier et de l’impossibilité pour lui d’avoir eu accès aux manuels de droit pénal et bases de données nécessaires à la préparation de sa défense.
Le droit à un procès pénal équitable et à l’égalité des armes implique, pour l’accusation comme pour la défense, la faculté de prendre connaissance des observations ou éléments de preuve produits par l’autre partie.
Il résulte des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que depuis l’acte d’appel du 7 juin 2021, le demandeur en cassation a été successivement assisté de trois avocats qui ont chacun déposé leur mandat ; que l’intégralité du dossier répressif a été communiqué quatre fois en copie à ses mandataires ; que l’affaire a été refixée deux fois à sa demande et deux fois à l’initiative de la Cour d’appel pour lui permettre de se faire assister par un avocat ; que suite à la révocation de son sursis probatoire, les copies du dossier répressif, de son mémoire intitulé « Analyse critique du 4 jugement du 29 avril 2021 » et du plumitif de première instance lui ont été transmises au Centre Pénitentaire d’Ueschterhaff et que des ouvrages de droit pénal et de procédure pénale ont été mis à sa disposition ; que deux semaines avant l’audience, son mandataire a déclaré refuser son mandat après qu’une nouvelle remise de l’affaire avait été refusée ; qu’au jour de l’audience, le demandeur en cassation a renoncé à l’assistance d’un avocat par déclaration écrite, datée et signée conformément à l’article 3-6, point 8, du Code de procédure pénale, a été averti du droit de se taire et de ne pas s’incriminer lui-même, a été entendu en ses explications et moyens et a remis à la Cour d’appel son mémoire intitulé « Analyse critique du jugement du 29 avril 2021 », document que celle-ci a pris en considération.
Les juges d’appel ont ainsi pu, sans violer les dispositions visées au moyen, écarter les mémoires qui leur avaient été communiqués par le demandeur en cassation après la prise en délibéré de l’affaire et qui n’avaient pas fait l’objet d’un débat contradictoire.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « Pour violation de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (égalité des armes), de l’article 79-1 du Code de procédure pénal, ainsi que de l’article 154 et suivants du Code de procédure pénale.
En ce que l’arrêt attaqué :
Aux motifs que :
frères mineurs, entendus sans enregistrement vidéo, la Cour d’appel renvoie aux développements de la juridiction quant à la forclusion en application de l’article 126 du Code de procédure pénale, les demandes n’ayant pas été produites endéans un délai de 5 jours à partir de la connaissance des actes.
C’est à bon droit que la juridiction de première instance a qualifié les auditions des mineurs A.A. et E.A. du 1er février 2018 de preuves obtenues illicitement. En effet, il n’a pas été procédé à l’enregistrement sonore ou audiovisuel des auditions des témoins mineurs, ce en violation de l’article 79-1 du code de procédure pénale.
C’est encore à bon droit que par application des principes dégagés par la Cour de Cassation dans son arrêt n°57/2007 du 22 novembre (n°2474 du registre) que les auditions n’ont pas été écartées des débats. En effet, l’audition par 5 enregistrement vidéo des témoins mineurs n’est pas prescrite à peine de nullité, la crédibilité des preuves n’est pas non plus en cause et finalement l’usage de la preuve n’est pas contraire au droit à un procès équitable » Alors que :
La Cour de cassation dans son arrêt n°57/2007 du 22 novembre 2007 a retenu (Cour de cassation Ainsi la jurisprudence de la CEDH a eu l’occasion d’apporter des précisions quant aux caractéristiques que doit présenter la preuve pour être conforme aux exigences du droit à un procès équitable en retenant que Dans le cas d’espèce les auditions des frères de la partie demanderesse en cassation, dont aussi bien les juridictions de première instance que la Cour d’appel ont retenu qu’elles ont été obtenues illégalement, ont été d’une importance primordiale pour l’issue du procès.
Dès lors face à l’importance accordée par les juges du fond, aux témoignages de A.A. et E.A., et de leur caractère déterminant pour les juges du fond il aurait fallu, accorder au même titre une importance particulière aux conditions dans lesquelles les preuves ont été obtenues, y compris le respect des exigences légales, telles que prévues à l’article 79-1 du Code de procédure pénal.
Il convient ici de noter que spécifiquement les deux auditions du témoins A.A.
présentent des divergences notoires telles que l’ont relevées à ce juste titre les juges de première instance dans le jugement du 29 avril 2021, Lors de son audition régulière, ayant eu lieu en date du 22 décembre 2017, il a fait des déclarations selon lesquelles le demandeur de cassation avait déjà des traces de sang sur sa chemise, lorsqu’il est monté dans sa chambre.
Lors de la deuxième audition, obtenue en violation de l’article 79-1 du Code de procédure pénal, A.A. déclara que la chemise de son frère présentait des tâches de sang au moment de se rendre dans la salle de bain.
6 Ainsi, les déclarations de A.A. divergent substantiellement sur le moment où il a aperçu les tâches de sang sur la chemise de son frère.
Cette information est cependant très importante pour les juges de fond, de sorte qu’il est pour le moins étonnant que la Cour approuve les juges de première instance en ce qu’ils ont retenu ( page 21 du jugement du 29 avril 2017) Ainsi il faudrait au moins admettre, que les déclarations recueillis illégalement, et en contradiction avec celles recueillies dans les formes légales, devraient présenter des doutes quant à leur fiabilité et leur exactitude.
Or, les juges du fond, privilégient la preuve obtenue illégalement et vont jusqu’à mettre en doute la preuve administrée correctement en la forme.
Au vu de tout ce qui précède il y a lieu de conclure que par le fait de confirmer les premiers juges en ce qu’ils ont déclaré non fondée la demande de la demanderesse en cassation en annulation, sinon d’écarter des débats les témoignages recueillis de façon illégale, les juges du fond ont violé les dispositions légales précitées de sorte que l’arrêt du 8 novembre 2023 doit être cassé et annulé pour violation de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (égalité des armes), de l’article 79-1 du Code de procédure pénal, ainsi que de l’article 154 et suivants du Code de procédure pénale. ».
Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé les dispositions visées au moyen en n’ayant pas fait droit à sa demande tendant à voir annuler, sinon écarter, les auditions testimoniales des deux témoins mineurs pour ne pas avoir été enregistrées et filmées conformément aux dispositions de l’article 79-1 du Code de procédure pénale.
Le moyen ne précise pas en quoi les juges d’appel auraient violé les dispositions visées au moyen en confirmant la décision des juges de première instance de déclarer le demandeur en cassation forclos à soulever la nullité de ces auditions.
Le moyen est partant irrecevable à cet égard.
Le juge ne peut écarter une preuve obtenue illicitement que si le respect de certaines conditions de forme est prescrit à peine de nullité, si l’irrégularité commise a entaché la crédibilité de la preuve ou si l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable. Ce droit n’est garanti que sous la condition fondamentale du respect de la légalité dans l’administration de la preuve devant les juges du fond.
Il appartient partant au juge d’apprécier l’admissibilité d’une preuve obtenue illicitement en tenant compte des éléments de la cause prise dans son ensemble y compris le mode d’obtention de la preuve et les circonstances dans lesquelles l’illicéité a été commise.
Par les motifs repris au moyen, qui renvoient à ceux des juges de première instance, qui avaient retenu « A titre superfétatoire, aux termes de l’article 79-1 du Code de procédure pénale, lorsqu’un mineur est victime de faits visés aux articles 354 à 360, 364, 365, 372 à 379, 382-1 et 382-2, 385, 393, 394, 397, 398 à 405, 410-1, 410-2 ou 442-1 du Code pénal ou lorsqu’un mineur est témoin de faits visés aux articles 393 à 397, ou 400 à 401bis du Code pénal, l’enregistrement de l’audition du mineur se fait obligatoirement de manière sonore ou audiovisuelle, sauf si, en raison de l’opposition du mineur ou de son représentant légal ou, le cas échéant, de son administrateur ad hoc, à procéder à un tel enregistrement, le procureur d’État décide qu’il n’y a pas lieu de procéder ainsi.
Les mineurs A.A et E.A. ont été entendus en tant que témoins d’infractions aux articles 393 et suivants du Code pénal, de sorte que les dispositions de l’article 79-1 du Code de procédure pénale devaient s’appliquer à leurs auditions.
Les auditions policières du 1er février 2018 des mineurs n’ayant pas été enregistrées sous forme sonore ou audiovisuelle, il y a eu violation de la disposition légale en question.
Force est de constater que le non-respect des dispositions de l’article 79-1 du Code de procédure pénale n’est pas sanctionné à peine de nullité.
Or, en matière de procédure pénale, il n’y a pas de nullité sans texte, le seul amendement à ce principe résulte du respect dû aux droits de la défense (SCHUIND, Traité pratique de Droit criminel, t. II, nullité des actes, p. 352).
Il s’ensuit que le moyen de nullité n’est pas fondé et que ni le procès-verbal dressé par la Police grand-ducale, service de police judicaire ni les auditions policières des mineurs n’encourent la nullité.
Concernant le moyen subsidiaire, il y a lieu de constater que les déclarations des mineurs ont été recueillies en violation des formalités édictées par l’article 79-1 du Code de procédure pénale. Il s’agit partant de preuves qui n’ont pas été légalement administrées.
A noter que le juge ne peut écarter une preuve obtenue illicitement que si le respect de certaines conditions de forme est prescrit à peine de nullité, si l’irrégularité commise a entaché la crédibilité de la preuve ou si l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable (Cour de Cassation, n° 57/2007 du 22 novembre 2007, numéro 2474 du registre).
8 Le premier critère qui se dégage de l’arrêt de la Cour de Cassation (respect de certaines conditions de forme prescrites à peine de nullité) n’est pas en cause dans la présente affaire conformément à ce qui a été exposé ci-dessus.
La crédibilité de la preuve obtenue n’est pas non plus en cause, dans la mesure où les déclarations policières des mineurs ont été recueillies par le commissaire Laurent ZIRVES, partant un agent de police ayant la qualité d’officier de police judiciaire, dont les constatations font foi jusqu’à inscription de faux. Il s’ensuit que les garanties quant à la transcription fidèle par l’agent de police des propos des mineurs ne sont pas à mettre en doute de sorte que la crédibilité de la preuve n’est pas affectée.
Par rapport au troisième critère (usage de la preuve non contraire au droit à un procès équitable), il appartient aux juges du fond d’apprécier l’admissibilité de la preuve en tenant compte de tous les éléments de la cause prise dans son ensemble y compris le mode d’obtention de la preuve et les circonstances dans lesquelles l’illicéité a été commise, au regard du principe de la légalité dans l’administration de la preuve, posé comme condition fondamentale garantissant le droit à un procès équitable. (TAL, jugement n° 3508/2017 du 20 décembre 2017).
En l’occurrence, les éléments de preuve, certes administrés selon une procédure non conforme, ont été recueillis de manière loyale et en toute bonne foi.
Qui plus est, ils ont été librement discutés, analysés et critiqués lors d’un débat contradictoire en audience publique, à l’issue duquel l’appréciation de la fiabilité et de la valeur probante de ces éléments de preuve pourra avoir lieu.
Il résulte de tout ce qui précède que la Chambre criminelle retient qu’en l’espèce, il n’y a pas eu atteinte au droit à un procès équitable et le moyen soulevé par la défense est à rejeter. », les juges d’appel ont pu, sans violer les dispositions visées au moyen, prendre en considération les preuves obtenues illicitement.
Il s’ensuit que le moyen, en ce qu’il fait grief aux juges d’appel de ne pas avoir écarté les auditions des deux témoins mineurs, n’est pas fondé.
Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « Pour violation des articles 154 et 189 du Code de procédure pénal ainsi que le principe de la présomption d’innocence, En ce que l’arrêt attaqué :
Aux motifs que :
C’est à bon droit que la juridiction de première instance a qualifié les auditions des mineurs A.A. et E.A. du 1er février 2018 de preuves obtenues illicitement. En effet, il n’a pas été procédé à l’enregistrement sonore ou audiovisuel des auditions des témoins mineurs, ce en violation de l’article 79-1 du code de procédure pénale.
C’est encore à bon droit que par application des principes dégagés par la Cour de Cassation dans son arrêt n°57/2007 du 22 novembre (n°2474 du registre) que les auditions n’ont pas été écartées des débats. En effet, l’audition par enregistrement vidéo des témoins mineurs n’est pas prescrite à peine de nullité, la crédibilité des preuves n’est pas non plus en cause et finalement l’usage de la preuve n’est pas contraire au droit à un procès équitable » (…) Les conclusions de l’expert ESPERANCA quant à la réalisation des blessures d’PERSONNE1.) à l’étage est confirmée par les déclarations des témoins PERSONNE2.), E.A. et également A.A., bien que seulement lors de sa deuxième audition en date du 1er février 2018, Même si A.A. a lors de sa première audition déclaré qu’PERSONNE1.) est monté du rez-de-chaussée à l’étage en présentant une chemise maculée de sang, toujours est-il qu’il y a lieu de rappeler qu’il s’agit d’un enfant mineur de neuf ans, qui a fait ces déclarations seulement quelques heures après le décès de son père. Il n’est pas à exclure que le mineur lors de sa première audition a fait des déclarations erronées quant au moment où il a réalisé que la chemise d’PERSONNE1.) était recouverte de sang. Il résulte en effet de la transcription de l’audition (n°89) que son demi-frère l’a rendu attentif à la présence de sang sur sa chemise lors de son invitation à quitter sa chambre respectivement qu’il a vu le sang lorsqu’il voulait regarder par la fenêtre de la chambre d’PERSONNE1.).
Au vu de l’absence d’arme blanche susceptible d’avoir été manipulée par PERSONNE3.), au vue de l’absence de traces susceptibles de confirmer la version d’PERSONNE1.) que les blessures perforantes au torse lui ont été portées par PERSONNE3.) à l’entrée de l’immeuble, au vu des déclarations des témoins que la chemise d’PERSONNE1.) n’était pas maculée de sang lors de sa montée à l’étage suite aux faits et au vu de l’envergure des blessures perforantes constatées sur PERSONNE1.), la Cour d’appel arrive à la conclusion que les blessures perforantes sont le résultat d’une automutilation de la part d’PERSONNE1.) telle que retenue par la juridiction de première instance.
Alors que :
En matière pénal, valeur probante des éléments sur lesquels il fonde son intime conviction (cf. Cass.
Belge, 31 décembre 1985, Pas. Belge 1986, I, 549). » 10 La doctrine retient que L’intime conviction ne saurait être considérée comme un moyen de preuve, mais doit résulter de preuves légalement admissibles (SPIELMAN Dean et Alphonse, "Droit pénal général luxembourgeois.", Editions Bruylant, 2014, p. 165 et 166), Suivant l'arrêt de la Cour supérieure de justice du 4 novembre 1974 (Pas., 23, 40) Suivant l'arrêt de la Cour supérieure de justice (Cour d'appel) du 14 juin 2002 (n°153/02 V), en matière pénale, l'intime conviction du juge ne constitue pas, en elle-même, une preuve mais ne peut être que la suite d'éléments concordants de fait et de preuves sur lesquels le juge doit s'appuyer pour justifier sa décision ».
En l’espèce tel que relevé par la Cour d’appel les juridictions pour entériner les conclusions de l’expert ESPERANCA de la théorie d’automutilation de la partie demanderesse en cassation, s’est appuyé sur les déclarations de PERSONNE2.) et de E.A. et de A.A..
En ne pas écartant les déclarations des témoins mineurs, en retenant que les preuves même si obtenues illégalement ne seraient pas à écarter des débats, les juges ont partant pris position sur le caractère légal des preuves.
Or, suivant la jurisprudence de la Cour, pour former l’intime conviction à partir du faisceau d’indice, il faut que la conviction il faut la double condition, soit les conditions cumulatives que les moyens de preuves ont été légalement admis (ce qui est le cas en l’espèce suite au raisonnement des juridictions de fond qui n’ont pas écartés les témoignages de mineurs), et qu’elles ont été administrés dans les formes.
Or cette deuxième condition n’est pas remplie en l’espèce.
Dès lors pour former son faisceau d’indice les juges du fond s’appuient sur des éléments qui ne sont pas, tel que le requiert le droit national et le droit international par des moyens de preuves légalement admis et administrés dans les formes.
D’une part, les déclarations des mineurs, n’ont pas été correctement administrés en leur forme, tel que retenu par les juges de la première instance et d’autre part de la Cour d’appel et d’autre part il y a les témoignages de PERSONNE2.), dont celui devant le juge d’instruction diverge substantiellement de celui sous la foi du serment, alors que sous la foi du serment PERSONNE2.) a déclaré ne plus se souvenir si la chemise de la demanderesse en cassation était entachée de sang. (Plumitif de l’audience du 9 février 2021 page 6).
Or il est de jurisprudence constante que les témoignages sur lesquels le tribunal fonde son intime conviction doit avoir lieu en audience public, 11 tribunal ne pouvant fonder sa décision sur des témoignages recueillis antérieurement et non réitérés en audience. » (CEDH, 24, novembre 1986 - Untergertinger c/ Autriche, série A n°110/33; 19 décembre 1990 -Delter c/ France, série A n°190 §37) Il convient partant de noter que le tribunal s’est fondé sur plusieurs éléments, qui n’ont pas été administrés en la forme légale, pour former son intime conviction.
La CEDH a retenu que qu'en remplissant leurs fonctions, les membres du tribunal ne partent pas de l'idée préconçue que le prévenu a commis l'acte incriminé ; la charge de la preuve pèse sur l'accusation et le doute profite à l'accusé » (Affaire Barbera, Messegué et Jabardo vs Espagne arrêt du 6 décembre 1988).
En fondant leur intime conviction sur des preuves qui n’ont pas été obtenues légalement et qui n’ont pas été administrées en la forme, les juges du fond ont systématiquement écartées les preuves obtenues légalement et administrées en la forme, pour arriver à leur conclusion préconçue de la culpabilité de la partie demanderesse en cassation. Partant en condamnant la demanderesse en cassation, les juges du fond ont violé le principe de la présomption d’innocence, de sorte que l’arrêt du 8 novembre 2023 doit être cassé et annulé. ».
Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir fondé leur intime conviction sur des preuves qui n’avaient pas été obtenues légalement ni administrées dans les formes, à savoir les auditions des témoins mineurs, ainsi que les déclarations d’un témoin devant le juge d’instruction, qui auraient divergé de celles faites à l’audience.
Il résulte de la réponse donnée au deuxième moyen que les juges d’appel pouvaient prendre en considération les auditions des témoins mineurs.
Les juges d’appel ont fondé leur intime conviction, non seulement sur les témoignages visés au moyen, mais également sur l’absence de traces d’ADN de la victime sur le manche de l’arme du crime et la seule présence de l’ADN de la victime sur la lame de cette arme, sur l’absence de blessures défensives sur la personne du demandeur en cassation, sur l’absence de preuve tendant à établir que la victime voulait se saisir d’une arme blanche, sur l’analyse morphologique des traces de sang, sur la faible gravité des blessures subies par le demandeur en cassation et sur l’absence d’inscriptions au casier judiciaire de la victime.
Ils se sont ainsi basés sur une appréciation globale des éléments de preuve leur soumis pour fonder leur intime conviction, sans que les arguments invoqués par le demandeur en cassation soient de nature à démontrer l’existence d’une idée préconçue quant à sa culpabilité.
Il s’ensuit que le moyen, qui procède d’une lecture incomplète de l’arrêt attaqué, n’est pas fondé.
12 Sur le quatrième moyen de cassation Enoncé du moyen « Pour violation de l'obligation de motivation des jugements découlant des articles 89 de la Constitution, de l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et de l'article 195 du Code de procédure pénale.
Alors que :
Le demandeur en cassation a formulé des contestations relatives à l’expertise en morphoanalyse, notamment en ce qu’une partie des documents soumis à l’expert n’ont pas fait l’objet d’une traduction, Les contestations relatives au fait que l’expert ESPERANCA que les déclarations des témoins sur lesquels reposait entre autres l’expertise, formulées à la page 7 du mémoire intitulé , ont été actées par la Cour en ce qu’elle a relevé que , Or la Cour ne se prononce aucunement sur les contestations du demandeur en cassation sur l’expertise et notamment l’absence de traduction des documents à la base de l’expertise en une langue compréhensible par l’expert.
En ne pas prenant position sur les contestations du prévenu, la Cour n’a tout simplement pas statué sur lesdites contestations, ni dans les motifs, ni dans le dispositif, Dès lors, en ne statuant pas sur les contestations soulevées par le demandeur en cassation, l’arrêt doit être cassé et annulé pour défaut de motivation. ».
Réponse de la Cour A l’article 89 de la Constitution invoqué à l’appui du moyen, il y a lieu de substituer l’article 109 de la Constitution, dans sa version applicable depuis le 1er juillet 2023, partant au jour du prononcé de l’arrêt attaqué.
Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel de ne pas avoir statué sur ses contestations relatives au fait qu’une partie des documents soumis à l’expert en morpho-analyse par le juge d’instruction n’aurait pas fait l’objet d’une traduction.
Il résulte des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que l’expert en morpho-analyse a reçu la traduction de procès-verbaux et de rapports rédigés en langue allemande, qu’il a rédigé son rapport sans mentionner qu’il n’aurait pas disposé de toutes les traductions nécessaires et qu’il a été entendu lors des débats en première instance sans que ce problème ait été soulevé par lui ou par le demandeur en cassation.
Le moyen ne précisant pas quels documents n’auraient pas été traduits ni quelles conséquences cette absence de traduction aurait eu sur les conclusions de l’expert et sur l’appréciation des juges d’appel quant à la culpabilité du demandeur en cassation, la Cour n’est pas en mesure d’en apprécier le sens et la portée.
Il s’ensuit que le moyen est irrecevable.
Sur le cinquième moyen de cassation Enoncé du moyen « Pour violation de l'obligation de motivation des jugements découlant des articles 89 de la Constitution, de l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et de l'article 195 du Code de procédure pénale.
Alors que :
Le demandeur de cassation a sur une base subsidiairement demandé l’acquittement sur base du doute alors que les indices retenus par la juridiction de première instance ne seraient pas univoques, La Cour a acté la demande subsidiaire du demandeur en cassation en retenant que (p. 29 arrêt n°67/23 du 8 novembre 2023), Le demandeur a notamment développé sur le fait que les conclusions de l’expert ESPERANCA présentées en première instance divergeaient des explications contenues dans l’expertise effectuée dans le cadre de l’instruction.
En ne pas prenant position sur les contestations du prévenu, la Cour n’a tout simplement pas statué sur lesdites contestations, ni dans les motifs, ni dans le dispositif, Dès lors, en ne statuant pas sur les contestations soulevées par le demandeur en cassation, l’arrêt doit être cassé et annulé pour défaut de motivation. ».
Réponse de la Cour A l’article 89 de la Constitution invoqué à l’appui du moyen, il y a lieu de substituer l’article 109 de la Constitution, dans sa version applicable depuis le 1er juillet 2023, partant au jour du prononcé de l’arrêt attaqué.
Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel de ne pas avoir pris position sur ses contestations relatives au fait que les conclusions présentées par l’expert en première instance divergeaient de celles énoncées dans son rapport.
Le moyen ne précisant ni quelles conclusions de l’expert à l’audience auraient divergé de celles énoncées dans son rapport, ni en quoi elles auraient divergé, ni quelles conséquences cette divergence aurait eu sur l’appréciation des juges d’appel quant à la culpabilité du demandeur en cassation, la Cour n’est pas en mesure d’en apprécier le sens et la portée.
Il s’ensuit que le moyen est irrecevable.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;
condamne le demandeur en cassation aux frais de l’instance en cassation, ceux exposés par le Ministère public étant liquidés à 11 euros.
Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, dix-sept octobre deux mille vingt-quatre, à la Cité Judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :
Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, qui, à l’exception du conseiller Marie-Laure MEYER, qui se trouvait dans l’impossibilité de signer, ont signé le présent arrêt avec le greffier à la Cour Daniel SCHROEDER.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence de l’avocat général Bob PIRON et du greffier Daniel SCHROEDER.
Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) en présence du Ministère Public et de la partie civile l’établissement public CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE PENSION N° CAS-2023-00181 du registre Par déclaration faite le 5 décembre 2023 au greffe de la Cour Supérieure de Justice du Grand-Duché de Luxembourg, PERSONNE1.) a formé un recours en cassation contre un arrêt n° 67/23 rendu le 8 novembre 2023 par la chambre criminelle de la Cour d’appel.
Cette déclaration de recours a été suivie le 2 janvier 2024 par le dépôt du mémoire en cassation prévu à l’article 43 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, signé par Maître Sam PLETSCH, avocat à la Cour, et signifié le 28 décembre 2023 à la partie civile, l’établissement public CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE PENSION.
Le pourvoi, dirigé contre un arrêt qui a statué de façon définitive sur l’action publique, a été déclaré dans la forme et le délai de la loi. De même, le mémoire en cassation prévu à l’article 43 de la loi modifiée du 18 février 1885 a été déposé dans la forme et le délai y imposés.
Il en suit que le pourvoi est recevable.
16 Faits et rétroactes Par un jugement n° 29/2021 du 29 avril 2021, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en chambre criminelle, avait condamné PERSONNE1.) du chef de meurtre à une peine de réclusion de 24 ans, dont 8 ans assortis du sursis et, au civil, l’avait condamné à payer à l’établissement public CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE PENSION un certain montant à titre d’indemnisation de son préjudice matériel.
Par un arrêt n° 67/23 du 8 novembre 2023, la Cour d’appel a confirmé le jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, sauf à fixer la peine de réclusion à 24 ans dont 10 ans avec sursis.
Sur le premier moyen de cassation Le premier moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et plus particulièrement de la violation du droit à un procès équitable, du principe de l’égalité des armes et du droit de disposer du temps et des facilités nécessaires pour organiser sa défense.
Aux termes de ce moyen, le demandeur en cassation fait grief à la Cour d’appel d’avoir rejeté deux mémoires qu’il avait versés après la clôture des débats et la prise en délibéré de l’affaire.
Il fait valoir qu’à la suite des dépôts de mandat des trois avocats qui l’avaient successivement assisté en instance d’appel, il aurait dû se défendre lui-même. Il explique encore que le dossier répressif lui aurait été communiqué tardivement, seulement deux semaines avant l’audience de la Cour d’appel. Par ailleurs, ayant été incarcéré en raison de la révocation de son contrôle judiciaire, il n’aurait pas eu accès aux ouvrages de droit et à la jurisprudence nécessaires à sa défense. Il considère qu’en raison de ces circonstances, il n’aurait pas disposé du temps et des facilités nécessaires pour organiser sa défense et les mémoires en question auraient dû être pris en considération.
L’arrêt entrepris est motivé comme suit sur le point considéré :
« Contrairement aux développements du prévenu, la Cour d’appel retient qu’PERSONNE1.) a été parfaitement en mesure d’organiser sa défense, ce malgré sa privation de liberté en raison d’une révocation de son contrôle 17 judiciaire par un arrêt de la Cour d’appel du 24 juillet 2023, et que ses droits de la défense n’ont nullement été affectés.
En effet, depuis l’acte d’appel de son mandataire en date du 7 juin 2021, PERSONNE1.) a été à même d’organiser sa défense. Il était ainsi assisté d’au moins trois avocats, dont un désigné d’office par la Cour, avocats qui ont cependant déposé leur mandat, respectivement l’avocat désigné d’office a été déchargé par la Cour d’appel de son mandat à sa demande expresse.
La défense d’PERSONNE1.) a notamment consisté dans un mémoire écrit intitulé « Analyse critique du jugement du 29 avril 2021 ».
Il y a cependant lieu de rejeter le mémoire en conclusion d’PERSONNE1.), daté au 4 octobre 2023, reçu par la Cour d’appel en date 18 octobre 2023, ainsi que le mémoire daté au 29 octobre 2023, reçu par la Cour d’appel en date du 6 novembre 2023. En effet, contrairement au premier mémoire, qui a fait l’objet d’un débat contradictoire à l’audience publique du 25 septembre 2023, les mémoires précités n’ont été communiqués à la Cour d’appel qu’après la prise en délibéré de l’affaire. Ces mémoires, n’ayant pas fait l’objet d’un débat contradictoire, sont dès lors à rejeter. » La révocation du contrôle judiciaire intervenue par arrêt du 24 juillet 2023 par la chambre des vacations de la Cour d’appel n’est pas non plus de nature à porter atteinte aux droits de la défense du prévenu, une copie de l’intégralité du dossier ayant été remise au prévenu respectivement à ses mandataires et les plumitifs d’audience de première instance ainsi qu’une copie de son mémoire lui ont été communiqués à sa demande au centre pénitentiaire. » Il convient tout d’abord de rappeler les faits suivants :
Le demandeur en cassation, qui avait bénéficié d’une mise en liberté avec placement sous contrôle judiciaire le 29 juillet 2019, avait été défendu en première instance par Maître Philippe PENNING1 auquel une copie du dossier avait été communiqué. Le jugement de première instance date du 29 avril 2021.
À la suite de l’appel du demandeur en cassation, une nouvelle copie du dossier comprenant en outre les extraits du plumitif de première instance avait été communiquée à Maître Philippe PENNING le 22 octobre 20212.
1 Pièce n° 1 du Parquet général.
2 Pièce n° 2 du Parquet général.
L’affaire devait paraître devant la Cour d’appel le 14 mars 2022, mais a dû être refixée au 19 septembre 2022 à la demande de Maître Philippe PENNING en raison de l’infection au Covid 19 du demandeur en cassation3.
Le 6 septembre 2022, Maître Philippe PENNING, a informé la Cour d’appel qu’il avait déposé son mandat. A l’audience du 19 septembre 20224 l’affaire a en conséquence été refixée au 23 janvier 2023 pour permettre au demandeur en cassation de se faire assister par un nouvel avocat5.
A l’audience du 23 janvier 2023, le demandeur en cassation s’est présenté sans avocat. Il a versé à la Cour d’appel un mémoire intitulé « Analyse critique du jugement du 29 avril 2021 ». Sur décision des juges d’appel, l’affaire a été refixée au 19 juin 20236 et la Cour d’appel a désigné Maître Lynn Frank comme avocat du demandeur en cassation conformément à l’article 3-6 (2) du Code de procédure pénale7. Les pièces du dossier lui furent communiquées le 27 janvier 20238. Or, Maître Lynn Frank a fait savoir à la Cour dès le 15 février 2023 qu’elle n’entendait pas poursuivre ce mandat9 et a maintenu sa position lors de la chambre du conseil du 27 février 2023, de sorte que la Cour d’appel l’a déchargée de sa nomination d’office.
Maître Michel KARP s’est ensuite constitué pour le demandeur en cassation le 14 avril 202310. Une copie du dossier lui a été délivrée le 17 avril 202311. Maître KARP a cependant déposé son mandat le 14 juin 202312.
A l’audience du 19 juin 2023, le demandeur en cassation s’est de nouveau présenté sans avocat et la Cour d’appel a accepté une nouvelle remise de l’affaire, cette fois-ci à l’audience du 25 septembre 2023 pour lui permettre de se faire assister par un avocat.
Par un arrêt du 24 juillet 2023, la Cour d’appel a révoqué la libération provisoire sous contrôle judiciaire du demandeur en cassation et a décerné à son encontre 3 Pièce n° 3 du Parquet général.
4 Pièce n° 4 du Parquet général.
5 Pièce n° 5 du Parquet général.
6 Pièce n° 8 du Parquet général 7 Pièce n° 6 du Parquet général.
8 Pièce n° 7 du Parquet général.
9 Pièce n° 9 du Parquet général.
10 Pièce n° 10 du Parquet général.
11 Pièce n° 11 du Parquet général.
12 Pièce n° 12 du Parquet général.un mandat de dépôt, au motif qu’il avait volontairement refusé de se soumettre à certaines des obligations lui imposées par le contrôle judiciaire13.
Le mandat de dépôt a été exécuté contre le demandeur en question le 27 juillet 2023 et il a été incarcéré au Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff.
Le 18 août 2023, respectivement le 25 août 2023, le Parquet général a été contacté par le Service psycho-social et socio-éducatif du Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff, afin de permettre à la tante du demandeur en cassation de récupérer notamment la clé de son appartement afin de lui apporter les documents relatifs au dossier répressif. Cette demande a été accueillie positivement par le Parquet général le 25 août 202314.
Dans un courrier du 7 septembre 2023 le demandeur en cassation a demandé de se voir communiquer plusieurs recueils de droit en vue de la préparation de sa défense. Le soussigné est alors intervenu le 8 septembre 2023 auprès du Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff afin que les ouvrages de droit pénal et de procédure pénal disponibles dans leur bibliothèque soient mis à sa disposition15.
À la suite d’une demande du demandeur en cassation du 11 septembre 2023 de se voir communiquer le plumitif d’audience de première instance, ainsi qu’une copie de son propre mémoire intitulé « Mémoire – Analyse critique du jugement du 29 avril 2021 », ces documents lui ont été communiqués le jour même16.
Maître Sam PLETSCH a ensuite contacté le Parquet général seulement le 7 septembre 2023, soit deux semaines avant l’audience du 25 septembre 2023 en affirmant ne vouloir accepter un mandat que pour autant qu’une nouvelle remise était accordée au demandeur en cassation17. Au vu du refus du soussigné, Maître PLETSCH a déclaré informer le demandeur en cassation qu’il n’allait pas accepter le mandat.
A l’audience du 25 septembre 2023, le demandeur en cassation s’est présenté seul, a renoncé à l’assistance d’un avocat par déclaration écrite, datée et signée conformément à l’article 3-6 point 8 du Code de procédure pénale, a été averti de son droit de se taire et de ne pas s’incriminer lui-même et a été entendu en ses 13 Pièce n° 13 du Parquet général.
14 Pièce n° 14 du Parquet général.
15 Pièce n° 15 du Parquet général.
16 idem.
17 Pièce n° 16 du Parquet général.explications et moyens de défense18. A l’appui de sa défense, outre le document intitulé « Mémoire – Analyse critique du jugement du 29 avril 2021 »19 il a encore versé une requête intitulée « Demande de communication d’information du MP »20, documents que la Cour d’appel a pris en considération dans son arrêt.
Après la clôture des débats et la prise en délibéré de l’affaire, le demandeur en cassation a encore déposé deux mémoires les 18 octobre 2023 et 29 octobre 2023.
Les juges d’appel ont cependant rejeté ces documents pour ne pas avoir été soumis au débat contradictoire.
Il est rappelé que conformément à l’article 65 du Nouveau code de procédure civile, considéré par Votre Cour comme applicable en matière pénale21, « Le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir dans sa décision les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement22. (…) ».
Il en suit qu’en rejetant des conclusions écrites supplémentaires versées par le demandeur en cassation après la clôture des débats et la prise en délibéré de l’affaire, les juges d’appel, loin de violer les droits de la défense du demandeur en cassation, n’ont fait qu’observer le principe du contradictoire qui les a obligés d’écarter les documents produits devant eux par le demandeur en cassation qui n’avaient pas fait l’objet d’un débat contradictoire.
Il en suit que le moyen n’est pas fondé.
Il est encore relevé que contrairement à ce qu’indique le demandeur en cassation dans son moyen, il résulte des éléments factuels exposés ci-dessus qu’il n’a pas reçu communication du dossier seulement deux semaines avant l’audience de la Cour d’appel et qu’il avait amplement le temps et les facilités pour préparer sa défense. Après la première remise accordée au demandeur en cassation pour des raisons médicales, l’affaire a connu en instance d’appel pas moins de trois autres remises, toujours pour le même motif, à savoir pour permettre au demandeur en cassation d’organiser sa défense.
18 Arrêt entrepris, page 26.
19 Pièce n° 4 du demandeur en cassation.
20 Pièce n° 5 du demandeur en cassation.
21 Cass., 9 janvier 2014, n° 3272 du registre, n° 3/2014 pénal ; Cass. 26 juin 2014, n° 3375 du registre n° 30/2014 pénal.
22 C’est nous qui soulignons.Par les motifs reproduits ci-dessus, les juges d’appel ont considéré que les droits de la défense du demandeur en cassation n’avaient pas été entravés à cet égard.
Ce constat relève de leur appréciation souveraine des faits.
Vu sous cet angle, le moyen ne saurait être accueilli puisque, sous le couvert du grief de la violation de la disposition légale y visée, il ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, du constat que le demandeur en cassation avait disposé du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense, cette appréciation relevant de leur pouvoir souverain qui échappe au contrôle de Votre Cour.
Sur le deuxième moyen de cassation Le deuxième moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 6 de de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’article 79-1 du Code de procédure pénale, ainsi que des articles 154 et suivants du Code de procédure pénale.
Aux termes du deuxième moyen, le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé les dispositions légales reproduites au moyen en ayant déclaré non fondée sa demande tendant à l’annulation, sinon à voir écarter des débats les auditions testimoniales de ses demi-frères mineurs au motif qu’elles auraient été de recueillies de façon illégale. Il fait valoir que l’usage de cette preuve illégale était contraire au droit à un procès équitable.
Les motifs attaqués sont les suivants :
« En ce qui concerne la demande d’annulation des auditions de ses demi-
frères mineurs, entendus sans enregistrement vidéo, la Cour d’appel renvoie aux développements de la juridiction de première instance quant à la forclusion en application de l’article 126 du Code de procédure pénale, les demandes n’ayant pas été produites endéans un délai de 5 jours à partir de la connaissance des actes.
C’est à bon droit que la juridiction de première instance a qualifié les auditions des mineurs A.A. et E.A. du 1er février 2018 de preuves obtenues illicitement. En effet, il n’a pas été procédé à l’enregistrement sonore ou audiovisuel des auditions des témoins mineurs, ce en violation de l’article 79-1 du Code de procédure pénale.
22 C’est encore à bon droit que par application des principes dégagés par la Cour de cassation dans son arrêt n° 57/2007 du 22 novembre 2007 (n° 2474 du registre), que les auditions n’ont pas été écartées des débats. En effet, l’audition par enregistrement vidéo des témoins mineurs n’est pas prescrite à peine de nullité, la crédibilité de la preuve obtenue n’est pas non plus en cause et finalement l’usage de la preuve n’est pas contraire au droit à un procès équitable. » Les juges d’appel ont ainsi adopté sur le point considéré une motivation propre, tout en renvoyant à la motivation des juges de première instance.
Les juges de première instance avaient motivé leur décision comme suit sur le point considéré :
« Le défenseur du prévenu a demandé l’annulation sinon l’écartement des dépositions faites le 1er février 2018 par les deux frères mineurs de PERSONNE1.) pour ne pas avoir été réalisées conformément à l’article 79-
1 du Code de procédure pénale.
En qualifiant sa demande de « demande tendant à voir écarter des débats », le défenseur du prévenu invoque une cause d’illégalité ou d’irrégularité affectant un acte de la procédure d’enquête et sa demande tendant à voir sanctionner cette illégalité ou irrégularité, est le propre d’une demande en annulation (Cour n° 83/18 X du 21 février 2018 ; Cour n° 84/12 V du 7 février 2010 ; Cour n° 414/11 V du 15 juillet 2011).
« Une audition policière exécutée sur commission rogatoire du juge d’instruction, constitue un acte de procédure et ne saurait être simplement écartée par le juge du fond auquel cet acte de procédure est soumis. Il appartient au juge de vérifier si l’acte est sujet à annulation au sens strict du terme et notamment si la demande ne se heurte à l’écoulement d’aucun délai de forclusion. Les plaideurs ne sauraient simplement, en substituant à la qualification de « demande en annulation », effectivement applicable en l’espèce, une autre qualification de leur invention, pour échapper au régime fixé par le Code de procédure pénale pour régir ces demandes en annulation » (Cour 83/18 X du 21 février 2018).
Pour ce qui est de la demande en nullité, de façon générale, le droit interne luxembourgeois confère à l’inculpé le droit de soulever tout moyen de nullité 23 au cours de l’instruction préparatoire sur base de l’article 126 du Code de procédure pénale. Les délais de forclusion des articles 48-2 et 126, §3, du Code de procédure pénale s’appliquent « quelle que soit la violation de la règle de droit invoquée, législation nationale ou internationale y compris celles pouvant éventuellement découler d’une violation des droits de l’homme ou des droits de la défense » (Cour de Cassation, arrêts du 31 janvier 2013, n°7/2013 pénal, du 11 juillet 2013, n° 48/2013 pénal et du 28 avril 2016, n° 17/2016 pénal).
Dans l’affaire A.T. c/ Luxembourg, la Cour européenne des droits de l’homme considère que le justiciable doit pouvoir disposer d’une voie de recours pour réparer les conséquences d’une atteinte à ses droits. Si l’atteinte a été commise au cours de la phase d’instruction et que les juridictions d’instruction déclarent les requêtes en annulation irrecevables, il appartient aux juridictions de fond de réparer cette atteinte aux droits de la défense. Tel est le cas si des voies de recours ne sont pas prévues en droit interne, ou si celles instaurées par la législation nationale n’existent pas « à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique » (Cour européenne des droits de l’homme, Affaire A.T.
c/Luxembourg du 9 avril 2015, points 43, 73-75).
Or, dans le cas d’espèce, le prévenu disposait d’un recours effectif, garantissant le respect des droits de la défense, en application de l’article 126 du Code de procédure pénale.
Il n’appartient pas aux juridictions du fond de suppléer à la carence d’un prévenu ou inculpé ayant omis d’introduire, dans le délai, une demande en annulation contre un acte de l’enquête préliminaire ou de l’instruction judiciaire, de sorte que le prévenu est actuellement forclos à invoquer la nullité et à demander que les auditions soient écartées des débats. (Cour 83/18, cit. ci-avant).
L’interdiction de former voire de réitérer devant les juridictions du fond des recours en nullité a pour but d’assurer une bonne administration de la justice. En confiant, sauf de rares exceptions, le contentieux relatif à l’instruction préparatoire aux seules juridictions d’instruction à l’exclusion des juridictions de fond, le droit interne luxembourgeois assure la sécurité juridique en évitant une continuelle remise en question des décisions prises au cours de l’instruction préparatoire et dissuade les recours dilatoires.
24 (TAL 13 juillet 2017 LCRI 44/17, confirmé par arrêt de la Cour d’Appel du 27 mars 2018, n° 13/18 Ch. Crim).
Le fait de baser actuellement sa demande en nullité sur des articles de la Convention Européenne des Droits de l’Homme n’en fait pas un moyen nouveau, qui pourrait, le cas échéant, être invoqué devant les juridictions de fond.
Il s’ensuit que la défense est actuellement forclose à demander la nullité des auditions en question.
La défense est encore forclose à soulever cette nullité, étant donné qu’elle aurait dû le faire in limine litis, ce qui n’a manifestement pas été le cas, alors que cette demande n’a été présentée que lors des plaidoiries de la défense.
A titre superfétatoire, aux termes de l’article 79-1 du Code de procédure pénale, lorsqu’un mineur est victime de faits visés aux articles 354 à 360, 364, 365, 372 à 379, 382-1 et 382-2, 385, 393, 394, 397, 398 à 405, 410-1, 410-2 ou 442-1 du Code pénal ou lorsqu’un mineur est témoin de faits visés aux articles 393 à 397, ou 400 à 401bis du Code pénal, l’enregistrement de l’audition du mineur se fait obligatoirement de manière sonore ou audiovisuelle, sauf si, en raison de l’opposition du mineur ou de son représentant légal ou, le cas échéant, de son administrateur ad hoc, à procéder à un tel enregistrement, le procureur d’État décide qu’il n’y a pas lieu de procéder ainsi.
Les mineurs A.A et E.A. ont été entendus en tant que témoins d’infractions aux articles 393 et suivants du Code pénal, de sorte que les dispositions de l’article 79-1 du Code de procédure pénale devaient s’appliquer à leurs auditions.
Les auditions policières du 1er février 2018 des mineurs n’ayant pas été enregistrées sous forme sonore ou audiovisuelle, il y a eu violation de la disposition légale en question.
Force est de constater que le non-respect des dispositions de l’article 79-1 du Code de procédure pénale n’est pas sanctionné à peine de nullité.
Or, en matière de procédure pénale, il n’y a pas de nullité sans texte, le seul amendement à ce principe « pas de nullité sans texte » résulte du respect dû 25 aux droits de la défense (SCHUIND, Traité pratique de Droit criminel, t. II, nullité des actes, p. 352).
Il s’ensuit que le moyen de nullité n’est pas fondé et que ni le procès-verbal dressé par la Police grand-ducale, service de police judicaire ni les auditions policières des mineurs n’encourent la nullité.
Concernant le moyen subsidiaire, il y a lieu de constater que les déclarations des mineurs ont été recueillies en violation des formalités édictées par l’article 79-1 du Code de procédure pénale. Il s’agit partant de preuves qui n’ont pas été légalement administrées.
A noter que le juge ne peut écarter une preuve obtenue illicitement que si le respect de certaines conditions de forme est prescrit à peine de nullité, si l’irrégularité commise a entaché la crédibilité de la preuve ou si l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable (Cour de Cassation, n° 57/2007 du 22 novembre 2007, numéro 2474 du registre).
Le premier critère qui se dégage de l’arrêt de la Cour de Cassation (respect de certaines conditions de forme prescrites à peine de nullité) n’est pas en cause dans la présente affaire conformément à ce qui a été exposé ci-dessus.
La crédibilité de la preuve obtenue n’est pas non plus en cause, dans la mesure où les déclarations policières des mineurs ont été recueillies par le commissaire Laurent ZIRVES, partant un agent de police ayant la qualité d’officier de police judiciaire, dont les constatations font foi jusqu’à inscription de faux. Il s’ensuit que les garanties quant à la transcription fidèle par l’agent de police des propos des mineurs ne sont pas à mettre en doute de sorte que la crédibilité de la preuve n’est pas affectée.
Par rapport au troisième critère (usage de la preuve non contraire au droit à un procès équitable), il appartient aux juges du fond d’apprécier l’admissibilité de la preuve en tenant compte de tous les éléments de la cause prise dans son ensemble y compris le mode d’obtention de la preuve et les circonstances dans lesquelles l’illicéité a été commise, au regard du principe de la légalité dans l’administration de la preuve, posé comme condition fondamentale garantissant le droit à un procès équitable. (TAL, jugement n° 3508/2017 du 20 décembre 2017).
26 En l’occurrence, les éléments de preuve, certes administrés selon une procédure non conforme, ont été recueillis de manière loyale et en toute bonne foi. Qui plus est, ils ont été librement discutés, analysés et critiqués lors d’un débat contradictoire en audience publique, à l’issue duquel l’appréciation de la fiabilité et de la valeur probante de ces éléments de preuve pourra avoir lieu.
Il résulte de tout ce qui précède que la Chambre criminelle retient qu’en l’espèce, il n’y a pas eu atteinte au droit à un procès équitable et le moyen soulevé par la défense est à rejeter. » Il résulte de cette motivation que les juges de première instance ont considéré que la demande tendant à voir écarter des débats les auditions testimoniales en question était à assimiler à une demande en annulation d’un acte de la procédure de l’instruction préparatoire et était soumise à ce titre au régime de l’article 126 du Code de procédure pénale.
Les juges de première instance ont fondé leur décision de ne pas écarter les auditions testimoniales en question sur deux motifs distincts, dont chacun pris individuellement constitue un motif suffisant au soutien de cette décision et aucun n’en constitue un motif nécessaire.
Le premier motif est celui en vertu duquel les juges de première instance ont dit que la défense était forclose à soulever la nullité des auditions en cause, faute d’avoir demandé cette nullité dans les conditions de l’article 126 du Code de procédure pénale.
Le deuxième motif, qui est surabondant, est introduit par les termes « à titre superfétatoire » soulignant ainsi son caractère superflu. En vertu de ce second motif, les juges de première instance ont considéré que bien que les auditions en question constituent des preuves obtenues illicitement alors qu’elles n’ont pas été recueillies dans les formes prévues par l’article 79-1 du Code de procédure pénale qui, en l’espèce, aurait exigé que les auditions des deux frères mineurs fassent l’objet d’un enregistrement sous forme sonore ou audiovisuelle, ces preuves n’étaient pour autant pas à écarter des débats au motif que la violation de la disposition de l’article 79-1 du Code de procédure pénale n’était pas sanctionnée de nullité, que l’irrégularité commise n’avait pas entaché la crédibilité de la preuve et que l’usage de ces éléments de preuve n’était pas contraire au droit à un procès équitable.
Il ne résulte pas de la motivation des juges d’appel, qui, rappelons-le, ont confirmé la décision de première instance sur le point considéré, auraient voulu remettre en question la décision des juges de première instance de considérer que le deuxième motif est surabondant par rapport au premier motif.
En ce qui concerne le motif tiré de ce que le demandeur en cassation a été déclaré forclos, en application de l’article 126 du Code de procédure pénale, à demander l’annulation les auditions testimoniales en cause, respectivement à demander qu’elles soient écartées des débats, il est relevé que suivant une jurisprudence constante de Votre Cour, d’ailleurs rappelée par les juges de première instance23, « toutes les nullités de la procédure préliminaire et de la procédure d’instruction, quelle que soit la violation de la règle invoquée, législation nationale ou internationale, sont soumises au délai de forclusion des articles 48-2 et 126, paragraphe 3 du Code de procédure pénale »24. Votre Cour retient ainsi que les juges du fond, lorsqu’ils décident qu’un prévenu est forclos à soulever devant eux une nullité de la procédure préliminaire et de la procédure d’instruction, ne violent pas l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme consacrant le droit à un procès équitable25.
Il en suit que le demandeur en cassation est mal fondé à invoquer la violation de la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que des dispositions de droit interne visées au moyen pour tourner l’interdiction de formuler devant les juridictions de fond des recours en nullité dirigés contre des actes de l’instruction préparatoire, en l’espèce l’audition policière de deux témoins mineurs et faire grief aux juges d’appel de ne pas avoir écarté ces actes de l’instruction préparatoire.
Le moyen, en ce qu’il vise le motif en vertu duquel les juges de première instance ont dit que la défense était forclose à soulever la nullité des auditions en question, n’est donc pas fondé.
Dans la mesure où ce motif constitue un motif suffisant au soutien de la décision des juges d’appel de ne pas écarter des débats l’audition policière faite de deux témoins mineurs, le deuxième motif fondé sur les considérations que l’audition par enregistrement sonore ou audiovisuel des témoins mineurs n’est pas prescrite à peine de nullité, que la crédibilité de la preuve obtenue n’est pas remise en cause 23 Arrêt entrepris, page 7.
24 Cass. 11 février 2010, n° 2711 du registre, Pas. 35, 130 ; Cass. 6 décembre 2012, n° 3141 du registre ;
Cass. 31 janvier 2013, n° 2711 du registre, Pas. 36, 382 ; Cass. 11 juillet 2013, n° 3225 du registre ; Cass.
31 janvier 2019, n° 4071 du registre ; Cass 13 février 2020, n° CAS-2019-00040 du registre.
25 Idem, et, en particulier, Cass. 31 janvier 2019, n° 4071 du registre. et que l’usage de la preuve n’est pas contraire au droit à un procès équitable, constitue un motif surabondant pour justifier la même décision.
Il en suit le moyen, en ce qu’il vise ce deuxième motif surabondant, est inopérant.
A titre subsidiaire, par rapport au deuxième motif, il est rappelé que Votre Cour a décidé ce qui suit dans un arrêt de principe du 22 novembre 2007 :
« Attendu que le juge ne peut écarter une preuve obtenue illicitement que si le respect de certaines conditions de forme est prescrit à peine de nullité, si l’irrégularité commise a entaché la crédibilité de la preuve ou si l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable, que ce droit n’est garanti que sous la condition fondamentale du respect de la légalité dans l’administration de la preuve ;
Qu’il appartient néanmoins au juge d’apprécier l’admissibilité d’une preuve obtenue illicitement en tenant compte des éléments de la cause prise dans son ensemble y compris le mode d’obtention de la preuve et les circonstances dans lesquelles l’illicéité a été commise ;
Attendu qu’en refusant de façon péremptoire de prendre en considération tous les éléments de la cause la Cour d’appel a violé la disposition normative susvisée »26.
Cette solution est reprise de la jurisprudence de la Cour de cassation belge qui a retenu dans un arrêt du 23 mars 2004 ce qui suit :
« Attendu qu’en droit belge, l’usage d’une preuve que l’autorité chargée de l’information, de l’instruction et de la poursuite des infractions ou le dénonciateur ont obtenue en vue de l’administration de cette preuve, ensuite d’une infraction, en violation d’une règle du droit de la procédure pénale, ensuite d’une violation du droit à la vie privée, en violation des droits de la défense ou en violation du droit à la dignité humaine, n’est en principe pas autorisé ;
Que cependant, le juge ne peut écarter une preuve obtenue illicitement que dans les seuls cas suivants :
26 Cass. 22 novembre 2007, numéro 2474 du registre.- soit lorsque le respect de certaines conditions de forme est prescrit à peine de nullité ;
- soit lorsque l’irrégularité commise a entaché la crédibilité de la preuve ;
- soit lorsque l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable ;
Attendu qu’il appartient au juge d’apprécier l’admissibilité de la preuve recueillie illicitement à la lumière des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, compte tenu des éléments de la cause prise dans son ensemble, y compris le mode d’obtention de la preuve et les circonstances dans lesquelles l’illégalité a été commise. »27 Cette solution est conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Cette Cour a retenu ce qui suit dans un arrêt du 12 juillet 1988, Schenk c. Suisse, n° 10862/84 :
« 46. Si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui dès lors relève au premier chef du droit interne. » La Cour ne saurait donc exclure par principe et in abstracto l’admissibilité d’une preuve recueillie de manière illégale, du genre de celle dont il s’agit.
Il lui incombe seulement de rechercher si le procès (…) a présenté dans l’ensemble un caractère équitable. » La Cour européenne des droits de l’homme a confirmé cette solution dans plusieurs autres arrêts28.
Dans l’espèce sous revue, la Cour d’appel, confirmant en cela les juges de première instance, a fait application des critères posés dans Votre arrêt de principe du 22 novembre 2007.
Elle a correctement retenu pour les motifs indiqués dans l’arrêt entrepris et ceux du jugement de première instance auxquels elle a renvoyé, que l’enregistrement 27 Cass. belge, 23 mars 2004, R.D.P.C. 2005, page 661.
28 Cour EDH 9 juin 1998, Teixeira de Castro c. Portugal, n° 25829/94, § 34 ; 11 juillet 2006, Jalloh v.
Allemagne, n° 54810/00, §§ 94-96 ; 1er mars 2007, Heglas c. République Tchèque, n° 5935/02, §§ 84-86.sous forme sonore ou audiovisuelle des auditions de mineurs n’était pas prescrit à peine de nullité par l’article 79-1 du Code de procédure pénale, que la crédibilité de la preuve n’était pas remise en cause eu égard aux circonstances dans lesquelles les témoignages avaient été recueillis, et que l’usage de la preuve en question n’était pas contraire au droit à un procès équitable. Concernant ce dernier point, les juges de première instance avaient considéré que les éléments de preuve, bien qu’administrés selon une procédure non conforme, avaient été recueillis de manière loyale et en toute bonne foi et qu’ils avaient été librement discutés, analysés et critiqués lors d’un débat contradictoire en audience public, de sorte que le droit à un procès équitable n’avait pas été violé.
Il en suit qu’à titre subsidiaire le moyen, en ce qu’il vise le deuxième motif de la décision attaquée de ne pas écarter les témoignages des deux mineurs, n’est pas fondé.
Sur le troisième moyen de cassation Le troisième moyen de cassation est tiré de la violation des articles 154 et 189 du Code de procédure pénale ainsi que du principe de la présomption d’innocence.
Aux termes du troisième moyen, le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir fondé leur intime conviction quant à la culpabilité du demandeur en cassation sur des preuves qui n’avaient pas été obtenues légalement et administrées dans les formes, en l’espèce, d’une part, les auditions policières des témoins mineurs dont il est question au moyen précédent, et d’autre part, de s’être appuyés sur les déclarations du témoin PERSONNE2.) devant le juge d’instruction alors que les déclarations du même témoin faites à l’audience de première instance divergeraient substantiellement de celles faites devant le juge d’instruction.
Le demandeur en cassation fonde son moyen d’une part sur les articles 154 et 189 du Code de procédure pénale relatifs à l’administration de la preuve en matière pénale et, autre part, sur le principe de la présomption d’innocence tel que consacré notamment par l’article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme.
Le moyen, en ce qu’il est fondé sur les articles 154 et 189 du Code de procédure pénale et en ce qu’il vise le grief fait aux juges d’appel d’avoir tenu compte des auditions policières des témoins mineurs qualifiées de preuves obtenuesillicitement, n’est pas fondé pour les motifs exposés au moyen précédent, à savoir, d’une part, que le demandeur en cassation est forclos à soulever l’illicéité des témoignages en question et, d’autre part, à titre surabondant, que c’est à juste titre que les juges du fond ont pu tenir compte de ces témoignages pour fonder leur intime conviction eu égard aux critères dégagés par Votre Cour dans l’arrêt du 22 novembre 2007.
En ce qui concerne le grief tiré de ce que les juges se sont appuyés, pour former leur intime conviction, sur les déclarations du témoin PERSONNE2.), le demandeur en cassation fait valoir à cet égard qu’ « il est de jurisprudence que les témoignages sur lesquels le tribunal fonde son intime conviction doi[ven]t avoir lieu en audience public, « le tribunal ne pouvant fonder sa décision sur des témoignages recueillis antérieurement et non recueillis en audience ». » Il cite à l’appui de cette affirmation deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, l’un rendu le 24 novembre 1986 dans une affaire Unterpertinger c.
Autriche, n° 9120/80, et l’autre rendu le 19 décembre 1990 dans une affaire Delta c. France, n° 11444/85).
Il ne résulte pas de l’arrêt d’appel entrepris, ni pièces versées en cause, que le demandeur en cassation ait invoqué ce grief devant la Cour d’appel.
Il est rappelé que c’est au demandeur en cassation qu’incombe la charge de la preuve de justifier de la recevabilité du moyen qu’il présente, et par conséquent, d’établir son défaut de nouveauté s’il ne résulte pas des énonciations de la décision attaquée ou du dépôt de conclusions29.
Le moyen de cassation invoqué, mélangé de droit et de fait, en ce qu’il comporte l’examen des déclarations du témoin PERSONNE2.) faites devant le juge d’instruction et à l’audience de première instance est partant à déclarer irrecevable pour être nouveau.
A titre subsidiaire, il est relevé que contrairement à ce qu’indique le demandeur en cassation dans son mémoire, la Cour européenne des droits de l’homme, dans les deux arrêts cités, n’a pas considéré de façon péremptoire qu’un tribunal ne pouvait pas fonder sa décision sur des témoignages faits lors de l’enquête de police ou de l’information judiciaire, dès lors que ces témoignages n’avaient pas été réitérés lors de l’audience devant lui, mais a considéré que dans les deux affaires en question, les prévenus n’avaient pas bénéficié d’un procès équitable puisque leur condamnation avait été fondée sur des témoignages faits lors de 29 J. et L. BORÉ, La cassation en matière pénale, 4ème édition 2018/2019, n°s 112.09 et s.l’enquête de police, sans que les prévenus n’avaient été admis à l’audience devant le juge du fond à interroger ces témoins qui ne s’étaient pas présentés devant le juge, respectivement avaient refusé de déposer devant lui, ni à faire entendre des témoins à décharge.
Il est rappelé que sous réserve de ce qui a été dit ci-dessus au sujet de l’admissibilité d’une preuve recueillie illicitement, en matière correctionnelle aussi bien qu’en matière criminelle, la preuve n’est assujettie à aucune forme spéciale et systématique30. L’article 154 du Code de procédure pénale spécifiant quelques modes de preuve n’est pas limitatif mais énonciatif. Aucun moyen de preuve n’est donc frappé d’exclusion et aucun ne s’impose au juge de préférence à un autre. Les juges du fond peuvent librement former leur conviction en faisant état de tout élément de l’instruction qui a pu être l’objet du débat contradictoire31.
Il en suit que le moyen, en ce qu’il est fondé sur la méconnaissance d’une règle de preuve de procédure pénale, n’est pas fondé, aucune disposition de procédure pénale n’interdisant de façon péremptoire au juge de tenir compte, pour fonder son intime conviction, de la déclaration d’un témoin faite lors de l’enquête préliminaire ou de l’instruction préparatoire qui n’a pas été réitérée lors de l’audience devant le juge du fond.
Il est encore relevé que contrairement aux affaires citées par le demandeur en cassation, il résulte de l’arrêt entrepris qu’en l’espèce le témoin PERSONNE2.), qui avait été entendu au cours de l’instruction préparatoire tant par la police que par le juge d’instruction, s’était également présentée devant les juges de première instance32 où il était loisible au demandeur en cassation et à son conseil juridique de faire interroger ce témoin sur les points qu’ils voulaient, de sorte qu’à cet égard les droits de défense du demandeur en cassation ont été préservés et le moyen n’est pas fondé non plus eu égard à la jurisprudence citée de la Cour européenne des droits de l’homme relative au droit à un procès équitable.
En ce qui concerne le grief tiré de la violation du principe de présomption d’innocence, il est rappelé que le principe de la présomption d’innocence, tel que consacré par l’article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme ne réglemente pas l’admissibilité des preuves, ni leur appréciation par le juge pénal33.
30 Cass. 24 janvier 1902 Pas. 6, p. 125 ; Cass. 25 mars 1904, Pas. 8, p. 395.
31 Idem.
32 Arrêt entrepris, page 7.
33 Cass. 28 mars 2024, numéro CAS-2023-00136 du registre, réponse au troisième moyen de cassation.
Il en suit que le cas d’ouverture de la violation de la présomption d’innocence est étranger au grief tiré de la méconnaissance des règles relatives à l’administration de la preuve matière pénale et que sous cet angle, le moyen est irrecevable.
A titre subsidiaire, il est renvoyé aux développements ci-dessus pour dire que les juges d’appel n’ont pas violé les règles relatives à l’administration de la preuve en matière pénale et qu’à ce titre, il n’ont donc pas violé le principe de la présomption d’innocence du demandeur en cassation.
A titre subsidiaire, le moyen n’est donc pas fondé.
Sur le quatrième moyen de cassation Le quatrième moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 89 (ancien, actuellement article 109) de la Constitution, de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 195 du Code de procédure pénale.
Aux termes de ce moyen, le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel de ne pas avoir répondu à son moyen de dire que les conclusions de l’expert en morphoanalyse seraient contestables au motif que les documents à la base de l’expertise n’auraient pas été traduits dans une langue compréhensible par l’expert.
Le grief tiré de la violation des dispositions légales reproduites au moyen vise le défaut de motivation, dont le défaut de réponse à conclusions constitue une expression, et qui est constitutif d’un vice de forme. Une décision judiciaire est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation expresse ou implicite, fût-elle incomplète ou viciée, sur le point considéré. Le défaut de motifs suppose donc l’absence de toute motivation sur le point considéré.34 Il est vrai que les juges d’appel, bien qu’ils aient énoncé le moyen en les termes suivants : « Le prévenu conteste en outre les conclusions de l’expert en morphoanalyse des traces de sang, soutenant notamment qu’une partie des documents lui soumis par le juge d’instruction n’auraient pas fait l’objet d’une traduction. »35, n’ont pas répondu expressément à ce moyen.
34 J. et L. BORÉ, La cassation en matière civile, 5e édition, n° 77.31.
35 Arrêt entrepris, page 30, deuxième alinéa.
L’arrêt entrepris retient cependant en rapport avec la morphoanalyse des traces de sang diligentée par l’expert Philippe ESPERANÇA ce qui suit :
« La Cour retient au vu de ce qui précède que seul PERSONNE1.) a tenu le couteau.
(…) L’expertise de morphoanalyse des traces de sang conforte également ce fait, étant donné que l’expert retient que les affirmations d’PERSONNE1.) qu’il aurait été victime de deux blessures superficielles ainsi que de deux coups de couteau perforants dans le hall au rez-de-chaussée est contredite par l’absence de traces passives causées par les blessures d’PERSONNE1.).
Dans son rapport du 9 septembre 2019, l’expert retient ainsi que « les traces sur la chemise montrent un saignement s’écoulant vers le bas des pans droit et gauche de sa chemise souillant même la cuisse droite du pantalon.
Cependant aucune trace ne souille le sol de l’Entrée de l’habitation. De nombreuses traces circulaires d’un diamètre centimétrique nommées traces passives devraient souiller le sol en raison du simple écoulement mais aussi suite aux mouvements brusques qui accentuent le phénomène. Traces dont l’ADN devrait porter le profil de M. PERSONNE1.). Cette absence est en contradiction avec les blessures que M. PERSONNE1.) déclare présenter au buste depuis le début de l’altercation dans l’Entrée. » Cette constatation de l’expert n’est pas énervée par la présence des traces de sang référencées 16, 17 et 18 constatées au sol, respectivement sur un mur dans l’entrée de l’immeuble ; l’expert a retenu à ce sujet dans son courrier du 7 novembre 2019 que le fait que « le profil génétique de ces traces soit compatible avec celui de M. PERSONNE1.), ne permet pas de les lier à la séquence violente telle que décrite par PERSONNE1.). » Les seules traces de sang passives attribuables à PERSONNE1.) n’ont été localisées par l’expert qu’à l’étage.
L’expert retient ainsi dans son courrier précité que « la localisation d’une séquence violente dans l’Entrée est proposée par M. PERSONNE1.) et n’est pas contradictoire avec nos analyses. La nature du profil des traces dans la 35 Salle met en avant M. PERSONNE3.) comme victime des faits décrits dans l’Entrée.
L’absence de traces décrivant la montée d’une personne blessée et l’existence de traces passives à l’étage dont le profil génétique est celui de M. PERSONNE1.) placent la réalisation de ses plaies à cet étage.
M. PERSONNE1.) indique être blessé le premier et que suivront des gestes brusques dans l’Entrée et dans la Salle avant qu’il ne monte à l’étage. Les actions décrites vont accélérer l’écoulement sanguin et M. PERSONNE1.) monte à l’étage sans indiquer avoir auparavant agit pour réduire ou arrêter son saignement. Aussi, dans les conditions décrites par M. PERSONNE1.), l’absence de traces de sang montantes dans cet escalier est problématique.
Elle ne s’explique que par la réalisation des blessures à l’étage. » Les conclusions de l’expert ESPERANCA quant à la réalisation des blessures d’PERSONNE1.) à l’étage est confirmée par les déclarations des témoins PERSONNE2.), E.A. et également A.A., bien que seulement lors de sa deuxième audition en date du 1er février 2018. » Il résulte de ces motifs que l’expert ESPERANÇA commis par le juge d’instruction a manifestement pu établir son rapport d’expertise et s’exprimer en connaissance de cause des faits à la base de l’affaire poursuivie contre le demandeur sans que sa mission n’ait été entravée par des difficultés de compréhension linguistiques. Cette conclusion s’impose d’autant plus qu’il résulte de l’arrêt entrepris que l’expert, entendu par les juges de première instance sous la foi du serment, n’a à aucun moment fait part d’une quelconque difficulté à mener à bien sa mission d’expertise en raison d’une difficulté de compréhension des documents du dossier répressif qui lui avaient été transmis36.
Il en suit qu’en statuant comme ils l’ont fait, les juges d’appel ont implicitement mais nécessairement considéré que l’expert avait eu connaissance des éléments du dossier dans une langue compréhensible par lui et qu’il a pu mener à bien sa mission sur cette base. Par leur motivation, les juges d’appel ont partant implicitement rejeté le moyen de dire que les conclusions de l’expert avaient été affectés par l’absence de traduction des documents qui lui avaient été transmis.
Il en suit que le moyen n’est pas fondé.
36 Arrêt entrepris, pages 4-5.Il est encore relevé à cet égard qu’il résulte des éléments du dossier répressif que l’expert ESPERANÇA commis par le juge d’instruction suivant ordonnance du 3 juillet 2019, s’est vu transmettre suivant courrier du greffier du juge d’instruction du 8 juillet 2019 copie des « pièces de la procédure de l’instruction (en français) » dont notamment les procès-verbaux d’interrogatoires du demandeur en cassation tous rédigés en langue française, ainsi que des « procès-verbaux et rapports de police [pertinents] contenant des planches de photographies auto-explicatives ». Dans son courrier, le greffier annonce à l’expert que la traduction des procès-verbaux et rapports est en cours et qu’il va lui faire parvenir la traduction dans les meilleurs délais.37 La traduction de ces documents est envoyée à l’expert par courrier du juge d’instruction du 8 octobre 201938. La traduction des documents de l’allemand en français a été facturée par la société de traduction pour un montant de 6.002,10 euros39.
Or, l’expert, sans attendre la communication des documents de traduction, a établi son rapport d’expertise dès le 9 septembre 2019 et l’a envoyé au juge d’instruction qui l’a réceptionné le 16 septembre 201940. Il est relevé à cet égard que dans son rapport d’expertise, qui comporte 85 pages, l’expert fait référence à divers rapports de police technique contenant les relevés photographiques de la scène de crime rédigés en langue allemande, aux interrogatoires du demandeur en cassation devant le juge d’instruction, qui ont tous été consignés par écrit en langue française, ainsi qu’au rapport photographique relatif à la reconstitution diligentée sur les lieux du crime, rédigé également en langue allemande.
Dans un courrier additionnel du 7 novembre 2019, l’expert a encore répondu à plusieurs questions que le juge d’instruction lui avait posées par courrier le 1er octobre 201941.
Il en résulte que l’expert, agréé auprès de la Cour de cassation française et qui a certifié dans son rapport avoir personnellement rempli en son honneur, conscience et objectivité et en respectant les règles déontologiques applicables, la mission lui confiée, a manifestement été en mesure d’établir son rapport en connaissance de cause des éléments de fait pertinents à cet égard et sans que des difficultés d’ordre linguistique aient entravé sa mission.
37 Pièce n° 17 du Parquet général.
38 Pièce n° 18 du Parquet général.
39 Pièce n° 19 du Parquet général.
40 Pièce n° 20 du Parquet général.
41 Pièce n° 21 du Parquet général.
En tout état de cause, pour la rédaction du courrier additionnel du 7 novembre 2019 au juge d’instruction et lors de sa comparution à l’audience de première instance où il a été entendu en sa qualité d’expert les 2 et 17 février 2021, l’expert ESPERANÇA disposait de la traduction en langue français des éléments du dossier pénal pertinents pour accomplir sa mission et répondre aux interrogations du juge d’instruction et des juges de première instance.
Il en suit que c’est à tort que le demandeur en cassation fait valoir que l’expert n’aurait pas reçu une traduction en langue français des éléments du dossier pertinents pour son expertise.
Sur le cinquième moyen de cassation A l’instar du moyen précédent, le cinquième moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 89 (ancien, actuellement article 109) de la Constitution, de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 195 du Code de procédure pénale.
Aux termes de ce moyen, le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel de ne pas avoir répondu à ses conclusions de dire que l’acquittement serait à prononcer à titre subsidiaire pour cause de doute, au motif que les indices retenus par la juridiction de première instance ne seraient pas univoques.
Sans préciser autrement, le demandeur en cassation affirme avoir « notamment développé sur le fait que les conclusions de l’expert ESPERANÇA présentées en première instance divergeaient des explications contenues dans l’expertise effectuée dans le cadre de l’instruction ».
Ce moyen n’est pas fondé.
Il résulte de l’arrêt entrepris que les juges d’appel ont développé sur sept pages42 les motifs qui les ont amenés à décider que les coups de couteau portés par le demandeur en cassation l’avaient été dans l’intention de donner la mort et qu’il ne pouvait se prévaloir ni de la cause de justification de la légitime défense, ni de l’excuse légale de provocation et à confirmer ainsi la décision de condamnation de première instance. Ils se sont fondés notamment sur le résultat de l’autopsie de la victime, sur l’expertise du médecin légiste par rapport aux blessures que 42 Arrêt entrepris, pages 34 à 40.présentait le demandeur en cassation, sur l’expertise ADN réalisée, sur la morphoanalyse des traces de sang et sur le témoignage de trois personnes.
En se déterminant par ces motifs, les juges d’appel, qui n’étaient pas tenus de suivre le demandeur en cassation dans le détail de son argumentation, ont suffi à leur obligation de motivation de la décision de condamnation.
En ce qui concerne plus particulièrement la morphoanalyse des traces de sang, il est renvoyé aux motifs exposés en réponse au moyen précédent pour dire que les juges d’appel, en s’appuyant également sur les conclusions de l’expert pour justifier la déclaration de culpabilité du demandeur en cassation, ont implicitement mais nécessairement rejeté les contestations du demandeur en cassation à cet égard.
Il en suit que le moyen n’est pas fondé.
Conclusion Le pourvoi est recevable, mais n’est pas fondé.
Pour le procureur général d’Etat, Le premier avocat général, Marc HARPES 39