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22/10/2024 | LUXEMBOURG | N°50470C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 22 octobre 2024, 50470C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 50470C du rôle ECLI:LU:CADM:2024:50470 Inscrit le 21 mai 2024 Audience publique du 22 octobre 2024 Appel formé par la société anonyme (A) S.A., …., contre un jugement du tribunal administratif du 18 avril 2024 (n° 48858 du rôle) dans un litige l’opposant au ministre des Classes moyennes en matière d’autorisation d’établissement Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 50470C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 21 mai 2024 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre

des avocats à Luxembourg, en l’étude duquel domicile a été élu, au nom de l...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 50470C du rôle ECLI:LU:CADM:2024:50470 Inscrit le 21 mai 2024 Audience publique du 22 octobre 2024 Appel formé par la société anonyme (A) S.A., …., contre un jugement du tribunal administratif du 18 avril 2024 (n° 48858 du rôle) dans un litige l’opposant au ministre des Classes moyennes en matière d’autorisation d’établissement Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 50470C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 21 mai 2024 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, en l’étude duquel domicile a été élu, au nom de la société anonyme (A) S.A., établie et ayant son siège social à L-… …, …, …. « …. », inscrite au R.C.S. de Luxembourg sous le numéro …., représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, dirigé contre un jugement du 18 avril 2024 (no 48858 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg l’a déboutée de son recours tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Classes moyennes du 14 novembre 2022 portant rejet de sa demande en obtention d’une autorisation d’établissement et de la décision confirmative du même ministre du 26 janvier 2023 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 20 juin 2024 ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 15 octobre 2024.

1Le 20 septembre 2022, Monsieur (B) introduisit auprès du ministère de l’Economie, ci-après « le ministère », une demande en obtention d’une autorisation pour exercer au nom et pour le compte de la société anonyme (A) S.A., ci-après « la société (A) », les activités d’une « Agence immobilière, Promotion immobilière, Gérance syndic d’immeuble, Commerce en général achat vente ».

Par décision du 14 novembre 2022, le ministre des Classes moyennes, ci-après « le ministre », refusa de faire droit à cette demande. Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) Suite à votre retour, je reviens par la présente à votre demande d’autorisation d’établissement référencée sous rubrique, qui a entre-temps fait l’objet de l’instruction administrative prévue à l’article 28 de la loi modifiée d’établissement du 2 septembre 2011.

Cependant, le Centre Commun de la Sécurité Sociale, l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines et l’Administration des Contributions Directes me signalent que Monsieur (B) (mat.: …..) n’est pas à jour avec le règlement des cotisations sociales et fiscales en tant que dernier dirigeant de la société (D) S.A. : …….

Or, les dispositions de l’article 4.4. de la loi modifiée d’établissement du 2 septembre 2011 prévoient que :

« Art.4. L’entreprise qui exerce une activité visée à la présente loi désigne au moins une personne physique, le dirigeant, qui :

4. ne s’est pas soustrait aux charges sociales et fiscales, soit en nom propre, soit par l’intermédiaire d’une société qu’il dirige ou a dirigée.» Dans ces conditions, Monsieur (B) voudra se mettre en rapport avec ces organismes et me faire parvenir une attestation certifiant que tous les arriérés ont été payés et le CCSS, l’AED et l’ACD ainsi désintéressés, ou la preuve d’un arrangement transactionnel déterminant un plan de remboursement des arriérés (les virements, versements ou extraits de comptes ne sont pas acceptés).

A toutes fins utiles, je vous informe que la majorité des arriérés sont survenus durant la gérance effective de Monsieur (B) et qu’aucune nouvelle autorisation ne pourra être délivrée avant le règlement des sommes dues. (…) ».

Par courrier daté au 20 janvier 2023, la société (A) introduisit, par l’intermédiaire de son mandataire, un recours gracieux contre la décision du 14 novembre 2022.

Par décision du 26 janvier 2023, le ministre confirma sa décision du 14 novembre 2022 dans les termes suivants :

« (…) Par la présente, j’ai l’honneur de me référer à votre requête sous rubrique et plus particulièrement à votre lettre du 20 janvier 2023 ainsi qu’aux pièces supplémentaires versées au 2dossier à cette occasion. Votre demande a fait entre temps l’objet d’une nouvelle instruction prévue à l’article 28 de la loi modifiée d’établissement du 2 septembre 2011.

Cependant, le Centre Commun de la Sécurité Sociale, l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines et l’Administration des Contributions Directes me signalent toujours que Monsieur (B) (mat.: …..) n’est pas à jour avec le règlement des cotisations sociales et fiscales en tant que dirigeant de la société (D) S.A. : ……..

Or, les dispositions de l’article 4.4. de la loi modifiée d’établissement du 2 septembre 2011 prévoient que :

« Art.4. L’entreprise qui exerce une activité visée à la présente loi désigne au moins une personne physique, le dirigeant, qui :

4. ne s’est pas soustrait aux charges sociales et fiscales, soit en nom propre, soit par l’intermédiaire d’une société qu’il dirige ou a dirigée.» Dans ces conditions, Monsieur (B) voudra se mettre en rapport avec ces organismes et me faire parvenir une attestation certifiant que tous les arriérés ont été payés et le CCSS, l’AED et l’ACD ainsi désintéressés, ou la preuve d’un arrangement transactionnel déterminant un plan de remboursement des arriérés (les virements, versements ou extraits de comptes ne sont pas acceptés).

Veuillez également noter que l’acte de vente du fonds de commerce n’est pas relevant et ne décharge en rien la responsabilité de Monsieur (B) face à l’accumulation des dettes envers les administrations concernées.

A toutes fins utiles, je vous rappelle que la majorité des arriérés sont survenus durant la gérance effective de Monsieur (B) et qu’aucune nouvelle autorisation ne pourra être délivrée avant le règlement des sommes dues. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 avril 2023, la société (A) introduisit un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la susdite décision du ministre du 14 novembre 2022 et de la décision confirmative du 26 janvier 2023.

Dans son jugement du 18 avril 2024, le tribunal administratif, après s’être déclaré incompétent pour connaître du recours en réformation, reçut le recours en annulation en la forme, au fond, le déclara non justifié et en débouta la société (A), tout en la condamnant aux frais et dépens de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 21 mai 2024, la société (A) a régulièrement relevé appel de ce jugement.

A l’appui de son appel, elle réitère les faits tel que contenu dans son recours de première instance.

L’appelante expose en substance que la société anonyme (D) S.A., ci-après « la société (D) », créée en 2008 et exploitant un restaurant, aurait arrêté ses activités et serait restée en « pause » 3jusqu’en 2015, tout en ayant toujours été à jour au niveau de ses cotisations fiscales et sociales. En 2015, la société (D) aurait repris un local situé à ….. pour y ouvrir une discothèque et elle aurait racheté le (F), également situé à ….., lequel aurait ensuite été revendu pour la somme de …..- €, montant qui aurait été injecté dans la société (D) en vue de finaliser le projet de la discothèque.

Or, cette dernière n’aurait finalement pas été assez rentable et, après environ un an d’exercice, un dénommé (G) aurait contacté Monsieur (B) en vue du rachat de l’établissement. La (H) aurait alors imposé à Monsieur (B) de rester dans la société pour une durée minimale d’un an à partir du rachat, et ce en raison d’obligations contractuelles, étant donné qu’il aurait été « solidaire et indivisible dans le contrat », de sorte qu’il serait alors devenu administrateur-délégué de la société (D) et il aurait détenu, à ce titre, une autorisation de commerce. Monsieur (G) et un dénommé (I) auraient également été les administrateurs de ladite société. Le 1er juin 2018, Monsieur (B) aurait démissionné de son poste d’administrateur de la société (D). Monsieur (G) aurait ensuite racheté, en date du 4 juillet 2018, le fonds de commerce de la société (D) par le biais de la société (J) s.à r.l., et il aurait proposé de rembourser les dettes de la société (D), dont il aurait été actionnaire à hauteur de 33%, de même qu’administrateur. Celui-ci aurait ensuite procédé au changement de la dénomination commerciale de la société (D). D’après l’appelante, Monsieur (B) aurait appris, par hasard, la faillite de la société (D) suite à quoi il aurait alors, lui-même, tenté de prendre contact avec le curateur, lequel ne lui aurait cependant jamais répondu et il n’aurait, par ailleurs, pas reçu de courriers l’informant d’éventuelles cotisations sociales et fiscales impayées de la part de la société (D). Finalement, l’appelante insiste encore sur le fait qu’aucune des sociétés créées par Monsieur (B) ne serait tombée à ce jour en faillite.

En droit, l’appelante reproche au ministre d’avoir ajouté une nouvelle condition non prévue par la loi en refusant de lui accorder l’autorisation d’établissement sollicitée au motif que Monsieur (B), en sa qualité de dernier dirigent de la société (A), ne serait pas à jour avec le paiement des cotisations fiscales et sociales auprès du Centre Commun de la Sécurité Sociale (CCSS), de l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines (AED) et de l’Administration des Contributions Directes (ACD). En effet, la loi modifiée du 2 septembre 2011 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel, ainsi qu’à certaines professions libérales, ci-après « la loi du 2 septembre 2011 », n’aurait jamais prévu que le critère d’honorabilité soit apprécié sous cet angle, l’appelante invoquant dans ce contexte l’article 6 de ladite loi, de sorte que le ministre aurait, à ses yeux, procédé à une mauvaise application de la loi du 2 septembre 2011.

La société (A) conteste ensuite les dettes dans le chef de la société (D).

Ainsi, la soi-disant dette de cette dernière auprès du CCSS, suite à la vente de son fonds de commerce le 4 juillet 2018, aurait été reprise par la société (J) s.à r.l., de sorte que ni la société (D), ni Monsieur (B) ne seraient redevables de celle-ci.

Au sujet de la dette de la société (D) à l’égard de l’AED - actuellement Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA -, l’appelante pointe le fait que les cotisations dateraient de 2015, année au cours de laquelle la société (D) aurait racheté le local situé à ….. avec le but d’y créer une discothèque, qu’une taxation d’office aurait eu lieu malgré le fait que les bilans auraient été déposés et que « des justifications » auraient été fournies à l’administration en question par le comptable de celle-ci endéans les délais. En outre, le curateur de la société (D) n’aurait 4jamais sollicité la moindre explication, ni le moindre justificatif de la part de Monsieur (B) à ce sujet, ce qui serait d’autant plus surprenant qu’au 1er janvier 2018, il y aurait eu un solde positif de …….- € au titre de la TVA, montant que l’AED aurait normalement dû rembourser.

Quant à la dette auprès de l’ACD, celle-ci aurait été réglée par Monsieur (B), tel que cela se dégagerait d’un courrier du 26 octobre 2022 suivant lequel le bureau des recettes d’Ettelbruck confirmerait l’accord trouvé avec Monsieur (B) pour une somme de …..- €, un premier virement d’un montant de …. euros ayant été effectué en date du 16 novembre 2022 et un deuxième virement d’un montant de …..- € ayant été effectué le 2 décembre 2022.

L’appelante argumente finalement que Monsieur (B) n’aurait pas eu connaissance de toutes ces dettes en raison de sa démission du poste d’administrateur-délégué de la société (D) en date du 1er juin 2018, démission dont le ministère aurait pris acte en date du 11 juillet 2018, et que Messieurs (G) et (I) auraient ensuite été les seuls administrateurs de la société (D). Elle rappelle, dans ce contexte, l’accord conclu avec la société (J) s.à r.l. suivant lequel il aurait été convenu que la partie cessionnaire rachète également les dettes de la société (D), « y compris celles à l’égard de l’Etat ».

La société (D) aurait ensuite démissionné de son poste de commissaire aux comptes par courrier du 15 septembre 2018 et depuis cette date, Monsieur (B) n’aurait plus eu de liens avec la société (D), tombée en faillite le 20 mars 2019. Par ailleurs, celui-ci n’aurait jamais reçu d’informations de la part du curateur, malgré sa demande, concernant l’état du passif de la société (D), de sorte qu’il n’aurait pas été en mesure d’en connaître le montant et de régler éventuellement les dettes auprès des créanciers privilégiés.

Le délégué du gouvernement sollicite en substance la confirmation du jugement entrepris, estimant que l’appelante ne ferait que reprendre les moyens développés devant les premiers juges sans apporter d’éléments nouveaux. Il précise que le ministre aurait constaté que Monsieur (B), en sa qualité de dirigeant de la société (D) à partir de 2015 jusqu’au 1er juin 2018, s’était soustrait de ses charges fiscales et sociales auprès du CCSS, de l’ACD et de l’AED, tout en donnant à considérer que la lettre de démission de celui-ci du 1er juin 2028 de son mandat d’administrateur-délégué de la société (D) n’aurait été publiée au registre de commerce et des sociétés qu’en date du 14 février 2019.

Pour le surplus, le jugement entrepris serait encore à confirmer en ce qu’il a retenu que Monsieur (B) ne pouvait se décharger de ses obligations fiscales et sociales pendant la période où il était dirigeant en invoquant le contrat de vente du fonds de commerce de la société (D) daté au 4 juillet 2018 stipulant que les dettes sociales et fiscales seraient à charge de la société cessionnaire.

La Cour rejoint liminairement les premiers juges en ce qu’ils se sont déclarés incompétents pour connaître de la demande principale tendant à voir réformer les deux décisions ministérielles litigieuses, au motif que ni la loi du 2 septembre 2011, ni une quelconque autre disposition légale n’instaure un recours en réformation en la présente matière, seul un recours en annulation ayant partant valablement pu être introduit à leur encontre.

Ceci dit, le cadre légal en l’espèce est tracé par les articles 3 et 4 de la loi du 2 septembre 2011, dans leur version applicable à l’époque.

5Aux termes de l’article 3 de la loi du 2 septembre 2011 :

« L’autorisation d’établissement requise au préalable pour l’exercice d’une activité visée par la présente loi est délivrée par le ministre si les conditions d’établissement, d’honorabilité et de qualification prévues aux articles 4 à 27 sont remplies. ».

L’article 4 de la même loi précise que :

« L’entreprise qui exerce une activité visée à la présente loi désigne au moins une personne physique, le dirigeant, qui :

1. satisfait aux exigences de qualification et d’honorabilité professionnelles ;

et 2. assure effectivement et en permanence la gestion journalière de l’entreprise ;

et 3. a un lien réel avec l’entreprise en étant propriétaire, associé, actionnaire ou salarié ;

et 4. ne s’est pas soustrait aux charges sociales et fiscales, soit en nom propre, soit par l’intermédiaire d’une société qu’il dirige ou a dirigée. (…) ».

Concernant la condition relative à l’honorabilité professionnelle, l’article 6 de la loi du 2 septembre 2011, dans sa version applicable au litige, précise encore que :

« (1) La condition d’honorabilité professionnelle vise à garantir l’intégrité de la profession ainsi que la protection des futurs cocontractants et clients.

(2) L’honorabilité professionnelle s’apprécie sur base des antécédents du dirigeant et de tous les éléments fournis par l’instruction administrative pour autant qu’ils concernent des faits ne remontant pas à plus de dix ans.

Le respect de la condition d’honorabilité professionnelle est également exigé dans le chef du détenteur de la majorité des parts sociales ou des personnes en mesure d’exercer une influence significative sur la gestion ou l’administration de l’entreprise.

(3) Constitue un manquement privant le dirigeant de l’honorabilité professionnelle, tout comportement ou agissement qui affecte si gravement son intégrité professionnelle qu’on ne peut plus tolérer, dans l’intérêt des acteurs économiques concernés, qu’il exerce ou continue à exercer l’activité autorisée ou à autoriser.

(4) Par dérogation au paragraphe (3), constituent d’office un manquement qui affecte l’honorabilité professionnelle du dirigeant :

6a) le recours à une personne interposée ou l’intervention comme personne interposée dans le cadre de la direction d’une entreprise soumise à la présente loi ;

b) l’usage dans le cadre de la demande d’autorisation de documents ou de déclarations falsifiés ou mensongers ;

c) le défaut répété de procéder aux publications légales requises par les dispositions légales relatives au registre de commerce et des sociétés ou le défaut de tenir une comptabilité conforme aux exigences légales ;

d) l’accumulation de dettes importantes auprès des créanciers publics dans le cadre d’une faillite ou liquidation judiciaire prononcées ;

e) toute condamnation définitive, grave ou répétée en relation avec l’activité exercée ;

f) tout manquement à l’obligation de l’article 4bis. ».

C’est à bon escient qu’en vue d’une juste analyse de ce cadre légal, les premiers juges ont encore mis en évidence le commentaire de l’article 3 du projet de loi n° 61581 devenu l’article 4, point 4.

de la loi du 2 septembre 2011, au titre duquel « (…) il doit être certifié par l’Administration des contributions directes, l’Administration de l’enregistrement et des domaines et le Centre commun de la sécurité sociale que le dirigeant de l’entreprise satisfait à [l’] exigence [tenant au défaut de soustraction aux charges fiscales et sociales]. Cette exigence s’inspire de l’article 2 alinéa 5 de la loi modifiée du 28 décembre [1988] qui prévoyait déjà à l’époque qu’en cas de violation des obligations professionnelles, fiscales ou sociales, l’autorisation d’établissement pouvait être refusée ou révoquée. Le présent texte maintient le principe déjà fixé sous la loi modifiée du 28 décembre 1988, tout en l’adaptant à la réalité de 2009. Durant les dernières années, il a en effet pu être constaté qu’il devenait de plus en plus habituel d’accumuler des arriérés auprès des créanciers publics. Dans certains cas particulièrement graves, il a même pu être constaté que certains dirigeants, après avoir accumulé des arriérés auprès des créanciers publics, abandonnaient l’entreprise en temps utile avant la faillite, tout en se relançant aussitôt avec une nouvelle entreprise, en laissant derrière eux des coquilles vides, bourrées de dettes qui végétaient jusqu’à ce qu’elles soient finalement assignées en faillite. Face à de telles constatations, le ministre des Classes moyennes se trouvait souvent dans une situation ambiguë. D’une part, il ne pouvait pas conditionner la délivrance de la nouvelle autorisation d’établissement au paiement des dettes générées par le dirigeant dans le cadre de la société abandonnée. D’autre part, la situation d’espèce ne suffisait souvent pas pour décider que l’honorabilité professionnelle de l’ancien dirigeant était affectée. (…). Le non-respect des obligations fiscales ou sociales, surtout lorsqu’il se termine dans une faillite sera traité plus en détail sous le chapitre relatif à l’honorabilité professionnelle. Le présent article tente cependant de résoudre le problème de l’accumulation des dettes auprès des créanciers publics plus en amont. Désormais, une nouvelle autorisation d’établissement ne pourra être délivrée que si les créanciers publics certifient au ministre des Classes moyennes que le dirigeant n’a pas accumulé, ni en nom personnel, ni au nom d’une autre entreprise qu’il dirige, des dettes auprès d’eux. Cette disposition a l’avantage d’apprécier la situation du dirigeant dans son intégralité. Le présent article préserve pour le 1 Disponible sous www.chd.lu.

7surplus une grande flexibilité en permettant d’éviter toute immixtion du ministre des Classes moyennes dans la politique de recouvrement des créanciers publics. Ainsi, si les créanciers publics émettent des réserves en invoquant l’existence de dettes, la délivrance de l’autorisation d’établissement sera gardée en suspens jusqu’au règlement de toutes les dettes. Par contre, si les créanciers publics, malgré l’existence de dettes, donnent leur accord en se référant par exemple à un arrangement amiable qui serait en cours, l’autorisation d’établissement pourra néanmoins être délivrée. Il est important de noter que le présent article ne concerne que le refus ou la révocation de l’autorisation d’établissement en raison de l’accumulation de dettes auprès des créanciers publics. Il ne touche cependant pas à l’aspect de l’honorabilité professionnelle. (…) ».

Ainsi, une lecture combinée de ces textes permet de dégager que les quatre conditions, énoncées par l’article 4 de la loi du 2 septembre 2011, qu’un dirigeant d’une entreprise doit remplir en vue de l’obtention d’une autorisation d’établissement apparaissent, d’une part, être cumulatives, et, d’autre part, l’exigence de respect des obligations fiscales et sociales, telle que prévue par le point 4 de l’article 4 de la loi du 2 septembre 2011, et l’exigence relative à l’honorabilité professionnelle, telle que prévue au point 1 dudit article 4, si elles convergent dans une certaine mesure, elles ne se confondent pas pour autant.

En outre, l’article 4, point 4, de la loi du 2 septembre 2011 autorise le ministre à subordonner l’octroi d’une nouvelle autorisation d’établissement au règlement préalable des dettes accumulées par le dirigeant proposé d’une entreprise soit en son nom personnel, soit par l’intermédiaire d’une entreprise qu’il dirige ou qu’il a dirigée et cette faculté lui est a priori ouverte au-delà de toutes considérations relatives à l’honorabilité professionnelle proprement dite de l’intéressé.

A l’instar des premiers juges, la Cour est partant amenée à retenir qu’en principe, sur base de l’article 4, point 4, de la loi du 2 septembre 2011, le ministre peut, en dehors de toutes considérations d’honorabilité professionnelle, conditionner la délivrance d’une autorisation d’établissement dans le chef d’une personne physique au règlement préalable des dettes publiques de la société qu’elle dirige ou a dirigée, respectivement à un arrangement transactionnel déterminant un plan de remboursement détaillé avec les créanciers publics concernés.

Il convient de noter en premier lieu que par un courrier daté au 1er juin 2018, Monsieur (B) a transmis au ministère sa « lettre de démission en tant que administrateur-délégué auprès de la société (D) S.A. » avec l’information qu’il avait accompli « [son] mandat jusqu’à ce jour » et que par une lettre du 11 juillet 2018, le ministre de l’Economie a accusé réception de « [sa] démission auprès de la société (D) S.A. ».

S’il est certes exact qu’en règle générale, une démission d’un dirigeant d’entreprise n’est opposable aux tiers qu’à partir de la date de publication de ladite démission au registre de commerce et des sociétés, tel n’est cependant pas le cas en l’espèce au vu du constat que le ministère a accusé réception de la démission de Monsieur (B) auprès de la société (D) au 1er juin 2018 et que les dettes visées en cause représentent toutes des charges sociales et fiscales réclamées par des administrations étatiques, à savoir le CCSS, l’AED et l’ACD, auxquelles les services ministériels auraient normalement dû continuer l’information de la démission du concerné.

8La Cour retient dès lors, en l’absence d’autres éléments justifiant que Monsieur (B) soit tenu pour responsable du paiement des dettes publiques au-delà de la date de sa démission en tant qu’administrateur-délégué, que l’intéressé ne saurait plus être tenu pour responsable du paiement des dettes publiques de la société (D) postérieures au 1er juin 2018.

La Cour relève ensuite qu’il se dégage d’un courrier du bureau de recette Ettelbruck de l’ACD daté au 26 octobre 2022 que Monsieur (B) avait trouvé un arrangement avec ledit bureau en vue du règlement des arriérés d’impôt d’un montant de …. €, montant qu’il a réglé en deux tranches de ….- € et …- € respectivement les 16 novembre et 2 décembre 2022.

Cependant, il se dégage également du dossier administratif, et plus particulièrement, d’un courrier de l’AED du 28 octobre 2022 qu’à cette date, le compte TVA de la société (D) accusait un solde débiteur de …..- € – contrairement à l’affirmation non autrement sous-tendue de l’appelante de l’existence d’un prétendu solde positif de …..- € au jour du prononcé de la faillite en date du 20 mars 2019 – et que, depuis l’année 2018, cette dette est restée constante, de sorte que même si Monsieur (B) a démissionné de son poste d’administrateur-délégué en date du 1er juin 2018, la majorité de cette dette de …..- € a été créée pendant la période où il a été le dirigeant de cette société.

Finalement, il se dégage encore d’un courrier du CCSS du 2 janvier 2023 que la société (D) accusait à cette date une dette à hauteur de …..- € envers ledit organisme et que suivant le relevé communiqué par le CCSS, cette dette s’élevait au « Mois valeur 201805 », soit à la fin du mois de mai 2018, au montant de …..- €.

Quant à l’impact du contrat de vente du fonds de commerce conclu le 4 juillet 2018 entre la société (D) et la société (J) s.à r.l., c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu que ce contrat ne lie que les parties signataires, sans que l’engagement contractuel du cessionnaire de reprendre les dettes de la partie cédante ne permette à Monsieur (B) de se décharger sur cette base de ses obligations envers les créanciers publics en relation avec des arriérés de dettes échues pendant la période où il était le dirigeant de la société (D). En outre, il convient de relever qu’il se dégage de la « liste des dettes à reprendre par la partie cessionnaire » figurant audit contrat de vente du fonds de commerce que le cessionnaire s’engage à reprendre uniquement les dettes auprès de l’ACD pour un montant de …..- € et auprès du CCSS pour un montant de …..- €, tandis que celles redevables envers l’AED n’y sont même pas mentionnées.

Il s’ensuit que ni le ministre ni par la suite les premiers juges ne se sont mépris dans leur analyse que Monsieur (B), en sa qualité de dirigeant de la société (D), jusqu’au 1er juin 2028 s’est soustrait par l’intermédiaire de ladite société au paiement des charges fiscales et sociales et la conclusion que de ce fait en application de l’article 4, point 4, de la loi du 2 septembre 2011, l’autorisation d’établissement sollicitée par la société (A) était à refuser tant que les dettes en question n’ont pas été réglées.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que l’appel est à rejeter comme n’étant pas fondé et le jugement entrepris est partant à confirmer.

9Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel du 21 mai 2024 en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelante ;

partant, confirme le jugement entrepris du 18 avril 2024 ;

condamne la société anonyme (A) S.A. aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour …… s. …… s. CAMPILL 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 50470C
Date de la décision : 22/10/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/10/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2024-10-22;50470c ?

Source

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