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16/01/2025 | LUXEMBOURG | N°52202C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 16 janvier 2025, 52202C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 52202C ECLI:LU:CADM:2025:52202 Inscrit le 8 janvier 2025 Audience publique du 16 janvier 2025 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 2 janvier 2025 (n° 52170 du rôle) ayant statué sur son recours contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.08.2008) Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 52202C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 8 janvier 2025 par Maître Karima HAMMOUCHE, avoc

at à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembou...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 52202C ECLI:LU:CADM:2025:52202 Inscrit le 8 janvier 2025 Audience publique du 16 janvier 2025 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 2 janvier 2025 (n° 52170 du rôle) ayant statué sur son recours contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.08.2008) Vu la requête d’appel inscrite sous le numéro 52202C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 8 janvier 2025 par Maître Karima HAMMOUCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, au nom de Monsieur (A), déclarant être né le … à … (Maroc) et être de nationalité marocaine, connu sous différents alias, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 2 janvier 2025 (n° 52170 du rôle) par lequel il a été débouté de son recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 4 décembre 2024 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 14 janvier 2025 ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Karima HAMMOUCHE et Monsieur le délégué du gouvernement Vincent STAUDT en leurs plaidoiries à l’audience publique de ce jour.

Il ressort d’un rapport, dit « Fremdennotiz », de la police grand-ducale, Unité de la police de l’aéroport, Service de contrôle de l’aéroport, du 5 septembre 2024, portant le numéro de référence …, qu’en date du même jour, Monsieur (A), connu sous différents alias, se présenta au point de contrôle d’entrée de l’aéroport de Findel en provenance de Dublin. Il déclara ne pas être en 1possession d’un document d’identité et affirma être d’origine palestinienne. Il ressort également dudit rapport que les recherches effectuées au moyen de la vérification de ses empreintes digitales dans le système AEVIS révélèrent que Monsieur (A) avait introduit une demande de visa, en tant que ressortissant marocain, le 16 janvier 2020 auprès des autorités françaises, laquelle fut refusée, ainsi qu’une autre demande de visa auprès des autorités néerlandaises le 18 octobre 2023, également refusée.

Par arrêté du même jour, notifié à Monsieur (A) à la même date, le ministre des Affaires intérieures, ci-après « le ministre », déclara irrégulier son séjour sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter ledit territoire sans délai et prononça à son encontre une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans.

Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre ordonna le placement au Centre de rétention de Monsieur (A) pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :

« (…) Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport de police no … du 5 septembre 2024 établi par la Police grand-ducale ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un visa en cours de validité ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».

Par arrêté du 3 octobre 2024, notifié à l’intéressé le 4 octobre 2024, le ministre prorogea le placement initial de Monsieur (A) au Centre de rétention pour une durée d’un mois avec effet au 5 octobre 2024.

Par arrêté du 4 novembre 2024, notifié à l’intéressé le lendemain, le ministre ordonna la prorogation de la mesure de placement en rétention pour une durée supplémentaire d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question.

Par arrêté du 4 décembre 2024, notifié à l’intéressé le lendemain, le ministre prorogea la mesure de placement de Monsieur (A) pour une durée supplémentaire d’un mois à partir de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :

« (…) Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

2Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mes arrêtés des 5 septembre, 3 octobre et 4 novembre 2024, notifiés le 5 septembre, le 4 octobre avec effet au 5 octobre et le 5 novembre 2024, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 5 septembre 2024 subsistent dans le chef de l’intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;

Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure d’éloignement ; (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 décembre 2024, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 4 décembre 2024 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois.

Par jugement du 2 janvier 2025, le tribunal administratif, tout en disant qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation, déclara le recours principal en réformation recevable mais non fondé et en débouta le demandeur, tout en le condamnant aux frais de l’instance.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 8 janvier 2025, Monsieur (A) a régulièrement fait entreprendre ce jugement du 2 janvier 2025 dont il sollicite la réformation pour voir réformer sinon annuler l’arrêté ministériel du 4 décembre 2024.

A l’appui de son appel, il expose les faits et rétroactes gisant à la base de l’arrêté du 4 décembre 2024, arrêté renvoyant à la « même motivation que celle [la décision de placement] du 5 septembre 2024 ». Il signale encore que les effets directs de l’arrêté ministériel du 4 décembre 2024 auraient cessé suite à la prolongation de la mesure de placement par une nouvelle décision de prorogation intervenue le 2 janvier 2025, tout en argumentant que la légalité de l’arrêté du 4 décembre 2024 aurait « un impact » sur la décision de prorogation du 2 janvier 2025.

Après avoir cité l’article 125 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après « la loi du 29 août 2008 », et l’article 8 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte), ci-après « la directive Accueil », l’appelant argumente que la mesure de placement en rétention prise à son encontre n’aurait manifestement pas été nécessaire. Ainsi, il conteste l’existence d’un risque de fuite dans son chef et estime que pareil risque ne pourrait être déduit de son comportement personnel, de sorte que sa rétention serait à qualifier d’arbitraire, ce d’autant plus qu’il aurait adopté une attitude constructive en vue de son identification.

Il soutient encore que le ministre, en usant de son pouvoir de placement en rétention, aurait clairement commis un excès de pouvoir. Ladite décision de placement en rétention revêtirait une flagrante disproportion des moyens et consacrerait un usage excessif du pouvoir du ministre. Ainsi, 3le ministre aurait dû prendre une mesure plus adaptée à sa situation et non pas se borner à le placer automatiquement en rétention et la mesure de placement en rétention serait disproportionnée au regard de sa situation particulière. Sur ce dernier point, il souligne encore avoir été placé automatiquement en rétention dans l’attente de son éloignement vers le Maroc et ce alors même qu’il avait proposé le recours à une mesure moins coercitive, à savoir le dépôt d’une garantie financière de 5.000.- €, proposition qui aurait été refusée le 25 octobre 2024 au motif illégal qu’il ne disposerait pas de son passeport original. Outre le fait que la remise d’un passeport original ne serait pas une condition sine qua non, il se dégagerait du dossier que le ministre, dès la première mesure de placement du 5 septembre 2024, l’avait identifié via la consultation du fichier européen des visas AEVIS.

En outre, le tribunal se serait mépris en considérant qu’il serait resté en défaut d’établir le versement de la garantie financière de 5.000.- € à la Caisse de Consignation et de disposer d’une capacité financière pour se faire, étant donné que pareille consignation ne pourrait être opérée sans décision de l’autorité étatique portant consignation du montant en question et il ne lui appartenait pas de consigner ce montant sans décision préalable. Il rappelle dans ce contexte que ces trois cousins seraient d’accord pour opérer cette consignation pour son compte après accord du service ministériel et le tribunal aurait inversé les étapes en induisant que les mesures moins coercitives ne bénéficieraient pas d’une priorité mais seraient l’exception à la mesure de placement.

Dès lors, aux yeux de l’appelant, des mesures moins coercitives existeraient, telles une consignation doublée, si besoin en était, d’une obligation de se présenter hebdomadairement devant les autorités policières, de sorte que son placement en rétention serait totalement excessif et disproportionné.

En deuxième lieu, l’appelant soutient que la décision déférée méconnaîtrait ses droits fondamentaux. A cet égard, il invoque une atteinte à sa liberté d’aller et de venir, par référence aux articles 12 de la Constitution [article 17 de la Constitution révisée] et 5, paragraphe (1), point f), de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH), en soutenant qu’une mesure de rétention devrait se dérouler dans des conditions appropriées et sa durée ne devrait pas dépasser « le délai raisonnable nécessaire ».

Ainsi, la procédure devrait être menée avec la diligence requise et il devrait exister une perspective raisonnable d’éloignement.

Monsieur (A) soutient ensuite que l’arrêté ministériel du 4 décembre 2024 méconnaîtrait le principe du contradictoire, en se prévalant des articles 6 et 13 de la CEDH, de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, de l’article 121, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, de l’article 1er de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse et de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ».

Dans ce contexte, il affirme que le droit d’être entendu ferait partie intégrante des libertés fondamentales et qu’il aurait été « dans le droit le plus absolu » d’être entendu et d’avoir accès aux éléments ayant conduit à son placement en rétention pour pouvoir contester ladite décision, de sorte que son placement en rétention serait manifestement illégal. Ainsi, le droit d’être entendu 4avant l’adoption de toute mesure individuelle faisant grief relèverait des droits de la défense figurant au nombre des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union européenne, droits qui ne seraient pas des prérogatives absolues mais qui pourraient comporter des restrictions, à condition cependant que celles-ci répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par la mesure en cause et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis. Il souligne encore qu’il appartiendrait à l’autorité ministérielle de fournir les raisons à la base du placement en rétention et de permettre à la personne concernée d’avoir accès à un contrôle juridictionnel accéléré et les restrictions au principe du contradictoire faites par le ministre ne poursuivraient en aucun cas des objectifs d’intérêt général, de sorte que sa mise en rétention serait incontestablement illégale.

En se prévalant des articles 8, alinéa 2, de la directive Accueil, 28, paragraphe (3), du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III », et 120, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, Monsieur (A) soutient encore que les démarches entreprises par le ministre seraient insuffisantes pour écourter au maximum sa privation de liberté, qui aurait commencé avec son placement en rétention le 5 septembre 2024. A cet égard, il reproche au ministre de s’être limité à contacter les autorités consulaires marocaines à Bruxelles, au lieu de prendre des mesures concrètes et efficaces pour que le délai nécessaire à la vérification des motifs de la rétention soit aussi court que possible et que cette vérification puisse être effectuée et aboutir le plus rapidement possible, de sorte que son placement en rétention ne se prolonge pas au-delà d’un certain délai raisonnable. Ainsi, le délai laissé au ministre n’apporterait pas la preuve des diligences suffisantes effectuées depuis le placement en rétention en vue d’effectuer son transfert.

Finalement, l’appelant soutient que la durée de son placement en rétention depuis plus de 4 mois serait anormalement longue, en se prévalant d’un arrêt du 13 septembre 2017 de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après « la CJUE », (affaire Mohammad Khir Amayry contre Migrationsverket, C-60/16), ce d’autant plus qu’il offrirait des garanties suffisantes pour permettre une mesure moins coercitive.

L’Etat conclut à la confirmation du jugement dont appel en se ralliant aux développements et aux conclusions du tribunal dans le jugement dont appel.

Le délégué du gouvernement estime plus particulièrement que le risque de fuite dans le chef de Monsieur (A) serait à considérer comme accru au vu de son séjour irrégulier au Luxembourg.

Quant au dépôt d’une éventuelle garantie de 5.000.- €, le représentant étatique soutient que pareil dépôt ne saurait renverser la présomption de risque de fuite dans le chef de l’appelant. Ainsi, les motifs justifiant la mesure de rétention reposeraient notamment sur l’absence, dans le chef de l’appelant, de tout document d’identité et de voyage valables, ainsi que sur son incapacité à justifier d’une adresse fixe et stable où il pourrait être considéré comme étant à la disposition des autorités luxembourgeoises pour les besoins de son éloignement. Dans ce contexte, il relève encore une absence d’attaches stables de l’intéressé au Luxembourg et la circonstance que ce dernier aurait 5déjà fait usage de fausses identités, respectivement de faux documents, et la simple affirmation selon laquelle ses cousins seraient disposés à fournir une garantie financière demeurerait insuffisante pour justifier de garanties de représentation suffisantes dans son chef.

Concernant les diligences entreprises par les autorités luxembourgeoises dans l’exécution du dispositif d’éloignement, le délégué du gouvernement énumère les différentes démarches énumérées dans le jugement dont appel, tout en renvoyant encore à un courrier électronique du Consulat général du Royaume de Maroc à Liège du 6 janvier 2025 portant information que le dossier de l’appelant serait toujours en cours d’instruction en attendant le résultat de la demande d’identification à communiquer par les autorités compétentes. Il insiste encore sur l’attitude passive de Monsieur (A) tout au long de sa rétention et le simple fait que les autorités marocaines n’aient à ce stade pas encore pu établir un laissez-passer ne serait pas concluant pour considérer que son éloignement ne puisse pas être mené à bien.

Etant donné que la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le juge administratif est en principe compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision ministérielle litigieuse.

Ceci dit, s’il est encore vrai que malgré le délai raccourci par la loi par rapport à ceux de droit commun pour statuer en la matière, les effets directs de la décision ministérielle critiquée du 4 décembre 2024 ont cessé à ce jour et que la Cour ne saurait partant plus ordonner par réformation de l’arrêté litigieux, la libération de l’appelant, il n’en reste pas moins que la légalité de la décision du 4 décembre 2024 est de nature à conditionner la nouvelle décision ministérielle de prorogation entre-temps prise le 2 janvier 2025, de sorte que l’intéressé garde un intérêt à faire contrôler la légalité de la décision de placement du 4 décembre 2024 dans la limite des moyens afférents.

Concernant en premier lieu le moyen basé sur une violation du principe du contradictoire, réitéré en instance d’appel, la Cour, à l’instar des premiers juges, retient qu’aucune des dispositions invoquées par Monsieur (A) ne prescrit qu’un étranger en séjour irrégulier devrait être entendu préalablement à la prise d’une décision ordonnant son placement au Centre de rétention ou la prorogation de celui-ci, ni que, dans pareille hypothèse, l’administration serait tenue de lui communiquer spontanément, sans demande de sa part, les éléments d’information sur lesquels elle s’est basée ou entend se baser, étant précisé que les informations visées par l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 sont quérables par l’administré et non point portables par l’administration1. Pour le surplus, la Cour note que le dossier administratif a été communiqué et que le mandataire de l’appelant n’a pas autrement contesté que la totalité du dossier administratif a ainsi été communiquée.

Quant au fond, le litige sous examen est légalement cadré par l’article 120 de la loi du 29 août 2008 qui dispose en son paragraphe (1) que : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si 1 Sur ce dernier point, voir, par analogie : Cour adm., 21 février 2013, n° 29466aC du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 126 et les autres références y citées.

6la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement (…) », tandis que le paragraphe (3) dispose que :

« La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.

Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de la rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. (…) ».

C’est à bon droit que les premiers juges en ont déduit que la loi permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé, s’il ne dispose pas de documents d’identité valables, et la mise à disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si une décision de placement en rétention table notamment sur la prémisse de base de l’existence d’un risque de fuite dans le chef de la personne visée par pareille mesure, la Cour est amenée à constater qu’en l’espèce, en présence d’une personne démunie de documents de voyage et séjour valables ayant dans le passé fait usage d’une fausse identité et qui se trouve sous le coup d’une décision d’interdiction d’entrée et de séjour sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans, ainsi que d’une décision de retour, il existe un faisceau d’éléments concordants laissant présupposer, en application de l’article 111, paragraphe (3), sub c), point 1, de la loi du 29 août 2008, un risque patent dans le chef de l’actuel appelant qu’il se soustraie en cas de non-rétention 7à son éloignement vers son pays d’origine, risque qui est encore renforcé en l’espèce par le fait que l’intéressé a déjà fait usage d’une fausse carte d’identité italienne, tel que cela ressort du rapport de la police grand-ducale du 5 septembre 2024 (réf. …).

Il s’ensuit que l’appelant reste en défaut de fournir des éléments concrets susceptibles de renverser cette présomption, tel que relevé à bon escient par les premiers juges.

Quant au moyen de Monsieur (A), reprochant au ministre de ne pas avoir eu recours à des mesures moins coercitives qu’un placement en rétention, dont notamment le dépôt d’une garantie bancaire par l’intermédiaire de ses trois cousins, la Cour retient que pareil dépôt ne saurait suffire à lui-seul à renverser la présomption de risque de fuite qui existe dans le chef de l’appelant en raison de l’absence de tout document d’identité et de voyage valables, ainsi que sur son incapacité à justifier d’une adresse fixe et stable au Luxembourg où il pourrait être considéré comme étant à la disposition des autorités luxembourgeoises pour les besoins de son éloignement, de sorte que la Cour en déduit que l’appelant ne présente pas des éléments permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes, au sens de l’article 125, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes y visées s’impose.

Le moyen afférent est partant à rejeter.

Concernant enfin les contestations de Monsieur (A) par rapport à la suffisance des diligences entreprises par le ministre pour exécuter son éloignement, la Cour rejoint et fait siennes les considérations pertinentes des premiers juges qui les ont amenés à conclure à la vérification d’une procédure exécutée avec toutes les diligences nécessaires.

Ainsi, concernant les diligences entreprises depuis la prise de l’arrêté ministériel de placement en rétention du 5 septembre 2024, il se dégage du dossier administratif que le 10 septembre 2024, les autorités luxembourgeoises ont contacté les autorités consulaires marocaines à Liège en vue de l’identification de Monsieur (A) et de la délivrance d’un laissez-passer dans son chef, tout en leur communiquant un jeu d’empreintes digitales, ainsi que deux photos d’identité. Par la suite, les autorités luxembourgeoises ont adressé des rappels aux autorités consulaires marocaines en date des 1er et 16 octobre 2024, lesquels ont abouti à la confirmation en date du 17 octobre 2024, par lesdites autorités, que le dossier en question a été transmis à l’autorité compétente pour examen.

Par courrier du 22 novembre 2024, les autorités luxembourgeoises se sont de nouveau enquises auprès des autorités consulaires marocaines sur l’état d’avancement du dossier de Monsieur (A), courrier auquel ces dernières ont répondu en date du 25 novembre 2024 que ledit dossier était toujours en cours de traitement. Il ressort encore du dossier administratif qu’en date des 13 décembre 2024 et 2 janvier 2025, les autorités luxembourgeoises ont adressé deux nouveaux rappels aux autorités consulaires marocaines concernant l’état d’avancement du dossier de Monsieur (A).

Il y a lieu de préciser encore à cet égard que si le ministre doit certes s’assurer que les services sous sa responsabilité accomplissent les démarches avec la diligence requise, il n’a pas de mainmise sur les autorités de pays étrangers saisies de demandes de délivrance de documents de voyage et qu’il est tributaire de la collaboration desdites autorités. Ce facteur doit être pris en 8compte dans le cadre de l’appréciation du caractère suffisant des diligences déployées par le ministre afin de pouvoir vérifier si le dispositif d’éloignement peut toujours être considéré comme étant en cours.

Ainsi, au regard des diligences accomplies à ce jour par le ministre, le reproche de l’appelant quant à la mise en œuvre de trop peu de diligences de la part des autorités luxembourgeoises, tributaire de la collaboration des autorités marocaines, laisse d’être vérifié en fait, le dispositif de l’éloignement étant en cours et apparaissant au contraire être poursuivi avec des diligences adéquates et proportionnées.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du fait que la durée maximale de rétention, fixée à six mois par l’article 120, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008, précité, n’a pas été dépassée en l’espèce, c’est encore à tort que Monsieur (A) soutient que son placement en rétention serait d’une durée anormalement longue par référence à l’arrêt précité de la CJUE du 13 septembre 2017.

Concernant finalement le moyen de l’appelant tiré d’une prétendue atteinte à sa liberté d’aller et de venir, en violation des articles 17 de la Constitution révisée et 5 de la CEDH, c’est tout d’abord à bon droit que les premiers juges ont rappelé qu’il se dégage du libellé de l’article 5, paragraphe (1), point f), de la CEDH que celui-ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours et que le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays. Or, comme Monsieur (A) a fait l’objet d’une décision de retour en date du 5 septembre 2024, de sorte qu’il se trouve en séjour irrégulier sur le territoire, et qu’une procédure d’éloignement à son encontre est en cours d’exécution, le ministre a valablement pu placer l’appelant au Centre de rétention et maintenir cette mesure de placement, sans violer l’article 5 de la CEDH.

De même, les premiers juges ont pointé à bon escient que l’article 17 de la Constitution permet la privation de liberté pour autant qu’elle soit prévue par la loi, condition qui est remplie en l’espèce, étant donné que le placement au Centre de rétention est prévu par l’article 120 de la loi du 29 août 2008 sur base duquel l’arrêté litigieux du 4 décembre 2024 a été pris.

Il s’ensuit que l’argumentaire de Monsieur (A) tiré d’une prétendue atteinte à sa liberté d’aller et de venir en violation des articles 5 de la CEDH et 17 de la Constitution est à rejeter.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu de débouter l’appelant et de confirmer le jugement entrepris.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel du 8 janvier 2025 en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelant ;

9 partant, confirme le jugement entrepris du 2 janvier 2025 ;

condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel ;

donne acte à l’appelant qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire.

Ainsi délibéré et jugé par :

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.

S. SCHINTGEN s. CAMPILL 10


Synthèse
Numéro d'arrêt : 52202C
Date de la décision : 16/01/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 18/01/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2025-01-16;52202c ?

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