GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 52077C ECLI:LU:CADM:2025:52077 Inscrit le 11 décembre 2024 Audience publique du 20 février 2025 Appel formé par Madame (A) et consort, …, contre un jugement du tribunal administratif du 11 novembre 2024 (n° 49798 du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 52077C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 11 décembre 2024 par Maître Cora MAGLO, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, au nom de Madame (A), née le … à … (Colombie), agissant pour son compte et celui de son enfant mineur (A1), née le … à … (Colombie), toutes deux de nationalité colombienne, demeurant ensemble à L-…, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 11 novembre 2024 (n° 49798 du rôle), par lequel ledit tribunal a déclaré non fondé leur recours tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 16 novembre 2023 portant refus de faire droit à leur demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 9 janvier 2025 par le délégué du gouvernement pour compte de l’Etat ;
Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris ;
Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 11 février 2025.
Le 2 mars 2022, Madame (A), agissant en son nom personnel, ainsi qu’au nom et pour compte de son enfant mineur (A1), introduisit auprès du service compétent du ministère des 1Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Madame (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour.
En date des 19 octobre et 12 décembre 2022, Madame (A) fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 16 novembre 2023, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », informa Madame (A) et son enfant mineur que leur demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, ladite décision étant libellée comme suit :
« (…) J’ai l’honneur de me référer à vos demandes en obtention d’une protection internationale que vous avez introduites le 2 mars 2022 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 ») ainsi que pour le compte de votre enfant mineure (A1), née le … à … en Colombie, de nationalité colombienne.
Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à vos demandes pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant à vos motifs de fuite En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 2 mars 2022 et les rapports d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 19 octobre et 12 décembre 2022, sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de vos demandes de protection internationale.
Vous déclarez Madame, être de nationalité colombienne, née le … à … en Colombie, avoir vécu huit ans à … avant d’être allée vivre, à compter de 2019, dans la maison de votre concubin Monsieur (B) à …, petit village d’une zone minière, ensemble avec vos deux enfants mineures (A1) et (A2), née le … à …, d’une union précédente. Le 7 août 2021, vous auriez tous été [sic] séjournés « dans un autre hameau de …s chez un ami » (p.6/16 de votre rapport d’entretien). Le 20 novembre 2021, vous seriez retournée vivre à … avec votre fille (A1) jusqu’à votre départ de Colombie tandis que votre concubin serait resté vivre à … et votre fille (A2) serait partie vivre en Equateur.
Madame, en cas de retour en Colombie, vous craindriez d’être tuée par des membres de « la guérilla » (p.7/16 de votre rapport d’entretien) du fait que vous les auriez dénoncés aux autorités pour avoir forcé votre concubin à payer un impôt mensuel de 2 millions de pesos et de vous avoir obligés à entreposer des armes et de l’argent dans votre maison.
2 Vous expliquez plus particulièrement qu’en juin 2021, un « groupe armé » (…) « commandé par Carlos Patiño » (p.7/16 de votre rapport d’entretien), aurait « commencé à demander des impôts » à votre concubin du fait qu’il aurait été un exploitant de mines (p.6/16 de votre rapport d’entretien). « Comme mon mari n’avait payé l’impôt » en juillet 2021, vous auriez été forcés de garder « des armes, des grenades, des fusils et aussi une valise avec beaucoup d’argent » dans la maison où vous auriez vécu (p.6/16 de votre rapport d’entretien) en août 2021. « Un jour quand je suis rentrée à la maison, les filles pleuraient » parce qu’elles auraient entendu que le « chef » de ces individus aurait manifesté son intérêt pour « une fille comme elle », (A2), et que « si mon mari n’arrivait pas à se mettre à jour avec l’argent des impôts » (p.6/16 de votre rapport d’entretien), votre famille serait utilisée comme monnaie d’échange. Vous auriez alors tous décidé de quitter …, mais par la suite, vous auriez appris que la voiture et la moto de votre concubin auraient été brûlées en guise de vengeance à votre encontre pour les avoir dénoncés aux autorités. Votre concubin aurait « au travers d’un ami », « essayé de négocier avec eux pour arriver à un accord » (p.6/16 de votre rapport d’entretien), tout en feignant ne pas savoir où vous vous trouveriez. Les malfrats auraient alors accepté que votre concubin rentre à … en novembre 2017, où il réside encore à ce jour, mais ils l’auraient prévenu que s’il s’avérerait que votre concubin aurait menti à votre sujet, il risquerait de subir le même sort que sa voiture brûlée. Quant à vous Madame, vous seriez restée vivre, de décembre 2021 à janvier 2022, à …, dans l’angoisse, avec votre fille (A1), du fait qu’il y aurait « des gens qui travaillent pour la guérilla comme informateurs » (p.6/16 de votre rapport d’entretien).
Vous auriez eu l’intention de voyager avec vos deux filles, mais comme (A2) n’aurait pas obtenu son passeport à temps, vous seriez partie seulement avec (A1). En effet, votre fille (A2) aurait obtenu un rendez-vous pour faire son passeport, mais elle n’aurait pas réussi à franchir la frontière colombienne. (A2) serait donc restée vivre en Equateur jusqu’à ce jour.
Par ailleurs, Madame, vous déclarez ne pas avoir porté plainte à la police au motif que « la secrétaire de la personeria m’a déconseillée (sic) de le faire parce que cela allait être plus dangereux à cause de la connexion » (p.12/16 de votre rapport d’entretien). Vous expliquez, avoir été faire une « déclaration », le 17 septembre 2021, à la « personeria » d’…, (p.12/16 de votre rapport d’entretien). Vous auriez reçu un courriel pour confirmer votre « situation de déplacement forcé » (p.7/16 de votre rapport d’entretien) et une aide financière vous aurait été proposée. Par contre, vous déclarez « qu’ils ne pouvaient pas me donner de protection » (p.12/16 de votre rapport d’entretien).
Madame, vous auriez déjà acheté votre « ticket d’avion en novembre 2021 » (p.5/16 de votre rapport d’entretien), mais vous auriez seulement réussi à prendre un vol, de … à … en Espagne, le … février 2022, puis un autre jusqu’à … en France. Vous y seriez restées cinq jours avant de vous décider de partir au Luxembourg pour y introduire votre demande.
Madame, vous affirmez avoir introduit une demande de protection internationale pour le compte de votre fille (A1) uniquement sur base des motifs que vous avez invoqués.
A l’appui de vos demandes, vous remettez les documents suivants :
- Votre carte d’identité colombienne, Madame, émise le … août 2005, en cours de validité ;
- la carte d’identité colombienne de votre fille (A1), émise le … août 2017 et expirant le … juillet 2028 ;
3- votre passeport colombien, Madame, émis le … octobre 2021 et expirant le … octobre 2031 ;
- le passeport de votre fille (A1), émis le … octobre 2021 et expirant le … octobre 2031 ;
- la copie de votre récépissé suite à votre déclaration à la Personeria d’…, le 17 septembre 2021 ;
- une farde de 14 pièces remise par votre avocat comprenant 1) un document non daté et de source inconnue, en langue espagnole, 2) un document intitulé communiqué à la population colombienne traduit en langue française en date du 20 février 2022, 3) un document intitulé communiqué à la population colombienne, traduit en langue française en date du 24 février 2022, 4) une note informative d’une société de transports …, traduite en langue française, en date du 24 février 2022, 5) un document non daté et de source inconnue traduit en langue française, 6) un avis à la population traduit en langue française, émis par l’administration communale d’… en date du 22 mai 2021, 7) un document intitulé Nouvelles …, non daté et de source inconnue, traduit en langue française, 8) un document intitulé Segunda Marquetalia, le Combat continue, non daté, traduit en langue française, 9) un document non daté issu par le Front Carlos Patiño, traduit en langue française, 10) deux photos d’une maison, sans date ni lieu indiqué, 11) un document constatant votre déplacement forcé du 7 août 2021, établi le 31 décembre 2021 par l’Unité de prise en charge et de réparation intégrale pour les victimes, traduit en langue française, 12) un document non traduit qui s’apparente à des quittances de paiements effectués par différents exploitants miniers pour le compte du groupe FARC EP - Frente Carlos Patiño sur une période allant du 4 octobre 2021 à 25 avril 2022, 13) une photo d’une voiture brûlée, sans date ni lieu indiqué, et 14) une photo d’une porte taguée des mots Frente Carlos Patiño, sans date ni lieu indiqué.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.
• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
Aux termes de l’article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils 4n’émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.
Madame, force est de constater que les motifs de fuite que vous invoquez ne sont pas liés à l’un des motifs de fond définis dans la Convention de Genève respectivement la Loi de 2015.
En effet, vous affirmez avoir été victime de la guérilla et en particulier de la faction commandée par Carlos Patiño, dont les membres auraient contraint votre concubin à payer une taxe pour leur compte sur les revenus de son exploitation minière, et vous auraient obligés à entreposer des armes et de l’argent chez vous pour compenser lorsque votre conjoint n’aurait pu payer la totalité de la somme exigée. En cas de retour en Colombie, vous craindriez d’être tué du fait d’avoir dénoncé ces agissements criminels auprès de la Personeria.
Partant, vos prétendues craintes ne sont pas liées à votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un certain groupe social, tel que prévu par la Convention de Genève et la Loi de 2015.
Par ailleurs, il s’avère que vos craintes sont basées sur des faits qui n’atteignent pas un niveau de gravité tel qu’ils seraient assimilables, de par leur nature ou de leur caractère répété, à des actes de persécution au sens de la Convention de Genève, et de la Loi du 2015.
En effet, force est de constater qu’il ne vous est personnellement rien arrivé, alors que le paiement de la taxe incombe uniquement à votre concubin. A cela s’ajoute que les preuves que vous apportez, ne permettent pas d’établir que les actes de vengeance de ces malfrats sont avérés. A cet égard, vous affirmez que la maison de votre conjoint, ainsi que sa voiture et sa moto auraient été brûlées en guise de représailles pour les avoir dénoncés. Or, à l’appui vous présentez des photos non datées, ne permettant pas d’établir, ni le lieu, ni la propriété de ces biens mobiliers. Vous ne présentez aucun acte de propriété ou tout autre document pouvant prouver que ces photos dépeignent la réalité. De même, vous présentez un document censé attester les paiements faits par votre concubin aux malfrats, et par conséquent prouver qu’une pression de payer une taxe a effectivement été exercée sur votre famille. Cependant, les quittances contiennent différents noms d’exploitants de mines et de lieu.
En outre, il y a lieu de relever qu’il ne vous serait toujours rien arrivé après le 17 septembre 2021, date à laquelle vous auriez fait votre dénonciation. En effet, vous ne rapportez aucun autre incident jusqu’en février 2022 vous impliquant, vous ou votre famille, alors même que vous affirmez que le groupe criminel aurait su que vous vous trouviez en Colombie et que vous êtes convaincue, qu’il y aurait eu les moyens de vous retrouver puisqu’il y aurait « des gens qui travaillent pour la guérilla comme informateurs » (p.6/16 de votre rapport d’entretien).
Partant, les faits invoqués à la base de vos craintes n’atteignent pas un niveau de gravité tel qu’ils seraient assimilables, de par leur nature ou de leur caractère répété, à des actes de persécution au sens de la Convention de Genève, et de la Loi du 2015.
Madame, force est également de constater que les faits invoqués auraient été commis par des personnes privées, sans lien avec l’Etat. En effet, en cas de retour en Colombie, vous déclarez craindre d’être tués par les membres du Front Carlos Patiño.
5 Renseignement pris, les FARC furent longtemps la plus grande armée irrégulière de Colombie, opérant dans diverses régions du pays à la recherche de ressources pour financer leur insurrection. Ils ont convenu de mettre fin à leur guerre de 52 ans contre le gouvernement en août 2016, dans le cadre d’un processus de paix qui a débuté en 2012. Ainsi, 13 000 combattants ont choisi de déposer les armes et en 2021, nombre d’entre eux ont évolué dans un parti politique colombien légitime tandis que les Etats-Unis ont révoqué la désignation terroriste de l’ancienne guérilla des FARC.
Par contre, dès 2016, un groupe d’environ de 1 000 combattants utilisant l’acronyme FARC-EP ont refusé de déposer les armes. En 2019, une autre faction opposée au FARC-EP et nommée Segunda Marquetalia a été formée. Depuis 2016 jusqu’au moment de la rédaction de la présente, les factions dissidentes n’ont cessé de se fractionner en plus petites cellules.
Environ 37 unités criminelles liées à la mafia des ex-FARC ont été identifiées jusqu’à présent.
Cependant, celles-ci diffèrent considérablement dans leurs structures, leurs arsenaux, leurs leaderships, leurs alliances, leurs participations à des économies illégales et même dans leurs niveaux de contrôle social et idéologique. En ce sens, chaque groupe cherche à étendre son propre contrôle surtout dans différentes économies criminelles. Certains se sont concentrés sur l’exploitation minière illégale dans le Cauca et le Valle del Cauca en Colombie, d’autres sur la production et le transport de drogues, en particulier le long des routes menant au Venezuela, à l’Équateur et au Brésil. Les groupes dissidents des FARC sont fragmentés et n’ont pas de structure de commandement central. Une autre différence entre les FARC, aujourd’hui disparus et la plupart des groupes mafieux des ex-FARC, réside dans les efforts de ces derniers, qui semblent davantage axés sur la protection des revenus criminels que sur la poursuite d’un idéal politique.
Alors qu’il ressort de vos déclarations, Madame, qu’il s’agirait bien de la faction surnommée le Front Carlos Patiño dont vous craindriez d’être victime, il s’agit clairement d’une petite cellule de dissidents d’ex-FARC laquelle, non seulement n’opère pas sur tout le territoire colombien, mais surtout est considérée comme un groupe armé irrégulier dont les membres sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat. Or, s’agissant d’actes commis par des personnes privées sans lien avec l’Etat, ces actes ne peuvent être considérés comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités du pays d’origine, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Madame, vous affirmez ne pas avoir déposé de plainte auprès de la police par peur de représailles, pourtant, vous avez quand-même fait les démarches pour dénoncer les faits dont vous auriez été victime auprès de la Personeria de la municipalité d’…. Or, vous expliquez avoir fui la Colombie justement parce que les extorqueurs de votre concubin auraient pris connaissance de vos dénonciations.
Renseignement pris la Personeria est une institution colombienne chargée de protéger les droits des citoyens et de veiller à ce que les agents publics agissent conformément à la loi.
Il ne s’agit pas d’un organisme d’application de la loi et il n’a pas le soutien de la police mais agit plutôt comme un médiateur municipal.
Ainsi, vous déclarez que vous n’auriez pas obtenu de protection, mais seulement une aide financière de cette institution. Ceci s’explique non pas par un refus ou un manque de ressources des autorités colombiennes, mais par la nature même de l’institution, qui ne se 6substitue pas à la police ou les forces armées colombiennes. Or, il échet de relever que si vous vous étiez effectivement sentie menacée, vous auriez pu déposer une plainte auprès de la police colombienne ou du ministère public. Ceci d’autant plus que les extorqueurs de votre concubin auraient de toute manière pris connaissance de vos dénonciations à la Personeria. Dès lors, il est fort questionnable quelles seraient les raisons véritables pour n’avoir fait de dénonciation directement à la police, puisque seule elle aurait pu vous offrir une protection.
En effet, force est de relever que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, ainsi que d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
En tout état de cause, vu que vous n’avez pas cherché à contacter la police, et que les autorités que vous avez contactées respectivement la Personeria a accepté de vous aider dans la limite de son pouvoir, aucun reproche ne saurait être formulé à l’égard des autorités colombiennes pour ne pas avoir exécuter leur mission.
Partant, vous restez en défaut d’établir que les autorités de votre pays d’origine, auraient été, ou seraient dans l’incapacité de vous fournir une protection à l’encontre des individus ayant menacé votre concubin à … et dont vous seriez à risque de devenir victime en cas de retour dans votre pays d’origine.
Madame, quand bien même les membres du groupe du Front Carlos Patiño vous auraient eu dans le collimateur pour les avoir dénoncés, les structures mafieuses des ex-FARC n’exercent pas un contrôle total même dans les territoires où elles opèrent en Colombie. En outre, la principale caractéristique des ex-FARC est qu’elles n’existent pas en tant que groupe homogène, mais en tant qu’ensemble de différents groupes avec des caractéristiques, des intérêts et des perspectives différents, de sorte qu’il vous serait loisible de vous installer dans une autre région de la Colombie que la Cauca.
En effet, votre diplôme d’auxiliaire comptable, mais aussi votre expérience en tant qu’indépendante, dans la vente de meubles et la location de robes festives sont autant d’atouts qui vous permettraient de vous installer dans l’une de ces villes colombiennes comme Bogota, Medellin, Barranquilla ou Pereira lesquelles ont toutes l’un des meilleurs rapports coûts et qualité de vie en Colombie. Par ailleurs, vous pourriez y finir votre diplôme technique en ressources naturelles soit en présentiel ou même en virtuel à l’université Pontificale Bolivarienne (UPB) de Medellin lequel vous ouvrirait encore plus d’opportunités professionnelles.
Enfin, le constat que vous ne seriez pas à risque en cas de retour en Colombie est conforté par le fait que votre concubin serait volontairement retourné en novembre 2021 vivre et travailler à … jusqu’à ce jour. Or, vos craintes seraient basées sur le risque de l’activité de votre concubin en tant qu’exploitant minier et le fait d’être en contact direct avec les extorqueurs. Pourtant, vous ne faites état d’aucune persécution qu’il aurait subie ou ne serait-
ce que d’incident concret dans lequel il aurait été impliqué jusqu’à ce jour, ce qui est un élément de plus prouvant que vous pouvez retourner vivre en Colombie sans crainte fondée.
7Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de conclure que vous ne faites nullement état d’une crainte fondée de persécution, ni dans votre chef, ni dans celui de votre fille (A1) en cas de retour en Colombie.
Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.
• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.
L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Madame, il y a lieu de souligner qu’à l’appui de vos demandes de protection subsidiaire respectives, vous invoquez en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de vos demandes de reconnaissance du statut de réfugié.
Au vu des conclusions ci-dessus, il y a de même, lieu de retenir qu’il n’existe manifestement pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu’il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que vous courriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi de 2015.
En effet, vous restez en défaut d’établir qu’en cas de retour en Colombie, ou dans le cas de votre fille (A1) également en cas de retour en Colombie, vous risqueriez la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre votre vie ou votre personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.
Vos demandes en obtention d’une protection internationale sont dès lors rejetées comme non fondées.
8Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la Colombie ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2023, Madame (A) et sa fille firent introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision ministérielle du 16 novembre 2023 portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Par jugement du 11 novembre 2024, le tribunal les débouta de leur recours dirigé contre le refus d’une protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire et les condamna aux frais et dépens de l’instance.
Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 11 décembre 2024, Madame (A), agissant pour son compte et celui de sa fille mineure, a régulièrement relevé appel de ce jugement du 11 novembre 2024.
Arguments des parties A l’appui de son appel, l’appelante déclare être originaire d’… en Colombie et d’y avoir vécu avec ses enfants avant leur départ de Colombie. En juillet 2021, elle-même et sa famille auraient été ciblées par un groupe armé, lié aux dissidents des FARC, dirigés par un dénommé CARLO PATINO. Ce groupe aurait exigé de son concubin le paiement d’une taxe mensuelle de 2 millions de pesos colombiens, de même que l’accord d’entreposer des armes et de l’argent à leur domicile. Face à leur refus de coopérer pleinement, le chef du groupe armé aurait menacé de prendre comme otage les membres de la famille et plus particulièrement sa fille aînée (A2).
Ce serait dans ces conditions qu’elle aurait quitté avec ses enfants la ville de … à la fin du mois d’août 2021.
Peu après leur départ, le groupe armé aurait incendié la voiture et la moto de son concubin et aurait tagué la porte de leur maison avec des inscriptions menaçantes. L’appelante explique que son concubin, resté sur place, aurait déclaré ignorer où elle se trouvait avec les enfants pour éviter des nouvelles représailles.
En septembre 2021, elle aurait déposé une déclaration de déplacement forcé auprès de la Personeria d’…, tout en admettant toutefois ne pas avoir déposé plainte auprès de la police, par crainte de représailles.
Elle aurait vécu de décembre 2021 à février 2022 à … ensemble avec sa fille (A1), tandis que sa fille aînée (A2) se serait réfugiée en Équateur. Ce serait enfin en février 2022 qu’elle aurait quitté avec sa fille cadette la Colombie pour se rendre au Luxembourg.
En droit, l’appelante critique les premiers juges pour avoir conclu que ses craintes n’étaient pas liées à un des critères de persécution prévus par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après « la Convention de Genève », tandis qu’elle est d’avis qu’elle pourrait être considérée comme avoir subi les menaces en raison de son appartenance à un groupe social.
9 A cet égard, elle donne à considérer qu’elle serait victime de menaces et de représailles d’un groupe armé dissident des FARC et ce après avoir dénoncé leurs activités criminelles. Or, de son avis, les dénonciations des activités criminelles d’un groupe armé pourraient être perçues comme une opposition à leur contrôle territorial et à leur idiologie, « ce qui pourrait correspondre indirectement à des opinions politiques protégées ». Ce serait dès lors à tort que les premiers juges n’ont pas pris en compte « cette dimension idéologique ou politique ».
L’appelante critique encore les premiers juges pour avoir dénié aux faits dont elle fait état la gravité suffisante pour se voir accorder une protection internationale. L’analyse des premiers juges ferait abstraction de l’ensemble des actes dont elle fait état, en l’occurrence l’incendie de biens et les menaces de mort qui devraient être appréciés dans leur globalité. Ces actes s’inscriraient dans un contexte général de danger et de persécutions systématiques exercées par des groupes armés en Colombie. La circonstance qu’elle-même n’est pas directement ciblée physiquement, ne réduirait en rien la gravité des menaces qu’elle encourt en tant que proche d’une personne dénonçant des crimes.
En ce qui concerne le reproche des premiers juges de ne pas avoir recherché une protection dans son pays d’origine en déposant plainte, l’appelante fait valoir que malgré l’accord de paix de 2016, la Colombie resterait confrontée à la violence persistante de groupes armés dissidents opérant en dehors du cadre légal. Elle souligne qu’elle aurait contacté la Personeria, une institution dépourvue de pouvoirs coercitifs. Si elle n’avait effectivement pas formellement saisi la police respectivement les autorités judiciaires, elle donne à considérer que cette absence de plainte aurait été interprétée à tort comme une absence de nécessité de protection. Elle donne à considérer que ce serait fréquent que les citoyens colombiens hésitent à solliciter l’aide des autorités par crainte de représailles ou en raison de l’inefficacité des forces de l’ordre. Cette crainte, associée à la faiblesse structurelle des institutions publiques dans la lutte contre les groupes armés, constituerait une preuve implicite d’un défaut de protection étatique.
L’appelante prend encore position par rapport à une impossibilité de fuite interne.
S’agissant de la protection subsidiaire, elle est d’avis que la notion d’atteinte grave ne se limiterait pas à des violences physiques directes, mais inclurait également des menaces de mort, des représailles économiques et la destruction de biens. Ces actes, qui seraient au cœur des faits dont elle fait état, auraient dû suffire pour justifier l’octroi d’une protection subsidiaire.
Elle souligne encore que le retour de son concubin à … ne constituerait pas une preuve d’absence de danger, mais s’expliquerait par des contraintes économiques et sociales, respectivement par une stratégie de survie dans un contexte de menaces persistantes.
Enfin, elle donne à considérer que la possibilité de relocalisation interne, souvent invoquée par les juges, ignorerait la réalité de la violence en Colombie où les groupes dissidents disposeraient de réseau étendu et continueraient d’agir en dehors du contrôle des autorités, de sorte que toute possibilité de relocalisation serait illusoire dans son cas.
Elle insiste ensuite sur la gravité de sa situation en donnant à considérer qu’elle ferait face à un risque grave de persécutions et d’atteinte à ses droits fondamentaux en raison des représailles exercées par le front CARLOS PATINO. Les menaces de mort, l’incendie de biens 10et l’absence de protection effective des autorités colombiennes l’exposeraient à un danger constant. Elle donne à considérer que ces actes, motivés par une opposition perçue aux activités criminelles du groupe, s’inscriraient dans un contexte de violence systémique en Colombie, rendant tout retour incompatible avec le respect de ses droits.
Enfin, l’appelante insiste sur une aggravation de la situation générale en Colombie. A cet égard, elle fait valoir que depuis les élections présidentielles contestées du 28 juillet 2024, la situation en Colombie aurait connu une détérioration significative, marquée par une intensification de la violence politique et des violations des droits humains. Elle fait état de manifestations massives ayant eu lieu dans plusieurs villes ayant pour objectif d’exiger des réformes et un meilleur respect des droits civiques, qui auraient été rencontrés par des mesures répressives de la part du gouvernement. Dans ce contexte, l’Organisation des Nations Unies aurait exprimé sa profonde inquiétude face à la situation en Colombie, face à des abus des forces de sécurité contre des civils, y compris l’usage disproportionné de la force lors des manifestations. De même, des organisations humanitaires telles qu’Amnesty International et Human Rights Watch auraient réitéré leur préoccupation concernant les persécutions des leaders communautaires, des défenseurs des droits humains et des journalistes en Colombie.
Ces groupes auraient demandé au gouvernement colombien de mettre en place des mécanismes de protection pour les personnes à risque, en particulier dans des zones rurales et les régions où les groupes armés persécutent les civils.
L’appelante ajoute que les dissidents des FARC, après l’accord de paix, continueraient de semer la terreur dans le pays, notamment en raison de leurs méthodes violentes et impitoyables. Ils chercheraient à imposer leur pouvoir par la force exerçant un contrôle illégal sur le territoire et persécutant la population locale, en particulier les défenseurs des droits humains, les leaders communautaires et ceux qu’ils considèrent comme opposants politiques.
Les FARC auraient intensifié leurs attaques, y compris des kidnappings, des exécutions sommaires et des harcèlements, surtout dans les zones frontalières où ils s’affronteraient à d’autres groupes armés. La population civile se retrouverait souvent au cœur de ce conflit, avec des milliers de déplacés à cause des combats incessants et des menaces de violence extrême.
Ce serait dans ce contexte qu’elle risquerait clairement de subir des atteintes graves si elle devait retourner en Colombie, ne pouvant pas compter sur l’aide des autorités étatiques.
S’agissant de l’ordre de quitter le territoire, elle se prévaut des articles 2 et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), et 4 de la Charte européenne des droits fondamentaux (Charte) et du principe du non-refoulement prévu par la convention de Genève.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de l’appel et à la confirmation du jugement a quo.
Analyse de la Cour La Cour relève que la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 sub f), de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays 11dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Il se dégage de la lecture combinée des articles 2 sub f), 2 sub h), 39, 40 et 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 que doit être considérée comme réfugié toute personne qui a une crainte fondée d’être persécutée et que la reconnaissance du statut de réfugié est notamment soumise aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d'origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l'article 48 », ledit article 48 loi énumérant en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ». L'octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.
Il s’y ajoute que la définition du réfugié contenue à l’article 2 sub f), de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2 sub g), de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur de protection internationale ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 122015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du juge devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, à l’instar des premiers juges, la Cour constate que l’appelante et sa fille invoquent un seul motif à la base de leur demande de protection internationale, à savoir les menaces reçues de la part d’un groupe armé, appelé Front CARLOS PATINO, que l’appelante attribue à sa dénonciation des activités de celui-ci.
La Cour rejoint entièrement la conclusion des premiers juges selon laquelle les membres dudit groupe apparaissaient avoir uniquement été motivés par un but de lucre, à savoir celui d’extorquer des sommes d’argent au concubin de Madame (A), et non pas par une motivation entrant dans le champ d’application de la Convention de Genève, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social de Madame (A), de sorte qu’à défaut de remplir l’une des conditions de l’octroi du statut de réfugié, ces faits ne peuvent conduire à l’octroi du statut de réfugié.
Cette conclusion n’est pas infirmée par l’argumentation de l’appelante selon laquelle les premiers juges auraient dû reconnaître aux faits une dimension politique, dans la mesure où elle-même et son concubin auraient subi les menaces en raison de leur appartenance à un groupe social, qui serait constitué par des personnes s’opposant audit groupe armé, menaces qui auraient été déclenchées par la dénonciation de leurs actes. Au-delà du fait que cette coloration politique du récit de l’appelante n’a pas été invoquée en première instance, la Cour relève qu’au regard du récit, tel que retranscrit dans le rapport d’entretien, les menaces dont fait état l’appelante s’inscrivent clairement, et tel que cela a été retenu à juste titre par les premiers juges, dans un contexte d’extorsion d’argent, partant de criminalité de droit commun et sans lien aucun avec une quelconque coloration politique. Les parties appelantes ne sont pas fondées à se voir considérer comme groupe social au motif que l’appelante serait perçue comme opposante au groupe armé litigieux et par là aurait exprimé une opinion d’opposition à une idéologie de ces groupes. En effet, si certes, selon le récit de l’appelante, les menaces seraient à considérer comme conséquences, outre son refus et de son concubin de payer l’argent réclamé et de cacher des armes dans leur maison, du fait qu’elle s’est adressée à la Personeria, qui selon les explications non contestées du ministre est une institution colombienne chargée de protéger les droits des citoyens et de veiller à ce que les agents publics agissent conformément à la loi, donc une sorte de médiateur municipal, il n’en reste pas moins que l’appelante et sa fille ne répondent pas à la définition de groupe social, défini par la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, dite directive Qualification, comme suit : « est considéré comme un certain groupe social lorsque, en particulier:
- ses membres partagent une caractéristique innée ou une histoire commune qui ne peut être modifiée, ou encore une caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce, et - ce groupe a son identité propre dans le pays en question parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante. ».
13Au regard des explications fournies par le ministre quant au fonctionnement des groupes armées issues des FARC, qui seraient davantage préoccupés par la protection de revenus criminels que par la poursuite d’un idéal politique, la dénonciation par l’appelante du groupe armé litigieux en l’espèce ne saurait être perçue comme la manifestation d’une opposition à l’idéologie de tels groupes, qu’elle aurait en commun avec d’autres personnes luttant aussi contre ces groupes, tel que les parties appelantes le suggèrent.
Les premiers juges ont dès lors à bon droit confirmé le ministre en ce qu’il a rejeté la demande en obtention du statut de réfugié présentée par Madame (A), dans son chef et celui de sa fille, et ont en conséquence rejeté leur recours dirigé contre le refus dudit statut.
En ce qui concerne la demande en obtention d’une protection subsidiaire, les premiers juges ont retenu que les parties appelantes ne mentionnent pas le risque d’être victimes d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne au sens du point c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, mais invoquent une crainte de faire l’objet d’atteintes graves au sens des points a) et b) du même article, de sorte à avoir limité leur analyse aux risques allégués de subir la peine de mort, l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants en Colombie.
En instance d’appel, les parties appelantes se prévalent dorénavant aussi de la situation générale en Colombie. A admettre qu’elles aient entendu se prévaloir du point c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, la Cour procédera également à l’examen de la situation des parties appelantes au regard de cette disposition, encore que non formellement invoquée par elles.
Pour ce qui est des craintes des parties appelantes de faire l’objet d’atteintes graves au sens des points a) et b) de l’article 48, précité, les premiers juges ont à juste titre retenu que Madame (A) n’a pas cherché à dénoncer les membres du groupe armé qu’elle déclare craindre auprès des autorités colombiennes ou à requérir une protection de leur part.
A ce propos, le tribunal a à bon escient rappelé que face à des auteurs d’atteintes graves, qui comme en l’espèce, sont à considérer comme étant des personnes privées, sans lien avec l’Etat, il convient d’examiner si la victime peut être protégée par les autorités publiques compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit, la crainte de subir des atteintes graves ne pouvant être considérée comme fondée que si les autorités ne veulent pas ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source des atteintes graves.
Les premiers juges ont encore de façon pertinente rappelé la jurisprudence établie selon laquelle une protection n’est suffisante que si les autorités étatiques ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée. Cela inclut la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou des atteintes graves, sans cependant que cette exigence n’impose pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de 14l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux, la notion de protection de la part du pays d’origine n’impliquant en effet pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais supposant des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
La Cour rejoint entièrement l’analyse des premiers juges et la fait sienne, qui a abouti au constat qu’il ne ressort d’aucun élément soumis à leur appréciation que l’Etat colombien n’aurait pas été disposé ou aurait été dans l’incapacité de fournir une protection à Madame (A) et à sa fille contre les agissements des membres du groupe armé, dont elles déclarent avoir été victimes, ni qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, elles ne pourraient pas bénéficier d’une telle protection, cette conclusion n’étant pas énervée par les éléments et arguments soumis à l’appréciation de la Cour.
A l’instar des premiers juges, la Cour relève que Madame (A) a fait une déclaration auprès du « défenseur du peuple », à la Personeria1, et qu’à cette occasion elle a précisément été informée qu’elle devait quand même porter plainte auprès de la police2, ce qui conforte la thèse de la partie étatique, non autrement remise en cause par les appelantes, selon laquelle la Personeria n’est pas un organisme d’application de la loi, qu’elle n’a pas le soutien de la police mais agit plutôt comme un médiateur municipal et qu’elle ne se substitue pas à la police ou les forces armées colombiennes.
Si les appelantes expliquent, à l’appui de leur appel, l’absence de plainte par la crainte de représailles, voire en raison de l’inefficacité des forces de l’ordre, la Cour relève, d’une part, et tel que le ministre l’a relevé à juste titre, que Madame (A) a justement fait le choix de dénoncer les faits auprès de la Personeria sans avoir été empêché de ce faire par une peur de représailles, de sorte que son argumentation selon laquelle elle n’aurait cherché aucune protection auprès de la police par peur de représailles n’est pas convaincante, et, d’autre part, à l’instar des premiers juges, que les appelantes n’apportent aucun élément selon lequel les autorités colombiennes ne pourraient ou ne voudraient pas leur accorder une protection contre les agissements des membres du groupe armé.
Les premiers juges ont encore à juste titre relevé le caractère hypothétique des craintes des partes appelantes, dans la mesure où le concubin de Madame (A), principal concerné par les agissements de ces individus, est retourné vivre chez lui en novembre 20213 et que l’intéressée n’a fait aucunement mention d’atteintes graves dont son concubin aurait été victime depuis son retour. A défaut d’éléments concrets qui se seraient produits depuis ce retour, les explications fournies à l’appui de l’acte d’appel, selon lesquelles le retour de son concubin s’expliquerait par des contraintes économiques et non pas par une absence de risque, ne sont pas pertinentes.
1 Page 7 du rapport d’audition.
2 « […] J’ai fait ma déclaration. [Le défenseur du peuple] m’a répondu qu’on était en danger et qu’il allait me qualifier comme déplacée de force parce que je n’étais pas partie de façon volontaire. Il m’a dit que je devais attendre la réponse avant d’attendre les démarches pour la relocalisation. Il m’a dit que je devais quand même porter plainte auprès de la police. […] », page 6 du rapport d’audition.
3 Page 12 du rapport d’audition.
15 S’agissant de la situation générale existant en Colombie, en ce que les parties appelantes font état de courir un risque en raison de la situation générale postérieure aux élections contestées de juillet 2024 et en raison d’affrontements entre groupes armés, la Cour relève que Madame (A) n’a pas fait état d’un quelconque engagement politique qui permettrait de conclure qu’elle puisse être dans le viseur des autorités de son pays d’origine, ni de difficultés qu’elle aurait rencontrées de façon générale en Colombie en raison d’affrontements entre groupe armées issues des FARC, les difficultés dont elle fait état étant strictement liées à l’extorsion d’argent dont a été victime son concubin.
Par ailleurs, les parties appelantes n’ont pas soumis à l’appréciation de la Cour des éléments permettant de retenir que la situation existant en Colombie est susceptible d’être qualifiée de conflit armé interne au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015 ni qu’il existerait d’autres motifs sérieux et avérés de croire que si l’appelante et sa fille y étaient renvoyés, elles courraient, du seul fait de leur présence sur le territoire, un risque réel de subir des menaces graves et individuelles contre leur vie ou leur personne.
Il résulte des développements qui précèdent qu’en l’état actuel d’instruction du dossier et des moyens exposés de part et d’autre, Madame (A) et sa fille n’ont pas démontré, ni en première instance, ni en instance d’appel, qu’il existe de sérieuses raisons de croire qu’elles encourraient en cas de retour dans leur pays d’origine un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
C’est, dès lors, également à bon droit que les premiers juges ont confirmé le ministre pour avoir rejeté comme étant non fondée la demande présentée par Madame (A), dans son chef et celui de sa fille, tendant à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
Quant à l'ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de protection internationale, force est de constater que dès lors que le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a refusé aux appelantes le statut de la protection internationale - statut de réfugié et protection subsidiaire - et que le refus d’octroi de pareil statut est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire par le ministre, le jugement est à confirmer en ce qu’il a refusé de réformer ledit ordre.
En ce qui concerne le moyen fondé sur une violation du principe de non-refoulement, ensemble les articles 2 et 3 de la CEDH et 4 de la Charte, la Cour relève qu’au regard de ce qui vient d’être retenu par rapport au sérieux des craintes des appelantes en cas de retour dans leur pays d’origine et à défaut d’autres éléments, le moyen afférent est à rejeter.
Il suit de l'ensemble des considérations qui précèdent que le jugement du 11 novembre 2024 est à confirmer et que les appelantes sont à débouter de leur appel.
PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 11 décembre 2024 en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute les appelantes, 16partant, confirme le jugement entrepris du 11 novembre 2024, donne acte aux appelantes qu’elles bénéficient de l’assistance judiciaire ;
condamne les appelantes aux dépens de l’instance d’appel.
Ainsi délibéré et jugé par:
Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Annick BRAUN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence de la greffière assumée Carla SANTOS.
s. SANTOS s. CAMPILL 17