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01/04/2025 | LUXEMBOURG | N°52005C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 01 avril 2025, 52005C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 52005C ECLI:LU:CADM:2025:52005 Inscrit le 25 novembre 2024 Audience publique du 1er avril 2025 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 14 octobre 2024 (no 48555 du rôle) en matière d’impôts - appel en garantie Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 52005C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 25 novembre 2024 par Maître Yusuf MEYNIOGLU, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-â

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 52005C ECLI:LU:CADM:2025:52005 Inscrit le 25 novembre 2024 Audience publique du 1er avril 2025 Appel formé par Monsieur (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 14 octobre 2024 (no 48555 du rôle) en matière d’impôts - appel en garantie Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 52005C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 25 novembre 2024 par Maître Yusuf MEYNIOGLU, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), demeurant à L-…, …, dirigé contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 14 octobre 2024 (no 48555 du rôle) l’ayant débouté de son recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 7 février 2023 ayant rejeté sa réclamation formé contre le bulletin d’appel en garantie émis à son encontre le 18 mai 2022;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 17 décembre 2024;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 17 janvier 2025 par Maître Yusuf MEYNIOGLU au nom de l’appelant;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 6 février 2025;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 27 février 2025.

Le 13 janvier 2022, le bureau d’imposition RTS Luxembourg 1, ci-après « le bureau d’imposition », émit à l’encontre de la société anonyme (AA), ci-après « la société (AA) », un bulletin de la retenue d’impôt sur les salaires et les pensions portant fixation de compléments de retenue, ci-après « le bulletin de compléments de retenue », fixant des retenues d’impôt non effectuées de … euros pour l’année 2016 et des retenues d’impôt non déclarées pour les années 2017 à 2020, à hauteur respectivement de … euros, de … euros, de … euros et de … euros.

Par jugement du 1er avril 2022 du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière commerciale, la société (AA) fut déclarée en état de faillite.

Le 18 mai 2022, le bureau d’imposition émit un bulletin d’appel en garantie (« Haftungsbescheid ») sur le fondement du paragraphe 118 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, dénommée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », à l’encontre de Monsieur (A), en sa qualité d’administrateur de la société (AA), ledit bulletin déclarant l’intéressé codébiteur solidaire d’un montant de … euros, en principal et intérêts, au titre de l’impôt sur les traitements et salaires qui aurait dû être retenu et continué au Trésor public par ladite société pour les années d’imposition 2016 à 2020.

Ledit bulletin est libellé comme suit :

« (…) Il est dû à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg par la société (AA) en faillite ayant son siège à L-…, …, immatriculée sous le numéro fiscal … et enregistrée au Luxembourg Business Registers sous le numéro B … à titre de l’impôt sur les traitements et salaires :

Année Principal Intérêts Total 2016 … € … € … € 2017 … € … € … € 2018 … € … € … € 2019 … € … € … € 2020 … € … € … € TOTAL … € … € … € Il résulte du dépôt au Luxembourg Business Registers sous la référence … du 31.03.2020 que vous avez été nommé administrateur de la société (AA) en faillite.

En cette qualité vous avez eu le pouvoir d’engager la société sous votre seule signature depuis le 28.01.2020.

En votre qualité d’administrateur vous étiez en charge de la gestion de la société (AA) en faillite.

Par conséquent et conformément aux termes des §§ 108 et § 103 AO, vous étiez personnellement tenu à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société (AA) en faillite, dont notamment le paiement des impôts dus par la société (AA) en faillite à l’aide des fonds administrés.

En vertu de l’article 136 alinéa 2 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, l’employeur est tenu de retenir l’impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel.

En vertu de l’article 136 alinéa 6 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, l’employeur est tenu à déclarer et à verser l’impôt retenu à l’Administration des contributions directes.

En vertu de l’article 136 alinéa 6 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu et du règlement grand-ducal modifié du 27 décembre 1974 concernant la procédure de la retenue d’impôt sur les salaires et les pensions, l’employeur est tenu de présenter au bureau RTS compétent les comptes de salaires ainsi que tous autres documents comptables.

Dans le cas d’une société, conformément aux termes du § 103 AO, ces obligations incombant aux employeurs sont transmises à celui qui a le pouvoir de représenter la société à l’égard des tiers.

En votre qualité de représentant de la société (AA) en faillite il vous appartenait de déclarer et de verser/de veiller à la retenue, à la déclaration et au versement de la retenue d’impôt due sur les traitements et les salaires du personnel.

Or pour les années 2016 à 2020 le paiement des salaires a été fait sans que les montants à retenir aient été continués entièrement au receveur.

L’omission de retenir, de déclarer et de payer les sommes dues à titre de retenue d’impôt est à qualifier d’inexécution fautive de vos obligations en tant que représentant de la société (AA) en faillite.

L’omission de payer sur les fonds disponibles de la société (AA) en faillite les retenues échues avant votre entrée en fonction est à qualifier d’inexécution de vos obligations.

Suite à l’inexécution fautive de vos obligations, le receveur de l’Administration des contributions directes n’a pas perçu les retenues d’impôt d’un montant de … €.

Ce montant de … € se compose comme suit :

Année Principal Intérêts Total 2016 … € … € … € 2017 … € … € … € 2018 … € … € … € 2019 … € … € … € 2020 … € … € … € TOTAL … € … € … € En vertu du § 110 AO votre responsabilité pour les actes accomplis pendant la période de vos fonctions survit à l’extinction de votre pouvoir de représentation.

Considérant qu’en vertu du § 103 AO vous êtes tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société (AA) en faillite.

Considérant que l’inexécution de ces obligations est à qualifier de fautive.

Considérant que l’inexécution fautive de vos obligations a empêché la perception d’impôt sur les traitements et salaires d’un montant de … €.

Considérant que dans la mesure où, par l’inexécution fautive de vos obligations, vous avez empêché la perception de l’impôt légalement dû, vous êtes constitué débiteur de ce montant conformément au § 109 AO.

Considérant que le § 118 AO m’autorise à engager votre responsabilité.

Considérant le fait qu’en votre qualité de représentant vous êtes chargé de la gestion de la société (AA) en faillite j’engage votre responsabilité, l’appel en garantie s’élève au montant de … €, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs.

Par conséquent, vous êtes invité à payer sans délai le montant de … €, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs, au receveur de l’Administration des contributions directes à Luxembourg (…) ».

Le 3 juin 2022, Monsieur (A) introduisit auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après « le directeur », une réclamation à l’encontre de ce bulletin d’appel en garantie.

Par décision du 7 février 2023, répertoriée sous le numéro C 31158 du rôle, le directeur rejeta cette réclamation en les termes suivants:

« (…) Vu la requête introduite le 3 juin 2022 par Me Yusuf Meynioglu, au nom du sieur (A), demeurant à L-…, pour réclamer contre le bulletin d’appel en garantie émis en vertu du § 118 de la loi générale des impôts (AO) par le bureau d’imposition RTS Luxembourg 1 en date du 18 mai 2022 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu le § 119, alinéa 1er AO, ensemble les §§ 228 et 301 AO ;

Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit (§ 238 AO) dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 245 AO) de la loi, qu’elle est partant recevable ;

Considérant que le bulletin attaqué a déclaré le réclamant codébiteur solidaire de l’impôt sur les traitements et salaires des années 2016, 2017, 2018, 2019 et 2020, y compris les intérêts accumulés depuis lors, au motif qu’il aurait en sa qualité de représentant légal de la société anonyme (AA), en faillite, commis une faute en ne veillant pas à ce que soient payées au receveur des Contributions, sur les fonds administrés, les sommes qui ont été retenues ou qui auraient dû être retenues à titre d’impôt sur les salaires, et dont la société a été (et est toujours) redevable ;

En ce qui concerne la prescription de l’impôt Considérant que l’article 10 de la loi du 27 novembre 1933, tel que modifié par la suite, dispose que « la créance du Trésor se prescrit par cinq ans. Toutefois, en cas de non-déclaration ou en cas d’imposition supplémentaire pour déclaration incomplète ou inexacte, avec ou sans intention frauduleuse, la prescription est de 10 ans. (…) La prescription prend cours à partir du 1er janvier qui suit l’année pendant laquelle la créance est née. » ;

Considérant qu’il ressort du dossier fiscal de la société (AA) que lors de la vérification de la retenue d’impôt sur les traitements et salaires des années 2016 à 2020, le bureau d’imposition RTS Luxembourg 1 a constaté que la société n’a pas déclaré toutes les retenues d’impôt opérées sur les salaires des années 2016 à 2020 ; qu’il a dès lors fixé des retenues d’impôt complémentaires sur les traitements et salaires des années 2016 à 2020 par l’émission d’un bulletin de la retenue d’impôt sur les salaires et les pensions portant fixation de compléments de retenue en date du 13 janvier 2022.

Considérant qu’il s’ensuit que la prescription décennale trouve application pour les années 2016 à 2020 ; que le grief afférent à la prescription des impôts de l’année 2016 est dès lors à rejeter comme non fondé ;

En ce qui concerne le bulletin d’appel en garantie Considérant, à titre liminaire tout comme en matière de principe, que le représentant d’une personne morale est responsable du paiement des dettes d’impôt de la personne morale qu’il représente dans les conditions prévues aux §§ 103 et 109 AO ; qu’aux termes du § 103 AO il est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société, notamment de remettre les déclarations fiscales dans les délais légaux et de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable (CE du 20 octobre 1981, n° 6902) ;

Considérant dès lors que dans la mesure où le représentant, par l’inexécution fautive de ces obligations, a empêché la perception de l’impôt légalement dû, il est, en principe, constitué codébiteur solidaire des arriérés d’impôt de la société, conformément au § 109 AO ;

que la responsabilité du représentant est à qualifier de fautive du moment que les impôts échus, même avant son entrée en fonction, ne sont pas payés sur les fonds disponibles de la société à l’administration ;

Considérant qu’il s’avère nécessaire dans ce contexte de mettre en exergue qu’en matière de responsabilité du fait personnel (article 1382 du code civil), l’auteur du dommage ne peut pas s’exonérer en invoquant une prétendue faute d’un tiers, lequel n’entrera en ligne de compte qu’au stade du recours entre les coresponsables ; que le représentant responsable sur le fondement du § 109 AO ne peut s’opposer à une poursuite au motif qu’elle n’a pas été engagée contre un autre, quod non en l’espèce, étant donné qu’un autre bulletin d’appel en garantie a été émis à l’encontre du sieur (B) ;

Considérant, matériellement, qu’en vertu de l’article 136, alinéa 4 de la loi concernant l’impôt sur le revenu (L.I.R.) l’employeur est tenu de retenir, de déclarer et de verser l’impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel ; que dans le cas d’une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise à celui qui a le pouvoir de représenter la société à l’égard des tiers (§ 103 AO) ; que la responsabilité de l’administrateur, voire du gérant, selon le cas, est à qualifier de fautive du moment que des paiements de salaires sont effectués sans retenue d’impôt et sans continuation des montants à retenir à l’administration (Cour administrative du 6 mai 2003, n° 15989C du rôle) ; qu’il en est de même en ce qui concerne les retenues échues avant son entrée en fonction, si, par sa faute, elles ne sont pas payées sur les fonds disponibles de la société ;

Considérant que sous l’empire du § 118 AO la poursuite du tiers responsable, à la différence de l’imposition du contribuable, est toujours discrétionnaire et exige de ce fait et en vertu du § 2 de la loi d’adaptation fiscale (StAnpG) une appréciation effective et explicite des circonstances qui justifient la décision en raison et en équité (BFH du 19 février 1965 StRK § 44 EStG R.13 ; jurisprudence constante pour RTS, notamment BFH du 24 novembre 1961, BStBl. 1962.37 ; 3 février 1981, BStBl. 1981 II 493 ; cf Becker-Riewald-Koch § 2 StAnpG Anm.

5 Abs. 3) ; que l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire implique une motivation quant au principe même de la mise en œuvre de la responsabilité d’un ou de plusieurs représentants, quant à la désignation du représentant dont la responsabilité est engagée et quant au quantum de sa responsabilité ;

Considérant qu’un manquement à une obligation fiscale découlant du § 103 AO dans le chef du représentant (« Vertreter ») d’une société n’est pas suffisant pour engager sa responsabilité en application du § 109, alinéa 1er AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant posé à cet égard l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive - « schuldhafte Verletzung » - des obligations du représentant de la société envers le fisc (Cour administrative du 22 février 2000, n° 11694C du rôle) ;

Considérant que la responsabilité du représentant est cependant à qualifier de fautive du moment qu’il n’accomplit pas ses obligations fiscales, dont notamment celle de veiller à ce que les impôts dus soient payés, même ceux datant d’avant son entrée en fonction, à l’aide des fonds administrés ; que cette dernière prémisse l’emporte, le cas échéant, ainsi de plein droit sur la situation telle qu’elle s’est présentée durant les années antérieures ;

Considérant dans ce contexte, et notamment d’après une jurisprudence constante, que le paiement de salaires sans retenue d’impôt et sans continuation des montants à retenir à l’administration des contributions directes est à qualifier de fautif per se (Cour administrative du 6 mai 2003, n° 15989C du rôle ; Cour administrative du 6 janvier 2011, n° 27126C du rôle ;

Tribunal administratif du 15 janvier 2009, n° 24145 du rôle) ;

Considérant encore qu’en ce qui concerne la notion de l’inexécution fautive, à savoir de la « schuldhafte Verletzung seiner steuerlichen Pflichten durch den Vertreter des Steuerpflichtigen » au sens du § 109, alinéa 1er AO, que la Cour administrative a consigné que :

1) « Dans la mesure où il n’est pas contesté que les bilans pour les années litigieuses n’ont pas été déposés dans les délais au RCS et que les déclarations fiscales n’ont pas non plus été déposées, ce qui a contraint le bureau d’imposition à procéder par la voie de la taxation d’office pour les années 2008 à 2010 et par la fixation d’avances pour les années 2012 à 2014, le bureau d’imposition a en principe valablement pu retenir une inexécution fautive dans le chef de l’appelant, étant donné qu’en sa qualité de gérant unique, il était conformément au paragraphe 103 AO personnellement tenu à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société (…), de sorte qu’il était tenu de veiller au dépôt des déclarations fiscales et au paiement des créances d’impôt et que l’omission de ce faire est à qualifier de comportement fautif.

(…) Or, le fait pour l’appelant de ne pas avoir veillé, en tant que gérant unique de la société (…), à ce que les déclarations d’impôt soient déposées en temps utile auprès de l’administration des Contributions directes, est à qualifier d’inexécution fautive des obligations du représentant d’une société envers les autorités fiscales, de sorte que les conditions pour la mise en œuvre de sa responsabilité personnelle à l’égard des créances d’impôt visées dans le bulletin d’appel en garantie litigieux se trouvent réunies en cause. Cette conclusion ne saurait être invalidée par l’argumentation de l’appelant selon laquelle il serait inéquitable de le poursuivre personnellement après tous les efforts entrepris pour régulariser les affaires de la société, étant donné qu’il est resté trop longtemps inactif et qu’il semblerait, d’après les éléments du dossier, qu’il n’est devenu actif que lorsque le Parquet a décidé de demander la dissolution judiciaire de la société. » (Cour administrative du 23 août 2016, n° 38378C du rôle), et que :

2) « Les premiers juges ont essentiellement retenu que le « § 103 AO soumet les dirigeants d’une société à l’obligation de veiller à ce que les impôts dus soient payés au trésor public », pointant de la sorte essentiellement l’obligation des représentants d’une société de veiller au paiement des impôts dus (…).

La Cour ne saurait entériner cette vision des choses.

En premier lieu, il est erroné de limiter l’analyse sur l’obligation de paiement des impôts dus, mais il convient d’avoir égard à l’ensemble des obligations incombant au contribuable en vue de la fixation et du paiement de l’impôt dû.

(…) Cette façon de procéder au cours de la procédure d’imposition est aux antipodes de l’attitude que l’on peut attendre d’une société raisonnablement prudente et diligente et elle caractérise manifestement une violation des obligations incombant aux organes d’administration de la société (…). Le manquement ainsi dépeint est encore de toute évidence grave.

(…) (…), il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que Monsieur (…) a de façon prolongée rendu impossible la détermination exacte des bases d’imposition et qu’il a singulièrement et fautivement manqué de remplir les obligations fiscales qui lui incombaient en tant que représentant de la société (…), de sorte que les conditions pour la mise en œuvre de sa responsabilité personnelle pour les impôts visés par le bulletin d’appel en garantie litigieux se trouvent réunies en cause. » (Cour administrative du 31 janvier 2017, n° 38343C du rôle) ;

Considérant qu’il ressort du Registre de commerce et des sociétés (RCS), que le réclamant a constitué la société en date du 18 décembre 2015 et a nommé le sieur (B) en tant qu’administrateur unique ; qu’en date du 31 mars 2020, ce dernier a été radié en tant qu’administrateur unique pour être remplacé par le réclamant avec effet au 28 janvier 2020 ;

que le réclamant était dès lors habilité à engager la société vis-à-vis de tiers avec sa signature individuelle jusqu’au 1er avril 2022, date du jugement de faillite ;

Considérant qu’à l’égard de tiers, dont notamment l’Administration des contributions directes, le réclamant était un représentant de la société pour la période en cause et personnellement tenu à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à ladite société ; qu’il était ainsi, entre autres, dans l’obligation de retenir, de déclarer et de payer les impôts sur salaires et traitements à l’Administration des contributions directes ;

Considérant que lors de la vérification de la retenue d’impôt sur les salaires de la société (AA) en janvier 2022, le bureau d’imposition RTS Luxembourg 1 a constaté que la société a occupé des salariés d’octobre 2016 à décembre 2020 sans remettre une seule déclaration de retenues d’impôt sur les traitements et salaires pour les années 2017 à 2020 au bureau d’imposition compétent ; qu’elle a introduit des déclarations mensuelles pour les mois d’octobre et novembre 2016 indiquant des retenues pour un montant total de (2 x … i.e.) … euros, mais a toutefois omis de déclarer et payer les retenues opérées sur les salaires du mois de décembre 2016 (… euros) ; qu’en ce qui concerne les années 2017, 2018, 2019 et 2020, il ressort des livres de salaires remis par le réclamant en décembre 2021, ainsi que des extraits de compte salaires et pensions (ECSP) déposés, que la société a opéré des retenues d’impôt sur les traitements et salaires pour un montant total de … euros en 2017, de … euros en 2018, de … euros en 2019 et de … euros en 2020, mais n’a pas trouvé utile ni de les déclarer ni de les continuer à l’Administration des contributions directes ; qu’uniquement en février 2018, deux paiements à hauteur de … euros, respectivement de … euros ont été faits à l’Administration des contributions directes ; que le bureau d’imposition a donc fixé, à bon escient, des retenues d’impôt sur les traitements et salaires des années 2016 à 2020 par l’émission d’un bulletin de la retenue d’impôt sur les salaires et les pensions portant fixation de compléments de retenue en date du 13 janvier 2022 ;

Considérant qu’en l’espèce, le réclamant a manifestement ignoré les dettes fiscales, tant celles échues au cours de sa période de mandat que celles échues avant ladite période ;

qu’il ressort des comptes annuels de l’année 2017, déposés au RCS, ainsi que des comptes annuels de l’année 2018, fournis au bureau d’imposition par le réclamant, que la société avait une dette envers l’Etat au titre des retenues d’impôt sur les traitements et salaires ;

Considérant que le représentant qui, tel que le réclamant, a accepté sa fonction ne peut, en matière d’appel en garantie, se contenter de contester son pouvoir ; qu’en n’exécutant pas les obligations légales de la société ou en ne veillant pas à leur accomplissement, le représentant manque à son premier devoir, celui d’administrer (Tribunal administratif du 19 mars 2014, n° 32140 du rôle) ;

Considérant qu’il découle de tout ce qui précède que c’est à tort que le réclamant estime sa responsabilité personnelle ne pas devoir être engagée notamment du fait que durant la période en cause il était représentant au sens du § 103 AO de la société anonyme (AA), en faillite ; que la mise à charge des arriérés de ladite société au titre de la retenue d’impôt sur les traitements et salaires des années 2016, 2017, 2018, 2019 et 2020, ainsi que les intérêts de retard y relatifs, est parfaitement justifiée en ce qui le concerne ;

PAR CES MOTIFS reçoit la réclamation en la forme, la rejette comme non fondée. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 février 2023, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision directoriale précitée du 7 février 2023.

Par jugement du 14 octobre 2024, le tribunal administratif donna acte à la partie étatique de la renonciation à son deuxième mémoire en duplique, reçut le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclara non justifié, partant en débouta, le tout en disant qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours en annulation et en déboutant le demandeur de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure et en le condamnant aux frais et dépens de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 25 novembre 2024, Monsieur (A) a régulièrement relevé appel de ce jugement.

Il réexpose que la société (AA), dont il aurait été l’actionnaire fondateur, aurait été constituée le 18 décembre 2015 et que Monsieur (B) en aurait été l’administrateur unique depuis sa constitution jusqu’au 28 janvier 2020, date à partir de laquelle il serait lui-même devenu l’administrateur unique.

En droit, l’appelant soutient que la décision litigieuse encourrait la réformation pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits, alors que l’administration fiscale n’aurait fait qu’avancer des motifs stéréotypés, sans avoir recherché une faute dans son chef en relation avec le non-paiement des impôts.

Concernant l’exigibilité de la dette fiscale, l’appelant se prévaut de la prescription de la dette fiscale dont il serait redevable au titre des années 2016 et 2017, en application du délai de prescription quinquennale des créances en matière d’impôt édicté à l’article 10 de la loi modifiée du 27 novembre 1933 concernant le recouvrement des contributions directes, des droits d’accise sur l’eau de vie et des cotisations d’assurance sociale, telle que remise en vigueur par l’arrêté grand-ducal du 29 octobre 1946, ci-après « la loi du 27 novembre 1933 », de sorte que le montant total de … euros réclamé au titre de ces deux années d’imposition serait en tout état de cause à déduire du montant de l’appel en garantie.

Il critique, dans ce contexte, encore l’administration des Contributions directes pour ne pas avoir exposé la raison pour laquelle elle aurait procédé à la fixation de retenues d’impôt complémentaires sur les traitements et salaires des années 2016 à 2020.

Il conteste en outre l’imposition complémentaire fixée à travers le bulletin de compléments de retenue émis le 13 janvier 2022, au motif, d’une part, que la créance fiscale au titre de l’année 2016 serait prescrite depuis le 1er janvier 2022 et, d’autre part, que le motif de la retenue des impôts complémentaires pour les années 2016 à 2020 ne serait pas justifié.

Concernant l’appel en garantie émis à son encontre, l’appelant expose les conditions de mise en œuvre d’un tel appel en garantie au titre des paragraphes 103 et 109, alinéa (1), AO et, plus particulièrement, celles tenant à l’existence d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité, et fait en substance valoir que celles-ci ne seraient pas remplies en l’espèce, au motif que la partie étatique ne justifierait pas l’existence d’une faute dans son chef et que le bureau d’imposition serait resté en défaut d’expliquer son choix de l’avoir appelé en garantie au regard des exigences d’équité et d’opportunité.

Au titre de l’existence d’une faute « schuldhafte Verletzung » requise dans le chef d'un représentant légal d’une société, il reproche au bureau d'imposition de ne pas établir l’existence d’un tel comportement fautif personnel dans son chef, en faisant valoir qu’il ne serait devenu représentant de la société (AA) qu’en date du 28 janvier 2020, de sorte qu’il ne pourrait pas être tenu responsable d’une inexécution respectivement d’un violation fautive de ses obligations d’administrateur pour les années 2016 à 2020. Il conteste avoir commis une inexécution fautive au sens du paragraphe 109 AO et que même s’il y avait faute, elle serait imputable à l’administrateur unique qui était en fonction durant les années 2016 à 2020. Il estime que le seul fait de ne pas avoir payé l’impôt dû ne peut pas être qualifié d’inexécution fautive, dès lors que selon la législation en la matière, le seul constat d’un manquement à une obligation fiscale ne suffirait pas pour engager la responsabilité personnelle des dirigeants d’une société, mais qu’il conviendrait que l’administration fiscale rapporte la preuve d'une inexécution fautive des obligations du représentant de la société, ce qu’elle aurait omis de faire en l’espèce.

Il reproche encore aux premiers juges d’avoir retenu dans son chef un comportement fautif et l’existence d’un dommage consistant en une insuffisance d’impôt, résultant du défaut de paiement de l’impôt fixé à l’échéance, en insistant sur l’absence d’un lien de causalité direct entre le non-paiement des impôts pour les années 2016 à 2020 et ses prétendus agissements fautifs, tout en rappelant que sa responsabilité personnelle aurait été mise en cause pour une période au cours de laquelle il n’aurait pas été en fonction.

Le délégué du gouvernement conclut en substance au rejet de l’appel et à la confirmation du jugement entrepris.

La Cour se doit de prime abord de relever que les contestations de l’appelant relativement à l’existence d’une motivation insuffisante de la décision directoriale litigieuse mélangent des considérations en rapport avec une motivation stéréotypée, c’est-à-dire le reproche d’un défaut d’indication de motifs, d’une part, et des considérations en rapport avec l’inexistence de motifs justificatifs de la décision querellée, d’autre part.

En conséquence, la Cour examinera ci-après, dans un premier temps, à un niveau de légalité externe de la décision querellée, le respect des exigences d’indication d’une motivation et, le cas échéant, dans un second temps, à un niveau de légalité interne de l’acte visé, l’existence et la validité des motifs énoncés.

Concernant la légalité extrinsèque de la décision directoriale du 7 février 2023, considérée nécessairement ensemble le bulletin d’appel en garantie du 18 mai 2022, il convient de rappeler que ni le paragraphe 228 AO, ni les paragraphes 299 et suivants AO, auxquels il est renvoyé par le paragraphe 228 AO, ni encore les dispositions générales relatives au régime des décisions (« Verfügungen ») contenues aux paragraphes 91 à 96 AO, ne prévoient une obligation générale, sous peine d’annulation, de motivation expresse d’une décision du directeur (Cour adm. 20 mars 2008, n° 23789C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 1238 et les autres références y citées).

En outre, ni le paragraphe 2, ni le paragraphe 7 de la loi d'adaptation fiscale du 16 octobre 1934, appelée « Steueranpassungsgesetz », ci-après « StAnpG », ne contiennent une obligation de motivation dans le chef du bureau d’imposition ou encore du directeur, le premier prévoyant certes qu’une motivation spécifique doit sous-tendre la décision en question, sans toutefois imposer que celle-ci doit obligatoirement être indiquée dans cette décision (Cour adm.

10 mai 2016, n° 37313C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 577 et les autres références y citées).

Ainsi, en matière d’appel en garantie, ainsi que les premiers juges l’ont relevé à juste titre, l’obligation de motivation ne se conçoit qu’à travers le principe général du droit au respect des droits de la défense, en ce sens que le contribuable doit être en mesure de connaître la motivation d’une décision au plus tard au cours de la procédure contentieuse devant les juridictions administratives afin de pouvoir utilement préparer sa défense (Cour adm.

11 octobre 2016, n° 37833C du rôle, Pas. adm. 2024, V° Impôts, n° 578 et les autres références y citées).

En effet, au niveau de l’exigence de motivation, l’essentiel est que les motifs à la base d’un appel en garantie existent à la date où il est décidé et que le contribuable doit être en mesure de connaître la motivation d’une décision au plus tard au cours de la procédure contentieuse devant les juridictions administratives afin de pouvoir utilement poursuivre un recours en justice.

Ceci dit, la Cour constate que la motivation à la base de l’appel en garantie et, spécialement les raisons qui ont poussé l’administration fiscale à agir en garantie à l’encontre de l’appelant en sa qualité d’administrateur unique de la société (AA), en l’occurrence essentiellement tirées de son défaut d’avoir déclaré et/ou versé, en tout ou partie, les impôts dus sur les traitements et les salaires du personnel de ladite société au titre des années 2016 à 2020, résulte à suffisance du bulletin d’appel en garantie du 18 mai 2022, considéré ensemble la décision directoriale du 7 février 2023, et des éléments de motivation additionnels apportés par le délégué du gouvernement devant les juridictions administratives.

Ainsi, force est de constater que l’appelant n’a pas pu se méprendre sur les éléments de motivation gisant à la base du bulletin d’appel en garantie ou encore de la décision directoriale sous analyse, de sorte que le reproche ayant trait à une motivation stéréotypée et à un défaut d’indication des motifs est à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant au moyen fondé sur la prescription de l’impôt sur les traitements et salaires dû au titre des années 2016 et 2017, les premiers juges ont rappelé à juste titre qu’en vertu de l’article 10 de la loi du 27 novembre 1933, si les créances du Trésor public se prescrivent en principe par cinq ans, il n’en reste pas moins qu’en « cas de non-déclaration ou en cas d’imposition supplémentaire pour déclaration incomplète ou inexacte, avec ou sans intention frauduleuse, la prescription est de dix ans ».

Les premiers juges ont relevé à juste titre que le bulletin de compléments de retenue du 13 janvier 2022 au titre des années 2016 à 2020 est intervenu à la suite de la révision des retenues d’impôt à opérer, à déclarer et à verser du chef de rémunérations touchées par le personnel de la société (AA), à laquelle le bureau d’imposition a procédé le 6 janvier 2022 et que le rapport de révision a conclu à un complément de retenues pour chacune des années d’imposition concernées, au motif que pour l’année 2016, les retenues d’impôt n’avaient été payées qu’en partie, tandis que pour les années 2017 à 2020, les retenues d’impôt n’avaient pas été déclarées.

Eu égard à cette imposition complémentaire fondée sur le constat de retenues d’impôt non effectuées ou non déclarées, les premiers juges sont à confirmer en ce qu’ils ont retenu que c’est la prescription décennale qui, en application de l’article 10 de la loi du 27 novembre 1933, en ce qu’il énonce que toute déclaration incomplète ou inexacte et toute imposition supplémentaire impliquent une extension du délai de prescription de 5 à 10 ans, trouve application en l’espèce.

Pour contester encore l’applicabilité au cas d’espèce de la prescription décennale, l’appelant conteste la légalité du bulletin de compléments de retenue du 13 janvier 2022, en soutenant, en substance, que les compléments de retenues y fixés ne seraient ni motivés, ni justifiés.

Les premiers juges ont dégagé à bon droit du paragraphe 119 AO que le tiers appelé en garantie peut introduire les mêmes voies de recours et faire valoir les mêmes moyens contre le bulletin d’appel en garantie que ceux dont dispose le débiteur principal de l’impôt, tout en exceptant l’hypothèse où le bulletin émis à l’égard du débiteur principal a autorité de chose décidée et où le tiers appelé en garantie aurait eu la possibilité de réclamer contre ce bulletin en tant que représentant légal du contribuable principal, cas dans lequel ce bulletin est définitif également à l’égard de la personne appelée en garantie.

Cette faculté de faire valoir les mêmes moyens contre le bulletin d’appel en garantie que ceux dont peut se prévaloir le débiteur principal de l’impôt implique que la personne appelée en garantie est en droit de soulever tant des moyens dirigés contre la décision de l’appeler en garantie, en ce que les conditions afférentes ne se trouveraient pas réunies dans son chef, que des moyens tendant à contester la soumission du débiteur principal à l’impôt ou la cote d’impôt fixée à son égard. Le paragraphe 119 AO est sous cet aspect une application de l’assimilation de la personne appelée en garantie au débiteur même de l’impôt posée par le paragraphe 97, alinéa 2, AO.

Il n’est dérogé à cette étendue des voies de recours à disposition de la personne appelée en garantie que dans les hypothèses prévues par le paragraphe 119, alinéa 2, AO, dont notamment celle où la personne appelée en garantie était représentant du débiteur principal en temps utile, de manière à avoir été en mesure d’introduire en cette qualité une voie de recours contre le bulletin d’impôt émis à l’égard du débiteur principal, mais que l’absence de recours a emporté l’autorité de chose décidée dans le chef dudit bulletin.

A l’instar des premiers juges, la Cour constate qu’en l’espèce, le bulletin de compléments de retenue a été émis à l’encontre de la société (AA) le 13 janvier 2022 et que ladite société a été déclarée en état de faillite le 1er avril 2022, soit à un moment où ledit bulletin n’était pas encore devenu définitif, puisque le délai de réclamation de trois mois n’avait pas encore expiré, de sorte que l’appelant, en sa qualité d’administrateur unique, n’est pas forclos à contester le bulletin en question.

Si l’appelant fait plaider que la fixation de compléments de retenues d’impôt ne serait pas motivée, la Cour constate que la motivation gisant à la base du bulletin de compléments de retenue découle à suffisance de droit des termes de celui-ci et dont il ressort que le 6 janvier 2022, le bureau d’imposition compétent a procédé à une révision des retenues d’impôt à opérer, à déclarer et à verser du chef de rémunérations touchées par le personnel de la société (AA) et que le rapport de révision a conclu à un complément de retenues pour chacune des années d’imposition concernées, ce constat ayant eu pour conséquence la fixation des compléments de retenue indiqués dans le bulletin en question, correspondant, pour l’année 2016, à des retenues non effectuées et, pour les années 2017 à 2020, à des retenues non déclarées.

Dans la décision litigieuse, le directeur a encore précisé les raisons ayant amené le bureau d’imposition à émettre le bulletin de compléments de retenue, en expliquant (i) que lors de ladite vérification, il aurait été constaté que la société (AA) avait occupé des salariés d’octobre 2016 à décembre 2020 sans remettre une seule déclaration de retenues d’impôt sur les traitements et salaires pour les années 2017 à 2020 au bureau d’imposition compétent, (ii) que ladite société aurait introduit des déclarations mensuelles pour les mois d’octobre et novembre 2016 indiquant des retenues pour un montant total de (2 x … =) … euros, mais qu’elle aurait toutefois omis de déclarer et de payer les retenues opérées sur les salaires du mois de décembre 2016, d’un montant de … euros, (iii) qu’en ce qui concerne les années 2017 à 2020, il ressortait des livres de salaires ainsi que des extraits de compte salaires et pensions que la société avait opéré des retenues d’impôt sur les traitements et salaires pour un montant total de … euros en 2017, de … euros en 2018, de … euros en 2019 et de … euros en 2020, mais qu’elle ne les aurait ni déclarées, ni continuées à l’administration des Contributions directes et (iv) que seulement en février 2018, deux paiements à hauteur de … euros, respectivement de … euros auraient été faits à l’administration fiscale.

C’est dès lors à tort que l’appelant persiste en appel à soutenir qu’il n’aurait pas été mis en mesure de comprendre les raisons ayant conduit à la fixation de ces compléments de retenue, de sorte que ses contestations afférentes sont à rejeter.

Quant aux contestations de l’appelant du bien-fondé de ces compléments de retenue d’impôt, il reste, tout comme en première instance, en défaut de faire valoir un quelconque moyen utile pour contester les montants repris dans le bulletin de compléments de retenue en question, de sorte que celles-ci sont à rejeter pour manquer de fondement.

Par voie de conséquence, et eu égard aux considérations qui précèdent, le moyen tiré de la prescription des retenues d’impôt relatives aux années 2016 et 2017 est lui aussi à rejeter comme non fondé.

Quant au bien-fondé de la motivation appuyant l’appel en garantie de l’appelant, la Cour constate de prime abord que les premiers juges ont à juste titre tracé le cadre légal de la mise en oeuvre de la responsabilité personnelle de l’appelant, notamment par rapport aux dispositions de l’article 136, alinéa 4, de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après « LIR », et des paragraphes 103, 108 et 109 AO.

En application de l’article 136, alinéa 4, LIR, l’employeur est tenu de retenir et de verser l’impôt qui est dû sur les salaires et traitements de son personnel, étant précisé que dans le cas d’une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise aux représentants de celle-ci, conformément au paragraphe 103 AO qui dispose que « die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen und solcher Personen, die geschäftsunfähig oder in der Geschäftsfähigkeit beschränkt sind, haben alle Pflichten zu erfüllen, die denen Personen, die sie vertreten, obliegen; insbesondere haben sie dafür zu sorgen, dass die Steuern aus den Mitteln die sie verwalten, entrichtet werden. Für Zwangsgeldstrafen und Sicherungsgelder die gegen sie erkannt, und für Kosten von Zwangsmitteln die gegen sie festgesetzt werden, haften neben ihnen die von ihnen vertretenen Personen ». Il s’ensuit que le représentant légal d’une société commerciale est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société, et notamment de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable directement, respectivement ceux dont elle est redevable pour le compte d’autrui.

Il est vrai qu’un dirigeant d’une société ne peut être tenu personnellement responsable du non-paiement des impôts par la société qu’il est appelé à gérer que dans les conditions plus particulièrement prévues au paragraphe 109 AO qui dispose dans son alinéa 1er que : « Die Vertreter und die übrigen in den Paragraphen 103 bis 108 bezeichneten Personen haften insoweit persönlich neben dem Steuerpflichtigen, als durch schuldhafte Verletzung der ihnen in den Paragraphen 103 bis 108 auferlegten Steueransprüche verkürzt oder Erstattung oder Vergütungen zu unrecht gewährt worden sind », de sorte que le simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du paragraphe 103 AO précité n’est pas suffisant pour engager la responsabilité personnelle des dirigeants d’une société en application du paragraphe 109, alinéa 1er, AO et pour voir émettre à leur encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant en effet posé à cet égard l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive (« schuldhafte Verletzung ») des obligations du représentant de la société envers le fisc.

Les premiers juges se sont encore de façon pertinente référés au paragraphe 7, alinéa 3, StAnpG, qui dispose que « Jeder Gesamtschuldner schuldet die ganze Leistung. Dem Finanzamt steht es frei an welchen Gesamtschuldner es sich halten will. Es kann die geschuldete Leistung von jedem Gesamtschuldner ganz oder zu einem Teil fordern », qui prévoit, en cas de pluralité de responsables, la possibilité de poursuivre simultanément tous les responsables qui sont tenus solidairement, sans que le bureau d’imposition ne soit obligé de poursuivre tous les co-responsables et peut limiter son recours contre un ou plusieurs d’entre eux.

A l’instar des premiers juges, la Cour relève qu’en toute hypothèse, il appartient au bureau d’imposition de relever les circonstances particulières qui ont déterminé son choix, puisque le pouvoir du bureau d’imposition d’engager une poursuite contre un tiers responsable, et, plus particulièrement, contre le représentant d’une société, ne relève pas d’une compétence liée, mais constitue un pouvoir d’appréciation dans son chef et ce à un double titre, d’abord en ce qui concerne l’appréciation du degré fautif du comportement de la personne visée, et, ensuite, en ce qui concerne le choix du ou des codébiteurs contre lesquels l’émission d’un bulletin d’appel en garantie est décidée, chaque fois compte tenu des circonstances particulières de l’espèce.

Quant à l’exercice de ce pouvoir d’appréciation par l’administration, le paragraphe 2 StAnpG dispose dans ses alinéas 1er et 2 que « (1) Entscheidungen, die die Behörden nach ihrem Ermessen zu treffen haben (Ermessens-Entscheidungen), müssen sich in den Grenzen halten, die das Gesetz dem Ermessen zieht. (2) Innerhalb dieser Grenzen sind Ermessensentscheidungen nach Billigkeit und Zweckmässigkeit zu treffen », de sorte que l’administration, investie d’un pouvoir d’appréciation, doit procéder selon des considérations d’équité et d’opportunité et partant se livrer à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles en raison et en équité de fonder sa décision.

En l’espèce, la Cour, à l’instar des premiers juges, se doit de constater liminairement qu’il se dégage des éléments de la cause que le bureau d’imposition, à travers l’appel en garantie litigieux, a entendu actionner en responsabilité l’appelant au seul titre de sa qualité d’administrateur unique de la société (AA), en garantie du défaut de perception par le Trésor public des retenues d’impôt sur traitements et salaires dues par ladite société au titre des années 2016 à 2020, étant par ailleurs relevé que l’administrateur unique précédent, Monsieur (B), d’après la décision directoriale litigieuse et le délégué du gouvernement, aurait également été appelé en garantie par le bureau d’imposition.

Il est par ailleurs constant que l’appelant a occupé la fonction d’administrateur unique de la société (AA) à partir du 28 janvier 2020 jusqu’au jugement déclaratif de faillite en date du 1er avril 2022.

C’est dès lors à juste titre que les premiers juges ont retenu que l’appelant est à considérer comme ayant été, conformément au paragraphe 103 AO, personnellement tenu à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société (AA), y compris celles de procéder aux retenues sur salaires à hauteur des sommes requises par la loi, ainsi que de déclarer et de continuer ces retenues à l’administration des Contributions directes.

La mise en œuvre de la responsabilité personnelle de l’appelant en application dudit paragraphe 103 AO requiert encore la vérification dans son chef d’une faute d’administration de la société (AA) qu’il était appelé à gérer en tant qu’administrateur unique.

S’il est vrai que les défauts de déclaration et de continuation des retenues au titre de l’impôt sur les traitements et salaires des années 2016 à 2020, en l’espèce pointés par le bureau d’imposition, n’ont pas directement eu lieu pendant la durée du mandat de l’appelant, du moins en ce qui concerne la période se situant avant le 28 janvier 2020, date de sa nomination comme administrateur unique, il n’en reste pas moins que l’obligation et la responsabilité corrélative de veiller à l’accomplissement des obligations fiscales, sans préjudice de ce qu’elle s’applique certes en premier lieu à la période pendant laquelle un administrateur est officiellement en fonction, ne se limite pas à cette seule période de son mandat. En effet, la responsabilité afférente s’étend aussi sur le passé, un nouveau représentant ne pouvant ignorer les manquements qui sont survenus antérieurement à son entrée en fonction, d’autant que l’appelant est également l’actionnaire unique de la société. Ainsi, la circonstance qu’une obligation aurait dû être exécutée avant son entrée en fonction ne le libère pas et il doit remédier tant à des manquements de déclaration qu’à des manquements de versement au Trésor public de retenues d’impôt sur les salaires, dès qu’il en a connaissance, étant relevé par ailleurs que pendant la période ayant suivi sa nomination jusqu’au mois de décembre 2020 pendant laquelle la société (AA) a employé des salariés, l’appelant était lui-même en charge de déclarer, de retenir et de continuer au Trésor public les retenues au titre de l’impôt sur traitements et salaires.

Le caractère fautif est spécialement concrétisé du fait que les manquements constatés concernent les retenues d’impôt sur les salaires, qui ne constituent pas une dette ou charge de la société envers le Fisc à laquelle il aurait été manqué, mais une obligation fiscale de la société pour compte de ses salariés et l’omission de règlement intégral au Trésor public des sommes dues à ce titre particulier, spécialement par l’administrateur unique d’une société, constitue une inexécution fautive résidant dans le fait de ne pas avoir donné à ces montants la seule affectation légalement admissible et de les avoir utilisés à d’autres fins.

Dans ce contexte, c’est encore à bon droit que les premiers juges ont relevé que l’argument de l’appelant, selon lequel son prédécesseur n’aurait pas laissé de fonds suffisants pour lui permettre de régler les arriérés de retenues d’impôt de la société (AA) ne saurait valoir dans le cas de retenues d’impôt sur traitements et salaires non déclarées ou non continuées au Trésor, dès lors que la société est tenue d’opérer ces retenues pour compte de ses salariés et elles ne nécessitent donc aucune rentrée d’argent extérieure au bénéfice de la société en charge du versement des traitements et salaires, mais requièrent un prélèvement sur le montant brut des sommes effectivement versées à son personnel.

Il s’ensuit que les contestations de l’appelant tendant à se voir disculper de toute responsabilité du fait que les paiements de salaires des années 2016 à 2020 ont eu lieu sans rétention ou continuation des retenues d’impôt avant son entrée en fonction laisse d’être fondé.

Sur base de ces considérations, les premiers juges ont à juste titre conclu que le comportement fautif de l’appelant se trouve vérifié en l’espèce en ce qui concerne les années 2016 à 2020 et qu’ils ont confirmé le bureau d’imposition pour avoir retenu une faute caractérisée à sa charge en relation avec la non-perception des retenues litigieuses visant ces mêmes années, de sorte qu’en avançant ces considérations à l’appui de sa décision, le directeur s’est livré à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières de nature à fonder sa décision en raison et en équité, l’appelant étant resté en défaut de renverser utilement les conclusions du directeur à cet égard et plus particulièrement les faits relevés par celui-ci pour conclure au caractère fautif de son comportement en tant qu’administrateur de la société (AA).

Les contestations quant à l’existence d’une inexécution fautive, de même que le reproche au directeur de ne pas avoir effectué une appréciation en équité et en raison selon les circonstances particulières de l’espèce ont dès lors à bon droit été rejetés.

Concernant encore le moyen de l’appelant fondé sur une prétendue absence de lien de causalité entre le dommage dans le chef de l’Etat et son comportement prétendument fautif, il y a lieu de le rejeter, étant donné que l’existence d’un dommage accru au Trésor public, en l’occurrence l’insuffisance d’impôt résultant des défauts de paiement des impôts dus à l’échéance, d’une part, et l’existence d’un lien de cause à effet entre le non-paiement des retenues d’impôt sur les traitements et salaires litigieuses et ledit dommage, d’autre part, sont vérifiées en l’espèce, de sorte que c’est à bon droit que le bureau d’imposition, confirmé par le directeur, a retenu que les conditions pour la mise en œuvre de la responsabilité personnelle de l’appelant au sens du paragraphe 109, alinéa 1, AO pour les impôts visés dans le bulletin d’appel en garantie se trouvent réunies en cause.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel laisse d’être fondé et qu’il y a lieu de confirmer le jugement entrepris.

Au vu de l’issue du litige, la demande en allocation d’une indemnité de procédure de … euros, telle que formulée par l’appelant, est à rejeter.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause;

reçoit l’appel en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute l’appelant;

partant, confirme le jugement entrepris du 14 octobre 2024;

rejette la demande de l’appelant en allocation d’une indemnité de procédure;

condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence de la greffière assumée de la Cour Carla SANTOS.

s. SANTOS s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 avril 2025 Le greffier de la Cour administrative 17


Synthèse
Numéro d'arrêt : 52005C
Date de la décision : 01/04/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 08/04/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2025-04-01;52005c ?

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