GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 52105C ECLI:LU:CADM:2025:52105 Inscrit le 16 décembre 2024 Audience publique du 3 juin 2025 Appel formé par l’administration communale de la Ville de Luxembourg contre un jugement du tribunal administratif du 11 novembre 2024 (n° 47607 du rôle) dans un litige l’opposant à l’association sans but lucratif (AA) a.s.b.l. et consorts, … et …, en matière d’accès aux documents Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 52105C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 16 décembre 2024 par Maître Steve HELMINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de la Ville de Luxembourg, établie à L-1648 Luxembourg, Hôtel de Ville, 42, Place Guillaume II, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 11 novembre 2024 (n° 47607 du rôle), par lequel ledit tribunal a reçu en la forme et déclaré partiellement fondé le recours en réformation dirigé par (i) l’association sans but lucratif (AA) a.s.b.l., établie à L-…, inscrite au R.C.S. de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, (ii) Monsieur (B), demeurant à L-…, (iii) Monsieur (C), demeurant à L-…, et (iv) Madame (D), demeurant à L-…, contre les décisions de la Ville de Luxembourg relatives au « (…) refus de la Ville de Luxembourg de communiquer des documents relatifs à la sécurité des passages pour piétons et contre le maintien de ce refus, nonobstant un avis de la Commission d’accès aux documents (…) favorable à la communication (…) », au « (…) refus initial et sa confirmation résult(a)nt de deux lettres du 28 janvier 2022 (…) et du 6 avril 2022 (…) adressées au (AA) (…) et à (Messieurs) (B) et (C) (…), et, dans le cadre de la réformation, dit que le document intitulé « Note relative aux dangers auxquels les piétons seraient supposément exposés d’après l’article publié dans le quotidien « (II) », daté du … novembre 2021, de même 1que le plan intitulé « Audit passages piétons 2021 – VdL vs (AA) – plan de situation » daté de novembre 2021, dernièrement modifié le 16 novembre 2021 et portant le numéro de référence …, doivent être transmis aux demandeurs, dit qu’il y a lieu de permettre aux demandeurs de consulter sur place la base de données géographiques de l’administration communale de la Ville de Luxembourg afin de pouvoir prendre connaissance des informations y enregistrées en relation avec « (…) les trottoirs, les marquages sur la route et les places de parking (…) » et que cette consultation sur place, à faire en présence d’un ou de plusieurs agent(s) ou représentant(s) de l’administration communale de la Ville de Luxembourg, est limitée, sauf accord contraire des parties, à une durée totale de 8 heures, et renvoyé l’affaire à l’administration communale de la Ville de Luxembourg pour exécution ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Patrick KURDYBAN, demeurant à Luxembourg, du 23 décembre 2024 portant signification de cette requête d’appel à l’association sans but lucratif (AA) a.s.b.l., à Monsieur (B) et à Madame (D), préqualifiés ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Gilbert RUKAVINA, demeurant à Diekirch, du même jour portant signification de cette requête d’appel à Monsieur (C), préqualifié ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 22 janvier 2025 par Maître Marc THEWES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de l’association sans but lucratif (AA) a.s.b.l., de Monsieur (B), de Monsieur (C) et de Madame (D), préqualifiés ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 24 février 2025 par Maître Steve HELMINGER pour compte de la partie appelante ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 24 mars 2025 par Maître Marc THEWES pour compte des parties intimées ;
Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;
Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maîtres Steve HELMINGER et Adrien KARIGER, pour compte de l’appelante, et Maître Pierre DURAND, en remplacement de Maître Marc THEWES, pour compte des intimés, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 avril 2025.
Par deux courriers électroniques du 6 décembre 2021, Messieurs (B) et (C), agissant au nom de l’association de fait (AA), ci-après « l’association », – ainsi que cela se dégage des mentions « (…) (B) & (C) pour (AA).lu (…) », respectivement « (…) (B), (C) pour (AA) (…) » figurant dans les courriers électroniques en question – introduisirent auprès de l’administration communale de la Ville de Luxembourg, ci-après « la commune », une demande tendant à la communication, sur base de la loi modifiée du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte, ci-après « la loi du 14 septembre 2018 », des documents suivants :
2a) « (…) document(s) contenant l’analyse menée par les services de la Ville de Luxembourg des passages piétons mesurés comme étant en non-conformité par le (AA) (projet « Safe Crossing ») (…) », b) « (…) document(s) contentant l’analyse de tous les passages piétons de la ville (…) », c) « (…) base(s) de données géographiques du service topographie contenant les trottoirs, les marquages sur la route et les places de parking (…) », d) « (…) document(s) reprenant l’accord avec le MMTP concernant l’interprétation des articles 164 (2.)(e) & 166 (h) du Code de la Route et son application sur le territoire de la Ville de Luxembourg (…) », e) « (…) document le plus récent d’interprétation interne du Service Circulation de ces mêmes articles (…) », f) « (…) document le plus récent d’interprétation interne du Service Juridique de ces mêmes articles (…) », g) « (…) document(s) présentant les 37 passages piétons que la Ville considère comme non-conformes (…) » et h) « (…) document(s) reprenant les slides de la réunion de la commission « Mobilité urbaine » du 2 décembre 2021 (…) ».
Par courrier du 5 janvier 2022, la commune informa l’association, en les personnes de Messieurs (C) et (B), du fait qu’en application de l’article 5, paragraphe (2), de la loi du 14 septembre 2018, le traitement de ladite demande nécessitait un délai supplémentaire d’un mois.
Par décision du 28 janvier 2022, la commune refusa partiellement de faire droit à la demande en question, ladite décision étant rédigée comme suit :
« (…) Par la présente, nous prenons position par rapport à votre demande du 6 décembre 2021 basée sur la loi du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte.
Par lettre du 5 janvier 2022, nous vous avions informés que le traitement de votre demande nécessitait un délai supplémentaire d’un mois en application de l’article 5 (2) de ladite loi.
Veuillez trouver ci-après notre prise de position par rapport aux différents points de votre demande :
« • document(s) contenant l’analyse menée par les services de la Ville de Luxembourg des passages piétons mesurés comme étant en non-conformité par le (AA) (projet « Safe Crossing ») • document(s) contenant l’analyse de tous les passages piétons de la ville » Il n’existe pas de document détaillant une analyse systématique des passages piétons relevés comme prétendument non-conformes par le (AA). Une note relative aux dangers auxquels les piétons seraient supposément exposés d’après un article paru dans le quotidien « (II) » en date du … novembre 2021 et qui a été rédigée en date du 10 novembre 2021 par le Service Circulation à l’attention du Collège échevinal ne peut pas vous être communiquée, alors qu’elle est à considérer comme un document interne dont la communication peut être refusée en application de l’article 7, point 4 de la loi.
3 « • base de données géographiques du service topographique contenant les trottoirs, les marquages sur la route et les places de parking » La loi du 14 septembre 2018 ne prévoit pas l’accès aux banques de données utilisées par les administrations concernées, mais son champ d’application se limite aux documents détenus par les organismes visés à l’article 1er, paragraphe 1er de la loi. A défaut d’une indication précise permettant d’identifier des documents déterminés, la demande est irrecevable sur ce point. Par ailleurs, les bases de données utilisées par le Service Topographie sont soumises à des droits d’auteur, de sorte que la demande est également irrecevable sur base de l’article 1er, paragraphe 2 point 5 de la loi, alors que sont exclus de la communication les documents relatifs à des droits de propriété intellectuelle.
« • document(s) reprenant l’accord avec le MMTP concernant l’interprétation des articles 164(2.)(e) & 166(h) du Code de la Route et son application sur le territoire de la Ville de Luxembourg. » Il n’existe pas d’accord écrit concernant l’interprétation desdits articles du Code de la Route.
« • document le plus récent d’interprétation interne du Service Juridique de ces mêmes articles. » Il n’existe pas de document correspondant à cette description.
« • document(s) reprenant les 37 passages piétons que la Ville considère comme non-conformes » Sur base d’un premier passage en revue, le Service Circulation considère actuellement 37 passages comme éventuellement dignes d’être sujets à une analyse plus approfondie. Or, comme cette analyse est toujours en cours, toute documentation à ce sujet est à considérer comme document inachevé dont la communication peut être refusée en application de l’article 7, point 1er de la loi.
« • document(s) reprenant les slides de la réunion de la commission « Mobilité urbaine » du 2 décembre 2021 » Nous vous prions de trouver ci-joint, en annexe sous format .pdf, les treize (13) slides de la présentation faite à la réunion de la Commission de la Mobilité urbaine du 2 décembre 2021 intitulée « Dispositions du Code de la Route en matière d’arrêts et stationnement aux passages pour piétons ». (…) ».
Par courrier électronique du 8 février 2022, l’association saisit la Commission d’accès aux documents, ci-après « la CAD », d’une demande d’avis.
4Le 2 mars 2022, la CAD rendit son avis n° R-1/2022 de la teneur suivante :
« (…) Par courriel du 8 février 2022, le collectif (AA) a saisi la CAD pour avis en application de l’article 10 de la loi du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte (la « Loi »). Cette saisine fait suite à une demande de communication datée du 6 décembre 2021 à l’administration communale de la Ville de Luxembourg (la « Ville de Luxembourg ») portant sur une série de documents concernant la sécurité des passages pour piétons sur le territoire de la Ville de Luxembourg, à savoir :
a) document(s) contenant l’analyse menée par les services de la Ville de Luxembourg des passages piétons mesurés comme étant en non-conformité par le (AA) (projet « Safe Crossing ») ;
b) document(s) contentant l’analyse de tous les passages piétons de la ville ;
c) base(s) de données géographiques du service topographie contenant les trottoirs, les marquages sur la route et les places de parking ;
d) document(s) reprenant l’accord avec le Ministère de la Mobilité et des Travaux Publics concernant l’interprétation des articles 164, paragraphe 2, lettre e) et 166, lettre h) du Code de la route et son application sur le territoire de la Ville de Luxembourg ;
e) document le plus récent d’interprétation interne du Service Circulation de ces mêmes articles ;
f) document le plus récent d’interprétation interne du Service Juridique de ces mêmes articles ;
g) document(s) présentant les 37 passages piétons que la Ville considère comme non-conformes ;
h) document(s) reprenant les slides de la réunion de la commission « Mobilité urbaine » du 2 décembre 2021.
Après avoir prolongé le délai de réponse conformément à l’article 5 de la Loi, la Ville de Luxembourg a, en date du 28 janvier 2022, communiqué le document visé au paragraphe h) ci-dessus au collectif (AA) et a émis une décision de refus concernant les autres documents sollicités.
Sur demande de la CAD, la Ville de Luxembourg lui a fait parvenir, en date du 23 février 2022, (i) une prise de position comportant ses motifs de refus, (ii) la note du Service Circulation de la Ville de Luxembourg du 10 novembre 2021 concernant la sécurité des passages pour piétons ; et (iii) le plan de situation reprenant l’évaluation par le Service Circulation des différents passages pour piétons de la Ville de Luxembourg.
La CAD a examiné le dossier lors de sa réunion du 24 février 2022.
1. Quant aux documents visés aux paragraphes a), b) et e) ci-dessus La Ville de Luxembourg a fondé son refus de communication de la note du Service Circulation du 10 novembre 2021 sur l’article 7, point 4° de la Loi qui prévoit que « La demande de communication peut être refusée si la demande concerne des communications internes ». Or, la CAD est d’avis que le document ne constitue pas une « communication interne » au sens de la 5Loi. En effet, il s’agit d’une analyse de la situation relative à l’espace public qui a un impact sur les résidents et les visiteurs de la ville et dont les résultats ont été présentés lors de la séance du conseil communal du 15 novembre 2021.
La Ville de Luxembourg invoque également l’exception prévue à l’article 1er, paragraphe 2, point 6° de la Loi qui prévoit que sont exclus du droit d’accès, les documents relatifs à un secret ou une confidentialité protégés par la loi. À cet effet, elle invoque l’article 51 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 (la « Loi communale ») d’après lequel, « Sauf disposition légale contraire, les réunions du collège des bourgmestre et échevins ont lieu à huis clos ». La CAD estime toutefois que le concept de huis clos se distingue de la notion de confidentialité des documents. En effet, selon la définition juridique de Gérard Cornu, l’expression « huis clos » signifie « « toutes portes fermées » pour désigner, soit l’audience à laquelle le public n’est pas admis par exception du principe de la publicité des débats, soit la décision du juge de ne pas (ou de ne plus) admettre le public » ; elle ne vise toutefois pas la publicité ou non du jugement ou de la décision. De même, le huis clos des réunions du collège des bourgmestre et échevins ne peut donc pas non plus interdire la communication ou la publication du procès-verbal de la réunion par la suite. Dès lors, l’article 51 de la Loi communale n’a pas pour effet d’imposer le secret ou la confidentialité des documents débattus lors des réunions du collège des bourgmestre et échevins.
Par conséquent, la CAD est d’avis que la note du Service Circulation de la Ville de Luxembourg du 10 novembre 2021 concernant la sécurité des passages pour piétons est communicable.
2. Quant aux documents visés aux paragraphes c) et g) ci-dessus :
En amont de la réunion, la Ville de Luxembourg a transmis à la CAD le document visé au paragraphe g) ci-dessus, à savoir un plan de situation reprenant l’évaluation par le Service Circulation des différents passages pour piétons de la Ville de Luxembourg. Elle est d’avis que toute documentation concernant les 37 passages pour piétons que la Ville considère comme non-conformes est à considérer comme document inachevé au sens de l’article 7, point 1° de la Loi pour le motif que l’analyse est toujours en cours.
Or, la CAD rappelle que lors de la séance du conseil communal du 15 novembre 2021, Monsieur l’échevin (E) a présenté le « résultat » de l’analyse de tous les passages pour piétons par le Service Circulation.
Dans une affaire où il était question de la communication de documents d’urbanisme, le tribunal administratif a rappelé que les documents inachevés ne doivent pas être confondus avec les documents préparatoires, alors que certains documents préparatoires ont atteint leur stade définitif d’élaboration. En d’autres termes, l’article 7, point 1° de la Loi ne permet pas à l’organisme de refuser en bloc la communication de tous les documents constituant un dossier pour le seul motif que le processus décisionnel plus large n’est pas encore terminé.
Partant, la CAD considère que l’exception prévue à l’article 7, point 1° de la Loi n’est pas applicable en l’espèce.
6 Par ailleurs, la CAD estime que ce plan de situation correspond également partiellement à la description des documents visés au paragraphe c) en ce qu’il constitue une représentation graphique d’une partie d’une base de données géographiques.
À cet égard, la Ville de Luxembourg invoque l’exception prévue à l’article 1er, paragraphe 2, point 5° de la Loi relative aux droits de propriété intellectuelle. La CAD est toutefois d’avis que cette exception ne saurait s’appliquer à une représentation graphique d’une base de données contenant des informations sur les espaces publics, même si le logiciel utilisé pour héberger et/ou représenter ces données puisse être protégé par des droits de propriété intellectuelle.
Partant, la CAD est d’avis que le plan de situation reprenant l’évaluation par le Service Circulation des différents passages pour piétons de la Ville de Luxembourg est communicable.
3. Quant aux documents visés aux paragraphes d) et f) ci-dessus :
Il ressort de la décision de refus de la Ville de Luxembourg qu’il n’existe pas d’accord écrit entre la Ville de Luxembourg et le Ministère ayant la Mobilité et les Transports dans ses attributions concernant l’interprétation desdits articles du Code de la route.
De même, il n’existe pas de document contenant l’interprétation du Service Juridique de la Ville de Luxembourg concernant ces articles.
Par conséquent, la demande de communication se situe en dehors du champ d’application de la Loi tel qu’établi par l’article 1er, paragraphe 1er de la Loi et est à déclarer irrecevable.
(…) ».
Par décision du 6 avril 2022, la commune confirma sa décision de refus partiel du 28 janvier 2022 en ces termes :
« (…) Par la présente, nous prenons position par rapport à l’avis n° R-1/2022 de la Commission d’accès aux documents daté du 2 mars 2022 ainsi qu’à votre courriel du 21 mars 2022 nous rappelons la demande de transmission des documents retenus comme communicables par l’avis susvisé.
I.
En ce qui concerne votre demande se rapportant à la communication des documents suivants :
- document(s) contenant l’analyse menée par les services de la Ville de Luxembourg des passages piétons mesurés comme étant non-conformes par le (AA) (projet « Safe Crossing ») ;
- document(s) contenant l’analyse de tous les passages piétons de la Ville ;
- document le plus récent d’interprétation interne du Service Circulation de ces mêmes articles ;
7 nous vous avions avertis par lettre du 28 janvier 2022 et nous avions informé la Commission d’accès aux documents au moyen de notre prise de position datée du 23 février 2022 qu’un seul document correspondait à cette demande, à savoir une note du Service Circulation au Collège échevinal du 10 novembre 2021 et dont la communication était refusée sur base de l’article 7, point 4 (demande concernant des communications internes) ainsi que sur base de l’article 1er paragraphe 2 point 6 (document relatif à un secret ou une confidentialité protégés par la loi) de la loi modifiée du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte, alors qu’en vertu de l’article 51 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, les réunions du collège des bourgmestre et échevins ont lieu à huis clos.
La Commission d’accès aux documents a répondu à ce moyen qu’elle estime que « le huis clos des réunions du collège des bourgmestre et échevins ne peut donc pas (…) interdire la communication ou la publication du procès-verbal de la réunion par la suite. Dès lors, l’article 51 de la Loi communale n’a pas pour effet d’imposer le secret ou la confidentialité des documents débattus lors des réunions du collège des bourgmestre et échevins.
Par conséquent la CAD est d’avis que la note du Service Circulation de la Ville de Luxembourg du 10 novembre 2021 concernant la sécurité des passages pour piétons est communicable. » Toutefois, la Ville de Luxembourg maintient que la notion de huis clos implique nécessairement la confidentialité des réunions du Collège échevinal et que dès lors, les documents débattus lors de ses réunions sont bien visés par un secret ou une confidentialité protégés par la loi.
A cet égard, il y a encore lieu de noter que l’article 23 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 prévoit que : « Les membres du conseil communal ont le droit de prendre connaissance des décisions du collège des bourgmestre et échevins prises en exécution des délibérations du conseil communal. » Il se dégage implicitement, mais nécessairement de cette disposition que si la consultation des décisions échevinales de la part des membres du conseil communal est soumise à la condition qu’il s’agisse de décisions prises en exécution d’une délibération du conseil, ceci dans l’idée que le conseil, en tant qu’organe « législatif » de la commune est appelé à exercer un contrôle politique sur l’action de l’exécutif communal, alors un simple particulier non chargé d’un mandat politique ne saurait par la force des choses prétendre un accès illimité à toutes décisions visées indistinctement.
Cette interprétation est d’ailleurs confirmée dans les termes suivants par la circulaire du Ministère de l’Intérieur n° 3651 du 4 décembre 2018 relative à l’interprétation de la loi du 14 septembre 2018 précitée :
« Vu qu’il s’avère toutefois nécessaire de protéger certains intérêts publics ou privés fondamentaux, ce principe d’ouverture connaît des exceptions. Ainsi, sont par exemple exclus du droit d’accès les documents relatifs à la sécurité publique, aux droits de propriété intellectuelle 8ou aux secrets protégés par la loi. Tel est par exemple le cas des délibérations du collège échevinal, qui se tiennent, en application de la loi communale, à huis clos. Ceci vaut également, le cas échéant, pour les documents et dossiers qui se rattachent aux délibérations du collège échevinal. » Contrairement à cette argumentation, la Commission d’accès aux documents a rendu de manière regrettable un avis qui nous paraît manifestement erroné et contraire à la loi et dont les enseignements risqueraient non moins de compliquer sensiblement le fonctionnement de tout Collège échevinal au cas où ils feraient école.
Pour ces motifs, la Ville de Luxembourg a décidé de ne pas réserver une suite favorable à l’avis du 2 mars 2022 en ce qui concerne la note du Service Circulation au Collège échevinal du 10 novembre 2021, étant rappelé qu’en vertu de l’article 10 de la loi du 14 septembre 2018, l’avis en question ne lie pas l’autorité administrative concernée.
II.
Concernant votre demande en ce qu’elle se rapporte aux documents suivants :
- base(s) de données géographiques du service topographique contenant les trottoirs, les marquages sur la route et les places de parking ;
- document(s) présentant les 37 passages piétons que la Ville considère comme non-conformes ;
la Commission d’accès aux documents a exprimé l’avis que le plan de situation reprenant l’évaluation par le Service Circulation des différents passages pour piétons de la Ville de Luxembourg est communicable.
En tâchant de réserver une suite favorable à l’avis sur ce point, la Ville de Luxembourg invite les représentants du (AA) à prendre connaissance dudit plan à l’occasion d’un échange de vues, en présence du M. (E), échevin responsable de la mobilité, des représentants de la Direction Mobilité ainsi que d’un membre de la cellule juridique du Secrétariat Général, dans les locaux du Service Circulation à L-….
A cet effet, nous vous proposons les dates suivantes, avec prière de nous informer de votre préférence par retour de courrier/courriel :
- Le mardi 19 avril 2022, après-midi (1 heure).
- Le mercredi 20 avril 2022, de 11h00 à 12h00.
- Le mardi 26 avril 2022, après-midi (1 heures).
Alors que la Commission d’accès aux documents ne s’est pas prononcée de manière claire sur la demande d’accès à une base de données géographiques par le (AA), la Ville de Luxembourg tient encore une fois à souligner que celle-ci ne constitue pas un document au sens de la loi du 14 septembre 2018 et que dans le cas contraire, des motifs liés à des droits de propriété intellectuelle tels que visés par l’article 1er paragraphe 2 point 5 s’opposent à une consultation.
9 III.
En ce qui concerne votre demande dans la mesure où elle se rapporte à la communication de :
- document(s) reprenant l’accord avec le Ministère de la Mobilité et des Travaux publics concernant l’interprétation des articles 164, paragraphe 2, lettre e) et 166, lettre h) du Code de la route et son application sur le territoire de la Ville de Luxembourg ;
- document le plus récent d’interprétation interne du Service Juridique de ces mêmes articles ;
nous vous rappelons que la Commission d’accès aux documents a jugé la demande irrecevable, alors qu’il n’existe pas de document correspondant à cette description. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juin 2022, l’association sans but lucratif (AA) a.s.b.l., ci-après « (AA) », ainsi que Monsieur (B), Monsieur (C) et Madame (D) firent introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation des décisions précitées de la commune des 28 janvier et 6 avril 2022.
Par jugement du 11 novembre 2024, le tribunal administratif reçut le recours principal en réformation en la forme, au fond le dit partiellement justifié, partant, dit que le document intitulé « Note relative aux dangers auxquels les piétons seraient supposément exposés d’après l’article publié dans le quotidien « (II) », daté du .. novembre 2021, ci-après « la Note », de même que le plan intitulé « Audit passages piétons 2021 – VdL vs (AA) – plan de situation » daté de novembre 2021, dernièrement modifié le 16 novembre 2021 et portant le numéro de référence …, ci-après « l’Analyse », doivent être transmis aux demandeurs, dit qu’il y a lieu de permettre aux demandeurs de consulter la base de données géographiques, ci-après la « Base de données », de la commune sur place, afin de pouvoir prendre connaissance des informations y enregistrées en relation avec « (…) les trottoirs, les marquages sur la route et les places de parking (…) » et que cette consultation sur place, à faire en présence d’un ou de plusieurs agent(s) ou représentant(s) de la commune, est limitée, sauf accord contraire des parties, à une durée totale de 8 heures, renvoya l’affaire à la commune pour exécution, pour le surplus, déclara non fondé le recours en réformation, dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation, rejeta les demandes respectives en obtention d’une indemnité de procédure formulées par les demandeurs et la commune et imputa les frais et dépens de l’instance pour trois quarts à la commune et pour un quart aux demandeurs.
Après avoir écarté le moyen d’irrecevabilité tenant au défaut d’intérêt et de qualité à agir dans le chef des demandeurs, le tribunal rappela que, lorsqu’un litige porte sur le refus de communication de documents d’un dossier administratif, les documents en question n’étaient, par exception au principe du contradictoire, pas communicables aux parties intéressées et que cette dérogation au principe de communication s’imposait nécessairement, étant donné que le refus de communication des documents en cause constituait l’objet même du litige, de sorte qu’il ne pouvait pas être reproché à la commune de ne pas avoir versé, en tant qu’éléments communicables du dossier administratif, lesdits documents.
10 Le tribunal nota encore que si la commune avait bien déposé la Note et l’Analyse à titre d’éléments confidentiels du dossier administratif, tel ne fut pas le cas de la Base de données en raison de son volume et de sa nature, bien que la commune eût versé une vidéo montrant la structure et le fonctionnement de ladite base. Le tribunal estima dès lors disposer de suffisamment d’éléments pour apprécier le caractère communicable ou non des documents en question.
Partant, le tribunal rejeta les contestations des demandeurs quant à l’absence de dépôt du dossier administratif et retint, d’une part, qu’il n’était pas établi en l’espèce que les droits de la défense des demandeurs avaient été lésés de ce fait et, d’autre part, que les pièces versées de part et d’autre étaient suffisantes pour trancher le litige.
Le tribunal rappela ensuite que le principe général posé par la loi du 14 septembre 2018 était que tous les documents détenus par une administration ou un service de l’Etat, une commune, un établissement public et une personne morale fournissant un service public étaient accessibles et qu’il suffisait que les documents sollicités revêtaient un caractère administratif et qu’ils se rapportaient à la gestion d’une activité administrative, bien que la loi puisse toutefois prévoir des exceptions à ce principe, les parties à l’instance étant en litige sur la portée des exceptions invoquées par la commune.
Sur ce point, le tribunal se référa à un arrêt de la Cour administrative du 12 décembre 2023 (n° 48782C du rôle) d’après lequel, dans le cadre de la mise en balance de l’intérêt de la communication d’un document et de l’intérêt protégé par un motif d’exception, l’administration était tenue de vérifier in concreto si la divulgation du document constituait un risque suffisamment caractérisé d’atteinte à l’un des intérêts protégés par l’exception et que dans le cas où l’administration s’opposait à la communication des documents sollicités en avançant l’une des exclusions prévues par la loi du 14 septembre 2018, la charge de la preuve lui incombait.
Dans une optique de cohérence, les premiers juges retinrent que les principes dégagés par la Cour administrative quant à la charge de la preuve par rapport aux cas d’exclusion visés par l’article 1er, paragraphe (2), de la loi du 14 septembre 2018 devaient être transposés aux motifs de refus prévus par l’article 7 de ladite loi.
Sur ce, le tribunal constata que la Note constituait, en substance, une prise de position du Service Circulation de la Ville de Luxembourg quant à l’analyse du (AA) de la conformité des passages pour piétons de la Ville de Luxembourg aux dispositions du Code de la route. Il précisa que cette prise de position comportait une description des éléments pris en considération, ainsi que le résultat de cette évaluation, et qu’il s’agissait de la partie écrite sommaire décrivant l’Analyse, ce deuxième document étant un plan intitulé « Audit passages piétons 2021 – VdL vs (AA) – plan de situation », reprenant l’analyse des passages pour piétons effectuée par le Service Circulation en les regroupant en différentes catégories, et correspondant, au vu de son contenu et de son intitulé décrits ci-avant, au « (…) plan de situation reprenant l’évaluation par le Service Circulation des différents passages pour piétons de la Ville de Luxembourg (…) », tel que visé dans l’avis de la CAD du 2 mars 2022.
11Il constata encore qu’à travers sa décision du 6 avril 2022, la commune avait offert à l’association de consulter l’Analyse sur place, dans le cadre d’un échange de vues avec certains de ses représentants et agents. Les premiers juges estimèrent cependant que les demandeurs ne pouvaient en déduire, en vertu des principes de confiance légitime et d’estoppel, que la commune n’était pas recevable à plaider que le document, dont la consultation sur place avait été offerte, tombait dans le champ d’application des exceptions légales au droit d’accès au motif qu’elle se contredirait à leur détriment. Le tribunal retint dès lors que le seul fait pour la commune d’avoir formulé cette offre de consultation de l’Analyse sur place afin de concilier les objectifs de transparence administrative avec son « droit au brouillon » ne permettait pas de retenir qu’elle aurait admis que le document en question ne relèverait d’aucune de ces exceptions, ni a fortiori qu’elle aurait renoncé à s’en prévaloir.
S’agissant du refus de la commune de communiquer la Note et l’Analyse, le tribunal constata que l’exception invoquée visant les « documents relatifs à un secret ou une confidentialité protégés par la loi », au sens de l’article 1er, paragraphe (2), point 6, de la loi du 14 septembre 2018, n’était pas précisée par le législateur, tandis que les travaux parlementaires permettraient d’en éclairer le sens et de l’appliquer notamment aux « délibérations du collège échevinal qui se tiennent, en application de la loi communale, à huis clos ». A cet égard, le tribunal précisa qu’il ressortait des travaux parlementaires à la base de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988, ci-après « la loi communale », que l’article 23 de ladite loi « (…) constitue un compromis entre la thèse selon laquelle les délibérations du collège doivent rester secrètes et confidentielles tant que le collège ne décide pas de les publier et la thèse de ceux qui voudraient donner à chaque membre du conseil le droit de prendre inspection du registre des délibérations du collège (…) ».1 Sur ce, il retint que le principe établi par le législateur était celui de la confidentialité des délibérations du collège échevinal, dont les réunions se tiennent à huis clos, tout en consacrant le droit des conseillers communaux de prendre connaissance des décisions du collège échevinal prises en exécution des délibérations du conseil communal. Cependant, cela n’emporterait pas que tout document ayant fait l’objet d’une discussion durant une réunion dudit conseil serait confidentiel de ce seul fait, à défaut de disposition expresse en ce sens et sans prendre en compte la nature et le contenu concrets du document en question.
En se référant de nouveau à l’arrêt de la Cour administrative du 12 décembre 2023, précité, sur l’exercice d’une appréciation concrète des demandes de communication de documents, le tribunal releva, qu’en l’espèce, la commune se limitant à soutenir que la Note et l’Analyse constitueraient des « documents relatifs à un secret ou une confidentialité protégés par la loi », au seul motif d’avoir été discutés au cours d’une réunion du collège échevinal s’étant tenue à huis clos, sans expliquer en quoi, concrètement, les différentes informations et chiffres contenus dans les documents litigieux mettraient en péril le secret, respectivement la confidentialité ainsi visés, ne démontrait pas in concreto que la divulgation desdits documents constituait un risque suffisamment caractérisé d’atteinte à l’un des intérêts protégés par l’exception concernant les « documents relatifs à un secret ou une confidentialité protégés par la loi ».
1 Projet de loi communale n° 2675, rapport de la Commission des Affaires communales et de l’Aménagement du territoire en vue de la seconde lecture, 27 juin 1988, p. 5.
12Partant, le tribunal arriva à la conclusion que c’était à tort que la commune avait opposé aux demandeurs l’exception prévue par l’article 1er, paragraphe (2), point 6, de la loi du 14 septembre 2018.
De même, le tribunal conclut que la commune ne pouvait pas se prévaloir des dispositions de l’article 1er, paragraphe (2), point 10, de la loi du 14 septembre 2018 visant uniquement la confidentialité des délibérations du Gouvernement et dont le champ d’application ne pouvait être étendu par analogie au pouvoir exécutif communal.
Quant au motif de refus ayant trait au caractère inachevé de la Note et de l’Analyse, le tribunal rappela qu’il ressortait de sa jurisprudence qu’un document inachevé ou en cours d’élaboration, les deux notions recouvrant la même réalité, était un document, matérialisé sous l’une ou l’autre forme, en cours d’élaboration, de finalisation ou de validation, tandis qu’un document achevé, au sens de la loi, n’appelait plus de modifications, ayant acquis sa version définitive.2 Il releva sur ce point que le seul fait que les analyses effectuées par le Service Circulation et documentées par la Note et l’Analyse aient révélé un besoin de procéder à des analyses plus approfondies pour certains des passages pour piétons examinés ne permettait pas de conclure que les documents en tant que tels seraient inachevés, en ce sens que des modifications seraient encore à apporter aux documents eux-mêmes.
Il retint encore que la modification apportée à l’Analyse le 16 novembre 2021, après la séance publique du conseil communal du 15 novembre 2021, était insuffisante pour conclure à son caractère inachevé. S’agissant de la Note, le tribunal constata que celle-ci se présentait sous forme d’un avis daté, signé par ses auteurs et transmis par la suite au collège échevinal, de sorte qu’il conclut à son caractère achevé.
Au vu de ces considérations, le tribunal arriva à la conclusion que la commune n’avait pas rapporté la preuve, lui incombant, que la Note et l’analyse seraient des documents inachevés, au sens de l’article 7, point 1, de la loi du 14 septembre 2018.
S’agissant de la qualification de « communications internes » invoquée par la commune à l’égard de la Note et de l’Analyse, le tribunal constata que ladite notion n’était définie ni par la loi du 14 septembre 2018 ni par les travaux parlementaires afférents. En se référant à ses jugements du 18 septembre 20233, le tribunal rappela, sur base d’un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 20 janvier 20214, rendu à propos de la notion de « communications internes », telle que prévue par l’article 4, paragraphe (1), point e), de la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement et abrogeant la directive 90/313/CEE du Conseil, que la CJUE avait retenu que la notion de « communications internes » incluait toutes les informations circulant au sein d’une autorité publique et qui, à la date de la demande d’accès, n’avaient pas quitté la sphère interne de cette autorité.
2 trib. adm., 2 septembre 2020, n° 43704 du rôle 3 trib. adm., 18 septembre 2023, n° 46939 du rôle et trib. adm., 18 septembre 2023, n° 46940 du rôle 4 CJUE, 20 janvier 2021, Land Baden-Württemberg c. D.R, C-619/19.
13 Sur ce, le tribunal constata que la Note et l’Analyse contenaient des informations adressées par le Service Circulation au collège échevinal, de sorte qu’elles pouvaient être qualifiées de « communications », au sens de l’article 7, point 4, de la loi du 14 septembre 2018.
Par ailleurs, il nota, nonobstant le fait qu’un certain nombre d’informations figurant dans la Note et l’Analyse avaient été présentées par un échevin lors de la séance publique du conseil communal du 15 novembre 2021, que cette présentation n’avait pas porté sur la totalité des informations se trouvant dans lesdits documents, qui, en tant que tel, n’avaient pas été divulgués, de sorte qu’ils n’avaient pas quitté la sphère interne de l’administration à la date de la demande d’accès et ne l’avaient pas non plus quitté au jour de son jugement.
Si la Note et l’Analyse constituaient dès lors des communications internes, au sens de l’article 7, point 4, de la loi du 14 septembre 2018, le tribunal retint que même si la demande de communication portait sur des communications internes, le refus de la demande ne pouvait être refusé de ce seul fait dans la mesure où il s’agissait d’une simple faculté pour la commune, qui disposait, dès lors, d’une marge d’appréciation et était investie, non pas d’une compétence liée, mais d’un certain pouvoir discrétionnaire5, et qu’il appartenait à la commune de vérifier concrètement si la divulgation du document concerné constituait un risque suffisamment caractérisé d’atteinte à l’un des intérêts protégés par l’exception invoquée par elle, de même qu’elle devait démontrer que l’intérêt protégé primait sur l’intérêt de la publicité.
Sur ce, il releva que la commune restait en défaut de fournir une motivation in concreto dont il se dégageait, d’une part, que la communication de l’Analyse et de la Note risquait de porter une atteinte suffisamment caractérisée aux intérêts protégés par l’exception ayant trait aux communications internes et, d’autre part, que ces intérêts devaient, en l’espèce, primer sur l’intérêt de la publicité. Par ailleurs, le tribunal souligna qu’en l’espèce, un résumé du contenu essentiel de la Note, qui selon la commune constituerait la partie écrite sommaire décrivant l’Analyse, avait déjà été rendu public et que la demande introduite par le (AA) tendait à la finalité légitime de l’amélioration de la sécurité des piétons, de sorte que la mise en balance des intérêts pouvait conduire à faire pencher la balance en faveur de la publicité des documents litigieux.
Au regard de ces considérations, le tribunal conclut que c’était à tort que la commune avait refusé de communiquer la Note et l’Analyse, quand bien même ces documents étaient à qualifier chacun de « communication interne ».
Enfin, le tribunal retint que la nature de l’Analyse, document sur support papier, en faisait un document aisément reproductible et transmissible, de sorte qu’en l’espèce, la commune ne pouvait pas limiter la mise à disposition de ce document à une consultation sur place et que les conditions de l’article 5, paragraphe (1), point 3, de la loi du 14 septembre 2018, aux termes duquel il peut être recouru à une consultation sur place « (…) lorsque la reproduction nuit à la conservation du document ou n’est pas possible en raison de la nature du document demandé (…) », n’étaient manifestement pas remplies.
5 trib. adm., 18 septembre 2023, n° 46939 du rôle et trib. adm., 18 septembre 2023, n° 46940 du rôle 14Ainsi, le tribunal conclut, par réformation des décisions déférées, que la Note et l’Analyse devaient être communiquées aux demandeurs.
En ce qui concerne la Base de données, le tribunal, après avoir relevé que l’article 3 de la loi du 14 septembre 2018 précisait expressément que les organismes visés à l’article 1er de ladite loi « (…) sont tenus de communiquer les documents qu’ils détiennent et qui sont accessibles en vertu de la présente loi, quel que soit leur support, à toute personne physique ou morale qui en fait la demande (…) » et que le commentaire de la disposition légale en question précisait encore que « (…) Le droit d’accès s’exerce quel que soit le support du document en question (texte écrit, photographies, courriels, informations stockées sur un support électronique). (…) », le tribunal arriva à la conclusion que les bases de données électroniques n’étaient pas, en tant que telles, exclues du champ d’application de la loi du 14 septembre 2018.
Il retint également que la demande d’accès introduite par le (AA) avait un objet bien circonscrit, qu’elle portait effectivement sur un document détenu par l’administration et que c’était à tort que la commune se prévalait du cas d’exclusion prévu par l’article 1er, paragraphe (2), point 5, de la loi du 14 septembre 2018, à savoir « les documents relatifs à des droits de propriété intellectuelle ».
Il releva encore que c’était à tort que la commune avait invoqué les dispositions de l’article 7, point 4, de la loi du 14 septembre 2018 pour refuser la communication de la Base de données, dès lors qu’il s’agissait d’une base de données topographiques, qui, selon les propres explications fournies, ne faisait que refléter la situation factuelle sur le territoire communal. Ainsi, le tribunal ne perçut pas, à défaut d’autres explications fournies par la commune, sur laquelle reposait la charge de la preuve en la présente matière, en quoi les informations y figurant auraient pu être considérées comme étant restées dans la sphère interne de l’administration, s’agissant a priori d’informations publiques de par leur nature.
Le tribunal confirma ensuite la commune en ce que la Base de données était un document inachevé au sens de l’article 7, point 1, de la loi du 14 septembre 2018, dès lors qu’il s’agissait d’un document évolutif de par sa nature qui ne pouvait être considéré comme n’appelant plus de modifications et comme ayant acquis sa version définitive. Cependant, il rappela que l’administration était tenue de vérifier in concreto si la divulgation du document constituerait un risque suffisamment caractérisé d’atteinte à l’un des intérêts protégés par l’exception invoquée par elle, de même qu’elle devait démontrer que l’intérêt protégé primait sur l’intérêt de la publicité.
En l’espèce, le tribunal ne perçut pas en quoi la communication des informations contenues dans la Base de données était susceptible de porter une atteinte caractérisée à la fluidité du travail de l’administration ou à la sérénité du travail préparatoire et du processus décisionnel de l’administration.
D’après les premiers juges, la commune était restée en défaut de préciser quels malentendus quant à la portée de la Base de données risquaient d’être causés par la communication de ces informations et en quoi ces malentendus risquaient d’avoir des conséquences telles que leur prévention devait l’emporter sur l’intérêt de la publicité et qu’elle n’avait pas non plus expliqué pourquoi une communication des informations enregistrées dans la Base de données mettait en danger la sécurité et la sûreté publiques, respectivement la sécurité nationale. Quant à la nécessité de revérifier les 15informations avant leur communication, le tribunal constata que la loi du 14 septembre 2018 n’imposait pas une obligation de véracité des informations contenues dans les documents administratifs et qu’elle ne limitait pas non plus le droit d’accès aux documents dépourvus d’erreurs. Partant, le tribunal retint que c’était à tort que la commune s’opposait à la demande d’accès concernant la Base de données.
Cependant, le tribunal fit droit à la demande de la commune de voir limiter la mise à disposition de la Base de données à une consultation sur place, pendant une durée totale de 8 heures, des informations y contenues en relation avec « (…) les trottoirs, les marquages sur la route et les places de parking (…) » en raison du fait que ladite base contient des milliers d’informations, y compris des informations dépassant l’objet de la demande. Il estima qu’une délivrance pure et simple d’une copie de la Base de données, nécessitant au préalable un travail de triage et d’extraction en vue d’y soustraire les informations non sollicitées, allait au-delà de ce qu’il était raisonnable d’exiger de la commune, tout en retenant que la loi du 29 novembre 2021 sur les données ouvertes et la réutilisation des informations du secteur public, ci-après « la loi du 29 novembre 2021 », ne dérogeait pas à la loi du 14 septembre 2018.
Quant aux autres documents dont la communication avait été sollicitée par les demandeurs, le tribunal retint que la commune n’invoquait pas un défaut de précision de la demande lui soumise, mais soutenait que lesdits documents n’existeraient pas, respectivement que seules la Note et l’Analyse correspondraient aux documents en question. Or, comme les développements fournis par les demandeurs relèveraient de la pure spéculation, pour ne pas être corroborés par des éléments de preuve tangibles, il ne pouvait être exigé de la commune de prouver l’inexistence des documents ainsi réclamés.
Les premiers juges arrivèrent dès lors à la conclusion que la Note et l’Analyse devaient être transmises aux demandeurs et que ces derniers pouvaient consulter la Base de données sur place.
Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 16 décembre 2024, la commune a régulièrement interjeté appel contre le jugement du 11 novembre 2024 sollicitant principalement la réformation du jugement entrepris pour voir dire que la Note, l’Analyse et la Base de données sont exclues du droit d’accès en vertu de l’article 1er de la loi du 14 septembre 2018, sinon constater que le fait de lui imposer l’extraction de la Base de données des éléments afférents « aux trottoirs, passages pour piétons et emplacements de stationnement » est hors du champ d'application de la loi du 14 septembre 2018 et, à titre subsidiaire, prévoir l’accès à la Base de données uniquement dans le cadre d’une réunion organisée à la commune « en présence des agents de la Ville » pour une durée limitée à 8 heures maximum.
Dans leur mémoire en réponse déposé le 22 janvier 2025, les intimés déclarent interjeter appel incident à l’encontre dudit jugement en ce que le tribunal a rejeté leur recours concernant la communication du document reprenant l’accord qui aurait été conclu entre la commune et le ministère compétent quant à l’application de certaines dispositions du Code de la route sur le territoire de la Ville de Luxembourg.
Les deux appels, principal et incident, ayant été formés dans les délais et formes prévus par la loi, ils sont recevables.
16 A l’appui de son appel, la commune rappelle en premier lieu la nécessité d’interpréter la loi du 14 septembre 2018 de façon qu’elle n’empêche pas un travail serein et efficace au sein d’une administration. Pour assurer une saine gestion de l'administration, il serait nécessaire et indispensable que les documents de travail, non officiels et non définitifs, restent de nature interne afin de pouvoir être modifiés tout au long d'une procédure respectivement que certaines informations ou avis des services communaux impliqués puissent rester confidentiels. Elle affirme que son appel ne serait pas motivé par une volonté d'empêcher par toutes les voies possibles la communication des documents sollicités mais aurait vocation à clarifier la manière dont la loi du 14 septembre 2018 devrait être appliquée par les administrations publiques, dont notamment les exceptions prévues par le législateur dans le respect de leur ratio legis.
D’après l’appelante, la loi du 14 septembre 2018, et notamment son article 2, ne devrait pas être interprétée en ce que tous les documents, y compris internes, doivent être publiés automatiquement sur le site internet d’une commune et communiqués à première demande. Une telle interprétation ouvrirait la possibilité de contester à tout moment les travaux préparatoires des administrations, avant même qu’un résultat publiquement communicable ne soit atteint. Pareille interprétation paralyserait l’administration en décourageant les agents, priverait l’administration de son « droit au brouillon » et limiterait enfin le développement d’idées et de projets de l’administration puisque le projet ferait l’objet d’un débat public, ce qui rendrait difficile voire impossible le bon fonctionnement d’une administration publique. Il serait dès lors requis que certaines communications, notamment celles discutées dans le cadre de délibérations confidentielles, demeurent internes et non communicables. Il en serait de même des documents de travail non officiels et non définitifs, permettant ainsi de conserver une certaine sérénité au sein de l’administration et évitant des demandes incessantes de clarification des citoyens concernant des documents inachevés.
Comme le législateur aurait, d’après l’article 7 de la loi du 14 septembre 2018, fait de la divulgation des notes internes une faculté pour les administrations, laissée à l'appréciation libre et souveraine de l'administration concernée, l’appelante estime que le tribunal a ajouté audit article 7 une condition que celui-ci ne prévoit pas et les premiers juges se seraient livrés à une interprétation erronée et contra legem du texte de loi.
Les intimés, de leur côté, soulignent à titre liminaire que la commune remettrait notamment en cause l’équilibre souhaité par le législateur entre, d’une part, les nécessités du travail administratif et, d’autre part, la transparence inhérente à une conception moderne de l’Etat de droit. En droit, le jugement a quo conclurait qu’un tel équilibre suppose que le principe de l’ouverture et du partage ne puisse être écarté que sur le fondement d’une exception légalement prévue et qui devrait être strictement interprétée. Un second enjeu, de nature juridique, viserait le respect de la liberté d’expression. En la matière, les intimés soutiennent que l’attitude de la commune serait contraire aux standards européens en la matière, tels que développés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH)6 sur le fondement de l’article 10 de la Convention 6 CourEDH, GC, Magyar Helsinki Bizottsâg c. Hongrie, 8 novembre 2016, req. n° 18030/11, §156. CourEDH, Hadjanastassiou c. Grèce, 16 décembre 1992, req. n° 12945/87, § 45 ; CourEDH, GC, Bédat c. Suisse, 29 mars 2016, req. n° 56925/08, § 55 ; CourEDH, Éditions Pion c. France, 18 mai 2004, req. n° 58148/00, § 34 ; 13 CourEDH, GC, 17européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) ou par la Commission européenne dans son rapport de 2022 sur l’Etat de droit. Ils réfutent également l’idée que le droit à la communication de documents détenus par l’administration puisse être limité par la justification d’un intérêt particulier à protéger, tel que soutenu par la commune, tout en relevant que le (AA) serait un acteur essentiel du débat public participant à la concrétisation de la démocratie administrative, tel que cela ressortirait de l’article 2 de ses statuts.
Aux termes de l’article 1er de la loi du 14 septembre 2018 :
« (1) Les personnes physiques et les personnes morales ont un droit d’accès aux documents détenus par les administrations et services de l’Etat, les communes, les syndicats de communes, les établissements publics placés sous la tutelle de l’Etat ou sous la surveillance des communes ainsi que les personnes morales fournissant des services publics, dans la mesure où les documents sont relatifs à l’exercice d’une activité administrative. Elles ont également accès aux documents détenus par la Chambre des Députés, le Conseil d’Etat, le Médiateur, la Cour des comptes et les Chambres professionnelles, qui sont relatifs à l’exercice d’une activité administrative.
(2) Sont toutefois exclus du droit d’accès, les documents relatifs :
(…) 5. à des droits de propriété intellectuelle ;
6. à un secret ou une confidentialité protégés par la loi ;
(…) 10. à la confidentialité des délibérations du Gouvernement ».
A l’instar du tribunal, la Cour constate que d’après l’article 1er, paragraphe (2), points 5, 6 et 10 de la loi du 14 septembre 2018, le droit d’accès est plus particulièrement exclu si le document est relatif à des droits de propriété intellectuelle, à un secret ou une confidentialité ou à la confidentialité des délibérations du Gouvernement, les auteurs du projet de loi ayant souligné que les exclusions prévues par la loi « sont nécessaires pour empêcher la communication de documents dont la divulgation porterait atteinte à certains intérêts publics ou privés fondamentaux », l’autorité publique sollicitée devant « mettre en balance l’intérêt de la communication d’un document et l’intérêt protégé par un motif d’exception ».
Tel que relevé à bon droit par les premiers juges, le principe général posé par la loi du 14 septembre 2018 est que tous les documents détenus par une administration ou un service de l’Etat, une commune, un établissement public et une personne morale fournissant un service public sont accessibles et qu’il suffit que les documents sollicités revêtent un caractère administratif et qu’ils se rapportent à la gestion d’une activité administrative, bien que la loi puisse toutefois prévoir des exceptions à ce principe, les parties à l’instance étant en litige sur la portée des exceptions invoquées par la commune.
Fressoz et Roire c. France, 21 janvier 1999, req. n° 29183/95, §52 ; CourEDH, Sied' bywatelska Watchdog Polska y.
Poland, 21 mars 2024, req. n° 10103/20, § 66 ; CourEDH, Stoll c. Suisse, § 110 ; CourEDH, Zôldi V. Hungary, 4 avril 2024, req. n° 49049/18 § 53 ; CourEDH, Torbich y. Ukraine, 28 mars 2024, req. n° 41713/13 and 29980/15, § 28.
18Dans le cadre de sa démarche, l’administration est tenue de vérifier in concreto si la divulgation du document constitue un risque suffisamment caractérisé d’atteinte à l’un des intérêts protégés par l’exception et que si au niveau de l’administration de la preuve les règles de preuve en matière administrative font porter l’essentiel du fardeau de la preuve sur le demandeur, en l’occurrence les intimés, lesquels doivent en principe effectivement combattre et démentir le contenu et la légalité de l’acte administratif critiqué, il n’en reste pas moins qu’au cas où, en la présente matière, l’administration s’oppose à la communication des documents sollicités en avançant l’une des exclusions prévues par la loi du 14 septembre 2018, la charge de la preuve lui incombe7.
A côté des cas d’exclusion du droit d’accès invoqués par la commune, la loi du 14 septembre 2018 prévoit encore, en son article 7, les hypothèses avancées par la commune dans lesquelles la demande de communication peut être refusée, à savoir, notamment, « (…) si :
1. la demande concerne des documents en cours d’élaboration ou des documents inachevés ; (…) 4. la demande concerne des communications internes. ».
Concernant en premier lieu les différentes clauses d’exclusion du droit d’accès invoquées par la commune en relation avec les deux documents déposés à titre confidentiel le 6 février 2023 au greffe du tribunal administratif, à savoir la Note et l’Analyse, il convient de retenir en premier lieu que la partie désireuse d’invoquer un secret doit le faire en se référant à des éléments précis du document litigieux permettant ainsi de donner de la substance à ce secret, l’invocation abstraite d’un secret n’étant pas suffisante. Au niveau de la motivation d’un refus de communication à l’initiative de l’administration, il ne suffit pas de citer une des exceptions applicables pour pouvoir valablement refuser l’accès à un document administratif, mais il faut que cette motivation soit circonstanciée, concrète et pertinente. La motivation invoquée par l’administration est encore à apprécier d’un point de vue temporel et il convient d’évaluer si le secret invoqué conserve encore sa pertinence du fait de l’écoulement du temps.
Concrètement, il appartient dès lors à la Cour, par rapport aux documents dont la communication est sollicitée par les intimés, de vérifier la pertinence de la motivation de refus invoquée par la commune en relation avec les cas d’exclusion automatiques (article 1er, paragraphe (2), de la loi du 14 septembre 2018) et les motifs de refus facultatifs (article 7 de la loi du 14 septembre 2018).
Concernant en premier lieu la Note et l’Analyse, dont la communication a été ordonnée par le tribunal, la commune précise que la Note serait uniquement la partie écrite sommaire décrivant l’Analyse. Ce deuxième document se présenterait sous forme d’une carte avec une légende où chaque passage pour piétons serait référencé et catégorisé, au regard des prescriptions du Code de la route telles qu’interprétées par la commune. Cette carte constituerait un outil de travail en constante évolution et la Note et l’Analyse auraient été établies en urgence suite à un article paru au (II) le .. novembre 2021. D’après l’appelante, ce serait de manière justifiée que cet ensemble documentaire, en raison de son caractère interne, confidentiel et inachevé ou en cours d’élaboration ne serait pas communicable.
7 Cour adm. 12 décembre 2023, n° 48782 C du rôle 19 Concernant en premier lieu le caractère interne de la documentation sollicitée, la commune conteste le raisonnement du tribunal, selon lequel une administration ne pourrait sur base de l’article 7 de la loi du 14 septembre 2018 refuser la communication d’un document que si une des hypothèses y prévues est remplie et si la communication porte atteinte à un autre intérêt également protégé par ladite loi. Le raisonnement du tribunal serait contra legem en ajoutant une condition supplémentaire que la loi du 14 septembre 2018 ne prévoirait pas et obligerait l'administration, pour l’hypothèse où elle n’entend pas communiquer le document sollicité, à prouver que pareille communication risque de porter atteinte à une exception protégée par l’article 1er, paragraphe (2), de la loi du 14 septembre 2018, de sorte que l’article 7 de la loi du 14 septembre 2018 serait privé de tout effet utile. Pareille analyse donnerait au verbe « pouvoir » une signification qu’il n’aurait pas, le législateur ayant voulu permettre à l'autorité administrative, pour l’hypothèse où la communication d'un document inachevé ou d'une communication interne était sollicitée, de refuser cette communication, tout en lui laissant la faculté de l'accorder. Le simple fait que la demande vise un document inachevé, un document déjà publié ou des communications internes suffirait à justifier la légalité d’un refus de divulgation et le législateur, en consacrant le caractère non accessible des communications internes, aurait nécessairement voulu préserver la bonne marche de l’administration ainsi que sa gestion sereine. Enfin, l’analyse du tribunal exigerait que l’administration, sauf si elle peut justifier d’un intérêt protégé motivant sa rétention, publie sur son site internet toutes ses communications internes voire ses documents inachevés, ce qui serait contraire au caractère confidentiel et au « droit au brouillon » que le législateur aurait voulu préserver. Elle argumente que le simple fait que la demande vise un document inachevé, un document déjà publié ou des communications internes serait suffisant pour justifier la légalité d'un refus de divulgation et ce sans que l’administration ne doive en outre préciser in concreto l’existence d’un risque d’atteinte à un intérêt protégé par la loi du 14 septembre 2018. Ce constat ressortirait des travaux préparatoires de la loi du 14 septembre 2018 et le fait de rendre publique une communication interne porterait, en tant que tel, atteinte à un intérêt protégé, l’intérêt étant de conserver en interne les communications entre les services. En outre, le fait de devoir justifier en quoi la divulgation porterait atteinte à un intérêt reviendrait également à en divulguer le contenu et pareille analyse créerait par ailleurs une charge de travail impossible à gérer.
Dans son mémoire en réplique, la commune renvoie encore à un arrêt de la CJUE du 20 janvier 2021 (C-619/19, Land Baden-Württenberg), cité par les intimés, pour relever qu’un document ne quitterait la sphère interne que s’il est publié ou communiqué à des tiers et pour en déduire que ceux-ci n’auraient jamais quitté la sphère interne et seraient à qualifier de communications internes pour émaner d'un service de la commune adressées à l'attention du collège échevinal. En outre, la commune conteste l’affirmation des intimés que l’échevin à la mobilité aurait, lors de la séance du conseil communal du 15 novembre 2021, présenté la Note en cause, mais celui-ci aurait plutôt fait état des résultats d’une première vérification des passages pour piétons à la suite d’un article paru au (II).
La commune réfute encore tout manque de transparence et conteste le fait qu’elle aurait refusé de rendre des comptes dans la gestion de ce dossier, dès lors que la question de la conformité des passages pour piétons aurait été discutée lors de la réunion de la Commission de la mobilité urbaine du 2 décembre 2021, que les diapositives de support auraient été partagées et qu’une réunion aurait eu lieu avec le (AA) durant laquelle ce dernier aurait pu avoir un échange avec les représentants 20politiques de la commune. Cependant, suite à cette réunion, le (AA) aurait refusé d’analyser en détail la problématique avec le Service Circulation et aurait seulement insisté pour se voir remettre les documents internes litigieux.
D’après l’appelante, les articles 1er, paragraphe (2), et 7 de la loi du 14 septembre 2018 seraient alternatifs et le simple fait qu’une demande vise des communications internes suffirait à en refuser la communication.
La commune estime encore qu’il n’y a ni violation du principe de proportionnalité, puisqu’elle n’aurait pas dépassé sa marge d’appréciation en appliquant le texte légal, ni atteinte à la liberté d’expression du (AA), celui-ci ayant pu communiquer sa prise de position concernant les passages piétons dans un journal publié sur le territoire national.
Les intimés, de leur côté, critiquent le tribunal en ce qu'il a retenu que la Note et l'Analyse constitueraient des communications internes. Lesdits documents, qui ne feraient que décrire une situation factuelle, ne pourraient pas être assimilés à une communication au sens strict. Ainsi, les intimés demandent la confirmation du jugement en ce qu’il a conclu à leur communicabilité mais demandent, par une substitution de motifs, de retenir que lesdits documents n’étaient déjà plus des communications internes au sens de l’article 7, point 4, de la loi du 14 septembre 2018 à la date de la demande de communication. Cette demande serait justifiée par le fait que, dès lors que l’existence d’un document a été révélée et que son contenu permettrait à l’administration de faire valoir sa position, le document en cause aurait quitté la sphère interne. Tel serait le cas à la suite de l’intervention de l’échevin à la mobilité lors de la séance du conseil communal du 15 novembre 2021. De plus, ladite Analyse aurait également été utilisée dans le cadre de la dernière campagne électorale par des membres de la majorité pour présenter un bilan favorable de leur mandature.
A titre subsidiaire et si la Cour venait à confirmer le jugement sur ce point, les intimés demandent la confirmation du jugement en ce qu’il a retenu que, nonobstant ce caractère interne, voire inachevé, la Note et l’Analyse seraient néanmoins communicables. Ils soulignent que la commune ne disposerait pas d’un pouvoir arbitraire ou absolu pour refuser la transmission des communications internes dans la mesure où la loi du 14 septembre 2018 limite les cas de refus de communication aux strictes exceptions de son article 1er, paragraphe (2), et à celles, facultatives, de l’article 7. Contrairement à ce que soutiendrait la commune, les premiers juges n'auraient pas procédé à une interprétation contra legem de l'article 7 de la loi du 14 septembre 2018 dans la mesure où le législateur aurait recouru à l’utilisation du verbe « pouvoir ». Le tribunal en aurait déduit l’existence d’une compétence discrétionnaire dans le chef des autorités publiques et aurait alors opéré un juste contrôle de proportionnalité, mettant en balance, d’un côté, l’intérêt de la publication pour les intimés exerçant leur droit à la transparence administrative et, d’un autre côté, l’intérêt de la commune de ne pas divulguer ses communications internes à la base de sa dénégation des allégations du (AA). En outre, ledit contrôle de proportionnalité serait conforme à la jurisprudence précitée de la CourEDH et les intimés réfutent l’argument selon lequel la non-divulgation viserait le but légitime de protection des droits ou de la réputation des agents communaux dans la mesure où une anonymisation des documents demandés serait possible.
Dans leur mémoire en duplique, les intimés contestent encore l’argumentation de la commune selon laquelle ce ne serait pas la Note et l’Analyse qui auraient été évoquées au conseil communal 21du 15 novembre 2021 mais de simples résultats qui seraient issus d’une première vérification des passages pour piétons résultant d’un article paru au (II) le … novembre 2021. Ils précisent que la commune aurait admis, depuis l’introduction du recours en réformation, qu’il n’existerait qu’une seule Note et une seule Analyse et que ce seraient bien ces documents qui auraient été évoqués au sein du conseil communal. Enfin, les parties intimées affirment que la commune, bien que se prévalant de ce que la Note et l’Analyse n’auraient pas été communiquées aux membres de la Commission de la mobilité du 2 décembre 2021, n’apporterait aucune preuve de cette assertion.
La juridiction saisie n'étant pas tenue de suivre l'ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie requérante mais, dans l'intérêt de l'administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, pouvant les traiter suivant un ordre différent, il convient en premier lieu d’examiner les moyens de la commune relatifs aux motifs de refus facultatif ayant trait au caractère inachevé sinon interne de la documentation sollicitée, tels que prévus à l’article 7, points 1 et 4, de la loi du 14 septembre 2018, visant principalement l’aspect formel des documents en cause. En effet, un accueil favorable desdits moyens conduirait à rendre superflu l’examen des clauses d’exclusion automatiques invoquées par la commune visant notamment la confidentialité des documents dont la communication est sollicitée.
A l’instar du tribunal, la Cour constate que la Note contient en substance une description des éléments pris en considération pour évaluer la sécurité des passages pour piétons et une prise de position du Service Circulation de la Ville quant à l’analyse du (AA) relative à la conformité des passages pour piétons situés sur le territoire de la commune par rapport aux dispositions du Code de la route et, plus particulièrement, par rapport aux articles 164, paragraphe 2, sub e) et 166 sub h) dudit code interdisant le stationnement « sur les passages pour piétons et les passages pour cyclistes ainsi qu’à moins de 5 mètres de part et d’autre de ces passages ».
L’Analyse, de son côté, se présente sous forme d’un plan intitulé « Audit passages piétons 2021 – VdL vs (AA) – plan de situation », plan qui illustre le contenu de la Note pour le territoire communal et elle reprend visuellement, vu d’en haut, l’analyse des passages pour piétons effectuée par le Service Circulation en les regroupant en différentes catégories, tels les passages piétons conformes, les passages piétons non-conformes, les passages piétons avec « arrêt bus », les passages piétons avec bande de stationnement en encoche et les passages piétons sur terrain privé.
La Cour constate ensuite qu’il se dégage du compte-rendu de la séance du conseil communal du 15 novembre 2021, suite à des interventions des conseillers (F) et (G), que l’échevin à la mobilité, afin de contredire le (AA) dans son affirmation que 475 passages pour piétons seraient à qualifier de non conformes, a fait état de l’Analyse effectuée par le Service Circulation qui aurait donné comme résultat que seulement 32 des 475 passages pour piétons en questions devraient être contrôlés plus en détail, les autres étant conformes. Parmi les 32 passages pour piétons qualifiés de non conformes, 5 seraient situés aux abords d’arrêts de bus, pour 16 autres passages les marquages au sol seraient à vérifier et pour 11 autres passages, il conviendrait de vérifier si la distance litigieuse de 5 mètres est respectée dans les sens de la marche devant lesdits passages.
Il se dégage encore dudit compte-rendu que l’échevin à la mobilité a analysé plus en détail, tant l’argumentation du (AA) que la position du Service Circulation, tout en faisant la proposition de 22renvoyer la motion déposée à la commission consultative compétente afin de permettre aux représentants du Service Circulation de présenter leur point de vue.
Contrairement aux affirmations de la commune, la Cour constate en premier lieu que l’échevin à la mobilité a bien fait état de la Note et de l’Analyse lors de la séance du conseil communal du 15 novembre 2021 et non pas de simples résultats informels qui seraient issus d’une première vérification des passages pour piétons. En effet, les explications dudit échevin telles que retranscrites au compte-rendu, se recoupent exactement avec le résultat de ladite Note, illustrée par l’Analyse, étant relevé que les deux documents dont la communication est sollicitée décrivent cependant encore plus en détail la problématique en cause et les passages pour piétons visés par les propos tenus par l’échevin à la mobilité.
S’il est certes exact que les deux documents litigieux n’ont pas été publiés ou formellement communiqués à des tiers et que la Note a été adressée par le Service Circulation au seul collège échevinal, la Note révèle néanmoins que l’ingénieur-directeur du Service Mobilité auprès de la commune l’a transmise au collège échevinal avec « prière de bien vouloir, en cas d’accord, informer les divers organismes de presse dans ce sens », intention qui démontre qu’au moins aux yeux de la direction du Service Mobilité, la collecte des données factuelles effectuée et leur analyse étaient in fine étaient destinées au public, même si le collège échevinal a décidé par la suite de ne pas les rendre publiques. Or, à l’évidence, de simples résultats informels, provisoires et non pertinents, dans le contexte de la problématique et de la discussion publique en cause, n’auraient pas été consignés dans un document destiné au départ à être communiqué à la presse et au public, ce d’autant plus que la Note se présente sous forme d’un avis daté et signé par deux agents de la commune destiné à servir à titre de réponse « à adresser aux divers organismes de presse qui en ont formulé la demande », tel que cela se dégage du dernier alinéa de la Note.
La Cour se doit dès lors de pointer une approche essentiellement contradictoire de l’administration communale ayant décidé, d’une part, à rédiger une Note et à établir une Analyse avec vocation à « nourrir » le débat public dans le contexte des affirmations du (AA) et à prévoir dans une première phase que ladite documentation serait à adresser aux divers organismes de presse, pour, d’autre part, refuser de divulguer le contenu de ces deux documents en les qualifiant de « communications internes ».
Il s’y ajoute que la Note et l’Analyse ont constitué la base et le fondement de la prise de position de l’administration communale lors de la séance publique du conseil communal du 15 novembre 2021.
Partant, la Cour arrive à la conclusion que la Note et l’Analyse, au vu de leur nature, usage et de la fin suggérée par les différents intervenants auprès de la commune, ont quitté la sphère interne de celle-ci et sont entrées dans le débat public, en l’occurrence pour faire valoir la position de la commune et contredire l’argumentation du (AA) quant à la non-conformité de nombreux passages pour piétons par rapport aux dispositions pertinentes du Code de la route, de sorte que ces deux documents, à la date de la demande de communication du 6 décembre 2021, ne sont pas à qualifier de « communications internes » au sens de l’article 7, point 4, de la loi du 14 septembre 2018.
23Concernant ensuite le deuxième motif de refus facultatif opposé au (AA) basé sur l’article 7, point 1, de la loi du 14 septembre 2018 et relatif au caractère inachevé ou en cours d’élaboration des documents litigieux, la commune critique le tribunal ayant retenu qu’elle n’aurait pas rapporté la preuve de la justification de son motif de refus de communication. D’après l’appelante, il conviendrait de faire primer le contenu du document plutôt que la forme de celui-ci et la pratique interne de dater et de signer une communication interne ne signifierait pas que les documents soient définitifs et donc achevés et communicables. Ainsi, le fait de communiquer un document prématuré pourrait induire en erreur les administrés puisque les documents ne constitueraient que des premières analyses, des brouillons non achevés. La commune se réfère à un jugement du tribunal du 2 septembre 2020 (n° 43704 du rôle) ayant retenu que « pour pouvoir être qualifié d'inachevé ou d'incomplet, il est exigé que le document administratif soit encore uniquement en circulation au sein de l'administration ; la mention de « projet » implique qu'il n'est pas définitif et peut encore être adapté ». Ainsi, les documents litigieux visés n’auraient pas circulé en dehors de l’administration mais auraient uniquement été communiqués au collège échevinal en vue de sa délibération et non pas à la commission consultative, le seul document communiqué à la commission consultative ayant été la présentation « Power Point » également communiquée aux intimés. En outre, l’échevin à la mobilité aurait constaté le caractère inachevé des documents en cause lors de la séance publique du conseil communal du 15 novembre 2021 et la modification du document réalisée le 16 novembre 2021, soit postérieurement au conseil communal litigieux, prouverait, à elle seule, le caractère « en cours d'approfondissement » de l'Analyse.
Les intimés, quant à eux, concluent à la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a reconnu le caractère achevé de la Note et de l’Analyse au jour de la demande de communication. Ainsi, les autorités administratives ne seraient pas libres de décider du caractère inachevé d’un document et si pareille liberté leur était laissée, il serait loisible à ces autorités de refuser toute communication en la qualifiant de « projet » ou d’« inachevé ». Plus précisément, ils estiment que l’invocation desdits documents dans le débat public, afin de rejeter les allégations du (AA), de même que leur discussion lors de la réunion du conseil échevinal du 15 novembre 2021, constitue une preuve suffisante pour en démontrer leur caractère finalisé. Comme il se dégagerait des explications de la commune que la Note et l’Analyse auraient connu deux versions, l’une présentée par l’échevin à la mobilité lors de la séance du conseil communal du 15 novembre 2021 et l’autre lors de la réunion de la commission de mobilité du 2 décembre 2021, chacune desdites versions aurait eu un objectif propre et les deux versions constitueraient, toutes les deux, des documents achevés invoqués dans le débat public et partant communicables. En outre, la jurisprudence du tribunal administratif aurait déjà consacré le fait qu’un document préparatoire puisse ne pas être assimilé à un document inachevé. Pour le surplus, les parties intimées estiment, au vu de la durée de la procédure contentieuse de première instance, d’environ trois années, que la Cour, en qualité de juge de réformation, devrait pouvoir encore mieux apprécier le caractère finalisé des documents.
Tel que relevé à juste titre par les premiers juges, un document inachevé ou en cours d’élaboration, les deux notions recouvrant la même réalité, est un document matérialisé sous une ou l’autre forme, en cours d’élaboration, de finalisation ou de validation, tandis qu’un document achevé, au sens de la loi, n’appelle plus de modifications, ayant acquis sa version définitive.
Cependant, le seul fait que les analyses effectuées par le Service Circulation et documentées par la Note et l’Analyse ont révélé un besoin de procéder à des analyses plus approfondies pour 24certains des passages pour piétons examinés ne permet pas de conclure que les documents en tant que tels sont à considérer comme inachevés en ce sens que des modifications seraient encore à apporter aux documents eux-mêmes.
De même, le constat que l’échevin à la mobilité, lors de la séance publique du conseil communal du 15 novembre 2021, n’a pas divulgué la totalité des informations se trouvant dans la Note et l’Analyse, ne mène pas non plus à la conclusion que celles-ci sont à considérer comme documents inachevés, étant donné que ledit échevin a utilisé les deux documents pour contrecarrer l’argumentation du (AA). Partant, la documentation en cause ne peut pas non plus être considérée comme avoir été « uniquement en circulation au sein de l'administration ». En outre, le simple fait de ne baser son argumentation que sur une partie du contenu de la Note et de ne pas faire état de tous les détails ne signifie nullement que le document litigieux n’est pas complet et ne constitue pas un document achevé au sens de la loi, c’est-à-dire un document servant à une fin précise et se suffisant à lui-même. En effet, admettre le raisonnement défendu par la commune conduirait à rendre non communicable tout document décrivant une problématique susceptible d’évoluer dans le futur uniquement en raison de changements prévisibles au niveau de la situation factuelle et des mises à jour éventuellement nécessaires à l’avenir n’empêchent pas que des versions antérieures avaient acquis un caractère achevé par rapport à la situation factuelle qu’elles décrivaient à ce moment précis.
S’il est certes exact que la Note a relevé un besoin d’effectuer encore des analyses plus approfondies pour certains passages pour piétons, tout comme le nombre des passages pour piétons est en constante évolution en raison de la réalisation de nouvelles infrastructures routières, cet état des choses ne signifie pas que la documentation litigieuse en cause n’est pas à considérer comme achevée au moment où elle a été utilisée pour contredire les affirmations du (AA), ce d’autant plus, tel que relevé ci-avant, que les deux documents en cause portent des dates précises - 10 et 16 novembre 2021 - et décrivent ainsi l’état de la situation existante au niveau des passages pour piétons aux jours respectifs où ils ont été dressés.
L’appelante critique ensuite, dans le contexte des clauses d’exclusion prévues aux points 6 et 10 de l’article 1er, paragraphe (2), de la loi du 14 septembre 2018, le raisonnement du tribunal ayant retenu que si le législateur entendait conférer, en vertu de l’article 51 de la loi communale, le caractère du huis clos aux réunions du collège échevinal, impliquant la confidentialité des délibérations, pareille confidentialité ne permettrait néanmoins pas de retenir, en l’absence de disposition expresse en ce sens, que tout document deviendrait lui-même confidentiel dès qu’il aurait été discuté au cours d’une réunion du collège échevinal. Ledit raisonnement reviendrait à rompre le sceau de la confidentialité consacré par le législateur au profit du pouvoir exécutif communal impliquant que ce dernier serait tenu de communiquer à toute personne les documents sur base desquels les délibérations sont prises.
Le caractère confidentiel des délibérations du collège échevinal tomberait dans le champ d’application de l’exception prévue par l’article 1er, paragraphe (2), point 6, de la loi du 14 septembre 2018 et les documents à l'appui d'une décision du collège échevinal ne seraient partant pas communicables. En effet, le terme « délibération » devrait avoir la même signification pour le conseil du Gouvernement que pour le collège échevinal, même si la base légale de la protection du caractère confidentiel des délibérations différait. Par conséquent, comme le 25législateur considèrerait que la protection de la confidentialité des délibérations du conseil de Gouvernement passerait par le fait de rendre non communicables les documents à sa base, tel devrait également être le cas pour les documents à la base des délibérations du collège échevinal.
Dans ce contexte, la commune renvoie à la circulaire n° 3651 du ministre des Affaires intérieures du 4 décembre 2018 et au document parlementaire n° 6810 faisant référence à la confidentialité des documents se rattachant aux délibérations du collège échevinal et aux documents rattachés aux décisions des membres du Gouvernement.
Dans son mémoire en réplique, la commune argumente encore, dans le contexte des articles 23 et 51 de la loi communale invoqués pour justifier la confidentialité des documents litigieux, que les travaux parlementaires ne consacreraient pas le caractère public des délibérations ou des documents à la base des délibérations du collège échevinal, mais ne feraient que mettre en évidence la logique de la règle qui serait de repréciser le caractère communicable aux conseillers communaux des décisions du collège échevinal prises à la suite d'une délibération tenue à huis clos. D’après l’appelante, tout document serait, sauf exception expresse prévue par la loi du 14 septembre 2018, communicable aux personnes qui en font la demande, mais le principe de communicabilité ne viserait que les documents relatifs à une activité administrative et parmi ces documents, certains seraient d'office exclus du droit d'accès, tandis que dans d'autres cas, le refus de communication serait facultatif. Bien que la loi du 14 septembre 2018 ne citerait pas les délibérations du collège échevinal, les travaux préparatoires de la loi justifieraient la confidentialité des délibérations du Gouvernement par le fait qu'il s'agirait de permettre au pouvoir exécutif de préparer ses décisions. Il serait dès lors clair qu'il y aurait lieu d'appliquer le même régime légal aux délibérations du collège échevinal et aux documents à sa base qu'aux délibérations du conseil de Gouvernement pour s’agir, tous les deux, de pouvoirs exécutifs, l'un se situant au niveau national et l'autre au niveau local.
Partant, le jugement entrepris devrait être réformé en ce que les documents servant de base à une délibération du collège échevinal devraient nécessairement être considérés comme un secret préservé par la loi et donc confidentiels au sens de l'article 1er, paragraphe (2), point 6, de la loi du 14 septembre 2018, de sorte à être exclus du droit d'accès consacré par ladite loi.
En ordre subsidiaire, la commune estime que le raisonnement des premiers juges viole l’article 15 de la Constitution consacrant le caractère confidentiel des documents à la base d'une délibération du Gouvernement en conseil et non également ceux à la base d'une délibération du collège échevinal, alors que dans les deux hypothèses, le huis clos des séances serait consacré par la loi luxembourgeoise, et suggère de poser deux questions préjudicielles dans ce contexte à la Cour constitutionnelle.
Les intimés, de leur côté, soutiennent que la Note et l’Analyse ne seraient pas des documents confidentiels protégés par le législateur au titre du secret. Ces documents n’entreraient pas dans l’exception prévue par l’article 1er, paragraphe (2), point 6, de la loi du 14 septembre 2018 dans la mesure où aucune loi ne les couvrirait du sceau du secret ou de la confidentialité. Cette argumentation serait confirmée par des avis de la CAD8 et ne serait pas contredite par les dispositions de la loi communale, notamment son article 23 relatif au droit de communication aux 8 Avis n° R-1/2022 et R-3/2022 26conseillers communaux des documents discutés par le collège échevinal, et son article 51 relatif à la police des réunions et prévoyant le huis clos comme mode ordinaire de tenue des réunions du collège, sans que cela n’emporterait de secret ou de confidentialité à l’égard des documents qui y auraient été discutés. Il en irait de même s’agissant des travaux parlementaires de la loi du 14 septembre 2018 pour lesquels la commune procèderait à une mauvaise lecture en donnant un sens nouveau à ladite loi pour y déceler un secret qui n’aurait pas été expressément consacré par le législateur. Ils affirment que la commune demanderait à la Cour de procéder à une interprétation extensive de l’exception tirée du secret en considérant que le terme de « délibération » devrait être entendu comme englobant tous les documents servant de base à la délibération elle-même.
Du reste, le raisonnement par analogie, consistant à considérer que les délibérations du collège échevinal sont protégées par le secret au même titre que les délibérations du Gouvernement en conseil serait à écarter. En effet, l’article 1er, paragraphe (2), point 10, de la loi du 14 septembre 2018 viserait expressément le seul Gouvernement au sens des articles 76 à 83 de la Constitution.
Par ailleurs, la circulaire n° 3651 du ministère des Affaires intérieures ne pourrait constituer une injonction à l’égard de la commune dans le sens d’une interprétation extensive de l’exception légale précédemment citée et serait illégale dans la mesure où elle commettrait une erreur d’interprétation du droit et poserait une condition non prévue par le législateur en matière de secret.
Les intimés réfutent encore la conclusion tirée par la commune de l’arrêt de la Cour du 26 novembre 2024 (n° 50412C du rôle) en ce que les faits seraient différents, dans la mesure où, en l’espèce, ce serait l’administration qui se prévaudrait de la circulaire et que ce document serait une réécriture de la loi plutôt qu’une interprétation.
Enfin, l’argumentaire de la commune en relation avec une violation du principe d’égalité devant la loi ne serait pas pertinent dans la mesure où l’article 15 de la Constitution viserait des sujets de droits et non des documents inclus ou exclus du droit d’accès en vertu de la loi du 14 septembre 2018. Les intimés précisent encore que le principe d’égalité ne serait pas applicable entre deux personnes morales de droit public et la commune ne pourrait demander pas à la Cour de comparer sa situation à celle de l’Etat luxembourgeois, respectivement celle d’un conseil communal par rapport au Gouvernement. Si la Cour venait à retenir le contraire, les intimés rappellent que l’application du principe d’égalité supposerait que les catégories de personnes en cause soient dans une situation comparable, ce qui ne serait manifestement pas le cas en l’espèce. Partant, à défaut de comparabilité, le renvoi préjudiciel à la Cour constitutionnelle sollicitée par la commune devrait être rejeté en ce que la question serait dénuée de tout fondement.
La Cour tient à rappeler en premier lieu, à l’instar du tribunal, que le principe général posé par la loi du 14 septembre 2018 est que tous les documents détenus par une administration ou un service de l’Etat, une commune, un établissement public et une personne morale fournissant un service public sont accessibles et qu’il suffit que les documents sollicités revêtent un caractère administratif et qu’ils se rapportent à la gestion d’une activité administrative, bien que la loi puisse toutefois prévoir des exceptions à ce principe.
Tel que l’intitulé de la loi du 14 septembre 2018 le met en exergue, celle-ci vise la transparence de l’administration et son ouverture au public. Le principe est bien celui de l’ouverture et du partage, essentiellement en ligne, des documents administratifs. L’ouverture et le partage étant le principe, 27les restrictions afférentes, prévues par la loi, sont à appliquer de manière stricte. La loi s’inscrit clairement dans un processus d’amélioration du service public à travers une plus grande ouverture de l’administration vers le public, de même qu’en une fortification de la confiance que le citoyen administré peut de la sorte nourrir tant face à l’administration centrale que par rapport à l’administration locale.9 La Cour tient à relever ensuite que contrairement aux délibérations du Gouvernement, l’article 1er de la loi du 14 septembre 2018 ne prévoit pas parmi les clauses d’exclusion limitativement énumérées à son paragraphe (2) la confidentialité des délibérations d’un collège échevinal.
Quant à la question de savoir si les délibérations d’un collège échevinal sont susceptibles de tomber dans le champ d’application de l’exception prévue par l’article 1er, paragraphe (2), point 6, de la loi du 14 septembre 2018 visant un secret ou une confidentialité protégés par la loi, l’article 51 de la loi communale prévoyant le huis clos comme mode ordinaire de tenue des réunions d’un collège échevinal, la Cour, à l’instar de la CAD, retient que la notion de « huis clos » des séances d’un collège échevinal se distingue de la notion de confidentialité des documents y débattus, l’expression « huis clos » signifiant dans ce contexte que le public n’est pas admis à assister à la réunion d’un collège échevinal mais que l’article 51 de la loi communale n’a pas pour effet d’imposer automatiquement le secret ou la confidentialité de tous les documents invoqués à un titre quelconque ou débattus lors des réunions d’un collège échevinal.
Cette solution s’impose d’autant plus en l’espèce que, d’une part, la Note et l’Analyse ne constituent pas une « création propre » du collège échevinal pour avoir été établies antérieurement par un autre service communal et ne décrivent pas non plus le cours et le contenu des délibérations du collège échevinal au sujet de la problématique soulevée et, d’autre part, que la commune elle-même a fait entrer dans le débat public les documents en cause, vu leur usage et la fin suggérée par les différents intervenants auprès de la commune, afin de justifier sa position et contredire l’argumentation du (AA) quant à la non-conformité de nombreux passages pour piétons par rapport aux dispositions pertinentes du Code de la route, l’échevin à la mobilité ayant même fait publiquement état de la Note et de l’Analyse lors de la séance du conseil communal du 15 novembre 2021, tel que relevé ci-avant.
En effet, admettre la thèse défendue par la commune reviendrait in fine à considérer tout document administratif comme confidentiel à condition qu’il ait été débattu au sein du collège échevinal, même pour l’hypothèse où il se trouvait déjà dans le débat public auparavant.
Partant, la Cour retient que la Note et l’Analyse n’entrent pas dans le cas d’exclusion prévu par l’article 1er, paragraphe (2), point 6, de la loi du 14 septembre 2018 et ne sont dès lors pas à considérer comme des documents confidentiels protégés par le législateur au titre du secret.
Cette conclusion n’est pas non plus remise en cause par le renvoi à la circulaire n° 3651 du ministre des Affaires intérieures du 4 décembre 2018 et au document parlementaire n° 6810, la documentation litigieuse n’ayant pas été exclusivement invoquée à l’occasion d’une délibération du collège échevinal de la commune.
9 Cour adm., 17 novembre 2020, n° 44985C du rôle, non encore publié 28 Au vu de ce qui précède, l’argumentation de la commune tirée d’une prétendue violation de l’article 15 de la Constitution révisée laisse également d’être fondée sans qu’il n’y ait lieu de soumettre les questions préjudicielles suggérées à la Cour constitutionnelle qui sont dénuées de tout fondement au sens de l’article 6 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle.
Concernant ensuite la Base de données, l’appelante explique que celle-ci serait un outil de travail interne et contiendrait une multitude d’informations sensibles notamment concernant l’emplacement des infrastructures de la Ville (gaz, électricité, etc.) et ne saurait, au risque de porter atteinte à la sécurité des personnes et des biens, être communiquée à des tiers. La consultation des bases de données internes d’une administration, sans justifier d’un intérêt particulier, porterait atteinte aux obligations de confidentialité de la commune, renvoyant dans ce contexte à la Directive (UE) 2022/2555 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de cybersécurité dans l’ensemble de l’Union, modifiant le règlement (UE) no 910/2014 et la directive (UE) 2018/1972, et abrogeant la directive (UE) 2016/1148, ci-après « la directive 2022/2555 », même si cette directive n’a pas encore été transposée en droit luxembourgeois. Partant, la Base de données devrait être exclue du droit d’accès prévu à l’article 1er de la loi du 14 septembre 2018. Pour illustrer ses propos, la commune signale encore que le site internet « OpenlnfraMap.org » ne reprendrait pas les infrastructures en sous-sol qui seraient répertoriées dans la Base de données et la société (HH) ne donnerait pas accès à ses plans sans traitement d’une demande spécifique, ce qui démontrerait que les informations seraient sensibles.
Le tribunal, en retenant que la Base de données constituerait un document inachevé en constante évolution mais en ne percevant pas en quoi la communication des informations qui « selon les explications de la partie communale, ne f[ont] que refléter la situation factuelle sur le territoire communal, de sorte à contenir des informations a priori neutres » porterait une « atteinte caractérisée à la fluidité du travail de l’administration ou à la sérénité du travail préparatoire et du processus décisionnel de l'administration », ajouterait de nouveau une condition à la loi du 14 septembre 2018 en considérant que son article 7 n’offrirait pas à l’administration une simple faculté de refuser, sans autre motif, la communication d’un document inachevé alors que, comme détaillé dans les travaux préparatoires, la loi du 14 septembre 2018 ouvrirait à une administration pareille faculté. Par conséquent, le simple fait que le tribunal reconnaisse que la Base de données constitue un document inachevé suffirait à considérer le refus communal comme justifié.
La commune soutient encore que la Base de données serait un éternel brouillon dont les éléments seraient revérifiés scrupuleusement avant qu’une décision administrative ne soit prise. La communication au public entraînerait dès lors des risques pour la sécurité nationale et serait problématique pour la responsabilité d'une administration quant à la véracité des informations qu'elle transmettrait au public. En outre, ladite base ne serait qu’un recueil des informations échangées entre les services de la commune, partant un recueil interne dont les informations devraient à chaque fois être revérifiées.
Quant à la propriété intellectuelle invoquée, l’appelante explique que la Base de données constituerait une création originale de la commune devant être protégée par le droit d’auteur. La 29base de données étant dès lors protégée et n’étant pas communicable en tant que telle, la demande des parties intimées serait encore non précise en ce qu’il s’agirait de communiquer à l'état brut des milliers de données portant sur l'intégralité du territoire communal et, en tant que telles, illisibles.
Dès lors, la demande serait non précise et manifestement abusive par son nombre et elle devrait être refusée sur base de l’article 7, paragraphe (3), de la loi du 14 septembre 2018. Ainsi, l’exportation des données lui imposerait de nombreuses démarches menant à la création d’un nouveau document reprenant les milliers de données afférentes aux trottoirs, aux emplacements de stationnement et aux passages pour piétons. En résumé, l’appelante estime que les éléments de la Base de données ne seraient pas aisément scindables et qu’il faudrait appliquer un filtre afin de s’assurer que des données sensibles ne soient pas transmises avec d’autres données. Or, la création d'un nouveau document serait hors du champ d'application de la loi du 14 septembre 2018 et pareille démarche serait manifestement excessive et disproportionnée.
A titre subsidiaire, et si la Cour venait à conclure que la Base de données était communicable, l’appelante maintient la proposition faite que les intimés pourraient venir consulter la Base en ses bureaux sur le fondement de l’article 5, paragraphe 1er, de la loi du 14 septembre 2018, étant donné qu’au vu de sa taille et de sa nature il serait impossible de la communiquer à un tiers. La publication ne pourrait pas se faire sur le site data.public.lu puisque la Base de données contiendrait des données sensibles qui ne sauraient être accessibles à tous les citoyens sans risquer de porter atteinte à la sécurité publique. Les seules informations figurant déjà sur le site data.public.lu seraient des données définitives dont l’exactitude aurait pu être vérifiée et aucune donnée de la Base de données n’y figurerait. Ainsi, l’exportation des données afférentes à plus de 470 passages pour piétons constituerait un travail « titanesque » qui ne saurait être exigé de la part d’une administration publique.
Les intimés, de leur côté, soulignent en premier lieu que leur demande initiale aurait eu un caractère précis et que la commune allèguerait pour la première fois en instance d’appel que la demande d’accès aux documents serait abusive pour être non précise. Elles contestent cette affirmation dans la mesure où la commune aurait versé une vidéo présentant un extrait du document en cause sans indiquer qu’elle aurait rencontré des difficultés à identifier les couches de la Base de données qui constitueraient le document demandé.
En deuxième lieu, les intimés argumentent que la publication des documents demandés, issus de la Base de données, ne porterait pas atteinte à la sécurité des personnes ou à l’ordre public et ne seraient donc pas sensibles. Elles précisent que la commune ne désignerait pas clairement la disposition légale au soutien de l’exception à la communication qu’elle invoque, respectivement l’article 1er, paragraphe (2), point 1 (ordre public), ou l’article 1er, paragraphe (2), point 2 (sécurité des personnes), ni ne démontrerait-elle concrètement le risque encouru ou la sensibilité des informations en cause, de sorte que le moyen devrait être écarté. Ils rappellent que les données sollicitées concerneraient uniquement des informations relatives aux trottoirs, aux marquages sur la route et aux places de parking et que la mention des réseaux énergétiques et de l’implantation des lampadaires ne serait pas un obstacle à la communication dans la mesure où celle-ci pourrait, au moins partiellement, être connue en recourant à des sites internet accessibles au public ou en introduisant une demande auprès du service compétent.
30En outre, les intimés rejettent le moyen tiré d’une violation de la directive 2022/2555 dans la mesure où cette directive ne serait pas encore transposée en droit luxembourgeois et que, si un effet direct devait toutefois lui être reconnu, ses dispositions ne seraient pas pour autant applicables au litige.
En troisième lieu, ils soutiennent qu’il n’existerait pas de protection de la Base de données au titre de droits de propriété intellectuelle en ce que la commune n’aurait pas mis à disposition le dossier administratif, privant ainsi le juge de tout moyen de contrôle. A titre subsidiaire, elles concluent à l’absence de protection par des droits d’auteurs sur le fondement de la loi du 18 avril 2001 dans la mesure où la Base de données ne serait pas une création propre de son auteur mais un agrégat de données organisées selon un schéma particulier reposant sur des considérations de nature techniques, ce qui, au sens de la jurisprudence européenne, renforcerait l’absence d’originalité10.
Ils contestent également le fait que la commune fasse désormais valoir en instance d’appel qu’il serait impossible de dissocier la Base de données. Ainsi, la commune ne fournirait aucune explication technique permettant de justifier de l’impossibilité de procéder à une extraction limitée aux seules données demandées. Du reste, celle-ci aurait déjà procédé à des extractions de données comparables à celles sollicitées, notamment pour alimenter le site « data.public.lu » et pareille opération constituerait le cœur de métier du « Service Topographie et géomatique » de la Ville de Luxembourg. Au demeurant, les intimés considèrent que la Base de données serait communicable sur le fondement de la loi du 29 novembre 2021 en ce que ladite législation spéciale permettrait la réutilisation de données couvertes par des droits de propriété intellectuelle appartenant à la personne publique requise de communiquer lesdits documents.
En quatrième lieu, les intimés contestent que la Base de données soit une somme de communications internes et soutiennent que les documents sollicités seraient des éléments à destination de tous les usagers.
Ils argumentent encore que la Base de données ne pourrait pas être considérée comme un document inachevé et contestent le jugement entrepris en ce qu’il retient que la Base de données, respectivement les données concernant les trottoirs, les marquages sur la route et les places de parking, serait une sorte d’éternel brouillon. Ainsi, chaque nouvelle version résultant d’un enregistrement ultérieur serait un document achevé à part entière. Si, par contre, la Base de données était à considérer comme inachevée, il ne serait pas possible que l’administration se fonde sur son contenu dans le cadre de son action administrative. Bien au contraire, la commune procèderait à la vérification des données de ladite base préalablement à l’édiction de chacune de ses décisions.
A titre subsidiaire, pour l’hypothèse où la Cour confirmerait les premiers juges sur ce point, les intimés concluent à la confirmation du jugement a quo en ce qu’il retient, dans le cadre d’une mise en balance, que l’intérêt de la publicité desdites données serait supérieur à celui de la commune de ne pas les divulguer afin d’éviter la communication d’un document potentiellement erroné.
Finalement, les intimés soulèvent le caractère inopportun d’une consultation sur place de la Base de données qui ne remplirait pas l’objectif de contrôle visé par sa demande initiale et rendrait impossible un traitement logiciel de ladite base pour comparer les données de la commune avec 10 CJUE, C-604/10, Football Dataco, 1er mars 2012, ECLI:EU:C:2012:115, pt. 28.
31les siennes, ainsi que des analyses futures pour d’autres projets. Une consultation sur place serait contraire aux dispositions de l’article 5, paragraphe 1er, point 3, de la loi du 14 septembre 2018 en ce qu’elle ne se justifierait ni par le fait que la reproduction du document nuirait à sa conservation, ni parce que la nature même dudit document ne le permettrait pas. Ainsi, les intimés estiment que la commune serait dans l’obligation d’extraire les couches « Circulation GO » et « Atlas topographique » de la Base de données et que cette opération ne constituerait pas la création d’un document nouveau dès lors que ces couches seraient simplement intégrées à ladite base, donc exportables en un bloc et réutilisables.
Par ailleurs, une consultation sur place les priverait de toute réutilisation des données, ce qui serait une violation de l’article 10 de la CEDH consacrant la liberté d’expression. Leur argumentation serait étayée par le fait que le document en cause serait de nature informatique, partant éternellement reproductible, et que la vidéo versée par la commune démontrerait que les deux couches de données sollicitées sont exportables. Du reste, la commune n’aurait jamais indiqué le volume réel du fichier et son caractère éventuellement trop volumineux ne ferait pas partie des exceptions prévues par la loi.
De l’entendement de la Cour, la Base de données constitue un recueil d’informations respectivement un document de travail auprès de la Ville de Luxembourg contenant une multitude d’informations, dont certaines sensibles, notamment concernant l’emplacement de certaines infrastructures sur le territoire communal (conduites d’électricité, lignes de gaz, tunnels souterrains etc.) et que cet outil de travail décrit au quotidien une situation factuelle en constante évolution en fonction des modifications y apportées par les divers services de la commune ayant accès à la Base de données.
Il est également constant en cause que cette base contient des indications et de nombreuses données étrangères à la problématique soulevée concernant les passages pour piétons se trouvant sur le territoire communal, les intimés ayant eux-mêmes déclaré n’être intéressés que par l’extraction des couches « Circulation GO » et « Atlas topographique » afin de pouvoir vérifier l’emplacement des multiples passages pour piétons et leurs éventuelles non-conformités par rapport au Code de la route.
La Cour partage d’abord l’appréciation du tribunal que les deux couches à extraire de la Base des données, et dont la communication est sollicitée, ne font que refléter la situation factuelle sur plan en relation avec la localisation des passages pour piétons sur le territoire communal, situation pouvant être appréhendée de visu par rapport à chaque passage pour piétons par tout citoyen. Cette documentation est par essence évolutive par rapport à l’infrastructure routière du territoire communal dû à l’apparition de nouveaux passages pour piétons et à la disparition de passages pour piétons jugés superflus et n’est dès lors jamais consolidée.
Il convient ensuite de réfuter l’objection de la commune que la demande initiale du (AA) n’aurait pas un caractère précis et qu’elle serait partant manifestement abusive « par son nombre ». En effet, cette demande s’est limitée dès le début aux données concernant les trottoirs, les marquages sur la route et les places de parking, données accessibles via l’extraction des couches « Circulation GO » et « Atlas topographique » de la Base des données. En outre, la Cour ne perçoit pas en quoi la communication de ces éléments viserait des données sensibles ou serait contraire à l’ordre public 32ou à la sécurité des personnes, étant relevé que le but de la demande du (AA) vise précisément à localiser des passages pour piétons ne répondant pas aux prescriptions de Code de la route dans une optique de sécuriser d’éventuels passages pour piétons dangereux. Dans ce contexte, la Cour ne perçoit pas non plus en quoi la communication des informations sollicitées risquerait de se heurter au contenu de la directive 2022/2555, une fois transposée, étant donné que les deux couches pertinentes de la Base des données, dont la communication est sollicitée, ne font que refléter la situation factuelle sur le territoire communal et sont partant visibles à l’œil nu.
Concernant ensuite l’objection de la commune que la communication des données sollicitées serait contraire aux droits d’auteur et à la propriété intellectuelle y rattachée en ce que la Base des données constituerait une création originale des services communaux méritant protection, c’est à juste titre que les intimés soutiennent que ladite base ne constitue pas une création intellectuelle propre à un auteur précis, tel que prévu à l’article 1er, point 2, alinéa 2, de la loi du 18 avril 2001, mais un simple inventaire d’une situation concrète détenu sur un support informatique et contenant une multitude d’informations, plus ou moins techniques, ne répondant à aucun critère d’originalité.
Quant à l’argumentation de la commune que la Base des données serait un document inachevé en constante évolution, c’est-à-dire un « éternel brouillon », respectivement un recueil interne dont la véracité des informations y contenues devraient régulièrement être revérifiées, il convient de rappeler en premier lieu qu’une prétendue inexactitude d’informations contenues dans un document administratif ne constitue pas un obstacle à sa communication, la loi du 14 septembre 2018 ne limitant pas le droit d’accès aux documents dépourvus d’erreurs.
En outre, les informations sollicitées visant les trottoirs, les marquages sur la route et les places de parking ne constituent à l’évidence pas des communications internes au sens de l’article 7, point 4.
de la loi du 14 septembre 2018 pour ne viser que des données illustrant la situation factuelle existante au niveau des passages pour piétons sur le territoire communal, la configuration des lieux pour chaque passage pour piétons pouvant aisément être vérifiée sur place.
S’il est certes exact que la Base des données, y compris les informations y contenues, subit par la force des choses des modifications régulières en fonction de l’évolution de la situation factuelle par rapport aux indications y figurant, la Cour ne partage cependant pas la vision de la commune que cette base constitue un document en cours d’élaboration ou un document inachevé au sens de l’article 7, point 1. de la loi du 14 septembre 2018, c’est-à-dire un document à l’état de projet non encore finalisé. En effet, pareille base de données n’a précisément pas vocation à devenir un document définitif, mais constitue, tel que relevé ci-avant, un recueil d’informations décrivant une situation factuelle à un moment précis et constitue partant un document décrivant une situation précise et arrêtée dans le temps, chaque fois après le dernier enregistrement y apporté, même si l’état de la situation factuelle y décrite, en l’occurrence la localisation des passages pour piétons, peut subir des modifications et n’a pas vocation à rester figée dans le temps indéfiniment.
Au vu de ce qui précède, la Cour arrive à la conclusion que l’extraction des deux couches « Circulation GO » et « Atlas topographique » de la Base des données et dont la communication est sollicitée, telle qu’illustrée par la vidéo présentant un extrait du document litigieux pour les rues situées dans le quartier Belair au niveau du « Val Ste Croix », constitue une documentation communicable pour laquelle la commune ne peut pas faire valoir une clause d’exclusion 33automatique prévue à l’article 1er, paragraphe (2), de la loi du 14 septembre 2018, ni un motif de refus facultatif tel que prévu à l’article 7 de ladite loi.
Quant à la question de savoir si la commune a l’obligation de communiquer la documentation sollicitée par extraction des couches « Circulation GO » et « Atlas topographique » de la Base des données au lieu d’une consultation sur place, tel que retenue par les premiers juges, la commune fait valoir, en ordre subsidiaire, que pareille communication ne serait pas envisageable au vu du volume de la Base des données qui s’opposerait tant à sa reproduction qu’à sa transmission par voie de courrier électronique, de sorte qu’une consultation sur place serait la seule solution envisageable.
Aux termes de l’article 5, paragraphe (1), de la loi du 14 septembre 2018 :
« (1) Le document demandé est mis à la disposition du demandeur dans les meilleurs délais et au plus tard dans le mois qui suit la réception de la demande par l’organisme sollicité selon les modalités suivantes :
1. par la délivrance de copies en un seul exemplaire ;
Sans préjudice des pouvoirs conférés par la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 aux autorités communales, un règlement grand-ducal peut fixer une redevance à payer par le demandeur en cas de délivrance de copies d’un document. Cette redevance ne peut excéder le coût réel de reproduction.
2. par la transmission par voie électronique lorsque le document est disponible sous forme électronique et si le demandeur a communiqué une adresse électronique aux organismes visés à l’article 1er, paragraphe 1er ;
3. par la consultation sur place lorsque la reproduction nuit à la conservation du document ou n’est pas possible en raison de la nature du document demandé. (…) ».
A l’instar des premiers juges, la Cour tient à renvoyer sur ce point aux travaux parlementaires d’après lesquels :
« (…) Le principe de la délivrance d’une copie du document connaît une exception, lorsque la reproduction par copie nuit au document ou si la reproduction est trop compliquée11, comme tel pourrait être le cas par exemple pour des documents techniques et des plans dans le cadre d’un plan d’occupation du sol. (…) ».12 La Cour rejoint la commune en ses développements que la documentation sollicitée, même si elle ne comprend qu’un plan topographique mentionnant les passages pour piétons, c’est-à-dire les couches « Circulation GO » et « Atlas topographique », n’est pas communicable en copie, étant donné que l’extraction de ces données de la Base des données reviendrait à créer un document nouveau, c’est-à-dire un plan comprenant pour l’ensemble du territoire communal l’indication précise de la totalité des passages pour piétons, y inclus les informations relatives aux trottoirs, 11 souligné par la Cour 12 projet de loi n° 6810 relative à une administration transparente et ouverte, commentaire des articles, art 6, page 9 34aux marquages sur la route et aux places de parking au niveau desdits passages, reproduction qui est disproportionnée par rapport au résultat recherché.
De même, la transmission de la documentation sollicitée par voie électronique reviendrait à extraire les deux couches de la Base des données « Circulation GO » et « Atlas topographique » pour créer un document électronique nouveau engendrant une surcharge de travail supplémentaire et disproportionnée par rapport à l’objet poursuivi par la demande initiale du (AA), c’est-à-dire la vérification des dangers potentiels auxquels les piétons seraient apparemment exposés au niveau d’un certain nombre de passages piétonniers, ce d’autant plus que la demande des intimés n’a pas comme but de découvrir une situation de fait leur inconnue – ceux-ci déclarant avoir identifié 475 passages pour piétons critiquables – et que la situation au niveau des passages piétonniers litigieux peut être vérifiée à chaque instant sur place.
La Cour arrive dès lors à la conclusion qu’une consultation sur place - telle que déjà suggérée en substance par la commune dans son courrier du 6 avril 2022 et réitérée à l’audience des plaidoiries -, dans les limites autorisées par les premiers juges, c’est-à-dire en présence d’un ou de plusieur(s) agent(s) ou représentant(s) de l’administration communale de la Ville de Luxembourg et limitée à une durée totale de 8 heures, d’après un horaire à convenir entre parties, remplit dans le cas d’espèce l’objectif de transparence permettant au (AA) de comparer les données avancées par les parties respectives en relation avec les passages pour piétons prétendument dangereux et de vérifier les arguments de la commune se dégageant de la Note et de l’Analyse, dont la communication a été ordonnée ci-avant.
Pareille consultation sur place présente encore l’avantage de s’inscrire dans une perspective de dialogue utile entre les protagonistes en évitant, le cas échéant, une mauvaise compréhension de la documentation communiquée, ainsi que d’éventuels malentendus, et permet aux parties de comparer leurs points de vue respectifs, tout en garantissant un juste équilibre entre l’objectif de transparence administrative et un fonctionnement serein de l’administration.
Dans ces conditions, la Cour n’aperçoit pas non plus en quoi une consultation sur place des couches litigieuses de la Base des données porterait atteinte à la liberté d’expression des intimés, tel que consacrée par l’article 10 de la CEDH.
Concernant finalement l’appel incident des intimés sollicitant la communication des documents matérialisant l’accord entre la commune et les instances ministérielles au sujet de l’interprétation des articles 164, paragraphe 2, point e), et 166, point h), du Code de la route, et, plus précisément, la communication du document reprenant l’accord qui aurait été conclu entre la commune et le ministère compétent quant à l’application de ces dispositions du Code de la route sur le territoire de la Ville, ceux-ci contestent précisément la conclusion des premiers juges ayant conclu à l’inexistence de pareil document. Cette conclusion serait infirmée par le fait que l’accord, datant apparemment de 2008, aurait été mentionné par l’échevin de mobilité lors d’une prise de parole au conseil communal du 15 novembre 2021. Partant, afin de conserver la mémoire du contenu de cet accord, respectivement de pouvoir l’invoquer dans le débat public, celui-ci devrait nécessairement apparaître sous forme d’une trace documentaire, a minima un compte-rendu qui aurait dû être rédigé.
35L’appelante, de son côté, sollicite la confirmation du jugement sur ce point relatif à la prétendue documentation matérialisant pareil accord entre la commune et les autorités ministérielles dans la mesure où il lui serait impossible de rapporter une preuve négative et notamment l’inexistence du document demandé par les parties adverses, tout en signalant que les accords avec les ministères concernant les interprétations particulières d’une législation ne seraient que rarement documentés de manière écrite.
La Cour constate en premier lieu que les intimés ne sollicitent plus la communication d’autres documents à côté du prétendu accord entre la commune et le ministère compétent, tels des documents d’interprétation interne du Service Circulation ou du Service Juridique de la commune, de sorte qu’elle se trouve uniquement saisie de l’éventuelle communication de ce seul document et n’est plus appelée à revenir sur une éventuelle demande de communication d’autres documents ayant figuré dans la demande initiale de l’association.
Il peut certes paraître singulier que les pourparlers menés avec les instances étatiques sur une ligne de conduite à adopter en vue d’une application raisonnée et efficiente des dispositions légales et réglementaires en cause n’ont apparemment pas été documentés, malgré la déclaration de l’échevin à la mobilité consignée dans les minutes de la réunion du conseil communal du 15 novembre 2021, celui-ci s’exprimant comme suit : « Nos services ont alors rencontré [après mars 2008], en accord avec l’échevin de mobilité de l’époque, des représentants du ministère compétent afin de discuter comment ce règlement devra être appliqué en pratique. Lors de cette réunion, il a été retenu13 que dans une rue à trafic bidirectionnel, la règle de la distance de 5 mètres doit être appliquée seulement pour les emplacements de stationnement dans le sens de la marche et avant le passage pour piétons. Le guide publié en 2014 a été élaboré par le ministère en coopération avec nos services ».
Cependant, au vu des contestations afférentes de la commune quant à l’existence d’un document matérialisant cette ligne de conduite et à défaut d’indices suffisants allant dans le sens de l’existence d’un accord écrit entre les instances communales et étatiques, la Cour ne saurait ordonner la communication d’un document administratif inexistant selon les dires de la partie appelante.
Au vu de ce qui précède, tant l’appel principal de la commune, même si partiellement pour d’autres motifs, que l’appel incident des intimés ne sont pas fondés et le jugement entrepris est à confirmer.
La commune sollicite encore l’allocation d’une indemnité de procédure de 3.000.- €.
Les intimés, de leur côté, sollicitent la condamnation de la commune au paiement d’une indemnité de procédure de 5.000.- €.
Lesdites demandes sont cependant à rejeter, les conditions légales afférentes ne se trouvant pas réunies.
Par ces motifs, 13 souligné par la Cour 36 la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;
reçoit les appels principal et incident en la forme ;
au fond, les déclare non justifiés et en déboute les parties respectives ;
partant, confirme le jugement entrepris du 11 novembre 2024 ;
rejette les demandes en allocation d’une indemnité de procédure présentées par l’administration communale de la Ville de Luxembourg et les intimés ;
fait masse des frais et dépens de l’instance d’appel et les impose pour trois quarts à l’administration communale de la Ville de Luxembourg et pour un quart aux intimés.
Ainsi délibéré et jugé par :
Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour Jean-Nicolas SCHINTGEN.
s. SCHINTGEN S. CAMPILL 37