N° 101 / 2025 pénal du 12.06.2025 Not. 11482/21/CD Numéro CAS-2025-00019 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, douze juin deux mille vingt-cinq, sur le pourvoi de PERSONNE1.), né le DATE1.) à ADRESSE1.) (Bulgarie), demeurant à L-
ADRESSE2.), prévenu, demandeur en cassation, comparant par Maître Katrin DJABER, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, en présence du Ministère public, l’arrêt qui suit :
Vu l’arrêt attaqué rendu le 8 janvier 2025 sous le numéro 1/25 X. par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle ;
Vu le pourvoi en cassation formé au pénal par Maître Katrin DJABER, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg, au nom de PERSONNE1.), suivant déclaration du 10 février 2025 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Vu le mémoire en cassation déposé le 10 février 2025 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions du premier avocat général Marc SCHILTZ ;
Entendu Maître Dorma BARANDAO-BAKELE, en remplacement de Maître Katrin DJABER, qui a eu la parole en dernier, et l’avocat général Bob PIRON.
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, avait condamné le demandeur en cassation du chef de blanchiment-détention, de blanchiment-conversion et de blanchiment-justification mensongère à une peine d’emprisonnement assortie du sursis et à une amende et avait ordonné la confiscation de l’argent saisi.
La Cour d’appel, par réformation, n’a retenu, quant à l’infraction de blanchiment-conversion, que la tentative et elle a confirmé le jugement pour le surplus.
Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation, sinon de la fausse application de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) quant au droit à un procès équitable.
A.
Rappel des dispositions légales applicables Aux termes de l’article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l’Homme :
publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. » L’article 6 §3 de la même Convention précise également que :
témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge. » B.
Application au cas d’espèce En l’espèce, il est établi que le demandeur en cassation a versé aux débats un certificat d’opération ainsi qu’une lettre de confirmation du bureau de change SOCIETE1.), entité légalement établie en Bulgarie en tant qu’institution financière, parfaitement réglementée et supervisée par les autorités compétentes.
La Cour d’appel, confirmant la décision du premier juge, a écarté ces éléments au motif que le demandeur aurait dû au moins se douter de l’origine illicite des fonds, en raison de l’état dégradé des billets.
2 Or, cette motivation est entachée de plusieurs violations du droit à un procès équitable.
1.
Absence d’enquête sur le bureau de change SOCIETE1.) La Cour d’appel n’a jamais ordonné la moindre investigation pour vérifier si l’agence de change SOCIETE1.) avait participé à une opération de blanchiment.
Pourtant, cette agence, agréée et régulée par les autorités bulgares, continue d’opérer à ce jour sans avoir jamais fait l’objet de poursuites ou de sanctions.
2.
Charge de la preuve renversée au détriment du demandeur La lettre de confirmation du bureau de change n’a pas été contestée dans son authenticité ni sa légitimité par le Ministère public. Pourtant, les juges du fond ont rejeté cette preuve au seul motif que le demandeur aurait dû suspecter une origine douteuse des billets, ce qui revient à exiger du prévenu qu’il prouve son innocence, en violation directe du principe de présomption d’innocence garanti par l’article 6 §2 CEDH.
3.
Omission d’un élément essentiel à la manifestation de la vérité La confirmation de la transaction par l’agence de change SOCIETE1.) aurait permis de démontrer que Monsieur PERSONNE1.) avait effectué son opération dans un bureau de change réglementé, et qu’il n’avait aucun moyen raisonnable de douter de la provenance des fonds. En écartant cette preuve sans enquête complémentaire, la Cour d’appel a privé le demandeur de son droit à une défense effective, en violation de l’article 6 §3 CEDH.
C.
Conséquences juridiques En ne menant pas une investigation pourtant essentielle et en ne tenant pas compte d’un élément clé à la manifestation de la vérité, la Cour d’appel a rendu une décision fondée uniquement sur les éléments à charge, rompant ainsi l’équilibre du procès et violant le droit du demandeur à un procès équitable.
En statuant ainsi, l’arrêt attaqué a violé les dispositions précitées de l’article 6 de la CEDH, et doit, en conséquence, être cassé et annulé. ».
Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé l’article 6, paragraphes 1 et 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « la Convention ») en l’ayant condamné du chef de blanchiment sans avoir mené « une investigation » au sujet de l’agence de change bulgare et en ayant renversé la charge de la preuve à son détriment en n’ayant pas tenu compte d’un élément essentiel à la manifestation de la vérité, violant ainsi le droit à un procès équitable.
Les juges de première instance avaient retenu « En l’espèce, le Tribunal estime qu’au vu de l’état des billets détenus et déposés par PERSONNE1.) en vue de leur échange contre de nouveaux billets, ainsi que du degré d’études du prévenu, tel qu’il résulte des pièces soumises à l’appréciation du Tribunal, qui semble être un homme intelligent et enseigné, le prévenu ne saurait sérieusement faire croire au Tribunal ne pas s’être douté de l’origine illégale des billets, lesquels, à l’œil nu, auraient dû laisser surgir des doutes dans l’esprit d’un homme normalement prudent. Il semble tout au plus très contradictoire que le prévenu ait retiré de billets détériorés auprès d’un bureau de change sans se poser des questions quant à l’origine, pour les échanger par la suite auprès d’une banque située au Luxembourg contre de nouveaux billets, au vu notamment et justement de leur état détérioré. Or, une légitime et prudente curiosité aurait amené toute personne quelque peu raisonnable à s’interroger a minima sur, au moins, l’authenticité de tels billets, reçus notamment d’un bureau de change en Bulgarie. ».
En retenant « La Cour se rallie encore à la motivation de la juridiction de première instance en ce qui concerne les développements de celle-ci concernant l’élément moral de la prévention de blanchiment-détention.
Il est en effet suffisant qu’il soit établi que le blanchisseur avait conscience de l’origine frauduleuse des fonds et que sur base des données de fait, celui-ci savait, ou aurait dû se douter, que toute provenance légale des fonds était exclue.
En effet, les bords de tous les billets présentés par PERSONNE1.) étaient grignotés » et les pastilles holographiques n’étaient plus visibles. Les billets étaient dès lors dans un état tel, qu’une personne moyennement diligente, nonobstant le taux de change un rien plus avantageux, n’aurait pas accepté de tels billets d’un bureau de change. Il y a en outre lieu d’avoir égard au fait que le prévenu est titulaire d’un diplôme de Bachelor en économie et qu’il travaille dans le domaine de l’analyse financière depuis l’année 2013. », les juges d’appel, qui n’ont pas à ordonner des « investigations » concernant des personnes domiciliées à l’étranger, ont pris en considération la transaction réalisée auprès du bureau de change bulgare et ont pu décider, sans procéder à un renversement de la charge de la preuve, qu’elle n’était pas de nature à innocenter le demandeur en cassation.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l’article 6 §2 de la Convention européenne des droits de l’Homme, garantissant la présomption d’innocence.
4 A.
Principe fondamental violé L’article 6 §2 de la Convention européenne des droits de l’Homme dispose que :
ce que sa culpabilité ait été légalement établie. » En l’espèce, la culpabilité du demandeur n’a pas été légalement établie, alors que des actes essentiels à l’enquête n’ont pas été réalisés.
B.
Carences graves dans l’enquête et renversement de la charge de la preuve L’enquête s’est exclusivement limitée à la détention des billets litigieux par le demandeur sans approfondir l’origine de ces billets, et ce, afin de déterminer si ce dernier était de connivence avec les personnes qui lui avaient remis cette somme.
Pourtant, le requérant a fourni une preuve formelle de la réception de ces billets auprès du bureau de change SOCIETE1.). Dès lors, il incombait aux autorités de poursuite de mener les investigations nécessaires pour établir au-delà de tout doute raisonnable la culpabilité du requérant. Or, cela n’a jamais été fait.
En confirmant la condamnation de première instance malgré l’absence d’une telle instruction sur l’origine des fonds, la Cour d’appel a violé l’article 6 §2 de la CEDH en présumant implicitement la culpabilité du requérant sans preuve suffisante.
C.
Légitimité de la confiance du requérant envers une institution financière agréée La confirmation par le bureau de change SOCIETE1.) que le demandeur avait bien reçu 15 billets de 200 euros usés et endommagés devrait suffire à faire prévaloir la présomption d’innocence dans son chef. En effet, un citoyen lambda peut légitimement faire confiance à une institution financière réglementée pour effectuer des transactions monétaires. Contrairement à un échange d'argent dans un contexte informel ou clandestin, un bureau de change agréé est :
-
soumis à des obligations strictes en matière de conformité et de lutte contre le blanchiment ;
-
est supposé contrôler la légitimité des fonds qu’il échange ;
-
fonctionne sous la supervision des autorités financières compétentes.
En effectuant son échange dans un bureau de change officiel, le requérant a donc pris une décision raisonnable, conforme aux usages d’un consommateur prudent et avisé.
Dès lors, il ne pouvait avoir aucune raison légitime de douter de l’origine des fonds reçus, ni être tenu responsable d’une défaillance hypothétique du bureau de change en matière de contrôle de la provenance des devises qu’il manipule.
5 D.
Présomption de culpabilité et violation manifeste de la présomption d’innocence Le raisonnement de la Cour d’appel revient à imposer une obligation de vigilance excessive et infondée au requérant, en exigeant de lui qu’il se méfie d’une transaction réalisée dans un cadre légal et régulé. Or, la présomption d’innocence ne saurait être écartée que si les éléments suivants étaient établis :
-
le bureau de change SOCIETE1.) était impliqué dans des opérations de blanchiment d’argent;
-
le requérant était conscient de ces activités illicites au moment de la transaction.
Pourtant, aucune de ces deux conditions n’a été démontrée. Le bureau de change SOCIETE1.) n’a jamais été identifié comme une entité suspecte ou impliquée dans des activités illégales. Il s’agit d’une institution parfaitement identifiable, contre laquelle aucune enquête n’a été menée. De plus, Aucune commission rogatoire Internationale n’a été sollicitée pour examiner les conditions dans lesquelles ces billets ont transité par ses bureaux.
En retenant néanmoins que le requérant aurait dû soupçonner l’origine illicite des billets, alors même que l’institution financière qui lui a remis ces fonds n’a jamais été mise en cause, les juges du fond ont inversé la charge de la preuve.
E.
Conséquences juridiques En statuant de la sorte, la Cour d’appel a méconnu les dispositions de l’article 6 §2 de la CEDH, en privant le requérant du bénéfice de la présomption d’innocence et en renversant la charge de la preuve à son détriment. ».
Réponse de la Cour En retenant « Au vu du rapport d’expertise figurant en annexe 10 de la dénonciation de la Banque Centrale du 31 mars 2021 adressée au Procureur d’Etat de Luxembourg, c’est à bon droit que la juridiction de première instance a retenu que les billets remis par PERSONNE1.) à la Banque Centrale en date du 12 août 2019 ont fait l’objet d’un vol aggravé au préjudice de la Banque Centrale de Libye au courant de l’année 2017.
La Cour se rallie encore à la motivation de la juridiction de première instance en ce qui concerne les développements de celle-ci concernant l’élément moral de la prévention de blanchiment-détention.
Il est en effet suffisant qu’il soit établi que le blanchisseur avait conscience de l’origine frauduleuse des fonds et que sur base des données de fait, celui-ci savait, ou aurait dû se douter, que toute provenance légale des fonds était exclue.
6 En effet, les bords de tous les billets présentés par PERSONNE1.) étaient grignotés » et les pastilles holographiques n’étaient plus visibles. Les billets étaient dès lors dans un état tel, qu’une personne moyennement diligente, nonobstant le taux de change un rien plus avantageux, n’aurait pas accepté de tels billets d’un bureau de change. Il y a en outre lieu d’avoir égard au fait que le prévenu est titulaire d’un diplôme de Bachelor en économie et qu’il travaille dans le domaine de l’analyse financière depuis l’année 2013.
L’affirmation de PERSONNE1.) lors de la demande d’échange qu’il aurait ramené les billets litigieux lors de son déménagement de Bulgarie vers le Luxembourg, est contredite par son curriculum vitae duquel il résulte qu’il travaille depuis le mois de septembre 2017 au Luxembourg.
Il en est de même de son affirmation, suivant laquelle il aurait voulu échanger ses billets endommagés contre des nouveaux billets, à la suite d’une publicité annonçant l’émission de nouveaux billets de 100 et 200 euros à partir du 28 mai 2019. Il résulte en effet de la demande d’échange du 12 août 2019 que le produit de l’échange ne serait pas à retirer contre des billets neufs au guichet de la Banque Centrale, mais serait à verser sur le compte bancaire luxembourgeois de PERSONNE1.). », les juges d’appel, eu égard aux éléments de fait leur soumis, ont caractérisé à suffisance de droit l’élément moral dans le chef du demandeur en cassation sans violer la présomption d’innocence ni renverser la charge de la preuve.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation des articles 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, 109 de la Constitution du Grand-
Duché de Luxembourg et 195 du Code d’instruction criminelle, en ce que la Cour d’appel a rendu une décision insuffisamment motivée, ne répondant pas aux arguments déterminants de la défense et omettant une instruction essentielle à la manifestation de la vérité.
A. Principe fondamental de motivation des décisions judiciaires L’article 109 de la Constitution luxembourgeoise dispose que :
L’article 195 du Code d’instruction criminelle précise que :
circonstances constitutives de l’infraction et citera les articles de la loi dont il est fait application sans en reproduire les termes. Dans le dispositif de tout jugement de 7 condamnation seront énoncés les faits dont les personnes citées seront jugées coupables ou responsables, la peine et les condamnations civiles. » Enfin, l’article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) garantit à toute personne le droit à un procès équitable, impliquant une décision dûment motivée et exempte d’arbitraire.
publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. » L’obligation de motivation des jugements constitue une garantie essentielle contre l’arbitraire judiciaire, permettant aux parties de comprendre les raisons de la décision et d’exercer utilement leurs voies de recours.
B. La Cour d’appel a omis de prendre en compte un élément essentiel du dossier En l’espèce, le demandeur en cassation a produit un certificat du bureau de change SOCIETE1.), entité dûment agréée en Bulgarie, confirmant qu’il a reçu les billets litigieux dans le cadre d’une transaction effectuée en toute légalité.
Or, la Cour d’appel a écarté cet élément de preuve dont ni l’authenticité ni la légitimité n’ont été contestés par le parquet. Aucune vérification n’a été effectuée sur le bureau de change en question. En effet ledit SOCIETE1.) n’a jamais été identifié comme suspecte ou coupable par une quelconque autorité ; de plus, aucune enquête ou commission rogatoire internationale n’a été diligentée pour établir si cet établissement était impliqué dans des opérations de blanchiment.
En omettant d’examiner cet élément décisif, la Cour d’appel a rendu une décision arbitraire et insuffisamment motivée, en violation de l’article 6 §1 CEDH et de l’article 195 du Code d’instruction criminelle.
C. La Cour d’appel a méconnu la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme Dans l’arrêt Moreira Ferreira c. Portugal (5 juillet 2011), la Cour européenne des droits de l’Homme a retenu que :
déterminants constitue une erreur judiciaire dont le non-redressement peut porter gravement atteinte à l’équité, à l’intégrité et à la réputation auprès du public des procédures judiciaires. » La Cour a précisé qu’une décision judiciaire peut être qualifiée d’arbitraire :
-
si elle est dépourvue de motivation ;
-
si la motivation est fondée sur une erreur de fait ou de droit manifeste.
8 Or, en l’espèce, la Cour d’appel a ignoré un élément de preuve clé du dossier (le certificat du bureau de change SOCIETE1.)), sans démontrer en quoi il serait inopérant ou contestable. Cette omission constitue une erreur manifeste de droit et de fait, compromettant l’équité du procès.
D. Conséquences juridiques En statuant ainsi, la Cour d’appel a violé les principes fondamentaux de motivation des décisions judiciaires. ».
Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir omis de répondre à ses conclusions en ignorant le certificat du bureau de change bulgare qu’il avait invoqué pour établir qu’il avait reçu les billets litigieux dans le cadre d’une transaction légale.
Le défaut de motifs est un vice de forme. Une décision est régulière en la forme dès qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré.
Il résulte des motifs reproduits à la réponse donnée au deuxième moyen que les juges d’appel, qui ont retenu que la pièce invoquée n’était pas de nature à établir l’innocence du demandeur en cassation, ont motivé leur décision sur le point considéré.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
Sur le quatrième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation des dispositions de l’article 506-1 du Code pénal luxembourgeois, en ce que la Cour d’appel a condamné le demandeur pour blanchiment d’argent sans caractériser l’élément intentionnel requis pour cette infraction, violant ainsi le principe fondamental du droit pénal selon lequel il ne saurait y avoir de crime ou de délit sans intention frauduleuse.
A. L’élément intentionnel est un élément essentiel du blanchiment d’argent L’article 506-1 du Code pénal luxembourgeois dispose que :
1.250 euros à 1.250.000 euros, ou de l’une de ces peines seulement :
Ceux qui ont sciemment facilité par tout moyen la justification mensongère de la nature, de l’origine, de l’emplacement, de la disposition, du mouvement ou de 9 la propriété des biens formant l’objet ou le produit direct ou indirect d’une infraction.
Ceux qui ont sciemment apporté leur concours à une opération de placement, de dissimulation, de déguisement, de transfert ou de conversion de tels biens.
Ceux qui ont acquis, détenu ou utilisé ces biens en sachant, au moment où ils les recevaient, qu’ils provenaient d’une infraction ou de la participation à une infraction. » Il ressort clairement de ce texte que le blanchiment est une infraction intentionnelle, qui ne peut être caractérisée par la seule réalisation matérielle des faits incriminés. La loi impose la connaissance préalable de l’origine frauduleuse des fonds pour caractériser l’infraction. Le législateur insiste sur la notion de dol général, en employant les termes sciemment, à dessein, intentionnellement, ce qui exclut toute condamnation fondée sur de simples présomptions ou conjectures.
En l’espèce, aucun élément du dossier répressif ne permet d’établir que le demandeur en cassation avait connaissance de l’origine illicite des billets.
B. L’absence totale de preuve de l’intention frauduleuse du demandeur En l’espèce, la Cour d’appel a condamné le demandeur sur la base d’éléments subjectifs et d’une appréciation arbitraire, sans prouver son intention frauduleuse.
Or il est contant que le demandeur a effectué la transaction auprès d’un bureau de change agréé en l’occurrence l’agence SOCIETE1.), une institution financière régulièrement agréée en Bulgarie, soumise aux obligations prudentielles et aux règles strictes en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. Ce bureau de change opère depuis plus de 30 ans et continue d’exercer ses activités à ce jour, sans qu’aucune accusation de blanchiment ne soit portée contre lui. Le certificat du bureau de change établit que le demandeur en cassation a reçu les billets litigieux dans le cadre d’une transaction légitime.
Or, ni les juges de première instance ni ceux de la Cour d’appel n’ont enquêté sur la responsabilité de ce bureau, alors même qu’il s’agit d’un élément déterminant pour établir la bonne foi du requérant. Aucune commission rogatoire n’a été diligentée pour vérifier si cet établissement était impliqué dans des activités illicites.
C. Une condamnation fondée sur des présomptions et non sur des preuves La Cour d’appel a fondé sa décision sur une appréciation subjective et non sur des preuves concrètes, en retenant que :
prévenu, il ne saurait sérieusement faire croire qu’il ne s’est pas douté de l’origine illicite des fonds. » 10 La Cour se base ici sur une simple supposition qui ne caractérise pas suffisamment l’élément moral. Elle estime que le demandeur aurait dû se poser des questions sur l’origine des billets, en raison de leur état physique. Elle considère que son niveau d’instruction et son métier devraient lui conférer une capacité accrue à détecter une fraude.
Or, le droit pénal ne punit pas la négligence ou le manque de vigilance, mais exige la preuve d’une intention frauduleuse. La Cour a ainsi méconnu le principe selon lequel une infraction de blanchiment ne peut être caractérisée par de simples présomptions (Arrêt du 25 novembre 2020, n° 396/20/ Not.255/10/CD : Le blanchiment ne peut être commis par négligence. La seule détention de fonds litigieux ne suffit pas à établir l’élément intentionnel du blanchiment.) D. Une décision en contradiction avec la jurisprudence et la législation La Cour européenne des droits de l’Homme a régulièrement rappelé que :
non sur de simples présomptions. » (Moreira Ferreira c. Portugal, 5 juillet 2011) La Cour d’appel a renversé la charge de la preuve en exigeant du requérant qu’il démontre qu’il ignorait l’origine illicite des fonds. Or, en matière pénale, c’est au ministère public d’apporter la preuve de la culpabilité et non au prévenu de prouver son innocence.
En condamnant le demandeur sur la base de simples présomptions, la Cour d’appel a violé les principes fondamentaux du droit pénal et les exigences de l’article 506-1 du Code pénal.
L’accusation devait démontrer que le demandeur savait ou aurait dû savoir que les billets litigieux avaient une origine criminelle. Or, la Cour d’appel n’apporte aucune preuve décisive de cette connaissance, se fondant uniquement sur L’état dégradé des billets et les incohérences supposées dans les déclarations du requérant.
Ces éléments sont insuffisants pour établir que le demandeur en cassation savait l’origine frauduleuse des fonds, en l’absence d’une instruction sérieuse sur l’entité ayant fourni les billets au demandeur en question Le requérant a agi en toute transparence en réalisant l’échange dans un bureau de change agréé. Dans ces conditions, il était légitimement en droit de se fier à cette institution, et il appartenait à l’accusation de prouver le contraire.
En retenant néanmoins que le requérant aurait dû suspecter l’origine frauduleuse des billets sans preuve tangible, la Cour d’appel a violé le texte de loi précité.
11 E. Conséquences juridiques En statuant ainsi, la Cour d’appel a écarté sans justification un élément de preuve déterminant (la lettre de confirmation du bureau de change) et condamné le demandeur sur la base de simples présomptions et non de preuves tangibles ;
Elle a ainsi méconnu l’exigence de l’élément intentionnel requis pour caractériser le blanchiment d’argent. ».
Réponse de la Cour Sous le couvert de la violation de la disposition visée au moyen, celui-ci ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, des faits et éléments de preuve leur soumis qui les ont amenés à retenir, dans le chef du demandeur en cassation, l’élément intentionnel de l’infraction de blanchiment, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.
Il s’ensuit que le moyen ne saurait être accueilli.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;
condamne le demandeur en cassation aux frais de l’instance en cassation, ceux exposés par le Ministère public étant liquidés à 5,25 euros.
Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, douze juin deux mille vingt-cinq, à la Cité judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :
Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, président, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Gilles HERMMANN, conseiller à la Cour de cassation, qui, à l’exception du conseiller Marie-Laure MEYER, qui se trouvait dans l’impossibilité de signer, ont signé le présent arrêt avec le greffier à la Cour Daniel SCHROEDER.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Agnès ZAGO en présence du premier avocat général Monique SCHMITZ et du greffier Daniel SCHROEDER.
Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) en présence du Ministère Public N° CAS-2025-00019 du registre Par déclaration faite le 10 février 2025 au greffe de la Cour Supérieure de Justice, Maître Katrin DJABER, avocat à la Cour, a formé pour et au nom de PERSONNE1.) un recours en cassation contre l’arrêt N°1/25 X rendu le 08 janvier 2025 par la Cour d’appel, dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle.
Aux termes de l’article 41 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation le délai pour se pourvoir en cassation est d’un mois.
Ce délai a donc théoriquement expiré le 08 février 2025.
Comme le 08 février 2025 était un samedi, le recours déclaré le lundi 10 février 2025, premier jour ouvrable suivant, l’a partant été dans le délai légal.
Cette déclaration de recours a été suivie le même jour par le dépôt du mémoire en cassation prévu à l’article 43 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.
Le pourvoi en cassation est partant recevable pour avoir été introduit dans les forme et délai de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.
Faits et rétroactes Par jugement numéro 1473/2024 rendu en date du 27 juin 2024 par le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, septième chambre, siégeant en matière correctionnelle, statuant contradictoirement, le demandeur en cassation, prévenu, et son mandataire, entendus en leurs explications et moyens de défense et le représentant du ministère public entendu en ses réquisitions, le demandeur en cassation a été condamné à une peine d’emprisonnement de six mois assortie d’unsursis à l’exécution et à une amende de 4.000.- EUR du chef d’infraction aux articles 506 – 1 (1), 506 – 1 (2) et 506 – 1 (3) du code pénal.
La confiscation de la somme de 3.000.- EUR répartis en 15 billets de 200.- EUR a encore été prononcée.
Le demandeur en cassation a interjeté appel contre ce jugement par déclaration au greffe en date du 16 juillet 2024 suivi par un appel du ministère public à son encontre en date du 19 juillet 2024.
Suite à ces appels, la Cour d’appel, dixième chambre, siégeant en matière correctionnelle, statuant contradictoirement, le demandeur en cassation entendu en ses moyens d’appel et de défense et le représentant du ministère public en son réquisitoire, a, par arrêt numéro 1/25 X. rendu en date du 08 janvier 2025, dit l’appel du demandeur en cassation partiellement fondé en ce que le jugement avait retenu une opération de conversion alors qu’il ne s’agissait que d’une tentative de conversion et confirmé le jugement entrepris pour le surplus.
Le pourvoi est dirigé contre cet arrêt.
Quant au premier moyen de cassation :
tiré de la « violation, sinon de la fausse application, sinon fausse interprétation de l’article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) quant au droit à un procès équitable ».
A lire le mémoire en cassation le demandeur en cassation, sous ce premier moyen, vise plus particulièrement les §1 et 3 de cet article 6.
Ainsi, le droit à un procès équitable aurait-il été violé à la fois par l’absence d’enquête sur le bureau de change SOCIETE1.), par un renversement de la charge de la preuve au détriment du demandeur et par l’omission d’un élément essentiel à la manifestation de la vérité.
1) Quant à l’absence d’enquête sur le bureau de change SOCIETE1.) A bien comprendre le demandeur en cassation, celui-ci reproche actuellement à l’arrêt entrepris de ne pas avoir, d’office, ordonné une enquête à charge du bureau de change SOCIETE1.) situé sur le territoire de la Bulgarie.
Abstraction faite que le demandeur en cassation n’a pas demandé une telle démarche en nstance d’appel mais s’est limité dans sa note de plaidoiries à soulever la question « pourquoi le bureau de change n’a-t-il pas été investigué pendant 15 l’enquête »1, il n’appartient pas aux juridictions de jugement de décider de l’opportunité ou non d’engager des poursuites contre qui que ce soit ; cette opportunité revenant au ministère public ainsi que, dans une mesure plus limitée, aux juridictions d’instruction.
Même en admettant une telle possibilité théorique, une telle enquête se serait heurtée très probablement à l’incompétence territoriale (sauf à établir le concert formé à l’avance de procéder à l’échange au Luxembourg au sens de l’article 26-1 du code de procédure pénale).
Par ailleurs on voit mal l’incidence d’une telle enquête sur la culpabilité du demandeur en cassation.
2) Quant au renversement de la charge de la preuve Le renversement de la charge de la preuve constitue tout au plus2 une violation de l’article 6 §2 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Cette disposition n’est pas visée au premier moyen mais fait l’objet du deuxième moyen qui sera analysée ci-après.
Pour les motifs qui sont plus amplement détaillés sous ce deuxième moyen il n’y a pas eu renversement de la charge de la preuve.
3) Quant à l’omission d’un élément essentiel à la manifestation de la vérité Le demandeur en cassation fait valoir qu’en écartant une preuve, à savoir la confirmation de la transaction par l’agence de change SOCIETE1.), la décision entreprise l’aurait privé de son droit à une défense effective.
Or, cette critique du demandeur en cassation provient d’une lecture erronée de l’arrêt soumis à Votre Cour.
En effet il est de jurisprudence constante que notre système juridique, en matière répressive, est basé sur le système de la libre appréciation des différents éléments de preuve lui soumis par le juge.
1 Pièce 3 versée par le demandeur en cassation (Note de plaidoiries déposée à la Cour d’appel), page 7 2 L’article 6 §2 de la CEDH exige que la culpabilité soit légalement établie mais n’exclut pas ipso facto le recours à toute sorte de présomption Il résulte de l’arrêt entrepris que :
« La Cour se rallie encore à la motivation de la juridiction de première instance en ce qui concerne les développements de celle-ci concernant l’élément moral de la prévention de blanchiment-détention. »3.
Les premiers juges ont quant à eux expressément retenu que :
« En l’espèce, le Tribunal estime qu’au vu de l’état des billets détenus et déposés par PERSONNE1.) en vue de leur échange contre de nouveaux billets, ainsi que du degré d’études du prévenu, tel qu’il résulte des pièces soumises à l’appréciation du Tribunal, qui semble être un homme intelligent et enseigné, le prévenu ne saurait sérieusement faire croire au Tribunal ne pas s’être douté de l’origine illégale des billets, lesquels, à l’œil nu, auraient dû laisser surgir des doutes dans l’esprit d’un homme normalement prudent. Il semble tout au plus très contradictoire que le prévenu ait retiré de billets détériorés auprès d’un bureau de change sans se poser des questions quant à l’origine,4 pour les échanger par la suite auprès d’une banque située au Luxembourg contre de nouveaux billets, au vu notamment et justement de leur état détérioré.
Or, une légitime et prudente curiosité aurait amené toute personne quelque peu raisonnable à s’interroger a minima sur, au moins, l’authenticité de tels billets, reçus notamment d’un bureau de change en Bulgarie5. »6.
La Cour a encore ajouté que :
« Les billets étaient dès lors dans un état tel, qu’une personne moyennement diligente, nonobstant le taux de change un rien plus avantageux, n’aurait pas accepté de tels billets d’un bureau de change. »7.
La Cour a donc pris en compte la transaction avec le bureau de change mais a estimé que celle-ci n’était, compte tenu des autres éléments de preuve, pas de nature à innocenter le demandeur en cassation.
Le premier moyen en cassation est par voie de conséquence à rejeter.
3 Arrêt entrepris, page 17 4 Mise en évidence ajoutée 5 Mise en évidence ajoutée 6 Jugement de première instance, repris dans l’arrêt entrepris, page 8 7 Arrêt entrepris, page 17Quant au deuxième moyen de cassation :
tiré de la « violation de l’article 6§2 de la Convention européenne des droits de l’Homme, garantissant la présomption d’innocence ».
Le demandeur en cassation reproche par son deuxième moyen à l’arrêt entrepris de ne pas avoir fait d’enquête sur l’origine des fonds et que le demandeur en cassation, « un citoyen lambda » pouvait valablement faire confiance à un bureau de change.
L’arrêt entrepris aurait ainsi présumé implicitement la culpabilité du requérant.
Ce deuxième moyen, à l’instar du premier, est cependant à rejeter.
En effet la Cour a retenu que :
« Au vu du rapport d’expertise figurant en annexe 10 de la dénonciation de la Banque Centrale du 31 mars 2021 adressée au Procureur d’Etat de Luxembourg, c’est à bon droit que la juridiction de première instance a retenu que les billets remis par PERSONNE1.) à la Banque Centrale en date du 12 août 2019 ont fait l’objet d’un vol aggravé au préjudice de la Banque Centrale de Lybie au courant de l’année 2017 »8.
Ce faisant la Cour a donc analysée l’origine des fonds dépassant même l’origine intermédiaire du bureau de change9.
Pour ce qui est du «citoyen lambda » l’arrêt entrepris retient d’une part que le demandeur en cassation « a en outre lieu d’avoir égard au fait que le prévenu est titulaire d’un diplôme de Bachelor en économie et qu’il travaille dans le domaine de l’analyse financière depuis l’année 2013 »10, de sorte qu’il ne peut certainement pas être considéré comme citoyen lambda et d’autre part que : « tous les billets présentés par PERSONNE1.) étaient « grignotés » et les pastilles holographiques n’étaient plus visibles. Les billets étaient dès lors dans un état tel, qu’une personne moyennement diligente1112, nonobstant le taux de change un rien plus avantageux, n’aurait pas accepté de tels billets d’un bureau de change »13.
8 Arrêt entrepris, page 17 9 Le Cour a admis, de même que le Ministère public que les billets ont été remis au demandeur en cassation par un bureau de change en Bulgarie encore que les pièces fournies (et soumises à Votre Cour) n’établissent pas avec certitude que les billets en cause sont bien les billets remis par le bureau de change.
10 Arrêt entrepris, page 17 11 Mise en évidence ajoutée 12 Donc, en les termes du demandeur en cassation, un citoyen lambda 13 Arrêt entrepris, page 17 Dans un souci de complétude il y a lieu de mentionner que l’arrêt entrepris rajoute encore un certain nombre d’éléments qui, bien que postérieures à la réception des billets, ont mis sérieusement à mal la position du demandeur en cassation.
Ainsi « L’affirmation de PERSONNE1.) lors de la demande d’échange qu’il aurait ramené les billets litigieux lors de son déménagement de Bulgarie vers le Luxembourg, est contredite par son curriculum vitae duquel il résulte qu’il travaille depuis le mois de septembre 2017 au Luxembourg.
Il en est de même de son affirmation, suivant laquelle il aurait voulu échanger ses billets endommagés contre des nouveaux billets, à la suite d’une publicité annonçant l’émission de nouveaux billets de 100 et 200 euros à partir du 28 mai 2019. Il résulte en effet de la demande d’échange du 12 août 2019 que le produit de l’échange ne serait pas à retirer contre des billets neufs au guichet de la Banque Centrale, mais serait à verser sur le compte bancaire luxembourgeois de PERSONNE1.) »14.
Le deuxième moyen provient donc encore d’une lecture erronée de l’arrêt entrepris qui n’a pas présumé une culpabilité du demandeur en cassation mais a développé celle-ci en conformité de la loi par rapport aux éléments du dossier soumis au débat.
Quant au troisième moyen de cassation :
tiré de la « violation des articles 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, 109 de la Constitution du Grand-Duché de Luxembourg et 195 du Code d’instruction criminelle, en ce que la Cour d’appel a rendu une décision insuffisamment motivée, ne répondant pas aux arguments déterminants de la défense et omettant une instruction essentielle à la manifestation de la vérité ».
Les articles 109 de la Constitution, 195 du code d’instruction criminelle et sous cet angle également l’article 6§1 sont relatives à la motivation des jugements.
Or le défaut de motivation est un vice formel.
Votre Cour a décidé qu’ « Une décision est régulière en forme dès lors qu’elle comporte une motivation, expresse ou implicite, sur le point considéré »15.
L’appréciation erronée des faits, la motivation incomplète ou erronée, à les supposer établis serait à cet égard inopérante.
14 Arrêt entrepris, page 17 15 A titre d’exemple: Cass., 10.02.2022, n°19/2022, n° du registre CAS-
2021-00027Par ailleurs les juges du fond ne doivent répondre qu’aux moyens péremptoires, donc « celui qui est de nature à influer sur la solution du litige. » 16 La motivation peut par ailleurs être indirecte ou implicite17.
Le demandeur en cassation reproche plus particulièrement à la décision entreprise de ne pas avoir répondu au moyen que les billets provenaient d’un bureau de change légalement admis qui aurait certifié que les billets provenaient d’une transaction effectuée en toute légalité.
Abstraction faite que la pièce litigieuse18 ne dit pas que les billets proviennent d’une transaction légale mais se limite à dire qu’ils proviennent d’une transaction19 qui par définition peut être légale ou illégale l’arrêt entrepris contient la motivation suivante : « les bords de tous les billets présentés par PERSONNE1.) étaient « grignotés » et les pastilles holographiques n’étaient plus visibles. Les billets étaient dès lors dans un état tel, qu’une personne moyennement diligente, nonobstant le taux de change un rien plus avantageux, n’aurait pas accepté de tels billets d’un bureau de change »20.
La Cour s’est encore ralliée21 à la motivation des premiers juges qui ont retenu à cet égard : « le Tribunal estime qu’au vu de l’état des billets détenus et déposés par PERSONNE1.) en vue de leur échange contre de nouveaux billets, ainsi que du degré d’études du prévenu, tel qu’il résulte des pièces soumises à l’appréciation du Tribunal, qui semble être un homme intelligent et enseigné, le prévenu ne saurait sérieusement faire croire au Tribunal ne pas s’être douté de l’origine illégale des billets, lesquels, à l’œil nu, auraient dû laisser surgir des doutes dans l’esprit d’un homme normalement prudent. Il semble tout au plus très contradictoire que le prévenu ait retiré de billets détériorés auprès d’un bureau de change sans se poser des questions quant à l’origine22, pour les échanger par la suite auprès d’une banque située au Luxembourg contre de nouveaux billets, au vu notamment et justement de leur état détérioré »23.
16 J. et L. BORE, La cassation en matière pénale, 5ème édition, 2025/2026, n°82.42 17 Idem, n°82.55 18 Il s’agit de la pièce n°6 versée par le demandeur en cassation 19 La pièce utilise le terme de « trading activity » 20 Arrêt entrepris, page 17 21 Voir arrêt entrepris, page 17, 5ème alinéa 22 L’opération d’échange en Bulgarie a eue lieu le 06 mars 2019 et le certificat dont question dans ce moyen que le 26 août 2019 ; le certificat n’établit donc pas que le demandeur en cassation ait posé des questions au moment de la réception des billets détériorés 23 Jugement de première instance, repris dans l’arrêt entrepris, page 8Il résulte de ces développements que la pièce n’était pas de nature à influer sur la solution du litige. En outre l’arrêt entrepris, par les motifs cités, a, au moins implicitement, écarté le contenu de ce certificat.
Le troisième moyen de cassation est partant encore à rejeter.
Quant au quatrième moyen de cassation :
tiré de « la violation des dispositions de l’article 506-1 du Code pénal luxembourgeois, en ce que la Cour d’appel a condamné le demandeur pour blanchiment d’argent sans caractériser l’élément intentionnel requis pour cette infraction, violant ainsi le principe fondamental du droit pénal selon lequel il ne saurait y avoir de crime ou de délit sans intention frauduleuse.
Le demandeur en cassation reproche ainsi à l’arrêt entrepris d’avoir « renversé la charge de la preuve en exigeant du requérant qu’il démontre qu’il ignorait l’origine illicite des fonds. Or en matière pénale, c’est au ministère public d’apporter la preuve de la culpabilité et non au prévenu de prouver son innocence »24 et encore que « L’accusation devait démontrer que le demandeur savait ou aurait dû savoir que les billets litigieux avaient une origine criminelle »25.
Ainsi compris le moyen est à rejeter alors qu’il est basé sur une lecture erronée de la décision entreprise, la Cour ayant motivée l’élément moral comme suit :
« La Cour se rallie encore à la motivation de la juridiction de première instance en ce qui concerne les développements de celle-ci concernant l’élément moral de la prévention de blanchiment-détention.
Il est en effet suffisant qu’il soit établi que le blanchisseur avait conscience de l’origine frauduleuse des fonds et que sur base des données de fait, celui-ci savait, ou aurait dû se douter, que toute provenance légale des fonds était exclue.
En effet, les bords de tous les billets présentés par PERSONNE1.) étaient « grignotés » et les pastilles holographiques n’étaient plus visibles. Les billets étaient dès lors dans un état tel, qu’une personne moyennement diligente, nonobstant le taux de change un rien plus avantageux, n’aurait pas accepté de tels billets d’un bureau de change. Il y a en outre lieu d’avoir égard au fait que le prévenu est titulaire d’un diplôme de Bachelor en économie et qu’il travaille dans le domaine de l’analyse financière depuis l’année 2013.
L’affirmation de PERSONNE1.) lors de la demande d’échange qu’il aurait ramené les billets litigieux lors de son déménagement de Bulgarie vers le Luxembourg, est 24 Mémoire en cassation, page 9 25 Idem contredite par son curriculum vitae duquel il résulte qu’il travaille depuis le mois de septembre 2017 au Luxembourg.
Il en est de même de son affirmation, suivant laquelle il aurait voulu échanger ses billets endommagés contre des nouveaux billets, à la suite d’une publicité annonçant l’émission de nouveaux billets de 100 et 200 euros à partir du 28 mai 2019. Il résulte en effet de la demande d’échange du 12 août 2019 que le produit de l’échange ne serait pas à retirer contre des billets neufs au guichet de la Banque Centrale, mais serait à verser sur le compte bancaire luxembourgeois de PERSONNE1.).
Il en résulte dès lors que c’est à bon droit et pour de justes motifs que la juridiction de première instance a retenu PERSONNE1.) dans les liens de l’infraction à l’article 506-1 3) du Code pénal »26.
Les premiers juges, auquel l’arrêt entrepris renvoie, quant à eux ont retenu ce qui suit :
« Toute infraction comporte, outre un élément matériel, un élément moral.
Le blanchiment est une infraction intentionnelle. L’intention suppose chez l’agent la conscience et la volonté infractionnelle.
La loi peut mentionner expressément l’élément moral de l’infraction en employant des termes comme « sciemment, à dessein, intentionnellement ». Ces expressions sont cependant surabondantes car elles n’ajoutent rien à la notion de dol général.
L’emploi du terme « sciemment » ne conduit pas à subordonner ces infractions à la preuve d’un dol spécial (Cour 8 décembre 2010 n°492/10 X).
La preuve de l’élément moral de l’infraction de blanchiment résulte de toutes les circonstances de fait qui doivent nécessairement éveiller la méfiance de celui qui prend possession des choses et qui constituent des présomptions suffisamment graves, précises et concordantes pour conclure à l’existence de l’élément de connaissance. La connaissance par la personne poursuivie de l’origine illicite des fonds s’apprécie au moment de la réalisation de l’infraction.
Quant au degré de connaissance requise du blanchisseur, il suffit pour caractériser l’infraction de blanchiment, d’établir que son auteur avait conscience de l’origine frauduleuse des fonds et non de la nature exacte des infractions d’origine. Il n’est pas nécessaire que l’infraction primaire puisse être identifiée avec précision. Il suffit de savoir ou de se douter, sur la base des données de fait, que toute 26 Arrêt entrepris, page 17provenance légale des fonds puisse être exclue (Cour, 14 mai 2019, arrêt N° 173/19 V).
En l’espèce, le Tribunal estime qu’au vu de l’état des billets détenus et déposés par PERSONNE1.) en vue de leur échange contre de nouveaux billets, ainsi que du degré d’études du prévenu, tel qu’il résulte des pièces soumises à l’appréciation du Tribunal, qui semble être un homme intelligent et enseigné, le prévenu ne saurait sérieusement faire croire au Tribunal ne pas s’être douté de l’origine illégale des billets, lesquels, à l’œil nu, auraient dû laisser surgir des doutes dans l’esprit d’un homme normalement prudent. Il semble tout au plus très contradictoire que le prévenu ait retiré de billets détériorés auprès d’un bureau de change sans se poser des questions quant à l’origine, pour les échanger par la suite auprès d’une banque située au Luxembourg contre de nouveaux billets, au vu notamment et justement de leur état détérioré.
Or, une légitime et prudente curiosité aurait amené toute personne quelque peu raisonnable à s’interroger a minima sur, au moins, l’authenticité de tels billets, reçus notamment d’un bureau de change en Bulgarie.
Les dénégations de PERSONNE1.) quant à sa mauvaise foi apparaissent d’autant moins crédibles au vu de ses compétences universitaires en matière de finance.
Le Tribunal estime que tout son comportement, ensemble sa version des faits peu crédible et d’ailleurs contredite par les conclusions de l’expertise, selon laquelle les billets se seraient endommagés en raison du transport dans son portemonnaie, portent à croire non seulement que le prévenu ne s’est pas seulement douté de l’origine des billets, mais qu’il avait parfaitement conscience que les billets déposés à la Banque Centrale de Luxembourg constituaient « le produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit ». »27.
Une autre lecture du moyen permettrait éventuellement de considérer que le requérant conteste que la Cour ait pu valablement considérer que le demandeur en cassation « savait ou aurait dû se douter, que toute provenance légale des fonds était exclue »28.
A la connaissance du soussigné Votre Cour n’a encore jamais dû se prononcer sur l’élément moral requis par l’article 506 -1 du Code pénal.
Par contre la Cour de Cassation française a tranché que l’infraction de blanchiment peut être retenue si l’agent ne pouvait raisonnablement ignorer l’origine frauduleuse des fonds29.
27 Jugement de première instance, repris dans l’arrêt entrepris, page 8 28 Arrêt entrepris, page 17 29 Cass. fr., crim., 26 octobre 2016, 15-84552, 1er moyenLa même Cour a encore retenu que « il suffit, pour caractériser l'infraction de blanchiment, d'établir que son auteur avait conscience de l'origine frauduleuse des fonds et non de la nature exacte des infractions d'origine, la cour d'appel a justifié sa décision »30.
Il est certes exact que le texte français incriminant le blanchiment31 se distingue du texte luxembourgeois par deux éléments essentiels à savoir que le texte français ne connaît pas de liste d’infractions (dites primaires) et qu’il prévoit une présomption que les biens ou les revenus sont « le produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l’opération de placement, de dissimulation ou de conversion ne peuvent avoir d’autre justification que de dissimuler l’origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus »32.
Cette présomption française est cependant étrangère aux arrêts cités ci-avant de sorte que la seule différence restante est celle de la liste des infractions dites primaires.
De même Votre homologue belge a retenu qu’ : « Il est à tout le moins requis mais suffisant pour établir la culpabilité du chef d’une des infractions de blanchiment prévues à l’article 505, alinéa 1er , 2°, 3° et 4°, du Code pénal, que l’auteur des actes ait eu connaissance ou ait dû avoir connaissance de la provenance délictueuse ou de l’origine illicite des choses visées à l’article 42, 3°, du Code pénal, sans qu’il ait toujours dû en connaître précisément l’origine ou la provenance, à la condition qu’il ait dû savoir dans les circonstances de fait dans lesquelles il a exécuté les actes que les choses ne pouvaient avoir qu’une provenance délictueuse ou une origine illicite »33.
Il est encore vrai que le texte belge incriminant le blanchiment34, à savoir l’article 505 du code pénal belge, ne prévoit pas non plus de liste d’infractions primaires mais s’applique, à l’instar, du droit français, à tout crime ou délit.
On peut admettre qu’historiquement cela était une importance de taille, le droit luxembourgeois n’incriminant le blanchiment que pour un nombre limité d’infractions primaires35.
30 Cass. Fr. Crim, 18 janvier 2017, 15-84.003 31 Voir les articles 324-1 et suivants du Code pénal français 32 Article 324-1-1 du code penal français 33 Cass. belge, 19 septembre 2006, n° RG P.06.0608.N, Pas. Belge, 2006, n°425, p.1798 34 En Belgique le blanchiment est une forme de recel 35 Depuis son introduction en 1998 la liste prévue à l’article 506-1 s’est continuellement élargie. Afin d’être complet il échet encore de mentionner que le blanchiment en matière de toxicomanie n’est prévu non pas par l’article 506-1 du code pénal mais par l’article 8-1 de la Loi modifiée du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanieActuellement cependant la liste est devenue tellement longue qu’elle recouvre la quasi-intégralité36 des infractions pénales susceptibles de générer des avoirs.
Aucun élément du dossier, ni affirmation du demandeur en cassation, ne révèle par ailleurs un quelconque indice que le requérant ait pu croire à une origine illicite mais non visée par l’article 506-1 du code pénal.
La jurisprudence de Vos homologues français et belges est donc parfaitement transposable au Luxembourg au cas d’espèce.
En outre, bien que postérieur aux faits de la présente espèce,37 le législateur a encore, par une modification du texte de l’article 506-838, précisé qu’il n’est pas « nécessaire d’établir tous les éléments factuels ou toutes les circonstances propres à cette infraction primaire ».
L’intention du législateur de 2021 n’était pas d’introduire une nouvelle exigence alléguée mais « de clarifier qu’il n’est pas nécessaire, aux fins d’obtenir une condamnation pour infraction de blanchiment, que tous les éléments factuels ou toutes les circonstances propres à cette infraction primaire, en ce compris l’identité de l’auteur soient établis »39.
Même sous cette deuxième lecture le soussigné considère par voie de conséquence que le quatrième moyen est ainsi à rejeter.
Conclusion Le pourvoi est recevable.
Les quatre moyens de cassations sont cependant à rejeter.
Pour le Procureur général d’Etat, Le premier avocat général, Marc SCHILTZ 36 La liste ne couvrant ainsi notamment pas la tromperie visée à l’article 498 du Code pénal, le cel frauduleux prévu à l’article 508 du code pénal ainsi que la fraude fiscale dite simple qui ne constitue cependant pas d’infraction pénale 37 Les faits ont eu lieu en été 2019 38 Introduit par une loi du 17 décembre 2021 39 Projet de loi n°7533, Exposé des motifs, page 10 25