Les ouvrières effectuant à domicile des travaux de couture, de retouche et de tricotage, sinon exclusivement du moins en majeure partie pour compte d'une firme déterminée, sont à considérer comme salariées. Leur état de subordination économique, s'il est moins direct et incisif que pour les ouvriers travaillant dans l'entreprise même, est en effet suffisamment réel pour leur conférer ce statut.
REMARQUE: Par arrêt du 12 janvier 1977 le Conseil supérieur des Assurances sociales a déclaré l'appel irrecevable defectu summae
Cour de Cassation du 16 novembre 1965. N° 206.
Attendu que par requête déposée au greffe du Conseil arbitral des assurances sociales le 11 juin 1959, Maître Aloyse Weirich, avocat-avoué à Luxembourg, agissant en sa qualité de mandataire de la firme "Maison Moderne" établie à Luxembourg-Ville, représentée par a) la dame T. Ermann, veuve de feu L. Cohen, commerçante, demeurant à Luxembourg, b) le sieur F.Brahms, commerçant, demeurant à Luxembourg, s'est régulièrement pourvu contre une décision du comité directeur de l'Association d'assurance contre les accidents, section industrielle, du 8 juin 1959, par laquelle l'Association défenderesse entend réclamer à la requérante une créance de cotisations de 7.983.- Fr du fait de l'occupation d'un certain nombre de personnes qui avaient été chargées d'effectuer à domicile des travaux de couture, de retouche et de tricotage pour le compte de la firme préqualifiée;
Attendu que la décision querellée prend appui sur les articles 85
et 93
du Code des assurances sociales pour conclure à l'assujettissement des couturières engagées durant les années 1948 à 1956 à l'assurance-accidents, section industrielle;
Attendu que le bien-fondé de la thèse soutenue par l'association d'assurance est tributaire de la question de savoir, si les versements effectués au profit des ouvrières à domicile ont le caractère de salaire au sens de la législation sociale ou sont à considérer comme frais généraux d'essence différente;
Attendu que la solution à cette question dépend de la nature des relations juridiques ayant existé entre la firme requérante et les ouvrières, dont s'agit;
Attendu que le mandataire de la partie demanderesse soutient que les conditions de travail des ouvrières à domicile diffèrent foncièrement de celles qui constituent les éléments essentiels du contrat de travail, dès lors que ces ouvrières ne seraient pas astreintes à des heures de travail régulières, qu' elles ne se trouveraient pas placées sous le contrôle et l'autorité directe de l'employeur, qu'elles jouiraient donc en fait d'une indépendance personnelle très large qui leur conférerait le caractère de travailleurs indépendants et serait obstative à la qualité de salarié;
Attendu que le représentant de l'Assurance défenderesse maintient le point de vue du comité directeur et conclut à la confirmation de la décision attaquée;
Attendu que les éléments de la cause révèlent qu'au cours de la période de 1948 à 1956, la firme " Maison Moderne " a confié à un certain nombre de personnes des travaux de couture, de retouche et de tricotage, auxquelles elle a versé des indemnités d'un montant global de 964.036.- Fr; que les ouvriéres, dont s'agit, ont effectué ces travaux à leur propre domicile et furent rémunérées à la tâche; que cette rémunération correspondait à un salaire horaire moyen de respectivement 18.- et 20.- Fr; que le montant liquidé au profit des couturières comprenait un forfait de 5 % pour frais d'éclairage et d'amortissement de la machine à coudre utilisée par elles;
Attendu qu' il s'agit d'examiner si les circonstances de fait sus-énoncées permettent de conclure à l'existence d'un lien de subordination suffisamment caractérisé pour conférer aux personnes engagées la qualité de salariées au regard de la firme requérante;
Attendu qu'en admettant même que les ouvrières étaient libres d'organiser leur travail suivant leurs convenances, qu'elles n'étaient pas soumises à un contrôle patronal direct, toujours est-il que l'autorité patronale pouvait se manifester sous forme de directives sur la façon de travailler, par la fixation de délais pour la livraison, par le refus de réceptionner l'ouvrage en cas de malfaçon ou en refusant d'occuper telle ou telle ouvrière à l'avenir si son travail ne donnait pas satisfaction; que cet état de sujétion de la personne économiquement la plus faible dans les relations de droit existant entre parties, s'il est moins direct et incisif que pour les ouvriers travaillant dans l'entreprise patronale, est néanmoins réel et suffisant pour conférer aux ouvrières la qualité de salariées soumises aux assurances sociales;
Attendu que toutes les personnes occupées sont de modeste condition sociale, qui ne disposent pas d'un matériel important ou de personnel suffisant, qui leur aurait permis de travailler simultanément et sur une plus vaste échelle pour plusieurs employeurs; que durant les périodes d'occupation, dont s'agit, elles ont sinon uniquement du moins en majeure partie travaillé pour le compte de la partie demanderesse;
Attendu, en outre, qu'aucune des personnes engagées n'est détentrice de la carte artisanale et n'était donc pas habilitée juridiquement à s'établir à son compte personnel; que, d'autre part, toutes les matières premières utilisées furent fournies par l'employeur, ce qui permet d'écarter, en l'occurrence, la notion du contrat d'entreprise;
Attendu qu'il suit de ces considérations que les indemnités versées aux couturières en contrepartie du travail effectué ont le caractère d'un véritable salaire, qui, suivant l'article 141
du Code des assurances sociales donne lieu à une créance de cotisation au profit de l'Assurance défenderesse sur le montant global des salaires versés;
Par ces motifs,
le Conseil arbitral, statuant publiquement et contradictoirement, rejetant toutes conclusions plus amples ou contraires comme non fondées, réçoit le recours en la forme seulement; au fond le déclare non justifié et confirme la décision attaquée.