N° 34 / 2024 du 29.02.2024 Numéro CAS-2023-00065 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-neuf février deux mille vingt-quatre.
Composition:
Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, président, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.
Entre PERSONNE1.), demeurant à F-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par Maître Laurent HEISTEN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et PERSONNE2.), avocat à la Cour, demeurant professionnellement à L-
ADRESSE2.), défendeur en cassation, comparant par Maître Catia DOS SANTOS, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu.
Vu le jugement attaqué, numéro 2023TALCH03/00060, rendu le 14 mars 2023 sous le numéro TAL-2022-08715 du rôle par le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, troisième chambre, siégeant en matière civile et en instance d’appel ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 2 mai 2023 par PERSONNE1.) à PERSONNE2.), déposé le 5 mai 2023 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 27 juin 2023 par PERSONNE2.) à PERSONNE1.), déposé le 29 juin 2023 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions de l’avocat général Nathalie HILGERT.
Sur les faits Selon le jugement attaqué, le Tribunal de paix de Luxembourg, siégeant en matière civile et sur opposition à injonction de payer européenne, avait condamné le demandeur en cassation à payer au défendeur en cassation un certain montant à titre de frais et honoraires. Le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg a annulé l’acte d’appel en raison du défaut d’enrôlement de l’affaire pendant plusieurs mois et a déclaré l’appel irrecevable.
Sur le second moyen de cassation qui est préalable Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l’article 1253, alinéa premier, du Nouveau Code de procédure civile, suivant lequel en ce que, le Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, troisième chambre, a jugé que […] l’irrégularité de l’acte d’appel du 20 juillet 2022 est en l’espèce à sanctionner par sa nullité », aux motifs que, […] le défaut d’enrôlement n’entraîne pas la nullité de l’acte en ce qu’il s’agit d’une simple mesure administrative, le tribunal tient à souligner que l’enrôlement d’une affaire à une date rapprochée de la date de comparution initiale a pour but de garantir l’administration d’une bonne justice et est partant à considérer comme formalité substantielle », qu’ [a]dmettre le contraire, reviendrait à laisser la partie intimée dans l’incertitude la plus absolue, permettant à l’appelant de finalement enrôler (ou pas) son affaire comme bon lui semble et ce de manière indéterminée dans le temps ».
que [t]elle situation ne saurait être admissible et ne ferait qu’ouvrir la porte à toute sorte de procédure dilatoire, sous le couvert fallacieux d’une mesure d’administration judiciaire », et que [s]uite au défaut d’enrôlement de la présente affaire pendant plusieurs mois, la partie intimée a subi une grande difficulté dans l’organisation de sa défense et ce d’autant plus que l’affaire présente une envergure et une complexité certaine », alors que la législation applicable en la matière ne prévoit aucune nullité d’un acte de procédure lorsque, suite au non-enrôlement de l’affaire avant la date initiale de comparution, un laps de temps de seulement deux mois s’est écoulé entre la date initiale de comparution et la nouvelle signification de l’acte pour convoquer la partie adverse à une nouvelle audience, de sorte que la nullité de l’acte d’appel du 20 juillet 2022 ne pouvait être prononcée en l’espèce. ».
Réponse de la Cour Vu l’article 1253, alinéa 1, du Nouveau Code de procédure civile qui dispose « Aucun exploit ou acte de procédure ne pourra être déclaré nul, si la nullité n’en est pas formellement prononcée par la loi. ».
Dans les procédures orales avec convocation à date fixe, l’enrôlement doit en principe précéder l’audience pour permettre l’inscription de l’affaire sur le rôle de l’audience. Aucun texte ne prévoit cependant la nullité d’un exploit d’huissier avec convocation à date fixe en raison de l’absence d’enrôlement avant la date indiquée dans l’acte.
L’instance est introduite par l’acte d’huissier de justice qui saisit le juge, indépendamment de toute mise au rôle qui n’est qu’une simple formalité administrative.
Une éventuelle irrégularité ou tardiveté de l’accomplissement de la formalité de la mise au rôle d’une affaire n’affecte la régularité ni de l’acte ni de la procédure.
En retenant, sur base de la constatation de l’absence d’enrôlement de l’affaire à une date rapprochée de la date de comparution initiale, « l’irrégularité de l’acte d’appel » et la nullité de cet acte, les juges d’appel ont violé la disposition visée au moyen.
Il s’ensuit que l’arrêt encourt la cassation.
Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure Le défendeur en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.
PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le premier moyen la Cour de cassation casse et annule le jugement attaqué, numéro 2023TALCH03/00060, rendu le 14 mars 2023 sous le numéro TAL-2022-08715 du rôle par le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, troisième chambre, siégeant en matière civile ;
déclare nuls et de nul effet ladite décision judiciaire et les actes qui s’en sont suivis, remet les parties dans l’état où elles se sont trouvées avant l’arrêt cassé et pour être fait droit, les renvoie devant le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, autrement composé ;
rejette la demande du défendeur en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne le défendeur en cassation aux frais et dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de Maître Laurent HEISTEN, sur ses affirmations de droit ;
ordonne qu’à la diligence du Procureur général d’Etat, le présent arrêt soit transcrit sur le registre du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg et qu’une mention renvoyant à la transcription de l’arrêt soit consignée en marge de la minute du jugement annulé.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Agnès ZAGO en présence du premier avocat général Marc SCHILTZ et du greffier Daniel SCHROEDER.
Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) c/ Maître PERSONNE2.) (affaire n° CAS-2023-00065 du registre) Le pourvoi du demandeur en cassation, par dépôt au greffe de la Cour en date du 5 mai 2023 d’un mémoire en cassation, signifié le 2 mai 2023 à la partie défenderesse en cassation, est dirigé contre un jugement n°2023TALCH03/00060 rendu contradictoirement en date du 14 mars 2023 par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, troisième chambre, siégeant en matière civile et en instance d’appel, dans la cause inscrite sous le numéro TAL-2022-08715 du rôle.
Le pourvoi est recevable en ce qui concerne la forme1 et le délai2. Il attaque un jugement rendu en dernier ressort qui, en déclarant l’appel irrecevable, a mis fin à l’instance.
Il s’ensuit que le pourvoi est recevable.
Le mémoire en réponse du défendeur en cassation, signifié au demandeur en cassation en son domicile élu 27 juin 2023 et déposé au greffe de la Cour le 29 juin 2023 peut être pris en considération pour avoir été signifié dans le délai et déposé conformément aux prescriptions de la loi.
Les faits et les antécédents procéduraux :
Suivant injonction de payer européenne du 18 janvier 2022, le tribunal de paix a enjoint à PERSONNE1.) de payer à PERSONNE2.) la somme de 11.716,78 euros du chef d’honoraires d’avocat impayés, outre les intérêts au taux légal.
Statuant sur l’opposition relevée contre cette injonction de payer, le tribunal de paix de Luxembourg a, par jugement du 14 juin 2022, condamné PERSONNE1.) à payer à PERSONNE2.) la somme de 11.716,78 euros, outre les intérêts.
1 La partie demanderesse en cassation a déposé au greffe de la Cour supérieure de justice un mémoire signé par un avocat à la Cour et signifié à la partie adverse antérieurement à son dépôt, de sorte que ces formalités, prévues par l’article 10, alinéa 1, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, ont été respectées.
2 Il résulte des pièces versées que le jugement attaqué a été signifié au demandeur en cassation le 28 mars 2023, de sorte que le délai de deux mois, prévu par l’article 7 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, augmenté des délais de distance, a été respecté.
Par acte d’huissier de justice du 20 juillet 2022, PERSONNE1.) a interjeté appel contre le prédit jugement et a donné assignation à PERSONNE2.) à comparaître le mardi 13 septembre 2022 devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg. L’affaire n’a pas été enrôlée pour cette audience et personne ne s’y est présentée.
Par acte d’huissier de justice du 14 novembre 2022, PERSONNE1.) a fait re-signifier l’acte d’appel 20 juillet 2022 et a fait donner assignation à comparaître pour le 6 décembre 2022.
Lors de l’instance d’appel, PERSONNE2.) a soulevé in limine litis l’irrecevabilité de l’appel pour être tardif et les débats ont été limités à cette question.
Par jugement du 14 mars 2023, le tribunal d’arrondissement a annulé l’acte d’appel du 20 juillet 2022 et a déclaré irrecevable l’appel relevé suivant exploit d’huissier du 20 juillet 2022. Il a encore déclaré l’exploit d’assignation daté du 14 novembre 2022 sans objet.
Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu que l’enrôlement d’une affaire constitue une simple mesure administrative qui, a priori, n’affecte pas la régularité de l’acte. Etant donné que le juge se trouve saisi par le seul exploit d’ajournement, les juges d’appel ont écarté le moyen d’irrecevabilité tiré de la tardiveté de l’appel par le seul enrôlement de l’assignation du 14 novembre 2022.
Partant du constat qu’en date du 14 novembre 2022, l’huissier de justice a « resignifié » à PERSONNE2.) l’acte d’appel du 20 juillet 2022, accompagné d’une assignation pour l’audience du 6 décembre 2022, ils ont conclu qu’il ne s’agit pas d’un deuxième acte d’appel daté au 14 novembre 2022, mais de l’acte d’appel initial du 20 juillet 2022, signifié une deuxième fois.
Aux termes du jugement « même s’il découle des développements qui précèdent ci-
dessus que le défaut d’enrôlement n’entraîne pas la nullité de l’acte en ce qu’il s’agit d’une simple mesure administrative », « l’enrôlement d’une affaire à une date rapprochée de la date de comparution initiale a pour but de garantir l’administration d’une bonne justice et est partant à considérer comme formalité substantielle ».
Il a été jugé que « cette façon de procéder est susceptible d’entraîner ainsi la nullité de l’acte d’appel du 20 juillet 2022 et partant l’irrecevabilité de l’appel si les conditions prévues à l’article 264 du nouveau code de procédure civile sont remplies en cause ».
Concernant l’exigence d’un grief posée par l’article 264 du Nouveau Code de procédure civile, les juges d’appel ont considéré que « suite au défaut d’enrôlement de la présente affaire pendant plusieurs mois, la partie intimée a subi une grande difficulté dans l’organisation de sa défense et ce d’autant plus que l’affaire présente une envergure et une complexité certaine ». Ils ont partant décidé que l’irrégularité de l’acte d’appel du 20 juillet 2022 est, en l’espèce, à sanctionner par sa nullité.
Le pourvoi est dirigé contre ce jugement.
Sur le premier moyen de cassation, pris en sa première branche, et sur le second moyen de cassation réunis :
Le premier moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 264, paragraphe 2, du Nouveau Code de procédure civile et il est divisé en deux branches.
La première branche du moyen critique le jugement pour avoir sanctionné de nullité le défaut d’enrôlement pendant plusieurs mois sans que cela ne constitue un vice de forme des exploits et actes de procédure.
Le second moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 1253 alinéa 1er du Nouveau Code de procédure civile, en ce que les juges d’appel ont déclaré nul l’acte d’appel pour non-enrôlement de l’affaire à une date rapprochée de la date de comparution initiale.
La première branche du premier moyen peut être analysée ensemble avec le second moyen. En effet, ces moyens se résument à critiquer la décision en ce qu’elle a annulé l’acte d’appel sans qu’un vice de forme affectant l’exploit n’ait été constaté et sans que cette nullité ne soit légalement prévue.
Le régime des nullités procédurales est encadré par les articles 264 et 1253 du Nouveau Code de procédure civile.
Aux termes de l’article 1253 du Nouveau Code de procédure civile, « aucun exploit ou acte de procédure ne pourra être déclaré nul, si la nullité n’en est pas formellement prononcée par la loi ». C’est l’expression du principe « pas de nullité sans texte ».
L’article 264 alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile dispose qu’« aucune nullité pour vice de forme des exploits ou actes de procédure ne pourra être prononcée que s’il est justifié que l’inobservation de la formalité même substantielle, aura pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie adverse » et consacre, pour les vices de forme affectant les actes de procédure, le principe « pas de nullité sans grief ».
Si les nullités résultant de la violation de certaines règles fondamentales, considérées comme d’ordre public, sont soustraites à l’application de l’article 264 du Nouveau Code de procédure civile, il résulte des termes du jugement attaqué que les juges d’appel, qui ont conditionné la nullité à la preuve d’un grief, n’ont pas considéré être en présence d’une telle règle d’ordre public ou d’une nullité de fond.
En l’espèce, le tribunal a sanctionné par la nullité de l’acte d’appel le fait de ne pas avoir enrôlé l’« affaire à une date rapprochée de la date de comparution initiale ».
Ce faisant, les juges d’appel n’ont pas retenu un vice de forme affectant l’acte d’appel en tant que tel mais ils ont sanctionné le fait que, dans le cadre de la resignification le 14 novembre 2022 du premier acte d’appel datant du 20 juillet 2022, assignation a été donnée à une date éloignée de la date de comparution initialement prévue. Le tribunal a basé son raisonnement sur les règles entourant l’enrôlement d’une affaire.
Il est généralement considéré en jurisprudence que « l’instance est introduite par l’acte d’huissier de justice qui saisit le juge, indépendamment de toute mise au rôle qui n’est qu’une simple formalité administrative et n’affecte ni l’existence de l’instance, ni la validité de la procédure »3 et que « l’absence d’enrôlement pour la date indiquée dans l’acte d’appel n’est (…) pas sanctionnée de nullité »4.
En d’autres termes, l’instance judiciaire existe à partir de la signification de l’assignation et son enrôlement ne constitue qu’une simple mesure d’administration interne. Le lien d’instance se forme dès lors par la signification de l’acte d’appel et l’existence de cette instance n’est affectée ni par l’enrôlement de l’affaire ni par sa radiation. En effet, l’enrôlement a pour seul effet d’informer la juridiction saisie de l’existence de l’instance5.
Certaines décisions ont cependant vérifié si une irrégularité procédurale affectant la mise au rôle avait porté atteinte aux droits de défense. Ainsi a-t-il été jugé que « l’intimée (…) conclut à tort à la nullité de l’acte d’appel au motif que l’assignation lui signifiée à comparaître à l’audience de la Cour du 16 février 2009 n’a été enrôlée que pour l’audience du 2 mars suivant, dès lors que d’une part l’exploit est régulier quant à la date de l’audience y indiquée à laquelle furent appelées les affaires de référé enrôlées pour cette date, de sorte que la Cour était valablement saisie de l’appel, même à défaut d’enrôlement de l’affaire qui ne constitue qu’une formalité administrative, et qu’il est d’autre part constant en cause que le mandataire de l’appelant avait informé celui de l’intimée par un fax du 27 février 2009 que l’affaire serait appelée à l’audience du 2 mars 2009 et qu’après avoir subi plusieurs remises contradictoires, l’affaire a été plaidée contradictoirement à l’audience du 28 octobre 2009, de sorte que l’intimée reste en défaut de justifier d’une quelconque atteinte à ses droits de défense au sens de l’article 264, alinéa 2 du NCPC que lui aurait causée l’irrégularité procédurale incriminée »6.
D’autres décisions judiciaires ont considéré que « la mise au rôle de l’affaire est indispensable pour soumettre le litige à la juridiction. Elle précède la distribution de l’affaire à une chambre en vue de sa mise en état. La jurisprudence moderne ne considère plus la mise au rôle comme une formalité de nature purement administrative.
L’enrôlement de l’acte introductif d’instance opère la saisine de la juridiction. La demande en justice, à elle seule, n’a pas cet effet »7.
3 Cour d’appel, 27 février 2019, n° 34/19 IV-COM, n° CAL-2018-00318 du rôle ; Cour d’appel, 23 novembre 2022, n° CAL-
2022-00519 du rôle ; Cour d’appel, 30 mars 2022, n° CAL-2021-01015 du rôle.
4 Cour d’appel, 24 juin 2009, n°34488 et 34534 du rôle.
5 Cour d’appel, 28 juin 2023, n° CAL-2022-00984 du rôle.
6 Cour d’appel, 2 décembre 2009, n° 34901 du rôle ; voir dans le même sens : Cour d’appel 22 mars 2005, Pas. 33, p. 46.
7 TAL, 12 mars 2015, n° 162932 du rôle, confirmé en appel par arrêt du 10 janvier 2018, n° 42871 du rôle ; Cour d’appel, deuxième chambre, 31 janvier 2007, nos 30182 et 30192 du rôle.
Ces décisions ont été critiquées en doctrine en ce qu’elles reposent sur une « interprétation extensive de l’intitulé de la section 1 du titre IX du NCPC, sans trouver un réel fondement textuel dans les dispositions légales contenues dans les articles de la loi »8. Il a ainsi pu être considéré que les avocats et magistrats semblent rester attachés à la solution traditionnelle en vertu de laquelle l’instance prend valablement naissance au moment de la signification de l’assignation et que la mise au rôle ne constitue qu’une simple formalité administrative9.
Etant donné que la mise au rôle d’une affaire constitue, selon la jurisprudence majoritaire, une simple formalité administrative, qui n’a aucune incidence sur la validité de l’acte ayant saisi la juridiction, une éventuelle irrégularité/tardiveté de l’accomplissement de cette formalité ne devrait pas pouvoir être sanctionnée par la nullité de l’acte de saisine, en l’espèce l’acte d’appel.
Ceci étant exposé, les juges d’appel ont retenu en l’espèce ce qui suit:
« Même s’il découle des développements qui précèdent ci-dessus que le défaut d’enrôlement n’entraîne pas la nullité de l’acte en ce qu’il s’agit d’une simple mesure administrative, le tribunal tient à souligner que l’enrôlement d’une affaire à une date rapprochée de la date de comparution initiale a pour but de garantir l’administration d’une bonne justice et est partant à considérer comme formalité substantielle. Admettre le contraire, reviendrait à laisser la partie intimée dans l’incertitude la plus absolue, permettant à l’appelant de finalement enrôler (ou pas) son affaire comme bon lui semble et ce de manière indéterminée dans le temps. Telle situation ne saurait être admissible et ne ferait qu’ouvrir la porte à toute sorte de procédure dilatoire, sous le couvert fallacieux d’une mesure d’administration judiciaire.
L’argument qu’il est, certes, toujours également loisible à la partie intimée de procéder à l’enrôlement de l’affaire ne saurait valoir alors qu’il n’appartient pas à la partie intimée de pallier à la carence de la partie appelante concernant l’enrôlement de sa propre affaire.
En effet, la constatation que PERSONNE2.) s’est finalement présenté à l’audience du 6 décembre 2022 ne signifie pas pour autant que la façon de procéder de PERSONNE1.) n’a pas porté atteinte aux intérêts de la partie adverse.
En effet, cette façon de procéder est susceptible d’entraîner ainsi la nullité de l’acte d’appel du 20 juillet 2022 et partant l’irrecevabilité de l’appel si les conditions prévues à l’article 264 du nouveau code de procédure civile sont remplies en cause ».
Les magistrats d’appel ont fait abstraction de la signification du 14 novembre 2022 pour ne retenir que celle du 20 juillet 2022 et ils ont sanctionné le fait que l’acte d’appel du 8 Th. HOSCHEIT, Le droit judiciaire privé au Grand-Duché de Luxembourg, 2e édition, p. 354, n° 578.
9 S. MENETREY, « La portée juridique de l’enrôlement », note sous Cour d’appel 10 janvier 2018, Pas. 38, p. 670.
20 juillet 2022, ayant donné assignation à comparaître pour le 13 septembre 2022, n’a été enrôlé que pour l’audience du 6 décembre 2022.
Une obligation d’enrôler une affaire « à une date rapprochée de la date de comparution initiale » ou de ne pas donner un délai de comparution trop long ne résulte cependant a priori d’aucun texte légal et une violation de cette obligation ne devrait pas affecter la régularité de l’acte d’appel. Aucun défaut rédactionnel de l’acte d’appel n’est avancé.
Cette obligation n’est pas non plus à considérer comme règle fondamentale soustraite à l’application de l’article 264 du Nouveau Code de procédure civile.
Même si la jurisprudence a étendu le régime des nullités à des hypothèses non légalement prévues10, il reste que cette extension ne devrait concerner que les « règles vraiment importantes dont l’inobservation est réellement de nature à sérieusement affecter le déroulement de l’instance »11, ce qui, de l’avis de la soussignée, n’est pas le cas en l’espèce.
Il suit de ce qui précède qu’en sanctionnant, par la nullité de l’acte d’appel, le fait qu’une affaire n’a pas été enrôlée à une date rapprochée de la date de comparution initiale, les juges d’appel ont, de l’avis de la soussignée, appliqué l’article 264 alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile à une hypothèse non couverte par cette disposition et n’ont pas respecté le prescrit de l’article 1253 du Nouveau Code de procédure civile.
Le premier moyen, pris en sa première branche, et le second moyen de cassation sont partant fondés.
Sur le premier moyen de cassation, pris en sa deuxième branche :
Le demandeur en cassation reproche aux juges d’appel de ne pas avoir caractérisé in concreto le grief causé dans le chef du défendeur en cassation et d’avoir violé l’article 264 alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile.
Les développements ci-dessous ne sont faits que pour l’hypothèse où la première branche du premier moyen et le second moyen seraient rejetés.
Selon l’article 264, alinéa 2, du Nouveau Code de procédure civile, une nullité pour vice de forme des exploits ne peut être prononcée que s’il est justifié que l’inobservation de la formalité, même substantielle, a pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie adverse.
Il ne suffit pas d’invoquer l’existence d’un préjudice mais il faut le qualifier précisément et le rapporter en preuve. Il doit être apprécié in concreto. Le préjudice peut résulter d’une atteinte aux intérêts ou aux droits de la défense et plus particulièrement de 10 Pour un aperçu complet, voir: Th. HOSCHEIT, op. cit., p.522 et 523, n° 905.
11 Th. HOSCHEIT, op. cit., n° 906, p. 523.
l’entrave ou de la gêne causée à l’organisation de la défense ou de l’impossibilité de préparer sa défense.
Votre Cour contrôle si la juridiction d’appel a constaté l’existence d’un préjudice dans le chef de la partie qui invoque la nullité12 et si l’appréciation du grief s’est faite in concreto, en fonction des circonstances de l’espèce13.
En l’espèce, les juges d’appel ont retenu que « suite au défaut d’enrôlement de la présente affaire pendant plusieurs mois, la partie intimée a subi une grande difficulté dans l’organisation de sa défense et ce d’autant plus que l’affaire présente une envergure et une complexité certaine ».
Si le demandeur en cassation a éventuellement usé de manœuvres dilatoires afin de retarder la parution de son affaire devant la juridiction d’appel, il reste qu’une atteinte concrète aux droits de la défense du défendeur en cassation laisse à être constatée.
Bien que les magistrats d’appel précisent que la partie intimée a subi une difficulté dans l’organisation de sa défense, ils n’ont cependant pas autrement caractérisé le grief par rapport à l’irrégularité subie. Le premier moyen, pris en sa deuxième branche, est partant, de l’avis de la soussignée, fondé.
A titre subsidiaire et s’il est considéré que le grief est suffisamment caractérisé in concreto, le premier moyen, pris en sa deuxième branche, ne saurait être accueilli. En effet, il résulte de Votre jurisprudence que l’appréciation, par les juges d’appel, de l’existence d’une atteinte aux intérêts de la partie adverse requise par l’article 264 alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de votre Cour14.
Conclusion :
Le pourvoi est recevable.
Le premier moyen, pris en sa première branche, et le second moyen de cassation sont fondés.
Le premier moyen, pris en sa deuxième branche, est fondé, sinon ne saurait être accueilli.
Pour le Procureur général d’Etat l’avocat général Nathalie HILGERT 12 Cour de cassation, 20 mai 2009, n°35/09, n° 2641 du registre.
13 Cour de cassation, 2 mai 2013, n°36/13, n° 3172 du registre.
14 Cour de cassation, 28 novembre 2019, n° 158/2019, n° CAS-2018-00108 du registre.