N° 41 / 2024 du 07.03.2024 Numéro CAS-2023-00075 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, sept mars deux mille vingt-quatre.
Composition:
Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, président, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Anne-Françoise GREMLING, premier conseiller à la Cour d’appel, Laurent LUCAS, conseiller à la Cour d’appel, Martine DISIVISCOUR, conseiller à la Cour d’appel, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.
Entre la société à responsabilité limitée de droit français SOCIETE1.), établie et ayant son siège social à F-ADRESSE1.), représentée par le gérant, inscrite au registre de commerce de Toulon sous le numéroNUMERO1.), demanderesse en cassation, comparant par Maître Tom LUCIANI, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et 1. PERSONNE1.), demeurant à L-ADRESSE2.), défendeur en cassation, comparant par Maître Arnaud RANZENBERGER, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, 2. PERSONNE2.), demeurant à L-ADRESSE3.), défenderesse en cassation.
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Vu l’arrêt attaqué, numéro 17/23 - IX - CIV, rendu le 9 février 2023 sous le numéro CAL-2020-01003 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, neuvième chambre, siégeant en matière civile ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 12 mai 2023 par la société à responsabilité limitée de droit français SOCIETE1.) (ci-après « la société SOCIETE1.) ») à PERSONNE1.) et à PERSONNE2.), déposé le 22 mai 2023 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 7 juillet 2023 par PERSONNE1.) à la société SOCIETE1.) et à PERSONNE2.), déposé le 11 juillet 2023 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions de l’avocat général Bob PIRON.
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, saisi par la demanderesse en cassation de demandes en nullité d’un contrat de vente conclu entre PERSONNE1.) et PERSONNE2.), en résolution d’un contrat de vente conclu entre elle et PERSONNE1.) et en condamnation de ce dernier à lui payer des dommages et intérêts, après avoir sursis à statuer en attendant le sort de l’action pénale dirigée contre PERSONNE1.), PERSONNE2.) et PERSONNE3.), gérant de la demanderesse en cassation, a dit les demandes non fondées. Pour décider ainsi, le Tribunal, qui a constaté que la demanderesse en cassation n’était pas partie aux instances pénales, a retenu que l’autorité absolue de la chose jugée au pénal sur le civil s’attachait aux constatations et qualifications retenues par les juges d’appel qui ont statué au pénal.
La Cour d’appel, après avoir retenu que la demanderesse en cassation n’était pas à considérer comme un tiers à la procédure pénale, a, eu égard à l’autorité de chose jugée au pénal sur le civil, confirmé le jugement.
Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de la loi par fausse application, sinon par fausse interprétation, in specie de l'article 1er de la loi du 21 juin 1973 portant approbation de la Convention sur la reconnaissance mutuelle des sociétés et personnes morales ainsi que du Protocole annexe, signés à Bruxelles, le 29 février 1968, en ce que l'arrêt attaqué a refusé la qualité de personne morale à la société à responsabilité limitée de droit français SOCIETE1.) ayant une personnalité juridique distincte de celle de ses associés en décidant que SOCIETE1.) n'est pas à considérer comme un tiers à la procédure pénale ;
alors qu'il est établi et non contesté que la personne morale de droit français SOCIETE1.) n'était pas partie au procès pénal. ».
Réponse de la Cour La demanderesse en cassation reproche aux juges d’appel de ne pas l’avoir considérée comme un tiers au procès pénal, bien qu’elle n’y ait pas été partie, seul son gérant y ayant figuré en première instance en tant que prévenu, demandeur au civil et défendeur au civil, et en instance d’appel en tant que défendeur au civil.
L’article 1er de la Convention sur la reconnaissance mutuelle des sociétés et des personnes morales, approuvée par l’article 1er de la loi du 21 juin 1973 libellé au moyen, dispose « Sont reconnues de plein droit les sociétés de droit civil ou commercial, y compris les sociétés coopératives, constituées en conformité de la loi d’un Etat contractant qui leur accorde la capacité d’être titulaires de droits et obligations, et ayant leur siège statutaire dans les territoires auxquels s’applique la présente Convention. ».
En retenant « Rappelons que par jugement N° 312/2010 de la XVIIème chambre du Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, il a été donné avis au Procureur d’Etat de l’infraction de faux suspectée par rapport au contrat de 25 avril 2007 et qu’il a été sursis à statuer à l’affaire civile : ce jugement a été prononcé le 15 décembre 2010 entre SOCIETE1.) comme demanderesse et PERSONNE1.) et PERSONNE2.) comme défendeurs.
Suite à ce sursis à statuer, la procédure civile n’a été reprise, entre les mêmes parties, qu’après l’intervention de l’arrêt correctionnel rendu en date du 2 mai 2018, entre le Ministère public d’une part et PERSONNE2.), PERSONNE1.), PERSONNE4.) et PERSONNE3.) d’autre part. il est à noter que PERSONNE3.) apparaît dans cet arrêt en sa qualité de , à savoir de dirigeant et bénéficiaire économique de ladite société. En tant que dirigeant, il est effectivement pénalement responsable de certaines infractions commises par une personne morale. En effet la responsabilité des personnes morales a été introduite en droit luxembourgeois par la loi du 3 mars 2010 : depuis lors, l’article 34 du Code pénal se lit comme suit :
La responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes infractions ».
Il s’ensuit que l’action pénale, initiée entre autres par l’avis donné par le jugement civil rendu en date du 15 décembre 2010 au Procureur d’Etat, a été poursuivie non à l’égard de SOCIETE1.), mais de son dirigeant PERSONNE3.), dont le domicile se trouve à la même adresse que le siège social de SOCIETE1.)’est là le choix du parquet. Cela ne signifie néanmoins pas que SOCIETE1.) est à considérer comme un tiers à la procédure pénale. Il a justement été sursis à statuer au civil pour attendre l’issue de cette procédure pénale. Admettre le contraire conduirait à une insécurité et un non-sens juridique », les juges d’appel n’ont pas refusé la qualité de personne morale à la demanderesse en cassation, mais ont retenu qu’en vertu de la situation procédurale de l’espèce, cette dernière n’était pas à considérer comme un tiers à la procédure pénale.
Il s’ensuit que le moyen manque en fait.
Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de la loi par fausse application, sinon par fausse interprétation, in specie de l'article 6 § l de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que l'arrêt attaqué a décidé que jugée au pénal sur le civil, il est interdit à une juridiction civile de remettre en cause ce qui a été certainement et définitivement décidé par le juge pénal concernant cet aspect de la matérialité des faits à la base des deux procédures » alors qu’en opposant à la société de droit français SOCIETE1.) l’autorité de la chose jugée attachée à une décision à laquelle elle n’avait pas été partie, la Cour d’appel a méconnu le principe du contradictoire ainsi que le respect des droits de la défense, en violation des dispositions de l’article 6 § l de la Convention européenne des droits de l’homme ».
Réponse de la Cour La demanderesse en cassation reproche aux juges d’appel d’avoir violé la disposition visée au moyen en lui opposant l’autorité de la chose jugée attachée à une décision pénale, à laquelle elle n’avait pas été partie, méconnaissant ainsi le principe du contradictoire et le respect des droits de la défense.
Il résulte de la motivation de l’arrêt attaqué, citée au premier moyen, que les juges d’appel ont retenu que la demanderesse en cassation n’était pas à considérer comme un tiers à la procédure pénale.
Il s’ensuit que le moyen, qui ne remet pas en cause la décision des juges d’appel en ce qu’ils ont retenu que la demanderesse en cassation n’était pas à considérer comme un tiers à la procédure pénale, manque en fait.
Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de la loi par fausse application, sinon par fausse interprétation, in specie de l'article 221 du Nouveau code de procédure civile, en ce que l'arrêt attaqué a refusé de considérer les conclusions et pièces communiquées par la partie appelante en date du 27 mai 2022 ;
alors que ces conclusions et pièces ont été communiquées dans les formes légales et endéans le délai imparti suivant injonction de la Cour du 27 avril 2022 ; ».
Réponse de la Cour La demanderesse en cassation reproche aux juges d’appel d’avoir refusé de considérer ses conclusions et pièces communiquées à la partie adverse en date du 27 mai 2022, endéans le délai imparti suivant injonction du conseiller de la mise en état du 27 avril 2022.
L’article 221 du Nouveau Code de procédure civile prévoit que si l’un des avocats n’a pas accompli les actes de procédure dans le délai imparti, le renvoi devant le tribunal et la clôture de l’instruction peuvent être décidés par le juge de la mise en état.
Il résulte des actes de procédure auxquels la Cour peut avoir égard que le conseiller de la mise en état avait donné injonction à la demanderesse en cassation de conclure et de déposer ses conclusions au greffe pour le 27 mai 2022 au plus tard, sous peine de clôture de l’instruction. La demanderesse en cassation a notifié ses conclusions et pièces à la partie adverse en date du 27 mai 2022 et les a déposées au greffe le 30 mai 2022, après la clôture de l’instruction.
Les juges d’appel ont pris leur décision de ne pas tenir compte des conclusions et pièces déposées après la clôture de l’instruction sur base de l’article 224 du Nouveau Code de procédure civile, qui dispose qu’après l’ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office.
La disposition invoquée à l’appui du moyen est étrangère au grief invoqué par la demanderesse en cassation.
Il s’ensuit que le moyen est irrecevable.
Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure La demanderesse en cassation étant à condamner aux frais et dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure ;
met les frais et dépens de l’instance en cassation à charge de la demanderesse en cassation.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Jeanne GUILLAUME en présence du premier avocat général Sandra KERSCH et du greffier Daniel SCHROEDER.
Conclusions du Parquet général dans l’affaire de cassation de la société à responsabilité limitée de droit français SOCIETE1.) S.à r.l contre 1. PERSONNE1.) 2. PERSONNE2.) (CAS-2023-00075 du registre) Par mémoire déposé au greffe de la Cour supérieure de justice du Grand-Duché de Luxembourg le 22 mai 2023, la société à responsabilité limitée de droit français SOCIETE1.) S.à r.l., a introduit un pourvoi en cassation contre l’arrêt portant le numéro 17/23 - IX – CIV, contradictoirement rendu entre parties le 9 février 2023, par la Cour d’appel, neuvième chambre, siégeant en matière civile et en instance d’appel.
La demanderesse en cassation a déposé un mémoire, signé par un avocat à la Cour, signifié le 12 mai 2023 à personne en ce qui concerne PERSONNE1.) et à domicile en ce qui concerne PERSONNE2.), antérieurement au dépôt du pourvoi, de sorte que le pourvoi est recevable pour avoir été introduit dans le délai1 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.
Maître Arnaud RANZENBERGER, avocat à la Cour, pris en sa qualité de PERSONNE1.), a fait signifier le 7 juillet 2023, au domicile élu de la partie demanderesse en cassation et au domicile de la partie PERSONNE2.), un mémoire en réponse et l’a déposé au greffe de la Cour supérieure de justice le 11 juillet 2023.
Faits et rétroactes Par exploit de l’huissier de justice du 27 mars 2009, la société à responsabilité limitée de droit français SOCIETE1.) SARL avait assigné PERSONNE1.) et PERSONNE2.) devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière civile, pour principalement voir prononcer la nullité du contrat de vente d’un violoncelle de marque Dr. « Grossman » n°36 et d’un archet ancien de « Dreisden », signé PERSONNE5.), conclu le 25 avril 2007 entre PERSONNE1.) et PERSONNE2.), pour voir constater qu’il y a eu vente de ces mêmes objets entre la société SOCIETE1.) SARL et PERSONNE1.), pour voir prononcer la résolution de ladite vente et pour voir condamner PERSONNE1.) à restituer le violoncelle et l’archet en question au cas où pareille restitution serait encore possible, sinon à payer à la société 1 A défaut d’acte de notification de l’arrêt dont pourvoi, versé au dossier, il doit être admis qu’aucun délai n’a commencé à courir.
SOCIETE1.) SARL la somme de 25.000 euros, sous réserve des intérêts légaux. A titre subsidiaire, la société SOCIETE1.) SARL a requis l’exécution forcée du contrat de vente conclu entre elle et PERSONNE1.) et a demandé à voir condamner PERSONNE1.) à payer à la société SOCIETE1.) SARL la somme de 25.000 euros au titre d’une facture numéro NUMERO2.) du 30 avril 2007.
La question fondamentale à la base du litige a trait à la question de savoir si l’achat par PERSONNE1.) du violoncelle de marque Dr. « Grossman » n°36 et de l’archet ancien de « Dreisden », signé PERSONNE5.), a eu lieu suivant facture du 30 avril 2007, émise par la société SOCIETE1.) SARL, au prix de 25.000 euros, ou suivant contrat de vente du 25 avril 2007 entre PERSONNE1.) et PERSONNE2.), au prix de 17.000 euros.
A l’appui de sa demande, la société SOCIETE1.) SARL a fait valoir être propriétaire du violoncelle et de l’archet litigieux et avoir remis ces objets à PERSONNE2.) en vue de leur vente.
D’après la société SOCIETE1.) SARL, une éventuelle vente des objets en question entre PERSONNE1.) et PERSONNE2.) aurait été conclue au mépris de ses droits.
Le tribunal saisi des demandes de la société SOCIETE1.) SARL avait considéré qu’il y avait fort lieu à craindre que le contrat de vente du 25 avril 2007 constitue un faux et avait donné avis au Procureur d’Etat de Luxembourg de l’infraction de faux suspectée par rapport au contrat en question. Il a été sursis à statuer à l’affaire civile.
L’action publique exercée par la Procureur d’Etat de Luxembourg a abouti à un arrêt du 2 mai 2018 rendu par la dixième chambre de la Cour d’appel, siégeant en matière correctionnelle.
Aux termes de cet arrêt, la Cour d’appel a, par réformation du jugement de première instance, acquitté PERSONNE2.) du chef des préventions de faux et d’usage de faux concernant la confection du contrat de vente du 25 avril 2007 au motif que ce contrat, bien qu’antidaté, ne renseignait aucune contrevérité.
La Cour a retenu que la vente du violoncelle et de l’archet s’était réalisée par le biais de PERSONNE2.) qui n’était pas propriétaire de ces objets, mais qui agissait en qualité de mandataire, sinon de sous-mandataire, sinon de dépositaire. La Cour a conclu que PERSONNE2.) avait réceptionné à titre précaire le montant de 17.000 euros, payé par PERSONNE1.) en contrepartie de l’acquisition des objets litigieux, qu’elle n’a jamais continué à son mandant et la Cour a par conséquent condamné PERSONNE2.) du chef d’abus de confiance.
La Cour a encore acquitté le dénommé PERSONNE4.), qui était un ami de PERSONNE3.), lequel détient la société SOCIETE1.) SARL, et qui avait remis les objets litigieux à PERSONNE2.), du chef de la prévention de tentative d’escroquerie en rapport avec la confection de certaines factures et de certains rappels émanant prétendument de la société SOCIETE1.) SARL, au motif qu’il n’a pas créé la fausse qualité de créancier.
PERSONNE4.) a par contre été condamné du chef des infractions de faux et d’usage de faux pour avoir confectionné et utilisé la facture numéro NUMERO2.) du 30 avril 2007 établie par la société SOCIETE1.), invoquée par cette dernière à l’appui de sa demande civile, et le rappel du 5 août 2008 qui y faisait référence, alors qu’il y avait mentionné un faux prix de vente et y avait apposé une fausse signature. Ces infractions n’ont cependant pas été retenues contre lui concernant la confection du document intitulé « Mandat exclusif de vente » du 28 janvier 2007.
La Cour a acquitté PERSONNE1.) de l’ensemble des infractions libellées à sa charge, alors que le contrat de vente du 25 avril 2007, à la confection duquel il avait participé, ne contenait aucune contrevérité.
Au civil, la Cour a donné acte à PERSONNE4.) qu’il renonçait à sa partie civile dirigée contre PERSONNE2.). Concernant la partie civile de PERSONNE2.) contre PERSONNE4.) et PERSONNE3.), qui se limitait à une demande d’indemnité de procédure, la Cour a confirmé le jugement de première instance en ce qu’il l’avait déclarée non fondée.
La procédure civile a été reprise, entre les mêmes parties, après l’intervention de l’arrêt correctionnel.
Par jugement civil N° 2019TALCH01/00238 rendu contradictoirement entre parties en date du 3 juillet 2019, le tribunal, après avoir retenu qu’il était lié par la qualification des relations contractuelles que la Cour d’appel, siégeant en matière correctionnelle, avait nécessairement dû envisager pour pouvoir prononcer les condamnations aux préventions libellées contre les différents protagonistes, respectivement pour les acquitter, a dit non fondées les demandes de la société SOCIETE1.) SARL en nullité du contrat de vente du 25 avril 2007 et en résolution de la vente conclue entre la société de droit français SOCIETE1.) s.àr.l. et PERSONNE1.) et a débouté la société SOCIETE1.) SARL de sa demande au paiement de PERSONNE1.) d’un montant de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts.
La société SOCIETE1.) SARL a interjeté appel de ce jugement.
Par arrêt 17/23 - IX – CIV, la Cour d’appel, neuvième chambre, siégeant en matière civile a décidé que c’est à juste titre que les juges de premier degré ont retenu que l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s'attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, et a conclu que dans l’affaire Vous soumise, le juge pénal s’est prononcé tant sur la facture du 30 avril 2007 que sur le contrat de vente du 25 avril 2007, soit des éléments qui forment la base commune de l’action civile et de l’action pénale.
La Cour a retenu qu’eu égard à l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, il est interdit à une juridiction civile de remettre en cause ce qui a été certainement et définitivement décidé par le juge pénal concernant cet aspect de la matérialité des faits à la base des deux procédures.
La Cour a retenu qu’il a été définitivement arrêté que PERSONNE2.) n’était pas la propriétaire du violoncelle et de l’archet vendus, mais qu’elle était liée par un mandat sinon un sous mandat, voire un contrat de dépôt, lui permettant de vendre lesdits objets au nom et pour le compte de SOCIETE1.) SARL et qu’il a de même été définitivement jugé que le contrat de vente du 25 avril 2007 ne renseigne aucune contrevérité. Elle a conclu que la demande en nullité du contrat de vente du 25 avril 2007 n’est ainsi pas fondée.
L’arrêt entrepris a encore retenu que la société SOCIETE1.) SARL fait valoir que PERSONNE1.) n’aurait pas payé le prix de 25.000 euros et continue à se baser sur la facture émise le 30 avril 2007 au sujet de laquelle le juge pénal a toutefois retenu qu’elle constitue un faux. La Cour a déduit que la facture étant un faux, SOCIETE1.) SARL reste en défaut de rapporter, ne serait-ce qu’un commencement de preuve d’un accord de l’acheteur PERSONNE1.) quant à un prix de 25.000 euros.
La Cour a ainsi confirmé purement et simplement les juges de première instance et dit non fondées les demandes en résolution de la vente et en obtention des sommes de 25.000 euros et de 50.000 euros.
Sur le premier moyen de cassation Aux termes du premier moyen de cassation, la demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé l’article 1er de la loi du 21 juin 1973 portant approbation de la Convention sur la reconnaissance mutuelle des sociétés et personnes morales ainsi que du protocole annexe, signés à Bruxelles le 29 février 1968, en refusant la qualité de personne morale à la société à responsabilité limitée de droit français SOCIETE1.) SARL en décidant que cette dernière ne serait pas à considérer comme tiers à la procédure pénale ayant abouti à l’arrêt du 2 mai 2018 rendu par la dixième chambre de la Cour d’appel, siégeant en matière correctionnelle.
L’article 1 de la Convention sur la reconnaissance mutuelle des société et personnes morales ainsi que du protocole annexe signés à Bruxelles le 29 février 1968 dispose ce qui suit :
« Sont reconnues de plein droit les sociétés de droit civil ou commercial, y compris les sociétés coopératives, constituées en conformité de la loi d'un Etat contractant qui leur accorde la capacité d'être titulaires de droits et d'obligations, et ayant leur siège statutaire dans les territoires auxquels s'applique la présente convention ».
L’arrêt dont pourvoi a retenu au sujet ce qui suit :
« Il s’ensuit que l’action pénale, initiée entre autre par l’avis donné par le jugement civil rendu en date du 15 décembre 2010 au Procureur d’Etat, a été poursuivie non à l’égard de SOCIETE1.), mais de son dirigeant PERSONNE3.), dont le domicile se trouve à la même adresse que le siège social de SOCIETE1.). C’est là le choix du parquet. Cela ne signifie néanmoins pas que SOCIETE1.) est à considérer comme un tiers à la procédure pénale : il a justement été sursis à statuer au civil pour attendre l’issue de cette procédure pénale. Admettre le contraire conduirait à une insécurité et un non-sens juridique ».
La Cour a rappelé que le procureur a fait le choix d’intenter des poursuites pénales à l’encontre de PERSONNE3.), dirigeant de la société SOCIETE1.) SARL et non contre la société elle-
même, en application du principe selon lequel la responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes infractions. Elle a retenu qu’en vertu de la situation procédurale de l’espèce, la société SOCIETE1.) SARL ne devait pas être considérée comme un tiers à la procédure pénale qui s’est déroulée mais elle n’a à aucun moment refusé la qualité de personne morale à la société à responsabilité limitée de droit français SOCIETE1.) SARL.
A la lecture de la discussion du moyen, il s’avère d’ailleurs que la demanderesse reproche aux juges d’appel d’avoir violé le principe du contradictoire en retenant des considérations civiles contenues dans les motifs d’une décision pénale rendue à l’issu d’un procès pénal auquel elle n’était pas partie.
Ainsi, la disposition visée est étrangère au grief mis en œuvre par le moyen, de sorte que le moyen est irrecevable.
Il s’y ajoute que le moyen manque en fait.
Sur le deuxième moyen de cassation Aux termes du deuxième moyen de cassation, la demanderesse en cassation reproche aux juges d’appel d’avoir violé l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, en méconnaissant le principe du contradictoire en retenant des considérations civiles contenues dans les motifs d’une décision pénale rendue à l’issu d’un procès pénal auquel elle n’était pas partie.
Dans le passé, Votre Cour a décidé que l’interdiction de remettre en cause l’autorité de la chose jugée visée à l’article précité a pour objectif d’empêcher l’insécurité juridique dans l’administration de la justice et ne saurait être restreinte à la triple condition d’identité des parties, d’objet et de cause de l’article 1351 du Code civil2.
La Cour de cassation française a, à plusieurs reprises, affirmé le principe de l'autorité au civil, de la chose jugée au pénal selon lequel, les décisions de la juridiction pénale ont au civil l'autorité de la chose jugée à l'égard de tous et il n'est pas permis au juge civil de méconnaître ce qui a été jugé par le tribunal répressif.
L'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s'attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé (Cass. 1ère civ., 24 oct. 2012, n° 11-20.442 : JurisData n° 2012-
023910 ; D. 2013, p. 68, note N. Rias; Cass. 2ème civ., 4 juin 2009, n° 08-11.163 : JurisData n° 2009-048492).
La Cour de cassation belge a aussi longtemps affirmé ce principe.
Ce n’est que par un arrêt du 15 février 19913, que la Cour de cassation a procédé à un certain revirement de jurisprudence, considérant que « dès lors, en se fondant sur le principe de l’autorité erga omnes de la chose jugée en matière pénale, l’arrêt ne donne pas au demandeur une chance égale à celle des autres parties à la cause, dans une instance concernant ses droits et obligations de caractère civil, de réfuter la preuve apportée par ceux-ci concernant un élément de fait ».
La Cour de cassation belge a conclu que l’arrêt entrepris « viole l’article 6, §1er de la Convention invoqué par le demandeur devant le juge du fond ».
L’arrêt du 15 février 1991 fait donc primer l’article 6, §1er de la Convention européenne des droits de l’homme sur le principe général du droit interne consacrant l’autorité erga omnes de la chose jugée au pénal.
2 Cass. 20 mai 2021, n° 86 / 2021, n° CAS-2020-00069 du registre.
3 Cass. (1ère ch.), 15 février 1991, Revue critique de jurisprudence belge, 1992 Il convient de déduire de cet arrêt que l’autorité de la chose jugée au pénal ne fait pas obstacle à ce que, lors d’un procès civil ultérieur, une partie ait la possibilité de contester les éléments déduits du procès pénal, lorsqu’elle n’a pas été partie à l’instance pénale ou dans la mesure où elle n’a pu librement y faire valoir ses intérêts.
Plusieurs autres enseignements peuvent être tirés de l’arrêt de la Cour de cassation belge du 15 février 1991.
Bien que l’arrêt en question implique une certaine érosion de l’autorité erga omnes de la chose jugée au pénal par la primauté du droit à un procès équitable, le second attendu de l’arrêt ne manque pas de rappeler le principe général de droit interne consacrant l’autorité erga omnes de la chose jugée au pénal dont il résulte que les faits dont le juge pénal a constaté certainement et nécessairement l’existence à l’égard du prévenu, dans le cadre de sa décision sur l’action publique, ne peuvent être contestés, même par des tiers, dans le cadre d’une action civile ultérieure.
Il ne fait ainsi pas de doute que l’autorité de la chose jugée par la juridiction pénale sur le procès civil ultérieur continue à s’appliquer entre ceux qui étaient parties au procès pénal et qui ont pu faire valoir leurs intérêts au cours de l’instance.
De même, un acquittement au pénal est également revêtu de l’autorité de la chose jugée sur le plan pénal et sur le plan civil à l’égard des parties à l’action civile devant le juge pénal ainsi qu’à l’égard de la partie intervenante à l’égard de laquelle le jugement a été déclaré commun.
Il ressort du sixième attendu de l’arrêt du 15 février 1991 que l’autorité de la chose jugée s’impose également à l’égard des parties au procès civil qui n’étaient pas partie au procès pénal et qui n’ont pas invoqué une violation de l’article 6, §1er de la Convention européenne des droits de l’homme résultant de l’application du principe de l’autorité erga omnes de la chose jugée au pénal devant le juge du fond.
En même temps, dans la logique des choses et afin de ne pas éroder complétement le principe général du droit de l’autorité erga omnes de la chose jugée au pénal, qui constitue un important garant de la sécurité juridique, il doit être admis qu’il soit insuffisant qu’un tiers au procès pénal soulève l’exception de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme devant les juges civil pour permettre de méconnaître ce qui a été jugé par le tribunal répressif ; il incombe en outre au tiers de rapporter la preuve que les constatations matérielles du juge répressif sont inexactes.
Il en suit que même dans l’hypothèse où Votre Cour décidait de se rallier à la jurisprudence de la Cour de Cassation belge au vœu de l’article 6, §1er de la Convention européenne des droits de l’homme, il convient de noter que la demanderesse en cassation n’était pas démunie de toute possibilité de faire valoir ses moyens dans le cadre du procès pénal dans la mesure où son propre dirigeant était partie à cette procédure, et que même à la considérer, nonobstant cet état des choses, comme tiers au procès pénal, elle n’a pas soulevé l’exception de l’article 6 §1er de la Convention européenne des droits de l’homme devant les juges civils du fond et elle n’a en tout cas pas rapporté la preuve que les constatations matérielles du juge répressif seraient inexactes.
Il en suit que le deuxième moyen n’est pas fondé.
Sur le troisième moyen de cassation Aux termes du troisième moyen de cassation, la demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé l’article 221 du Nouveau Code de procédure civile, en décidant que le délai imposé aux termes d’une injonction de conclure et de déposer ses conclusions au greffe pour le 27 mai 2022 au plus tard, sous peine de clôture de l’instruction, n’avait pas été respecté, et en procédant à la clôture de l’instruction et au renvoi de conclusions et pièces déposées par la société SOCIETE1.) postérieurement à cette clôture alors que les conclusions litigieuses avaient été communiquées aux avocats des autres parties à la date limite fixée dans l’injonction et que cette seule date de communication des conclusions constituerait un acte de procédure à prendre en compte au sens de l’article 221 du Nouveau Code de procédure civile.
L’article 203 alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile dispose ce qui suit :
« Le juge de la mise en état a mission de veiller au déroulement loyal de la procédure, spécialement à la ponctualité de l’échange des conclusions et de la communication des pièces.
Il peut entendre les avocats et leur faire toutes communications utiles. Il peut également, si besoin est, leur adresser des injonctions ».
L’article 221 du Nouveau Code de procédure civile dispose que « si l’un des avocats n’a pas accompli les actes de la procédure dans le délai imparti, le renvoi devant le tribunal et la clôture de l’instruction peuvent être décidés par le juge, d’office ou à la demande d’une autre partie, sauf en ce dernier cas, la possibilité pour le juge de refuser par ordonnance motivée non susceptible de recours ».
Il ressort de l’arrêt dont pourvoi que la société SOCIETE1.) avait reçu une injonction de conclure et de déposer ses conclusions au greffe de la Cour pour le 27 mai 2022 au plus tard, sous peine de clôture de l’instruction.
L’article 194 du Nouveau Code de procédure civile dispose dans ses alinéas 2 et 3 ce qui suit :
« Les conclusions sont signifiées ou notifiées et les pièces communiquées par l’avocat de chacune des parties à celui de l’autre partie; en cas de pluralité de demandeurs ou de défendeurs, elles doivent l’être à tous les avocats constitués.
Copie de ces conclusions est remise au greffe avec la justification de leur signification ou notification ».
Il découle de ce texte que la communication des conclusions par l’avocat de chaque partie à l’avocat de l’autre est un prérequis à la remise des conclusions en question au greffe de la juridiction saisie.
La demanderesse en cassation fait valoir qu’elle a fait signifier ses conclusions aux parties adverses le 27 mai 2023.
Il ressort de l’arrêt attaquée que les conclusions en question ont été déposées au greffe de la Cour Supérieure de Justice après la date péremptoire fixée à cette fin par l’injonction intervenue conformément à l’article 203 alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile.
La Cour a ainsi procédé à juste titre à la clôture de l’instruction le 30 mai 2022 et a renvoyé les conclusions et pièces versées par la société SOCIETE1.) après la date imposée à cette fin.
Il en suit que le troisième moyen n’est pas fondé.
Conclusion Le pourvoi est recevable, mais non fondé.
Pour le Procureur général d’Etat, L’avocat général, Bob PIRON 14