N° 56 / 2024 pénal du 28.03.2024 Not. 22730/21/CC Numéro CAS-2023-00138 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, vingt-huit mars deux mille vingt-quatre, sur le pourvoi de PERSONNE1.), né le DATE1.) à ADRESSE1.), demeurant à L-ADRESSE2.), prévenu, demandeur en cassation, comparant par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, en l’étude de laquelle domicile est élu, en présence du Ministère public, l’arrêt qui suit :
Vu l’arrêt attaqué rendu le 11 juillet 2023 sous le numéro 280/23 V. par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, cinquième chambre, siégeant en matière correctionnelle ;
Vu le pourvoi en cassation formé par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, en remplacement de Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, au nom d’PERSONNE1.), suivant déclaration du 10 août 2023 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Vu le mémoire en cassation déposé le 30 août 2023 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions du premier avocat général Marc HARPES.
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant comme juge unique en matière correctionnelle, avait condamné PERSONNE1.) à une amende et à une interdiction de conduire assortie du sursis intégral du chef de diverses infractions à la législation sur la circulation routière et avait prononcé la confiscation de son véhicule automoteur. La Cour d’appel a déclaré irrecevable pour violation de l’article 203 du Code de procédure pénale l’appel interjeté par le demandeur en cassation.
Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de l’article 203 du Code de procédure pénale en ce que l’arrêt attaqué a retenu que la notification du jugement du 17 juin 2022 au domicile du demandeur en cassation a fait courir le délai d’appel de quarante jours, alors que selon l’article 203 alinéa 3, du prévenu et de la partie civilement responsable à partir du prononcé du jugement, s'il est contradictoire, et à partir de sa signification ou de sa notification à personne, à domicile, au domicile élu, à résidence ou au lieu de travail, s’il est réputé contradictoire ou rendu par défaut.». Ledit article prévoit donc en premier lieu pour les jugement réputé contradictoire une signification ou une notification à personne. ».
Réponse de la Cour Conformément à l’article 203, alinéa 3, du Code de procédure pénale, le délai de quarante jours pour interjeter appel contre un jugement réputé contradictoire, rendu en matière correctionnelle, court à l’égard du prévenu à partir de la notification du jugement à domicile. L’article 386, paragraphe 4, du même code précise que, dans tous les cas, la notification est réputée faite le jour du dépôt de l’avis par le facteur des postes.
En retenant que la notification au demandeur en cassation du jugement réputé contradictoire à son égard, opérée à son domicile par la voie postale, conformément à l’article 386, paragraphe 4, du Code de procédure pénale, a fait courir, en application de l’article 203, alinéa 3, du même code, le délai pour interjeter appel contre ledit jugement, les juges d’appel ont fait l’exacte application de la disposition visée au moyen.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
2 Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation des articles 8 et 9 de la directive 2016/343 portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales en ce que la Cour d’appel en se basant sur l’article 203 du Code de procédure pénale est venue à la conclusion que les notifications à domicile du jugement du 17 juin 2022 ont valablement fait courir le délai d’appel à l’encontre du demandeur en cassation, alors que selon :
1. L’article 8 1. Les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies aient le droit d'assister à leur procès.
2. Les États membres peuvent prévoir qu'un procès pouvant donner lieu à une décision statuant sur la culpabilité ou l'innocence du suspect ou de la personne poursuivie peut se tenir en son absence, pour autant que:
a) le suspect ou la personne poursuivie ait été informé, en temps utile, de la tenue du procès et des conséquences d'un défaut de comparution; ou b) le suspect ou la personne poursuivie, ayant été informé de la tenue du procès, soit représenté par un avocat mandaté, qui a été désigné soit par le suspect ou la personne poursuivie, soit par l'État.
3. Une décision prise conformément au paragraphe 2 peut être exécutée à l'encontre du suspect ou de la personne poursuivie concerné.
Lorsque les États membres prévoient la possibilité que des procès se tiennent en l'absence du suspect ou de la personne poursuivie, mais qu'il n'est pas possible de respecter les conditions fixées au paragraphe 2 du présent article parce que le suspect ou la personne poursuivie ne peut être localisé en dépit des efforts raisonnables consentis à cet effet, les États membres peuvent prévoir qu'une décision peut néanmoins être prise et exécutée.
Dans de tels cas, les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies, lorsqu'ils sont informés de la décision, en particulier au moment de leur arrestation, soient également informés de la possibilité de contester cette décision et de leur droit à un nouveau procès ou à une autre voie de droit, conformément à l'article 9.
5. Le présent article s'entend sans préjudice des règles nationales qui prévoient que le juge ou la juridiction compétente peut exclure temporairement du procès un suspect ou une personne poursuivie si nécessaire dans l'intérêt du bon 3 déroulement de la procédure pénale, pour autant que les droits de la défense soient respectés.
6. Le présent article s'entend sans préjudice des règles nationales qui prévoient que la procédure ou certaines parties de celles-ci sont menées par écrit, pour autant que le droit à un procès équitable soit respecté.
Et 2. L’article 9 Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies, lorsqu'ils n'ont pas assisté à leur procès et que les conditions prévues à l'article 8, paragraphe 2, n'étaient pas réunies, aient droit à un nouveau procès ou à une autre voie de droit, permettant une nouvelle appréciation du fond de l'affaire, y compris l'examen de nouveaux éléments de preuve, et pouvant aboutir à une infirmation de la décision initiale. À cet égard, les États membres veillent à ce que lesdits suspects et personnes poursuivies aient le droit d'être présents, de participer effectivement, conformément aux procédures prévues par le droit national, et d'exercer les droits de la défense. ».
Réponse de la Cour En constatant que le demandeur en cassation, qui disposait du délai de quarante jours pour interjeter appel à partir de la date de la notification à domicile du jugement, n’avait pas exercé cette voie de recours dans le délai légal, les juges d’appel n’ont privé le demandeur en cassation ni d’un accès à la justice ni de la possibilité d’exercer un recours effectif.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
Sur les troisième et quatrième moyens de cassation réunis Enoncé des moyens le troisième, « Tiré de la violation de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, de l'article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH), de l'article 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et de l'article 11 de la déclaration universelle des droits de l'homme.
en ce que l’arrêt attaqué a dit irrecevable l’appel du demandeur en cassation et l’a donc amputé de son droit à un recours effectif contre la décision défavorable du 17 juin 2022, alors que selon l’article 47 de la charte et des autres convention et pacte visés, toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des 4 conditions prévues au présent article. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l'effectivité de l'accès à la justice. » et le quatrième, « Tiré de la violation de l’article 48 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, de l'article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH), de l'article 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et de l'article 11 de la déclaration universelle des droits de l'homme.
en ce que l’arrêt attaqué a dit irrecevable l’appel du demandeur en cassation et l’a donc amputé de son droit à un recours effectif contre la décision défavorable du 17 juin 2022, alors que selon l’article 48 de la charte et des autre convention et pacte visés, 1. Tout accusé est présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
2. Le respect des droits de la défense est garanti à tout accusé ».
Réponse de la Cour La Déclaration universelle des droits de l'homme ne constitue pas une norme juridique, mais un acte à portée politique qui ne saurait être invoqué à l'appui d'un moyen de cassation. Les poursuites pénales dirigées contre le demandeur en cassation n’appellent pas la mise en œuvre du droit de l’Union européenne, de sorte que les dispositions de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne sont étrangères au litige.
Il s’ensuit que les moyens, en ce qu’ils sont tirés de ces deux textes, sont irrecevables.
Il résulte de la réponse donnée au deuxième moyen que les juges d’appel n’ont pas privé le demandeur en cassation de son droit à un recours effectif, celui-ci étant préservé sous réserve de l’exercer suivant les conditions fixées par la loi.
Il s’ensuit que les moyens ne sont pas fondés.
5 PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;
condamne le demandeur en cassation aux frais de l’instance en cassation, ceux exposés par le Ministère public étant liquidés à 2,25 euros.
Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, vingt-huit mars deux mille vingt-quatre, à la Cité Judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :
Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, qui ont signé le présent arrêt avec le greffier à la Cour Daniel SCHROEDER.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence du premier avocat général Marc HARPES et du greffier Daniel SCHROEDER.
Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) contre le Ministère Public N° CAS-2023-00138 du registre Par déclaration faite le 10 août 2023 au greffe de la Cour supérieure de justice du Grand-Duché de Luxembourg, Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, a formé au nom et pour le compte d’PERSONNE1.) un recours en cassation contre l’arrêt n° 280/23 V rendu le 11 juillet 2023 par la Cour d’appel, cinquième chambre, siégeant en matière correctionnelle.
Cette déclaration de recours a été suivie le 30 août 2023 par le dépôt du mémoire en cassation prévu à l’article 43 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, signé par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour.
Le pourvoi, dirigé contre un arrêt qui a statué de façon définitive sur l’action publique a été déclaré dans la forme et le délai de la loi. De même, le mémoire en cassation a été déposé dans la forme et le délai y imposés.
Le pourvoi est partant recevable.
Faits et rétroactes Suivant jugement réputé contradictoire du 17 juin 2022, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle et statuant en composition de juge unique, avait condamné PERSONNE1.) à une interdiction de conduire et à une amende pour avoir, en tant que propriétaire d’un véhicule automoteur, toléré que celui-ci fût mis en circulation sur la voie publique sans être couvert par un contrat d’assurance valable et sans que la taxe sur les véhicules routiers n’ait été payée depuis plus de soixante jours à compter de son échéance.
Par l’arrêt entrepris par le pourvoi, la Cour d’appel a déclaré les appels dirigés contre ce jugement par PERSONNE1.) et le Ministère public irrecevables.
Pour statuer ainsi, les juges d’appel ont considéré que le jugement de condamnation réputé contradictoire de première instance avait valablement été notifié au domicile d’PERSONNE1.) le 1er juillet 2022, de sorte que le délai d’appel courrait à partir de cette date. Ils en ont déduit que l’appel d’PERSONNE1.), introduit le 15 novembre 2022, avait été interjeté en dehors du délai légal de quarante jours et était à ce titre irrecevable. Ils ont encore décidé que l’irrecevabilité de l’appel principal entraînait l’irrecevabilité de l’appel incident du Ministère public.
Sur le premier moyen de cassation Le premier moyen de cassation, est « tiré de la violation de l’article 203 du Code de procédure pénale », en ce que l’arrêt attaqué a retenu que la notification du jugement du 17 juin 2022 au domicile du demandeur en cassation a fait courir le délai d’appel de quarante jours, alors que selon l’article 203 alinéa 3, « Il (le délai d’appel) court à l'égard du prévenu et de la partie civilement responsable à partir du prononcé du jugement, s'il est contradictoire, et à partir de sa signification ou de sa notification à personne, à domicile, au domicile élu, à résidence ou au lieu de travail, s’il est réputé contradictoire ou rendu par défaut. Ledit article prévoit donc en premier lieu pour les jugements réputés contradictoire une signification ou une notification à personne. » Aux termes de l’article 203, alinéa 3 du Code de procédure pénale, le délai de quarante jours pour interjeter appel contre un jugement réputé contradictoire, rendu en matière correctionnelle, court à l’égard du prévenu à partir de sa signification ou de sa notification à personne, à domicile, au domicile élu, à résidence ou au lieu de travail.
L’article 382 du même code prévoit que les notifications délivrées à la requête du Ministère public peuvent être faites par voie postale.
L’article 386 du même code précise en son paragraphe 1er que « lorsque […] la notification [est faite] par voie postale, l’autorité requérante adresse une copie de l’acte sous pli fermé et recommandé au destinataire, accompagnée d’un accusé de réception. La remise doit se faire en mains propres du destinataire […] ».
Le paragraphe 4 du même article prévoit que « Si l’agent des postes ne trouve pas le destinataire à son domicile, sa résidence ou au lieu de travail […] et qu’il résulte des vérifications qu’il a faites que le destinataire demeure bien à l’adresse indiquée ou y a son lieu de travail, il en fait mention sur l’avis de réception qu’il remet avec la lettre recommandée au bureau des postes distributeur compétent.
Il laisse au domicile, à la résidence ou au lieu de travail […] ou à la case postale du destinataire un avis l’avertissant que la lettre recommandée n’a pu lui être remise et indiquant l’autorité expéditrice et le bureau des postes où la lettre recommandée doit être retirée dans un délai de sept jours. Si la lettre recommandée est retirée par le destinataire dans ce délai, l’agent des postes mentionne la remise sur l’avis de réception qu’il envoie à l’autorité expéditrice.
Si la lettre recommandée n’est pas retirée par le destinataire dans ce délai, l’agent le mentionne sur l’avis de réception qu’il envoie avec la lettre recommandée à l’autorité expéditrice. Dans tous les cas la citation ou la notification est réputée faite le jour du dépôt de l’avis par le facteur des postes. » Il résulte de ces dispositions légales que l’agent des postes chargé de la notification d’un acte de procédure pénale pour compte du Ministère public recherchera en premier lieu à remettre le courrier en mains propres au destinataire. S’il ne le trouve pas en personne à son domicile ou à sa résidence, la notification est réputée faite le jour du dépôt de l’avis par le facteur des postes au domicile du destinataire.
En l’espèce, les juges d’appel ont retenu que l’adresse à laquelle le jugement réputé contradictoire de première instance avait été notifié correspondait bien à celle à laquelle PERSONNE1.) était déclaré depuis le 14 juin 2022, soit antérieurement à la notification du jugement, effectuée le 1er juillet 2022. Ils ont encore relevé qu’PERSONNE1.) ne contestait pas résider à cette adresse et ont considéré que cette adresse correspondait à la notion de domicile prévue à l’article 203, alinéa 3 du Code de procédure pénale1.
1 Arrêt entrepris, page 6, avant-dernier alinéa.Ils ont ensuite considéré que la notification du jugement réputé contradictoire de première instance avait été effectuée en conformité avec les dispositions de l’article 386 du Code de procédure pénale. Ils ont relevé à cet égard que l’agent des postes n’ayant pas trouvé PERSONNE1.) à son domicile, il y a laissé le 1er juillet 2022 l’avis prescrit par l’article 385 (4) du Code de procédure pénale. Ils ont encore constaté que l’envoi avait été retourné au Ministère public, non pas avec la mention que le destinataire n’habiterait plus à l’adresse indiquée, mais avec la mention « non réclamé »2.
Les juges d’appel ont régulièrement pu déduire de ces constatations de fait, qui relèvent au demeurant de leur pouvoir souverain d’appréciation, que conformément à l’article 203 du Code de procédure pénale, la notification en question avait fait courir le délai d’appel de quarante jours.
Ainsi, en retenant que la notification au demandeur en cassation du jugement réputé contradictoire à son égard, opérée à son domicile par la voie postale, conformément à l’article 386 du Code de procédure pénale, avait fait courir le délai de quarante jours pour interjeter appel contre ledit jugement, les juges d’appel ont fait une juste application de l’article 203 alinéa du même code3.
Il en suit que le moyen n’est pas fondé.
Sur le deuxième moyen de cassation Le deuxième moyen de cassation est tiré de la violation articles 8 et 9 de la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales.
Aux termes de ce moyen, le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel qu’en décidant que le délai d’appel contre le jugement réputé contradictoire de première instance, qui l’a condamné en son absence, courrait à partir de la notification de ce jugement à son domicile, plutôt que d’exiger une notification à sa personne, et en déclarant l’appel irrecevable sur ce fondement, il aurait été privé, en tant que personne poursuivie qui n’a pas assisté à son procès, du droit à un nouveau procès.
2 Arrêt entrepris, page 7, alinéas 2 et 3.
3 Dans ce sens au sujet de la notification d’un jugement par défaut : Cass. 20 mai 2021, n° 83/2021 pénal, numéro CAS-2020-00096 du registre.
Les dispositions visées au moyen se présentent comme suit :
« Article 8 : Droit d'assister à son procès 1. Les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies aient le droit d'assister à leur procès.
2. Les États membres peuvent prévoir qu'un procès pouvant donner lieu à une décision statuant sur la culpabilité ou l'innocence du suspect ou de la personne poursuivie peut se tenir en son absence, pour autant que:
a) le suspect ou la personne poursuivie ait été informé, en temps utile, de la tenue du procès et des conséquences d'un défaut de comparution; ou b) le suspect ou la personne poursuivie, ayant été informé de la tenue du procès, soit représenté par un avocat mandaté, qui a été désigné soit par le suspect ou la personne poursuivie, soit par l'État.
3. Une décision prise conformément au paragraphe 2 peut être exécutée à l'encontre du suspect ou de la personne poursuivie concerné.
4. Lorsque les États membres prévoient la possibilité que des procès se tiennent en l'absence du suspect ou de la personne poursuivie, mais qu'il n'est pas possible de respecter les conditions fixées au paragraphe 2 du présent article parce que le suspect ou la personne poursuivie ne peut être localisé en dépit des efforts raisonnables consentis à cet effet, les États membres peuvent prévoir qu'une décision peut néanmoins être prise et exécutée. Dans de tels cas, les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies, lorsqu'ils sont informés de la décision, en particulier au moment de leur arrestation, soient également informés de la possibilité de contester cette décision et de leur droit à un nouveau procès ou à une autre voie de droit, conformément à l'article 9.
5. Le présent article s'entend sans préjudice des règles nationales qui prévoient que le juge ou la juridiction compétente peut exclure temporairement du procès un suspect ou une personne poursuivie si nécessaire dans l'intérêt du bon déroulement de la procédure pénale, pour autant que les droits de la défense soient respectés.
11 6. Le présent article s'entend sans préjudice des règles nationales qui prévoient que la procédure ou certaines parties de celles-ci sont menées par écrit, pour autant que le droit à un procès équitable soit respecté.
Article 9 : Droit à un nouveau procès Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies, lorsqu'ils n'ont pas assisté à leur procès et que les conditions prévues à l'article 8, paragraphe 2, n'étaient pas réunies, aient droit à un nouveau procès ou à une autre voie de droit, permettant une nouvelle appréciation du fond de l'affaire, y compris l'examen de nouveaux éléments de preuve, et pouvant aboutir à une infirmation de la décision initiale. À cet égard, les États membres veillent à ce que lesdits suspects et personnes poursuivies aient le droit d'être présents, de participer effectivement, conformément aux procédures prévues par le droit national, et d'exercer les droits de la défense. » Il résulte de ces dispositions que le droit d’une personne poursuivie qui n’a pas assisté à son procès, d’avoir droit à un nouveau procès permettant une nouvelle appréciation du fond de l’affaire et pouvant aboutir à une infirmation de la décision initiale n’est garanti que pour autant que les conditions alternatives prévues à l’article 8, paragraphe 2 ne sont pas réunies.
Il en suit que lorsque la personne poursuivie a été informée en temps utile de la tenue du procès et des conséquences d’un défaut de comparution, les articles 8 et 9 de la directive (UE) 2016/343 n’imposent pas qu’elle ait droit à un nouveau procès.
Ainsi que rappelé par les juges d’appel, qui citent les motifs du projet de loi ayant abouti à la loi du 18 août 2018 portant modification du Code de procédure pénale qui a transposé la directive (UE) 2016/343, les dispositions luxembourgeoises du Code de procédure pénale vont à cet égard au-delà des standards énoncés dans la directive4. En effet, même au cas où les conditions énoncées à l’article 8, paragraphe 2 sont vérifiées, la personne a droit, suivant la législation luxembourgeoise, à un nouveau procès.
En l’espèce, il résulte de l’arrêt entrepris que la citation à prévenu du 29 mars 2022 pour l’audience de première instance, qui s’est tenue le 27 mai 20225, a été 4 Arrêt entrepris, page 6, alinéa 3.
5 Jugement réputé contradictoire du 17 juin 2022, page 1 (pièce n° 2 du Parquet général).notifiée à PERSONNE1.) en personne6. La notification a été effectuée le 30 mars 2022 au Centre pénitentiaire de Luxembourg7 où PERSONNE1.) était à ce moment détenu pour autre cause8. Le prévenu avait largement le temps de préparer sa défense puisque près de deux mois se sont écoulés entre la citation à prévenu notifiée le 30 mars 2022 et l’audience du 27 mai 2022, le délai légal de citation à l’égard d’PERSONNE1.), en tant que résidant dans le Grand-Duché, ayant été de huit jours9. La citation à prévenu notifiée à PERSONNE1.) en personne a par ailleurs comporté expressément l’information écrite sur le défaut de comparution, à savoir que, selon le cas, un jugement de condamnation par défaut où réputé contradictoire pourrait être rendu à son encontre10.
PERSONNE1.) ayant partant a été informé en temps utile de la tenue du procès et des conséquences d’un défaut de comparution, il est mal fondé de se prévaloir des dispositions des articles 8 et 9 de la directive (UE) 2016/343 pour réclamer la tenue d’un nouveau procès.
Il en résulte que les juges d’appel, en déclarant irrecevable l’appel introduit par PERSONNE1.) contre le jugement de condamnation de première instance, n’ont pas violé les articles 8 et 9 de la directive (UE) 2016/343.
Le moyen n’est donc pas fondé.
Sur les troisième et quatrième moyens de cassation réunis Le troisième moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, en ce que le demandeur en cassation aurait été privé du droit à un recours effectif contre la décision de condamnation.
6 Arrêt entrepris, page 2, alinéa 1er et page 7 alinéa 1er.
7 Citation à prévenu du 29 mars 2022 (pièce n° 1 du Parquet général).
8 Il est relevé qu’PERSONNE1.) est sorti de prison le 29 avril 2022, soit antérieurement à l’audience du 27 mai 2022, et qu’il était partant libre pour assister à son procès.
9 Articles 146 et 184 du Code de procédure pénale.
10 Citation à prévenu du 29 mars 2022 (pièce n° 1 du Parquet général), voir notamment : Informations importantes aux prévenus, points n°s 10 et 11.Le quatrième moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, en ce que le demandeur en cassation aurait été privé du droit de se défendre contre la décision de condamnation.
Aux termes de ces moyens, le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel qu’en décidant que le délai d’appel contre le jugement réputé contradictoire de première instance, qui l’a condamné en son absence, courrait à partir de la notification de ce jugement à son domicile, plutôt que d’exiger une notification à sa personne, et en déclarant son appel irrecevable sur ce fondement, il aurait été privé du droit de se défendre contre la décision de condamnation dans le cadre d’un nouveau procès. Selon le demandeur en cassation, le droit du justiciable d’avoir connaissance de la procédure le concernant afin qu’il puisse comparaître et se défendre impliquerait une notification des actes de procédure à sa personne et non seulement à son domicile.
Il est relevé d’emblée que les troisième et quatrième moyens sont irrecevables en ce qu’ils sont fondés sur la Déclaration universelle des droits de l’homme, puisque la résolution de l’assemblée générale des Nations Unies réunie à Paris le 10 décembre 1948 n’a qu’une valeur déclarative et ne saurait être invoquée à l’appui d’un moyen de cassation tiré de la violation de la loi11. Ces moyens sont cependant recevables en ce qu’ils sont fondés sur les autres instruments internationaux y énumérées qui font partie du droit positif luxembourgeois.
En ce qui concerne le bien-fondé des moyens, il est relevé que la Cour européenne des droits de l’homme décide que les juridictions internes doivent faire preuve de la diligence requise pour assurer la présence de l’accusé en le faisant citer en bonne et due forme12. Elle requiert que la personne poursuivie soit prévenue de la tenue d’une audience non seulement à ce qu’elle ait connaissance de la date, de l’heure et du lieu de l’audience, mais qu’elle dispose encore de suffisamment de temps pour préparer sa défense et se rendre au prétoire13.
11 Cass. 17 novembre 2016, n° 87/16, numéro 3701 du registre, réponse au troisième moyen.
12 Guide sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme – Droit à un procès équitable (volet pénal), mise à jour au 28 février 2023, n° 292 (qui cite Cour EDH Colozza c. Italie, 1985, § 32 ;
M.T.B. c. Turquie, 2018, §§ 49-53).
13 Idem, n° 293 (qui cite Cour EDH Vyacheslav Korchagin c. Russie, 2018, § 65).Elle considère cependant que l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne peut être interprétée comme conférant au requérant le droit d’obtenir telle ou telle forme de signification d’un document judiciaire, par exemple une lettre recommandée14.
Dans une affaire particulière, elle avait considéré que la juridiction interne n’avait pas fait preuve de la diligence requise alors qu’elle n’avait pas essayé de notifier la citation, respectivement la décision de condamnation, au lieu de résidence de la personne poursuivie15.
Ensuite, la Cour européenne des droits de l’homme considère qu’une audience peut avoir lieu en l’absence de l’accusé si celui-ci a renoncé à son droit d’y assister. Pareille renonciation peut être expresse ou tacite en fonction du comportement de l’accusé, par exemple s’il cherche à se soustraire à la justice16.
La Cour européenne des droits de l’homme considère encore qu’une procédure se déroulant en l’absence du prévenu n’est en elle-même pas incompatible avec l’article 6 de la Convention, mais qu’un individu condamné in absentia doit avoir pouvoir obtenir ultérieurement qu’une juridiction statue à nouveau, après l’avoir entendu, sur le bien-fondé de l’accusation en fait comme en droit, alors qu’il n’est pas établi qu’il a renoncé à son droit de comparaître et de se défendre, ou qu’il a eu l’intention de se soustraire à la justice. D’après la Cour, l’obligation de garantir le droit de l’accusé d’être présent au prétoire – que ce soit au cours de la procédure initiale ou d’un nouveau procès – figure parmi les garanties essentielles de l’article 617.
En l’espèce, comme déjà relevé ci-dessus à propos du deuxième moyen, il résulte de l’arrêt entrepris que la citation à prévenu pour l’audience de première instance, qui a comporté l’information écrite sur les conséquences d’un défaut de comparution, a été notifiée personnellement à PERSONNE1.) le 30 mars 2022.
L’audience s’est tenue le 27 mai 2022 en l’absence d’PERSONNE1.) qui ne s’est pas présenté personnellement et n’a pas fait appel à un avocat pour présenter sa défense comme il aurait pu le faire conformément à l’article 185 du Code de procédure pénale18. Il a partant renoncé à son droit d’assister à l’audience, a 14 Idem.
15 Cour EDH, M.T.B. c. Turquie, 2018, §§ 49-53.
16 Guide sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, précité, n° 294 (qui cite Lena Atanasova c. Bulgarie, 2017, § 52 et Chong Coronado c. Andorre, 2020, §§ 42-45).
17 Idem, n° 297 (qui cite Sejdovic c. Italie, 2006, § 82 et Stoichkov c. Bulgarie, 2005, § 56).
18 L’article 185, paragraphe 1er du Code de procédure pénale dispose comme suit en ses trois premiers alinéas :
« Le prévenu régulièrement cité doit comparaître, à moins qu’il ne fournisse une excuse dont la validité est appréciée par le tribunal.
Le prévenu comparaîtra en personne.
Si le prévenu ne comparaît pas en personne, un avocat pourra présenter ses moyens de défense. »accepté que l’affaire soit retenue en son absence à la date et au lieu indiqués sur la citation et a partant accepté qu’un jugement de condamnation soit rendu contre lui sans qu’il ne se soit exprimé devant les juges sur les accusations portées contre lui par le Ministère public. Il est encore rappelé, ainsi qu’exposé ci-dessus par rapport au deuxième moyen, que le prévenu avait largement le temps de préparer sa défense puisque près de deux mois se sont écoulés entre la citation à prévenu notifiée le 30 mars 2022 et l’audience du 27 mai 2022, le délai légal de citation à l’égard d’PERSONNE1.), en tant que résidant dans le Grand-Duché, ayant été de huit jours19.
En ce qui concerne le droit d’PERSONNE1.), condamné en son absence, à un nouveau procès, les juges d’appel ont constaté que le jugement de condamnation du 17 juin 2022, contre lequel la voie de l’appel était ouverte conformément à l’article 203 du Code de procédure pénale, avait régulièrement été notifié au domicile d’PERSONNE1.) le 1er juillet 2023 par lettre recommandée avec accusé de réception, conformément aux dispositions de l’article 386 du Code de procédure pénale, ainsi qu’exposé en réponse au premier moyen de cassation.
L’agent des postes n’ayant pas trouvé PERSONNE1.) à son domicile, il y a laissé l’avis visé au paragraphe 4 de l’article 386 du Code de procédure pénale qui vaut notification. Il résulte de l’arrêt entrepris qu’PERSONNE1.) était bien déclaré à l’adresse en question au moment de la notification et qu’il n’a pas contesté devant les juges d’appel que l’adresse en question correspondait bien à son domicile.
Les juges d’appel ont encore relevé à bon escient qu’« PERSONNE1.) par l’effet de la notification à sa personne de la citation à prévenu qui a abouti au jugement réputé contradictoire dont appel, devait nécessairement savoir que des poursuites pénales étaient engagées à son égard. »20 En effet, PERSONNE1.), informé dans la citation à prévenu qui lui a été notifié en personne, qu’il s’exposait à une condamnation même s’il ne comparaissait pas à l’audience y renseignée, aurait dû s’intéresser à ces poursuites et comparaître, sinon surveiller le courrier recommandé envoyé à son domicile par le Ministère public pour prendre connaissance du jugement de première instance, respectivement s’enquérir, en temps utile, auprès de la juridiction pénale ou du Ministère public sur l’issue de la procédure pénale et la teneur du jugement et exercer le recours prévu par la loi dans les délais y prévus.
Il doit partant être considéré que l’autorité de poursuite a fait preuve de la diligence requise, au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits 19 Articles 146 et 184 du Code de procédure pénale.
20 Arrêt entrepris, page 7, alinéa 1.de l’homme, pour assurer qu’PERSONNE1.) ait eu connaissance de la décision de condamnation et qu’il ait pu exercer la voie de recours ouverte, à savoir l’appel, de sorte que, de ce point de vue, les moyens ne sont pas fondés et c’est à juste titre que les juges d’appel ont pu déclarer l’appel irrecevable puisque fait en dehors du délai de quarante jours à compter de la notification à domicile du jugement de première instance.
Il est finalement relevé, concernant plus particulièrement le reproche de l’absence d’un recours effectif, que suivant une jurisprudence constante, Votre Cour décide que le droit d’accès au juge n’est pas absolu et que les Etats sont habilités à édicter des prescriptions destinées à réglementer les recours qu’ils organisent et à en fixer les conditions d’exercice pourvu que ces réglementations aient pour but d’assurer une bonne administration de la justice21.
Ainsi, en retenant que l’appel du demandeur en cassation était irrecevable faute d’avoir été introduit endéans un délai de quarante jours à partir de la notification au domicile d’PERSONNE1.) du jugement réputé contradictoire de première instance, les juges d’appel n’ont pas privé le demandeur en cassation du droit à un recours effectif, le recours effectif étant préservé s’il est exercé dans le respect des conditions prévues par la loi.
Vus sous cet angle, les moyens ne sont pas fondés non plus.
Conclusion Le pourvoi est recevable, mais n’est pas fondé.
Pour le procureur général d’Etat, Le premier avocat général, Marc HARPES 21 Cass. 29 octobre 2009, n° 2677 du registre ; Cass. 28 avril 2016, n° 3589 du registre.