N° 67 / 2024 du 25.04.2024 Numéro CAS-2023-00076 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, vingt-cinq avril deux mille vingt-quatre.
Composition:
Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Carine FLAMMANG, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.
Entre PERSONNE1.), demeurant à B-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et la CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS, établissement public, établie à L-2449 Luxembourg, 6, boulevard Royal, représentée par le président du conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro J93, défenderesse en cassation, comparant par la société à responsabilité limitée RODESCH Avocats à la Cour, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Rachel JAZBINSEK, avocat à la Cour.
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Vu l’arrêt attaqué rendu le 20 mars 2023 sous le numéro 2023/0079 (No. du reg.: ALFA 2022/0140) par le Conseil supérieur de la sécurité sociale ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 19 mai 2023 par PERSONNE1.) à la CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS (ci-après « la CAE »), déposé le 22 mai 2023 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 5 juillet 2023 par la CAE à PERSONNE1.), déposé le 12 juillet 2023 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions du procureur général d’Etat adjoint John PETRY.
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le comité-directeur de la CAE avait, par décision du 7 février 2017, confirmant la décision du président de la CAE, retiré à PERSONNE1.), travailleur frontalier, avec effet au 1er août 2016, le bénéfice de l’allocation familiale perçue pour les trois enfants de son épouse, nés de précédentes relations, au motif que les enfants n’étaient plus à considérer comme membres de sa famille en application des articles 269 et 270 du Code de la sécurité sociale dans leur rédaction telle qu’issue de la loi du 23 juillet 2016 portant notamment modification du Code de la sécurité sociale.
Le Conseil arbitral de la sécurité sociale avait fait droit au recours de PERSONNE1.) tendant au rétablissement à son profit du paiement de l’allocation familiale.
Le Conseil supérieur de la sécurité sociale a, par réformation, dit que la CAE avait, à bon droit, retiré à PERSONNE1.) le bénéfice de l’allocation familiale.
Sur les deux moyens de cassation réunis Enoncé des moyens le premier, « Les juges d’appel ont contrevenu à la loi ainsi qu’ au droit européen par la violation, voire l’application erronée, voire d’une fausse interprétation, in specie des articles 269 et 270 du Code de la sécurité sociale, alors qu’en première branche : le Conseil supérieur de la sécurité sociale a procédé à une mauvaise interprétation des article 269 et 270 du Code de la sécurité sociale et qu’il a violé l’article 67 du règlement (CE) n°883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.
Il est fait grief au Conseil supérieur de la sécurité sociale d’avoir appliqué les articles 269 et 270 du Code de la sécurité sociale de manière non conforme au droit européen.
En effet, l’article 67 du règlement (CE) n°883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale dispose qu’ .
Partant, en distinguant entre résidant à Luxembourg, qui, au regard de l’article 269, paragraphe 1, alinéa 2, sous a), du code de la sécurité sociale, constitue un droit propre de l’enfant attribué à tout enfant résidant au pays, sans considération de sa situation familiale » et le prétendu accordé à l’enfant du travailleur frontalier, le Conseil supérieur de la sécurité sociale a manifestement procédé à une violation de la loi, ainsi que du droit européen.
Partant, le Conseil supérieur de la sécurité sociale aurait dû retenir ce qui suit :
sociale. Il y a lieu de d’écarter ces articles au profit du droit européen applicable en la matière. Conformément à l’article 67 du règlement (CE) n°883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, il n’y a pas lieu de distinguer entre les enfants de travailleurs résidents et travailleurs frontaliers. Partant, le droit à l’allocation familiale constitue un droit propre de l’enfant qui est attribué à tout enfant résidant ou non au pays ». » et le second, « Les juges d’appel ont contrevenu à la loi, voire au droit européen en omettant d’écarter la loi nationale, à savoir les articles 269 et 270 du Code de la sécurité sociale, contraires au droit européen.
Il est de jurisprudence européenne constante que le juge national est obligé d’écarter la loi nationale contraire au droit européen (cf. Arrêt, CJUE, Ministero delle Finanze IN.CO.GE’90 e.a. (C-10/97 à C-22/97).
L’article 67 du règlement (CE) n°883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale dispose qu’.
Partant, en distinguant entre résidant à Luxembourg, qui, au regard de l’article 269, paragraphe 1, alinéa 2, sous a), du code de la sécurité sociale, constitue un droit propre de l’enfant attribué à tout enfant résidant au pays, sans considération de sa situation familiale » et le prétendu accordé à l’enfant du travailleur frontalier, le Conseil supérieur de la sécurité sociale a manifestement procédé à une violation de la loi, voire à une violation du droit européen (cf. principe de primauté, effet direct) en omettant d’écarter loi nationale, à savoir les articles 269 et 270 du Code de la sécurité sociale, contraires au droit européen.
Partant, le Conseil supérieur de la sécurité sociale aurait dû retenir ce qui suit :
sociale. Il y a lieu de d’écarter ces articles au profit du droit européen applicable en la matière. Conformément à l’article 67 du règlement (CE) n°883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, il n’y a pas lieu de distinguer entre les enfants de travailleurs résidents et travailleurs frontaliers. Partant, le droit à l’allocation familiale constitue un droit propre de l’enfant qui est attribué à tout enfant résidant ou non au pays ». ».
Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé l’article 67 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale ainsi que le principe de primauté du droit de l’Union européenne pour avoir refusé, sur base des articles 269 et 270 du Code de la sécurité sociale, aux enfants de son épouse, nés d’unions précédentes et résidant en Belgique, l’attribution de l’allocation familiale, alors que ce droit serait propre à tout « enfant résidant ou non au pays ».
En constatant, sur base de l’interprétation du droit de l’Union européenne telle que résultant de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, que les enfants du conjoint du demandeur en cassation n’étaient pas à considérer comme membres de sa famille, faute par lui d’avoir rapporté la preuve qu’il pourvoyait à leur entretien, les juges d’appel n’ont pas refusé au travailleur frontalier le droit de bénéficier de l’allocation familiale pour les enfants, résidant en Belgique, de son épouse, mais ont reconnu ce droit tout en le subordonnant à la preuve d’un pourvoi à leur entretien par le travailleur frontalier.
Il s’ensuit que les moyens, en ce qu’ils procèdent d’une lecture erronée de l’arrêt, manquent en fait.
Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure Le demandeur en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.
Il ne paraît pas inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;
rejette les demandes en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne le demandeur en cassation aux frais et dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de la société à responsabilité limitée RODESCH Avocats à la Cour, sur ses affirmations de droit.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président Thierry HOSCHEIT en présence du procureur général d’Etat adjoint Christiane BISENIUS et du greffier Daniel SCHROEDER.
Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) c/ CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS (affaire n° CAS-2023-00076 du registre) Le pourvoi du demandeur en cassation, par dépôt au greffe de la Cour en date du 22 mai 2023, d’un mémoire en cassation, signifié le 19 mai 2023 à la défenderesse en cassation, est dirigé contre un arrêt numéro 2023/00079 rendu contradictoirement le 20 mars 2023 par le Conseil supérieur de la sécurité sociale dans la cause inscrite sous le numéro ALFA 2022/0140 du registre.
Sur la recevabilité du pourvoi Le pourvoi est dirigé contre un arrêt du Conseil supérieur de la sécurité sociale, contre lequel un pourvoi en cassation peut être formé sur base de l’article 455, alinéa 4, du Code de la sécurité sociale.
Le pourvoi est par ailleurs recevable en ce qui concerne le délai1 et la forme2.
Il attaque une décision en dernier ressort ayant tranché tout le principal, de sorte qu’il est également recevable au regard des articles 1 et 3 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation (ci-après « la loi de 1885 »), rendus applicables par l’effet de l’article 455, alinéa 4, précité, du Code de la sécurité sociale, qui dispose que « [l]e pourvoi sera introduit, instruit et jugé dans les formes prescrites pour la procédure en cassation en matière civile et commerciale ».
Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, saisi par PERSONNE1.) d’un recours contre une décision de la CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS (ci-après « CAE ») du 12 octobre 2016, ayant retiré à l’époux, qui est assuré transfrontalier résidant en Belgique, avec effet rétroactif au 1er août 2016, en application des articles 269 et 270 du Code de la sécurité sociale tel qu’ils ont été modifiés 1 L’arrêt contradictoire attaqué a été notifié (conformément à l’article 458 du Code de la sécurité sociale) par lettre recommandée en date du 23 mars 2023. Comme le pourvoi a été formé le 19 mai 2023, le délai de recours, de deux mois et quinze jours (le demandeur en cassation résidant en Belgique), prévu par l’article 7, alinéas 1 et 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation et par l’article 167, point 1°, premier tiret, du Nouveau Code de procédure civile, a été respecté.
2 Le demandeur en cassation a, dans le délai du recours, déposé un mémoire signé par un avocat à la Cour et signifié à la partie adverse antérieurement au dépôt du pourvoi, de sorte que les formalités de l’article 10 de la loi de 1885 ont été respectées.
par une loi du 23 juillet 20163, entrée en vigueur le 1er août 20164, le bénéfice des allocations familiales pour le compte de trois enfants de son épouse, nés de précédentes relations, le Conseil arbitral de la sécurité sociale faisait droit au recours, partant, réformait la décision attaquée. Sur appel de la CAE, le Conseil supérieur de la sécurité sociale réforma le jugement entrepris, donc dit que la CAE avait retiré à bon droit au requérant le bénéfice des allocations familiales.
Sur le cadre juridique Les articles 269 et 270 CSS dans leur version antérieure à la loi du 23 juillet 2016 Dans l’état du droit antérieur au 1er août 2016, le Code de la sécurité sociale disposait que :
« Article 269. A droit aux allocations familiales dans les conditions prévues par le présent chapitre, a) pour lui-même, tout enfant, résidant effectivement et d’une façon continue au Luxembourg et y ayant son domicile légal ;
b) pour les membres de sa famille, conformément à l’instrument international applicable, toute personne soumise à la législation luxembourgeoise et relevant du champ d’application des règlements communautaires ou d’un autre instrument bi-
ou multilatéral conclu par le Luxembourg en matière de sécurité sociale et prévoyant le paiement des allocations familiales suivant la législation du pays d’emploi. […] La condition suivant laquelle l’enfant doit avoir son domicile légal au Luxembourg est présumée remplie dans le chef de l’enfant mineur lorsque la personne - auprès de laquelle l’enfant a son domicile légal conformément à l’article 108 du Code civil, ou bien - dans le ménage de laquelle l’enfant est élevé ou au groupe familial de laquelle il appartient en application de l’article 270, a elle-même son domicile légal au Luxembourg conformément à l’alinéa 3.
[…] Article 270. […] Sont considérés comme appartenant à un même groupe familial, pour autant qu’ils remplissent les conditions d’octroi des allocations familiales, tous les enfants légitimes ou légitimés issus des mêmes conjoints, ainsi que tous les enfants adoptés par les mêmes conjoints en vertu d’une adoption plénière.
3 Loi du 23 juillet 2016 portant modification : 1. du Code de la sécurité sociale ; 2. de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, et abrogeant la loi modifiée du 21 décembre 2007 concernant le boni pour enfant (Mémorial, A, 2016, n° 138, page 2347).
4 Voir l’article VII de la loi précitée, disposant que celle-ci entra en vigueur « le premier jour du mois qui suit sa publication au Mémorial », cette publication ayant eu lieu le 28 juillet 2016, de sorte que la loi entra en vigueur le premier jour du mois suivant, soit le 1er août 2016.
Sont assimilés aux enfants légitimes d’une personne, aussi longtemps qu’ils sont légalement déclarés et élevés dans son ménage et qu’ils remplissent les conditions visées à l’alinéa précédent a) les enfants adoptés en vertu d’une adoption simple ;
b) les enfants naturels qu’elle a reconnus ;
c) les enfants du conjoint ou du partenaire au sens de l’article 2 de la loi du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats ;
d) ses petits-enfants, lorsqu’ils sont orphelins ou que les parents ou celui d’entre eux qui en a la garde effective sont incapables au sens de la loi.
[…] ».
Suivant ces dispositions, les enfants du conjoint avec lesquels le titulaire du droit n’avait pas de lien de filiation ouvraient droit à l’allocation familiale, à condition que les enfants étaient légalement déclarés et élevés dans le ménage du titulaire du droit.
Les articles 269 et 270 CSS issus de la réforme de la loi du 23 juillet 2016 Depuis le 1er août 2016, par suite de l’entrée en vigueur de la loi précitée du 23 juillet 2016, le Code de la sécurité sociale dispose que :
« Article 269. (1) Il est introduit une allocation pour l’avenir des enfants, ci-après « allocation familiale ».
Ouvre droit à l’allocation familiale :
a) chaque enfant, qui réside effectivement et de manière continue au Luxembourg et y ayant son domicile légale, b) les membres de famille tels que définis à l’article 270 de toute personne soumise à la législation luxembourgeoise et relevant du champ d’application des règlements européens ou d’un autre instrument bi- ou multilatéral conclu par le Luxembourg en matière de sécurité sociale et prévoyant le paiement des allocations familiales suivant la législation du pays d’emploi. […] […] Article 270. Pour l’application de l’article 269, paragraphe 1er, point b), sont considérés comme membres de famille d’une personne et donnent droit à l’allocation familiale, les enfants nés dans le mariage, les enfants nés hors mariage et les enfants adoptifs de cette personne. ».
Cette réforme implique que le travailleur frontalier, demeurant dans un autre Etat membre de l’Union européenne et étant, du fait de son activité professionnelle à Luxembourg, affilié à la sécurité sociale luxembourgeoise, peut uniquement prétendre à des allocations familiales du chef de ses propres enfants, à l’exclusion des enfants de son conjoint avec lesquels il n’a pas de lien de filiation.
Cette réforme a été motivée comme suit :
« Etant donné qu’il n’existe pas de définition exacte du membre de la famille dans les textes actuels, l’article 270 du PL 6832 définit le(s) membre(s) de la famille d’un travailleur ouvrant droit à l’allocation familiale. Il s’agit de tous les enfants propres, indépendamment qu’ils soient nés dans ou hors mariage ou adoptifs. »5.
Comme l’article 270, nouveau, du Code de la sécurité sociale se limite à définir « les membres de la famille » au sens de l’article 269, paragraphe 1er, point b), de ce Code, donc les membres de la famille de travailleurs frontaliers affiliés, du fait de leur activité professionnelle à Luxembourg, auprès de la sécurité sociale luxembourgeoise, cette restriction s’applique aux enfants du conjoint de ces travailleurs, qui, n’étant pas « les enfants propres » du travailleur frontalier, n’ouvrent pas droit à l’allocation familiale.
Le terme « membre de la famille » est repris de l’article 1er, point i), du Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci-après « le Règlement n° 883/2004 »)6, qui dispose notamment que « les termes « membre de la famille » désignent : 1) i) toute personne définie ou admise comme membre de la famille ou désignée comme membre du ménage par la législation au titre de laquelle les prestations sont servies ; […] 2) Si la législation d’un Etat membre qui est applicable en vertu du point 1) ne permet pas de distinguer les membres de la famille des autres personnes auxquelles ladite législation est applicable, le conjoint, les enfants mineurs et les enfants majeurs à charge sont considérés comme membres de la famille ; […] ».
Les auteurs de la loi précitée du 23 juillet 2016 relèvent à ce sujet que « [c]e règlement consacre le membre de la famille comme étant le conjoint [du parent] d’enfant mineur et majeur à charge, ceci à défaut de toute autre définition fournie par la législation nationale en question »7.
L’article 270, nouveau, avait, de ce point de vue, pour objectif de consacrer dans la législation nationale une « définition exacte du membre de la famille »8, qui exclut « le conjoint [du parent] d’enfant mineur et majeur à charge ».
L’arrêt Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier) de la Cour de justice du 2 avril 2020 La Cour de justice de l’Union européenne, qui avait été saisie sur demande préjudicielle du Conseil supérieur de la sécurité sociale, a constaté dans son arrêt C-802/18, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier) du 2 avril 20209, la contrariété de 5 Rapport de la Commission de la famille et de l’intégration de la Chambre des Députés, du 6 juin 2016, sur le Projet de loi n° 6832, ayant donné lieu à la loi précitée du 23 juillet 2016 (Document parlementaire n° 6832-10), page 14, sous « Article 270 », premier alinéa.
6 Journal officiel de l’Union européenne, L 166 du 30.4.2004, page 1.
7 Rapport précité de la Commission de la famille et de l’intégration de la Chambre des Députés, page 14, deuxième alinéa.
8 Idem, même page, sous « Article 270 », premier alinéa.
9 Cour de justice de l’Union européenne, 2 avril 2020, C-802/18, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), ECLI:EU:C:2020:269.
cette législation au droit de l’Union européenne, en disant pour droit que « [l]’article 1er, sous i), et l’article 67 du règlement (CE) n° 883/2004 […], lus en combinaison avec l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 492/2011 et avec l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union européenne et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres […] s’opposent à des dispositions d’un Etat membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale liée à l’exercice par ceux-ci, d’une activité salariée dans cet Etat membre que pour leurs propres enfants, à l’exclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils n’ont pas de lien de filiation, mais dont ils pourvoient à l’entretien, alors que tous les enfants résidant dans ledit Etat membre ont le droit de percevoir cette allocation »10.
Il est à préciser que la Cour de justice subordonne le constat de contrariété au droit de l’Union européenne à la condition que « les travailleurs frontaliers […] pourvoient à l’entretien » « [des enfants] de leur conjoint avec lesquels ils n’ont pas de lien de filiation ».
La Cour déduit cette condition de sa jurisprudence relative à l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE »), garantissant la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union européenne et disposant que celle-ci « implique l’abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité »11, et à l’article 7 du Règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (ci-après « le Règlement n° 492/2011 »)12.
Ce dernier article dispose que le travailleur ressortissant d’un Etat membre « ne peut, sur le territoire des autres Etats membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux [et] bénéficie [dans les autres Etats membres] des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux ».
En application de ces dispositions « il y a lieu d’entendre par enfant d’un travailleur frontalier pouvant bénéficier indirectement des avantages sociaux, visés à cette dernière disposition non seulement l’enfant qui a un lien de filiation avec ce travailleur, mais également l’enfant du conjoint ou du partenaire enregistré dudit travailleur, lorsque ce dernier pourvoit à l’entretien de cet enfant »13. « Selon la Cour, cette dernière exigence résulte d’une situation de fait qu’il appartient à l’administration et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier, sur la base des éléments de preuve fournis par l’intéressé, sans qu’il soit nécessaire pour celles-ci de déterminer les raisons de cette contribution ni d’en chiffrer l’ampleur exacte. »14.
Aux fins de saisir la portée de ce critère du « pourvoi à l’entretien de l’enfant », il y a lieu de se référer à la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres15 qui, reprenant une définition qui avait été inscrite dans l’article 10 du Règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la 10 Dispositif de l’arrêt, point 2).
11 Article 45, paragraphe 2, TFUE.
12 Journal officiel de l’Union européenne L 141 du 27.5.2011, page 1.
13 Arrêt précité, point 50 (c’est nous qui soulignons). La Cour se réfère à son arrêt C-401/15 à C-403/15, du 15 décembre 2016, Depesme e.a., ECLI:EU:C:2016:955, rendu sur question préjudicielle de la Cour administrative dans le contexte de la législation luxembourgeoise alors en vigueur relative à l’aide financière pour la poursuite d’études supérieures, qui ne pouvait être sollicitée par un travailleur frontalier du chef de l’enfant de son conjoint.
14 Idem et loc.cit.
15 Journal official de l’Union européenne L 158 du 30.4.2004, page 77.
libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté16, dispose dans son article 2, point 2), que « [a]ux fins de la présente directive, on entend par : […] 2) « membre de la famille » : […] c) les descendants directs qui sont âgés de moins de vingt-et-un ans ou qui sont à charge […] »17 et au considérant 1 de la directive 2014/54/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative à des mesures facilitant l’exercice des droits conférés aux travailleurs dans le contexte de la libre circulation des travailleurs18, suivant lequel :
« La libre circulation des travailleurs est une liberté fondamentale des citoyens de l’Union et constitue l’un des piliers du marché intérieur de l’Union consacré par l’article 45 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Elle trouve sa concrétisation dans le droit de l’Union visant à garantir le plein exercice des droits conférés aux citoyens de l’Union et aux membres de leur famille. L’expression « membres de leur famille » devrait être comprise comme ayant la même signification que l’expression définie à l’article 2, point 2), de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, qui s’applique également aux membres de la famille des travailleurs frontaliers. »19.
Cette directive dispose dans article 1er que « [l]a présente directive énonce des dispositions destinées à faciliter et à uniformiser la manière d’appliquer et de faire respecter les droits conférés par l’article 45 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et par les article 1er et 10 du règlement (UE) n° 492/2011. La présente directive s’applique aux citoyens de l’Union qui exercent ces droits et aux membres de leur famille […] »20. Elle dispose dans son article 2 que « 1. La présente directive s’applique aux aspects suivants de la libre circulation des travailleurs, tels qu’ils sont visés par l’article 1er à l’article 10 du règlement (UE) n° 492/2011 : […] c) le bénéfice des avantages sociaux et fiscaux ; […] 2) Le champ d’application de la présente directive est identique à celui du règlement (UE) n° 492/2011 »21.
La Cour de justice a, dans son arrêt 316/85, Lebon, du 18 juin 198722, interprété les termes de « membre de la famille » et, à cette fin, de descendants qui sont « à charge », comme « ne suppos[ant] pas […] un droit à des aliments »23 et comme impliquant « que la qualité de membre de la famille à charge résulte d’une situation de fait [parce que] [i]l s’agit d’un membre de la famille dont le soutien est assuré par le travailleur, sans qu’il soit nécessaire de déterminer les raisons du recours à ce soutien et de se demander si l’intéressé est en mesure de subvenir à ses besoins par l’exercice d’une activité rémunérée »24. « Cette interprétation est exigée par le principe selon lequel les dispositions qui consacrent la libre circulation des travailleurs, partie des fondements de la Communauté, doivent être interprétées largement »25.
16 Journal official de l’Union européenne L 257 du 19.10.1968, page 2. Ce règlement disposait dans son article 10 : « Article 10. 1. Ont le droit de s’installer avec le travailleur ressortissant d’un Etat membre employé sur le territoire d’un autre Etat membre, quelle que soit leur nationalité a) son conjoint et leurs descendants de moins de vingt et un ans ou à charge ; […] » (c’est nous qui soulignons).
17 C’est nous qui soulignons.
18 Journal official de l’Union européenne L 128 du 30.4.2014, page 8.
19 C’est nous qui soulignons.
20 C’est nous qui soulignons.
21 Les références aux disposition précitées ont été faites par la Cour de justice dans son arrêt précité C-401/15 à C-
403/15, Depesme e.a., du 15 décembre 2016, points 4 à 11.
22 ECLI:EU:C:1987:302.
23 Point 21 de l’arrêt précité 316/85, Lebon.
24 Point 22 de cet arrêt.
25 Point 23 de cet arrêt.
Elle a, dans son arrêt C-401/15 à C-403/15, Depesme e.a., du 15 décembre 2016, rendu sur renvoi préjudiciel de la Cour administrative dans le contexte de l’aide financière luxembourgeoise pour la poursuite d’études supérieures, précisé que cette « interprétation s’applique également lorsqu’est en cause la contribution d’un travailleur frontalier à l’entretien des enfants de son conjoint ou de son partenaire reconnu »26.
Elle ajouta que :
« Il y a lieu de considérer, en l’occurrence, que la qualité de membre de la famille à charge résulte d’une situation de fait, qu’il appartient à l’Etat membre et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier. La qualité de membre de la famille d’un travailleur frontalier qui est à la charge de ce dernier peut ainsi ressortir, lorsqu’elle concerne la situation de l’enfant de conjoint ou du partenaire reconnu de ce travailleur, d’éléments objectifs, tels que l’existence d’un domicile commun entre ce travailleur et l’étudiant, sans qu’il soit nécessaire de déterminer les raisons de la contribution du travailleur frontalier à l’entretien de l’étudiant ni d’en chiffrer l’ampleur exacte. »27.
Dans ses conclusions sous l’arrêt Depesme e.a., l’avocat général Monsieur Melchior WATHELET considéra que cette jurisprudence « préfère l’expression large de « pourvoir à l’entretien de l’enfant » plutôt que celle d’« enfant à charge » »28.
Dans le cadre de cette appréciation de la situation de fait, à effectuer par les autorités nationales, un critère pertinent énoncé par la Cour consiste à s’interroger si « le père biologique de l’enfant ne paie pas de pension alimentaire à la mère de ce dernier »29, le défaut de paiement pouvant inciter à admettre, sous réserve de vérification des autorités nationales, que « le conjoint de la mère […] pourvoit à l’entretien de cet enfant »30.
Votre arrêt n° 131/2022, numéro CAS-2021-00117 du 10 novembre 2022 Votre Cour a rendu dans une espèce similaire à la présente l’arrêt n° 131/2022, numéro CAS-
2021-00117 du registre, du 10 novembre 2022.
Vous y avez rejeté un moyen tiré de ce que la preuve imposée au travailleur frontalier du fait qu’il a pourvu à l’entretien de l’enfant de son conjoint est discriminatoire par rapport aux travailleurs résidant à Luxembourg, qui n’ont pas à établir ce fait, aux motifs que :
« Le demandeur en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif à la circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union européenne prohibant toute 26 Point 59 de l’arrêt précité C-401/15 à C-403/15, Depesme e.a., du 15 décembre 2016.
27 Point 60 de cet arrêt.
28 ECLI:EU:C:2016 :430. Voir le point 68 de ces conclusions, cité par le demandeur en cassation dans son mémoire à la page 13, dernier alinéa.
29 Point 52 de l’arrêt précité C-802/18, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), du 2 avril 2020.
30 Idem et loc.cit.
discrimination directe ou indirecte entre travailleurs nationaux et travailleurs ressortissants d’autres Etats membres de l’Union européenne.
La Cour de Justice de l’Union européenne a retenu que les textes de droit européen « doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à des dispositions d’un Etat membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale liée à l’exercice, par ceux-ci, d’une activité salariée dans cet Etat membre que pour leurs propres enfants , à l’exclusion de ceux de leur conjoint avec lesquels ils n’ont pas de lien de filiation, mais dont ils pourvoient à l’entretien, alors que tous les enfants résidant dans ledit Etat membre ont le droit de percevoir cette allocation. ».
Elle a précisé, en adoptant la solution retenue par un arrêt antérieur selon laquelle la qualité de membre de la famille à charge « résulte d’une situation de fait qu’il appartient à l’administration et, le cas échéant, aux juridictions nationales d’apprécier, sans qu’il soit nécessaire pour celles-ci de déterminer les raisons de cette contribution ni d’en chiffrer l’ampleur exacte ». (CJUE 2 avril 2020, aff. C-802/18, ECLI:EU:C:2020:269 ; CJUE 15 décembre 2016, aff. C-401/15 à C-403/15, ECLI:EU:C:2016:955).
Les juges d’appel qui, en application de l’interprétation du droit de l’Union européenne telle qu’elle résulte des décisions ci-dessus exposées, ont analysé si et dans quelle mesure le demandeur en cassation pourvoit à l’entretien de l’enfant de sa conjointe n’ont pas violé les dispositions visées au moyen.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé. »31.
Vous avez par ailleurs décidé, en réponse à un moyen critiquant les critères par lesquels les juges du fond avaient apprécié si le travailleur frontalier avait pourvu à l’entretien de l’enfant de son conjoint, que cette appréciation échappe à votre contrôle et relève du pouvoir souverain des juges du fond :
« Sous le couvert de la violation des dispositions visées au moyen, celui-ci ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, des éléments du dossier les ayant amenés à retenir que le demandeur en cassation ne pourvoit pas à l’entretien de l’enfant de son conjoint, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.
Il s’ensuit que le moyen ne saurait être accueilli. »32.
Sur le litige Le demandeur en cassation est travailleur frontalier, résidant en Belgique et travaillant et étant affilié à la sécurité sociale à Luxembourg33. Il cohabite en Belgique avec son épouse, qui a à charge trois enfants de précédentes relations34. Il demanda et se vit conférer à ce titre des 31 Arrêt cité, réponse au deuxième moyen.
32 Arrêt cité, réponse au quatrième moyen.
33 Arrêt attaqué, page 4, troisième alinéa.
34 Idem et loc.cit.
allocations familiales à Luxembourg sous l’empire du droit antérieur à la loi précitée du 23 juillet 201635. Suite à l’entrée en vigueur, à partir du 1er août 2016, de cette loi, refusant l’octroi d’allocations familiales aux travailleurs frontaliers du chef des enfants de leur conjoint avec lesquels ils n’ont pas de lien de filiation, la CAE retira, par décision du 20 décembre 2016, le bénéfice des allocations familiales au demandeur en cassation avec effet rétroactif au 1er avril 201636.
Sur recours du demandeur en cassation, le Conseil arbitral de la sécurité sociale réforma la décision entreprise de la CAE, en se référant à l’arrêt précité C-802/18, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), du 2 avril 2020, de la Cour de justice, aux motifs, notamment, que la décision attaquée repose sur une base légale qui n’est pas conforme au droit de l’Union européenne37.
Sur appel de la CAE, le Conseil supérieur de la sécurité sociale réforma ce jugement.
Il considéra, en se référant à l’arrêt précité de la Cour de justice, qu’il appartient au travailleur frontalier de prouver qu’il pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint et que cette preuve n’est pas rapportée « par le seul constat d’un domicile commun, mais suppose une analyse d’une « situation globale de fait », donc une appréciation in concreto »38.
Procédant à cette analyse de la situation de fait de l’espèce, il retint :
- que l’épouse du travailleur a trois enfants à charge, dont deux sont issus d’une première et dont un est issu d’une seconde relation précédente39 ;
- que les parents biologiques des deux enfants issus de la première relation, donc l’épouse du travailleur et l’ancien conjoint de celle-ci, s’adonnent chacun à une activité professionnelle dont ils retirent un revenu, qu’ils sont conclu une convention suivant laquelle les enfants seront domiciliés officiellement auprès de leur père, qu’ils séjourneront alternativement chez l’un et chez l’autre et qu’ils contribueront chacun à l’entretien des enfants à l’aide de leurs ressources, ce dont le Conseil supérieur déduit que les parents pourvoient à l’entretien de ces enfants, le demandeur en cassation ne versant par ailleurs aucune pièce permettant d’invalider cette conclusion40 ;
- que si le troisième enfant, issu de la seconde relation précédente, habite principalement chez sa mère biologique, donc l’épouse du travailleur, les parents semblent s’arranger pour subvenir ensemble à l’entretien de l’enfant, le demandeur en cassation restant, en tout état de cause « en défaut de prouver par un quelconque élément objectif, pièce à l’appui, qu’il lui incombe de pourvoir à l’entretien de [l’enfant] »41 ;
35 Idem et loc.cit.
36 Idem, page 2, septième alinéa.
37 Idem, même page, dernier alinéa.
38 Idem, page 6, avant-dernier alinéa.
39 Idem, page 4, troisième alinéa.
40 Idem, page 7, troisième et quatrième alinéa.
41 Idem, page 7, quatrième alinéa.
Il en déduisit que c’est à juste titre que la CAE avait retiré au travailleur frontalier le bénéfice des allocations familiales.
Sur les premier et second moyens de cassation réunis Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 6742 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci-après « le règlement 883/2004 »)43, en ce que le Conseil supérieur de la sécurité sociale confirma, par réformation, la décision de la CAE de retirer au demandeur en cassation, avec effet au 1er août 2016, date d’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2016, le bénéfice des allocations familiales perçues pour le compte des trois enfants de son épouse, aux motifs que la question du droit du travailleur frontalier à des allocations familiales pour le compte de l’enfant de son épouse suppose, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et notamment de son arrêt C-802/18 du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), dans lequel la Cour s’est spécifiquement prononcée sur la correcte application du droit de l’Union européenne à ce cas de figure et au regard du droit luxembourgeois, une appréciation du point de savoir si le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint, qui porte sur une situation de fait et doit être effectuée sur base des éléments de preuve fournis par l’intéressé, et que le demandeur en cassation n’a, en l’espèce, pas réussi à établir le fait de pourvoir à l’entretien des enfants de son conjoint, les éléments du dossier obligeant, au contraire, de conclure que les parents biologiques pourvoient à cet entretien, en justifiant cette conclusion notamment le motif tiré de ce que « [i]l n’y a pas lieu de confondre le droit à l’allocation familiale de l’enfant résidant à Luxembourg, qui, au regard de l’article 269, paragraphe 1, alinéa 2, sous a), du code de la sécurité sociale, constitue un droit propre de l’enfant attribué à tout enfant résidant au pays, sans considération de sa situation familiale et le droit du travailleur frontalier à l’allocation familiale du chef de l’enfant de son conjoint avec lequel il n’a pas de lien de filiation, qui constitue, au regard de l’article 269, paragraphe 1, alinéa 2, sous b), du code de la sécurité sociale, un droit dérivé accordé, sur base du droit de l’Union européenne tel qu’il est interprété par la Cour de justice, au travailleur frontalier du chef des membres de sa famille »44, alors que l’article 67 du règlement 883/2004 dispose qu’une personne « a droit aux prestations familiales conformément à la législation de l’Etat membre compétent, y compris pour les membres de sa famille qui résident dans un autre Etat membre, comme si ceux-ci résidaient dans le premier Etat membre », de sorte que le Conseil supérieur aurait dû écarter les articles 269 et 271 du Code de la sécurité sociale et retenir que le droit à l’allocation familiale constitue « un droit propre de l’enfant qui est attribué à tout enfant résidant ou non au pays »45.
Le second moyen est tiré de la violation du principe de primauté du droit de l’Union européenne, en l’occurrence de l’article 67 du règlement 883/2004, en ce que le Conseil supérieur de la sécurité sociale confirma, par réformation, la décision de la CAE de retirer au demandeur en 42 « Article 67. Membres de la famille résidant dans un autre État membre. Une personne a droit aux prestations familiales conformément à la législation de l'État membre compétent, y compris pour les membres de sa famille qui résident dans un autre État membre, comme si ceux-ci résidaient dans le premier État membre. Toutefois, le titulaire d'une pension a droit aux prestations familiales conformément à la législation de l'État membre compétent pour sa pension. ».
43 Journal officiel de l’Union européenne L 166 du 30.4.2004, page 1 (une version coordonnée à jour est publiée sous : EUR-Lex - 32004R0883 - EN - EUR-Lex (europa.eu) (site consulté le 3 octobre 2023).
44 Arrêt attaqué, page 5, troisième alinéa.
45 Mémoire en cassation, page 4, quatrième alinéa.
cassation, avec effet au 1er août 2016, date d’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2016, le bénéfice des allocations familiales perçues pour le compte des trois enfants de son épouse, aux motifs que la question du droit du travailleur frontalier à des allocations familiales pour le compte de l’enfant de son épouse suppose, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et notamment de son arrêt C-802/18 du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), dans lequel la Cour s’est spécifiquement prononcée sur la correcte application du droit de l’Union européenne à ce cas de figure et au regard du droit luxembourgeois, une appréciation du point de savoir si le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien de l’enfant de son conjoint, qui porte sur une situation de fait et doit être effectuée sur base des éléments de preuve fournis par l’intéressé, et que le demandeur en cassation n’a, en l’espèce, pas réussi à établir le fait de pourvoir à l’entretien des enfants de son conjoint, les éléments du dossier obligeant, au contraire, de conclure que les parents biologiques pourvoient à cet entretien, en justifiant cette conclusion notamment le motif tiré de ce que « [i]l n’y a pas lieu de confondre le droit à l’allocation familiale de l’enfant résidant à Luxembourg, qui, au regard de l’article 269, paragraphe 1, alinéa 2, sous a), du code de la sécurité sociale, constitue un droit propre de l’enfant attribué à tout enfant résidant au pays, sans considération de sa situation familiale et le droit du travailleur frontalier à l’allocation familiale du chef de l’enfant de son conjoint avec lequel il n’a pas de lien de filiation, qui constitue, au regard de l’article 269, paragraphe 1, alinéa 2, sous b), du code de la sécurité sociale, un droit dérivé accordé, sur base du droit de l’Union européenne tel qu’il est interprété par la Cour de justice, au travailleur frontalier du chef des membres de sa famille »46, alors que l’article 67 du règlement 883/2004 dispose qu’une personne « a droit aux prestations familiales conformément à la législation de l’Etat membre compétent, y compris pour les membres de sa famille qui résident dans un autre Etat membre, comme si ceux-ci résidaient dans le premier Etat membre », de sorte que le Conseil supérieur aurait, sur base de la primauté du droit de l’Union européenne, dû écarter, ainsi qu’il a été précisé par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt C-10/97 à C-22/97, In.Co.Ge’90 e.a., du 22 octobre 1998, ECLI:EU:C:1998:498, les articles 269 et 271 du Code de la sécurité sociale et retenir que le droit à l’allocation familiale constitue « un droit propre de l’enfant qui est attribué à tout enfant résidant ou non au pays »47.
Dans ses deux moyens, le demandeur en cassation fait valoir que les enfants de son conjoint, avec lesquels il n’a pas de lien de filiation, mais qu’il postule être des membres de sa famille, donc des enfants à sa charge, sont, bien que résidant hors du Luxembourg, en droit de toucher l’allocation familiale luxembourgeoise, parce qu’à Luxembourg tout enfant qui y réside est en droit de toucher cette allocation et que l’article 67 du règlement 883/2004 dispose qu’un travailleur frontalier a droit aux prestations familiales pour les membres de sa famille qui résident dans un autre Etat membre, comme s’ils résidaient dans l’Etat membre du lieu de son emploi.
Ce reproche procède d’une mauvaise lecture de l’arrêt attaqué.
Ce dernier, appliquant correctement la jurisprudence Depesme e.a. et Caisse pour l’avenir des enfants (enfant du conjoint d’un travailleur frontalier) de la Cour de justice, accepte parfaitement qu’un travailleur frontalier est en droit de toucher l’allocation familiale pour les membres de sa famille, donc pour les enfants à sa charge, et qu’un refus d’octroi de cette allocation constitue une discrimination par rapport aux enfants résidant à Luxembourg. Cette discrimination suppose toutefois, conformément à cette jurisprudence et à l’article 67 du 46 Arrêt attaqué, page 5, troisième alinéa.
47 Mémoire en cassation, page 5, deuxième alinéa.
règlement 883/2004, que les enfants résidant dans un autre Etat membre pour lesquels cette allocation est revendiquée, soient susceptibles d’être considérés comme membres de la famille du travailleur frontalier, donc comme des enfants qui sont à sa charge.
Contrairement à ce que les deux moyens critiquent, le Conseil supérieur n’a pas refusé aux membres de la famille d’un travailleur frontalier le droit de toucher l’allocation familiale. Tout au contraire, il a confirmé l’existence de ce droit, mais a constaté, sur base des critères élaborés par la Cour de justice, que les enfants du conjoint du demandeur en cassation n’étaient pas à considérer comme membres de la famille de ce dernier, à défaut de preuve qu’il pourvoit à leur entretien. Or, les enfants résidant dans un autre Etat membre ne sont, sur base du droit de l’Union européenne et notamment de l’article 67 du règlement 883/2004, en droit de prétendre à des prestations familiales au même titre que les enfants résidant à Luxembourg que s’ils sont des membres de la famille d’un travailleur frontalier. Les moyens critiquent donc un raisonnement, à savoir le refus aux membres de la famille du demandeur en cassation d’un droit à l’allocation familiale, que le Conseil supérieur n’a pas tenu, tout en omettant de critiquer les motifs par lesquels le Conseil a constaté l’absence de droit des enfants du conjoint du demandeur de prétendre à cette allocation, à savoir parce qu’ils ne sont, sur base de la jurisprudence de la Cour de justice, pas à considérer comme membres de la famille du demandeur.
Il s’ensuit que les moyens manquent en fait.
Dans un ordre subsidiaire il est ajouté que l’article 67 du règlement 883/2004 ne consacre pas, comme il est soutenu dans les deux moyens, « un droit propre de l’enfant [à l’allocation familiale luxembourgeoise] qui est attribué à tout enfant résidant ou non au pays »48. Il subordonne, au contraire, l’existence d’un tel droit à la qualité de membre de la famille d’un travailleur frontalier, condition qui n’était pas respectée en l’espèce.
Il s’ensuit, à titre subsidiaire, que les moyens ne sont pas fondés.
Conclusion :
Le pourvoi est recevable, mais il est à rejeter.
Pour le Procureur général d’État Le Procureur général d’État adjoint John PETRY 48 Idem, page 4, quatrième alinéa, et page 5, deuxième alinéa.