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27/03/2025 | LUXEMBOURG | N°53/25

Luxembourg | Luxembourg, Cour de cassation, 27 mars 2025, 53/25


N° 53 / 2025 pénal du 27.03.2025 Not. 6850/19/CD + 15535/19/CD Numéro CAS-2024-00105 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, vingt-sept mars deux mille vingt-cinq, sur le pourvoi de PERSONNE1.), né le DATE1.) à ADRESSE1.) (Italie), demeurant à L-

ADRESSE2.), prévenu et défendeur au civil, demandeur en cassation, comparant par Maître Maximilien LEHNEN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, en présence du Ministère public, et de la CAISSE NATIONALE DE SANTE, établissement public, établie et

ayant son siège social à L-2144 Luxembourg, 4, rue Mercier, représentée...

N° 53 / 2025 pénal du 27.03.2025 Not. 6850/19/CD + 15535/19/CD Numéro CAS-2024-00105 du registre La Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg a rendu en son audience publique du jeudi, vingt-sept mars deux mille vingt-cinq, sur le pourvoi de PERSONNE1.), né le DATE1.) à ADRESSE1.) (Italie), demeurant à L-

ADRESSE2.), prévenu et défendeur au civil, demandeur en cassation, comparant par Maître Maximilien LEHNEN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, en présence du Ministère public, et de la CAISSE NATIONALE DE SANTE, établissement public, établie et ayant son siège social à L-2144 Luxembourg, 4, rue Mercier, représentée par le conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro J21, demanderesse au civil, défenderesse en cassation.

comparant par la société anonyme ARENDT & MEDERNACH, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente instance par Maître Ari GUDMANNSSON, avocat à la Cour, l’arrêt qui suit :

Vu l’arrêt attaqué rendu le 7 juin 2024 sous le numéro 183/24 V. par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, cinquième chambre, siégeant en matière correctionnelle ;

Vu le pourvoi en cassation au pénal et au civil formé par Maître Maximilien LEHNEN, avocat à la Cour, au nom de PERSONNE1.), suivant déclaration du 5 juillet 2024 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 1er août 2024 par PERSONNE1.) à la CAISSE NATIONALE DE SANTE (ci-après « la CNS »), déposé le 5 août 2024 au greffe de la Cour ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 28 août 2024 par la CNS à PERSONNE1.), déposé le 29 août 2024 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions du premier avocat général Marc HARPES.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, avait condamné le demandeur en cassation du chef d’escroquerie et de blanchiment à une peine d’emprisonnement assortie d’un sursis partiel et à une amende et avait ordonné la confiscation de la maison familiale. Au civil, il avait condamné le demandeur en cassation à dédommager la partie civile. La Cour d’appel, par réformation, a augmenté le sursis, a réduit l’amende et a confirmé le jugement pour le surplus.

Sur l’unique moyen de cassation Enoncé du moyen « tiré de la violation de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui dispose comme suit :

domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » en ce que l’arrêt attaqué a confirmé le jugement n°1621/2023 rendu en date du 13 juillet 2023 par le Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg en que le Tribunal d’arrondissement a ordonné la confiscation de l’immeuble sis à L-

ADRESSE2.), ci-après le , alors que le Domicile Familial est un bien protégé par l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et ne saurait faire l’objet d’une confiscation. ».

Réponse de la Cour Le demandeur en cassation fait grief aux juges du fond d’avoir violé la disposition visée au moyen en ayant ordonné la confiscation de l’immeuble, qui fait fonction de domicile familial, cette mesure constituant « une ingérence illicite d’une autorité publique dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale et de son domicile ».

En retenant « Au vu de la condamnation de PERSONNE1.) avec son épouse PERSONNE2.) comme auteurs du chef de l’infraction d’escroquerie commise au préjudice de la CNS, la confiscation de la maison familiale est prévue par l’article 31 (4) du Code pénal à titre de confiscation de chose équivalente étant donné que les biens identifiés sont insuffisants pour couvrir le produit direct de l’infraction d’escroquerie. Suivant l’alinéa 2 du point (4) la confiscation sera exécutée sur tous les biens quel qu’en soit leur nature, appartenant aux condamnés, en l’occurrence les époux GROUPE1.), même si les biens visés par l’article 31, premier alinéa, sous (4) du Code pénal n’ont donc par hypothèse aucun lien avec l’infraction (cf. Cass.

27 novembre 2014, P.2014.337).

(…) En ce qui concerne la confiscation d’une maison servant de domicile familial, la Cour européenne des droits de l’homme analyse la confiscation du domicile familial, qui contraignant une famille à déménager, comme une ingérence d’une autorité publique dans l’exercice du droit au respect de la vie familiale et du domicile, mais ne l’exclut pas à condition qu’elle soit prévue par la loi, poursuit un but légitime cité au paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention et est nécessaire dans une société démocratique pour les atteindre (cf. CEDH Aboufadda c. France, requête n°28457/10 §§ 38-43 ; CEDH Vrzic c. Croatie, requête n°43777/13, §§ 59-

63).

En l’espèce la première condition est remplie vu que la confiscation d’un immeuble est prévue par l’article 31 du Code pénal.

La lutte contre l’escroquerie commis au détriment d’une caisse nationale de santé procédant en tant que tiers payant à rembourser les patients et la dissuasion du blanchiment et de lutte contre le maintien par le condamné de l’avantage patrimonial escroqué, tendent à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales au sens du second paragraphe de l’article 8.

La Cour de céans estime que la troisième condition consistant dans la nécessité dans une société démocratique de cette confiscation pour atteindre ce but légitime et pour répondre à un besoin impérieux, est remplie étant donné que la mesure demeure en l’occurrence proportionnée.

Les époux GROUPE1.) habitent toujours leur maison, l’ont mise en vente et sont en pourparlers avec la CNS quant aux modalités de rembourser les montants détournés à son préjudice.

La Cour ne constate dès lors à ce stade aucune violation des droits garantis par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. », les juges d’appel ont fait l’exacte application de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur la demande en allocation d’une indemnité de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer l’indemnité de procédure sollicitée de 2.000 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;

condamne le demandeur en cassation aux frais de l’instance en cassation au pénal, ceux exposés par le Ministère public étant liquidés à 11,75 euros ;

le condamne à payer à la défenderesse en cassation une indemnité de procédure de 2.000 euros ;

le condamne aux frais et dépens de l’instance en cassation au civil.

Ainsi jugé par la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg en son audience publique du jeudi, vingt-sept mars deux mille vingt-cinq, à la Cité judiciaire, Bâtiment CR, Plateau du St. Esprit, composée de :

Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, président, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Gilles HERRMANN, conseiller à la Cour de cassation, qui, à l’exception du conseiller Monique HENTGEN, qui se trouvait dans l’impossibilité de signer, ont signé le présent arrêt avec le greffier à la Cour Daniel SCHROEDER.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Agnès ZAGO en présence de l’avocat général Anita LECUIT et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) en présence du Ministère Public et de la partie civile l’établissement public CAISSE NATIONALE DE SANTÉ N° CAS-2024-00105 du registre Par déclaration faite le 5 juillet 2024 au greffe de la Cour supérieure de justice, Maître Maximilien LEHNEN, avocat à la Cour, a formé au nom et pour le compte de PERSONNE1.) un recours en cassation contre l’arrêt n° 183/24 rendu contradictoirement le 7 juin 2024 par la cinquième chambre de la Cour d’appel, siégeant en matière correctionnelle.

Cette déclaration de recours a été suivie le 5 août 2024 par le dépôt du mémoire en cassation prévu à l’article 43 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, signé par Maître Maximilien LEHNEN, avocat à la Cour. Ce mémoire a été signifié préalablement à son dépôt, le 1er août 2024, à la partie civile, l’établissement public CAISSE NATIONALE DE SANTÉ (ci-après, la « CNS »).

Le pourvoi, dirigé contre un arrêt qui a statué de façon définitive sur l’action publique, a été déclaré dans la forme et le délai de la loi. De même, le mémoire en cassation prévu à l’article 43 de la loi modifiée du 18 février 1885 a été déposé dans la forme et le délai y imposés.

Il en suit que le pourvoi est recevable.

Un mémoire en réponse a été signifié au demandeur en cassation par Maître Ari GUDMANNSSON, avocat à la Cour, agissant au nom et pour le compte de la partie défenderesse en cassation, la CNS, le 28 août 2024 et déposé au greffe de la Cour supérieure de justice le 29 août 2024. Ce mémoire peut être pris en considération pour avoir été introduit dans les conditions de forme et de délai prévues dans la loi modifiée du 18 février 1885.

Faits et rétroactes Par un jugement n° 1621/2023 du 13 juillet 2023, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en chambre correctionnelle, avait condamné PERSONNE1.) des chefs d’escroquerie et de blanchiment à une peine d’emprisonnement avec sursis partiel et à une peine d’amende. Il avait encore ordonné la confiscation de la maison familiale et de diverses sommes d’argent appartenant à PERSONNE1.) et son épouse PERSONNE2.), également condamnée, ainsi que la confiscation de deux montres appartenant à deux autres condamnés et ordonné l’attribution des fonds confisqués, du prix de réalisation de l’immeuble et des montres à la CNS, jusqu’à concurrence du solde lui dû.

Par un arrêt n° 183/24 du 7 juin 2024, la Cour d’appel a augmenté le sursis octroyé par les juges de première instance sur la peine d’emprisonnement, a réduit l’amende, a ordonné la confiscation du solde d’un compte bancaire détenu par un autre condamné et a confirmé le jugement entrepris pour le surplus.

Sur l’unique moyen de cassation L’unique moyen de cassation est tiré de la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après, la « Convention »), « en ce que l’arrêt attaqué a confirmé le jugement n° 1621/2023 rendu en date du 13 juillet 2023 par le Tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg en ce que le Tribunal d’arrondissement a ordonné la confiscation de l’immeuble sis à L-ADRESSE3.), ci-après le « Domicile Familial », alors que le Domicile Familial est un bien protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et ne saurait faire l’objet d’une confiscation. » Aux termes du moyen, le demandeur en cassation fait valoir que la peine de la confiscation de son domicile constituerait une ingérence illicite d’une autorité publique dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale et de son domicile.

Dans les développements qui suivent l’exposé du moyen, le demandeur en cassation expose que sous peine de violer l’article 8 de la Convention, l’ingérence doit être prévue par la loi, poursuivre un ou plusieurs buts légitimes cités au deuxième paragraphe de cet article et être nécessaire dans une société démocratique pour atteindre ces buts. Sans remettre en cause l’arrêt entrepris en ce qu’il a considéré que la confiscation est prévue par la loi, le demandeur en cassation considère que la peine de la confiscation de son domicile familial viole l’article 8 puisqu’elle ne poursuivrait pas un des buts légitimes prévus par cette disposition et ne serait pas nécessaire dans une société démocratique alors qu’elle serait manifestement disproportionnée par rapport au but poursuivi.

L’article 8 de la Convention dispose comme suit :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » L’arrêt entrepris est motivé comme suit sur le point considéré :

« Au vu de la condamnation de PERSONNE1.) avec son épouse PERSONNE2.) comme auteurs du chef de l’infraction d’escroquerie commise au préjudice de la CNS, la confiscation de la maison familiale est prévue par l’article 31 (4) du Code pénal à titre de confiscation de chose équivalente étant donné que les biens identifiés sont insuffisants pour couvrir le produit direct de l’infraction d’escroquerie. Suivant l’alinéa 2 du point (4) la confiscation sera exécutée sur tous les biens quel qu’en soit leur nature, appartenant aux condamnés, en l’occurrence les époux GROUPE1.), même si les biens visés par l’article 31, premier alinéa, sous (4) du Code pénal n’ont donc par hypothèse aucun lien avec l’infraction (cf. Cass. 27 novembre 2014, P.2014.337).

A titre subsidiaire, le mandataire de PERSONNE1.) relève que le bien commun servirait de « domicile familial » et serait à ce titre protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Une confiscation et l’expulsion de la famille de leur domicile constituerait une atteinte à leur droit au respect de leur vie familiale et de leur domicile garanti par ledit article 8 de la Convention.

En ce qui concerne la confiscation d’une maison servant de domicile familial, la Cour européenne des droits de l’homme analyse la confiscation du domicile familial, contraignant une famille à déménager, comme une ingérence d’une autorité publique dans l’exercice du droit au respect de la vie familiale et du domicile, mais ne l’exclut pas à condition qu’elle soit prévue par la loi, poursuit un but légitime cité au paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention et est nécessaire dans une société démocratique pour les atteindre (cf. CEDH Aboufadda c. France, requête n°28457/10 §§ 38-43 ;

CEDH Vrzic c. Croatie, requête n°43777/13, §§ 59-63).

En l’espèce la première condition est remplie vu que la confiscation d’un immeuble est prévue par l’article 31 du Code pénal.

La lutte contre l’escroquerie commis au détriment d’une caisse nationale de santé procédant en tant que tiers payant à rembourser les patients et la dissuasion du blanchiment et de lutte contre le maintien par le condamné de l’avantage patrimonial escroqué, tendent à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales au sens du second paragraphe de l’article 8.

La Cour de céans estime que la troisième condition consistant dans la nécessité dans une société démocratique de cette confiscation pour atteindre ce but légitime et pour répondre à un besoin impérieux, est remplie étant donné que la mesure demeure en l’occurrence proportionnée.

Les époux GROUPE1.) habitent toujours leur maison, l’ont mise en vente et sont en pourparlers avec la CNS quant aux modalités de rembourser les montants détournés à son préjudice.

La Cour ne constate dès lors à ce stade aucune violation des droits garantis par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le jugement est à confirmer en ce qui concerne les confiscations et les restitutions, prononcées à bon droit. (…) Il y a également lieu de confirmer l’attribution des fonds confisqués, du prix de réalisation de l’immeuble et des montres, à l’établissement public CNS, jusqu’à concurrence du solde dû. » C’est à juste titre que les juges d’appel ont retenu que la confiscation de la maison familiale des époux GROUPE1.) constitue une ingérence qui est prévue par la loi, en l’espèce par l’article 31 du Code pénal.

La Cour d’appel a prononcé la confiscation sur base de l’article 31, paragraphe 2, point 4° du Code pénal qui prévoit la confiscation des « biens dont la propriété appartient au condamné et dont la valeur monétaire correspond à celle des biens visés au point 1° [c’est-à-dire les biens formant l’objet ou le produit, direct ou indirect d’une infraction ou constituant un avantage patrimonial quelconque tiré de l’infraction, y compris les revenus de ces biens], si ceux-ci ne peuvent être trouvés aux fins de confiscation ».

Cette confiscation spéciale dite « par équivalent » a été introduite dans l’article 31 du Code pénal, par une loi du 1er août 20071, entrée en vigueur le 17 août 2007, soit antérieurement à la période infractionnelle retenue à charge du demandeur en cassation qui s’étend de 2009 au 4 février 2019. Le demandeur en cassation a été condamné pour escroquerie et blanchiment, qui constituent des délits pour lesquels la confiscation peut être prononcée.

La confiscation était donc prévue par la loi et la Cour d’appel a pu l’infliger au demandeur en cassation, sans violer, en ce qui concerne cette condition, l’article 8 de la Convention.

Le demandeur en cassation fait valoir en premier lieu que le but de la confiscation n’aurait pas été légitime alors qu’elle ne tendrait in fine qu’à indemniser la CNS.

En l’espèce, la Cour d’appel a considéré que la confiscation de la maison familiale poursuivait un but légitime au sens de la Convention, à savoir la lutte contre l’escroquerie commise au détriment de la CNS, la dissuasion du 1 Mémorial A n° 136 du 13 août 2007.

blanchiment et la lutte contre le maintien par le condamné de l’avantage patrimonial escroqué, puisque ces mesures tendaient à la défense de valeurs spécialement visées au paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention, à savoir la défense de l’ordre et la prévention d’infractions pénales.

Il est relevé, à titre de comparaison, que dans l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Aboufadda c. France2 cité dans l’arrêt entrepris qui concernait, à l’instar de l’affaire sous revue, la confiscation d’un domicile familial, la Cour de Strasbourg a considéré que l’ingérence « visant à lutter contre le trafic de stupéfiants et à le prévenir en dissuadant le recel et le blanchiment » tendait à « la défense de l’ordre et de la prévention des infractions pénales au sens du second paragraphe de l’article 8 ». Il doit être considéré que la confiscation, pris en tant qu’instrument de lutte contre l’escroquerie et le blanchiment, constitue, dans le même sens, une ingérence justifiée par la protection de ces mêmes valeurs.

Il en suit qu’en considérant, par les motifs indiqués dans l’arrêt entrepris, que la confiscation de la maison familiale poursuivait un but légitime visé par l’article 8 de la Convention, la Cour d’appel a fait l’exacte application de la disposition légale visée au moyen et le moyen n’est pas fondé à cet égard.

A titre superfétatoire, il est encore relevé que parmi les valeurs énumérées au paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention comme constituant un but légitime justifiant une ingérence de l’autorité publique, figure encore la valeur de « la protection des droits et libertés d’autrui », et la confiscation prononcée, comme en l’espèce, aux fins d’attribution des biens confisqués à la partie civile poursuit également ce but, de sorte que c’est à tort que le demandeur en cassation fait valoir que la réparation du préjudice causé à la partie civile du fait des infractions pénales qu’il a commises ne constituerait pas un but légitime au sens de la Convention.

Le demandeur en cassation fait valoir en second lieu que l’ingérence sous la forme de la confiscation de la maison familiale n’aurait pas été nécessaire dans une société démocratique puisqu’elle serait manifestement disproportionnée par rapport au but poursuivi.

Il fait valoir qu’il aurait été condamné pour avoir bénéficié frauduleusement d’un montant de 451.866,97 euros, alors que la valeur de la maison familiale confisquée s’élèverait, suivant rapport d’expertise du 20 juillet 2020, à 1.045.281 2 CourEDH 4 novembre 2014, requête n° 28457/10.

euros, de sorte que, compte tenu de la copropriété à parts égales de son épouse, sa part indivise s’élèverait à 522.640,50 euros, soit à une valeur supérieure aux 451.866,97 euros susmentionnés.

Il résulte des motifs de l’arrêt entrepris que la Cour d’appel a considéré que l’entrave était en l’espèce proportionnée au but légitime poursuivi, puisqu’elle était nécessaire pour atteindre ce but. Elle a encore relevé à cet égard que les époux GROUPE1.) habitaient toujours leur maison, qu’ils l’avaient mis en vente et étaient en pourparlers avec la CNS quant aux modalités de rembourser les montants détournés à son préjudice.

Le soussigné considère à titre principal que la proportionnalité d’une entrave au droit au respect du domicile, qui se présente en l’espèce sous la forme d’une confiscation de la maison familiale, est une question de fait qui relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond et échappe au contrôle de la Cour de cassation3.

Il en suit, à titre principal, que le moyen, en ce qu’il a pour objet de remettre en discussion la question de la proportionnalité de la mesure de confiscation du domicile familial, ne saurait être accueilli.

A titre subsidiaire, en considérant que la confiscation de la maison familiale était proportionnée au but légitime poursuivi puisque nécessaire, dans une société démocratique, pour atteindre ce but, la Cour d’appel n’a pas violé l’article 8 de la Convention. Le but légitime poursuivi indiqué par la Cour d’appel est celui de la défense de l’ordre et de la prévention d’infractions pénales, et plus particulièrement la lutte contre l’escroquerie commis au détriment de la CNS et de lutte contre le maintien par le condamné de l’avantage patrimonial escroqué.

Au vu de l’importance du produit de l’infraction, chiffré à 2.103.025,73 euros, dont un montant de 2.054.924,90 euros reste à attribuer à la CNS (voir ci-dessous) dans le cadre de la confiscation par équivalent, la confiscation de la maison familiale est proportionnée à ce but.

Pour conclure à la proportionnalité de la confiscation, la Cour d’appel a encore relevé que les époux GROUPE1.) habitaient toujours leur maison au moment du prononcé de l’arrêt de condamnation et n’avaient donc pas fait l’objet d’une expulsion à la suite de la saisie du domicilie familial, intervenue le 14 octobre 3 A titre de comparaison, Votre Cour considère que l’appréciation du caractère raisonnable de la durée de la procédure au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme relève pareillement du pouvoir souverain du juge du fond (p. ex. Cass. 16 janvier 2020, n° CAS-2019-00021).

20194. Le demandeur en cassation avait donc eu largement le temps pour prendre les mesures nécessaires pour s’installer en un autre domicile. Il est renvoyé sur ce point à l’arrêt précité Aboufadda c. France dans lequel la Cour européenne des droits de l’homme a considéré, pour conclure à la proportionnalité de la mesure de la confiscation du domicile familial, outre qu’elle était justifiée au regard du but légitime de la défense de l’ordre et de la prévention des infractions pénales, que les « autorités compétentes (…) ont dûment pris en compte la situation des requérants au regard de l’article 8 de la Convention en les autorisant à demeurer dans leur domicile jusqu’à ce qu’ils aient été en mesure de l’installer en un autre lieu. Ils ont ainsi pu y rester après le prononcé de l’arrêt de la Cour de cassation qui marque la fin de la procédure interne (le 18 novembre 2009) et jusqu’au 31 mai 2011, soit durant plus d’un an et six mois. » Il en suit, à titre subsidiaire, qu’en statuant comme elle l’a fait sur le caractère proportionné de la confiscation de la maison familiale, la Cour d’appel n’a pas violé l’article 8 de la Convention et le moyen n’est pas fondé.

En ce qui concerne l’argumentaire du demandeur en cassation que la confiscation de la maison familiale serait disproportionnée au motif que la valeur de sa part indivise dans la maison, qu’il évalue à 522.640,50 euros, dépasserait le produit de l’infraction pénale qu’il aurait recueilli et qui se chiffre à 451.866,97 euros, force est de constater que, sous cet angle, le moyen est fondé sur des faits nouveaux.

Il est rappelé que c’est au demandeur en cassation qu’incombe la charge de la preuve de justifier de la recevabilité du moyen qu’il présente, et par conséquent, d’établir son défaut de nouveauté s’il ne résulte pas des énonciations de la décision attaquée ou du dépôt de conclusions. Il ne résulte en l’espèce ni de l’arrêt entrepris, ni du jugement de première instance, que le caractère disproportionné de la peine de confiscation de la maison familiale au vu de la valeur des droits du demandeur en cassation dans cette maison et du montant du produit de l’infraction dont il a bénéficié, valeurs qu’il chiffre pour la première fois dans son mémoire en cassation, ait été soulevée devant les juges du fond et les juges du fond n’ont pas statué sur ce point.

Il en suit que vu sous cet angle, le moyen, qui est mélangé de fait et de droit, est nouveau et, à cet égard, irrecevable en instance de cassation5.

4 Arrêt entrepris, page 10.

5 J. et L. BORÉ, La cassation en matière pénale, 5ème édition 2025/2026, n°s 112.32.

A titre subsidiaire, il est relevé que dans un arrêt du 9 septembre 20206, la Cour de cassation française a considéré que la confiscation d’un bien commun prononcée en répression d’une infraction commise par l’un des époux emporte sa dévolution pour le tout à l’Etat, sans qu’il demeure grevé des droits de l’époux non condamné pénalement, y compris lorsque ce dernier est de bonne foi. Elle a cependant retenu que la confiscation était susceptible de faire naître dans le chef de l’époux non condamné un droit à récompense pour la communauté lors de la dissolution de celle-ci.

Cette solution diffère de celle retenue par la Cour de cassation française à propos d’un bien indivis appartenant à la personne condamnée et à un tiers. Dans cette hypothèse, elle a décidé que le bien est dévolu en situation d’indivision à l’Etat, de sorte que les droits du tiers de bonne foi sont préservés7.

La Cour de cassation française applique donc un régime différent suivant que le bien confisqué dépend de la communauté des époux plutôt que d’une indivision classique. La doctrine8 explique que la raison tient de ce que la communauté n’est pas une indivision, mais une institution coutumière très ancienne construite au temps où le mariage était indissoluble, destinée à assurer l’exécution des devoirs de secours et assistance mutuels des époux, à asseoir le crédit du ménage, à pourvoir à l’éducation des enfants et à régler la transmission successorale des biens. Appliquer la solution de l’indivision à la communauté équivaudrait à une liquidation partielle de la communauté, qui violerait l’article 1441 du Code civil qui ne permet la dissolution de la communauté que dans les six cas y nommément prévus9. Or, il existe un moyen de traiter la confiscation d’un bien commun autrement que celle d’un bien indivis : c’est de traiter cette peine comme une amende pénale dont l’article 1417 du Code civil français - respectivement 1419 du Code civil luxembourgeois qui est de la même teneur -, dit que la communauté qui l’a payé a droit à une récompense. Dans l’arrêt du 9 septembre 2020, la Cour de cassation française a ainsi interprété largement l’article 1417 en l’étendant à la confiscation.

6 Cass. fr. crim, 9 septembre 2020, n° 18-84.619.

7 Cass. fr. crim, 3 novembre 2016, n° 15-85.751.

8 J.-H. ROBERT, note sous l’arrêt Cass. fr., 9 septembre 2020, précité, Semaine juridique, édition générale, n° 45 du 2 novembre 2020, p. 1216.

9 L’article 1441 du code civil luxembourgeois et son pendant français qui porte le même numéro dans le code civil français, ont la même teneur. Il dispose comme suit :

« La communauté se dissout:

1° par la mort de l’un des conjoints [« époux » dans le texte français];

2° par l'absence déclarée;

3° par le divorce;

4° par la séparation de corps;

5° par la séparation de biens;

6° par le changement du régime matrimonial. » Compte tenu du caractère identique des dispositions légales françaises et luxembourgeoises sur ce point, la solution de la Cour de cassation française, qui est par ailleurs empreinte de bon sens, est parfaitement transposable en droit luxembourgeois.

En l’espèce, il est constant que l’immeuble confisqué appartient à la communauté des époux GROUPE1.). Il n’est pas affirmé et il ne résulte pas des pièces auxquelles le soussigné peut avoir égard que cette communauté avait été dissoute au moment où l’arrêt d’appel est intervenu.

L’épouse PERSONNE2.) a été condamnée pour avoir détourné au préjudice de la CNS les sommes de 2.072.587,59 et 30.438,14 euros, soit au total 2.103.025,73 euros dont 451.866,97 euros ensemble avec le demandeur en cassation. Sur ce montant seuls les 30.438,14 euros ont été remboursés à la CNS par un autre condamné et des avoirs de 17.662,69 euros10 ont été confisqués et attribués à la CNS par l’arrêt entrepris, de sorte qu’il reste un montant de 2.054.924,90 euros à attribuer à la CNS, montant qui est à imputer sur le prix de vente du domicile des époux GROUPE1.) et du prix de vente de deux montres. Il en suit qu’à supposer que la maison familiale ait une valeur de 1.045.281 euros comme indiqué dans le rapport d’expertise du 20 juillet 2020 dont le demandeur en cassation se prévaut à l’appui de son moyen, la confiscation par équivalent de la maison familiale n’est pas disproportionnée puisqu’elle est de loin inférieure au montant à attribuer à la CNS.

A supposer, comme affirmé par le demandeur en cassation, que ses droits dans la maison commune soient supérieurs en valeur au produit de l’infraction dont il a bénéficié personnellement, la dévolution intégrale à l’Etat de la maison commune ne méconnait pas ses droits puisque la confiscation, qui constitue une pénalité évaluable en argent, est susceptible de faire naître un droit à récompense sur la part lui revenant en cas de dissolution de la communauté.

Il en suit que sous cet angle, le moyen n’est pas fondé non plus.

10 Cette somme se compose comme suit : 10.000 + 3.600 + 2.750 + 1.312,69 = 17.662,69 euros, voir arrêt entrepris, pages 10 et 43.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais n’est pas fondé.

Pour le procureur général d’Etat, Le premier avocat général, Marc HARPES 16


Synthèse
Numéro d'arrêt : 53/25
Date de la décision : 27/03/2025

Origine de la décision
Date de l'import : 29/03/2025
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.cassation;arret;2025-03-27;53.25 ?

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