N° 63 / 2025 du 03.04.2025 Numéro CAS-2024-00135 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, trois avril deux mille vingt-cinq.
Composition:
Agnès ZAGO, conseiller à la Cour de cassation, président, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, conseiller à la Cour de cassation, Gilles HERRMANN, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.
Entre PERSONNE1.), épouse PERSONNE2.), demeurant à L-ADRESSE1.), demanderesse en cassation, comparant par la société à responsabilité limitée JURISLUX, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Pascal PEUVREL, avocat à la Cour, et la CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS, établissement public, établie à L-2249 Luxembourg, 6, boulevard Royal, représentée par le président du conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro J93, défenderesse en cassation, comparant par la société à responsabilité limitée RODESCH Avocats à la Cour, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Rachel JAZBINSEK, avocat à la Cour.
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Vu les arrêts attaqués numéro 2023/0217 rendu le 9 novembre 2023 et numéro 2024/0178 rendu le 27 juin 2024, sous le numéro du registre ADIV 2023/0051, par le Conseil supérieur de la sécurité sociale ;
Vu le mémoire en cassation signifié le 29 août 2024 par PERSONNE1.), épouse PERSONNE2.), à la CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS (ci-après « la CAE »), déposé le 2 septembre 2024 au greffe de la Cour supérieure de Justice ;
Vu le mémoire en réponse signifié le 16 octobre 2024 par la CAE à PERSONNE1.), déposé le 21 octobre 2024 au greffe de la Cour ;
Sur les conclusions du premier avocat général Isabelle JUNG.
Sur les faits Il ressort des actes de procédure auxquels la Cour peut avoir égard que le conseil d’administration de la CAE, confirmant la décision présidentielle du 6 avril 2022, avait retiré à PERSONNE1.) le droit à l’allocation spéciale supplémentaire pour son fils au-delà de son 15ième anniversaire, au motif que suivant le rapport d’expertise du docteur Marco Schroell le taux de handicap de l’enfant était estimé à environ 20% par rapport à un adolescent sain du même âge, de sorte que les conditions d’octroi de l’article 274 du Code de la sécurité sociale n’étaient plus remplies à partir du 1er décembre 2021.
Le Conseil arbitral de la sécurité sociale (ci-après « le Conseil arbitral ») avait fait droit au recours contre ce retrait après avoir constaté que l’évaluation du docteur Marco Schroell du taux de déficience de l’enfant avait été faite sur base du barème applicable à l’assurance accident lequel fixe des incapacités par rapport à l’exercice d’une activité professionnelle et non par rapport à des enfants. Le Conseil arbitral avait retenu, au vu des rapports établis depuis 2015 par les médecins traitants de l’enfant, que celui-ci était atteint d’une diminution d’au moins 50% de ses capacités par rapport à un enfant du même âge.
Le Conseil supérieur de la sécurité sociale, par réformation, et après avoir institué une expertise judiciaire, a dit que c’était à juste titre que le conseil d’administration de la CAE avait retenu que les conditions légales d’octroi de l’allocation spéciale supplémentaire pour l’enfant n’étaient plus remplies à partir du 1er décembre 2021.
2 Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la contrariété de jugements entre les arrêts n° 2023/0217 en date du 9 novembre 2023 et n° 2024/0178 en date du 27 juin 2024 ;
En ce que l’arrêt attaqué a constaté que les documents versés par la partie intimée n’attestent pas à suffisance de droit que les circonstances du handicap de PERSONNE3.) soient telles qu’elles justifieraient de retenir, contrairement au rapport unilatéral versé par la CAE, une déficience médicalement constatée de plus de 50% par rapport à un enfant ou un adulte du même âge » ;
alors que l’arrêt n° 2023/0217 retenait que Quant à l’évaluation de l’incapacité dont est atteint l’enfant PERSONNE3.), outre le fait que l’évaluation du docteur Macro SCHROELL a été faite par rapport au barème applicable à l’assurance accident lequel a vocation à s’appliquer en matière d’accident professionnel et qui ne fixe donc pas des incapacités par rapport à des enfants ; le docteur SCHROELL ne précise pas autrement les motifs qui l’ont amené à retenir un taux "d’environ 20%" ». ».
Réponse de la Cour La demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel de s’être prononcés par deux décisions contraires en ayant, d’une part, dans le premier arrêt, ordonné une mesure d’instruction, motif pris que le rapport d’expertise Schroell était basé sur un barème inapplicable et n’indiquait pas les motifs du taux d’incapacité retenu et en ayant, d’autre part, basé leur décision dans le second arrêt sur le rapport d’expertise Schroell.
Le grief tiré de la « contrariété de jugements » constitue un vice donnant ouverture, en application de l’article 617, point 6, du Nouveau Code de procédure civile, à requête civile et non pas à cassation.
Il s’ensuit que le moyen est irrecevable.
Sur le deuxième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation, sinon de la fausse application, sinon de la mauvaise interprétation de l’article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que des principes généraux du contradictoire et des droits de la défense.
En ce que l’arrêt du 27 juin 2024 attaqué a retenu que lieu de faire droit à la demande de nommer un expert psychiatre ou de se voir accorder un nouveau délai pour aller consulter un médecin de son choix, la partie intimée, face à un appel interjeté début 2023 par la CAE avait largement le temps de 3se procurer d’autres pièces médicales postérieures au certificat du docteur Jacques BERNARD du 29 mars 2024 » ;
alors que le Conseil supérieur de la sécurité sociale avait initialement nommé un expert en raison de l’imprécision des pièces soumises de part et d’autre. ».
Réponse de la Cour La demanderesse en cassation fait grief aux juges d’appel d’avoir violé l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « la Convention ») et les principes généraux du contradictoire et des droits de la défense en ayant rejeté sa demande tendant à voir nommer un expert psychiatre et en ne lui ayant pas accordé de délai pour faire diligenter une expertise par un médecin de son choix.
Le refus d’ordonner une expertise n’est pas, en soi, inéquitable. Il convient de l’examiner au vu de la procédure dans son ensemble et des circonstances particulières de l’affaire.
En retenant « Le Conseil supérieur, dans un courrier du 12 mars 2024 adressé aux époux GROUPE1.) avec copie à l’expert judiciaire et à la partie intimée, a pris position comme suit :
sécurité sociale avait, à la suite du retrait de l’allocation spéciale supplémentaire pour votre enfant par la CAE au motif qu’au vu du taux de handicap évalué par le docteur Marco SCHROELL, votre enfant ne remplit plus les conditions d’octroi prévues par l’article 274 du code de la sécurité sociale, procédé par voie d’expertise médicale judiciaire.
L’expert commis, le docteur Christopher GOEPEL, vient de nous informer par courrier du 6 mars 2024, dont une copie est annexée à la présente, de l’attitude affichée par vos soins l’empêchant de pouvoir satisfaire à la mission lui confiée par le Conseil supérieur.
Le spécialiste expose vous avoir contacté à plusieurs reprises afin de trouver une date pour examiner votre fils, mais que vous n’avez pas daigné donner suite aux propositions vous fournies. La dernière fois vous auriez même mis fin à la conversation ayant eu pour finalité de fixer une date d’examen.
Le docteur GOEPEL semble avoir fait preuve de beaucoup de compréhension et a pris l’initiative, à plusieurs reprises, de vous relancer, sans succès.
Il ne se conçoit évidemment pas que l’expert judiciaire doit revenir tout le temps à charge alors qu’une telle mesure d’investigation médicale a été ordonnée dans l’intérêt de votre enfant alors que vous n’avez pas accepté la décision de retrait de la CAE arguant que votre enfant présente toujours un taux de diminution de ses capacités d’au moins 50% par rapport à un enfant du même âge, de sorte qu’il est 4légitime d’attendre de votre part une collaboration sans faille afin d’avancer dans ce dossier.
Le Conseil supérieur, dans l’intérêt toujours de votre enfant, vous accorde un délai jusqu’au vendredi 12 avril 2024 pour contacter le docteur GOEPEL et fixer un rendez-vous d’examen pour votre fils. Passé ce délai, l’affaire sera réappelée à une audience pour être débattue sans expertise judiciaire ».
Le 17 avril 2024, le docteur Christopher GOEPEL a retourné le dossier administratif au secrétariat du Conseil supérieur alors que, faute d’avoir pu fixer un rendez-vous pour examiner l’enfant PERSONNE3.), il n’a pas pu satisfaire à la mission lui déférée.
Par lettre recommandée du 8 mai 2024, les parties ont été convoquées pour l’audience de ce jour à laquelle l’affaire a été retenue.
L’appelante a renvoyé à ses arguments détaillés dans sa requête d’appel pour estimer qu’il n’existe pas d’éléments médicaux pertinents permettant d’invalider l’expertise unilatérale diligentée par le docteur Marco SCHROELL et elle s’est rapportée à prudence du Conseil supérieur par rapport à une nouvelle mesure d’investigation médicale.
La partie intimée a fait valoir ne pas avoir confiance en un médecin travaillant pour un hôpital, par ailleurs PERSONNE3.), entretemps âgé de 18 ans, ne devrait plus être examiné par un psychiatre infantile. Elle sollicite ainsi un nouveau délai pour pouvoir faire diligenter une expertise unilatérale par un médecin de son choix, sinon de nommer comme expert le docteur Ellen BERNHARDT-KURZ, psychiatre, ayant son cabinet à Ettelbruck.
Le Conseil supérieur rappelle que la partie intimée a contesté l’évaluation du docteur Marco SCHROELL du taux de déficience de son fils PERSONNE3.) en faisant remarquer que ce médecin ne serait pas spécialisé en psychiatrie infantile et juvénile. Elle a également considéré que les conclusions de celui-ci seraient contredites par les documents médicaux établis par ses médecins traitants, les docteurs BERNARD et JOST, et avait, à titre subsidiaire, marqué son accord à l’institution d’une expertise judiciaire à diligenter par un médecin spécialiste en psychiatrie infantile pour laquelle elle avait proposé le docteur Malou FOX. Ce médecin, pour des raisons qui lui sont personnelles, avait décliné la mission et le Conseil supérieur a nommé en remplacement un médecin expérimenté de la même spécialité.
Bien que le Conseil supérieur eût donc fait droit à la demande subsidiaire exprimée par la partie intimée, celle-ci, malgré rappel afférent, ne s’est pas soumise à cette mesure d’investigation médicale de sorte qu’il y a lieu de réexaminer le dossier à la lumière des pièces médicales présentées par les parties.
La CAE verse à l’appui de sa décision de retrait, l’expertise médicale unilatérale diligentée par le docteur Marco SCHROELL le 30 mars 2022. S’il est exact que ce médecin n’est pas psychiatre infantile, toujours est-il que ce médecin est spécialisé en pédiatrie et s’il est également exact qu’il s’est référé au barème 5applicable à l’AAA, toujours est-il qu’il a conclu, aux termes de son rapport unilatéral à un taux de handicap en raison du trouble du spectre autistique de type Asperger de l’enfant PERSONNE3.) d’environ 20 % par rapport à un adolescent sain du même âge, soit donc largement en dessous de la condition d’octroi instaurée par l’article 274 du code de la sécurité sociale, ayant amené la CAE à un retrait de l’allocation spéciale supplémentaire à partir du 01.12.2021.
La partie intimée verse pour contrecarrer l’expertise unilatérale de la CAE, des bilans scolaires de PERSONNE3.), l’accord de la Commission des Aménagements raisonnables pour faire bénéficier PERSONNE3.) d’aménagements particuliers et les paiements effectués pour des soutiens scolaires, partant des pièces qui ne sont pas pertinentes pour énerver le taux de déficience de 20 % avancé dans le rapport unilatéral de la CAE. La seule pièce médicale versée en instance d’appel est un rapport médical du docteur Jacques BERNARD du 29 mars 2023. S’il résulte en effet de la lecture des avis des docteurs SCHROELL et BERNARD qu’ils ne diffèrent pas en ce qui concerne le constat que l’enfant PERSONNE3.) présente un trouble du spectre autistique, ils divergent en ce qui concerne les conséquences de ce trouble sur la vie sociale et scolaire de l’enfant et les répercussions qu’elles ont sur le taux de déficiences à retenir.
Comme le docteur Jacques BERNARD s’était exprimé comme suit :
pourcentage du handicap par rapport à un enfant normal de son âge peut être notifié à supérieur à 50 % dû au fait qu’il ne devrait pas rencontrer autant de problèmes d’apprentissage ayant un QI supérieur à la norme. PERSONNE3.) compense probablement beaucoup de symptômes autistiques par ses capacités intellectuelles, mais il risque quand-même un échec au niveau scolaire et social », le Conseil supérieur a, face à l’emploi du mot par le docteur Jacques BERNARD sans détailler d’avantage le taux retenu, considéré, contrairement à la juridiction de première instance, que ni ce certificat médical, ni le formulaire CM1 rempli par le docteur Marc JOST, étaient de nature à emporter la conviction que le taux de déficience devrait être considéré comme étant au moins 50 %, sinon supérieur à 50 %. Le Conseil supérieur a partant jugé nécessaire de procéder à une mesure d’investigation médicale d’autant plus que rien ne permet de conclure qu’actuellement les déficiences sont forcément restées les mêmes que celles attestées antérieurement par le docteur Jacques BERNARD.
Il importe de souligner que l’appel interjeté par la CAE date du 14 mars 2023 et la partie intimée, contrairement à sa propre demande subsidiaire à laquelle il a été fait droit, a, pour des motifs personnels, décidé de ne pas se soumettre à l’expertise judiciaire. La demande actuelle de la partie intimée que PERSONNE3.) devrait maintenant, étant devenu majeur depuis le 5 juin 2024, être examiné par un psychiatre, n’est pas non plus un argument pouvant justifier la décision unilatérale de la partie intimée de ne pas collaborer avec l’expert commis, le docteur Christopher GOEPEL, d’autant plus que la décision entreprise a retenu que les conditions d’octroi ne sont plus remplies à partir du 1er décembre 2021, donc à une période où PERSONNE3.) avait quinze ans. Il n’y a partant pas lieu de faire droit à la demande de nommer un expert psychiatre ou de se voir accorder un nouveau délai pour aller consulter un médecin de son choix, la partie intimée, face à un appel interjeté début 2023 par la CAE avait largement le temps de se procurer d’autres 6pièces médicales postérieures au certificat du docteur Jacques BERNARD du 29 mars 2023.
Le Conseil supérieur note, à l’opposé de la juridiction de première instance, que les documents versés par la partie intimée n’attestent pas à suffisance de droit que les circonstances du handicap de PERSONNE3.) soient telles qu’elles justifieraient de retenir, contrairement au rapport unilatéral versé par la CAE, une déficience médicalement constatée de plus de 50 % par rapport à un enfant ou adulte du même âge. », les juges d’appel ont pu, sans violer la disposition ni les principes visés au moyen, décider qu’il n’y avait pas lieu d’instituer une nouvelle expertise.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
Sur le troisième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation, sinon de la fausse application, sinon de la mauvaise interprétation de l’article 89 de la Constitution et de l’article 587 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
En ce que l’arrêt attaqué, après avoir constaté que le Dr Marco SCHROELL n’était pas psychiatre et s’était erronément référé au barème applicable à l’AAA a conclu que le taux d’environ 20% retenu par ledit docteur était le seul valable aux fins d’apprécier le taux d’incapacité de PERSONNE3.) ;
Alors que l’énoncé de motifs contradictoires constitue un défaut de motifs qui est un vice de forme justifiant la cassation de l’arrêt du 24 avril 2023. ».
Réponse de la Cour A l’article 89 de la Constitution invoqué à l’appui du moyen, il convient de substituer l’article 109 de la Constitution dans sa version applicable depuis le 1er juillet 2023, partant au jour du prononcé des arrêts attaqués.
Le grief tiré de la contradiction de motifs, équivalant à un défaut de motifs, ne peut être retenu que si les motifs incriminés sont contradictoires à un point tel qu’ils se détruisent et s’annihilent réciproquement, aucun ne pouvant être retenu comme fondement de la décision.
En retenant, dans l’arrêt attaqué du 27 juin 2024, « Bien que le Conseil supérieur eût donc fait droit à la demande subsidiaire exprimée par la partie intimée, celle-ci, malgré rappel afférent, ne s’est pas soumise à cette mesure d’investigation médicale de sorte qu’il y a lieu de réexaminer le dossier à la lumière des pièces médicales présentées par les parties.
7 La CAE verse à l’appui de sa décision de retrait, l’expertise médicale unilatérale diligentée par le docteur Marco SCHROELL le 30 mars 2022. S’il est exact que ce médecin n’est pas psychiatre infantile, toujours est-il que ce médecin est spécialisé en pédiatrie et s’il est également exact qu’il s’est référé au barème applicable à l’AAA, toujours est-il qu’il a conclu, aux termes de son rapport unilatéral à un taux de handicap en raison du trouble du spectre autistique de type Asperger de l’enfant PERSONNE3.) d’environ 20 % par rapport à un adolescent sain du même âge, soit donc largement en dessous de la condition d’octroi instaurée par l’article 274 du code de la sécurité sociale, ayant amené la CAE à un retrait de l’allocation spéciale supplémentaire à partir du 01.12.2021.
La partie intimée verse pour contrecarrer l’expertise unilatérale de la CAE, des bilans scolaires de PERSONNE3.), l’accord de la Commission des Aménagements raisonnables pour faire bénéficier PERSONNE3.) d’aménagements particuliers et les paiements effectués pour des soutiens scolaires, partant des pièces qui ne sont pas pertinentes pour énerver le taux de déficience de 20 % avancé dans le rapport unilatéral de la CAE. La seule pièce médicale versée en instance d’appel est un rapport médical du docteur Jacques BERNARD du 29 mars 2023. S’il résulte en effet de la lecture des avis des docteurs SCHROELL et BERNARD qu’ils ne diffèrent pas en ce qui concerne le constat que l’enfant PERSONNE3.) présente un trouble du spectre autistique, ils divergent en ce qui concerne les conséquences de ce trouble sur la vie sociale et scolaire de l’enfant et les répercussions qu’elles ont sur le taux de déficiences à retenir. » et en concluant « Comme le docteur Jacques BERNARD s’était exprimé comme suit :
pourcentage du handicap par rapport à un enfant normal de son âge peut être notifié à supérieur à 50 % dû au fait qu’il ne devrait pas rencontrer autant de problèmes d’apprentissage ayant un QI supérieur à la norme. PERSONNE3.) compense probablement beaucoup de symptômes autistiques par ses capacités intellectuelles, mais il risque quand-même un échec au niveau scolaire et social », le Conseil supérieur a, face à l’emploi du mot par le docteur Jacques BERNARD sans détailler d’avantage le taux retenu, considéré, contrairement à la juridiction de première instance, que ni ce certificat médical, ni le formulaire CM1 rempli par le docteur Marc JOST, étaient de nature à emporter la conviction que le taux de déficience devrait être considéré comme étant au moins 50 %, sinon supérieur à 50 %. Le Conseil supérieur a partant jugé nécessaire de procéder à une mesure d’investigation médicale d’autant plus que rien ne permet de conclure qu’actuellement les déficiences sont forcément restées les mêmes que celles attestées antérieurement par le docteur Jacques BERNARD.
Il importe de souligner que l’appel interjeté par la CAE date du 14 mars 2023 et la partie intimée, contrairement à sa propre demande subsidiaire à laquelle il a été fait droit, a, pour des motifs personnels, décidé de ne pas se soumettre à l’expertise judiciaire. La demande actuelle de la partie intimée que PERSONNE3.) devrait maintenant, étant devenu majeur depuis le 5 juin 2024, être examiné par un psychiatre, n’est pas non plus un argument pouvant justifier la décision unilatérale de la partie intimée de ne pas collaborer avec l’expert commis, le docteur Christopher GOEPEL, d’autant plus que la décision entreprise a retenu que les 8conditions d’octroi ne sont plus remplies à partir du 1er décembre 2021, donc à une période où PERSONNE3.) avait quinze ans. Il n’y a partant pas lieu de faire droit à la demande de nommer un expert psychiatre ou de se voir accorder un nouveau délai pour aller consulter un médecin de son choix, la partie intimée, face à un appel interjeté début 2023 par la CAE avait largement le temps de se procurer d’autres pièces médicales postérieures au certificat du docteur Jacques BERNARD du 29 mars 2023.
Le Conseil supérieur note, à l’opposé de la juridiction de première instance, que les documents versés par la partie intimée n’attestent pas à suffisance de droit que les circonstances du handicap de PERSONNE3.) soient telles qu’elles justifieraient de retenir, contrairement au rapport unilatéral versé par la CAE, une déficience médicalement constatée de plus de 50 % par rapport à un enfant ou adulte du même âge. », les juges d’appel ont, sans se contredire, motivé leur décision sur base d’une appréciation souveraine des seuls éléments du dossier leur soumis.
Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.
Sur le quatrième moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation de la règle de droit et plus précisément de la non-
application sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application de l’article 274 du Code de la sécurité sociale ;
en ce que le Conseil Supérieur de la Sécurité Sociale a déclaré le rapport du Dr SCHROELL concluant tout en déniant la pertinence des pièces versées par la demanderesse en cassation ;
alors que l’article 274 du Code de la sécurité sociale conditionne le retrait de l’allocation spéciale supplémentaire à la constatation médicale que le taux de déficience est inférieur à 50%. ».
Réponse de la Cour Sous le couvert du grief tiré de la violation de la disposition visée au moyen, celui-ci ne tend qu’à remettre en discussion l’appréciation, par les juges du fond, des éléments du dossier leur soumis qui les ont amenés à retenir qu’il n’était pas établi que le taux d’incapacité de l’enfant était supérieur à 50%, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de la Cour de cassation.
Il s’ensuit que le moyen ne saurait être accueilli.
9Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure La demanderesse en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.
Il ne paraît pas inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il y a partant lieu de rejeter sa demande en allocation d’une indemnité de procédure.
PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation rejette le pourvoi ;
rejette les demandes en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne la demanderesse en cassation aux frais et dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de la société à responsabilité limitée RODESCH Avocats à la Cour, sur ses affirmations de droit.
La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Agnès ZAGO en présence du premier avocat général Marc SCHILTZ et du greffier Daniel SCHROEDER.
10Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation Madame PERSONNE1.), épouse PERSONNE2.) c/ CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS (affaire n° CAS 2024-00135 du registre) Par mémoire signifié le 29 août 2024 à la Caisse pour l’avenir des enfants et déposé le 2 septembre 2024 au greffe de la Cour, Maître Pascal PEUVREL, avocat à la Cour, agissant au nom et pour le compte de Madame PERSONNE1.), épouse PERSONNE2.), a formé un pourvoi en cassation contre deux arrêts numéros 2023/0217 et 2024/0178 rendus contradictoirement le 9 novembre 2023, respectivement le 27 juin 2024, par le Conseil supérieur de la sécurité sociale.
Les pièces au dossier ne renseignent pas d’une signification de l’arrêt n°2023/0217 rendu le 9 novembre 2023 par le Conseil supérieur de la sécurité sociale. L’arrêt n°2024/0178 rendu le 27 juin 2024, a été signifié à la partie demanderesse en cassation en date du 1er juillet 2024.
Le pourvoi en cassation a été interjeté dans les délais prévus par la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation. Le pourvoi répond encore aux conditions de forme prévues par cette loi.
La Caisse pour l’avenir des enfants a fait signifier un mémoire en réponse à la partie demanderesse en cassation en date du 16 octobre 2024 et fait déposer ledit mémoire le 20 octobre 2024 au greffe de Votre Cour, partant dans le délai de deux mois, prévu à l’article 15 alinéa 1er de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.
Faits et rétroactes Par décision prise en sa séance du 14 juin 2022, le conseil d’administration de la Caisse pour l’avenir des enfants (ci-après la CAE), confirmant la décision présidentielle préalable du 6 avril 2022, avait retiré à Madame PERSONNE1.), épouse PERSONNE2.) le droit à l’allocation spéciale supplémentaire pour son enfant PERSONNE3.) au-delà de son 15e anniversaire, au motif que suivant un rapport d’expertise du Dr Marco SCHROELL du 30 mars 2022, le taux de handicap en raison du trouble du spectre autistique de type Asperger de l’enfant PERSONNE3.) était estimé à environ 20% par rapport à un adolescent sain du même âge, de sorte que les conditions d’octroi de l’article 274 du Code de la sécurité sociale n’étaient plus remplies.
Madame PERSONNE1.), épouse PERSONNE2.) ayant formulé un recours contre ce retrait, le Conseil arbitral de la sécurité sociale a, par jugement du 1er février 2023, rappelé les termes de l’article 274 du Code de la sécurité sociale déterminant les conditions d’obtention et de cessation de paiement de l’allocation spéciale supplémentaire et a fait droit au recours. Pour statuer en ce sens, les juges ont constaté que l’évaluation du Dr Marco SCHROELL du taux de déficience de PERSONNE3.) estimé à 20% avait été faite par 11rapport au barème applicable à l’assurance accident lequel avait vocation à s’appliquer en matière d’accident professionnel et donc fixe des incapacités par rapport à une activité professionnelle et non par rapport à des enfants.
Par requête déposée au secrétariat du Conseil supérieur de la sécurité sociale (ci-après CSSS) le 14 mars 2023, la CAE a relevé appel de ce jugement.
Par un arrêt interlocutoire du 9 novembre 2023, le CSSS a reçu l’appel en la forme et a, avant tout autre progrès en cause, ordonner une expertise judiciaire en nommant à cet effet le docteur Malou FOX, médecin spécialiste en psychiatrie infantile, avec la mission de « déterminer si PERSONNE3.) était atteint à la date de la décision du conseil d’administration de la Caisse pour l’avenir des enfants du 14 juin 2022 d’une ou de plusieurs affections constitutives d’une insuffisance ou diminution permanente d’au moins 50 % de la capacité physique ou mentale d’un enfant normal du même âge, invite l’expert, après avoir communiqué ses conclusions pour observations éventuelles aux parties, à déposer son rapport médical, y compris sa prise de position par rapport à ces observations, au secrétariat du Conseil supérieur de la sécurité sociale à Luxembourg dans les meilleurs délais, réserve les droits des parties ».
Suite à l’impossibilité du Dr Malou FOX de procéder à l’expertise, le Dr Christophe GOEPEL, médecin spécialiste en psychiatrie infantile, a été nommé expert judiciaire en remplacement du Dr Malou FOX par ordonnance présidentielle du 20 novembre 2023.
Suite aux difficultés rencontrées par l’expert nommé en raison de l’impossibilité de fixer un rendez-vous avec les parents de PERSONNE3.) afin de procéder à l’expertise et malgré une intervention écrite envoyée aux époux GROUPE1.) de la part du CSSS en date du 12 mars 2024 leur enjoignant de présenter leur fils jusqu’au 12 avril 2024 au Dr Christophe GOEPEL afin qu’il puisse entamer son expertise, intervention restée sans effet, l’affaire en appel a été prise en audience de la CSSS le 10 juin 2024 sans qu’un rapport d’expertise n’ait pu être dressé.
Dans son arrêt du 27 juin 2024 le CSSS a déclaré l’appel de CAE recevable et fondé, retenant que c’est à juste titre que le conseil d’administration de la CAE, dans sa séance du 14 juin 2022, avait retenu que les conditions légales d’octroi pour l’allocation spéciale supplémentaire pour PERSONNE3.) n’étaient plus remplies à partir du 1erdécembre 2021.
Le recours en cassation est dirigé contre les deux arrêts numéros 2023/0217 et 2024/0178 rendus contradictoirement le 9 novembre 2023, respectivement le 27 juin 2024, par le CSSS.
Quant au premier moyen de cassation Le premier moyen de cassation est tiré de la « contrariété de jugements entre les arrêts no 2023/0217 en date du 9 novembre 2023 et n o 2024/0178 en date du 27 juin 2024 ;
En ce que l'arrêt attaqué a constaté que « les documents versés par la partie intimée n'attestent pas à suffisance de droit que les circonstances du handicap de PERSONNE3.) soient telles qu'elles justifieraient de retenir, contrairement au rapport unilatéral versé par 12la CAE, une déficience médicalement constatée de plus de 50% par rapport à un enfant ou un adulte du même âge » ;
alors que l'arrêt no 2023/0217 retenait que « Quant à l'évaluation de l'incapacité dont est atteint l'enfant PERSONNE3.), outre le fait que l'évaluation du docteur Macro SCHROELL a été faite par rapport au barème applicable à l'assurance accident lequel a vocation à s'appliquer en matière d'accident professionnel et qui ne fixe donc pas des incapacités par rapport à des enfants ; le docteur SCHROELL ne précise pas autrement les motifs qui l'ont amené à retenir un taux « d'environ 20%. » ».
Le demandeur en cassation critique l’arrêt entrepris en ce que les juges du CSSS auraient ordonné une mesure d'instruction dans leur décision du 9 novembre 2023 précisément sur la constatation faite par les juges d'appel que les différents documents médicaux versés de part et d'autre manquaient de précision, considérant ne pas pouvoir se prononcer sur base des certificats versés, pour finalement baser uniquement sa décision finale sur le rapport médical du Dr SCHROELL, qualifié auparavant d'imprécis, pour faire droit à la CAE qui avait retiré le bénéfice de l'allocation spéciale supplémentaire. Ces deux décisions de la CSSS seraient partant en contrariété totale.
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Il est rappelé que, suivant les termes de l’article 617, 6° du Nouveau code de procédure civile, « Les jugements contradictoires rendus en dernier ressort par les tribunaux de première instance et d'appel, et les jugements par défaut rendus aussi en dernier ressort, et qui ne sont plus susceptibles d'opposition, pourront être rétractés sur la requête de ceux qui y auront été parties ou dûment appelés, pour les causes ci-après :
6° s'il y a contrariété de jugement en dernier ressort, entre les mêmes parties et sur les mêmes moyens, dans les mêmes cours ou tribunaux » Or, le grief tiré de la contrariété de jugements constitue un vice donnant ouverture, en vertu de l’article susmentionné, à requête civile et non pas à cassation.
Le premier moyen de cassation est partant irrecevable.
Quant au deuxième moyen de cassation Le deuxième moyen de cassation est tiré de la « violation, sinon de la fausse application, sinon de la mauvaise interprétation de l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi que des principes généraux du contradictoire et des droits de la défense.
En ce que l'arrêt du 27 juin 2024 attaqué a retenu que « Il n'y partant pas lieu de faire droit à la demande de nommer un expert psychiatre ou de se voir accorder un nouveau délai pour aller consulter un médecin de son choix, la partie intimée, face à un appel interjeté début 2023 par la CAE avait largement le temps de se procurer d'autres pièces médicales postérieures au certificat du docteur Jacques BERNARD du 29 mars 2024 » ;
13alors que le Conseil supérieur de la sécurité sociale avait initialement nommé un expert en raison de l'imprécision des pièces soumises de part et d'autre. ».
La partie demanderesse en cassation fait valoir qu’elle a versé à l'appui de son argumentation deux documents établis par deux médecins différents et notifiant un taux d'incapacité pour PERSONNE3.) d'au moins 50%, contredisant le certificat médical du Dr SCHROELL versé par la CAE évoquant un taux de handicap d’environ 20%. Ainsi, en présence de certificats totalement contradictoires quant au quantum d'incapacité de PERSONNE3.), les juges auraient dû nommer un expert dont le nom aurait dû être débattu contradictoirement entre parties et qu’en rendant un ordonnance « non contradictoire », les juges de la CSSS aurait violé l’article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi que des principes généraux du contradictoire et des droits de la défense.
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Il ressort de l’arrêt interlocutoire rendu par le CSSS en date du 9 novembre 2023, instituant une expertise afin de déterminer « si PERSONNE3.) était atteint à la date de la décision du conseil d’administration de la Caisse pour l’avenir des enfants du 14 juin 2022 d’une ou de plusieurs affections constitutives d’une insuffisance ou diminution permanente d’au moins 50 % de la capacité physique ou mentale d’un enfant normal du même âge », que la partie demanderesse en cassation a formulé à titre subsidiaire, l’institution d’une nouvelle expertise et la nomination d’un nouveau spécialiste en psychiatrie infantile à cet effet, sans autres précisions ou exigences notamment quant au nom de l’expert.
Le CSSS avait donc fait droit à la demande subsidiaire et avait nommé le Dr Malou FOX puis, en raison de l’indisponibilité de cette dernière, Dr Christophe GOEPEL, médecin spécialiste en psychiatrie infantile.
Ce n’est qu’à l’audience du 10 juin 2024 que la partie demanderesse en cassation a fait valoir qu’elle n’avait pas confiance « en un médecin travaillant pour un hôpital » et que par ailleurs PERSONNE3.), entretemps âgé de 18 ans, ne devrait plus être examiné par un psychiatre infantile. Elle avait alors sollicité « un nouveau délai pour pouvoir faire diligenter une expertise unilatérale par un médecin de son choix, sinon de nommer comme expert le docteur Ellen BERNHARDT-KURZ, psychiatre, ayant son cabinet à Ettelbruck ».
Dans leur arrêt du 27 juin 2024, les juges du CSSS ont répondu à la demande tendant à l’institution d’une nouvelle expertise unilatérale et à l’argument de la majorité de PERSONNE3.) en ces termes : « Il importe de souligner que l’appel interjeté par la CAE date du 14 mars 2023 et la partie intimée, contrairement à sa propre demande subsidiaire à laquelle il a été fait droit, a, pour des motifs personnels, décidé de ne pas se soumettre à l’expertise judiciaire. La demande actuelle de la partie intimée que PERSONNE3.) devrait maintenant, étant devenu majeur depuis le 5 juin 2024, être examiné par un psychiatre, n’est pas non plus un argument pouvant justifier la décision unilatérale de la partie intimée de ne pas collaborer avec l’expert commis, le docteur Christopher GOEPEL, d’autant plus que la décision entreprise a retenu que les conditions d’octroi ne sont plus remplies à partir du 1er décembre 2021, donc à une période où PERSONNE3.) avait quinze ans. Il n’y a partant pas lieu de faire droit à la demande de nommer un expert psychiatre ou de se voir accorder un nouveau délai pour aller consulter un médecin de son choix, la partie intimée, 14face à un appel interjeté début 2023 par la CAE avait largement le temps de se procurer d’autres pièces médicales postérieures au certificat du docteur Jacques BERNARD du 29 mars 2023. ».
Force est de constater que la partie demanderesse en cassation n’a pas jugé utile de réagir aux sollicitations de l’expert, ni même au courrier du CSSS du 12 mars 2024 lui demandant de présenter leur fils jusqu’au 12 avril 2024 au Dr Christophe GOEPEL afin qu’il entame son expertise et qu’ils n’ont pas jugé utile de proposer lors de la première audience du CSSS, le nom d’un expert. A aucun moment, les époux PERSONNE2.) n’ont fait part de leur mécontentement quant à l’expert nommé par le CSSS ou concernant le fait que PERSONNE3.) était trop âgé pour être expertisé par un médecin spécialiste en psychiatrie infantile. Ainsi les arguments avancés tardivement à l’audience du 10 juin 2024 n’étaient ni pertinents ni suffisamment étayés pour valoir l’institution d’une nouvelle expertise.
Sous le couvert du grief de la violation de 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme visé au moyen, celui-ci ne tend en réalité qu’à remettre en discussion l’appréciation par les juges du fond des circonstances factuelles de l’espèce, appréciation qui relève de leur pouvoir souverain et échappe au contrôle de Votre Cour.
Il s’ensuit que le moyen ne saurait être accueilli.
Quant au troisième moyen de cassation Le troisième moyen de cassation est tiré de la « violation, sinon de la fausse application, sinon de la mauvaise interprétation de l'article 89 de la Constitution et de l'article 587 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
En ce que l'arrêt attaqué, après avoir constaté que le Dr Marco SCHROELL n'était pas psychiatre et s'était erronément référé au barème applicable à l'AAA a conclu que le taux d'environ 20% retenu par ledit docteur était le seul valable aux fins d'apprécier le taux d'incapacité de PERSONNE3.) ;
Alors que l'énoncé de motifs contradictoires constitue un défaut de motifs qui est un vice de forme justifiant la cassation de l'arrêt du 24 avril 2023. » La partie demanderesse en cassation reproche aux juges d’appel d’avoir fait droit au recours de la CAE en se basant sur le rapport médical du Dr Marco SCHROELL alors qu’ils considéraient que ce rapport était vicié en raison du fait qu’il n’était pas psychiatre, que son évaluation se référait au barème des accidents professionnels et non à un barème applicable au handicap d’enfants. Par ailleurs, ils auraient indiqué que le Dr SCHROELL ne précisait nullement les raisons, sérieuses et objectives qui l'amenait à retenir un taux de 20 %.
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Comme Votre Cour le rappelle régulièrement dans ses décisions, les motifs contradictoires se détruisent et s’annihilent réciproquement, aucun d’eux ne pouvant alors être retenu 15comme fondement de la décision1. La contradiction de motifs ne vicie l’arrêt que si elle est réelle et profonde, c’est-à-dire s’il existe entre les deux motifs incriminés une véritable incompatibilité.
Force est de constater que les reproches formulés à l’égard de l’arrêt interlocutoire rendu le 24 avril 2023 quant à une contradiction de motifs, relèvent d’une lecture incomplète et erronée, non seulement de l’arrêt visé au moyen mais encore de l’arrêt du 27 juin 2024.
En effet, dans son premier arrêt du 24 avril 2023, le CSSS a analysé les trois avis médicaux des docteurs BERNARD, JOST et SCHROELL, versés par les deux parties à l’instance et en a conclu que « S’il résulte de la lecture des avis des docteurs SCHROELL et BERNARD qu’ils ne diffèrent pas en ce qui concerne le constat que l’enfant PERSONNE3.) présente un trouble du spectre autistique, ils divergent néanmoins ce qui concerne les conséquences de ce trouble sur la vie sociale et scolaire de l’enfant et ils arrivent à des taux de déficiences largement différents.
Quant à l’évaluation de l’incapacité dont est atteint l’enfant PERSONNE3.), outre le fait que l’évaluation du docteur Marco SCHROELL a été faite par rapport au barème applicable à l’assurance accident lequel a vocation à s’appliquer en matière d’accident professionnel et qui ne fixe donc pas des incapacités par rapport à des enfants, le docteur SCHROELL ne précise pas autrement les motifs qui l’ont amené à retenir un taux « d’environ 20% ».
Le certificat établi par le docteur Jacques BERNARD n’est pas plus explicite à cet égard, en ce qu’il ne contient pas non plus d’indications sur le mode d’évaluation des déficiences constatées dans le chef de l’enfant PERSONNE3.). Le fait que le docteur Jacques BERNARD ait constaté en 2015 déjà une diminution d’au moins 50% des capacités de l’enfant par rapport à un enfant sain du même âge et qu’il ait encore attesté d’une telle diminution en 2017, 2020 et 2021 ne permet pas de conclure qu’actuellement les déficiences sont forcément restées les mêmes.
Le formulaire CM1 établi le 10 novembre 2021 par le docteur Marc JOST ne renseigne, par ailleurs, également aucune indication sur le mode d’évaluation du taux de déficience.
Au vu des avis médicaux divergents et à défaut de précisions quant aux motifs qui ont conduit à la fixation des différents taux de déficience, il y a lieu, avant tout autre progrès en cause, d’instituer une mesure d’expertise judiciaire en vue de déterminer si l’enfant PERSONNE3.) était atteint à la date de la décision du conseil d’administration de la CAE du 14 juin 2022 d’une ou de plusieurs affections constitutives d’une insuffisance ou diminution permanente d’au moins 50 % de la capacité physique ou mentale d’un enfant normal du même âge. ».
Dans son arrêt du 27 juin 2024, le CSSS, face à la non-collaboration des époux PERSONNE2.) aux opérations d’expertise, était obligée de rendre sa décision sur base des seules pièces versées en cause. Il a motivé cette démarche en s’exprimant de la manière suivante : « Bien que le Conseil supérieur eût donc fait droit à la demande subsidiaire 1 P.ex. : C. Cass. 31.03.2022, N°47/2022, numéro CAS-2021-0039 du registre 16exprimée par la partie intimée, celle-ci, malgré rappel afférent, ne s’est pas soumise à cette mesure d’investigation médicale de sorte qu’il y a lieu de réexaminer le dossier à la lumière des pièces médicales présentées par les parties. ».
Pour arriver à la conclusion que « à l’opposé de la juridiction de première instance, les documents versés par la partie intimée n’attestent pas à suffisance de droit que les circonstances du handicap de PERSONNE3.) soient telles qu’elles justifieraient de retenir, contrairement au rapport unilatéral versé par la CAE, une déficience médicalement constatée de plus de 50 % par rapport à un enfant ou adulte du même âge », les juges d’appel ont estimé que « La CAE verse à l’appui de sa décision de retrait, l’expertise médicale unilatérale diligentée par le docteur Marco SCHROELL le 30 mars 2022. S’il est exact que ce médecin n’est pas psychiatre infantile, toujours est-il que ce médecin est spécialisé en pédiatrie et s’il est également exact qu’il s’est référé au barème applicable à l’AAA, toujours est-il qu’il a conclu, aux termes de son rapport unilatéral à un taux de handicap en raison du trouble du spectre autistique de type Asperger de l’enfant PERSONNE3.) d’environ 20 % par rapport à un adolescent sain du même âge, soit donc largement en dessous de la condition d’octroi instaurée par l’article 274 du code de la sécurité sociale, ayant amené la CAE à un retrait de l’allocation spéciale supplémentaire à partir du 01.12.2021.
La partie intimée verse pour contrecarrer l’expertise unilatérale de la CAE, des bilans scolaires de PERSONNE3.), l’accord de la Commission des Aménagements raisonnables pour faire bénéficier PERSONNE3.) d’aménagements particuliers et les paiements effectués pour des soutiens scolaires, partant des pièces qui ne sont pas pertinentes pour énerver le taux de déficience de 20 % avancé dans le rapport unilatéral de la CAE. La seule pièce médicale versée en instance d’appel est un rapport médical du docteur Jacques BERNARD du 29 mars 2023. S’il résulte en effet de la lecture des avis des docteurs SCHROELL et BERNARD qu’ils ne diffèrent pas en ce qui concerne le constat que l’enfant PERSONNE3.) présente un trouble du spectre autistique, ils divergent en ce qui concerne les conséquences de ce trouble sur la vie sociale et scolaire de l’enfant et les répercussions qu’elles ont sur le taux de déficiences à retenir.
Comme le docteur Jacques BERNARD s’était exprimé comme suit : « Le pourcentage du handicap par rapport à un enfant normal de son âge peut être notifié à supérieur à 50 % dû au fait qu’il ne devrait pas rencontrer autant de problèmes d’apprentissage ayant un QI supérieur à la norme. PERSONNE3.) compense probablement beaucoup de symptômes autistiques par ses capacités intellectuelles, mais il risque quand-même un échec au niveau scolaire et social », le Conseil supérieur a, face à l’emploi du mot « peut » par le docteur Jacques BERNARD sans détailler d’avantage le taux retenu, considéré, contrairement à la juridiction de première instance, que ni ce certificat médical, ni le formulaire CM1 rempli par le docteur Marc JOST, étaient de nature à emporter la conviction que le taux de déficience devrait être considéré comme étant au moins 50 %, sinon supérieur à 50 %. Le Conseil supérieur a partant jugé nécessaire de procéder à une mesure d’investigation médicale d’autant plus que rien ne permet de conclure qu’actuellement les déficiences sont forcément restées les mêmes que celles attestées antérieurement par le docteur Jacques BERNARD. ».
17Ce raisonnement, qui est fondé sur une appréciation des éléments du dossier, souverainement opérée par les juges d’appel, est juridiquement correct, factuellement cohérent et constitue une motivation suffisante afin de soutenir la décision rendue le 27 juin 2024.
Il résulte de cette analyse de l’arrêt entrepris que le grief tiré d’une contradiction de motifs manque en fait, sinon ne saurait être accueilli.
Quant au quatrième moyen de cassation Le quatrième moyen de cassation est tiré de la « violation de la règle de droit et plus précisément de la non application sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application de l'article 274 du Code de la sécurité sociale ;
en ce que le Conseil Supérieur de la Sécurité Sociale a déclaré le rapport du Dr SCHROELL concluant tout en déniant la pertinence des pièces versées par la demanderesse en cassation ;
alors que l'article 274 du Code de la sécurité sociale conditionne le retrait de l'allocation spéciale supplémentaire à la constatation médicale que le taux de déficience est inférieur à 50%. ».
La demanderesse en cassation considère que les juges du CSSS ont, en violation des termes de l’article 274 du Code de la sécurité sociale, mal interprété le certificat du Dr BERNARD ayant retenu un taux de déficience de l’enfant PERSONNE3.) d’au moins 50%, conclusions confirmées par le taux retenu dans le formulaire CM1 rempli par le Dr JOST, en raison de l'emploi du mot « peut » par le Dr BERNARD, tout en basant leur décision exclusivement sur le certificat du Dr SCHROELL qui indique un taux d' «environ» 20%.
De surcroît, les juges d’appel auraient procédé à un renversement illégal de la charge de la preuve en reprochant à la partie demanderesse en cassation d'apporter, respectivement de ne pas apporter, une quelconque preuve contraire alors que la charge de la preuve dans le cadre de l'article 274 du Code de la sécurité sociale alinéa 5 en ce qu'il prévoit le retrait de l'allocation spéciale supplémentaire repose uniquement entre les mains de la CAE. Or, aucun certificat médical sérieux et crédible n’aurait été versé au dossier par la CAE et le CSSS aurait procédé à une analyse a contrario en retenant que rien ne permettait de conclure qu’au jour de l’arrêt, les déficiences de PERSONNE3.) sont forcément restées les mêmes que celles attestées antérieurement par le Dr Jacques BERNARD.
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L’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois en cassation indique que :
« Pour introduire son pourvoi, la partie demanderesse en cassation devra, sous peine d’irrecevabilité, dans les délais déterminés ci-avant, déposer au greffe de la Cour supérieure de justice un mémoire signé par un avocat à la Cour et signifié à la partie 18adverse, lequel précisera les dispositions attaquées de l’arrêt ou du jugement, les moyens de cassation et contiendra les conclusions dont l’adjudication sera demandée. La désignation des dispositions attaquées sera considérée comme faite à suffisance de droit lorsqu’elle résulte nécessairement de l’exposé de moyens ou des conclusions.
Sous peine d’irrecevabilité, un moyen ou un élément de moyen ne doit mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture.
Chaque moyen ou chaque branche doit préciser, sous la même sanction :
– le cas d’ouverture invoqué ;
– la partie critiquée de la décision ;
– ce en quoi celle-ci encourt le reproche allégué.
L’énoncé du moyen peut être complété par des développements en droit qui sont pris en considération. » A titre principal, la soussignée soulève l’irrecevabilité du premier moyen de cassation alors Principalement, il y a lieu de constater à la lecture de la discussion du moyen, que la demanderesse en cassation semble mélanger le moyen tiré de la violation de l’article 274 alinéa 5 du Code de la sécurité sociale et le moyen tiré de la violation de l’article 1315 du Code civil qui consacre la charge de la preuve en matière civile, qui sont deux cas d’ouverture différents.
Subsidiairement, il y a lieu de constater que dans son premier arrêt du 24 avril 2023, le CSSS a analysé les trois avis médicaux des docteurs BERNARD, JOST et SCHROELL, versés par les deux parties à l’instance. Considérant que les trois certificats divergeaient dans leurs conclusions et manquaient, en partie, de précision, le CSSS avait ordonné une expertise médicale afin de déterminer le taux de déficience de l’enfant PERSONNE3.)2. Il est rappelé qu’une expertise avait d’ailleurs été demandée par la partie demanderesse en cassation elle-même, à titre subsidiaire, dans ses conclusions.
Or, c’est principalement en raison de la non-collaboration des époux PERSONNE2.) aux opérations d’expertise que les juges de la CSSS ont été obligés de rendre leur décision sur base des seules certificats médicaux versés en cause. Ils ont, après avoir examiné une nouvelle fois toutes les pièces versées par les parties et plus particulièrement les certificats médicaux des docteurs BERNARD, JOST et SCHROELL, décidé que le Dr SCHROELL, spécialisé en pédiatrie, même s’il s’est référé au barème applicable à l’AAA, avait néanmoins conclu à un taux de handicap en raison du trouble du spectre autistique de type Asperger de l’enfant PERSONNE3.) d’environ 20 % par rapport à un adolescent sain du même âge, soit donc largement en dessous de la condition d’octroi instaurée par l’article 2 « Au vu des avis médicaux divergents et à défaut de précisions quant aux motifs qui ont conduit à la fixation des différents taux de déficience, il y a lieu, avant tout autre progrès en cause, d’instituer une mesure d’expertise judiciaire en vue de déterminer si l’enfant PERSONNE3.) était atteint à la date de la décision du conseil d’administration de la CAE du 14 juin 2022 d’une ou de plusieurs affections constitutives d’une insuffisance ou diminution permanente d’au moins 50 % de la capacité physique ou mentale d’un enfant normal du même âge. » 19274 du Code de la sécurité sociale et qu’aucune autre pièce versée ne venait énerver ces conclusions. Les juges de la CSSS ont partant basé leur décision sur un constat médical tel qu’exigé par l’article 274 précité.
Le moyen tiré de la violation, sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application de l’article 274 du Code de la sécurité sociale ne saurait partant être accueilli.
Conclusion :
Le pourvoi est recevable mais il est à rejeter.
Pour le Procureur général d’État, le premier avocat général Isabelle JUNG 20