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26/01/2024 | LUXEMBOURG | N°49885

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 janvier 2024, 49885


Tribunal administratif N° 49885 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49885 Inscrit le 29 décembre 2023 Audience publique du 26 janvier 2024 Requête en obtention d’un sursis à exécution introduite par la société A, …, contre une décision du ministre de la Famille, des Solidarités, du Vivre ensemble et de l’Accueil en présence de la société B, …, en matière de marchés publics

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 49885 du rôle et déposée le

29 décembre 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain RUKAVINA, avocat à la Cour...

Tribunal administratif N° 49885 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49885 Inscrit le 29 décembre 2023 Audience publique du 26 janvier 2024 Requête en obtention d’un sursis à exécution introduite par la société A, …, contre une décision du ministre de la Famille, des Solidarités, du Vivre ensemble et de l’Accueil en présence de la société B, …, en matière de marchés publics

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 49885 du rôle et déposée le 29 décembre 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain RUKAVINA, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société A, établie et ayant son siège social à …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, inscrite au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro …, tendant à l’institution d’un sursis à exécution par rapport à une décision du ministre de la Famille, des Solidarités, du Vivre ensemble et de l’Accueil, matérialisée par un courrier électronique du 27 décembre 2023 portant rejet de son offre pour le Lot 2 du marché public portant sur la surveillance de biens mobiliers et immobiliers et sur la protection de personnes dans certaines structures d’hébergement et les bâtiments administratifs de l’Office national d’accueil, mais portant adjudication de ce même marché à la société B, établie et ayant son siège social à …, inscrite au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro …, un recours en annulation ayant été par ailleurs introduit contre ladite décision par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 49884 du rôle ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Kelly FEREIRA SIMOES, huissier de justice suppléant, en remplacement de l’huissier de justice Carlos CALVO, immatriculé près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, du 4 janvier 2024, portant signification de la requête afférente à la société B ;

Vu la note de plaidoiries communiquée en date du 22 janvier 2023 par Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT ;

Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu les articles 5 et 6 de la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics ;

Maître Claire PFEIFFENSCHNEIDER, en remplacement de Maître Alain RUKAVINA, pour la partie requérante, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 janvier 2024.

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1 Par avis de marché du 13 octobre 2023, le ministère des Affaires étrangères et européennes annonça l’ouverture d’une procédure européenne de soumission ouverte avec publication d’un avis de marché en vue de l’attribution du marché public de services de surveillance de biens mobiliers et immobiliers et de protection de personnes dans certaines structures d’hébergement et bâtiments administratifs de l’Office national d’accueil (ci-après « l’ONA »).

La société A ainsi que la société B, entre autres concurrents, déposèrent une offre y relative.

Suite à l’ouverture des offres, le ministre compétent informa la société A, ci-après « la société A », par un message électronique du 27 décembre 2023 envoyé par le Portail des Marchés Publics, que son offre n’avait pas été retenue et que le marché avait été adjugé à la société B, ledit courrier étant libellé comme suit :

« Conformément à la loi modifiée du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics, et conformément à l’article 97, paragraphe 2 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi sur les marchés publics, j’ai le regret de porter à votre connaissance que votre offre n’a pas été retenue, faute d’avoir été l’offre économiquement la plus avantageuse. Conformément aux articles 5 et 6 de la loi de 2010 précitée, il pourra être procédé à la conclusion du contrat avec l’adjudicataire B, passé un délai de dix jours à partir du lendemain de l’envoi de la présente information.

Veuillez agréer, Mesdames, Messieurs, l’expression de notre considération distinguée.».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 décembre 2023, inscrite sous le numéro 49884 du rôle, la société A a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision telle que matérialisée par le prédit message électronique du 27 décembre 2023, prise en son double volet, à savoir, d’une part, le rejet de son offre, et, d’autre part, l’adjudication du lot 2 à la société B. Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 49885 du rôle, la société A sollicita encore le sursis à exécution de la décision susvisée telle qu’attaquée dans le cadre du recours au fond.

La société B, quoique valablement informée en sa qualité d’adjudicatrice, par la signification en date du 4 janvier 2024 de la requête en sursis à exécution, ne s’est pas fait représenter. Nonobstant ce fait, le soussigné statue à l’égard de toutes les parties, en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

La société A estime que les conditions légales requises pour voir instituer la mesure provisoire sollicitée seraient remplies en l’espèce au motif que l’exécution de la décision d’adjudication risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, d’une part, et que les moyens d’annulation à l’appui de son recours au fond seraient sérieux, d’autre part.

Pour justifier l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, elle fait valoir que l’exécution immédiate de la décision d’adjudication moyennant la conclusion du contrat entre le pouvoir adjudicateur et la société adjudicatrice avant que le tribunal administratif ne se soit prononcé sur le recours au fond l’écarterait définitivement et irrémédiablement du marché en cause ; or, le marché en cause, d’un montant de 42.252.907,28.- euros TTC sur deux ans, 2 reconductibles tacitement deux fois pour une année, soit un total de quatre ans, serait non seulement d’une envergure importante, mais sa perte serait d’autant plus grave alors que le pouvoir adjudicateur resterait en défaut de motiver sa décision, ce défaut de motivation étant d’autant plus choquant et préjudiciable alors que, suivant procès-verbal d’ouverture des offres du 16 novembre 2023, le prix de son offre, constituant 50 % des critères d’attribution fixés dans le cahier des charges, aurait été inférieur à celui du soumissionnaire retenu, à savoir la société B.

Elle expose qu’ainsi elle se verrait privée d’un marché public au profit d’un concurrent, dont l’offre aurait pourtant été supérieure à la sienne, et aurait partant été économiquement moins avantageuse.

La société A précise ensuite que le marché public litigieux constituerait à l’heure actuelle le marché de surveillance le plus important au Grand-Duché de Luxembourg, avec plus de 700 agents, de sorte qu’au vu de l’ampleur du susdit marché, il serait indéniable qu’en perdant l’attribution du lot 2 au profit d’un autre soumissionnaire, aucune opportunité équivalente sur le marché ne se présenterait dans un futur proche, la société requérante relevant encore qu’elle avait précédemment obtenu le marché public de surveillance des centres d’hébergement de l’ONA jusqu’au 31 décembre 2020, mais que suite à une nouvelle soumission publique, le marché public aurait été adjugé à la société B à compter du 1er janvier 2021, en raison du prix inférieur de son offre ; aussi, en cas d’attribution à nouveau ce marché à la société B, cette dernière serait placée en situation de position dominante sur le marché, portant ainsi atteinte au principe de libre concurrence.

Enfin, la perte de ce marché et le préjudice en résultant ne seraient pas adéquatement compensés par l’attribution éventuelle de dommages et intérêts aux termes d’un procès civil contre l’Etat.

La société requérante estime encore que son recours au fond aurait de sérieuses chances de succès de voir annuler la décision querellée.

La société A soulève à cet égard d’abord l’absence de motivation de la décision du 27 décembre 2023, ce courrier s’étant limité à lui indiquer le rejet de son offre « faute d’avoir été l’offre économiquement la plus avantageuse » et à indiquer l’identité de l’adjudicataire du lot 2, la société B, sans autre indication, ni motivation, ledit courrier étant en particulier resté muet quant au classement de son offre de la requérante pour le lot 2 et quant aux raisons pour lesquelles l’offre de B aurait été économiquement plus avantageuse que sa propre offre pour le lot 2, de sorte que cette décision ne serait pas conforme à l’article 97 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, la société requérante mettant encore en exergue le fait que l’obligation de motivation revêtirait une importance toute particulière, en ce qu’elle permettrait aux destinataires de ces décisions de défendre leurs droits et de décider en pleine connaissance de cause s’il y a lieu d’introduire un recours juridictionnel contre celles-ci, ce qui serait également la finalité de l’article 55 de la directive 2014/24/UE, de même qu’elle devrait permettre aux juridictions d’exercer le contrôle de légalité desdites décisions, ce qui constituerait l’une des conditions de l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Enfin, elle souligne qu’il aurait été jugé que l’information à donner aux soumissionnaires non choisis devrait inclure le nom du soumissionnaire retenu et les motifs de droit et de fait des décisions y afférentes, en ce compris les caractéristiques et les avantages 3 relatifs à l’offre retenue, afin de permettre au soumissionnaire qui a présenté une offre régulière mais qui n’a pas été choisi de comprendre la décision du pouvoir adjudicateur, de sorte qu’il appartiendrait au pouvoir adjudicateur de justifier son choix en expliquant les raisons qui l’ont conduit à estimer que l’offre retenue était la plus intéressante économiquement, en indiquant les éléments positifs et négatifs caractérisant les différentes offres.

Or, en l’espèce, en se limitant à indiquer que son offre pour le lot 2 n’aurait pas été « l’offre économiquement la plus avantageuse », la décision attaquée ne présenterait pas les éléments positifs ou négatifs des offres soumises et se bornerait à se référer à une formule abstraite et générale, ce qui, au regard de l’ensemble des éléments susmentionnés, ne serait pas suffisant pour motiver une décision d’éviction.

Dans ce contexte à supposer que les juges du fond estimeraient néanmoins que l’absence de motivation de la décision d’adjudication ne saurait emporter annulation de la décision attaquée, la partie requérante sollicite des juges du fond la communication du dossier d’adjudication complet afin de pouvoir déterminer si les critères d’attribution fixés dans le cahier des charges ont été respectés par le pouvoir adjudicateur.

La société A s’empare ensuite de l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, pour soutenir que comme le message électronique, publié sur le Portail des Marchés Publics en date du 27 décembre 2023, se limiterait à se référer à l’article 97 (2) du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 et aux articles 5 et 6 de la loi de 2010 relative aux recours en matière de marchés publics, sans autre précision, ni indication des voies et délais de recours, il ne répondrait pas aux exigences légales en matière d’indication des voies de recours, de sorte que la décision d’adjudication du lot 2 du marché à la société B, matérialisée par ledit message électronique du 27 décembre 2023, devrait encourir l’annulation.

Finalement, la société A fait plaider que dans l’hypothèse où les juges du fond estimeraient que l’absence de motivation de la décision d’adjudication, ne saurait emporter annulation de la décision attaquée, elle sollicite la communication du dossier d’adjudication complet afin de pouvoir déterminer si les critères d’attribution fixés dans le cahier des charges ont été respectés par le pouvoir adjudicateur, de sorte qu’il appartiendrait aux juges du fond de surseoir à statuer et d’enjoindre au pouvoir adjudicateur de lui remettre une copie de l’offre soumise par la société B, ainsi qu’un tableau comparatif des deux offres, afin de lui permettre de démontrer que les critères d’attribution n’auraient pas été respectés par le pouvoir adjudicateur.

La partie gouvernementale rencontre cette argumentation en relevant que les conditions légales pour obtenir une mesure provisoire ne seraient pas remplies en cause, en contestant tant le risque d’un préjudice grave et définitif que le caractère sérieux des moyens de la société A.

En vertu de l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée la « loi du 21 juin 1999 », un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.

L’affaire au fond ayant été introduite le 29 décembre 2023 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi du 21 juin 1999, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.

4 Il convient ensuite de rappeler que, concernant les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la demande, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.

L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.

Ainsi, le juge des référés est appelé, d’une part, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et, d’autre part, non pas à se prononcer sur le bien-fondé des moyens, mais à vérifier, après une analyse nécessairement sommaire des moyens et des arguments présentés, si un des moyens soulevés par le requérant apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation de la décision attaquée.

La compétence du président du tribunal est restreinte à des mesures essentiellement provisoires et ne saurait en aucun cas porter préjudice au principal. Il doit s’abstenir de préjuger les éléments soumis à l’appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu’il doit s’abstenir de prendre position de manière péremptoire. Il doit donc se borner à apprécier si les chances de voir déclarer recevable le recours au fond paraissent sérieuses, au vu des éléments produits devant lui. Au niveau de l’examen des moyens d’annulation invoqués à l’appui du recours au fond, l’examen de ses chances de succès appelle le juge administratif saisi de conclusions à des fins de sursis à exécution, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et à vérifier si un des moyens soulevés par la partie requérante apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation voire la réformation de la décision critiquée.

C’est pourquoi le juge du provisoire doit prendre en considération les solutions jurisprudentielles bien établies, étant donné que lorsque de telles solutions existent, l’issue du litige - que ce soit dans le sens du succès du recours ou de son échec - n’est plus affectée d’un aléa.

Ne présente en revanche pas un caractère sérieux suffisant, un moyen soulevant un simple doute quant à l’issue du recours, un moyen basé sur une jurisprudence fluctuante ou minoritaire ou lorsqu’il n’existe pas de jurisprudence qui permettrait de répondre aisément aux questions devant être tranchées en l’espèce par le jugement à rendre ultérieurement sur le fond, surtout lorsqu’il s’agit de questions de principe inédites qui ne sauraient être tranchées, pour la première fois, par le juge des référés, mais requièrent un examen approfondi dans le cadre de 5 la procédure principale : le juge du référé est réellement le juge de l’évidence car il est cantonné à une position, sur ce problème, d’archiviste se contentant de reprendre à son compte une position adoptée par une autre juridiction1.

Si la solution du problème conduit le juge des référés à une appréciation juridique motivée qui fait la part entre la thèse de l’un et celle de l’autre, il excède ses pouvoirs dans la mesure où il est obligé de discuter juridiquement pour écarter l’une de ces thèses qui est donc forcément sérieuse. Lorsque le juge des référés, pour repousser une contestation, est obligé de bâtir un raisonnement juridique que ne dénierait pas un juge du fond, il va au-delà de ses pouvoirs2.

Sur cette toile de fond, le premier moyen de la société requérante tiré d’un défaut de motivation n’entraine pas la conviction dans le chef du soussigné d’une annulation probable de ce chef des décisions déférées.

En effet, en ce qui concerne les critiques émises par rapport à l’absence de motivation du courrier du 27 décembre 2023, et plus particulièrement en ce qui concerne l’argumentation basée sur une absence formelle de motivation suffisante en violation de l’article 97 (2) du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, aux termes duquel « […] De même, le pouvoir adjudicateur informe par écrit dans les meilleurs délais les autres concurrents qu’il ne fait pas usage de leur offre, avec l’indication des motifs à la base de la non-prise en considération de celle-ci. Il leur est restitué les échantillons, projets et autres pièces dont ils ont accompagné leur offre. […] » ainsi que sur une jurisprudence3, erronément citée par la partie requérante comme datant du 5 janvier 2021, il convient de retenir que les parties sont d’accord pour sur le fait que le marché en cause constitue un marché d’envergure, pour dépasser le seuil afférent prévu à l’article 52 de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics, régi dès lors par les dispositions spéciales du livre II de la loi du 8 avril 2018 ainsi que par celles du livre II du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, et non pas des dispositions générales du livre I desdits loi et règlement grand-ducal, de sorte que la société A semble s’être trompée en situant fondamentalement le débat relatif à la teneur et au respect des obligations d’information et de motivation du pouvoir adjudicateur par rapport à l’article 97 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, au lieu de l’article 193 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, sis au livre II applicable aux marchés publics d’une certaine envergure4, encore que cette erreur ait manifestement été provoquée par la référence a priori erronée à l’article 97 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 dans le message électronique du 27 décembre 2023.

Il s’ensuit qu’à première vue l’unique base juridique invoquée par la société requérante à l’appui de son premier moyen, à savoir l’article 97 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, n’est pas applicable en l’espèce : ledit moyen ne présente dès lors pas le sérieux nécessaire5.

Il convient par ailleurs de souligner qu’il n’appartient pas au soussigné, juge de l’évident et du manifeste, de procéder de sa propre initiative à une instruction juridique du dossier en procédant à une confrontation et à une comparaison du texte invoqué avec les dispositions 1 J. Piasecki, L’office du juge administratif des référés : Entre mutations et continuité jurisprudentielle. Droit, Université du Sud Toulon Var, 2008, n° 337, p.197.

2 Y. Strickler, Le juge des référés, juge du provisoire, thèse Strasbourg, 1993, p. 96 et 97.

3 Trib. adm. 14 novembre 2022, n° 45470.

4 Voir en ce sens :Cour adm. 23 novembre 2023, n° 48300C.

5 Trib. adm. (prés.) 19 janvier 2024, n° 49814.

6 effectivement applicables de l’article 193 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, et le cas échéant, de reformuler le moyen juridique de la requérante afin de le mettre au diapason de la législation et règlementation effectivement applicables, le juge du provisoire n’étant pas compétent pour procéder à une analyse poussée aux seuls fins de comprendre la finalité et l’argumentation de la requête, étant par ailleurs souligné qu’un tel argumentaire adapté ne se trouve, en tout cas pour l’heure, pas libellé dans l’affaire au fond, étant rappelé que le magistrat appelé à prendre une mesure provisoire ne peut avoir égard, au niveau de l’analyse du sérieux des moyens présentés qu’aux seuls moyens présentés par le requérant en question dans l’instance au fond au jour où le juge du provisoire est appelé à statuer.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’adage da mihi factum, dabo tibi jus (donnez-

moi les faits, je vous donnerai le droit), transcrit dans l’article 61 du Nouveau Code de procédure civile, censé traduire la répartition des tâches entre le juge et les parties en ce qui concerne la direction du procès : les parties devraient ainsi seulement invoquer et prouver les faits à l’appui de leur demande ou de leur défense, tandis que le juge, ensuite, y appliquerait le droit, sans que les parties aient l’obligation de prouver, ni même d’invoquer des règles de droit.

Cet adage n’est toutefois pas d’application en contentieux administratif, contentieux objectif, et encore moins dans le contentieux plus particulier de la légalité, lequel présuppose de la part de la partie requérante une qualification juridique pour éviter de se voir déboutée à cause de l’imprécision de sa demande (obscuri libelli). Par ailleurs, le recours au juge de la légalité - le juge de l’annulation - présuppose par définition la formulation d’un moyen de droit susceptible de mettre en cause la légalité de la décision déférée pour l’un des motifs énumérés à l’article 2, alinéa 1er de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif : or, l’exposé d’un moyen de droit requiert tant de désigner la règle de droit qui serait violée, que la manière dont celle-ci aurait été violée par l’acte attaqué6.

En ce qui concerne ensuite le second moyen de la société requérante, tiré d’un défaut d’indication des voies de recours sur la décision déférée, respectivement sur le message électronique matérialisant ladite décision, il convient de souligner que, d’une part, il est de jurisprudence constante7 que si l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 fait certes obligation à l’administration d’informer l’administré des voies de recours, l’omission, par l’administration, d’informer l’administré des voies de recours contre une décision administrative entraîne uniquement que les délais impartis pour les recours ne commencent pas à courir et, d’autre part, qu’un administré ne saurait, en présence d’un recours introduit dans les formes et délai, tirer un quelconque droit de l’absence d’indication des voies de recours, étant donné que cette absence n’a pas porté à conséquence8.

Le moyen afférent ne paraît dès lors pas présenter en l’état actuel d’instruction du dossier le sérieux nécessaire.

Enfin, il échet au soussigné d’analyser la question de la communication des motifs et du dossier administratif telle que sollicitée par la société requérante devant les juges du fond.

6 Trib. adm. (prés.) 17 décembre 2021, n° 46757.

7 Voir toutes les jurisprudences citées sous Pas. adm. 2022, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 273.

8 Trib. adm. 23 janvier 2006, n° 19812, Pas. adm. 2022, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 276, et les autres références y citées, ainsi que les jurisprudences citées sous le n° 281.

7 Il convient, d’une part, de relever, tel que reproché par la partie étatique à la société requérante, qu’il aurait a priori appartenu à la société A de solliciter la communication des motifs dès la phase pré-contentieuse, afin de lui permettre de développer davantage son analyse de la régularité des décisions déférées.

En effet, selon l’article 193 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, applicable aux marchés relevant du Livre II de la loi du 8 avril 2018 : « (1) Les pouvoirs adjudicateurs informent dans les meilleurs délais chaque candidat et chaque soumissionnaire des décisions prises concernant […] l’attribution du marché […]. (2) À la demande du candidat ou du soumissionnaire concerné, les pouvoirs adjudicateurs communiquent, dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception d’une demande écrite : […] b) à tout soumissionnaire écarté, les motifs du rejet de son offre, […] c) à tout soumissionnaire ayant fait une offre recevable, les caractéristiques et avantages relatifs de l’offre retenue ainsi que le nom du titulaire ou des parties à l’accord-cadre […] ».

De même, selon l’article 7 de la loi du 10 novembre 2010 relative aux recours en matière de marchés publics et d’attribution de contrats de concessions, elle aussi applicable aux marchés publics du Livre II : « La décision d’attribution est communiquée à chaque soumissionnaire et candidat concerné, accompagnée :- d’un exposé synthétique des motifs pertinents à communiquer par le pouvoir adjudicateur sur demande de la partie concernée tel que prévu par règlement grand-ducal, sauf exceptions y prévues, […] - d’une mention précise de la durée exacte du délai de suspension applicable. » D’autre part, il y a lieu à cet égard de constater que le dossier administratif afférent a été déposé en date du 22 janvier 2024 au greffe du tribunal administratif, a priori dans son intégralité, alors que comprenant également un tableau comparatif des trois offres en cause, comportant indication des différents points attribués à chaque critère, tel que sollicité par la société requérante.

Aussi, en tout état de cause, la demande tendant à voir l’Etat condamné, le cas échéant par le soussigné, à communiquer les pièces, même à admettre, quod non, que pareille mesure entre dans les attributions du juge du provisoire, serait à rejeter, les pièces réclamées ayant manifestement été communiquées.

Aussi, les moyens invoqués à l’appui du recours au fond ne paraissant pas comme suffisamment sérieux pour justifier la mesure provisoire telle que sollicitée par la société A.

Il y a dès lors lieu de débouter la société A de sa demande sans examiner davantage la question du risque d’un préjudice grave et définitif dans son chef, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne l’échec de la demande.

Il suit de toutes les considérations qui précèdent que la demande est à rejeter.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant à l’égard de toutes les parties et en audience publique ;

8 rejette le recours en obtention d’une mesure provisoire ;

condamne la société requérante aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 janvier 2024 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 janvier 2024 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49885
Date de la décision : 26/01/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/02/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-01-26;49885 ?

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