Tribunal administratif N° 49958 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49958 1re chambre Inscrit le 19 janvier 2024 Audience publique extraordinaire du 9 février 2024 Recours formé par Madame A, …, contre trois décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49958 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 janvier 2024 par Maître Fatim-Zohra Ziani, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame A, née le … à …, déclarant être de nationalité bosnienne et tunisienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation 1) d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 20 décembre 2023 notifiée le 4 janvier 2024 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 29 janvier 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
La soussignée entendue en son rapport, ainsi que Maître Fatim-Zohra Ziani et Madame le délégué du gouvernement Danitza Greffrath en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 février 2024.
Le 15 novembre 2023, Madame A introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Madame A sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée -
police des étrangers, dans un rapport du même jour.
Le 20 novembre 2023, Madame A fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 20 décembre 2023, notifiée à l’intéressée en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, désigné ci-après par « le ministre », refusa de faire droit à la demande de protection internationale de Madame A pour les motifs suivants :
1 « (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite en date du 15 novembre 2023 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-
après dénommée « la Loi de 2015 »).
Votre sœur, la dénommée B, née le … à …, de nationalité bosnienne, a également introduit une demande de protection internationale en date du 15 novembre 2023, laquelle fait l'objet d'une décision séparée.
Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-
après.
1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 15 novembre 2023, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 20 novembre 2023 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les pièces versées à l'appui de votre demande.
Vous déclarez être de nationalité tunisienne puis affirmez être de nationalité bosnienne, être de confession musulmane, être célibataire et avoir dernièrement vécu à …. De 2003 jusqu'en août 2023, vous auriez vécu auprès de votre père en Tunisie. Vous avez introduit une demande de protection internationale parce que votre situation en Tunisie ne vous aurait plus permis d'y rester. A cela s'ajoute que votre père serait régulièrement embêté par la police et que cela retomberait également sur vous.
Ainsi, vous précisez que votre père se serait vu notifier une interdiction de quitter la Tunisie pendant cinq ans et que la police tunisienne serait régulièrement venue chez vous à la maison. Des fois, votre père aurait été gardé par la police pendant quarante-huit heures. En 2023, vous auriez pris la décision de quitter la Tunisie, parce que votre père ne pourrait plus s'occuper de vous alors qu'il aurait vieilli, serait devenu malade et vous aurait dit de partir chez votre mère, divorcée de lui depuis … et retournée en Bosnie-Herzégovine en …. Vous précisez que votre père ne pourrait pas travailler en Tunisie parce qu' « ils lui ont mis un « S17 ») (p. 6 du rapport d'entretien) étant donné qu'il serait perçu comme un terroriste à cause de sa seule barbe. Vous auriez certes pu travailler en Tunisie mais on vous aurait causé des problèmes pour vous faire remettre des documents sous prétexte que vous et vos sœurs auriez été voilées et que votre sœur devrait être interrogée.
En août 2023, vous auriez pris la décision de quitter la Tunisie ensemble avec votre sœur pour la Bosnie-Herzégovine afin de revoir votre mère et pour qu'elle vous aide avec les démarches pour obtenir la nationalité bosnienne pour pouvoir y recommencer votre vie, ce qu'elle aurait fait. Or, comme votre mère aurait ensuite mal parlé de votre père et aurait déchiré votre passeport tunisien et celui de votre sœur, vous auriez eu un désaccord et vous vous seriez fâchées. Comme votre mère aurait en plus voulu cacher à son nouvel époux ses trois enfants de son mariage précédent, bien qu'elle aurait voulu que vous viviez près d'elle, cela aurait causé des conflits avec sa nouvelle famille et vous n'auriez pas pu continuer à vivre chez elle. Vous auriez alors plusieurs fois changé d'adresse, en logeant à tour de rôle chez un oncle, les grands-parents et chez une tante. Comme vous auriez en plus connu des soucis pour 2vous inscrire à des études universitaires dans les délais prescrits et que vous n'auriez pas eu de revenu en Bosnie-Herzégovine, vous auriez décidé de revenir au Luxembourg.
Le 3 novembre 2023, vous auriez donc quitté la Bosnie-Herzégovine, ensemble avec votre sœur, à bord d'un avion à destination de la Suisse. Vous auriez ensuite séjourné jusqu'au 12 novembre 2023 auprès d'une connaissance de votre père à Metz, avant de venir rejoindre une amie bosnienne au Luxembourg.
En cas d'un retour en Bosnie-Herzégovine, vous ignoreriez ce que vous devriez craindre mais vous seriez d'avis de ne pas pouvoir y vivre, d'autant plus qu'il y aurait eu la guerre et que vous auriez connu des soucis d'inscription à l'université.
Vous précisez être revenue pour réclamer votre « droit. (…) (De quel droit parlez-vous ?) A savoir pourquoi ils n'ont pas procédé au rapatriement de mon père. Et du fait qu'ils ont rapatrié ma mère en Tunisie et non pas dans son pays » (p. 7 du rapport d'entretien). De plus, vous voudriez réclamer votre « droit en tant que citoyenne née ici. Dont le père a été rapatrié » (p. 7 du rapport d'entretien).
A l'appui de votre demande de protection internationale, vous présentez les pièces suivantes :
- votre passeport bosnien émis le … 2023 ;
- une copie d'un acte de naissance bosnien émis le … 2023 à ….
2. Quant à l'application de la procédure accélérée Je tiens tout d'abord à vous informer que conformément à l'article 27 de la Loi de 2015, il est statué sur le bien-fondé de votre demande de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée alors qu'il apparaît que vous tombez sous deux des cas prévus au paragraphe (1), à savoir :
b) « le demandeur provient d'un pays d'origine sûr au sens de l'article 30 de la présente loi ; » Madame, vous êtes de nationalité bosnienne et en vertu de l'article 30 de la Loi de 2015 et du règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi précitée, la Bosnie-Herzégovine doit être considérée comme pays d'origine sûr où il n'existe pas, généralement et de façon constante, de persécution au sens de la Convention de Genève. Ce constat n'a pas pu être contredit par l'examen individuel de votre demande de protection internationale.
Un pays est considéré comme sûr s'il veille au respect des principes de liberté, de la démocratie et de l'Etat de droit, ainsi que des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
De plus, lorsque sur la base de la situation légale, de l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et des circonstances politiques, il peut être démontré que, d'une manière générale et de manière durable, il n'existe pas de recours à des persécutions au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, ni des motifs sérieux de croire que le demandeur de protection internationale court un risque réel de subir une atteinte grave telle que déterminée 3à l'article 48 de la Loi de 2015, le pays d'origine concerné peut valablement être considéré comme pays d'origine sûr.
A titre complémentaire, il convient également de relever qu'en Bosnie-Herzégovine, les critères suivants sont garantis :
• l'existence d'un système judiciaire indépendant ;
• la reconnaissance des libertés et des droits démocratiques de base, y compris de mécanismes de recours si ces droits ou libertés sont violés ;
• l'existence d'organisations de la société civile.
En ce qui concerne le respect des droits de l'Homme en Bosnie-Herzégovine, la Commission Européenne atteste que : « Bosnia and Herzegovina has ratified ail major European and international human rights instruments ». A cela s'ajoute qu'en date du 12 octobre 2022, la Commission européenne a recommandé aux 27 Etats membres de l'Union européenne d'accorder à la Bosnie-Herzégovine le statut de pays candidat à l'adhésion à l'Union.
Compte tenu des constatations qui précèdent concernant la situation juridique, l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et la mesure dans laquelle une protection est offerte dans votre pays d'origine contre d'éventuels persécutions ou mauvais traitements, le ministre est d'avis que, d'une manière générale et uniformément, il n'est pas recouru en Bosnie-Herzégovine à la persécution au sens de la Convention relative au statut des réfugiés. Ainsi, force est donc de constater que les critères du paragraphe 2 de l'article 30 sont clairement remplis. De plus, il n'existe pas de motif sérieux de croire que vous courez un risque réel de subir une atteinte grave telle que déterminée à l'article 48 de la loi précitée du 18 décembre 2015.
a) « le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n'a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale. » Tel qu'il ressort de l'analyse de votre demande de protection internationale ci-dessous développée, il s'avère que le point a) de l'article 27 se trouve également être d'application pour les raisons étayées ci-après.
3. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale • Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
Aux termes de l'article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a Ici nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette 4crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».
L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée. Or, en l'espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.
Madame, avant tout autre développement en cause il échet de soulever qu'une demande de protection internationale s'analyse par rapport au pays d'origine du demandeur, respectivement, par rapport au pays dont il possède la nationalité et qui est, dans votre cas, la Bosnie-Herzégovine. Il s'ensuit que votre situation en Tunisie, à part le fait que vous ne mentionnez de toute façon que des problèmes non personnels de votre père ainsi que des problèmes personnels économiques et tout à fait mineurs avec les autorités, ne saurait dès lors pas être prise en compte dans le cadre de l'analyse de votre demande de protection internationale.
Quant à vos motifs vous ayant poussée à quitter, ensemble avec votre sœur, la Bosnie-Herzégovine pour venir introduire une demande de protection internationale au Luxembourg, force est de constater que ceux-ci se résument surtout à des motivations économiques et de convenance personnelle. Vous prétendez en effet ne pas avoir de revenus et de logement en Bosnie-Herzégovine, de sorte que vous auriez été obligée de séjourner auprès de différents membres de famille après que vous n'auriez plus pu rester chez votre mère. Vous mentionnez en outre des soucis d'inscription à l'université pour une question de délais. Or, de tels motifs économiques et de convenance personnelle ne sauraient toutefois pas justifier l'octroi du statut de réfugié alors qu'ils ne rentrent nullement dans le champ d'application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015, textes qui prévoient une protection à toute personne persécutée ou à risque d'être persécutée à cause de sa race, sa nationalité, sa religion, ses opinions politiques ou son appartenance à un certain groupe social.
Quant au fait que vous avez également introduit cette demande de protection internationale parce que vous seriez venue réclamer votre « droit » au Luxembourg, force est en premier lieu de constater que vos explications dans ce contexte ne sont pas intelligibles et ne permettent pas d'y répondre concrètement ou de prendre position. Il n'est en effet pas compréhensible en quoi l'éloignement forcé de votre famille vers la Tunisie il y a une vingtaine d'années créerait dans votre chef un droit quelconque pertinent dans le cadre de l'analyse de votre demande de protection internationale. Il en va de même de votre allégation aux termes de laquelle vous seriez également venue au Luxembourg réclamer votre « droit en tant que citoyenne née ici. Dont le père a été rapatrié » (p. 7 du rapport d'entretien). En effet, le constat que vous êtes née sur le territoire luxembourgeois ne crée dans votre chef aucun droit.
Après le refus de la demande de protection internationale introduite par votre père en 2000, au nom de l'unité familiale, vous avez été éloignée du territoire luxembourgeois en compagnie de vos parents et de vos sœurs. Votre motif en lien avec un prétendu « droit » 5dont vous estimez pouvoir vous prévaloir ne saurait en tout cas aucunement fonder une demande de protection internationale alors qu'un tel droit n'existe pas et n'a jamais existé.
Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.
• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi. Or, en l'espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.
Il y a lieu de retenir qu'il n'existe manifestement pas davantage d'éléments susceptibles d'établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu'il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que courriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 de la loi de 2015. En effet, vous omettez d'établir qu'en cas de retour en Bosnie-Herzégovine, vous risqueriez la peine de mort ou l'exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre votre vie ou votre personne en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.
Suivant les dispositions de l'article 34 (2) de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la Bosnie-Herzégovine, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2024, Madame A a introduit un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 20 décembre 2023 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande 6en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre la décision de refus d’une demande de protection internationale prise dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 20 décembre 2023 telles que déférées.
Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse rappelle en substance les faits et rétroactes tels que repris ci-avant.
Quant au volet du recours dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, Madame A reproche au ministre de l’avoir convoquée à l’entretien endéans les 5 jours de l’introduction de sa demande de protection internationale ce qui consisterait en un « traitement très rapide » et ce qui serait « particulièrement étonnant ». Elle soutient encore que l’entretien auprès du ministère aurait été particulièrement court et fait valoir que « [l]a partie étatique semblait dès lors avoir déjà considéré que l’entretien de la Requérante ne durerait pas plus d’une heure et demie », alors qu’ « un minimum d’une journée [serait] consacrée à l’entretien d’un demandeur de protection internationale ». Elle reproche au ministre d’avoir déjà prise une décision avant l’entretien. Elle souligne n’avoir fait l’objet d’un seul et unique entretien lors duquel elle aurait répondu aux questions de l’agent du ministère, qui ne lui aurait posé de questions ni pertinentes ni détaillées. Elle souligne que le ministre aurait dû s’efforcer de recueillir le maximum d’informations afin de connaître son histoire, d’évaluer sa crédibilité et afin de vérifier si elle remplit les conditions d’obtention d’une protection internationale.
Elle cite dans ce contexte l’article 37, paragraphes (1) à (3) de la loi du 18 décembre 2015.
Elle fait valoir que d’autres questions auraient dû lui être posé afin de « la mener à expliquer davantage sa situation et les raisons l’ayant poussées à quitter son pays pour solliciter une protection internationale au Grand-Duché ».
En admettant que la Bosnie-Herzégovine figure sur la liste des pays d’origine sûrs, elle donne cependant à considérer que l’agent en charge de l’entretien n’aurait « aucunement essayé de savoir si pour la Requérante, la Bosnie-Herzégovine est un pays sûr, alors qu’il n’en est pas un dans son chef. ».
Madame A fait ensuite valoir que le ministre aurait commis une erreur manifeste d’appréciation et d’interprétation en rappelant qu’elle serait née au Luxembourg et qu’elle aurait été éloignée vers la Tunisie ensemble avec sa famille, de sorte qu’elle aurait « souffert » d’une décision prise à l’encontre de ses parents.
7Elle conteste que les seules raisons l’ayant amené à quitter son pays d’origine n’auraient été qu’économiques et souligne que le ministre serait resté en défaut de prendre position par rapport aux problèmes qu’elle aurait connu avec la police tunisienne.
Elle reproche encore à l’agent en charge de l’entretien de ne pas s’être intéressé à ces faits.
Elle affirme que le fait que l’entretien a eu lieu en présence d’un interprète aurait pu mener à une « mauvaise compréhension ou transcription ». Elle renvoie dans ce contexte à une analyse juridique de l’European Union Agency for Asylum selon laquelle il appartiendrait à la juridiction d'évaluer l'impact des éventuelles contradictions ou omissions sur la crédibilité des déclarations du demandeur concernant les faits matériels.
Elle donne ensuite à considérer qu’elle n’aurait pas pu se procurer d’autres pièces à l’appui de sa demande de protection internationale et reproche au ministre de l’avoir convoqué trop rapidement à l’entretien, de n’avoir programmé qu’une heure et demie pour cet entretien et que l’agent en charge de l’entretien se serait désintéressé de son récit et de sa situation personnelle et familiale.
Quant au volet du recours visant la décision portant refus de la protection internationale et concernant le statut de réfugié, la demanderesse soutient remplir tous les critères pour bénéficier dudit statut.
Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, la demanderesse fait valoir que compte tenu des faits qu’elle a décrit lors de son entretien auprès du ministère, elle encourrait un sérieux risque de subir de graves atteintes à son intégrité physique et à sa vie.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours, pris en son triple volet.
Aux termes de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé.
Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification. Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.
Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale. Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».
Il en résulte qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé, dans la négative, le recours étant renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
8 A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
Il convient de prime abord de relever que l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.
Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, force est encore de relever que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
La soussignée rappelle tout d’abord qu’elle n’est pas tenue par l’ordre des moyens, tels que présentés par les parties, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.
S’agissant d’abord des reproches de la demanderesse selon lesquels, en substance, le ministre aurait procédé à un traitement trop rapide de sa demande de protection internationale en la convoquant à l’entretien endéans 5 jours de l’introduction de sa demande de protection internationale, la soussignée constate, d’un côté, que la demanderesse n’a pas autrement précisé quelles dispositions auraient été violées de ce chef, de sorte que ce moyen simplement suggéré encourt en tout état de cause le rejet, alors qu’il n’appartient pas à la soussignée de suppléer la carence des parties et de rechercher elle-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, et, d’un autre côté, qu’aux termes de l’article 26 de la loi du 18 décembre 2015, le ministre doit veiller à ce que la procédure soit menée à terme dans les meilleurs délais, de sorte qu’il ne saurait raisonnablement être reproché au ministre d’avoir fixé l’entretien de la demanderesse à une date proche de l’introduction de sa demande de protection internationale lui permettant ainsi de faire valoir rapidement les motifs à la base de sa demande de protection internationale.
S’agissant ensuite des reproches de la demanderesse selon lesquels l’agent ayant mené l’entretien auprès du ministère ne se serait pas intéressé à son récit et aurait manqué de poser des questions pertinentes et, en général, que le ministre aurait procédé à une mauvaise instruction de son dossier, la soussignée constate encore que la demanderesse reste en défaut d’invoquer une quelconque disposition législative qui aurait été violée de ce chef.
La soussignée relève néanmoins qu’aux termes de l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015 : « (…) (3) Le ministre fait en sorte que les décisions sur les demandes de protection internationale soient prises à l’issue d’un examen approprié. A cet effet, il veille à ce que :
9 a) les demandes soient examinées et les décisions soient prises individuellement, objectivement et impartialement ; (…) ».
L’article 14 de la même loi prévoit les modalités selon lesquelles l’entretien individuel du demandeur de protection internationale par un agent du ministre, tel que prévu à l’article 13 de ladite loi, doit avoir lieu : « (1) L’entretien a normalement lieu hors de la présence des membres de la famille, à moins que le ministre ne juge que la présence d’autres membres de la famille est nécessaire pour procéder à un examen adéquat.
(2) L’entretien a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité.
(3) Le ministre fait en sorte que l’entretien soit mené dans des conditions qui permettent au demandeur d’exposer l’ensemble des motifs de sa demande. A cet effet, le ministre :
a) veille à ce que la personne chargée de mener l’entretien soit compétente pour tenir compte de la situation personnelle et générale dans laquelle s’inscrit la demande, notamment l’origine culturelle, le genre ou l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou la vulnérabilité du demandeur ;
b) fait en sorte, dans la mesure du possible, que l’entretien avec le demandeur soit mené par une personne du même sexe si le demandeur en fait la demande à moins que le ministre ait une raison de penser que cette demande est fondée sur des motifs qui ne sont pas liés à des difficultés de la part du demandeur d’exposer l’ensemble des motifs de sa demande ;
c) choisit un interprète capable d’assurer une communication appropriée entre le demandeur et la personne qui mène l’entretien. La communication a lieu dans la langue pour laquelle le demandeur a manifesté une préférence sauf s’il existe une autre langue qu’il comprend et dans laquelle il est à même de communiquer clairement. Dans la mesure du possible, un interprète du même sexe est fourni au demandeur s’il en fait la demande, à moins que le ministre ait des raisons de penser que cette demande est fondée sur des motifs qui ne sont pas liés à des difficultés de la part du demandeur d’exposer l’ensemble des motifs de sa demande ;
d) veille à ce que la personne qui mène l’entretien sur le fond de la demande de protection internationale ne porte pas d’uniforme militaire ou d’uniforme des services répressifs ;
e) veille à ce que les entretiens avec les mineurs soient menés d’une manière adaptée aux enfants par un agent possédant les connaissances nécessaires sur les besoins particuliers des mineurs. ».
Or, il ne se dégage pas des éléments à la disposition de la soussignée que la décision litigieuse n’ait pas été prise individuellement, objectivement et impartialement.
Si le litismandataire de la demanderesse a expliqué lors de l’audience de plaidoiries que la demanderesse aurait fait l’objet d’un traitement différent en raison de l’éloignement de sa famille du Luxembourg vers la Tunisie lors de son enfance, la soussignée constate, d’une part, que le dossier administratif ne contient, à part les affirmations afférentes de la demanderesse, aucun document en lien avec un tel éloignement et, d’autre part, que la demanderesse reste, par ailleurs, 10en défaut d’expliquer quel serait concrètement le lien entre ledit éloignement subi en tant qu’enfant et sa demande de protection internationale introduite en tant que majeur en 2023.
Si la demanderesse insiste encore sur le fait que le ministre n’aurait pas analysé les problèmes qu’elle aurait connus en Tunisie, la soussignée constate que la demanderesse a certes mentionné sur le formulaire « données personnelles déclarées » rempli en date du 15 novembre 2023 être tant de nationalité tunisienne que de nationalité bosnienne, il ressort cependant de l’attestation d’introduction d’une demande de protection internationale signée par la demanderesse en date du même jour qu’elle ne serait que de nationalité bosnienne et elle a déclaré elle-même tant lors de son entretien auprès de la police grand-ducale mené en date du même jour que lors de son entretien auprès du ministère en date du 20 novembre 2023 n’être que de nationalité bosnienne et n’a soumis, par ailleurs, qu’un passeport bosnien.
Face à ce constat et à défaut par la demanderesse de soumettre au ministre un quelconque élément susceptible d’établir sa nationalité tunisienne, le ministre a valablement pu retenir, sur base des déclarations de la demanderesse, que le pays d’origine de cette dernière est la Bosnie-
Herzégovine. Il s’ensuit que le ministre a conclu à bon droit que les problèmes rencontrés par la demanderesse en Tunisie ne pourraient être pris en considération dans le cadre de l’examen du bien-fondé de sa demande de protection internationale, dans la mesure où les faits en question ne se sont pas déroulés dans son pays d’origine. En effet, la question de savoir si la demanderesse craint avec raison de subir des actes de persécution ou des atteintes graves devant être examinée par rapport au pays dont elle a la nationalité, en l’occurrence, la Bosnie-Herzégovine. En effet, tant que l’intéressé n’éprouve aucune crainte vis-à-vis du pays dont il a la nationalité, il est possible d’attendre de lui qu’il se prévale de la protection de ce pays. Dans ce cas, il n’a pas besoin d’une protection internationale et par conséquent il n’est pas à considérer comme réfugié ou de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire1. Cette analyse est encore confortée par la définition donnée par l’article 2 p) de la loi du 18 décembre 2015 de la notion de pays d’origine, qui – sauf l’hypothèse, non vérifiée en l’espèce, d’un apatride – est celui « dont le demandeur a la nationalité », et non pas celui où le demandeur a résidé en dernier lieu.
Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a analysé la demande de protection internationale par rapport au seul pays d’origine de la demanderesse, à savoir la Bosnie-
Herzégovine.
S’agissant de l’entretien de la demanderesse, la soussignée constate qu’il ressort du rapport d’audition de Madame A qu’elle a été invitée à exposer les raisons pour lesquelles elle a sollicité une protection internationale au Luxembourg, ainsi que les raisons de son départ tant de la Tunisie que de la Bosnie-Herzégovine. L’agent chargé de son audition l’a, plus particulièrement, interrogé sur les problèmes qu’elle aurait personnellement rencontrés dans ces deux pays. De surcroît, il résulte du libellé de la décision ministérielle litigieuse, que le ministre a bien tenu compte des déclarations de la demanderesse lors de la prise de sa décision.
S’agissant du reproche de la demanderesse selon lequel, en substance, il y aurait eu des erreurs au niveau de la traduction pendant l’entretien, la demanderesse est restée en défaut de préciser à quel niveau concrètement il y aurait eu des erreurs de traduction, étant rappelé qu’il n’incombe pas à la soussignée de rechercher les éventuels argumentaires susceptibles de sous-
tendre un moyen non explicité.
1 Trib. adm., 15 décembre 2004, n° 18573 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 126 et les autres références y citées 11 La soussignée constate, par ailleurs, que la demanderesse, qui était accompagnée de son litismandataire lors dudit entretien, est restée en défaut de préciser tant pendant la procédure précontentieuse que lors de la procédure contentieuse quels autres éléments elle aurait voulu avancer lors de son entretien. Elle n’a pas non plus sollicité un nouvel entretien à la suite de l’entretien du 20 novembre 2023 qu’elle estime avoir été trop court. Sur question expresse de l’agent ayant mené l’entretien si le litismandataire de la demanderesse avait encore des questions à poser, ce dernier a renoncé. Le rapport d’entretien a, au contraire, été signé tant par la demanderesse que par son litismandataire, attestant que l’entretien a été mené en langue arabe et qu’il n’y avait pas eu de problèmes de compréhension entre les parties présentes et la demanderesse. En signant ledit rapport d’entretien, Madame A a encore déclaré ne pas avoir d’autres faits à invoquer tout en confirmant l’entièreté du contenu de son entretien.
Il suit de tout ce qui précède que le moyen de la demanderesse tendant, en substance, à reprocher au ministre de ne pas avoir procédé à un examen approprié de sa demande, respectivement d’avoir violé l’article 37 de la loi du 18 décembre 2015, est à rejeter dans chacun de ses volets.
La soussignée retient encore que le ministre n’a pas mise en doute la crédibilité de la demanderesse, de sorte que les développements afférents de la demanderesse dans sa requête introductive d’instance ne sont pas pertinents dans le cadre de l’appréciation du bien-fondé du présent recours.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Force est de relever qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a) et b) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, qui dispose que :
« (1) Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants:
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la présente loi ; (…) ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27, paragraphe (1), points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande ou si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr.
La soussignée est dès lors amenée à analyser si les moyens avancés par la demanderesse à l’encontre de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sont manifestement dénués de tout fondement, de sorte que leur rejet s’impose de manière évidente ou si les critiques avancées par la demanderesse ne permettent pas d’affirmer en l’absence de tout doute que le 12ministre a valablement pu se baser sur l’article 27, paragraphe (1), points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 pour analyser la demande dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours devra être renvoyé devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
S’agissant plus particulièrement du point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi loi du 18 décembre 2015, afin d’analyser si la demanderesse n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer si elle remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale il y a d’abord lieu de relever qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi, comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».
Aux termes de l’article 2 g) de la loi 18 décembre 2015 est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ». L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), comme étant la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine, ou encore des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
En outre, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire 13de celui-ci;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».
Il se dégage de ces dispositions légales que tant l’octroi du statut de réfugié que celui du statut conféré par la protection subsidiaire supposent, entre autres, d’une part, que les actes étaient motivés par des conditions de fond relevant de la Convention de Genève ou sont à qualifier, de par leur nature, d’atteintes graves, et qu’ils atteignent un certain degré de gravité, lequel est déterminé, s’agissant du statut de réfugié, par l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 relatif à la notion de « persécution » et, s’agissant de la protection subsidiaire, par l’article 48 de la même loi, qui précise la notion d’« atteinte grave » et, d’autre part, que l’intéressé ne puisse se prévaloir d’une protection étatique appropriée, étant rappelé que la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
En l’espèce, il ressort du rapport d’audition que la demanderesse avance comme motifs à la base de sa demande de protection internationale le fait d’avoir eu des problèmes avec la police tunisienne et de ne pas avoir pu rester en Bosnie en raison de la « nouvelle famille » de sa mère.
S’il est vrai que Madame A affirme faire l’objet de persécutions respectivement d’atteintes graves en cas de retour en Bosnie-Herzégovine, respectivement en Tunisie, il n’en reste pas moins que la demanderesse reste en défaut de soumettre à l’appréciation de la soussignée un quelconque élément soutenant cette crainte.
Les problèmes décrits par la demanderesse tant en Bosnie-Herzégovine qu’en Tunisie se résument manifestement à des problèmes économiques qui ne sauraient justifier l’octroi d’un statut de protection internationale.
En effet, la demanderesse déclare qu’elle a quitté la Tunisie en 2023 pour les raisons suivantes : « Notre père a vieilli, il est devenu malade. On ne pouvait plus rester avec lui. Il nous 14a dit qu’on pouvait aller chez notre mère car il était incapable de supporter la situation »2, étant donné que la police tunisienne ne le laisserait pas travailler. En raison du fait que la police tunisienne empêcherait son père de travailler, elle-même n’aurait « pas de ressources pour subvenir à [s]es besoins »3. Sur question expresse de l’agent ayant mené l’audition, la demanderesse explique qu’elle n’aurait pas pu travailler, dans la mesure où les autorités tunisiennes lui causeraient des difficultés à se procurer les documents nécessaires et affirme avoir quitté la Tunisie en raison du fait qu’elle n’aurait pas eu de ressources pour subvenir à ses besoins suite aux problèmes de son père, qui lui aurait ensuite conseillé d’aller chez sa mère en Bosnie-
Herzégovine4. Madame A déclare encore avoir été incapable de s’installer dans une autre région tant de la Tunisie que de la Bosnie-Herzégovine « [p]our des raisons financières qui ne m’ont pas permis de le faire. J’étais liée à mes études »5. Madame A a encore précisé que « [s]a situation en Tunisie ne [lui] permettait plus d’y rester. Pareil pour ce qui est de la relation que j’ai avec mon père. Mon père est toujours embêté par la police depuis 13 ans. Quand il est embêté, nous sommes embêtées »6 et « Lorsque mon père était rapatrié du Luxembourg en Tunisie, pour des raisons politiques, on a eu des problèmes. On a dû passer une partie de notre vie avec notre mère et une autre avec notre père. Ma mère a subi des dommages corporels et psychologiques par la police.
La garde a été confiée à mon père. On a vécu avec notre père depuis. Il avait une interdiction de quitter la Tunisie pendant 5 ans. La police a continué à l’embêter. Ils venaient tout le temps à la maison. Des fois, ils le prenaient pour des enquêtes pendant 2 jours alors qu’il marchait simplement à proximité du domicile »7.
Si la demanderesse affirme ainsi dans le cadre de son entretien que son père aurait été « embêté » par des policiers tunisiens, elle reste cependant en défaut de mettre ces faits en lien avec sa propre situation, d’autant plus qu’elle-même aurait connu comme seul problème le fait de s’être vu refuser l’octroi de documents, ce qui aurait nécessité l’intervention de son père8.
Quant aux raisons pour lesquelles elle a quitté la Bosnie-Herzégovine, la demanderesse déclare avoir eu « des soucis avec [s]a mère qui a une nouvelle famille », ce qui aurait eu comme conséquence qu’elle « n’avait pas de domicile fixe » et qu’il est devenu « difficile de pouvoir étudier là-bas » et qu’elle « n’avai[t] aucun moyen d’y rester »9. Elle affirme encore devoir « trouver un logement pour y habiter avec [s]a sœur. C’est difficile. Je ne connais personne. Ma mère et mon oncle ont leur vie. Ils ne peuvent pas nous prendre en charge »10. Sur question qu’elle serait sa crainte en cas de retour en Bosnie-Herzégovine, Madame A déclare « Je l’ignore. Je ne pourrais pas y vivre. Il y avait la guerre avant en Bosnie. Ce qui a rendu la vie difficile. Même si je dois y retourner, je dois avoir la garantie d’avoir mes droits tels que continuer mes études que j’ai dû arrêter11.
Il s’ensuit qu’indépendamment (i) du fait que les faits invoqués par la demanderesse tant par rapport à la Tunisie que par rapport à la Bosnie-Herzégovine ne sont manifestement pas 2 Rapport d’audition, p. 6.
3 Ibidem.
4 Ibidem.
5 Rapport d’audition, p. 8.
6 Rapport d’audition, p. 5.
7 Ibidem.
8 « Ils venaient à la maison. Pour étudier en Tunisie, on a besoin des documents d’identité. Et ils nous embêtaient pour avoir ces documents. Ils savaient qu’on était les filles de …. Mon père devait aller leur demander pourquoi ils ne donnent pas de documents à ses filles » Rapport d’audition, p. 7.
9 Rapport d’audition, p. 6.
10 Ibidem.
11 Rapport d’audition, p. 7.
15suffisamment graves pour remplir les conditions d’octroi de l’un des statuts conférés par la protection internationale et (ii) du fait que la Tunisie n’est pas à considérer comme pays d’origine de la demanderesse, le motif ayant finalement conduit la demanderesse à quitter la Tunisie et la Bosnie-Herzégovine était des raisons économiques.
Si la demanderesse avance encore qu’elle « voudrai[t] réclamer [s]on droit. A savoir quand ils ont rapatrié mon père comme un criminel. On a été rapatrié dans un vol privé. Il était menotté et les pieds attachés. Pareil pour ma mère. Ils ont rapatrié mes parents, mon père étant considéré comme un criminel, ma mère bosnienne pareil. (…) » et qu’elle « aimerai[t] réclamer [s]on droit en tant que citoyenne née ici. Dont le père a été rapatrié »12 la soussignée constate que la demanderesse reste en défaut de préciser de quelle manière ces affirmations seraient pertinentes dans le cadre d’une demande de protection internationale.
Il suit des considérations qui précèdent que l’examen des faits et motifs invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale amène la soussignée à conclure que les éléments soumis ne sont manifestement pas pertinents au regard de l’examen visant à déterminer si elle remplit les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire.
Il échet de rappeler dans ce contexte que dans le cadre de sa requête introductive d’instance, la demanderesse se borne à affirmer qu’elle remplisse les conditions d’octroi des statuts conférés par la protection internationale sans même mettre les motifs invoqués lors de son entretien en lien avec les dispositions législatives citées ci-avant, étant précisé à cet égard que si la soussignée est investie du pouvoir de statuer en tant que juge du fond, il n’en demeure pas moins que saisi d’un recours contentieux portant contre un acte déterminé, l’examen auquel elle doit se livrer ne peut s’effectuer que dans le cadre des moyens invoqués par le demandeur pour contrer les motifs de refus spécifiques à l’acte déféré. Son rôle ne consiste pas à procéder indépendamment des motifs de refus ministériels à un réexamen général et global de la situation de l’administré. Il ne suffit dès lors pas de contester la conclusion d’une décision administrative donnée, en renvoyant en substance le juge administratif au contenu du dossier administratif, mais il appartient au demandeur d’établir que la décision déférée est non fondée ou illégale pour l’un des motifs énumérés à l’article 2, alinéa 1er de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif tant en ce qui concerne sa conclusion que sa motivation13, ce que la demanderesse est restée en défaut de faire.
Il s’ensuit que le recours tendant à la réformation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement non fondé.
2) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Force est à la soussignée de retenir, pour les mêmes motifs exposés dans le cadre du volet du recours dirigé contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de la demanderesse dans le cadre d’une procédure accélérée, que les faits invoqués par la demanderesse ne sont pas, au vu du défaut de gravité de ces derniers, susceptibles d’être qualifiés ni de persécutions ni d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 12 Rapport d’audition, p. 7.
13 Trib. adm., 17 novembre 2004, n° 18360a du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en réformation, n° 31 et les autres références y citées.
16décembre 2015, de sorte que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé une protection internationale.
Dès lors, le volet du recours dirigé contre la décision du ministre portant refus d’accorder à la demanderesse une protection internationale est à déclarer comme étant manifestement infondé.
Il s’ensuit que la demanderesse est à débouter de sa demande de protection internationale.
3) Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant ordre de quitter le territoire Quant au recours contre la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire, il convient de relever qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre.
Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé et que partant c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale de Madame A et que, par conséquent, un retour dans son pays d’origine ne l’expose ni à des persécutions, ni à des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Il s’ensuit, à défaut d’un quelconque moyen formulé par la demanderesse à cet égard, que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.
Par ces motifs, le vice-président du tribunal administratif, siégeant en remplacement du président de la première chambre du tribunal, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 20 décembre 2023 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, sur celle portant refus d’une protection internationale et sur celle portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, déclare le recours en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;
déboute la demanderesse de sa demande de protection internationale ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens.
17 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 9 février 2024 par la soussignée, Michèle Stoffel, vice-président, en présence du greffier Luana Poiani.
s. Luana Poiani s. Michèle Stoffel Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 février 2024 Le greffier du tribunal administratif 18