Tribunal administratif N° 50069 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50069 2e chambre Inscrit le 21 février 2024 Audience publique du 18 mars 2024 Recours formé par Monsieur …, alias …, contre des décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50069 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 février 2024 par Maître Katia Aïdara, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Corée du Nord) et de nationalité sud-coréenne, alias …, né le … à …, de nationalité nord-
coréenne, élisant domicile en l’étude de son litismandataire, préqualifiée, sise à L-1463 Luxembourg, 31, rue du Fort Elisabeth, tendant à la réformation de la décision du ministre des Affaires intérieures du 2 février 2024 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à la demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 1er mars 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le premier juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la deuxième chambre du tribunal administratif, entendu en son rapport, ainsi que Maître Katia Aïdara et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 mars 2024.
Le 8 novembre 2023, Monsieur …, alias …, ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée -
police des étrangers, dans un rapport du même jour.
Le 15 janvier 2024, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 2 février 2024, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le 15 février 2024, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », refusa de faire droit à la demande de protection internationale de Monsieur … pour les motifs suivants :
« […] En mains le rapport du Service Police judiciaire du 9 novembre 2023, ainsi que le rapport d’entretien du 15 janvier 2024 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.
Il ressort du rapport du Service de Police judiciaire précité que vous vous êtes présenté à la Direction générale de l’immigration le 9 novembre 2023 avec votre prétendue épouse Madame A et sa fille B (R-23131).
Interrogé individuellement par un agent du Service de Police judiciaire, vous avez initialement déclaré vous appelez …, être né le … et de nationalité nord-coréenne. Vous avez expliqué que vous auriez fui la Corée du Nord en 2014 en raison du manque de libertés et du non-respect des droits de l’Homme. Vous vous seriez rendu en Chine où vous auriez vécu pendant neuf années chez un pasteur qui vous aurait caché et soutenu financièrement alors que votre situation n’aurait pas été régularisée. En 2023, ce même pasteur vous aurait aidé à financer votre voyage, ainsi que celui de votre épouse et sa fille, vers le Luxembourg car le gouvernement chinois ne tolérerait pas la présence de ressortissant nord-coréens sur son territoire, et vous auriez bénéficié des services d’un passeur.
Alors que vos déclarations ne concordaient aucunement avec celles de votre épouse (R-
23132), un agent du Service de Police judiciaire a procédé à la fouille de votre téléphone portable. Celle-ci a permis d’établir que vos déclarations étaient fallacieuses et que vous avez intentionnellement menti sur vos identités respectives puisque « les intéressés n’ont jamais vécu en Chine mais ils résidaient ensemble depuis au moins 2015 en Corée du Sud » (Rapport du Service de Police judiciaire). Confronté à l’irréfutable, vous vous êtes énervé, montré très peu coopératif et vous vous êtes montré agressif envers l’interprète ainsi que l’agent du Service de Police judiciaire. Vous avez ensuite tenté de vous dédouaner de vos déclarations mensongères en expliquant que vous auriez été « en état de choc » et que vous ne « [pouviez] pas me souvenir » (Rapport du Service de Police judiciaire) avant d’admettre, après plusieurs heures d’audition, que vous avez vécu depuis plusieurs années en Corée du Sud, que vous avez obtenu la nationalité sud-coréenne en 2014 et que vous avez laissé votre passeport au foyer.
Lors de votre entretien ministériel du 15 janvier 2024, et en connaissance de cause, vous avez admis vous nommez …, être né le … à … en Corée du Nord et avoir la nationalité sud-
coréenne depuis le 8 novembre 2014. Vous seriez le père de trois garçons mineurs qui résideraient avec leur mère, la dénommée …, à … en Corée du Sud.
À l’appui de votre demande de protection internationale, vous avancez avoir quitté la Corée du Sud car « je ne pouvais plus m’en sortir financièrement, pour ma famille et pour élever l’enfant » (p.6/9 du rapport d’entretien), en l’occurrence B, et parce que vous souhaiteriez que cette dernière accède à des soins de santé pour soigner sa maladie.
Dans ce contexte, vous indiquez que vous vous seriez installé en Corée du Sud en 2014 et que vous y auriez débuté un commerce de transport routier. Néanmoins, parmi les cinq camions que vous auriez possédés, trois d’entre eux auraient été endommagés sévèrement par leur chauffeur à la suite d’accidents. Partant, vous auriez été contraint de vous en débarrasser car ils n’auraient plus été utilisables et vous auriez remis les deux restants à votre ancienne épouse et vos trois enfants.
2Vous auriez ensuite travaillé pour la société de transport « … » et votre rémunération vous aurait principalement servi à « rembourser les dettes par rapport aux trois camions endommagés » (p.5/9 du rapport d’entretien). En dépit d’avoir réussi à tout rembourser, vous rapportez que vous auriez perdu la confiance des gens puisqu’ils « pensaient que je n’avais pas remboursé mes dettes » (p.7). Par conséquent, vous n’auriez plus été en mesure de faire des emprunts auprès de la banque pour réaliser des projets commerciaux. Vous auriez donc été contraint d’abandonner vos ambitions et vous auriez poursuivi votre activité en tant qu’employé au sein de la société « … ».
Après avoir rencontré votre épouse actuelle, une de ses amies vous aurait proposé d’ouvrir un magasin de smartphone. Vous auriez fait une formation en juin 2023 auprès d’une chaîne s’appelant « … » qui vous aurait ensuite remis un magasin franchisé. Vous auriez supposément dû récolter la totalité des profits de vente mais le représentant de la marque ne vous aurait octroyé que la moitié.
Disposant de revenus insuffisants, vous déplorez le fait que vous n’auriez pas été en mesure de subvenir aux besoins familiaux et de payer vos taxes. Par conséquent, en raison de vos divers problèmes financiers, vous auriez évoqué en automne à votre épouse, votre volonté de vous exiler dans un pays étranger, en l’occurrence le Luxembourg. Votre épouse aurait accepté votre proposition et aurait directement contacté sa sœur pour obtenir des informations alors qu’elle aurait demandé une protection internationale en Irlande.
Vous ajoutez finalement que l’enfant de votre épouse, fille B, serait atteinte du lupus, une maladie chronique auto-immune nommé lupus qui nécessite un suivi médical « très cher » (p.6/9 du rapport d’entretien) Alors qu’une seule personne serait spécialisée dans ce domaine à Séoul, vous avez eu l’espoir en venant au Luxembourg « de la guérir ici (…) le niveau du système médical et le paiement des frais médicaux est bon et on peut la guérir » (p.6/9 du rapport d’entretien).
Ainsi, le 23 octobre 2023, vous vous seriez rendu avec votre épouse et sa fille à l’aéroport international d’Incheon et vous auriez pris un vol vers Frankfurt en Allemagne. Vous y seriez restés quelques jours avant de poursuivre votre trajet vers le Luxembourg, votre destination de préméditation.
Interrogé par l’agent ministériel sur une éventuelle thématique qui aurait été omise de mentionner, vous prenez le soin d’indiquer, parce que « ça pourrait être utile pour l’Otan ou le gouvernement luxembourgeois » (p.6/9 du rapport d’entretien) que vous disposeriez d’informations confidentielles concernant l’armement nord-coréen, informations que vous auriez déja relayées à des « agents secrets de Corée du Sud et aux Etats-Unis » (p. 6/9 du rapport d’entretien). Autrement, vous indiquez qu’en Corée du Sud, vous auriez également été interviewé par des journalistes sur les droits humains en Corée du Nord en 2020 ou 2021.
À l’appui de votre demande de protection internationale, vous versez votre passeport sud-
coréen délivré le 18 octobre 2023 et valide jusqu’au 18 octobre 2033, une photocopie de votre carte d’identité sud-coréenne et de votre certificat de mariage. […] ».
Le ministre informa ensuite Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27 (1) a) et c) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours.
3Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 février 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 2 février 2024 d’opter pour la procédure accélérée, de celle ayant refusé de faire droit à la demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire.
Etant donné que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 2 février 2024, telles que déférées, recours qui est encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base des décisions déférées, tout en rappelant qu’il aurait acquis la nationalité sud-coréenne en date du 8 novembre 2014. Il expose ensuite qu’il aurait rencontré des problèmes financiers en Corée du Sud. Il avance encore que son épouse, avec laquelle il se serait enfui, aurait fait l’objet de menaces pour s’être exposée dans les médias où elle aurait dénoncé la situation en Corée du Nord. Suite aux révélations de son épouse auprès des autorités sud-coréennes, le frère et la mère de cette dernière auraient été exécutés en Corée du Nord. Les menaces émises à l’égard de son épouse seraient de plus en plus récurrentes, de sorte qu’il craindrait qu’elle fasse l’objet de représailles.
En sus, la fille de son épouse serait atteinte de lupus.
En droit, le demandeur « se rapporte à prudence du tribunal » quant au bien-fondé du traitement de sa demande de protection internationale en procédure accélérée telle que prévue à l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015.
En ce qui concerne, ensuite, la décision de refus du ministre de lui octroyer la protection internationale, Monsieur … reproche à ce dernier de ne pas avoir correctement évalué sa situation et de s’être limité à faire état de problèmes d’ordre privé ne justifiant pas une telle protection. Il fait valoir, à ce propos, que le « statut de protection internationale » serait ouvert aux personnes ayant fui leur pays du fait de persécutions physiques ou morales, ou encore du fait de traitements inhumains ou dégradants infligés par une entité étatique ou une entité pouvant s’y apparenter.
Les personnes bénéficiant d’une protection internationale auraient en commun le fait de ne plus avoir de perspective dans leur pays d’origine. Il fait valoir, dans ce contexte, qu’en étant « nord-
coréen », il ferait l’objet de stigmatisations dans la société sud-coréenne. En effet, de nombreux transfuges relateraient être victimes de discrimination en République de Corée, et ce principalement en raison de leur origine, de leur « statut d’emploi non régulier » et de leur situation économique.
Le demandeur se prévaut encore d’une interprétation erronée des faits par le ministre, qui, en estimant que ses motifs seraient d’ordre économique, sinon « de pure convenance personnelle d’ordre médicale », aurait conclu à une absence de risque de persécutions pour un des motifs tirés de l’article 1er A (2) de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ». A cette fin, il se serait basé sur un examen superficiel et insuffisant des faits, alors qu’en réalité, ses problèmes proviendraient du fait que son épouse serait « nord-coréenne » et aurait révélé des secrets « du système du camp d’entraînement militaire de la Corée du Nord ». La coopération de son épouse avec les autorités 4sud-coréennes, respectivement le service national de renseignement ainsi que ses apparitions dans la presse seraient à l’origine des mesures de représailles dont elle serait victime.
A titre subsidiaire, le demandeur estime que sa demande en obtention d’une protection subsidiaire serait fondée. Il évoque, à ce sujet, les articles 2 (e), « 37 » et 39 (1) et (2) de la loi du 18 décembre 2015, pour en conclure qu’au vu des faits qu’il viendrait d’exposer, il existerait, de manière incontestable, des motifs avérés et sérieux de croire que, s’il était renvoyé dans son pays d’origine, il courrait un risque réel de subir les atteintes graves, telles que définies à l’article « 37 » de la loi du 18 décembre 2015.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, pris en son triple volet.
Aux termes de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification. Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.
Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale. Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».
Il en résulte qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé et, dans la négative de renvoyer le recours devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
Il convient de prime abord de relever que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.
Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, force est encore de relever que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit 5nécessairement fondé, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a) et c) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, qui dispose que « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; […] c) si le demandeur a induit en erreur les autorités en ce qui concerne son identité ou sa nationalité, en présentant de fausses indications ou de faux documents ou en dissimulant des informations ou des documents pertinents qui auraient pu influencer la décision dans un sens défavorable […] ».
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
La soussignée est dès lors amenée à analyser si les moyens avancés par le demandeur à l’encontre de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sont manifestement dénués de tout fondement, de sorte que leur rejet s’impose de manière évidente ou si les critiques avancées par ce dernier ne permettent pas d’affirmer en l’absence de tout doute que le ministre a valablement pu se baser sur l’article 27 (1) a) et c) de la loi du 18 décembre 2015 pour analyser la demande de protection internationale lui soumise dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours devra être renvoyé devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
S’agissant plus particulièrement du point a) de l’article 27 de la loi du 18 décembre 2015 et afin d’analyser si le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il échet de relever qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
6 L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.
Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.
La soussignée constate tout d’abord que les raisons figurant sur sa fiche de motifs remplie en date du 8 novembre 2023 et celles qu’il a émises lors de son audition par des agents de la police grand-ducale ne sont pas à prendre en considération, alors que le demandeur avoue tant devant les policiers que devant l’agent ministériel qu’il avait précédemment menti sur son histoire. Si, dans le cadre de son recours, le demandeur fonde, entre autres, les motifs à la base de sa demande de protection internationale sur des stigmatisations dont il serait victime dans la société sud-coréenne en tant que nord-coréen et sur des menaces dont son épouse, qui serait également nord-coréenne, serait victime en raison de sa coopération avec les autorités sud-
coréennes, respectivement le service national de renseignement, et de ses apparitions dans la presse, il n’a toutefois ni lors de l’introduction de sa demande de protection internationale ni lors de son audition auprès de la police grand-ducale ni encore lors de son entretien avec l’agent ministériel fait état de quelconques stigmatisations ou de menaces dont lui, respectivement son épouse seraient victimes. Il ressort, en effet, uniquement de son récit, tel que présenté à l’agent ministériel, qu’il aurait quitté son pays d’origine à cause de ses problèmes financiers et pour 7obtenir de l’aide pour la fille de son épouse, atteinte de lupus. La soussignée constate encore qu’à la fin de l’entretien et sur question afférente de l’agent ministériel, le demandeur s’est limité à ajouter que lorsqu’il se serait trouvé en Corée du Sud, il aurait été interviewé par des journalistes sur les droits humains en Corée du Nord, qu’il aurait « communiqu[é] des informations sur la guerre entre l’Ukraine et la Russie aux agents américains sur les armements nord-coréens », qu’il aurait fourni des informations « aux agents secrets » de la Corée du Sud et aux Etats Unis, et qu’il disposerait d’informations secrètes qu’il aurait « envoyées à l’agence militaire »1, tout en précisant ensuite que ces informations n’auraient aucun lien avec sa demande de protection internationale2, et en ne faisant aucunement mention d’une quelconque stigmatisation en Corée du Sud.
C’est dès lors à tort que le litismandataire du demandeur fait valoir que le ministre aurait fait une interprétation erronée des faits et un examen superficiel et insuffisant de ceux-ci, en ce qu’il n’aurait pas pris en compte les stigmatisations dont il serait victime dans la société sud-
coréenne en tant que nord-coréen et les menaces émises à l’encontre de son épouse.
Il s’ensuit que tant les prétendues stigmatisations par la société sud-coréenne que les prétendues menaces émises à l’encontre de son épouse ne sont pas à prendre en considération, de sorte que l’ensemble des développements à cet sujet dans le recours sont à rejeter pour être manifestement infondés, étant, à cet égard, rappelé que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.
La soussignée constate ensuite, à l’instar du ministre, que la demande de protection internationale de Monsieur … est surtout basée sur des motifs d’ordre économique, médical et de convenance personnelle. Il ressort, en effet, des déclarations du demandeur, telles qu’actées dans la retranscription de son entretien du 15 janvier 2024, que sa demande en obtention d’une protection internationale est essentiellement basée sur (i) des raisons financières, le demandeur expliquant que « […] Je suis parti parce que je ne pouvais plus m’en sortir financièrement, pour ma famille et pour élever l’enfant. »3, (ii) la maladie de la belle-fille, alors qu’il précise que « Si j’étais célibataire, je resterais en Corée pour essayer encore de remonter financièrement. Mais il y a aussi une autre raison c’est que l’enfant de ma femme est malade et on payait énormément.
Elle a un lupus et ça coûte très cher pour payer. » et « […] J’avais l’espoir de la guérir ici au Luxembourg. […] »4, et (iii) de convenance personnelle, le demandeur affirmant qu’il a introduit sa demande de protection internationale « […] pour vivre au Luxembourg. »5.
Or, force est de constater que de tels motifs d’ordre médical, économique ou de convenance personnelle ne sauraient manifestement justifier l’octroi ni du statut de réfugié ni de celui conféré par la protection subsidiaire pour ne pas être fondés sur un des critères visés par la Convention de Genève, respectivement par la loi du 18 décembre 2015 et pour ne pas entrer dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015.
1 Page 6 du rapport d’audition.
2 Idem : « Ces informations dont vous parlez ont-elles un lien quelconque avec votre demande de protection internationale ? Non, mais je veux vivre ici. J’ai dit cela parce que vous m’avez demandé si je voulais ajouter quelque chose je me suis dis que ça pourrait être utile pour l’Otan ou le gouvernement luxembourgeois. ».
3 Page 6 du rapport d’audition.
4 Idem.
5 Page 5 du rapport d’audition.
8Il suit des considérations qui précèdent que l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale amène la soussignée à conclure que les éléments soumis ne sont manifestement pas pertinents au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire et que le recours tendant à la réformation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement non fondé, sans qu’il ne soit nécessaire de procéder à l’analyse du point c) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, cet examen devenant surabondant.
Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre portant refus d’accorder une protection internationale Force est de rappeler que la soussignée vient ci-avant de retenir, dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, que le demandeur est resté en défaut de présenter des faits suffisamment pertinents pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, que ce soit au statut de réfugié ou à celui conféré par la protection subsidiaire.
Or, la soussignée, au niveau de la décision au fond du ministre de refuser la protection internationale, ne saurait que réitérer son analyse précédente en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure, au vu des faits et moyens invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale, dans le cadre de son audition respective, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, que le demandeur ne remplit manifestement pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.
Au vu des considérations qui précèdent, le recours contre la décision de refus d’un statut de protection internationale est également à déclarer comme manifestement infondé et le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.
Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé, le ministre a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.
9Par ces motifs, le premier juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la deuxième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 2 février 2024 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;
au fond, déclare le recours en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;
déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 mars 2024, par la soussignée, Annemarie Theis, premier juge au tribunal administratif, en présence du greffier Luana Poiani.
s. Luana Poiani s. Annemarie Theis Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 mars 2024 Le greffier du tribunal administratif 10