Tribunal administratif Numéro 46761du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:46761 4e chambre Inscrit le 7 décembre 2021 Audience publique du 22 mars 2024 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de la Fonction publique, en matière d’employé de l’Etat
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 46761 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 décembre 2021 par Maître Jean-Marie Bauler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative du 27 septembre 2021 portant refus de la demande de conversion de poste de Madame … à la carrière C et de paiement rétroactif du salaire correspondant depuis le 15 mars 2004, sinon depuis le 12 décembre 2007, sinon à partir de l’entrée en vigueur de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l’Etat et se déclarant incompétent pour rapporter la « décision » de réaffectation de l'Institut … ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 1er mars 2022 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 1er avril 2022 par Maître Jean-Marie Bauler pour compte de Madame …, préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 26 avril 2022 ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Caroline Arendt, en remplacement de Maître Jean-Marie Bauler, et Monsieur le délégué du gouvernement Marc Lemal en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 novembre 2023.
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Par contrat d’engagement à durée déterminée signé le 15 mars 2004, Madame … fut engagée en tant qu’employée temporaire auprès du …, du 15 mars 2004 au 30 septembre 2005 et ce, à raison de 20 heures par semaine, tâche pour laquelle, par arrêté du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative du 20 avril 2004, le niveau de carrière B1, nouvellement D1, et le grade 3 furent retenus.
Par contrat de travail à durée déterminée du 19 septembre 2006, Madame … fut engagée en tant qu’employée de bureau auprès du ministère de la Culture, de l’Enseignement 1supérieur et de la Recherche du 19 septembre 2006 au 6 février 2007, à raison de 30 heures par semaine, tâche ayant également été classée au niveau de carrière B1, nouvellement D1, et au grade 3 par arrêté ministériel du 30 septembre 2006. Ledit engagement fut prorogé jusqu’au 5 août 2007 suivant un avenant signé le 11 janvier 2007.
En date du 12 décembre 2007, Madame … fut engagée en qualité d'employée de bureau de la carrière C au Lycée … pour une durée indéterminée à raison d’une tâche partielle de 35 heures par semaine, tâche ayant néanmoins également été classée au niveau de carrière B1, nouvellement D1, et au grade 3 par arrêté ministériel du 20 février 2008.
Suivant deux avenants des 17 décembre 2014 et 23 septembre 2015 au contrat de travail du 12 décembre 2007, Madame … fut affectée, avec effet au 1er décembre 2014, aux Maisons d’Enfants de l’Etat et sa tâche de travail fut réduite à 20 heures par semaine.
En date du 25 janvier 2021, Madame … fut réaffectée au service administratif du Département Prévention en raison de la réorganisation du service administratif de l'Institut …, ci-après désigné par l’« … ».
En date du 18 août 2021, Madame …, par le biais d’un courrier de son litismandataire, sollicita du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative (i) la conversion de son poste à la carrière C, ainsi que (ii) le paiement rétroactif du salaire qu'elle aurait dû toucher depuis le 15 mars 2004, sinon depuis le 12 décembre 2007, sinon à partir de l'entrée en vigueur de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l’Etat, ci-après désignée par « la loi du 25 mars 2015 », (iii) tout en exigeant que la décision de réaffectation de l’… du 25 janvier 2021 soit rapportée.
Par décision du 27 septembre 2021, le ministre de la Fonction publique, ci-après désigné par « le ministre », tout en se déclarant incompétent pour rapporter la décision de réaffectation de l’…, refusa de faire droit à la demande de Madame … quant à la conversion de son poste à la carrière C, ainsi que concernant le paiement rétroactif des salaires y relatifs sur base des motifs et considérations suivants :
« (…) J'ai l'honneur d'accuser bonne réception de votre courrier émargé.
Vous y demandez pour votre cliente « la conversion de poste à la carrière C, au paiement rétroactif du salaire qu'elle aurait dû toucher depuis le 15 mars 2004, sinon depuis le 12 décembre 2007, sinon à partir de l'entrée en vigueur de la loi de 2015 et de revenir sur la décision de l’… datant du 25 janvier 2021 ».
Après analyse du dossier, je ne saurais réserver de suite favorable à vos revendications. Les raisons en sont les suivantes :
1) Jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 17 mars 2016, ayant notamment modifié la loi du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l'Etat, votre cliente ne remplissait pas les conditions d'études nécessaires pour accéder au groupe d'indemnité C1.
Ainsi, jusqu'en mars 2016, l'article 46, paragraphe 2, alinéa 1er de la loi précitée du 25 mars 2015 disposait que « Pour être classé à un emploi de l'un des sous-groupes visés 2sous les points a), b) et c) du paragraphe 1er, l'employé doit soit avoir accompli avec succès, dans l'enseignement public luxembourgeois, cinq années d'études à plein temps dans l'enseignement secondaire ou dans l'enseignement secondaire technique, soit être détenteur d'un diplôme d'aptitude professionnelle, soit présenter un certificat sanctionnant des études reconnues équivalentes correspondant à la formation exigée pour la vacance de poste sollicitée ».
Votre cliente dispose d'une formation dans le domaine paramédical alors que les postes qu'elle occupait étaient tous des postes administratifs.
Votre cliente est actuellement affectée à un poste budgétaire du groupe de traitement D1 (cf. avenant du 17 décembre 2014).
Depuis mars 2016, la formation de votre cliente serait effectivement suffisante pour accéder à un poste du groupe d'indemnité C1.
Or, ce seul constat ne fait pas naître dans son chef un droit de pouvoir exiger une conversion de son poste au groupe d'indemnité C1.
2) En ce qui concerne la décision de réaffectation prise par la directrice de l'Institut …, je voudrais vous informer que cette décision ne relève pas de mon domaine de compétence. Comme vous avez transmis votre courrier également à cette dernière, il n'est plus besoin que je le lui transmette en application, de la procédure administrative non contentieuse. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 décembre 2021, Madame … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 27 septembre 2021.
Aux termes de l’article 10 de la loi du 25 mars 2015, « Les contestations résultant du contrat d’emploi, de la rémunération et des sanctions et mesures disciplinaires sont de la compétence du tribunal administratif, statuant comme juge du fond. (…) », de sorte que le tribunal administratif est compétent pour statuer comme juge du fond pour connaître des contestations résultant du contrat d’emploi des employés de l’Etat, parmi lesquelles sont comprises celles relatives au classement de carrière, ainsi qu’au paiement rétroactif d’un complément de rémunération au cas où l’agent en question obtiendrait un reclassement de carrière. Il en va de même en ce qui concerne a priori les décisions d’affectation.
Le tribunal est dès lors compétent pour statuer sur le recours principal en réformation.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de Madame … en ce qui concerne le volet de la décision ministérielle litigieuse du 27 septembre 2021 refusant la conversion à la carrière C1, ainsi que le paiement rétroactif des salaires y correspondants.
La partie étatique argumente, dans ce cadre, que Madame …, à travers ses contrats de travail à durée déterminée des 15 mars 2004 et 19 septembre 2006, aurait toujours été classée dans la carrière B1, nouvellement D1, et que la référence, dans son contrat de travail du 12 3septembre 2007, à la carrière C n’aurait constituée qu’une erreur, dans la mesure où, d’une part, Madame … n’aurait pas rempli les conditions légales pour pouvoir bénéficier d’un tel classement, et, d’autre part, elle aurait été, à travers la décision ministérielle du 20 février 2008, classée dans la carrière B1, nouvellement D1, carrière dans laquelle elle aurait continué à évoluer depuis avec le salaire y correspondant, sans jamais, pendant quatorze ans émettre des contestations à cet égard.
Selon le délégué du gouvernement, Madame …, de par son inaction pendant quatorze ans, aurait renoncé à attaquer la décision de son classement dans la carrière B1, nouvellement D1, de sorte à devoir être considérée comme y ayant acquiescé. Ainsi, elle ne pourrait actuellement plus justifier d’un intérêt à agir.
Le délégué du gouvernement en conclut que le recours de Madame …, en ce qui concerne le refus de conversion de son poste à la carrière C et le refus de lui payer rétroactivement le salaire y correspondant, devrait être déclaré irrecevable.
Madame …, dans son recours, conclut à l’existence, dans son chef, d’un intérêt à agir à l’encontre de la décision ministérielle du 27 septembre 2021, laquelle lui causerait torts et griefs en refusant de convertir son poste à la carrière C et en lui refusant le paiement rétroactif du salaire correspondant, de sorte qu’elle pourrait retirer de la réformation de ladite décision une satisfaction certaine et personnelle.
Dans son mémoire en réplique, Madame … conclut encore au rejet du moyen d’irrecevabilité soulevée par la partie étatique en relevant que son intérêt à agir serait actuel, alors qu’elle souhaiterait, à l’heure actuelle, obtenir la conversion de son poste à la carrière C1, ainsi que le paiement rétroactif du salaire y correspondant.
Elle insiste encore sur la circonstance qu’elle aurait, par ses écrits, ses actes et ses attitudes démontré sa volonté de contester la régularité de l’acte administratif, tout en relevant que les renonciations ne se présumeraient pas. Afin de prouver ses contestations, elle invoque un courrier électronique adressé au Centre de gestion du personnel et de l’organisation de l’Etat du 14 janvier 2019, un échange de courriers électroniques avec le syndicat de la Confédération générale de la Fonction publique des 11 janvier, 13 et 16 mai 2019, ainsi que des courriers électroniques avec, d’une part, le ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative des 21 mars, 24 mars et 12 avril 2016, et, d’autre part, l’administration du Personnel de l’Etat des 26 mars et 9 avril 2015.
Il y a, tout d’abord, lieu de rappeler qu’en matière de recours en réformation dirigé contre un acte administratif, le demandeur doit justifier d’un intérêt personnel et direct à obtenir la réformation de l’acte qu’il attaque. L’intérêt à agir est l’utilité que présente, pour le demandeur, la solution du litige qu’il demande au juge d’adopter1, étant souligné que l’intérêt à agir n’est pas à confondre avec le fond du droit en ce qu’il se mesure non au bien-fondé des moyens invoqués à l’appui d’une prétention, mais à la satisfaction que la prétention est censée procurer à une partie, à supposer que les moyens invoqués soient justifiés2.
1 Voir Encyclopédie Dalloz, Contentieux administratif, V° Recours pour excès de pouvoir (Conditions de recevabilité), n° 247.
2 Trib. adm. prés., 27 septembre 2002, n° 15373, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 3 et les autres références y citées.
4Il convient, tout d’abord, de relever qu’en tant que destinataire direct de la décision de refus du ministre du 27 septembre 2021, Madame … fait valoir un lien personnel avec l’acte litigieux, de même qu’une lésion individuelle par le fait dudit acte, dans la mesure où le ministre lui a refusé la conversion de sa carrière, ainsi que le paiement rétroactif du salaire y correspondant.
Il s’ensuit que le moyen d’irrecevabilité tiré d’un défaut d’intérêt à agir dans le chef de Madame …, tel que soulevé par la partie étatique, est à rejeter pour ne pas être fondé.
Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argumentation du délégué du gouvernement quant à un prétendu acquiescement de la part de Madame … à la décision litigieuse du 20 février 2008.
A ce sujet, il y a, tout d’abord, lieu de relever que si l’existence de la notion d’acquiescement, issue de la procédure civile, en procédure administrative ne peut pas être exclue, sa définition reste peu circoncise. Or, quant aux modalités de l’acquiescement en procédure administrative, il y a lieu de constater que, tout comme en matière de procédure civile, il « ne se présume pas, mais peut se déduire de comportements qui expriment sans équivoque la volonté de ne pas contester la régularité d’un acte administratif ».3 En effet, « l’essentiel est de savoir si le requérant a par ses écrits, ses actes, ses attitudes renoncé à attaquer la décision administrative ».4 Or, le tribunal doit constater que l’argumentation de la partie étatique relative à l’existence d’un acquiescement dans le chef de Madame … quant au classement de carrière, ainsi que concernant le quantum du salaire lui redû, vise exclusivement le comportement de cette dernière suite à la conclusion de son contrat de travail du 12 décembre 2007 pour un poste relevant de la carrière C, ainsi que suite à l’arrêté ministériel du 20 février 2008 retenant le classement de Madame … dans la carrière B1, nouvellement D1, et au grade 3. Or, l’acte déféré au tribunal est la décision ministérielle du 27 septembre 2021 à l’égard duquel Madame …, d’une part, dispose, tel que retenu ci-avant, d’un intérêt à agir, et, d’autre part, n’a pas eu un comportement, suite à la prise de ladite décision, pouvant amener le tribunal à la conclusion qu’elle y aurait acquiescé, les démarches de Madame …, telles qu’elles ressortent du dossier administratif, se résumant à l’introduction du recours contentieux sous examen.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres moyens d’irrecevabilité soulevés par le délégué du gouvernement, qu’il y a lieu de retenir que le recours principal en réformation contre la décision ministérielle du 27 septembre 2021 est recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
A l’appui de son recours, la demanderesse, après avoir exposé les rétroactes tels que repris ci-avant, conclut, tout d’abord à la réformation de la décision déférée pour violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, dénommé ci-après « le règlement grand-
ducal du 8 juin 1979 », en ce que la décision déférée serait restée en défaut d’indiquer la motivation juridique à la base du refus de convertir sa carrière avant l’entrée en vigueur de la 3 Michel Leroy, Contentieux administratif, quatrième édition, Bruylant 2008, p.533.
4 Encyclopédie Dalloz, Contentieux administratif, V° Incidents de procédure, n°28.
5loi du 17 mars 2016 portant notamment modification de la loi du 25 mars 2015, ci-après désignée par « la loi du 17 mars 2016 ».
Elle relève, dans ce cadre, que la décision litigieuse se limiterait à retenir qu’elle ne remplirait pas les conditions d'études nécessaires pour accéder au groupe d'indemnité C1 avant cette date, alors même que, d’une part, le droit, tel qu'il aurait été en vigueur avant 2016 violerait l'article 10bis, paragraphe (1) de la Constitution, et, d’autre part, qu'elle aurait occupé, suivant son contrat de travail du 12 décembre 2007 un poste relevant de la carrière C, et qu’elle aurait rempli toutes les conditions légales, en ce qui concerne ses études, afin d’être classée dans ladite carrière dès 2004, sinon dès 2007.
Par ailleurs, la décision déférée du 27 septembre 2021 contiendrait un raisonnement contradictoire en retenant, d’un côté, qu’elle disposerait d’une formation suffisante afin d’obtenir un classement dans la carrière C, et, d’un autre côté, que cette circonstance ne ferait pas naître, dans son chef, un droit de pouvoir exiger une telle conversion de son poste. La demanderesse critique, dans ce contexte, la décision déférée pour ne pas préciser le raisonnement juridique à la base de cette contradiction de motifs.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse réitère son argumentation relative à la violation, par la décision déférée du 27 septembre 2021, de l’article 6 du règlement grand-
ducal du 8 juin 1979, tout en relevant que la partie étatique serait restée en défaut de prendre position par rapport à ses développements, tels que contenus dans sa demande du 18 août 2021, selon lesquels les dispositions légales pertinentes en vigueur avant 2016 auraient violé l’ancien article 10bis, paragraphe (1), actuellement l’article 15, paragraphe (1) de la Constitution. Madame … conteste finalement l’affirmation du délégué du gouvernement selon laquelle bien qu’elle disposerait des diplômes requis, elle ne pourrait pas obtenir la conversion de son poste à la carrière C1, alors que son poste actuel relèverait de la carrière D1.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen de la demanderesse basé sur une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 pour manquer de fondement.
En vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 « Toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux.
La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle :
- refuse de faire droit à la demande de l’intéressé ;
- révoque ou modifie une décision antérieure, sauf si elle intervient à la demande de l’intéressé et qu’elle y fait droit ;
- intervient sur recours gracieux, hiérarchique ou de tutelle ;
- intervient après procédure consultative, lorsqu’elle diffère de l’avis émis par l’organisme consultatif ou lorsqu’elle accorde une dérogation à une règle générale. (…) ».
6Si la décision déférée tombe certes dans le champ d’application de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 pour ne pas avoir fait droit à la demande de l’administré, il convient toutefois de rappeler que ladite disposition n’impose cependant pas une motivation exhaustive et précise, mais uniquement une motivation sommaire. De plus, il a été jugé qu’une insuffisance dans l’indication des motifs n’est pas de nature à aboutir à l’annulation de l’acte si la motivation sur laquelle repose l’acte est précisée au plus tard au cours de la procédure contentieuse pour permettre à l’administré d’y prendre position et à la juridiction administrative d’exercer son contrôle5.
En l’espèce, le tribunal constate que, dans la décision déférée, le ministre a indiqué tant les motifs en fait qu’en droit sur lesquels repose sa décision, en expliquant que celle-ci serait motivée par l’article 46, paragraphe (2), alinéa 1) de la loi du 25 mars 2015, lequel aurait exigé, avant sa modification par la loi du 17 mars 2016, la détention de diplômes correspondant à la formation exigée pour la vacance de poste en question, condition que Madame … n’aurait pas remplie, le ministre précisant encore que, suite à ladite modification légale, la demanderesse respecterait désormais les conditions légales de diplômes pour accéder à la carrière C1, mais n’occuperait qu’un poste relevant du groupe d’indemnité B1, nouvellement D1, de sorte à ne pas pouvoir exiger une conversion de carrière.
Par ailleurs, la motivation de la partie étatique a encore été précisée dans le cadre des mémoires en réponse et en duplique du délégué du gouvernement, étant encore rappelé, dans ce contexte, qu’il est de jurisprudence constante que l’administration peut utilement produire ou compléter les motifs postérieurement à la décision prise et même pour la première fois au cours de la phase contentieuse6.
Au vu de ces considérations, le tribunal est amené à retenir qu’il a été satisfait aux exigences de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, dans la mesure où l’autorité étatique a fourni tant les éléments factuels que juridiques à la base de la décision déférée, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet pour manquer de fondement.
Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argumentation de Madame … relative à une violation de l’ancien article 10bis de la Constitution, respectivement relative à l’existence d’une motivation ministérielle contradictoire, ladite argumentation ne visant pas un défaut d’indication de motifs, mais le bien-fondé de la motivation, de sorte à devoir faire l’objet d’une analyse ci-après dans le cadre du fond du litige.
La demanderesse conclut ensuite à la réformation de la décision déférée pour violation de l’article 3 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 lequel imposerait à l’autorité étatique de faire bénéficier l’administré de la règle la plus favorable, ce qui, en l’espèce, aurait consisté, pour le ministre, de convertir son poste au groupe d’indemnité C1, suite à l’entrée en vigueur de la loi du 25 mars 2015, ce que ce dernier n’aurait cependant pas fait.
De surcroît, la demanderesse aurait été confrontée à la décision litigieuse retenant qu’elle remplirait toutes les conditions nécessaires pour accéder à un poste du groupe d’indemnité C1, mais qu’elle n’aurait pas le droit d’exiger la conversion de son poste actuel audit groupe.
5 Trib. adm., 26 avril 2004, n° 17153 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 90 (1er volet) et les autres références y citées.
6 Cour adm., 20 décembre 2007, n° 22976C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 95 et les autres références y citées.
7Dans son mémoire en réplique, Madame … conteste encore l’argumentation de la partie étatique consistant à soutenir que la classification de son poste, relevant du groupe d'indemnité B1, demeurerait inchangée, nonobstant le fait que les conditions pour l'accès à un poste du groupe d'indemnité C1 auraient changé, tout en en tirant la conclusion qu’elle pourrait dorénavant postuler à un poste relevant dudit groupe d'indemnité, possibilité qui n’aurait pas existé avant 2016. Or, d’après la demanderesse, il aurait, au contraire, appartenu au ministre de l’informer, de sa propre initiative, sur base de l'article 3 du règlement grand-
ducal du 8 juin 1979, au plus tard au moment de l'entrée en vigueur de la loi du 25 mars 2015, qu’elle aurait le droit de changer vers un poste relevant du groupe d'indemnité C1 et de lui proposer des postes afférents.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen basé sur une violation de l’article 3 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 pour être dépourvu de fondement.
Aux termes de l’article 3 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 « Toute autorité administrative est tenue d´appliquer d´office le droit applicable à l´affaire dont elle est saisie ».
Ledit article prévoit en effet que l’administration doit écarter la base légale ou réglementaire invoquée par un administré et la remplacer par une autre base plus appropriée permettant d’arriver à un résultat identique ou similaire au bénéfice de l’administré. Le texte a donc consacré le principe général de collaboration de l’administration7.
Or, et s’il est vrai qu’il découle de ce principe de collaboration qui doit s’instituer entre l’administration et un administré au sujet d’une demande de celui-ci, que l’autorité publique, saisie d’une demande imprécise ou incomplète, ne saurait se prévaloir des défauts dont est affectée la demande pour garder le silence et se dispenser de répondre à la demande, mais doit activement inviter l’administré à préciser ou à compléter la demande en vue de lui permettre d’y statuer utilement8, il n’en reste pas moins qu’en l’espèce le ministre, d’une part, n’était pas confronté à une demande imprécise et incomplète, alors que Madame …, à travers le courrier de son litismandataire du 18 août 2021, avait clairement explicité les éléments factuels et juridiques à la base de sa demande de conversion de carrière et de paiement rétroactif des salaires correspondant à cette nouvelle carrière, tels que notamment son contrat de travail du 12 décembre 2007 faisant référence à un poste relevant de la carrière C1 et l’article 46, paragraphe (2) de la loi du 25 mars 2015, et, d’autre part, a pris position par rapport au droit applicable à ladite demande, de sorte que le moyen tiré d’une violation de l’article 3 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est à rejeter pour défaut de pertinence.
Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argumentation de la demanderesse selon laquelle le ministre aurait dû lui accorder une conversion de poste dès l’entrée en vigueur de la loi du 25 mars 2015, étant donné que l’article 3 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne véhicule aucune obligation dans le chef d’une autorité administrative d’agir d’office, en dehors de l’initiative de l’administré concerné, étant encore relevé, dans ce contexte, que la circonstance que le ministre aurait, le cas échéant, tiré la mauvaise conclusion à partir de la règle juridique effectivement applicable, a trait à la question du bien-
7 Fernand Schockweiler, La procédure administrative non contentieuse et le contrôle de l’administration en droit luxembourgeois, Le citoyen et l’administration. P. Bauler éditions, p.41 8 Trib. adm. 10 février 2016, n° 36150 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 19.
8fondé de ladite décision, partant à la légalité interne du refus déféré, et sera partant examiné dans le contexte de l’analyse au fond.
Dans un troisième temps, la demanderesse conclut à la réformation de la décision déférée pour violation de l’ancien article 10bis de la Constitution en donnant à considérer qu’elle aurait été affectée, conformément à son contrat de travail du 12 décembre 2007, à un poste relevant de la carrière C et qu’elle aurait disposé des diplômes nécessaires pour être classée dans ladite carrière, mais qu’elle aurait néanmoins été classée dans la carrière D1.
Elle précise, dans ce contexte, qu’avant « la réforme de 2015 », l’article 46, paragraphe (2) de la loi du 25 mars 2015 aurait exigé la détention d’un diplôme relevant de la spécialité « division administrative et commerciale » pour pouvoir accéder, en tant qu’employé de l’Etat, à la carrière C, exigence que la demanderesse considère comme une différence de traitement contraire à l’ancien article 10bis de la Constitution, alors que les employés détenteurs de diplômes équivalents seraient traités de manière moins favorable, tout en se trouvant dans une situation similaire, sinon comparable et sans que ladite différence ne procède de disparités objectives et ne soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but. Ce constat d’une inégalité de traitement aurait également été à l’origine de l’adoption de la loi du 25 mars 2015.
La demanderesse en conclut qu’au regard de son niveau de formation, elle aurait dû profiter dès 2004, sinon dès 2007, sinon au plus tard dès l’entrée en vigueur de la loi du 25 mars 2015, d’un reclassement dans la carrière C1.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse conteste l’argumentation du délégué du gouvernement selon laquelle elle n’aurait pas pu bénéficier d’un classement dans la carrière C1 au motif qu’elle n’aurait pas respecté, conjointement, les conditions de diplôme et celles de l’emploi, conformément à l’article 18 de la loi du 25 mars 2015, dans la mesure où elle n’aurait que disposé d'un certificat de capacité professionnelle paramédical et non pas d'un diplôme de l'enseignement secondaire technique - division de la formation administrative ou commerciale. Il s’agirait, selon la demanderesse, de cette différence de traitement qui serait inconstitutionnelle, alors que la preuve de l'obtention d'un diplôme de l'enseignement secondaire technique aurait dû être suffisante pour accéder à la carrière C, constat qui aurait amené le législateur à la révision de la loi du 25 mars 2015.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen tiré d’une violation de l’ancien article 10bis de la Constitution pour manquer de fondement.
Force est au tribunal de constater que la demanderesse invoque une violation de l’ancien article 10bis de la Constitution par les dispositions applicables antérieurement à l’entrée en vigueur de la modification de la loi du 25 mars 2015 en 2016, en ce que lesdites dispositions auraient traité de manière plus favorable les détenteurs de diplômes d’enseignement secondaire correspondant à la formation exigée pour la vacance de poste sollicitée par rapport aux détenteurs de diplômes d’un niveau équivalent, sans cependant préciser les dispositions en question, de sorte que le tribunal doit retenir que le moyen tiré d’une violation de l’article 10bis de la Constitution est à considérer comme étant simplement suggéré sans être effectivement soutenu, dans la mesure où il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence des parties et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions.
9Le tribunal doit, par ailleurs, relever que la demanderesse n’a formulé aucune question préjudicielle à soumettre à la Cour constitutionnelle en relation avec la violation alléguée de l’article 10bis de la Constitution.
Force est, dans ce contexte, de rappeler qu’en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, ci-après désignée par « la loi du 27 juillet 1997 », « Lorsqu’une partie soulève une question relative à la conformité d’une loi à la Constitution devant une juridiction de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif, celle-ci est tenue de saisir la Cour Constitutionnelle.
Une juridiction est dispensée de saisir la Cour Constitutionnelle lorsqu’elle estime que :
- une décision sur la question soulevée n’est pas nécessaire pour rendre son jugement ;
- la question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement ;
- la Cour Constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet. (…) ».
Il résulte de la disposition légale qui précède que la connaissance des questions de constitutionnalité des normes législatives, questions que les parties ont a priori à soumettre au tribunal saisi du litige en question, appartient exclusivement à la Cour Constitutionnelle, et qu’une juridiction n’est dispensée de saisir cette dernière que si une des exceptions prévues à l’article 6, alinéa 2, de la loi précitée, est donnée, ce qui est au vu des considérations qui précèdent, bien le cas en l’espèce.
Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal doit rejeter le moyen de la demanderesse tiré d’une violation de l’ancien article 10bis de la Constitution.
La demanderesse conclut encore à la réformation de la décision déférée pour violation de l’article 46, paragraphe (2) de la loi du 25 mars 2015, au motif qu’elle remplirait les conditions légales afin de pouvoir profiter d’une conversion de carrière, le ministre ayant expressément admis que sa formation serait suffisante pour accéder à un poste du groupe d’indemnité C1, mais aurait, à tort, fait valoir, sur base dudit constat, qu’aucun droit ne serait né, dans son chef, afin d’exiger une telle conversion.
Le délégué du gouvernement, dans son mémoire en réponse, sollicite le rejet du moyen de réformation fondé sur une violation de l’article 46, paragraphe (2) de la loi du 25 mars 2015 en insistant sur le fait qu’il faudrait distinguer entre le poste occupé par l'agent et le diplôme de ce dernier. Ainsi, bien que Madame … remplirait, depuis 2016, les conditions pour accéder à un poste du groupe d'indemnité C1, elle ne bénéficierait cependant que d'une décision de classement dans la carrière B1, nouvellement D1, de sorte que son poste actuel ne correspondrait qu’à ce dernier groupe d'indemnité. Par ailleurs, il n’existerait aucune base légale, suite à l’entrée en vigueur de la loi du 25 mars 2015, imposant à l’Etat le reclassement automatique des agents étatiques dans le groupe d'indemnité correspondant à leur diplôme, le seul moyen de pouvoir bénéficier du groupe d'indemnité Cl étant, selon le délégué du gouvernement, de postuler à un poste dudit groupe.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse réfute la position de la partie étatique selon laquelle elle ne pourrait pas bénéficier automatiquement d’une décision de conversion 10de son poste dans la carrière C1 à partir du moment où elle occuperait un poste relevant de la carrière B1, nouvellement D1, en soutenant qu’il aurait appartenu au ministre d’informer les agents concernés et de leur proposer de nouveaux postes conformes à la carrière dont ils rempliraient les conditions légales suite à l’entrée en vigueur de la loi du 25 mars 2015.
Le délégué du gouvernement, dans son mémoire en duplique, tout en insistant sur le caractère absurde de l’argumentation de la demanderesse selon laquelle tous les agents auraient dû bénéficier d’un reclassement automatique dès l’entrée en vigueur de la loi du 25 mars 2015, fait valoir que la décision de classement de Madame … aurait été prise en 2008, dans le respect des dispositions légales et réglementaires applicables à l’époque, de sorte qu’elle aurait été classée, à bon droit, dans la carrière B1, nouvellement D1, et que le moyen tiré d’une violation de l’article 46, paragraphe (2) de la loi du 25 mars 2015 devrait encourir le rejet pour manquer de fondement.
Force est, tout d’abord, au tribunal de rappeler que le recours en réformation, tel que celui dont il est saisi en l’espèce, est l'attribution légale au juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de l'administration, sur tous les aspects d'une décision administrative querellée. Le jugement se substitue à la décision litigieuse en ce qu'il la confirme ou qu'il la réforme. Cette attribution formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement contrôler la légalité de la décision que l'administration a prise sur base d'une situation de droit et de fait telle qu'elle s'est présentée à elle au moment où elle a été appelée à statuer, voire à refaire – indépendamment de la légalité – l'appréciation de l'administration, mais elle l'appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, à apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l'administration et des administrés concernés9.
Aux termes de l’article 46 de la loi du 25 mars 2015, dans sa version telle qu’elle résulte de la modification opérée à travers la loi du 17 mars 2016, « (1) La catégorie d’indemnité C, groupe d’indemnité C1, comprend les cinq sous-groupes suivants :
a) un sous-groupe administratif ;
b) un sous-groupe technique ;
c) un sous-groupe éducatif et psycho-social ;
d) un sous-groupe de l’enseignement ;
e) un sous-groupe à attributions particulières.
(2)Pour être classé à un emploi de l’un des sous-groupes visés sous les points a), b) et c) du paragraphe 1er, l’employé doit avoir suivi avec succès l’enseignement des cinq premières années d’études dans un établissement d’enseignement secondaire ou avoir réussi le cycle moyen de l’enseignement secondaire technique soit du régime technique, soit du régime de la formation du technicien ou avoir obtenu le diplôme d’aptitude professionnelle ou présenter une attestation portant sur des études reconnues équivalentes. (…) ».
9 Cour adm. 6 mai 2008, n° 23341C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation n° 12 et les autres références y citées.
11Par ailleurs, conformément à l’article 18 de la loi du 25 mars 2015 : « L’employé n’est admis à une catégorie, un groupe et un sous-groupe d’indemnité déterminés que si les conditions de diplôme et d’emploi sont remplies conjointement, sauf les exceptions prévues aux articles 43 à 49. » Il ressort des dispositions légales qui précèdent que le classement d’un employé dans le groupe d’indemnité C1 est subordonné aux conditions cumulatives (i) d’occuper un poste relevant de ladite catégorie et (ii) de disposer notamment des diplômes correspondant à la réussite des cinq premières années d’études de l’enseignement secondaire, sans que le diplôme en question ne doive plus correspondre à la formation exigée pour la vacance de poste sollicitée, ladite exigence ayant été supprimée par la loi du 17 mars 2016.
Il est constant en cause pour ressortir du contrat de travail de Madame … du 12 décembre 2007 qu’elle fut engagée pour un poste relevant de la carrière C au Lycée … pour une durée indéterminée à partir de ladite date, mais que faute de disposer d’un diplôme exigé par la réglementation applicable à l’époque, en l’occurrence le règlement modifié du 28 juillet 2000 fixant le régime des indemnités des employés occupés dans les administrations et services de l’Etat, elle a été classée, par décision ministérielle du 20 février 2008, dans la carrière B1, nouvellement D1.
Sur question expresse du tribunal à l’audience publique des plaidoiries, la partie étatique a confirmé, par courrier électronique du 22 novembre 2023, ne pas disposer d’informations supplémentaires sur le classement des différents postes occupés, par la suite, par la demanderesse, de sorte que le tribunal doit retenir que lesdits postes correspondent toujours à l’heure actuelle à des postes relevant de la catégorie C, étant encore précisé, d’une part, que les avenants signés par la demanderesse les 17 décembre 2014, portant sur un transfert de poste, et 23 septembre 2015, portant sur une réduction de la durée hebdomadaire de travail, ne fournissent aucune précision quant à la catégorie du poste en question, et, d’autre part, que le ministre, en relevant, dans la décision litigieuse, que la demanderesse « (…) est actuellement affectée à un poste budgétaire du groupe de traitement D1 (cf.
avenant du 17 décembre 2014 (…) », doit être considéré comme ayant commis une erreur d’appréciation des faits.
Le tribunal doit finalement constater que Madame …, du fait de disposer d’une formation dans le domaine paramédical, remplit, depuis le 22 mars 2016, date d’entrée en vigueur de la modification législative du 16 mars 2016, la condition relative à la détention de diplôme, pour pouvoir accéder à un poste relevant de la catégorie C, alors qu’il ressort de l’attestation du 21 juin 2004 du ministre de l’Education nationale, de la Formation professionnelle et des Sports que ladite formation est « (…) assimilable à la réussite de cinq années d’études postprimaires au niveau du régime technique de l’Enseignement secondaire technique (…) », condition dont le respect est, d’ailleurs, expressément admis par le ministre dans la décision litigieuse dans les termes suivants « (…) depuis mars 2016, la formation de votre cliente serait effectivement suffisante pour accéder à un poste du groupe d’indemnité C1 ».
Il y a partant lieu de retenir qu’à la date d’entrée en vigueur de la loi du 17 mars 2016, en l’occurrence le 22 mars 2016, la demanderesse remplissait conjointement tant les conditions de diplôme que d’emploi, conformément à l’article 18 de la loi du 25 mars 2015, tel que précité, afin d’être classée dans le groupe d’indemnité C1, de sorte que le moyen 12relatif à une violation de l’article 46, paragraphe (2) de la loi du 25 mars 2015 est à accueillir et que la décision ministérielle déférée du 27 septembre 2021 encourt la réformation en ce sens.
La demanderesse conclut finalement à la réformation de la décision ministérielle du 27 septembre 2021, en ce qui concerne le volet de ladite décision relative à son affectation au service administratif du département prévention à l’…, alors que le ministre, au lieu de retenir que ledit volet ne relèverait pas de son domaine de compétence, aurait dû transmettre la demande de réformation, sinon d’annulation de Madame … à l’autorité de tutelle de l’…, en l’occurrence le ministre de l’Eduction nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, dont la mission aurait été de veiller à ce que les décisions de l'institution lui subordonnée ne violeraient aucun droit et ne heurteraient pas l'intérêt général. Ainsi, le ministre aurait, en l’espèce, violé la loi, sinon commis un excès de pouvoir, respectivement, à titre subsidiaire, violé l’article 1er du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 du fait de ne pas avoir transmis le volet de la demande de Madame … concernant son affectation à l’… au ministre de tutelle de cette dernière.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse insiste sur son argumentation selon laquelle il aurait appartenu au ministre de transmettre sa demande à l’autorité de tutelle de l’…, de sorte qu’au regard du constat que cela n’aurait pas été fait, la décision déférée devrait encourir la réformation.
Force est, tout d’abord, de constater qu’à travers son courrier du 18 août 2021, la demanderesse a affirmé avoir été réaffectée contre sa volonté à l’… et que ladite réaffectation du 25 janvier 2021 aurait violé les articles 6 et 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 pour ne pas avoir indiqué de motifs légaux, tout en sollicitant du ministre de revenir sur ladite décision du 25 janvier 2021 et en précisant qu’une copie de son courrier du 18 août 2021 aurait également été envoyée au directeur de l’… pour son information.
Au-delà de la question de savoir si la décision de réaffectation litigieuse est une décision faisant grief, le courrier de la demanderesse du 18 août 2021, en ce qui concerne sa réaffectation du 25 janvier 2021 à l’…, doit s’analyser en un recours gracieux à l’encontre de la prédite décision, recours se définissant comme un recours non formellement défini par un texte, porté soit devant l’autorité même qui a pris la décision, soit devant l’autorité hiérarchiquement supérieure. En tant que tel, le recours gracieux n’est soumis à aucune condition de capacité ni d’intérêt et le requérant peut invoquer tous moyens de droit, de fait, d’équité ou d’opportunité, pour exercer le recours contre tout acte émanant d’une autorité publique, exception faite des actes juridictionnels.10 Dans la mesure où il ressort du courrier de la demanderesse du 18 août 2021 que celui-ci avait également été transmis à l’…, le ministre pouvait, à travers la décision déférée du 27 septembre 2021, retenir, d’une part, que ladite demande ne relevait pas de son domaine de compétence et, d’autre part, qu’il n’avait pas à la continuer à l’… qui en disposait déjà, en tant qu’autorité ayant pris la décision du 25 janvier 2021 et étant compétente pour éventuellement connaître du recours gracieux exercé à l’encontre de cette dernière.
10 Trib. adm., 15 décembre 2004, n° 17971 du role, conf par Cour adm., 9 juin 2005, n° 19200C du rôle, Pas adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 191 et les autres références y citées.
13Le tribunal doit encore relever que le volet du courrier de la demanderesse du 18 août 2021 relatif à sa réaffectation à l’… ne peut pas s’analyser en un recours hiérarchique, lequel présuppose l’existence d’un texte prévoyant un tel recours auprès d’une autorité ayant un pouvoir de tutelle ou de contrôle. Or, la demanderesse reste en défaut d’invoquer une quelconque disposition légale instaurant un tel recours dans son chef à pouvoir être exercé à l’encontre d’une décision de réaffectation.
Il suit des considérations qui précèdent que le moyen de la demanderesse basé sur une violation de la loi, sinon un excès de pouvoir dans le chef du ministre, voire une violation de l’article 1er du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est à rejeter pour manquer de fondement.
S’agissant encore de la demande en communication du dossier administratif, telle que formulée par la demanderesse au dispositif de son recours sur le fondement de l’article 8, paragraphe (5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le tribunal constate que la partie étatique a déposé, ensemble avec son mémoire en réponse, une farde de pièces correspondant a priori au dossier administratif. A défaut par la demanderesse de remettre en question le caractère complet du dossier mis à sa disposition à travers ledit mémoire en réponse, la demande en communication du dossier administratif est à rejeter comme étant sans objet.
Madame … n’ayant pas établi dans quelle mesure il serait inéquitable qu’elle supporte seul les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, elle est à débouter de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.500 euros.
Enfin, s’agissant de la demande de Madame … à voir ordonner l’effet suspensif du recours tel que prévu par l’article 35 de la loi du 21 juin 1999, en vertu duquel « Par dérogation à l’article 45, si l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif, le tribunal peut, dans un jugement tranchant le principal ou une partie du principal, ordonner l’effet suspensif du recours pendant le délai d’appel. […] », cette demande est également rejetée, alors que la demanderesse reste en défaut d’alléguer et a fortiori d’établir un quelconque préjudice qu’elle risquerait de subir du fait de l’exécution de la décision litigieuse.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation ;
au fond, le déclare partiellement justifié, partant, par réformation de la décision ministérielle déférée du 27 septembre 2021, dit que Madame … est à classer au groupe d’indemnité C1 à partir du 22 mars 2016 et renvoie le dossier au ministre de la Fonction publique en prosécution de cause afin de fixer la rémunération y correspondante revenant à Madame … ;
rejette le recours en réformation pour le surplus ;
14dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par Madame … ;
rejette la demande en communication du dossier administratif, telle que formulée par Madame … ;
rejette la demande de Madame … basée sur l’article 35 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 mars 2024 par :
Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 mars 2024 Le greffier du tribunal administratif 15