Tribunal administratif N° 50103R du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50103R Inscrit le 26 février 2024 Audience publique du 27 mars 2024 Requête en institution d’un sursis à exécution par la société A, …, par rapport à une procédure de passation d’un marché public initiée par le collège des bourgmestre et échevins de la commune de Schengen en matière de marchés publics
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 50103 du rôle et déposée le 26 février 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Lydie LORANG, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société A, établie et ayant son siège social à …, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le n°…, représentée par ses gérants actuellement en fonctions, tendant à voir ordonner le sursis à exécution d’une procédure de passation du marché public initiée par la commune de Schengen à travers un appel d’offres portant la référence « EUNEG-C 2302840 » du 1er février 2024 ayant pour objet la « mission d’architecture dans le cadre du complexe scolaire et sportif Campus Baggerweier à Remerschen, cette requête s’inscrivant dans le contexte d’une requête en réformation, sinon en annulation introduite le même jour, portant le numéro 50101, dirigée contre 1) une décision, ainsi qualifiée, du 20 juin 2023 indiquant l’intention de la commune de Schengen de résilier deux contrats conclus avec la partie requérante et 2) une décision datée du 24 novembre 2024 déclarant la résiliation de deux contrats conclus entre la commune de Schengen et la partie requérante ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Kelly FERREIRA SIMOES, en remplacement de l’huissier de justice Carlos CALVO, demeurant à Luxembourg, du 5 mars 2024, portant signification de la prédite requête en obtention d’une mesure provisoire à la commune de Schengen ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Steve HELMINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, pour la commune de Schengen, du 7 mars 2024 ;
Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause ;
Maître Elisabeth KOHLL, assistée de Maître Pauline SCHNEIDER, en remplacement de Maître Lydie LORANG, pour la partie requérante, ainsi que Maître Steve HELMINGER, pour la commune de Schengen, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 mars 2024.
1 En date du 7 mars 2022, la commune de Schengen annonça l’ouverture d’une procédure concurrentielle avec négociation conformément à l’article 67 de la loi modifiée du 8 avril 2018 sur les marchés publics, procédure ayant pour objet une « Mission de maîtrise d’œuvre intégrée, composée d’un architecte, d’un ingénieur génie civil, d’un ingénieur génie technique et d’un coordinateur-pilote dans le cadre du complexe scolaire et sportif Baggerweieren à Remerschen ».
Le 15 juin 2022, le collège échevinal de la commune de Schengen informa le groupement constitué par les bureaux B, C, D, E et A qu’il avait retenu la candidature de ce groupement, dont l’offre s’était classée en première position, en vue d’entamer les négociations.
Finalement, lesdites négociations aboutirent de telle sorte qu’un contrat d’architecte fut signé en date du 14 décembre 2022 entre le collège échevinal de la commune de Schengen et la société A, ledit contrat spécifiant qu’il s’agit d’un contrat de louage d’ouvrage ayant pour projet les « Conception et réalisation d’un hall sportif, d’une caserne CGDIS et d’aménagements extérieurs selon le schéma ci-joint (Annexe1) et réaménagement du Parking existant pour le campus scolaire Baggerweieren ».
Par courrier recommandé du 20 juin 2023, la commune de Schengen informa la société A de son intention de résilier notamment ledit contrat du 14 décembre 2022.
Par courrier de son mandataire du 5 juillet 2023, complété en date du 9 novembre 2023, la société A fit adresser ses observations à la commune de Schengen.
En date du 21 août 2023, la Commission des soumissions, ayant été saisie par le bourgmestre de la Commune de Schengen en date du 11 juillet 2023 d’une demande d’avis en vue de la résiliation notamment du contrat d’architecte du 14 décembre 2022, rendit son avis afférent.
En sa séance du 22 novembre 2023, le collège des bourgmestre et échevins de la commune de Schengen décida de procéder à la résiliation notamment du contrat d’architecte du 14 décembre 2022.
Par courrier recommandé du 24 novembre 2023, le collège des bourgmestre et échevins de la commune de Schengen notifia à la société A la résiliation notamment du contrat d’architecte du 14 décembre 2022.
En date du 1er février 2024, la commune de Schengen annonça l’ouverture d’une nouvelle procédure concurrentielle avec négociation ayant pour objet une « mission d’architecture dans le cadre du complexe scolaire et sportif Campus Baggerweier à Remerschen », la date limite de remise des offres étant fixée au 7 mars 2024.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 février 2024, inscrite sous le numéro 50101 du rôle, la société A a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision, ainsi qualifiée, du 20 juin 2023 l’informant de l’intention de la commune de Schengen de résilier deux contrats conclus avec elle-même, dont le contrat d’architecte du 14 décembre 2022 et la décision, ainsi qualifiée, datée du 24 2 novembre 2024 déclarant la résiliation de deux contrats conclus entre la commune de Schengen et la partie requérante, dont le contrat d’architecte du 14 décembre 2022.
Par une première requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 50102 du rôle, la société A a demandé à voir suspendre l’exécution de ces deux décisions, ainsi qualifiées, en attendant la solution de son recours au fond, tandis que par une seconde requête, également enrôlée en date du 26 février 2024, sous le numéro 50103, ladite société demande, aux termes du dispositif de cette dernière requête, de « Dire en conséquence, que dans l’attente de la décision à intervenir sur le fond du litige dont le tribunal administratif a été saisi par recours en réformation sinon en annulation déposé le 26 février 2024, il sera sursis à l’exécution de la procédure de passation du marché public ci-avant détaillée, portant la référence « EU.NEG-C 2302840 » qui a été publiée sur le Portail des Marchés Publics en date du 1er février 2024 dont l’objet est une « mission d’architecture dans le cadre du complexe scolaire et sportif Campus Baggerweier à Remerschen ».
La société A, ci-après « la société A », fait soutenir que l’exécution de ce nouveau marché risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, dans la mesure où, d’une part, elle risquerait d’être définitivement et irrémédiablement écartée du marché, raison pour laquelle cette procédure de passation devrait être tenue en suspens le temps pour le tribunal administratif de statuer quant au bienfondé du recours au fond et, d’autre part, elle subirait des pertes financières conséquentes si le nouveau marché public venait à être octroyé à un tiers autre qu’elle-même.
La société A estime encore que les moyens invoqués à l’appui de son recours au fond, dirigé contre une décision, ainsi qualifiée, du 20 juin 2023 l’ayant informée de l’intention de la commune de Schengen de résilier notamment le contrat d’architecte du 14 décembre 2022 ainsi que contre la décision de résiliation de ce même contrat, décision datée du 24 novembre 2024.
Le représentant de la commune de Schengen, pour sa part, soulève l’irrecevabilité du recours tendant à la suspension de la procédure de passation de marché public en cause ; il conclut ensuite au rejet du recours au motif que tant la condition du caractère sérieux des moyens ne serait pas remplie en cause, que celle de risque de préjudice grave et définitif dans le chef de la société requérante.
Force est d’emblée au soussigné de constater que l’objet de la requête sous analyse, tel que déterminé à travers son dispositif, pose d’abord différentes questions de compétence, respectivement d’(ir)recevabilité, questions tantôt soulevées par la partie défenderesse tantôt soulevées d’office conformément à l’article 30 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
En vertu de l’article 11 (2) de la loi du 21 juin 1999, un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux.
Il ressort de l’article 11 précité que la compétence au provisoire du président du tribunal administratif est conditionnée par l’existence d’un recours au fond dirigé contre la même décision au sujet de laquelle une mesure provisoire est sollicitée. En effet, le but poursuivi par l’article 11 vise à conférer au recours au fond un effet suspensif jusqu’à ce qu’il 3 ait été tranché par les juges du fond, la requête en obtention d’une mesure provisoire devant ainsi nécessairement s’inscrire dans le strict cadre du recours au fond : le référé administratif est toujours complémentaire d’un procès principal, déjà engagé, qui aboutira quant à lui à un jugement définitif sur l’affaire par rapport à une décision déterminée.
Force est en l’espèce de retenir que la société requérante, si elle a certes déposé un recours au fond devant la composition collégiale du tribunal administratif à l’encontre d’une décision, ainsi qualifiée, du 20 juin 2023 ayant informé la société A de l’intention de la commune de Schengen de résilier notamment le contrat d’architecte du 14 décembre 2022 ainsi que contre la décision, ainsi qualifiée, de résiliation de ce même contrat, datée du 24 novembre 2024, elle a formellement déposé une requête sollicitant la suspension de « la procédure de passation du marché public […], portant la référence « EU.NEG-C 2302840 » qui a été publiée sur le Portail des Marchés Publies en date du 1er février 2024 dont l’objet est une « mission d’architecture dans le cadre du complexe scolaire et sportif Campus Baggerweier à Remerschen », cette « procédure de passation du marché public », n’ayant, pour sa part, pas fait l’objet d’un recours au fond.
Or, comme indiqué ci-avant, la compétence au provisoire du président du tribunal administratif est conditionnée par l’existence d’un recours au fond dirigé contre la décision au sujet de laquelle une mesure provisoire est sollicitée1, de sorte que le président du tribunal administratif ne peut ordonner le sursis à exécution ou instaurer une mesure de sauvegarde que dans le cadre d’un recours au fond dont est saisi le tribunal administratif au moment où il statue.
A défaut de dépôt d’un recours au fond antérieurement ou concomitamment au dépôt de la requête en institution d’une mesure provisoire, la demande est irrecevable2. En d’autres termes, une décision non déférée aux juges du fond, qui donc n’a pas fait l’objet d’un recours au fond, ne saurait faire l’objet d’une mesure provisoire dans le cadre d’un recours devant le président du tribunal administratif, lié au recours au fond3.
Une mesure provisoire, que ce soit le sursis à exécution ou une mesure de sauvegarde, doit dès lors, directement, être en lien avec la décision déférée au fond et ses effets directs, mais la décision déférée au fond ne saurait pas servir de prétexte, en guise de simple toile de fond, à l’instauration d’une mesure autonome visant une autre situation, de fait ou de droit.
La requête sous analyse doit dès lors encourir l’irrecevabilité.
Par ailleurs, et à titre superfétatoire, il convient de relever que la requête, tant dans ses moyens que dans son dispositif, cité ci-avant, tend à voir ordonner la suspension de la « procédure de passation du marché public ».
Or, l’objet de la demande, consistant dans le résultat que le plaideur entend obtenir, est celui circonscrit dans le dispositif de la requête introductive d’instance, étant donné que les termes juridiques employés par un professionnel de la postulation sont à appliquer à la lettre, ce plus précisément concernant la nature du recours introduit, ainsi que son objet, tel que cerné à travers la requête introductive d’instance, le juge n’étant pas habilité à faire droit à des demandes qui n’y sont pas formulées sous peine de méconnaître l’interdiction de statuer ultra 1 Trib. adm. (prés.) 20 février 2001, n° 11940, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 579, et toutes les autres références y citées.
2 Trib. adm. (prés.) 17 juillet 2014, n° 34901, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 580, et toutes les autres références y citées.
3 Trib. adm. (prés.) 15 janvier 2018, n° 40578.
4 petita. En effet, on peut légitimement attendre d’un professionnel du droit qu’il soit particulièrement rigoureux dans la rédaction d’un recours, et en particulier dans le choix des mots qu’il emploie4.
Comme relevé ci-avant, le juge du provisoire, saisi en l’espèce sur base de l’article 11 de la loi du 21 juin 1999, a pour seule compétence de prononcer le cas échéant le sursis à exécution de la décision déférée devant les juges du fond, en accordant à titre provisoire l’effet suspensif du recours introduit devant les juges du fond contre une décision donnée.
En d’autres termes, l’effet suspensif sollicité dans le chef d’un recours est strictement délimité quant à son objet par celui de la décision déférée au fond5.
Le juge du provisoire ne saurait par conséquent et par définition pas accorder la suspension d’une procédure, telle que sollicitée en l’espèce, sa compétence étant limitée à la décision déférée aux juges du fond6, l’objet du litige administratif étant précisément toujours une décision administrative et non une situation, de fait, ou de droit, telle qu’une procédure.
La requête sous analyse doit dès lors encore encourir l’irrecevabilité de ce chef.
Enfin, et à titre éminemment superfétatoire, à supposer que la partie requérante ait entendu déférer au juge des référés - mais non aux juges du fond - l’appel de candidatures tel que publié sur le Portail des Marchés Publics en date du 1er février 2024 par la commune de Schengen, la nature décisionnelle d’une telle publication doit être considérée comme étant plus que douteuse, s’agissant manifestement d’un acte préparatoire non susceptible de recours7, de sorte à ne pas pouvoir faire l’objet d’une mesure provisoire.
La commune de Schengen sollicite la condamnation de la société A à lui payer une indemnité de procédure de 7.500.- euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de la procédure devant les juridictions administratives, et ce conjointement tant dans le rôle n° 50103 sous analyse que dans le rôle n° 50102, lequel fait l’objet d’une ordonnance séparée, la société A contestant cette demande en son principe et en son quantum.
Au vu des circonstances particulières du présent litige et notamment en raison de son issue, du fait que la commune de Schengen a été contrainte à se défendre en justice, il serait inéquitable de laisser à charge de celle-ci l’intégralité des frais et honoraires non compris dans les dépens.
Compte tenu des éléments d’appréciation en possession du soussigné, des devoirs et degré de difficulté de l’affaire ainsi que des montants respectivement réclamés, et au vu de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, il y a lieu d’évaluer ex æquo et bono l’indemnité à payer par la société A à la commune de Schengen à un montant de 1.500.- euros pour le rôle sous analyse.
4 CEDH, 15 janvier 2009, Quillard c/ France, req. n° 24488/04.
5 Trib. adm. prés. 13 août 2004, n° 18516, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 528.
6 Trib. adm. (prés.) 23 avril 2021, n° 45803 7 Voir en ce sens notamment les jurisprudences citées sous Pasicrisie 2023, V° Actes administratifs, n° 96 à 100 5 Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;
rejette le recours tendant à l’obtention d’un sursis à exécution ;
condamne la société A à payer à la commune de Schengen une indemnité de procédure d’un montant de 1.500.- euros ;
condamne la partie requérante aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 mars 2024 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 mars 2024 Le greffier du tribunal administratif 6