Tribunal administratif N° 50268 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50268 Inscrit le 29 mars 2024 Audience publique du 5 avril 2024 Requête en institution d’une mesure de sauvegarde introduite par Monsieur …, … par rapport à deux décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de police des étrangers
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 50268 du rôle et déposée le 29 mars 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Arnaud RANZENBERGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Maroc), de nationalité marocaine, demeurant actuellement à L-…, tendant à voir instituer une mesure de sauvegarde par rapport à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 novembre 2023 rejetant, d’une part, sa demande d’octroi d’une autorisation de séjour et lui ayant, d’autre part, ordonné de quitter le territoire dans un délai de trente jours, un recours en réformation sinon en annulation dirigé contre ladite décision ministérielle, inscrit sous le numéro 50263 du rôle, introduit le 28 mars 2024, étant pendant devant le tribunal administratif ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Maître Mohamed QADAOUI et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 avril 2024.
Il ressort du dossier administratif qu’en date du 28 février 2013, Monsieur … introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères – direction de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministère », une demande en obtention d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié sur base d’une mesure unique de régularisation en vigueur du 2 janvier au 28 février 2013, laquelle fut refusée par décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 24 mai 2013.
Il ressort ensuite d’un rapport de police émanant de la police grand-ducale, Direction Générale …, portant la référence … du 8 juillet 2013, que Monsieur … avait quitté le territoire pour se rendre en France.
En date du 18 juin 2014, Monsieur … effectua une déclaration d’arrivée d’un ressortissant de pays tiers pour un séjour jusqu’à trois mois à la commune d’… et introduisit, par courrier de son mandataire du 28 août 2014 une demande d’autorisation de séjour pour indépendant en sa qualité de gérant administratif de la société à responsabilité limitée … SARL, auprès du ministère, laquelle fut refusée par décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 5 novembre 2014.
Par courrier de son mandataire du 13 juillet 2017, Monsieur … informa le ministère du fait qu’il aurait déposé une plainte pour des faits relevant de l’infraction de traite des êtres humains à l’encontre d’une société qui l’aurait employé et introduisit une demande d’autorisation de séjour des personnes victime de la traître des êtres humains, laquelle lui fut refusée par décision du ministre de l’Immigration de l’Asile du 17 janvier 2018.
Par courrier du 13 mai 2022, Monsieur … introduisit auprès du ministère une demande d’autorisation de séjour pour travailleur salarié, laquelle lui fut refusée par décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 14 octobre 2022.
Par courrier de son litismandataire du 23 octobre 2023, entré au ministère en date du 25 octobre 2023, l’intéressé introduisit une demande d’autorisation de séjour pour des raisons privées sur base de « l’article 78, paragraphe (1), points a) et c) » de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 ».
Par décision du 15 novembre 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile refusa d’accorder à Monsieur … une autorisation de séjour sur base de l’article 78, paragraphe (1), points 1 et 2 de la loi du 29 août 2008 et ordonna au concerné ainsi qu’à son épouse … et leurs trois enfants …, … et … de quitter le territoire dans un délai de trente jours, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] J'ai l'honneur d'accuser bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date du 25 octobre 2023.
Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.
En effet, la demande en obtention d'une autorisation de séjour est irrecevable alors que selon l'article 39, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 précitée, la demande en obtention d'une autorisation de séjour, introduite par le ressortissant d'un pays tiers auprès du ministre, doit être favorablement avisée avant son entrée sur le territoire.
Conformément à l'article 39, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008 précitée, dans des cas exceptionnels, le ressortissant de pays tiers séjournant régulièrement sur le territoire pour une période allant jusqu'à trois mois, peut être autorisé à introduire endéans ce délai auprès du ministre une demande en obtention d'une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois, s'il rapporte la preuve qu'il remplit toutes les conditions exigées pour la catégorie d'autorisation qu'il vise, et si le retour dans son pays d'origine constitue pour lui une charge inique.
Or, le séjour de Monsieur … a largement dépassé trois mois et il n'est pas prouvé que le retour dans son pays d'origine constitue une charge inique.
En outre, il n'est pas prouvé que l'intéressé remplit les conditions fixées à l'article 78, paragraphe (1), point 3. de la loi du 29 août 2008 précitée. En effet, vu le jugement N°39812 du rôle du 2 mai 2018 prononcé par le tribunal administratif, « l'article 8 de la CEDH, précité, est applicable en cas de refus de délivrance d'une autorisation de séjour dans la mesure où même si le ministre dispose en vertu des dispositions nationales de la faculté de procéder au refus de délivrance d'une autorisation de séjour, et s'il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l'entrée, le séjour et l'éloignement des étrangers, il n'en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la CEDH. Dans ce contexte, il convient encore de relever que l'étendue de l'obligation des Etats contractants d'admettre des non-nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit des Etats à contrôler l'immigration. (…) Cependant, l'article 8 CEDH ne saurait s'interpréter comme comportant pour un Etat contractant l'obligation générale de respecter le choix par les membres d'une famille de leur domicile commun et d'accepter l'installation d'un membre non national d'une famille dans le pays. En effet, l'article 8 de la CEDH ne garantit pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie familiale et il faut des raisons convaincantes pour qu'un droit de séjour puisse être fondé sur cette disposition ».
« La protection de l'article 8 CEDH ne saurait cependant être admise qu'à condition que la vie familiale invoquée soit effective, et qu'elle ait été a priori préexistante à l'entrée sur le territoire national. En effet, l'article 8 CEDH n'est pas absolu et ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis - l'article 8 ne garantissant en particulier pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie privée et familiale - et un étranger séjournant de manière irrégulière sur le territoire luxembourgeois n'est pas sans ignorer la relative précarité de sa situation. Or, si un étranger en situation irrégulière demeurant sur le territoire luxembourgeois et y ayant créé une vie privée et familiale peut certes alléguer qu'une décision de refus de lui accorder un autre titre de séjour constitue une ingérence dans sa vie privée, il n'en reste pas moins que le caractère précaire de sa présence sur le territoire n'est pas sans pertinence dans l'analyse de la conformité de la décision litigieuse avec notamment la condition de proportionnalité inscrite au second paragraphe de l'article 8 CEDH.
Le fait que Monsieur … s'est maintenu sur le territoire luxembourgeois tout en sachant que son séjour est irrégulier ne lui permet en conséquence pas de prétendre à une autorisation de séjour sur base de l'article 78, paragraphe (1), point 3. de la loi du 29 août 2008 précitée en raison des liens familiaux et personnels qu'il a éventuellement créés lors de son séjour.
Par ailleurs, et conformément à l'article 78, paragraphe (1), point 1. une autorisation de séjour pour raisons privées peut être accordée par le ministre au ressortissant de pays tiers qui peut vivre de ses seules ressources : a) provenant d'une activité professionnelle exercée dans un autre État membre de l'Union européenne ou de l'Espace Schengen ; ou b) provenant d'une pension de vieillesse, d'invalidité ou de survie versée par un organisme de sécurité sociale luxembourgeois ou d'un autre État membre de l'Union européenne ou de l'Espace Schengen.
Or, votre mandant a signé un contrat de travail avec une autre entreprise de droit luxembourgeois et non pas dans un autre pays membre de l'Union européenne ou de l'Espace Schengen et il ne remplit donc pas les conditions de l'article 78, paragraphe (1) point 1. de la prédite loi du 29 août 2008.
À titre tout à fait subsidiaire, l'intéressé n'apporte pas de preuve qu'il remplit les conditions exigées pour entrer dans le bénéfice d'une autorisation de séjour dont les différentes catégories sont prévues par l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.
Par conséquent, l'autorisation de séjour lui est refusée sur base de l'article 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée.
Au vu des développements qui précèdent et en application de l'article 100 paragraphe (2) et de l'article 111, paragraphes (1) et (2) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée, Monsieur …, sa conjointe Madame … et leurs trois enfants …, … et … sont obligés de quitter le territoire endéans un délai de trente jours à partir de la notification de la présente, soit à destination du pays dont ils ont la nationalité, le Maroc, soit à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité, soit à destination d'un autre pays dans lequel ils sont autorisé à séjourner.
À défaut de quitter le territoire volontairement, l'ordre de quitter sera exécuté d'office et ils seront éloignés par la contrainte. […] ».
Par lettre recommandée avec avis de réception du 12 décembre 2023 de son litismandataire, Monsieur … a fait introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 15 novembre 2013.
Par décision du 8 février 2024, le ministre des Affaires intérieures, désigné ci-après par « le ministre », entretemps compétent, confirma la décision précitée du 15 novembre 2023 dans les termes suivants :
« […] J'ai l'honneur d'accuser bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date 14 décembre 2023.
Pour mémoire, je tiens à vous rappeler que votre demande en obtention d'une autorisation de séjour a été basée sur l'article 78, paragraphe (1) point 1. et point 3. de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration de sorte que la décision reste maintenue quant à l'article 39 qui dispose que la demande en obtention d'une autorisation de séjour doit, sous peine d'irrecevabilité, être favorablement avisée avant l'entrée sur le territoire du ressortissant d'un pays tiers.
De plus, également pour mémoire, Monsieur … a introduit depuis 2013 plusieurs demandes d'autorisations de séjour temporaire en tant que travailleur salarié, en tant que travailleur indépendant et pour des raisons privées qui ont toutes été refusées et les raisons des refus dans les différentes catégories ont toutes été dûment motivées. Enfin, depuis son arrivée, votre mandant n'a pas respecté les procédures en vigueur, notamment à titre d'exemple, en raison d'utilisation de faux documents et de travail illégal.
La situation actuelle de votre mandant lui est ainsi entièrement imputable.
Par conséquent, je vous informer que je ne peux que confirmer ma décision du 15 novembre 2023.
Veuillez noter qu'en raison des certificats/ordonnances médicaux joints à votre courrier du 14 décembre 2023, je saisis le médecin délégué de la Direction de la Santé/Cellule Santé des Demandeurs de Protection Internationale conformément à l'article 131, paragraphe (2) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et de l'immigration afin de solliciter son avis quant à l'octroi éventuel d'un sursis à l'éloignement. Un courrier séparé vous parviendra et je ne manquerai pas de vous renseigner sur fa suite réservée de cette saisie. […] ».
Par requête déposée le 28 mars 2024 et inscrite sous le numéro 50263, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation sinon en annulation à l’encontre de la prédite décision ministérielle datée du 15 novembre 2023 et, par requête déposée le 29 mars 2024 et inscrite sous le numéro 50268 du rôle, il a encore fait introduire un recours tendant à voir instituer une mesure de sauvegarde à l’encontre de la décision en question jusqu’à l’intervention d’une décision au fond en réponse à son prédit recours en réformation sinon en annulation.
A l’appui de sa demande et en fait, outre de retracer les faits et rétroactes ci-avant, il fait valoir être présent sur le territoire luxembourgeois ensemble avec son épouse et ses enfants depuis 2012, de sorte qu’il s’y trouverait depuis douze ans, fait que le ministre ne contesterait pas dans la décision attaquée. Il estime encore, dans ce contexte, avoir entrepris de travailler, tout en précisant être chauffeur de poids lourds de profession, et d’avoir fait un réel effort d’intégration, ce dont attesterait son curriculum vitae versé en cause.
Il explique ensuite s’être maintenu sur le territoire luxembourgeois en introduisant plusieurs demandes d’autorisation de séjour, lesquelles auraient toutes été refusées par l’agent au sein du ministère en charge de son dossier, le concerné précisant, dans ce contexte, qu’il douterait de la neutralité dudit agent et se référant plus spécialement à la décision ministérielle de refus d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié du 14 octobre 2022.
En droit et après s’être référé aux articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, désignée ci-après par « la loi du 21 juin 1999 », il fait valoir que lui-même ainsi que son épouse et ses trois enfants subiraient un préjudice grave et définitif à défaut d’une mesure de sauvegarde à l’encontre de la décision litigieuse, l’intéressé précisant à cet égard que l’un de ses enfants serait né au Luxembourg en 2017 et que l’ensemble de ses trois enfants y seraient scolarisés, Monsieur … reprochant à la décision attaquée de ne pas avoir pris en compte cette situation factuelle et d’avoir ainsi violé sa vie privée et familiale ainsi que celle de sa famille. L’intéressé précise encore à cet égard ne plus disposer de bien immobilier au Maroc suite au séisme qui y aurait eu lieu en 2023, de sorte qu’il risquerait, ensemble avec sa famille, de s’y retrouver sans domicile, faute de moyens financiers. En se référant encore à un jugement du tribunal administratif du 25 juillet 2003, inscrit sous le numéro 16751 du rôle, le demandeur fait plaider ne pas disposer de ressources suffisantes pour pouvoir financer un retour de sa famille au Luxembourg dans l’hypothèse où la décision attaquée serait annulée par le tribunal administratif, Monsieur … estimant encore que ladite décision constituerait une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, désignée ci-après par « la CEDH ».
A l’audience des plaidoiries, il précise encore, dans ce contexte, d’une part, que ses enfants ne maîtriseraient pas la langue arabe, circonstance qui rendrait impossible une vie pour ces derniers au Maroc et, d’autre part, que toute leur famille résiderait entretemps en Europe, de sorte qu’ils n’auraient plus aucune attache au Maroc.
Quant au caractère sérieux des moyens développés dans sa requête introductive d’instance tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision attaquée, le demandeur se borne à s’y renvoyer et de conclure à leur caractère sérieux, les moyens d’annulation dirigés à l’encontre de la décision attaquée se dégageant de ladite requête introductive d’instance se résumant, en ce qui concerne le refus d’accorder à l’intéressé une autorisation de séjour, à :
- l’incompétence du signataire de la décision attaquée, faute de délégation de signature exigée par la loi ;
- le défaut de motivation de la décision attaquée, alors que le ministre aurait omis de prendre en compte sa situation familiale ;
- une interprétation erronée de la part du ministre de l’article 39, paragraphe (2) de la loi du 29 août 2008, alors que le retour avec sa famille au Maroc avant l’introduction de sa demande d’autorisation de séjour constituerait une charge inique dans leur chef, dans la mesure où ils n’y disposeraient plus de bien immobilier et que la famille et plus particulièrement les enfants, tous nés en Italie ou au Luxembourg, n’y auraient aucune attache, contrairement au Luxembourg où ils séjourneraient depuis des années et où les enfants seraient scolarisés ;
- une erreur d’appréciation des faits de la part du ministre, le demandeur contestant s’être maintenu de manière abusive sur le territoire luxembourgeois, alors qu’au contraire il aurait toujours tenté de régulariser sa situation administrative et aurait fait des efforts d’intégration ;
- la violation de l’article 8 de la CEDH, ainsi que de l’article 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, alors que l’atteinte à la vie privée et familiale de sa famille serait disproportionnée compte tenu (i) de leur présence depuis treize ans sur le territoire luxembourgeois, (ii) de ses tentatives de régularisation de leur situation administrative, notamment moyennant une promesse de contrat de travail et l’existence d’un contrat de bail, (iii) de la scolarisation des enfants au Luxembourg, (iv) de l’absence d’une menace pour l’ordre public et (v) du défaut d’attaches des enfants avec le Maroc ;
Et, en ce qui concerne l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte, à :
- un risque de persécution dans son chef, voire celui de subir des atteintes graves à sa vie, en cas de retour au Maroc.
Sur question posée par la soussignée à l’audience des plaidoiries du 3 avril 2024, Maître Mohamed QADAOUI, en remplacement du litismandataire du demandeur, a encore précisé que la requête en institution d’une mesure de sauvegarde sous analyse ne viserait pas le volet de la décision du ministre du 15 novembre 2023 portant refus d’une autorisation de séjour à l’égard de Monsieur …, mais uniquement le volet portant ordre de quitter le territoire.
Sur question posée par la soussignée à la même audience, et dans la mesure dans laquelle tant la requête introduite sous le numéro 50263 que celle sous le numéro 50268 ont été signées avec la mention « p. s. Maître Arnaud RANZENBERGER emp », sans que le nom du signataire n’y soit renseigné, Maître Mohamed QADAOUI a encore précisé que les deux requêtes concernées auraient été signées par Maître Thomas STACKLER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, le demandeur versant encore à cet égard une attestation écrite de la part de celui-ci du 3 avril 2024.
Le délégué du gouvernement conclut d’abord à l’irrecevabilité du recours pour être prématuré, dans la mesure où la décision ministérielle du 8 février 2014 préciserait qu’en raison du certificat médical joint à son recours gracieux à l’encontre de la décision du 15 novembre 2023 le dossier de Monsieur … aurait été transmis à la Direction de la Santé du ministère de la Santé afin de solliciter l’avis de ce dernier quant à l’octroi éventuel d’un sursis à l’éloignement et que, par courrier du ministre du 3 avril 2024, celui-ci aurait informé l’intéressé que l’ordre de quitter le territoire à son encontre ne serait pas exécuté tant que le ministre ne se sera pas prononcé sur ladite demande de sursis à l’éloignement.
Le délégué du gouvernement conclut, pour le surplus, au rejet du recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause.
En vertu de l’article 12 de la loi du 21 juin 1999, le président du tribunal administratif ou le magistrat le remplaçant peut au provisoire ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.
Il convient à cet égard de rappeler que sous peine de vider de sa substance l’article 11 de la loi du 21 juin 1999, qui prévoit que le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux, il y a lieu d’admettre que l’institution d’une mesure de sauvegarde sur base de l’article 12 de la loi du 21 juin 1999 est soumise aux mêmes conditions concernant les caractères du préjudice et des moyens invoqués à l’appui du recours. Admettre le contraire reviendrait en effet à autoriser le sursis à exécution d’une décision administrative alors même que les conditions posées par l’article 11 ne seraient pas remplies, le libellé de l’article 12 n’excluant pas, a priori, un tel sursis qui peut à son tour être compris comme mesure de sauvegarde1.
Il convient encore de rappeler que la possibilité d’accorder une mesure de sauvegarde n’a pas été instaurée par le législateur en tant que mesure autonome, mais uniquement afin de pallier au fait que la seule mesure provisoire initialement prévue, à savoir le sursis à exécution, ne pouvait pas être accordée par rapport à une décision administrative négative, telle qu’un refus, qui ne modifie pas une situation de droit ou de fait antérieure et, comme telle, ne saurait faire l’objet de conclusions à fin de sursis à exécution2, de sorte que dans un tel cas de figure, le justiciable ne disposait d’aucune procédure pour éviter un préjudice grave qui lui est causé par une décision administrative négative. La possibilité d’une mesure de sauvegarde s’entend dès lors comme une procédure complémentaire3 à celle de l’effet suspensif, soumise nécessairement aux mêmes conditions strictes, mais uniquement ouverte par rapport à une décision « négative ». En effet, une décision de refus, « négative », même illégale, ne modifie le plus souvent pas par elle-même l’ordonnancement juridique. Ainsi, en ne modifiant rien, elle n’est pas « exécutoire »; dès lors, il n’y a pas matière à en ordonner le sursis à exécution.
Indépendamment de la question de la recevabilité de la demande en institution d’une mesure de sauvegarde à l’égard de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle du 15 novembre 2023, a priori susceptible de faire l’objet seulement d’un sursis à exécution à l’exclusion d’une mesure de sauvegarde, la soussigné rappelle qu’en vertu de l’article 11, paragraphe (2) de la loi du 21 juin 1999, un sursis à exécution, et par analogie une mesure de sauvegarde, ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution 1 Trib. adm. (prés.) 14 janvier 2000, n° 11735, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 613 et 808.
2 Proposition de loi 4326 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, avis du Conseil d’Etat, 9 février 1999, p.6.
3 Ibidem.
de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux.
Or, il résulte du dossier administratif que par courrier du 8 février 2024, le ministre a informé Monsieur … qu’en raison du certificat médical joint à son recours gracieux du 14 décembre 2023 à l’encontre de la décision ministérielle du 15 novembre 2023, son dossier sera soumis à la Direction de la Santé du Ministère de la Santé afin de solliciter son avis quant à l’octroi éventuel d’un sursis à éloignement, saisine dont le concerné a été informé par courrier séparé du ministre du 12 février 2024. Par courrier du 3 avril 2024, le ministre a encore informé Monsieur … que tant qu’il ne se sera pas prononcé sur la demande de sursis à éloignement « […] l’ordre de quitter ne sera pas exécuté. […] », de sorte qu’au moment où statue la soussignée il n’y a aucun risque pour le concerné de subir un préjudice grave et définitif en raison d’une exécution de l’ordre de quitter à son encontre, le ministre ayant lui-même temporairement suspendu l’exécution de l’acte attaqué.
Il s’ensuit que le requérant est, au stade actuel, à débouter de sa demande en instauration d’une mesure provisoire, faute d’existence, au moment où statue la soussignée, d’un risque de préjudice grave et définitif découlant de l’exécution de l’ordre de quitter le territoire à son encontre, l’exécution de ladite décision étant d’ores et déjà suspendue à l’heure actuelle, sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la question du caractère sérieux des moyens avancés au fond, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.
Par ces motifs, la soussignée, premier juge du tribunal administratif, siégeant en remplacement des président et magistrats plus ancien en rang, tous légitimement empêchés, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette la demande en obtention d’une mesure provisoire ;
condamne le requérant aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 avril 2024 par Laura Urbany, premier juge du tribunal administratif, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Laura Urbany Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 avril 2024 Le greffier du tribunal administratif 8