Tribunal administratif N° 50310R du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50310R Inscrit le 10 avril 2024 Audience publique du 18 avril 2024 Requête en instauration d’un sursis à exécution introduite par Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires Intérieures en matière de police des étrangers
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 50310R du rôle et déposée le 10 avril 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Hanan GANA-MOUDACHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Maroc), demeurant à …, tendant à l’instauration d’un sursis à exécution par rapport à une décision du ministre des Affaires intérieures, datée du 7 février 2024, constatant la perte de son droit de séjour en tant que membre de la famille d’un citoyen de l’Union européenne et lui ayant imparti l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation, sinon en annulation ayant été par ailleurs introduit au fond contre la décision ministérielle 7 février 2024, par requête introduite le 10 avril 2024, inscrite sous le numéro 50309 du rôle ;
Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Maître Pierre-Alain HORN, en remplacement de Maître Hanan GANA-MOUDACHE, et Madame le délégué du gouvernement Charline RADERMECKER entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 avril 2024.
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Madame …, ressortissante marocaine, introduisit en date du 5 juin 2018 une demande en obtention d’un visa en vue d’un regroupement familial auprès du ministère des Affaires étrangères.
Ladite demande de regroupement familial lui fut accordée en date du 28 novembre 2018, ainsi que, consécutivement, une carte de séjour d’un membre de famille d’un citoyen de l’Union conformément de l’article 15 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.
Par formulaire entré le 6 décembre 2023 au ministère des Affaires intérieures, direction de l’Immigration, entretemps en charge du dossier, Madame … sollicita le renouvellement de sa carte de séjour permanent.
Par courrier du 9 janvier 2024, le ministre des Affaires intérieures informa en retour Madame … qu’il avait constaté qu’elle aurait vraisemblablement perdu son droit de séjour de membre de la famille d’un citoyen de l’Union en application de l’article 15, paragraphe 4 et de l’article 9, paragraphe 2 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration et il invita Madame … à présenter ses observations y relativement, ledit courrier étant libellé comme suit :
« […] Suite à votre demande d’une carte de séjour permanent de membre de famille d’un citoyen de l’Union, il a été constaté que vous résidez sur le territoire luxembourgeois sans disposer de carte de séjour valable. Votre carte de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union a perdu sa validité au motif que vous vous êtes absentée du territoire pour une durée supérieure à 6 mois (article 15, paragraphe 4 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation et l’immigration) et qu’il n’est pas démontré que votre absence est due à une des raisons prévues à l’article 9 paragraphe 2 de la même loi.
Il ressort en effet de votre passeport que vous étiez absent du territoire luxembourgeois du 18 juillet 2022 jusqu’au 11 mars 2023 et qu’il n’est pas démontré que votre absence est due à une des raisons prévues à l’article 9 précité.
Etant donné que vous n’êtes plus en possession d’une carte de séjour valable, votre droit de séjour en tant que membre de famille d’un citoyen de l’Union doit faire l’objet d’un nouvel examen.
Conformément aux dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, il vous est loisible de me communiquer vos observations et pièces à l’appui jugées utiles endéans un délai d’un mois après la notification de la présente. Pour le cas où vous ne présenteriez pas vos observations par écrit, vous avez également le droit, si vous en faites la demande endéans ce délai, d’être entendu en personne. […] ».
Madame … adressa en date du 31 janvier 2024 la prise de position suivante au ministre des Affaires intérieures :
« Suite à votre courrier du 09/01/2024, reçu le 11/01/2024, où vous demander mon absence sur le territoire Luxembourgeois du 18/07/2022 au 11/03/2023, je vous informe pièces à l’appui que je m’occupais de ma sœur, dont j’ai la tutelle.
Etant donné les circonstances, je ne pouvais pas quitter le territoire marocain, aux dates prédites.
Je vous prie suite aux circonstances, de m’accorder la prolongation de ma carte de séjour en tant que membre de famille sur le territoire luxembourgeois. […] » Suite à cette prise de position, le ministre des Affaires intérieures, ci-après dénommé « le ministre », constata par décision du 7 février 2024 le séjour irrégulier de Madame … et lui intima l’ordre de quitter le territoire endéans un délai de trente jours, ladite décision étant libellée comme suit :
« Par courrier daté au 9 janvier 2024 et notifié par courrier recommandé en date du 11 janvier 2024, je vous ai informé que j’avais constaté que vous aviez vraisemblablement perdu votre droit de séjour de membre de la famille d’un citoyen de l’Union en application de l’article 15, paragraphe 4 et de l’article 9, paragraphe 2 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, sauf preuve du contraire de votre part.
Je regrette de devoir constater que les observations que vous m’avez communiquées par courrier daté au 31 janvier 2024 et m’étant parvenu le 2 février 2024, ne sont pas de nature à justifier le maintien d’un droit de séjour en tant que membre de famille d’un citoyen de l’Union.
Alors que l’on pourrait s’interroger sur l’efficacité de l’exercice d’une tutelle à distance et si cela est dans l’intérêt de la personne sous tutelle, force est de constater, que votre absence du territoire du 18 juillet 2022 au 11 mars 2023 a dépassée six mois et qu’elle n’est pas due à une des raisons prévues à l’article 9, paragraphe 2 de la loi précitée.
Au vu de ce qui précède, je vous informe partant que vous avez perdu votre droit de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union conformément à l’article 15 (4) précité et votre carte de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union vous est retirée conformément à l’article 25 (1) de la même loi et je vous invite à bien vouloir remettre votre carte de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union aux guichets de la Direction générale de l’immigration.
Etant donné que vous disposez d’aucune autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois, votre séjour est considéré comme irrégulier, conformément à l’article 100, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 précitée.
Au vu des développements qui précèdent et en application de l’article 111, paragraphes (1) et (2) de la même loi, vous êtes obligée de quitter le territoire endéans un délai de trente jours à partir de la notification de la présente, soit à destination du pays dont vous avez la nationalité, le Maroc, soit à destination du pays qui vous a délivré un document de voyage en cours de validité, soit à destination d’un autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner.
A défaut de quitter le territoire volontairement, l’ordre de quitter sera exécuté d’office et vous serez éloignée par la contrainte. […] ».
Madame … adressa par courrier du 13 février 2024 un recours gracieux au ministre, formulé comme suit :
« Je me réfère à votre courrier daté au 07/02/2024, de ce fait, je vous informe que je conteste votre décision du non-maintien de mon droit de séjour en tant que membre de famille d’un citoyen de l’Union et je vous adresse un recours gracieux.
Mon absence sur le territoire qui a dépassé le délai de six mois, vous a été justifiée par l’objet de ma présence au Maroc, car je me suis occupée de ma sœur. En effet étant déjà présente sur le territoire marocain, j’ai pris en main les soins y afférent.
Lorsque je me trouve sur le territoire luxembourgeois, les soins et hébergement de ma sœur sont repartis entre ma fratrie.
Je suis veuve et mes enfants, ainsi que mes petits-enfants, se trouvent au Luxembourg et je veux être présente un maximum possible avec eux. Tout mes médecins qui me suivent sont au Luxembourg et tout mes soins sont faits au Luxembourg et mes cotisations de soins sont payées au Luxembourg, depuis que j’ai eu mon titre de séjour.
Je ne profite d’aucun revenu, je suis à charge de mes enfants se trouvant au Luxembourg.
Merci de bien vouloir réévaluer mon dossier, car je suis une mère qui désire rester avec ses enfants et petits-enfants et passer le reste de mes jours avec eux.
Je vous prie d’accepter mon recours gracieux et je vous prie d’agréer, Mesdames, Messieurs, l’expression de mes sentiments les plus distingués. ».
Par décision du 19 février 2024, le ministre rejeta ledit recours gracieux et confirma sa décision précédente du 7 février 2024 par les termes suivants :
« […] En main votre recours gracieux du 13 février 2024 contre ma décision de retrait de votre droit de séjour du 7 février comme repris sous objet, je suis au regret de vous informer que à la suite du réexamen du dossier et à défaut d'éléments pertinents nouveaux, je ne peux que confirmer ma décision du 7 février 2024 dans son intégralité.
Je vous prie de bien vouloir vous présenter le jeudi 22 février 2024 à 15:15 heures au Guichet Unique - Centre Emile Reuter, à 12-14 avenue Emile Reuter, L-2420 Luxembourg-
ville comme retenu dans ma convocation du 13 février 2024, munie de celle-ci. […] ».
Par requête déposée le 10 avril 2024 et inscrite sous le numéro 50309 du rôle, Madame … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la prédite décision ministérielle datée du 7 février 2024 et par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 50310R du rôle, elle a encore fait introduire un recours tendant à voir instituer un sursis à exécution par rapport à cette même décision.
La requérante expose d’abord que l’exécution de la décision déférée l’exposerait à un préjudice grave et définitif.
A cet égard, elle relève être établie depuis de nombreuses années au Luxembourg où elle aurait développé des liens familiaux forts dans le pays, notamment avec ses enfants et ses petits-enfants. Après avoir vécu et établi sa vie dans ce pays pendant une période significative, la requérante considèrerait désormais le Luxembourg comme son foyer et souhaiterait y rester pour être proche de sa famille, de sorte que son retour forcé au Maroc, où elle n’aurait plus de liens sociaux ou familiaux significatifs, entraînerait un éloignement douloureux et définitif de sa famille.
Madame … fait ensuite valoir par rapport à la requête introduite devant les juges du fond que ses moyens y soulevés seraient encore sérieux en ce qu’ils seraient susceptibles d’entraîner l’annulation de la décision ministérielle contestée.
A ce titre, elle reproche en substance au ministre d’avoir commis un détournement de pouvoir pour avoir rejeté sa demande en maintien de son droit de séjour sans tenir compte des circonstances exceptionnelles dans le cas d’espèce, alors que son absence prolongée du territoire luxembourgeois aurait été motivée par le fait que sa sœur aurait nécessité des soins particuliers à titre tout à fait exceptionnel, la requérante affirmant ne s’être s’absentée qu’à une seule reprise pour période de 7 mois et 16 jours pour des circonstances exceptionnelles ; elle reproche au ministre de s’être basé sur cette unique absence pour ne pas maintenir son droit de séjour parce que l’« on pourrait s’interroger sur l’efficacité de l’exercice d’une tutelle à distance et si cela est dans l’intérêt de la personne sous tutelle », considération qui dénoterait clairement d’un détournement de pouvoir dans le chef du ministre.
La requérante estime ensuite que la décision déférée violerait la loi, et plus particulièrement l’article 15 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après « la loi du 29 août 2008 », dans la mesure où elle serait partie au Maroc pour s’occuper de sa sœur qu’à une seule reprise du 18 juillet 2022 jusqu’au 11 mars 2023 pour une période de 7 mois et 16 jours consécutifs à titre exceptionnel, de sorte que cette absence ayant perduré sur deux années civiles, à savoir l’année 2022 et 2023, il y aurait lieu de constater qu’elle aurait bel et bien résidé plus de 6 mois par année civile sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg pendant toute la période de son droit de séjour.
Elle n’aurait partant pas été absente du territoire luxembourgeois pendant une période excédant six mois par année civile et elle n’aurait pas non plus été absente de manière continue pour une période ininterrompue de douze mois consécutifs ; partant, elle estime n’avoir en aucun cas violé les conditions de séjour de l’article 15, paragraphe 4, et de l’article 9, paragraphe 2, de la loi du 29 août 2008.
La requérante considère ensuite que le ministre aurait également commis une erreur manifeste d’appréciation en ne tenant pas compte des circonstances spécifiques de l’affaire, la requérante réaffirmant n’avoir, en sa qualité de tutrice légale de sa sœur au Maroc, quitté le territoire luxembourgeois pendant une période prolongée qu’à une seule reprise, de sorte que cette absence n’aurait pas été motivée par une simple volonté de quitter le pays, mais par des obligations familiales pressantes.
La requérante estime par conséquent que la décision ministérielle reposerait sur une interprétation incorrecte de la loi, de sorte que le ministre aurait outrepassé son pouvoir et aurait agi de manière arbitraire, la requérante reprochant encore au ministre de ne pas avoir pris en compte l’intérêt supérieur de la famille et son propre droit à la vie privée et familiale, la requérante rappelant avoir obtenu son droit de séjour en vertu du regroupement familial et entretenir des liens familiaux étroits avec ses enfants et ses petits-enfants ainsi que résider au Luxembourg depuis plus de 5 années, la requérante affirmant que son renvoi vers le Maroc serait contraire à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, alors qu’elle aurait établi des liens familiaux forts au Luxembourg.
Enfin, elle fait plaider, pour les mêmes motifs, que la décision déférée serait contraire au principe de proportionnalité.
Le délégué du gouvernement conclut pour sa part au rejet du recours au motif qu’aucune des conditions légales ne serait remplie en cause.
Il conteste d’abord l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif dans le chef de la requérante ; si certes le fils et les petits-enfants de Madame … seraient au Luxembourg, le reste de sa famille, dont notamment sa fratrie et en particulier sa sœur, demeurerait toujours au Maroc.
En ce qui concerne le caractère sérieux des moyens d’annulation, il estime que la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ne serait pas donnée en l’espèce, puisque la requérante aurait de la famille au Maroc ; quant à la violation alléguée des articles 9 et 15, il considère qu’il s’agirait d’une question d’interprétation de ces dispositions, de sorte que ce moyen ne serait pas suffisamment sérieux.
En vertu de l’article 11, paragraphe 2, de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
L’affaire au fond ayant été introduite le 10 avril 2024 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi du 21 juin 1999, l’affaire ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.
Concernant les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la demande, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.
L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.
Ainsi, le juge du référé est appelé, d’une part, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et, d’autre part, non pas à se prononcer sur le bien-fondé des moyens, mais à vérifier, après une analyse nécessairement sommaire des moyens et des arguments présentés, si un des moyens soulevés par la partie requérante apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation de la décision attaquée.
La compétence du président du tribunal est restreinte à des mesures essentiellement provisoires et ne saurait en aucun cas porter préjudice au principal. Il doit s’abstenir de préjuger les éléments soumis à l’appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu’il doit s’abstenir de prendre position de manière péremptoire, non seulement par rapport aux moyens invoqués au fond, mais même concernant les questions de recevabilité du recours au fond, étant donné que ces questions pourraient être appréciées différemment par le tribunal statuant au fond. Il doit donc se borner à apprécier si les chances de voir déclarer recevable le recours au fond paraissent sérieuses, au vu des éléments produits devant lui.
Force est à cet égard au soussigné de constater d’abord que selon l’article 9 de la loi du 29 août 2008 « (1) Le citoyen de l’Union qui rapporte la preuve d’un séjour légal ininterrompu de cinq ans au pays acquiert le droit de séjour permanent. […] (2) La continuité du séjour n’est pas affectée par des absences temporaires ne dépassant pas au total six mois par an, ni par des absences plus longues pour l’accomplissement d’obligations militaires, ni par une absence ininterrompue de douze mois consécutifs au maximum pour des raisons importantes telles qu’une grossesse et un accouchement, une maladie grave, des études ou une formation professionnelle, ou le détachement pour raisons professionnelles dans un autre Etat membre ou un pays tiers ».
Par ailleurs, aux termes de l’article 15, paragraphe 4, de la même loi, relatif aux membres de la famille du citoyen de l’Union « La validité de la carte de séjour n’est pas affectée par des absences temporaires ne dépassant pas six mois par an ou par des absences d’une durée plus longue conformément aux dispositions de l’article 9, paragraphe (2) ».
Il s’ensuit, à première vue, que le citoyen de l’Union ainsi que et les membres de la famille de celui-ci qui ont séjourné au Luxembourg pendant une période ininterrompue de 5 ans peuvent demander un document attestant la permanence de leur séjour, la continuité de ce séjour n’étant pas affectée par des absences temporaires ne dépassant pas au total 6 mois par an, ni, dans certains cas précis énumérés dans la loi, par des absences plus longues.
A contrario, la continuité de ce séjour semble devoir être considérée comme interrompue en cas d’absence temporaire dépassant plus de 6 mois par an, à moins que cette absence ne rentre dans l’une des exceptions prévues par la loi.
Il est constant en cause que la requérante s’est absentée du territoire luxembourgeois du 18 juillet 2022 jusqu’au 11 mars 2023, soit pour une période totale de 7 mois et 16 jours, sans que cette absence ne s’inscrive dans l’une des exceptions légales, à savoir « pour l’accomplissement d’obligations militaires, ni par une absence ininterrompue de douze mois consécutifs au maximum pour des raisons importantes telles qu’une grossesse et un accouchement, une maladie grave, des études ou une formation professionnelle, ou le détachement pour raisons professionnelles dans un autre Etat membre ou un pays tiers ».
Si la requérante s’est ainsi absentée pour une durée consécutive de 7 mois et 16 jours, force est toutefois de constater que le texte, que ce soit celui de l’article 9, paragraphe 2 ou de l’article 15, paragraphe 4, précise clairement « des absences temporaires ne dépassant pas au total six mois par an », de sorte qu’à première vue la somme des absences par an ne doit pas dépasser 6 mois.
Or, en l’espèce, l’absence de la requérante durant l’année 2022, à savoir du 18 juillet 2022 au 31 décembre 2022, a duré moins de 6 mois ; il en va de même en ce qui concerne l’année 2023, où Madame … était absente du 1er janvier 2023 au 11 mars 2023, soit moins de 3 mois.
L’affirmation du délégué du gouvernement selon laquelle ces dispositions se prêteraient à interprétation ne paraît pas sérieuse au vu du libellé clair « par an » : en effet conformément à l’adage « Ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus » (Il est interdit de distinguer là où la loi ne distingue pas), il apparaît que lorsque la loi, comme en l’espèce, a disposé sans restrictions ni conditions, l'interprète n'a pas à y introduire des exceptions qui n'ont pas été prévues par le législateur, de sorte qu’il n’appert pas sérieusement que ces dispositions permettent au ministre de comptabiliser les absences ayant eu lieu sur deux années civiles sur une seule année pour dénier à la requérante son droit de séjour.
Il convient encore de souligner qu’il résulte du considérant 18 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres qu’« en vue de constituer un véritable moyen d'intégration dans la société de l'État membre d'accueil dans lequel le citoyen de l'Union réside, le droit de séjour permanent ne devrait être soumis à aucune autre condition une fois qu'il a été obtenu », considérant qui est de nature à énerver l’interprétation extensive des conditions d’exclusion telle que voulue par la partie ministérielle.
Ce moyen, tiré d’une mauvaise application par le ministre des articles 9, paragraphe 2, et 15, paragraphe 4, de la loi du 29 août 2008, doit dès lors être considéré comme sérieux.
A titre complémentaire, en ce qui concerne l’invocation d’une violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (ci-après « CEDH »), la jurisprudence1 a retenu que s’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention, de sorte qu’il convient d’examiner si la vie privée et familiale dont fait état un étranger pour conclure dans son chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 précité rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.
Dans ce contexte, la jurisprudence2 a encore retenu que si la loi luxembourgeoise permet en principe aux autorités compétentes de s'ingérer dans la vie privée et familiale, néanmoins faut-il encore que cette ingérence se révèle nécessaire dans une société démocratique, c'est-à-dire qu'elle soit justifiée par un besoin social impérieux et proportionné au but légitime poursuivi. Ainsi, une décision portant refus de séjour devrait respecter un juste équilibre entre les intérêts en présence, à savoir, d'une part, le droit de l’étranger au respect de sa vie privée et familiale, et, d'autre part, la protection de l'ordre public et la prévention des infractions pénales.
A cet égard, il convient, tout d’abord, de relever qu’il est constant en cause que Madame …, âgée actuellement de 65 ans, vit au Luxembourg depuis 2018, où elle a rejoint son fils et ses petits-enfants à la faveur d’une demande de regroupement familial lui accordée en 2018, de sorte que le principe même de l’existence de liens familiaux, dûment reconnus par le ministre 1 Trib. adm. 20 novembre 2017, n° 38736 et 38781.
2 Voir jurisprudence citée sous Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 520 et 528.
en 2018, ne paraît plus pouvoir être actuellement contesté. Il est encore constant en cause que Madame … dépend économiquement de son fils qui l’a prise en charge.
Si la fratrie de la requérante demeure toujours au Maroc, dont sa sœur dont elle est la tutrice légale, la requérante a crédiblement expliqué avoir des liens plus étroits avec sa descendance directe, avec laquelle elle vit depuis 2018, qu’avec ses frères et sœurs restés au Maroc.
Par conséquent, il est probable que les juges du fond concluent en l’espèce, compte tenu des circonstances particulières de la situation de Madame Madame …, que la décision ministérielle déférée, prise en son double volet, s’analyse en une ingérence dans son droit au respect de sa vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la CEDH qui n’est pas justifiée par l’une des hypothèses visées au paragraphe 2 de l’article 8 précité, et ce d’autant plus que la partie étatique est restée, en l’état actuel du dossier administratif, en défaut de faire état d’un élément précis et circonstancié de nature à justifier une ingérence par les autorités publiques luxembourgeoises dans l’exercice par la requérante de son droit à sa vie privée et familiale pour l’un des motifs énoncés ci-dessus, et a fortiori, elle n’a pas établi que la décision litigieuse respecte un juste équilibre entre les intérêts en cause, de sorte à conclure à une violation de l’article 8 de la CEDH.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que ce moyen de Madame … opposé à la décision ministérielle déférée présente également le sérieux nécessaire pour justifier la mesure provisoire sollicitée.
En ce qui concerne la deuxième condition, à savoir l’existence d’un préjudice grave et définitif, celle-ci est ipso facto donnée en l’espèce au vu du risque de violation de l’article 8 de la CEDH.
Au vu des conclusions qui précèdent, il y a lieu de faire droit à la demande de Madame … et à surseoir tant à la décision de retrait de son droit de séjour qu’à l’ordre de quitter le territoire lui opposé jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, reçoit la requête en institution d’une mesure provisoire en la forme ;
au fond, la déclare justifiée, partant, sursoit à la décision de retrait du droit de séjour de Madame … ainsi qu’à l’exécution de l’ordre de quitter le territoire figurant dans la décision du ministre des Affaires intérieures du 7 février 2024 jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite du recours au fond introduit sous le numéro du rôle 50309 ;
réserve les frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 avril 2024 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 avril 2024 Le greffier du tribunal administratif 10