Tribunal administratif N° 50403 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50403 1re chambre Inscrit le 30 avril 2024 Audience publique du 15 mai 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre trois décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50403 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 avril 2024 par Maître Shanez Aksil, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Tunisie) et être de nationalité tunisienne, connu sous différents alias, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation 1) d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 15 avril 2024 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 mai 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le soussigné entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Laurent Thyes en sa plaidoirie à l’audience publique du 13 mai 2024.
Il ressort du dossier administratif et plus particulièrement d’une demande de désignation d’un administrateur ad hoc du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration datée du 7 décembre 2022, que Monsieur …, connu sous différents alias, ci-après désigné par « Monsieur … », mineur à l’époque, se présenta le même jour aux autorités luxembourgeoises pour présenter sa demande de protection internationale.
Par ordonnance du 16 mai 2023, le juge aux affaires familiales près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg désigna Maître Shanez Aksil administrateur ad hoc de Monsieur ….
En date du 18 août 2023, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale, au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, 1section criminalité organisée, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Le 7 mars 2024, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 15 avril 2024, notifiée au demandeur par courrier recommandé envoyé le même jour, le ministre des Affaires intérieures, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale introduite en date du 18 août 2023 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant aux faits et rétroactes procéduraux Monsieur, vous vous êtes présenté une première fois aux autorités luxembourgeoises compétentes en matière d'immigration et d'asile en date du 5 décembre 2022 déclarant vous nommer Monsieur …, être né le … à …/Tunisie et être de nationalité tunisienne. Suite à une requête en désignation d'un administrateur ad hoc, le Juge aux affaires familiales a désigné par une ordonnance n° 2023TALJAF/001708 du 16 mai 2023 Maître Shanez AKSIL comme administrateur ad hoc avec mission de vous assister dans le cadre de votre demande de protection internationale.
Quelques jours après votre arrivée alléguée sur le territoire luxembourgeois, vous avez fait l'objet d'un contrôle d'identité alors qu'il ressort d'un rapport de police n° JDA-2022/125566-1 du 16 décembre 2022 que les policiers ont aperçu près de l'établissement Abrigado deux personnes « welche relativ nervös beim Erblicken des Dienstkraftwagens schienen ». Démuni de tout document d'identité, vous aviez déclaré dans ce contexte vous nommer Monsieur …, être né le … à …/Tunisie, et être de nationalité tunisienne.
Suite à des recherches plus avancées, la police a pu révéler que vous étiez logé dans un foyer pour demandeurs de protection internationale avec une autre date de naissance, à savoir en tant que mineur né le …. La police a pu noter dans ce contexte que « MONSIEUR … wurde auf die Personalien angesprochen, wobei selbiger nun plötzlich angab, dass dies seine richtigen Personalien wären (…) » (rapport de police page 2).
Suivant rapport de police n° JDA2023/130436-1 vous avez à nouveau fait l'objet d'un contrôle policier en date du 13 mars 2023. Vous aviez déclaré dans ce contexte être arrivé au Luxembourg en provenance de l'Italie et en passant par la Suisse et la France. Vous seriez venu au Luxembourg « weil es ein gutes Land ist und ich studieren will ».
2Il ressort encore des éléments de votre dossier que le rendez-vous fixé au 11 juillet 2023 pour l'introduction de votre demande de protection internationale a dû être reporté alors que vous étiez placé dans l'Unité de sécurité (UNISEC) du Centre socio-éducatif de l'Etat. Vous avez finalement introduit votre demande de protection internationale en date du 18 août 2023.
Les recherches effectuées dans ce contexte dans la base de données Eurodac ont révélé que vous faites l'objet d'un franchissement irrégulier des frontières en Italie en date du 8 novembre 2022. Il ressort en outre des informations obtenues par les autorités italiennes que vous vous êtes présenté en Italie sous l'identité Monsieur …, né le …, de nationalité tunisienne.
Vous êtes par ailleurs connu en Italie pour « mauvaise conduite et crimes » en date du 22 novembre 2022 de sorte que vous aviez à faire à la justice italienne et que vous êtes fiché comme « dangereux aux archives de la police ».
Vous faites en outre l'objet d'un signalement par les autorités italienne dans le SIS (Système d'information Schengen) sur base de l'article 34 du Règlement (UE) 2018/18621 aux fins de déterminer votre lieu de séjour dans le cadre d'une affaire judiciaire concernant les personnes citées à comparaître ou recherchées pour être citées à comparaître devant les autorités judiciaires dans le cadre d'une procédure pénale, les personnes qui doivent faire l'objet d'une notification d'un jugement en matière pénale ou d'autres documents en rapport avec une procédure pénale, les personnes qui doivent faire l'objet d'une demande de se présenter pour subir une peine privative de liberté, ainsi que les témoins.
Il ressort encore du rapport de police établi à l'occasion de votre entretien avec le Service de Police Judiciaire lors de l'introduction de votre demande de protection internationale que vous êtes connu des autorités policières luxembourgeoises pour avoir fugué à plusieurs reprises du foyer ainsi que pour vol aggravé et plusieurs bagarres. Vous vous êtes également fait remarquer en Belgique pour ivresse sur la voie publique en date du 5 août 2023.
2. Quant aux motifs de fuite invoqués à la base de votre demande de protection internationale Vous déclarez vous nommer Monsieur …, être né le … à …/Tunisie, être de nationalité tunisienne. Vous seriez d'ethnie Arabe et de confession musulmane. En Tunisie, vous auriez vécu avec vos parents et votre fratrie et y auriez fréquenté l'école pendant quatre années. Vous auriez arrêté l'école et commencé une formation de forgeron « mais j'ai trouvé que c'était difficile » (entretien page 7). Avant de quitter la Tunisie en octobre 2022, vous auriez vécu à Madhia pendant deux ou trois mois. Vous seriez parti à Madhia parce que ce serait « très loin » de chez vous. Vous y auriez travaillé un peu pendant deux à trois mois dans des champs d'oliviers et d'orangers en attendant un passeur et pour rassembler l'argent nécessaire pour quitter la Tunisie.
Vous notez sur la fiche manuscrite remplie le jour de l'introduction de votre demande de protection internationale avoir quitté la Tunisie parce que vous seriez menacé de mort par une personne que vous auriez vu deux fois par semaine dans la mosquée. Or, lorsque vous auriez arrêté de faire la prière, cette personne serait venue vers vous et vous aurait dit « de retourner à ma prière ou il me tuerait » et que vous devriez aller avec lui « et moi, j'ai fui ».
Lors de votre entretien avec le Service de Police Judiciaire, vous affirmez avoir introduit une demande de protection internationale alors que vous auriez été menacé par un homme que vous auriez vu deux fois par semaine. Lorsqu'il aurait vu que vous auriez des 3tatouages et arrêté la prière, « il voulait m'acheter » (entretien police page 2). Il vous aurait proposé de l'argent « pour que j'aille avec lui » mais vous auriez refusé. Vous rajoutez encore que des hommes comme lui « prennent des jeunes pour les emmener au Daesh » (entretien police page 2).
Lors de votre entretien sur les motifs sous-tendant votre demande, mené en date du 7 mars 2024, vous affirmez alors avoir quitté la Tunisie parce que vous auriez toujours fait la prière à la mosquée dans le gouvernorat de Ben Arous. Il y aurait eu « des hommes qui venaient et qui me donnaient de l'argent » (entretien page 4). Ces hommes vous auraient abordé une à deux fois par semaine « pendant deux mois … je sais pas … peut-être trois » (entretien page 6).
A un moment, ils vous auraient demandé de les accompagner en Syrie, de sorte que vous auriez eu peur. Vous auriez arrêté la prière « et je me suis fait tatouer ». Ces hommes auraient alors commencé à vous menacer et à vous demander de retourner à la prière, de sorte que vous seriez parti à Madhia pour clandestinement venir en Europe. En cas de retour en Tunisie, vous craindriez « qu'ils me tuent … je ne sais pas … quelque chose comme ça » (entretien page 5).
Convié à expliquer de qui vous parlez concrètement, vous estimez que ce serait un groupe de personnes qui seraient souvent venues à la mosquée où vous auriez fait la prière, mais qui ne seraient pas spécialement venues pour vous. Invité à clarifier pourquoi ces personnes vous tueraient en cas de retour en Tunisie, vous ne répondez pas à la question vous posée, l'agent ministériel notant dans le rapport d'entretien « Silence », puis vous estimez que « l'argent que j'ai utilisé était le leur » (entretien page 5). Ces hommes vous auraient donné cet argent en mars 2022 et auraient tenté de vous séduire. « J'ai accepté cet argent, et je suis parti avec » (entretien page 5).
A nouveau invité à clarifier qui seraient ces personnes qui vous auraient abordé, vous affirmez « je ne les connais pas » (entretien page 5). Vous estimez qu'ils tenteraient de séduire les gens avec l'argent « pour les emmener faire le Djihad », c'est-à-dire « porter des armes, tuer » (entretien page 5).
Vous évoquez encore par la suite que ces hommes vous auraient soumis à un lavage de cerveau. Sur question afférente de savoir de quoi vous parlez au juste, vous estimez « ils s'installent à côté de vous, et vous parlent de choses religieuses » (entretien page 6). Invité à préciser de quoi exactement on vous aurait parlé, vous affirmez « du Coran, de la religion.
Comme quoi je mourrais pour une cause divine » (entretien page 6).
Convié à expliquer ce que vous entendriez par « ils ont commencé à venir me menacer » (entretien page 6), vous estimez que lorsque vous auriez arrêté la prière, ces hommes vous auraient demandé pourquoi vous auriez arrêté la prière et les raisons pour lesquelles vous vous seriez fait tatouer « et ça c'est haram » (entretien page 6). Vous vous seriez fait tatouer dans le but que ces hommes s'éloigneraient de vous.
Vous n'auriez pas cherché une protection auprès des autorités tunisiennes alors que les autorités ne feraient rien. Vous n'auriez parlé à personne de votre famille de ces faits alors que vous n'auriez pas voulu les effrayer. Vous n'auriez en outre pas simplement arrêté de fréquenter cette mosquée au motif que vous auriez eu « peur des propos qu'ils m'ont sorti[s] » (entretien page 6).
Vous ne vous seriez pas non plus installé dans une autre région de votre pays d'origine alors que « la Tunisie est petite » (entretien page 8). Confronté au constat que vous seriez 4néanmoins parti vivre à Madhia pendant quelques mois, vous estimez avoir craint que ces personnes ne vous retrouvent. Vous auriez par ailleurs choisi de ne pas continuer votre vie dans cette ville alors que vous y auriez attendu de rassembler l'argent pour quitter la Tunisie.
Vous auriez pris la décision de quitter la Tunisie lorsque ces personnes auraient commencé à vous menacer en « octobre 2022 … euh non mars 2022 » (entretien page 8).
Vous auriez quitté la Tunisie depuis Madhia pour l'Italie par voie maritime avec d'autres migrants. La Croix Rouge vous aurait secourus à quelques kilomètres de Lampedusa et vous auriez été ramenés à Reggio Calabria/Sicile. Après un séjour de deux semaines en Italie, vous auriez pris le train pour Bâle/Suisse où vous auriez pris le TGV pour Paris. Vous y seriez resté pendant une semaine « chez un Tunisien qui habite là-bas » (entretien page 3) dont vous auriez fait connaissance à la Gare du Nord à Paris. Puis, vous seriez venu au Luxembourg en passant par Strasbourg et Metz.
Vous déclarez avoir introduit une demande de protection internationale en Italie, mais que vous n'y seriez pas resté alors que vous auriez été placé dans une salle de sport avec « 80 Africains » (entretien page 4). Vous n'auriez pas pu manger « car ils arrachaient la nourriture » (entretien page 4). Lorsque vous auriez dormi, « ils venaient nous allumer le briquet sous nos pieds. Donc, j'ai fui » (entretien page 4).
Sur question afférente de l'agent en charge de votre entretien de savoir pourquoi vous n'auriez pas introduit une demande de protection internationale en Suisse, vous estimez « j'ai donné mes empreintes … mais j'ai oublié l'endroit. Ils nous ont placé dans un foyer de personnes malades avec des problèmes cutanés » (entretien page 4).
Lorsque l'agent ministériel vous rend attentif au fait que votre dossier administratif ne contient aucune information par rapport à vos dires précédents, vous estimez avoir reçu un récépissé en Suisse « mais je l'ai perdu » (entretien page 4).
Vous affirmez en outre ne pas avoir introduit de demande de protection internationale en France au motif qu' « un Algérien que j'ai connu en Suisse » (entretien page 4) vous aurait fait part de sa volonté de venir au Luxembourg de sorte que vous auriez décidé de faire pareil.
Sinon, rien ne vous aurait empêché d'introduire une demande de protection internationale en France. Vous seriez venu au Luxembourg car « c'est bien le Luxembourg, j'ai aimé. Il y a la protection ici… » (entretien page 4).
Questionné par rapport à votre comportement au Luxembourg, notamment que vous êtes connu pour vol aggravé, vous estimez « Vol, jamais ! Je ne vole pas moi, je n'ai jamais volé » (entretien page 7). Par rapport à votre implication dans des bagarres, vous estimez être « nouveau dans ce pays » et que plusieurs personnes auraient « cherché la bagarre » (entretien page 7), mais que cela serait fini depuis longtemps. Vous auriez eu beaucoup de fréquentations « du genre drogue, des histoires comme ça » (entretien page 7).
Confronté aux informations obtenues par les autorités italiennes concernant votre comportement en Italie, vous déclarez vous être bagarré avec « des Africains » en Italie et vous auriez « aussi volé de la nourriture dans un magasin » (entretien page 7).
A l'appui de votre demande, vous ne soumettez aucun document ou pièce d'identité.
Lors de votre première entrevue avec les autorités en date du 5 décembre 2022, vous avez 5affirmé vouloir contacter votre famille pour que celle-ci vous fasse parvenir votre acte de naissance. Vous déclarez lors de votre entretien mené avec l'agent ministériel en date du 7 mars 2024 ne pas avoir contacté votre famille « je n'ai rien fait » (entretien page 2). Vous auriez appelé votre frère, mais votre famille serait occupée avec votre père qui serait « un peu malade » (entretien page 2).
Lors de la relecture de votre entretien en date du 7 mars 2024, votre mandataire remet encore les documents suivants :
− Une copie d'une ordonnance médicale du 15 mars 2023 établie par le Groupe Urgence … aux termes de laquelle vous vous êtes présenté aux urgences alors que vous vous seriez « fait agresser au couteau après menaces avec un pistolet par une personne syrienne » vers 19h30 à Hamilius ;
− une copie (incomplète) d'un rapport médical du Service Chirurgie du … établi en date du 15 mai 2023 aux termes duquel vous avez été hospitalisé du 14 au 15 mai 2023 suite à une blessure à arme blanche au niveau du coude gauche, résultat d'une « rixe sous forte imprégnation éthylique ». Il ressort du même rapport médical que vous étiez « peu coopérant, très agité, ivre » ;
− Une copie d'une attestation manuscrite établie le 6 mars 2024 par un psychologue de la Fondation …. aux termes duquel vous seriez en consultation psychologique depuis le 14 février 2024.
3. Quant à l'application de la procédure accélérée Je tiens tout d'abord à vous informer que conformément à l'article 27 de la Loi de 2015, il est statué sur le bien-fondé de votre demande de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée alors qu'il apparaît que vous tombez sous un des cas prévus au paragraphe (1), à savoir :
a) « le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n'a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; » Tel qu'il ressort de l'analyse de votre demande de protection internationale ci-dessous développée, il s'avère que le point a) de l'article 27(1) se trouve être d'application pour les raisons étayées ci-après.
4.
Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.
• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.
6Aux termes de l'article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifiée de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».
L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée. Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu'une d'elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Monsieur, il échet de relever en premier lieu que vos déclarations concernant les menaces proférées par des personnes non autrement identifiées dans une mosquée et qui auraient voulu vous recruter pour Daesh en mars 2022 doivent être remises en doute pour manquer de crédibilité.
Ce constat s'impose en premier lieu alors qu'il ressort du rapport de police établi lors d'un contrôle d'identité effectué en date du 13 mars 2023 que vous seriez venu au Luxembourg « weil es ein gutes Land ist und ich studieren will ». Il peut donc être légitimement admis que votre récit présenté plusieurs mois plus tard lors de l'introduction de votre demande de protection internationale en août 2023 ne constitue qu'une tentative de votre part de vous créer une histoire qui pourrait augmenter, selon vos estimations, vos chances de vous installer en Europe à travers l'introduction d'une demande de protection internationale. Il doit en effet pouvoir être admis, d'une part, qu'une personne reste sincère dans ses propos effectués devant les autorités publiques, d'autre part, qu'elle reste constante dans ses propos, ce qui manifestement n'est pas le cas dans votre chef.
Le constat que vos déclarations par rapport à vos motifs de fuite allégués ne sont pas sincères ressort ensuite du constat que vous notez sur votre fiche des motifs manuscrite qu'un homme, que vous auriez rencontré à la mosquée deux fois par semaine, vous aurait menacé de mort alors que vous auriez arrêté de faire la prière. Ensuite, lors de votre entretien avec le Service de Police Judiciaire, vous affirmez alors que cet homme aurait tenté de vous « acheter » lorsqu'il aurait vu que vous auriez arrêté de faire la prière et que vous seriez tatoué. Il vous aurait proposé de l'argent pour que vous alliez avec lui, mais « je ne voulais pas ». Vous déclarez encore que « des hommes comme lui prennent » des jeunes pour les emmener au Daesh.
Il en ressort que vos déclarations notées sur votre fiche des motifs manuscrite et celles faites auprès de la police ne coïncident pas. En effet, vous déclarez d'abord que cet homme vous aurait menacé de mort lorsqu'il aurait vu que vous auriez arrêté de faire la prière et que vous vous seriez enfui par la suite, pour ensuite changer de version en affirmant que cet homme aurait tenté de vous séduire avec de l'argent pour que vous alliez avec lui à la mosquée. Vous n'invoquez par ailleurs nullement au départ un problème quelconque en relation avec Daesh 7sur votre fiche des motifs, cette déclaration simplement ajoutée lors de votre entretien avec la police devant être considérée comme simplement rajoutée à votre récit aux fins d'augmenter vos chances d'obtenir, selon vos estimations, une protection internationale.
Les doutes par rapport à votre crédibilité se confirment encore à la lecture de votre entretien mené avec l'agent ministériel en mars 2024, soit plus d'une demi-année après l'introduction de votre demande. En effet, vous faites référence maintenant à plusieurs hommes qui vous auraient donné de l'argent - que vous auriez d'ailleurs accepté de prendre - et que vous auriez arrêté la prière et fait un tatouage lorsque ces personnes auraient tenté de vous séduire de les accompagner en Syrie. Or, ces déclarations sont encore contradictoires par rapport à vos versions précédentes alors que vous avez clairement fait référence au départ à une seule personne pour par la suite parler d'un groupe de personnes. Ensuite, vous estimez que vous auriez accepté leur argent, mais que vous auriez arrêté de faire la prière lorsque ces personnes vous auraient proposé d'aller avec eux en Syrie, alors qu'auparavant vous aviez affirmé, d'une part, ne pas avoir accepté l'argent qu'un homme vous aurait proposé, d'autre part, il ne vous aurait proposé cet argent seulement suite à ce que vous auriez arrêté la prière.
Vous n'avez par ailleurs au départ pas déclaré avoir personnellement été abordé par cet homme pour aller en Syrie, mais vous aviez simplement évoqué de manière tout à fait lapidaire que « des hommes comme lui » recruteraient des jeunes pour Daesh.
Or, il peut être légitimement attendu d'une personne, à la recherche d'une protection internationale, qu'elle ne change pas de versions en cours de route, mais se tienne à une seule versions des motifs qui l'auraient poussé à quitter son pays d'origine.
Ceci dit, il peut encore être relevé qu'il ressort de la lecture de votre entretien que vous faites état de déclarations tout à fait superficielles sans consistance et précisions. Or, une personne ayant fui son pays d'origine à la recherche d'une protection parce que sa vie serait en danger est à même de faire état d'un récit clair et précis, ce qui n'est manifestement pas le cas dans votre chef. Vous faites en effet état de déclarations totalement peu cohérentes et sans détail par rapport à des éléments clés de votre récit, tel, notamment, que vous auriez arrêté de faire la prière et que par la suite, ces hommes vous auraient menacé dans la mosquée de sorte que vous auriez quitté le pays. Il est en effet tout à fait inintelligible pourquoi, si vous deviez avoir arrêté de faire la prière, vous auriez rencontré ces personnes dans la mosquée, lieu de la prière. Ensuite, votre réponse à la question vous posée dans ce contexte par l'agent en charge de votre entretien, à savoir pourquoi vous n'auriez pas simplement arrêté de fréquenter la mosquée, ne convainc évidemment pas, alors que vous ne répondez en fait pas à la question vous posée en affirmant « j'avais peur des propos qu'ils m'ont sorti[s] » (entretien page 6), sachant qu'il ne ressort en outre nullement de votre entretien quels auraient été ces propos.
Ensuite, et hormis le constat que vous vous êtes déjà embrouillé dans vos propres contradictions faites sur la fiche des motifs, lors de votre entretien avec la police et lors de votre entretien au fond, il échet de relever que vos déclarations par rapport à cet argent que vous auriez reçu de ces hommes ne coïncident pas non plus. En effet, vous déclarez au départ craindre d'être tué par ces hommes parce que vous auriez quitté la Tunisie à l'aide de cet argent, pour ensuite affirmer avoir vécu et travaillé pendant quelques mois à Madhia en attendant un passeur et pour rassembler l'argent pour quitter la Tunisie, déclarations manifestement contradictoires.
Il se doit ensuite d'être relevé que vous ne vous tenez également pas à la vérité en ce qui concerne votre parcours dès votre arrivée en Europe. En effet, vous affirmez avoir introduit 8une demande de protection internationale en Italie mais que vous n'y seriez pas resté alors que vous auriez eu des problèmes avec des ressortissants africains. Or, il ressort clairement des éléments de votre dossier que vous n'avez pas introduit une demande de protection internationale en Italie. Vous semblez en outre tenter de vous faire passer comme victime de problèmes avec d'autres migrants avec lesquels vous auriez été logé, alors qu'il ressort néanmoins clairement des informations obtenues par les autorités italiennes que vous y êtes fiché comme dangereux et connu pour avoir commis une infraction en date du 22 novembre 2022, soit à peine deux semaines après votre arrivée en Europe, et que vous avez eu des problèmes avec la justice italienne. Vous n'avez donc manifestement pas fui l'Italie, tel que vous voulez le faire croire, en raison de problèmes dans un foyer, mais parce que vous vous êtes soustrait aux autorités italiennes, constat confirmé par le fait que vous faites l'objet d'un signalement par les autorités italiennes dans la base de données SIS depuis le 26 novembre 2022 pour être recherché dans le cadre de poursuites judiciaires.
Ce même constat vaut pour vos affirmations selon lesquelles vous n'auriez pas pu rester en Suisse, Etat où vous prétendez « avoir donné mes empreintes … mais j'ai oublié l'endroit » (entretien page 4) et que vous auriez été placé dans un foyer avec des personnes qui auraient eu des problèmes cutanés. En effet, si jamais vous deviez avoir fait l'objet d'un prélèvement d'empreintes en Suisse, une telle information ressortirait des recherches effectuées dans les bases de données Eurodac et/ou SIS, de sorte que vos déclarations dans ce contexte ne sont nullement crédibles. Par ailleurs, vous êtes clair pour affirmer lors de votre entretien avec la police de ne pas avoir introduit une demande de protection internationale, ni en Italie, ni en Suisse, ni ailleurs, et que vous aviez seulement fait l'objet d'un prélèvement de vos empreintes après votre arrivée irrégulière en Italie. Vos tentatives de laisser croire que vous auriez été obligé de quitter l'Italie ou la Suisse parce que vous n'y auriez pas bien été traité en tant prétendu demandeur de protection internationale est en outre clairement contredite par vos propres affirmations alors que vous n'aviez jamais eu l'idée de demander une protection dans un des Etats dans lesquels vous avez séjourné car vous affirmez vous-même « à peine arrivé en Italie, j'ai été conseillé par un homme de venir au Luxembourg » (rapport d'entretien police), de sorte que vous aviez dès votre arrivée en Europe en tête de venir au Luxembourg.
Or, une personne dont la vie est en danger introduit une demande de protection internationale dès son arrivée sur le territoire d'un Etat sûr et ne choisit pas l'Etat dans lequel elle estime pouvoir s'installer. Vous, par contre, n'avez, contrairement à vos dires, pas introduit une demande de protection internationale, ni en Italie, ni en Suisse, ni en France, votre choix de venir au Luxembourg ne faisant que confirmer le constat que l'introduction d'une demande de protection internationale est guidée par des motifs de pure convenance personnelle et non pas par des motifs ayant trait à l'existence d'une menace contre vie ou votre intégrité physique.
Ceci dit, et de manière générale, votre comportement ne correspond nullement à celui d'une personne à la recherche d'une protection en Europe parce que sa vie serait en danger dans son pays d'origine. En effet, hormis l'ensemble des considérations ci-dessus, il doit être relevé que vous mettez à jour un comportement délictueux tel que cela ressort clairement des éléments de votre dossier administratif et que vous ne semblez donc nullement vous tenir aux règles de comportement élémentaires dans les pays d'accueil. Par ailleurs, il est flagrant que vous tentez encore lors de votre entretien avec l'agent ministériel de nier les informations contenues dans le rapport de police par rapport à vos antécédents sur le territoire luxembourgeois aux termes duquel vous êtes connu, notamment pour vol aggravé et bagarres, en vous exclamant « Vol, jamais ! Je ne vole pas moi, je n'ai jamais volé ! » (entretien page 7), de sorte que vous n'hésitez manifestement pas de mentir aux autorités desquelles vous estimez 9devoir obtenir un titre de séjour, ce d'autant plus qu'il ressort également de vos propres déclarations que « j'ai aussi volé de la nourriture dans un magasin » (entretien page 7). Il en va de même de votre tentative de justifier avoir été mêlé dans des bagarres alors que vous affirmez être « nouveau dans ce pays, et plusieurs personnes viennent chercher la bagarre » (entretien page 7). En effet, d'une part, une personne nouvellement arrivée dans un pays normalement n'est pas mêlée dans des bagarres, ni même dans des rixes à l'arme blanche, ni même en état de forte ébriété et surtout ne se fait pas détenir dans la section fermée d'un centre sociaux-éducatif. D'autre part, une telle personne se tient également aux règles de conduite prescrites par son foyer d'accueil et ne justifie pas ses fugues par le fait d'avoir eu « beaucoup de mauvaises fréquentations, du genre drogue, des histoires comme ça » (entretien page 7).
Enfin, il peut encore être relevé que vous laissez également de rapporter la moindre de preuve de votre identité et que votre comportement dans ce contexte peut être considéré comme un refus de collaboration dans l'établissement de votre identité. En effet, il ressort de vos déclarations faites lors de votre première entrevue avec les autorités en date du 5 décembre 2022 que vous n'auriez pas de documents d'identité, mais que vous contacteriez votre famille aux fins de vous envoyer un acte de naissance. En mars 2024, vous n'avez toujours pas versé un document établissant votre identité sans excuse valable. En effet vous affirmez simplement ne rien avoir entrepris dans ce contexte, sinon que vous auriez appelé votre frère mais que votre famille serait occupée avec votre père qui serait « un peu malade » (entretien page 2).
Or, telle affirmation ne justifie manifestement pas votre totale inaction dans ce contexte et conforte le doute que vous refusez de collaborer dans l'établissement de votre identité. Dans la mesure où il ressort encore du rapport de police établi en date du 13 mars 2023 que vous aviez déclaré que vos documents d'identité se trouveraient dans votre foyer d'hébergement, il peut en outre être admis que, soit vous mentez aux autorités policières, soit vous êtes en possession de vos documents d'identité mais refuser de les remettre dans le cadre de votre demande de protection internationale.
Or, en tant que demandeur de protection internationale vous avez la charge de la preuve de votre identité et, de manière générale, de vos dires par rapport aux motifs évoqués à l'appui de votre demande. Il ressort néanmoins de votre dossier que vous ne remettez aucune preuve, ni par rapport à votre identité, ni par rapport à vos déclarations avancées à l'appui de votre demande. Vous ne vous êtes en outre manifestement pas efforcé de faire état d'un récit cohérent et précis et il ressort clairement des considérations ci-dessus que votre crédibilité générale doit être mise en cause.
L'ensemble des conclusions ci-dessus permettent dès lors de retenir que votre comportement ne correspond nullement à celui d'une personne à la recherche d'une protection internationale. Ce constat, combiné au multiples contradictions et incohérences constatées par rapport à vos déclarations en lien avec vos motifs de fuite allégués, permet de retenir que vous n'avez manifestement pas quitté la Tunisie alors que votre vie y aurait été menacée d'une manière ou d'une autre, mais pour des considérations de pure convenance personnelle, notamment économiques, cherchant à vous installer en Europe en abusant des procédures prévues en matière d'asile.
Quoiqu'il en soit, et même à accorder un brin de crédibilité à vos dires, quod non, ces derniers ne sauraient pas non plus justifier l'octroi dans votre chef du statut de réfugié.
En effet, il échet de relever que les problèmes que vous auriez eus avec des hommes non autrement identifiés et la crainte qu'en cas de retour, « ils me tuent … je ne sais pas … 10quelque chose comme ça » (entretien page 5) parce que vous auriez quitté la Tunisie avec l'argent que ces personnes vous auraient donné, sont sans pertinence au regard de l'examen visant à déterminer si vous remplissiez les conditions pour prétendre au statut de réfugié alors que vous n'avez manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles de nature à établir dans votre chef l'existence d'une crainte justifiée de persécution.
Hormis le constat que vos problèmes allégués ne sont nullement empreints d'un des motifs de fond énumérés par la Convention de Genève, il échet de relever que rien ne vous est arrivé de sorte que les faits que vous évoquez ne sauraient être qualifiés de persécutions pour manquer de toute gravité. De surcroît, votre crainte d'être tué parce que vous auriez quitté la Tunisie avec l'argent que ces personnes vous auraient donné, se résume à une crainte purement hypothétique, et partant non fondée.
Par ailleurs, les problèmes que vous auriez eus ou craindriez avoir avec ces personnes s'inscrivent dans un cadre purement privé alors que ces hommes non autrement identifiés que vous auriez rencontrés à la mosquée et qui vous auraient menacé n'ont aucun lien avec l'Etat tunisien. Or, des actes commis par des personnes privées ne peuvent justifier l'octroi du statut de réfugié uniquement dans le cas où les autorités en place seraient dans l'incapacité ou refuseraient de vous apporter leur aide si vous deviez en avoir besoin. Il ressort dans ce contexte de vos déclarations que vous ne vous seriez pas adressé aux autorités tunisiennes, notamment policières, ni à une autre autorité pour dénoncer vos craintes en lien avec ces hommes au motif que les autorités ne feraient rien, affirmation ne justifiant évidemment pas votre inaction dans ce contexte.
En tout cas, vous ne pouvez reprocher aux autorités tunisiennes un défaut de protection si vous n'avez jamais porté à leur connaissance vos craintes en lien avec les problèmes que vous auriez eus dans votre pays d'origine et il vous aurait appartenu de vous adresser aux autorités policières et de porter plainte contre ces hommes. Partant, si jamais vous deviez à nouveau, après votre retour en Tunisie, être inquiété d'une manière ou d'une autre par ces hommes, il vous appartiendrait de vous adresser aux autorités tunisiennes et de requérir une protection, notamment en déposant plainte en bonne et due forme. Ensuite, et si vous deviez estimer que vos doléances ne seraient pas traitées avec le sérieux nécessaire, vous auriez toujours la possibilité de vous adresser à une instance supérieure, sinon au médiateur administratif tunisien.
Au vu des considérations ci-dessus, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.
• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.
L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les 11auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.
L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Au vu des considérations qui précèdent, il y a encore lieu de retenir qu'il n'existe manifestement pas davantage d'éléments susceptibles d'établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu'il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que vous courriez, en cas de retour en Tunisie, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 de la loi de 2015. En effet, vous omettez d'établir qu'en cas de retour en Tunisie, vous risqueriez la peine de mort ou l'exécution, sinon des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, étant encore précisé, tel que relevé ci-dessus, que vous avez la possibilité de requérir la protection des autorités de votre pays d'origine en cas de besoin. Enfin, vous restez également en défaut d'établir qu'il existerait dans votre chef un risque réel d'être la victime de menaces graves et individuelles contre votre vie ou votre personne en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Au vu des conclusions ci-dessus, le statut conféré par la protection subsidiaire ne saurait pas vous être accordé.
Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.
Suivant les dispositions de l'article 34(2) de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la Tunisie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 avril 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation (i) de la décision du ministre du 15 avril 2024 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, ainsi que (ii) de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et (iii) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Etant donné que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, le soussigné est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 15 avril 2024, telles que déférées.
Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.
12 Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui des trois volets de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en insistant sur le fait qu’il n’aurait pas fui son pays d’origine et quitté sa famille, ni risqué sa vie en mer méditerranée pour rejoindre le continent européen, s’il n’avait pas eu une réelle crainte de « ces personnes ».
Il considère que, contrairement aux affirmations du ministre, il n’aurait pas commis de crimes en Italie. A ce titre, il explique qu’il aurait volé de la nourriture dans un magasin par pure nécessité, étant donné qu’il aurait été affamé et que des hommes lui « [auraient arraché] sa nourriture ». Il expose ensuite qu’il aurait « fait l’aveu de bagarres avec des africains », alors que « les coups échangés n’a[uraient eu] vocation qu’à se défendre ».
Il ajoute qu’à son arrivée au Luxembourg, notamment après avoir « traversé » la Suisse et la France, il aurait semblé totalement perdu et agité en raison de son vécu et de son parcours.
Dans ce contexte, il explique qu’il aurait été hospitalisé à plusieurs reprises en psychiatrie juvénile et qu’il aurait fait plusieurs tentatives de suicide, tout en se référant à une attestation du « Centre de consultation Mandala » du 6 mars 2024. Il explique ensuite qu’au Luxembourg, il aurait été victime de deux agressions graves à l’arme blanche, en date des 15 mars et 14 mai 2023.
Il en conclut que le ministre aurait à tort rejeté sa demande de protection internationale.
En droit, le demandeur considère que le ministre aurait à tort appliqué la procédure accélérée au sens de l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015 en estimant que ses déclarations ne soulèveraient que des faits sans pertinence et qu’il ne remplirait pas les conditions pour prétendre au statut de réfugié. Dans ce contexte, il fait valoir qu’il n’aurait pas bénéficié d’une analyse de sa demande de protection internationale conformément à la loi du 18 décembre 2015 et à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après dénommée « la Convention de Genève », alors que ses déclarations auraient mérité une analyse et un examen concrets des faits à la base de sa demande de protection internationale.
Il soutient qu’il aurait bien fait état d’une crainte réelle de persécution, de menaces, sinon d’attentat à sa vie dans son pays d’origine, alors qu’il se dégagerait de ses déclarations que sa vie serait en danger en Tunisie, pays qui serait « sans justice » et « sans avenir pour lui », en raison de ses « antécédents avec les religieux qui [auraient insisté] pour qu’il se rende en Syrie pour faire la guerre sainte ». Le demandeur souligne que « ce comportement et ces déclarations » pourraient lui valoir des problèmes à son retour dans son pays d’origine, tout en relevant que ces faits graves de menaces et d’insistance à faire la guerre en Syrie « entre[raient] dans le cadre d’une demande en protection internationale ».
Il considère que le ministre aurait abusé de sa faculté d’user de la procédure accélérée prévue par l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015 pour statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale et conclut que la décision déférée serait à réformer pour défaut de motivation, excès de pouvoir, abus de pouvoir ou irrégularité formelle.
Quant au recours dirigé contre la décision du ministre portant rejet de sa demande de protection internationale, le demandeur invoque, en substance, la même argumentation que 13celle développée à l’appui du recours dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée.
Il insiste sur le fait que la situation humanitaire, et plus particulièrement son refus d’adhérer aux idées d’un groupe religieux établi en Tunisie et prônant la guerre sainte en Syrie « sans respecter son opinion », constitueraient des motifs réels, actuels et concrets qui justifieraient l’octroi d’une protection internationale.
Il souligne que les évènements relatés seraient intervenus alors qu’il aurait été mineur d’âge et soutient que ses déclarations n’auraient pas été prises en compte par le ministre qui aurait pris une décision dépourvue de toute motivation et qui violerait son droit à un examen effectif de sa demande de protection internationale. Il rappelle qu’il aurait dû fuir la Tunisie par peur d’être obligé par le susdit groupe religieux à prendre les armes pour combattre en Syrie, alors que « ces derniers » ne l’auraient pas laissé tranquille, de sorte qu’il n'aurait aucun avenir dans son pays d’origine en raison de ses idées et opinions contraires à celles des religieux tunisiens qui auraient voulu le recruter pour « faire le « Djihad » en Syrie ».
Il considère que les « arguments et motifs » mis en avant par le ministre dans sa décision ne seraient pas pertinents et ne pourraient pas valablement « en constituer la motivation », de sorte que la décision déférée devrait être réformée pour violation de la loi, abus de droit, sinon erreur manifeste d’appréciation des faits.
Il reproche encore à l’autorité administrative de s’être livrée à une appréciation erronée et superficielle des faits de l’espèce et soutient que ce serait à tort que celle-ci serait arrivée à la conclusion, dans le cadre d’une procédure accélérée, que les faits invoqués par lui ne justifieraient pas l’octroi d’un statut de protection internationale.
Il ajoute que son retour en Tunisie l’exposerait à des traitements inhumains dès son arrivée dans son pays d’origine.
En conclusion, il soutient qu’il prétendrait à juste titre à l’octroi du statut de réfugié, sinon de la protection subsidiaire et que la décision déférée devrait encourir la réformation en ce sens.
Finalement, le demandeur sollicite la réformation de la décision portant ordre de quitter le territoire, au motif, d’un côté, qu’il aurait invoqué des motifs sérieux et suffisants de crainte de persécution et, de l’autre côté, qu’eu égard au principe de précaution, il serait en tout état de cause préférable de ne pas reconduire une personne vers un pays où il y aurait lieu de craindre qu’elle courrait un risque réel de subir des atteintes graves à sa vie au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, pris en son triple volet.
Il ressort de l’alinéa 2 de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.
Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer », qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le 14recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient au soussigné de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
Il convient de prime abord de relever que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.
Le recours est à qualifier de manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués s’impose de manière évidente, en d’autres termes, si les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement.
Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que la conclusion selon laquelle le recours ne serait pas manifestement infondé n’implique pas pour autant qu’il soit nécessairement fondé. En effet, dans une telle hypothèse, aux termes de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, seul un renvoi du recours devant une composition collégiale du tribunal administratif sera réalisé pour qu’il soit statué sur le fond dudit recours.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée S’agissant en premier lieu du recours dirigé contre la décision ministérielle de statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée, le soussigné retient que l’affirmation non autrement étayée du demandeur selon laquelle il n’aurait pas bénéficié d’une analyse de sa demande de protection internationale conformément à la loi du 18 décembre 2015 et à la Convention de Genève est à écarter, étant donné qu’il ne lui appartient pas de suppléer à la carence du demandeur et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions.
Pour les mêmes motifs, cette conclusion s’impose également en ce qui concerne les moyens tirés d’un défaut de motivation, respectivement d’une irrégularité formelle, le demandeur étant resté en défaut de préciser dans quelle mesure la décision déférée ne serait pas suffisamment motivée et de quelle irrégularité formelle elle serait entachée.
Quant au fond, le soussigné relève que la décision ministérielle déférée a été prise sur base des dispositions du point a) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; […] ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre 15peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande.
Afin d’analyser si le demandeur n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, il y a d’abord lieu de relever qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
Par ailleurs, aux termes de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a) ».
Aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves ».
Finalement, l’article 40 de la même loi dispose que : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou 16b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière ».
Il suit de ces dispositions légales que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, il convient de souligner qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi 18 décembre 2015 est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine, ou encore des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48, précité, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que 17les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. L’article 2 g), précité, définit également la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 ». Cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les persécutions ou les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas.
Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.
Par ailleurs, il y a lieu de préciser que la condition commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire relève de l’absence de protection dans le pays d’origine au sens des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015 et que le demandeur doit fournir à cet égard la preuve que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou disposées à lui fournir une protection suffisante, puisque chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale.
En l’espèce, le soussigné constate qu’à l’appui de sa demande de protection internationale, Monsieur … a expliqué lors de son audition par un agent du ministère d’une part, qu’un « groupe de personnes »1 serait souvent venu à la mosquée dans laquelle il aurait fait la prière et que « ces personnes essa[ieraient] de séduire les gens, les attirer par l’argent […] [p]our les emmener faire le Djihad »2 et, d’autre part, qu’il craindrait d’être tué ou « quelque chose comme ça » en cas de retour dans son pays d’origine, étant donné qu’il aurait utilisé l’argent de ces personnes pour quitter la Tunisie, à savoir la somme de 2.500 dinars, alors que cet argent lui aurait été confié pour « [s]’acheter des vêtements pour la prière. » 3.
1 Page 5 du rapport d’entretien du 7 mars 2024 :
« De qui parlez-vous au juste ? C’est un groupe de personnes qui venaient souvent à la mosquée, où je faisais ma prière et qui abordaient les gens. ».
2 Page 5 du rapport d’entretien du 7 mars 2024 :
« Pouvez-vous me les décrire ? Que savez-vous de ces personnes ? Je sais pas…c’est des personnes qui parlent doucement, qui essaient de séduire les gens, les attirer par l’argent.
Dans quel but ? Pour les emmener faire le Djihad. ».
3 Page 5 du rapport d’entretien du 7 mars 2024 :
18 A cet égard, le soussigné relève de prime abord qu’il ne se dégage manifestement ni des pièces du demandeur, ni des autres éléments de la cause que le « groupe de personnes » évoqué par ce dernier aurait un lien avec l’Etat tunisien.
Par conséquent, les individus en question doivent être considérés comme étant des personnes privées, de sorte que le demandeur doit rapporter la preuve que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou ne sont pas disposées à lui fournir une protection contre les menaces proférées par lesdites personnes.
Le soussigné précise dans ce contexte qu’une protection n’est suffisante que si les autorités étatiques ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée. Cela inclut la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions, sans cependant que cette exigence n’impose pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux, la notion de protection de la part du pays d’origine n’impliquant en effet pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais supposant des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion4. Une persécution ou des atteintes graves ne sauraient être admises dès la commission matérielle d’un acte criminel mais seulement dans l’hypothèse où les actes de violence physique ou verbale commis par une personne seraient encouragés ou tolérés par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.
Il appartient, dès lors, au soussigné d’apprécier si le système policier et judiciaire tunisien satisfait à ces exigences.
A cet égard, le soussigné constate que lors de son entretien du 7 mars 2024, le demandeur a admis ne pas avoir déposé une plainte ni recherché autrement une protection auprès des autorités tunisiennes, en expliquant que « l’autorité ne f[erait] rien ».
« Que craignez-vous concrètement en cas de retour dans votre pays d’origine ? Qu’ils me tuent…je ne sais pas…quelque chose comme ça. […] Et pour quelles raisons ces individus vous tueraient-il en cas de retour en Tunisie ? Silence. L’argent que j’ai utilisé clandestinement était le leur. […] Où voulez-vous en venir Monsieur ? Quel est la chute de votre propos ? Parce que c’est leur argent que j’ai utilisé pour quitter la Tunisie.
Quelle est ce argent dont vous parlez ? C’est l’argent qu’ils me donnaient pour m’acheter des vêtements pour la prière. […] Combien d’argent est-ce que ces personnes vous ont donné ? Je sais pas…à peu près 2.500 dinars. ».
4 Trib. adm., 13 juillet 2009, n° 25558 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 157 et les autres références y citées.
19Si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection, s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection. En effet, il faut en toute hypothèse que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut5. Or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de menaces, communément la forme d’une plainte.
En l’espèce, le demandeur est resté en défaut de fournir des motifs valables pour justifier son inaction.
Son affirmation selon laquelle les autorités tunisiennes ne feraient « rien » est manifestement insuffisante à cet égard, étant donné, d’une part, qu’il ne se dégage pas des éléments soumis à l’appréciation du soussigné que Monsieur … aurait par le passé vécu une quelconque expérience négative avec les autorités tunisiennes, et d’autre part, que l’argumentation du demandeur selon laquelle la Tunisie serait un pays « sans justice » n’est corroborée par aucune pièce probante, de sorte que ces affirmations restent à l’état de pures allégations.
Dans ces circonstances, le soussigné est amené à retenir qu’il ne ressort manifestement pas des déclarations du demandeur ni des pièces versées en cause que les autorités tunisiennes compétentes ne voudraient ou ne pourraient pas fournir au demandeur une protection appropriée contre les menaces dont il déclare avoir été victime.
Dès lors, sur base de son récit, le demandeur ne saurait, à l’évidence, bénéficier d’un statut de protection internationale.
Eu égard aux considérations qui précèdent et indépendamment de la question de la crédibilité du récit du demandeur, le soussigné conclut que le recours de Monsieur …, dans la mesure où il tend à la réformation de la décision du ministre d’analyser sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, est manifestement infondé, en ce sens que les moyens qu’il a présentés pour établir que les faits soulevés à la base de sa demande de protection internationale ne seraient pas dépourvus de pertinence sont visiblement dénués de tout fondement.
Il s’ensuit que le recours en réformation contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement infondé.
2) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale S’agissant ensuite du recours dirigé contre la décision du ministre portant rejet de la demande de protection internationale de Monsieur … et, plus particulièrement, du reproche formulé par ce dernier selon lequel le ministre se serait abstenu de procéder à un examen effectif de sa demande, en ce qu’il n’aurait pas pris en compte ses déclarations, de sorte que la décision déférée serait dépourvue de toute motivation, force est au soussigné de constater, 5 Jean-Yves Carlier, « Qu’est-ce un réfugié ? », Edition Bruylant, 1998, p. 754 20d’une part, que le demandeur est resté en défaut d’indiquer quelles de ses déclarations n’auraient pas été prises en compte par le ministre et, d’autre part, que la décision déférée contient un résumé des motifs de sa demande de protection internationale, tels que ressortant de son audition, et qu’elle énonce de façon détaillée les raisons ayant amené le ministre à refuser ladite demande. Dès lors, l’argumentation afférente est à écarter pour manquer en fait.
Quant au fond, le soussigné retient, pour les mêmes motifs que ceux exposés dans le cadre du volet du recours visant la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée, que les faits invoqués par le demandeur ne justifient manifestement pas l’octroi, à l’intéressé, d’un statut de protection internationale, de sorte que c’est à bon droit, et indépendamment de la question de la crédibilité du récit de l’intéressé, que le ministre a refusé de faire droit à la demande afférente du demandeur.
Dès lors, le recours dirigé contre la décision du ministre portant refus d’accorder au demander une protection internationale est à rejeter pour être manifestement infondé.
Il s’ensuit que le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.
3) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire En ce qui concerne le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, le soussigné relève qu’aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où le soussigné vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé, le ministre a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer le principe de précaution, tel qu’invoqué par le demandeur.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.
Par ces motifs, le juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la première chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 15 avril 2024 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;
21au fond, déclare le recours principal en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;
déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 mai 2024 par le soussigné, Michel Thai, juge au tribunal administratif, en présence du greffier Luana Poiani.
s. Luana Poiani s. Michel Thai Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 mai 2024 Le greffier du tribunal administratif 22