Tribunal administratif N° 50396R du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50396R Inscrit le 30 avril 2024 Audience publique du 24 mai 2024 Requête en obtention d’un sursis à exécution introduite par la société A, …, contre des décisions du ministre de l’Économie, des PME, de l’Énergie et du Tourisme, du ministre de la Mobilité et des Travaux Publics ainsi que du ministre des Finances en présence de la société B, …, et de la société C, …, en matière de concession relative à l’exploitation d’une station-service
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ORDONNANCE
Vu la requête inscrite sous le numéro 50396R du rôle et déposée le 30 avril 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Thibault CHEVRIER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société A, établie et ayant son siège social à …, immatriculée au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le n° …, représentée par ses gérants actuellement en fonctions, tendant à l’institution d’un sursis à exécution de 1) la décision de refus de sélection du 17 avril 2024 prise conjointement par le ministre de l’Économie, des PME, de l’Énergie et du Tourisme, par le ministre de la Mobilité et des Travaux Publics ainsi que par le ministre des Finances, l’ayant informé du rejet de son offre pour l’exploitation de la concession de la station-service de Pontpierre sur l’autoroute A4 Luxembourg - Esch-sur-Alzette (Direction Luxembourg), et de 2) la décision d’attribution de la concession en question à la société B, datée du 17 avril 2024 prise conjointement par le ministre de l’Économie, des PME, de l’Énergie et du Tourisme, par le ministre de la Mobilité et des Travaux Publics ainsi que par le ministre des Finances, cette requête s’inscrivant dans le cadre d’un recours en annulation, déposé au fond en date du même jour, inscrite sous le numéro 50395 du rôle, dirigée contre les mêmes actes ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Patrick KURDYBAN, demeurant à Luxembourg, du 7 mai 2024, portant signification de la prédite requête en obtention d’une mesure provisoire à la société B ainsi qu’à la société C ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour de la société anonyme ARENDT & MEDERNACH, inscrite sur la liste V de l’Ordre des avocats de Luxembourg, pour l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, du 2 mai 2024 ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Christiane GABBANA, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour la société B, du 8 mai 2024 ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Marc THEWES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour la société C, du 13 mai 2024 ;
Vu l’article 11 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;
1 Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Maître Thibault CHEVRIER pour la société requérante, Maître Martial BARBIAN, en qualité de représentant de la société anonyme ARENDT & MEDERNACH, pour l’Etat, Maître Marc THEWES ainsi que Maître Pierre DURAND, pour la société C, et Maître Christiane GABBANA, pour la société B, entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 mai 2024.
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Par avis des 22 et 26 décembre 2023, l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, représenté par le ministre de l’Économie, des PME, de l’Énergie et du Tourisme, par le ministre de la Mobilité et des Travaux Publics ainsi que par le ministre des Finances, publia un avis de concession en vue de l’attribution d’une concession relative à l’exploitation d’une station-
service sur l’autoroute A4 (direction Luxembourg).
La société A, dernier exploitant en date du site, soumit son offre en date du 6 février 2024, à l’instar d’autres concurrents, dont notamment la société B et la société C.
Lors de l’ouverture des offres du 7 février 2024, la société B s’avéra avoir soumis l’offre économiquement la plus avantageuse, suivie de la société C, la société A s’étant classée troisième, l’offre économiquement la plus avantageuse étant évaluée sur base de la redevance annuelle relative au carburant ainsi que de la redevance « shop » à percevoir par l’Etat sur le chiffre d’affaires présomptif résultant de la vente de carburant et de la vente d’articles du shop.
Le 12 février 2024, la société A adressa par l’intermédiaire de son mandataire un courrier de réclamation à l’Etat, à travers lequel elle, en substance, contesta les chiffres produits par ses concurrents à l’appui de leurs offres, ledit courrier étant libellé comme suit :
« Je vous contacte en ma qualité de mandataire de la société A qui m’a informé des résultats proclamés lors de la séance d’ouverture des soumissions du mercredi 7 février 2024 en lien avec l’appel d’offres en vue de l’exploitation de la station-service le long de l’autoroute A4 Luxembourg - Esch-sur-Alzette à Pontpierre, direction Luxembourg.
A titre préalable, il convient de rappeler que, selon les critères d’attribution fixés pour cette concession, les potentiels concessionnaires devaient proposer une redevance annuelle totale variable se composant :
i) D’une redevance annuelle relative au carburant, et ii) D’une redevance shop, correspondant à un pourcentage du chiffre d’affaires hors TVA que le concessionnaire versera à l’Etat.
Sur base de ces redevances, les propositions étaient reprises au sein d’une année de base fictive, correspondant approximativement aux chiffres annuels réalisés sur cette station au cours des dernières années par la société A - actuelle concessionnaire du site - à savoir 11 millions de litres de carburant et … millions de chiffres d’affaires annuel.
C’est dans ce contexte que la société B1 (exploitant sous l’enseigne …) se classerait en tête avec les propositions de redevance suivantes :
2 i) 0,0200 euros par litre de carburant vendu, soit le minimum fixé dans le cahier des charges) ;
ii) 36,5 % de pourcentage de chiffre d’affaires, soit plus de 7 fois le minimum imposé dans le cahier des charges (5%) ;
A l’analyse, cette offre apparaît comme visant manifester à contourner les règles fixées pour une mise en concurrence saine et effective, alors qu’une rétrocession de 36,5 % du chiffre d’affaires n’est pas économiquement viable en assurant la continuité d’une exploitation au sein de laquelle, notamment, la vente de produits de tabacs représente une proportion particulièrement substantielle du chiffre d’affaires ( 70 %) et sur laquelle la marge bénéficiaire est tout au plus de 9 %.
Ceci aboutit à deux conséquences alternatives.
Soit la société B1 envisage de vendre à perte, ce qui s’apparente à une politique de dumping qui n’est pas compatible avec le respect des règles concurrentielles, nonobstant la question de l’implication d’un risque associé à l’exploitation d’une concession de services.
Soit - et c’est l’hypothèse qui doit être considérée comme la plus probable - la société B1 envisage de réduire drastiquement et à dessein le volume des ventes qui seraient effectuées sur cette station, pour uniquement concentrer son exploitation sur la vente de carburants.
En prenant en compte la redevance minimale proposée par B1 pour la vente de carburants, ceci implique que, globalement, les redevances versées à l’Etat par B1 seront en pratique bien inférieures à celles qu’A (et les autres potentiels concessionnaires) aurait versées, en exploitant la concession dans des conditions normales, en visant à réaliser un maximum de chiffres d’affaires tant dans l’exploitation du shop qu’au niveau de la vente de carburants.
Dans ce contexte, je dois rappeler qu’en acceptant le contrat de concession, les concessionnaires devaient explicitement s’engager à offrir « les articles dont le voyageur a besoin lors de son trajet autoroutier » (Art. 8.2) et à ne pas « compromettre de manière durable la continuité ou la qualité du service à la clientèle autoroutière » (Article 32 h.).
Si aucune condition de volume n’a été expressément mentionnée, il n’est toutefois pas admissible qu’un candidat à la concession tente de cette manière de contourner les obligations fixées dans le contrat de concession.
Du point de vue de la législation applicable en matière de concession, je dois enfin rappeler que l’article 40 (1) de la loi du 3 juillet 2018 sur l’attribution des contrats de concessions prévoit que :
« Les concessions sont attribuées sur la base de critères objectifs qui respectent les principes énoncés à l’article 3 et qui garantissent l’appréciation des offres dans des conditions de concurrence effective permettant de constater un avantage économique global pour le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice. » En l’occurrence, l’offre de B1 apparait à la fois comme ne s’inscrivant pas dans le respect d’une concurrence effective et aussi, et surtout, comme aboutissant en définitive à viser à ne pas conférer un avantage économique global pour l’État.
3 La société A est par conséquent d’avis que l’offre remise par la société B1 devra être écartée, pour ne pas être considérée comme une offre à qualifier d’appropriée.
A titre complémentaire, ma mandante a également pu constater que l’offre classée -
toujours selon les résultats provisoires - en second rang, serait celle de l’offre de C.
Après consultation des informations figurant au Registre du Commerce et des Sociétés de Luxembourg, il apparait que cette société n’est pas en règle avec ce qui était prévu à l’article 2.1 du dossier de soumission pour cette concession qui imposait la remise avec l’offre des trois derniers comptes annuels :
« Le soumissionnaire remettra une copie des 3 (trois) derniers bilans et comptes de profits et pertes certifiés et/ou déposés conformément à la loi avec, le cas échéant, l’indication de la date exacte de clôture de l’exercice social ».
Or et selon les informations disponibles auprès du Registre de Commerce, les derniers comptes annuels publiés sont ceux pour l’exercice du 1er avril 2021 au 31 mars 2022, impliquant que les comptes annuels pour son exercice du 1er avril 2022 au 31 mars 2023, dont la publication aurait dû être opérée dans les 6 mois de la clôture de cet exercice, n’ont pas été publiés.
En prenant en compte ces circonstances, l’offre de ma mandante classée en 3e rang selon les résultats proclamés, et qui est régulière, complète et appropriée (en permettant de conférer un avantage économique global pour l’État), devrait indubitablement être déclarée adjudicataire de cette soumission. […] ».
L’Etat transmit en date du 13 mars 2024 cette réclamation à la société B en la priant de prendre position :
« Nous revenons vers vous à la suite de l'ouverture des offres déposées dans le cadre de la mise en concurrence sous rubrique en date du 7 février 2024.
Dans ce contexte, un autre soumissionnaire ayant déposé une offre dans le cadre de la mise en concurrence a d'ores et déjà, au courant de l'analyse des offres et avant qu'une décision d'attribution soit prise, fait part de ses interrogations par courrier adressé à l'Etat à propos de votre offre, en énonçant en substance que le niveau de redevance que vous avez proposé dans votre offre au titre du « shop » (i.e. 36,50 %) impliquerait votre intention ne pas respecter les obligations prévues par le contrat de concession et relatives aux ventes à réaliser dans le «shop» (article 8.2 du projet de contrat de concession), notamment en ce qui concerne la vente de tabac et d'articles pour fumeurs.
Dans ces circonstances et aux fins de clarification, nous vous invitons, dans un délai de 8 (huit) jours à compter de la réception de la présente, à nous faire parvenir votre prise de position concernant les interrogations émises par le soumissionnaire précité.
A cet égard, nous vous prions de nous informer de vos intentions fermes et concrètes, pour le cas où la concession vous serait attribuée, concernant le respect des obligations mises à la charge du concessionnaire par le contrat de concession, au regard des critiques émises par le soumissionnaire précité, plus particulièrement en ce qui concerne la vente de tabac et d'articles pour fumeurs. […] » 4 Le 18 mars 2024, la société B y répondit en les termes suivants :
« […] Dans votre courrier précité, vous nous informez des suspicions émises par un des soumissionnaires concernant le respect de notre part, pour le cas où la concession nous serait attribuée, des obligations prévues par le contrat de concession relatives à la vente de tabac et d'articles pour fumeurs.
Ces suspicions sont infondées et B s'engage par la présente, conformément à l'article 8.2. du contrat de concession et les précisions données par le pouvoir adjudicateur par rapport à cet article dans la réponse à la question n°15, à offrir dans le shop une gamme d'articles pour fumeurs qui corresponde à la demande de la clientèle autoroutière et comprenant au moins des cigarettes, du tabac à rouler, ainsi que des accessoires de tabac. Les différents produits précités seront offerts dans le shop en conditionnements individuels et en cartouches (fardes). […] ».
Le 17 avril 2024, l’Etat adressa la réponse suivante à la société A :
« Nous revenons vers vous à propos de votre courrier adressé le 12 février 2024 à la Ministre de la Mobilité et des Travaux publics ayant pour objet la mise en concurrence sous rubrique.
A la suite de ce courrier, que nous avons analysé et qui a retenu toute notre attention, nous sommes arrivés à la conclusion que les craintes et suppositions que votre mandante articule aux termes de votre courrier ne sont pas fondées.
Afin de permettre à la société B de faire valoir ses observations concernant les critiques de votre mandante, nous lui avons adressé un courrier l’invitant, au regard des développements contenus dans votre courrier du 12 février 2024, d’une part à nous fournir sa prise de position et, d’autre part, à nous informer de ses intentions fermes et concrètes concernant le respect des obligations prévues par le contrat de concession, plus particulièrement en ce qui concerne la vente de tabac et d’articles pour fumeurs.
En réponse à notre demande, la société B a récemment pris position.
Il en ressort que la société B rejette pour être infondées les suspicions exprimées par votre mandante et qu’elle confirme fermement qu’elle se conformera aux exigences du contrat de concession, notamment en vendant des produits du tabac dans le shop de la station-service de l’aire de Pontpierre, direction Luxembourg.
A ce titre, dans sa prise de position, la société B confirme expressément et notamment qu’elle « s’engage par la présente, conformément à l’article 8.2. du contrat de concession et les précisions données par le pouvoir adjudicateur par rapport à cet article dans la réponse à la question n°15, à offrir dans le shop une gamme d’articles pour fumeurs qui corresponde à la demande de la clientèle autoroutière et comprenant au moins des cigarettes, du tabac à rouler, ainsi que des accessoires de tabac. Les différents produits précités seront offerts dans le shop en conditionnement individuels et en cartouches (fardes) ».
Dès lors, au regard également de la prise de position de la société B, nous considérons que votre courrier précité du 12 février 2024 et les arguments y développés ne permettent pas d’identifier des éléments susceptibles d’amener l’Etat à mettre en cause la validité de l’offre remise par B 5 En conséquence, nous vous informons que par décision de ce jour, nous avons décidé d’attribuer la concession portant sur l’exploitation de la station-service le long de l’autoroute A4 Luxembourg-Esch-sur-Alzette à Pontpierre, direction Luxembourg, à la société B.
Votre mandante en est informée par courrier de ce jour que nous joignons en annexe pour votre information.
La présente vous est adressée sous toutes réserves, sans reconnaissance ni renonciation quelconques dans le chef de l’Etat. […] ».
Le même jour, la société A reçut encore l’information que son offre n’avait pas été retenue, ladite information étant libellée comme suit :
« Conformément à l’article 39 de la loi du 3 juillet 2018 sur l’attribution de contrats de concession, nous avons le regret de porter à votre connaissance que votre offre remise dans le cadre de la mise en concurrence sous rubrique n’a pas été retenue.
Nous vous joignons en annexe une copie de l’arrêté ministériel attribuant, conformément au critère d’attribution prévu par le cahier des charges, la concession à la société B qui a remis l’offre proposant la redevance variable la plus élevée, ce qui n’a pas été le cas de votre offre.
En application de l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, nous vous informons que le Président du Tribunal administratif peut être saisi, en application de la loi modifiée au 10 novembre 2010 relative aux recours en matière de marchés publics et d’attribution de contrats de concession, dans les délais prévus à l’article 5 de cette loi, par requête signée par un avocat inscrit à la liste I ou à la liste V. Par ailleurs, un recours en annulation peut être introduit auprès du Tribunal administratif dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente, par requête signée d’un avocat inscrit à la liste ou à la liste V, assorti le cas échéant d’une demande d’effet suspensif sur base de l’article 11 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Nous vous prions de noter que la conclusion du contrat de concession avec la société B n’interviendra qu’à l’expiration du délai de quinze jours prévu par l’article 5 de la loi précitée du 10 novembre 2010. Ce délai commence à courir à partir du lendemain de la date d’envoi de la présente. […] » Le même jour, le ministre de l’Économie, des PME, de l’Énergie et du Tourisme, le ministre de la Mobilité et des Travaux Publics ainsi que le ministre des Finances prirent encore conjointement un arrêté attribuant la concession en cause à la société B, l’arrêté ministériel se lisant comme suit :
« Vu le résultat de la mise en concurrence au niveau européen en vue de l’attribution de la concession relative à l’exploitation d’une station-service le long de l’autoroute A4 Luxembourg-Esch-sur-Alzette à Pontpierre, direction Luxembourg ;
Vu les dispositions de la loi du 3 juillet 2018 sur l’attribution de contrats de concession et de ses règlements grand-ducaux d’exécution;
6 Vu les dispositions du cahier des charges et du projet de contrat de concession ;
Arrêtent :
Art. 1er. La concession relative à l’exploitation de la station-service le long de l’autoroute A4 Luxembourg-Esch-sur-Alzette à Pontpierre, direction Luxembourg, est attribuée, en application du critère d’attribution prévu par le cahier des charges, à la société B qui a proposé la redevance variable la plus élevée et donc la meilleure offre, en vertu de laquelle la société B s’engage à verser à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg en exécution du contrat de concession à conclure, une redevance annuelle de 0,0200 euro par litre de carburant vendu et une redevance annuelle « shop » correspondant à 36.50 % du chiffre d’affaires hors TVA du shop conformément à l’article 23.3 du projet du contrat de concession.
La société B s’engage également à verser à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg une redevance mensuelle fixe telle que prévue à l’article 23.2 du projet de contrat de concession.
Art. 2. Le contrat de concession ne sera signé avec la société B qu’après satisfaction des exigences relatives au stockage prévues au point H du cahier des charges, qu’après la délivrance à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg de la garantie bancaire relative au droit d’entrée et/ou du paiement du droit d’entrée, et qu’après la délivrance à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg de la garantie bancaire visée à l’article 25 du projet de contrat de concession.
[…] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 avril 2024, inscrite sous le numéro 50395 du rôle, la société A a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision du 17 avril 2024 portant rejet de son offre et de l’arrêté ministériel corrélatif du même jour portant attribution de la concession de la station-service de Pontpierre sur l’autoroute A4 Luxembourg - Esch-sur-Alzette (Direction Luxembourg) à la société B.
Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 50396R du rôle, la société A sollicite encore le sursis à exécution par rapport aux décisions attaquées dans le cadre du recours au fond.
La société A, ci-après « la société A », expose d’abord que si elle se serait certes classée troisième à l’appel d’offres, elle justifierait néanmoins d’un intérêt à agir à qualifier de personnel et direct en tant que destinataire direct des décisions d’écarter son offre, respectivement de la décision d’adjudication du marché litigieux à un soumissionnaire concurrent, et ce d’autant plus que comme il serait établi que les offres de ses concurrents classés en première et en seconde position auraient dû être disqualifiées, elle disposerait d’un intérêt à obtenir l’annulation à la fois actuel mais aussi certain.
La société A estime ensuite que les conditions légales requises pour voir instituer la mesure provisoire sollicitée seraient remplies en l’espèce au motif que l’exécution de la décision d’adjudication risquerait de lui causer un préjudice grave et définitif, d’une part, et que les moyens d’annulation à l’appui de son recours au fond seraient sérieux, d’autre part.
A cet égard, elle estime en effet que son recours au fond aurait de sérieuses chances de succès de voir annuler les décisions querellées.
7 La société A excipe en guise de premier moyen du fait que l’offre de la société B telle que sélectionnée ne serait pas économiquement viable et que sa sélection constituerait une violation des règles issues du droit de la concurrence.
Elle rappelle à cet égard que si tous les autres candidats avaient proposé à cet égard un pourcentage de rétrocession d’environ 5 %, la société B aurait proposé un pourcentage de rétrocession tenant à l’exploitation du shop de 36,5 %, proposition qui apparaitrait selon elle comme n’étant pas économiquement viable pour assurer la continuité d’une exploitation au sein de laquelle, notamment, la vente de produits de tabacs représenterait une proportion particulièrement substantielle du chiffre d’affaires ( 70 %) et sur laquelle la marge bénéficiaire serait tout au plus de 9 %.
Elle estime partant que cette proposition de la société B aboutirait à une tentative de vendre à perte, ce qui s’apparenterait à une politique de dumping qui ne serait pas compatible avec le respect des règles concurrentielles, nonobstant la question de l’implication d’un risque associé à l’exploitation d’une concession de services. Aussi, offrir une telle redevance qui serait manifestement hors de proportion s’inscrirait dans une logique d’un comportement s’assimilant à la pratique de prix d’éviction, ce qui constituerait un comportement s’inscrivant dans une logique de distorsion du droit de la concurrence.
La société A estime que cette offre aurait dû partant être analysée comme une offre anormalement basse ou comme présentant un caractère anormal, ce qui aurait dû conduire à sa mise à l’écart, de sorte que le tribunal administratif devrait prononcer l’annulation des décisions déférées.
La société A soutient ensuite en tant que second moyen que l’offre de la société B aboutirait à consacrer une possibilité de permettre à un opérateur de réduire drastiquement et à dessein le volume des ventes qui seraient effectuées sur cette station-service pour uniquement concentrer son exploitation sur la vente de carburants. En effet, en prenant en compte la redevance minimale proposée par la société B pour la vente de carburants, il conviendrait de constater que les redevances versées à l’État par la société B seraient en pratique bien inférieures à celles qu’elle-même aurait versées en exploitant la concession dans des conditions normales, en visant à réaliser un maximum de chiffres d’affaires tant dans l’exploitation du shop qu’au niveau de la vente de carburants.
Or, selon les termes du projet de contrat de concession, les concessionnaires devaient explicitement s’engager à offrir les articles dont le voyageur a besoin lors de son trajet autoroutier et à ne pas compromettre de manière durable la continuité ou la qualité du service à la clientèle autoroutière, de sorte que même si aucune condition de volume n’aurait été expressément mentionnée, il ne serait toutefois pas admissible qu’un candidat à la concession tente de cette manière de contourner les obligations fixées dans le contrat de concession.
La société A en conclut que l’offre de la société B apparaitrait comme ne conférant pas un meilleur avantage économique global pour l’État, la société requérante rappelant à cet égard que tous les autres candidats à cette soumission avaient offert des redevances pour le shop très proche du minimum (5,00 %) fixé par l’État.
Elle reproche encore à l’Etat, confronté à cette problématique à travers son courrier de réclamation, de s’être contenté de solliciter une simple « prise de position » à la société B quant au respect des obligations prévues dans le contrat, mais de ne pas avoir sollicité des précisions, 8 notamment une analyse de prix portant sur la manière dont la société B envisagerait de faire face au paiement d’une redevance la mettant dans une situation de vente à perte, pendant une période de dix années, en démontrant par exemple que sa marge bénéficiaire était en réalité supérieure à 36,5 % sur l’exploitation du shop tout en répondant aux attentes habituelles des usagers, en demandant par exemple quelles seraient les quantités envisagées au niveau des ventes, par marque de cigarette, par type de produit, informations élémentaires qu’une entreprise concessionnaire devrait être en mesure de produire.
La société requérante estime qu’une telle manière de procéder, en sollicitant une simple confirmation de l’engagement de respecter les termes du contrat, ne répondrait pas à l’obligation légale pour un pouvoir adjudicateur de procéder à l’analyse de la valeur économique globale du contrat mais se reposerait uniquement sur des dires, non autrement étayés, d’un opérateur économique, violant ainsi l’article 40 (2) alinéa 3 de la loi du 3 juillet 2018 sur l’attribution des contrats de concessions.
A titre incident, la société requérante fait encore valoir que l’Etat n’aurait pas respecté son obligation de motivation, dans le cadre de l’information lui retransmise suite à la réclamation introduite, ce qui vicierait également, de ce fait, les décisions entreprises, la société requérante considérant que la motivation retransmise ne suffirait en effet pas à respecter les prescriptions figurant au sein du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’État et des communes, et plus particulièrement dans le contexte de l’article 6 de ce règlement.
Enfin, la société A conclut à l’irrégularité de l’offre classée provisoirement en seconde position de la société C, et ce au motif que cette société ne serait pas en règle avec l’obligation prévue à l’article 2.1 du dossier de soumission pour cette concession qui imposait au moment du dépôt de l’offre, soit le 6 février 2024, la remise avec l’offre des trois derniers comptes annuels, la société requérante soutenant que les derniers comptes annuels publiés par la société C avant la date de la remise des offres auraient été ceux pour l’exercice du 1er avril 2021 au 31 mars 2022, impliquant que les comptes annuels pour son exercice du 1er avril 2022 au 31 mars 2023, dont la publication aurait dû être opérée dans les 6 mois de la clôture de cet exercice, n’auraient pas été publiés avant la remise des offres.
La société A, pour justifier l’existence d’un risque de préjudice grave et définitif, se prévaut d’abord d’un préjudice financier au niveau de la perte d’opportunité commerciale, préjudice qui serait d’une gravité substantielle, et ce au vu tant de la valeur absolue du montant du marché que de sa proportion par rapport à la requérante.
A cet égard, elle explique que son chiffre d’affaires moyen annuel sur les trois dernières années pour le carburant aurait été de plus de … millions d’euros, tandis que le chiffre d’affaires annuel moyen sur les trois dernières années pour le shop aurait été d’environ … millions d’euros, de sorte que la perte de cette concession représenterait environ … millions d’euros sur les dix prochaines années, à mettre en relation avec son chiffre d’affaires global d’environ … millions d’euros pour l’année 2022, la société A relevant encore l’importance substantielle et significative de l’exploitation de la station-service de Pontpierre qui représenterait environ 20-
25% de son activité.
Elle relève encore qu’au vu des incidences d’un point de vue commercial, combinées à l’absence d’une réparation adéquate et en temps utile, ce préjudice serait également à caractériser de définitif.
9 Au-delà de ce préjudice financier et commercial, il s’agirait encore d’un préjudice sur le plan stratégique. En effet, la situation de cette station-service serait particulièrement stratégique pour elle du fait de sa localisation sur un axe particulièrement fréquenté entre Luxembourg et Esch-sur-Alzette.
Enfin, les décisions déférées entraineraient encore une perte d’ordre réputationnel à défaut pour elle de continuer à exploiter cette station-service sur une période de dix années, puisqu’elle risquerait ainsi d’apparaître comme « la » société qui aurait perdu ce marché. Dès lors, au-delà de l’aspect financier, il s’agirait également d’une question d’image de marque et de prestige alors qu’elle serait injustement empêchée de pouvoir réaliser ce marché qui devrait être considéré comme particulièrement représentatif.
La société A en conclut qu’une simple réparation par équivalent intervenant au terme d’une procédure civile, longue et coûteuse, ne lui procurerait pas une entière satisfaction, de sorte que son préjudice serait grave.
Le représentant de l’Etat, rejoint en ses développements par le représentant de la société B, pour sa part, conclut au rejet du recours au motif que les conditions du caractère sérieux des moyens et d’un risque de préjudice grave et définitif ne seraient pas remplies en cause, les deux protagonistes contestant en particulier tant la gravité et que le caractère définitif du préjudice, pris en ses différents volets, tel que mis en avant par la société A.
En ce qui concerne plus particulièrement le caractère sérieux des moyens de la société A, l’Etat, rejoint en son argumentation par la société B, critique d’abord l’argumentation de la société A pour ne reposer essentiellement que sur des supputations et hypothèses non étayées, pour ensuite relever que la société B s’était explicitement engagée à respecter les dispositions du cahier des charges et du contrat de concession, notamment en ce qui concerne la vente d’articles pour fumeur telle que précisée suite à une question posée au cours de la procédure de soumission.
Les deux parties relèvent encore que le cahier des charges n’aurait fixé aucun volume de vente d’articles de tabac ou aucun chiffre d’affaires minimal, qui relèveraient de la seule responsabilité du concessionnaire, lequel supporterait seul le risque d’exploitation, caractéristique propre aux contrats de concession ; en particulier la stratégie commerciale relèverait de la seule responsabilité du concessionnaire sans que l’Etat en tant que concédant n’ait à s’y immiscer.
L’Etat expose ensuite avoir vérifié les offres sur base des critères objectifs du cahier des charges, sans avoir décelé un quelconque indice lui permettant de conclure à ce que B envisagerait de réduire drastiquement la vente de produits de tabac ; par ailleurs, il ne lui appartiendrait pas, pas plus d’ailleurs qu’aux juges du fond, siégeant en tant que juges de l’annulation - et encore moins au juge des référés - de procéder à une analyse de la rentabilité financière de l’offre de la société B. En tout état de cause, la question de la rentabilité financière ne se révèlerait qu’au terme du contrat et serait à apprécier in globo, c’est-à-dire pas uniquement au vu des seuls produits de tabac.
L’Etat expose encore que le recours n’indiquerait aucune disposition légale qui aurait été violée, de sorte que le recours ne contiendrait aucun élément d’illégalité.
10 Enfin, il donne à considérer que l’offre de la société B se justifierait par la stratégie commerciale retenue par celle-ci, à savoir remettre une offre minimale en ce qui concerne la redevance sur le carburant, pour tenter de dégager une marge maximale sur ces produits, et, en ce qui concerne le shop, de vendre plus de produits autres que le tabac avec des marges plus importantes, tels que par exemple la restauration rapide.
La société B, à ce sujet, confirme vouloir poursuivre une stratégie commerciale innovante, consistant à développer en tant que premier pilier de la station-service de Pontpierre la restauration rapide, qui devrait représenter la part la plus importante de son chiffre d’affaires, à l’instar par exemple de ce qu’elle aurait déjà réalisé dans le cadre de la station-service de Leudelange, et en tant que deuxième pilier, la vente de carburant sous l’enseigne …. Dans ce contexte, elle relève que l’exploitant actuel aurait fortement délaissé le volet de la vente de carburant, en se basant sur des photographies de la station-service actuelle, qui n’aurait été guère entretenue et serait devenue vétuste et peu accueillante ; pour sa part, elle envisagerait de rénover et de moderniser la station-service.
Si elle ne délaisserait pas la vente de produits pour fumeurs, prévue par le cahier des charges, elle estime toutefois qu’elle ne saurait plus tout miser sur la vente de tels produits, une telle stratégie n’étant actuellement plus de mise, notamment au vu de la politique nationale anti-
tabagisme.
La société C estime pour sa part que l’Etat se serait fait berner par la société B qui aurait soumis une offre truquée, la société C relevant que la société B aurait proposé une redevance « shop » de 36,5 %, là où tous les autres soumissionnaires auraient offert aux alentours de 5 %.
Elle prend acte du fait que la société B entendrait reposer son activité essentiellement sur la restauration, pour relever qu’une telle activité ne serait pas compatible avec la concession, qui prévoirait uniquement la vente de carburant ainsi que de produits destinés aux usagers de l’autoroute dans le shop, mais non un restaurant, de sorte que l’offre de la société B basée essentiellement sur l’activité de restauration serait faussée.
Elle relève ensuite qu’en présence d’une offre représentant 7 fois le montant des offres concurrentes et par rapport au volet « shop » qui comporterait une très forte proportion de vente d’articles pour fumeurs (70 %) présentant une faible marge bénéficiaire (9 %), l’Etat aurait dû procéder à une vérification de l’équilibre économique général du contrat et s’assurer de la viabilité commerciale de l’offre, ce que l’Etat n’aurait pourtant pas fait, l’Etat s’étant contenté d’une vérification purement formelle et arithmétique de l’offre, de sorte que l’Etat aurait versé dans une erreur manifeste d’appréciation.
En vertu de l’article 11 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après « la loi du 21 juin 1999 », un sursis à exécution ne peut être décrété qu’à la double condition que, d’une part, l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance.
L’affaire au fond ayant été introduite le 30 avril 2024 et compte tenu des délais légaux d’instruction fixés par la loi du 21 juin 1999, elle ne saurait être considérée comme pouvant être plaidée à brève échéance.
11 Il convient ensuite de rappeler que, concernant les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la demande, le juge appelé à en apprécier le caractère sérieux ne saurait les analyser et discuter à fond, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond. Il doit se borner à se livrer à un examen sommaire du mérite des moyens présentés, et accorder le sursis, respectivement la mesure de sauvegarde lorsqu’il paraît, en l’état de l’instruction, de nature à pouvoir entraîner l’annulation ou la réformation de la décision critiquée, étant rappelé que comme le sursis d’exécution, respectivement l’institution d’une mesure de sauvegarde doit rester une procédure exceptionnelle, puisque qu’ils constituent une dérogation apportée aux privilèges du préalable et de l’exécution d’office des décisions administratives, les conditions permettant d’y accéder doivent être appliquées de manière sévère.
L’exigence tirée du caractère sérieux des moyens invoqués appelle le juge administratif à examiner et à apprécier, au vu des pièces du dossier et compte tenu du stade de l’instruction, les chances de succès du recours au fond. Pour que la condition soit respectée, le juge doit arriver à la conclusion que le recours au fond présente de sérieuses chances de succès.
Ainsi, le juge des référés est appelé, d’une part, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et, d’autre part, non pas à se prononcer sur le bien-fondé des moyens, mais à vérifier, après une analyse nécessairement sommaire des moyens et des arguments présentés, si un des moyens soulevés par le requérant apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation de la décision attaquée.
La compétence du président du tribunal est restreinte à des mesures essentiellement provisoires et ne saurait en aucun cas porter préjudice au principal. Il doit s’abstenir de préjuger les éléments soumis à l’appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu’il doit s’abstenir de prendre position de manière péremptoire. Il doit donc se borner à apprécier si les chances de voir déclarer recevable le recours au fond paraissent sérieuses, au vu des éléments produits devant lui. Au niveau de l’examen des moyens d’annulation invoqués à l’appui du recours au fond, l’examen de ses chances de succès appelle le juge administratif saisi de conclusions à des fins de sursis à exécution, à procéder à une appréciation de l’instant au vu des éléments qui lui ont été soumis par les parties à l’instance, cette appréciation étant susceptible de changer par la suite en fonction de l’instruction de l’affaire et à vérifier si un des moyens soulevés par la partie requérante apparaît comme étant de nature à justifier avec une probabilité suffisante l’annulation voire la réformation de la décision critiquée.
Il doit pour cela prendre en considération les solutions jurisprudentielles bien établies, étant donné que lorsque de telles solutions existent, l’issue du litige - que ce soit dans le sens du succès du recours ou de son échec - n’est plus affectée d’un aléa.
Or, à cet égard, les différents moyens de la société A n’entrainent pas à ce stade et au terme d’une analyse nécessairement sommaire la conviction dans le chef du soussigné d’une annulation probable de ce chef des décisions déférées.
Ainsi, si la société A fait plaider en guise de premier moyen en substance que l’offre de la société B aurait dû être analysée comme une offre anormalement basse ou comme présentant un caractère anormal, qui aurait dû conduire à sa mise à l’écart, ce moyen semble, à 12 première vue, méconnaitre la différence entre les marchés publics et les contrats de concession, d’une part, et l’objectif particulier d’une analyse d’une offre anormalement basse, d’autre part.
Aux termes de l’article 3, paragraphe 1er, point a), de la loi modifiée du 8 avril 2018 sur les marchés publics, un marché public est un contrat à titre onéreux conclu entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et ayant pour objet l’exécution de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de services.
En revanche, tel que résultant, notamment, de l’article 5 de la loi du 3 juillet 2018 sur l’attribution de contrats de concession, un tel contrat de concession est un contrat à titre onéreux par lequel l’adjudicateur confie l’exécution de travaux ou de services à un ou plusieurs opérateurs économiques, la contrepartie consistant essentiellement dans le droit d’exploiter les ouvrages qui font l’objet du contrat - en l’espèce l’aire de service de Pontpierre - ; outre l’exécution de travaux ou de services, le pouvoir adjudicateur transfère également et surtout au concessionnaire l’intégralité ou, au moins, une part significative du risque d’exploitation qu’il encourt : la distinction principale entre un marché public et un contrat de concession réside donc dans la rémunération du titulaire du contrat, et plus précisément, dans le transfert du risque lié à l’exploitation de l’activité objet du contrat audit titulaire, transfert de risque explicitement inscrit à l’article 5, alinéa 2, de la loi du 3 juillet 2018 sur l’attribution de contrats de concession.
Dès lors, si la part de risque transférée au délégataire n’implique pas une réelle exposition aux aléas du marché, le cocontractant ne peut, par suite, être regardé comme supportant un risque lié à l’exploitation du service. Il en résulte qu’une telle convention ne revêt pas le caractère d’un contrat de concession, mais celui d’un marché public1.
En d’autres termes et en simplifiant, le pouvoir adjudicateur assume, en cas d’adjudication d’un marché public, les risques économiques de son choix, puisque le pouvoir adjudicateur verse un prix en contrepartie de la prestation dont il bénéficie en exécution du contrat : si le prix est insuffisant (« anormalement bas »), il risque de ne pas garantir l’exécution correcte du marché public. Dans le cas d’une concession, c’est le concessionnaire qui assume un tel risque économique, puisque la rémunération du concessionnaire est liée aux résultats de l’exploitation de l’ouvrage ou du service.
Cette différence explique selon la doctrine que les contraintes qui s’imposent à l’administration pour choisir son cocontractant sont beaucoup plus contraignantes lorsque le contrat est un marché public que lorsqu’il s’agit d’une concession.
A ce titre, le législateur a instauré dans le cadre des marchés publics aux articles 38 et 146 de la loi modifiée du 8 avril 2018 sur les marchés publics ainsi qu’aux articles 87, 88 et 89 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 portant exécution de la loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics une procédure d’analyse des prix en cas d’offres suspectées d’être anormalement basses par le pouvoir adjudicateur, cette procédure permettant au pouvoir adjudicateur de vérifier la viabilité de l’offre lui soumise, en différenciant une offre anormalement basse d’une offre concurrentielle, et ce afin de se protéger d’offres 1 CdE fr., 24 mai 2017, Société Régal des Iles, n° 407213 ; CdE b. 2 septembre 2020, n° 248.196.
13 financièrement séduisantes mais dont la solidité pourrait ne pas être assurée2 et qui risqueraient de mettre en péril la bonne exécution du marché3.
La jurisprudence rappelle encore que cette procédure de traitement des offres suspectées d’être anormalement basses constitue une disposition à rapprocher de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en ce sens qu’il s’agit d’une disposition visant essentiellement à protéger les droits d’un soumissionnaire ayant présenté l’offre apparaissant présenter une anomalie au niveau de son prix, lequel risque de se voir écarter de ce chef, et partant, essentiellement, d’une procédure protectrice de l’auteur d’une offre suspectée d’être anormalement basse4.
Une telle analyse d’une offre suspectée d’être anormalement basse ne se conçoit dès lors a priori pas dans le cadre d’un contrat de concession, où la prestation est garantie contractuellement mais où le risque économique repose sur le concessionnaire ; la jurisprudence française5 a d’ailleurs retenu à cet effet que « la prohibition des offres anormalement basses et le régime juridique relatif aux conditions dans lesquelles de telles offres peuvent être détectées et rejetées ne sont pas applicables, en tant que tels, aux concessions », puisque « le prix versé par l’acheteur ne peut, par définition, qu’avoir un rôle marginal dans l’équilibre économique du contrat et ne peut certainement pas, aussi bas soit-il, en compromettre la bonne exécution »6.
Si la partie C, intervenant à cet égard en appui de l’argumentation de la société A, entend encore se prévaloir d’un article de doctrine française7 relatif à l’arrêt du Conseil d’Etat français du 26 février 2020, article dont il résulterait que le juge administratif, dans le cadre d’un contrat de concession, serait néanmoins appelé à procéder à un contrôle du caractère anormalement bas de l’offre, afin de ne pas compromettre la bonne exécution de la concession, mais que « Le contrôle est toutefois particulièrement restreint et porte sur l’économie générale du contrat », il n’appert pas que cette conclusion soit transposable au cas litigieux.
En effet, selon les conclusions du rapporteur public dans cette affaire, « L’offre anormalement basse pour l’obtention d’une concession consisterait à proposer des prestations dont le coût pour l’opérateur est bien supérieur aux recettes de l’exploitation du service. », application qui serait utile dans un objectif de bonne exécution du contrat, et d’autant plus quand il s’agit de garantir aux usagers la continuité et la qualité du service. Aussi, face à une offre « manifestement structurellement déficitaire », l’autorité concédante pourrait demander des justifications sur la viabilité économique de la proposition et la rejeter si les éléments apportés ne sont pas satisfaisants, mais comme il appartient au candidat de mesurer et d’assumer le risque dans un contrat de concession, l’offre anormalement basse ne pourrait être reconnue 2 Trib. adm. 2 février 2015, n° 33722 ; Pas. adm. 2023, V° Marchés publics, n° 105, et les autres références y citées.
3 Trib. adm. 2 février 2015, n° 33722.
4 Idem.
5 CdE fr. 26 février 2020, Commune de Saint-Julien-en-Genevois, req. n° 436428 ; voir aussi trib. adm.
Guadeloupe, 26 septembre 2022, n° 2200959.
6 Conclusions du rapporteur public, req. n° 436428.
7 Florian Mokhtar, « Concession : quels contrôles des critères de sélection et de l’offre anormalement basse ? », AJ Collectivités Territoriales, 2020, p. 425.
14 qu’exceptionnellement. Pour rappel, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, l’offre reposait sur un prix unitaire, à savoir un prix unique d’un euro par prestation (fourniture de mobilier urbain), offre qu’un concurrent non retenu avait critiquée pour être déficitaire.
Or, en l’espèce, il n’appert pas que l’offre de redevances de la société B soit de nature à compromettre l’exécution du contrat, s’agissant en l’espèce d’une redevance variable exprimée en pourcentage du chiffres d’affaires réalisé et par conséquent directement liée au résultat de l’exécution du contrat, et non, à l’inverse, d’une exécution du contrat liée ou conditionnée par le prix.
Toutefois, au-delà de ce constat, il relève nécessairement d’une bonne administration et d’une bonne gestion des finances publiques que le pouvoir adjudicateur s’assure en tout état de cause de la viabilité de l’offre lui soumise, en différenciant une offre anormalement basse d’une offre concurrentielle, et ce afin de se protéger d’offres financièrement séduisantes mais dont la solidité pourrait ne pas être assurée8.
Il semble par ailleurs ressortir de la jurisprudence9 en matière de marchés publics que la simple différence de prix importante entre deux offres n’est en tout état de cause pas à elle seule déterminante pour permettre de qualifier une offre d’anormalement basse, son caractère normal pouvant se dégager d’autres éléments ; aussi, toujours d’après les solutions retenues par les juges du fond, s’il incombe certes au pouvoir adjudicateur de s’assurer que les prix proposés sont économiquement viables et que le candidat a pris en compte l’ensemble des exigences formulées dans le dossier de consultation, le pouvoir adjudicateur ne peut toutefois se fonder sur le seul écart de prix entre deux offres pour qualifier une offre d’anormalement basse, sans rechercher si le prix en cause était en lui-même manifestement sous-évalué, c’est-à-dire susceptible de compromettre la bonne exécution du marché10.
Dès lors, le seul fait que la société B ait offert, au titre de la redevance annuelle relative à l’exploitation du shop, 36,5 %, alors que les autres candidats avaient tous offert des redevances pour le shop très proche du minimum (5,00 %) fixé par l’Etat dans le cahier des charges n’est, per se et automatiquement, pas de nature à rendre l’offre irrégulière, mais il convient de procéder à un examen attentif des explications fournies par l’entreprise pour justifier son prix. Ainsi, en la matière des marchés publics, il est admis que si ces éléments sont convaincants, le pouvoir adjudicateur peut requalifier l’offre de « normale », en reconnaissant son caractère particulièrement compétitif et l’inclure dans le processus d’analyse sur la base des critères d’attribution annoncés et de leur pondération. En revanche, si les explications demandées ne permettent pas d’établir le caractère économiquement viable de l’offre eu égard aux capacités économiques, techniques et financières de l’entreprise et de démontrer que le marché ne peut être exécuté dans les conditions prévues, le pouvoir adjudicateur est tenu de la rejeter par décision motivée.
En l’espèce, encore que l’analyse effectuée formellement par l’Etat à travers son courrier de demande d’information adressé le 13 mars 2024 à la société B et la réponse de cette même société du 18 mars 2024 soit, à première vue, minimaliste, il résulte toutefois des explications données à l’audience des plaidoiries par l’Etat que le pourcentage important offert 8 Trib. adm. 2 février 2015, n° 33722, Pas. adm. 2023, V° Marchés publics, n° 105, et les autres références y citées.
9 Trib. adm. 23 avril 2013, n° 32217, Pas. adm. 2023, V° Marchés publics, n° 117.
10 CE fr., 29 mai 2013, Min. Int. c/ Sté Artéis, n° 366606, ainsi que CE fr., 3 novembre 2014, Office national des forêts, n°382413, cités dans trib. adm. 2 février 2015, n° 33722.
15 pour le shop s’expliquerait par la stratégie commerciale de la société B qui viserait une rentabilité globale de la station-service, sans se braquer sur la seule vente de produits pour fumeurs, en vendant des produits autres où elle pourrait dégager des marges bénéficiaires plus importantes, en insistant sur la vente de carburant et sur la vente de produits de restauration rapide.
Cette stratégie commerciale, présentée comme innovante par la société B, a été confirmée à l’audience par cette dernière, qui a expliqué vouloir, contrairement à l’exploitant précédent, moins miser sur la vente de produits pour fumeurs, mais augmenter la vente de carburant en mettant l’infrastructure existante à neuf, de façon à la rendre plus attractive, et à développer la vente de produits de restauration rapide, vente qui serait très lucrative, tel que son expérience dans une autre station-service le démontrerait, et où il existerait une marge bénéficiaire très importante, de plus de 60 %.
Ces explications permettent en l’état, au terme d’un examen nécessairement sommaire, de justifier crédiblement l’offre de redevance plus importante, étant constant en cause que l’année de base fictive prévue au cahier des charges afin de permettre une estimation des différentes offres repose en substance sur les chiffres réalisés par le dernier exploitant, qui, à première vue, avait essentiellement misé sur la vente d’articles pour fumeurs, lesquels représentaient 70 % de son chiffre d’affaires, tout en présentant une faible marge bénéficiaire.
Or, il appert que la société B n’entend pas reprendre ce modèle économique, de sorte que son offre, basée sur une stratégie commerciale substantiellement différente, ne doit pas, nécessairement, se chiffrer dans les mêmes proportions que les offres concurrentes qui semblent en revanche, à première vue, reposer sur la continuation du modèle économique de l’exploitant précédent.
Il ne saurait dès lors à première vue être reproché, au vu de ces explications, au pouvoir adjudicateur, de ne pas avoir écarté l’offre de la société B, comme il n’appert pas, au vu de ces explications et précisions, que la société B ait violé des « règles issues du droit de la concurrence ».
Si la société C, rejointe en cet argument par la société A, objecte certes que le cahier des charges et le contrat de concession ne permettraient pas d’exploiter un restaurant sur l’aire de service en question, il résulte toutefois des précisions apportées par la société B que celle-ci n’entend pas exploiter un restaurant ou un service de restauration, mais qu’elle entend, à l’instar de ce qui se fait dans d’autres stations-services, offrir à la clientèle de passage des plats cuisinés ou préparés (salades sushis, plats préparés) réalisés par ses soins dans une cuisine centrale située ailleurs, sans que ces plats ou produits ne soient destinés à être consommés sur place dans la station-service, ce qui, a priori, semble être compatible avec le contrat de concession qui prévoit, notamment, la vente dans le shop d’articles « dont le voyageur a besoin lors de son trajet autoroutier et qui répondent à la demande de la clientèle de l’autoroute A4 » tels que « Boissons non alcoolisées et boissons alcoolisées (ne dépassant pas un taux d’alcool de 15 degrés), produits laitiers, produits frais, snacks, aliments emballés (sandwichs, salades, etc.) ».
Il s’ensuit qu’à première vue ce premier moyen ne présente pas le sérieux nécessaire.
En ce qui concerne le second moyen de la société A, consistant en substance à soutenir que l’offre retenue de la société B ne procurerait pas le meilleur avantage économique à l’Etat, en ce sens que la sélection de cette offre aboutirait à permettre à la société B de réduire 16 drastiquement et à dessein le volume des ventes qui seraient effectuées sur cette station-service, par exemple en ne proposant qu’une seule marque de cigarettes de préférence impopulaire, pour uniquement concentrer son exploitation sur la vente de carburants, de sorte qu’au vu de la redevance minimale proposée par la société B pour la vente de carburants, les redevances versées à l’Etat par B seraient en pratique bien inférieures à celles que la société A aurait versées en exploitant la concession dans des conditions qu’elle qualifie elle-même de « normales », il vient d’être retenu ci-avant qu’à première vue, l’argumentation de la société A repose essentiellement sur un modèle économique où l’exploitation de la station-service reposerait substantiellement sur la vente de produits de tabac à faible marge bénéficiaire, tandis que le modèle envisagé par la société B reposerait principalement sur la vente de carburant, devant être augmentée par la modernisation de l’infrastructure afférente, ainsi que sur une offre de restauration rapide, à la marge bénéficiaire importante.
Aucun élément ne ressort dès lors actuellement du dossier qui permettrait d’appuyer l’affirmation de la société requérante selon laquelle la société B tenterait de contourner les obligations fixées dans le contrat de concession et de réduire drastiquement et à dessein le volume des ventes qui seraient effectuées sur cette station-service, de façon, tel qu’allégué par la société C, à « berner » l’Etat.
L’analyse effectuée par la société A pour critiquer l’offre de la société B semble dès lors reposer à première vue sur une prémisse erronée, ce qui rejaillit sur sa conclusion hypothétique, à savoir que l’offre de la société B ne procurerait pas à l’Etat le meilleur avantage économique.
Il est ensuite constant en cause qu’arithmétiquement l’offre de la société B présente la meilleure plus-value pour l’Etat, étant rappelé que la redevance offerte ne constitue pas un montant fixe ou minimal, mais un pourcentage, de sorte que la redevance offerte dépend nécessairement du chiffre d’affaires effectivement réalisé et est soumise par définition à un aléa.
En effet, le chiffre d’affaires, quel que soit le cas de figure, dépend notamment d’aléas économiques, l’offre de la société B étant ainsi dépendante du volume de carburant vendu, susceptible de subir des variations en fonction de l’électrification du parc automobile, et du succès de la vente de produits de restauration rapide, tandis que l’offre de la société A est susceptible de subir le contrecoup de la politique anti-tabagisme de l’Etat : dès lors, le fait que l’offre de redevance comporte, nécessairement, une marge d’incertitude ne semble pas être de nature à devoir disqualifier une offre.
Il n’appert dès lors pas de cette conclusion au provisoire ci-dessus, ensemble avec la conclusion provisoire dégagée par rapport au premier moyen de la société requérante, que l’attribution de la concession à la société B soit critiquable en ce que cette offre, prétendument, exposerait l’Etat à des redevances moindres.
En ce qui concerne ensuite l’invocation par la société requérante de l’article 40, paragraphe 1er, de la loi du 3 juillet 2018 sur l’attribution de contrats de concession, aux termes duquel « Les concessions sont attribuées sur la base de critères objectifs qui respectent les principes énoncés à l’article 3 et qui garantissent l’appréciation des offres dans des conditions de concurrence effective permettant de constater un avantage économique global pour le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice », cette disposition visant les critères d’attribution tels que fixés en l’espèce dans le cahier des charges, lequel ne paraît pas pouvoir être critiqué à ce stade de la procédure, la société A ayant en effet a priori disposé de la possibilité, non utilisée, prévue à l’article 3 de la loi du 10 novembre 2010 relative aux recours 17 en matière de marchés publics et d’attribution de contrats de concession, pour voir supprimer des critères qu’elle estimerait ne pas permettre l’appréciation des offres dans des conditions de concurrence effective.
Quant à l’invocation par la société requérante de l’article 40, paragraphe 2, de la loi du 3 juillet 2018 sur l’attribution de contrats de concession, selon lequel « Le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice vérifie si les offres répondent effectivement aux critères d’attribution » ainsi que de l’article C, alinéa 3, du cahier des charges, suivant lequel « L’Etat se réserve le droit de réaliser un examen qui établira si la redevance annuelle variable proposée est en rapport avec les services demandés. A cet effet l’État peut inviter le soumissionnaire à justifier son offre au moyen d’une analyse de celle-ci ou par la production de tous documents se rapportant à l’établissement de l’offre », outre le fait que de façon apparente l’offre de la société B présente arithmétiquement la meilleure plus-value pour l’Etat, il échet de retenir au provisoire, pour les mêmes motifs que ceux retenus par rapport au moyen tiré de l’absence d’analyse des prix mais mutatis mutandum, qu’il ne saurait à première vue et à ce stade être sérieusement reproché à l’Etat de ne pas avoir poussé son analyse au-delà de l’examen formel et arithmétique des offres concurrentes et de s’être contenté de la confirmation par la société B de l’engagement de respecter les termes du contrat et d’offrir en vente tous les articles y prévus, étant souligné que la seule critique concrète alors adressée par la société A dans son courrier de réclamation du 12 février 2024 consistant à soutenir que la société « B1 » (sic) « envisage de réduire drastiquement et à dessein le volume des ventes qui seraient effectuées sur cette station, pour uniquement concentrer son exploitation sur la vente de carburants », critique concrètement rencontrée par la prise de position de la société B du 18 mars 2024, une condition de volume de vente n’étant pas prévue par le cahier des charges.
Enfin, si dans le cadre de ce moyen, la société A tente de s’emparer d’une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en soutenant que le pouvoir adjudicateur n’aurait pas respecté son obligation de motivation, dans le cadre de l’information retransmise à la société requérante suite à la réclamation introduite, ce qui vicierait, de ce fait, les décisions prises antérieurement, il convient de rappeler, dans la mesure où ce moyen tendrait à critiquer l’absence de motivation formelle des décisions déférées, que l’alinéa 2 de l’article 6 précité prévoit que « La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle : - refuse de faire droit à la demande de l’intéressé ; - révoque ou modifie une décision antérieure, sauf si elle intervient à la demande de l’intéressé et qu’elle y fait droit ; - intervient sur recours gracieux, hiérarchique ou de tutelle ; - intervient après procédure consultative, lorsqu’elle diffère de l’avis émis par l’organisme consultatif ou lorsqu’elle accorde une dérogation à une règle générale », de sorte que le cas sous analyse, concernant le degré de précision d’une demande d’information adressée par l’Etat à la société B ainsi que le degré de précision de la réponse y apportée par cette société, ne semble pas tomber dans les hypothèses limitativement énumérées à l’alinéa 2 de l’article 6 précité.
Le moyen afférent ne paraît dès lors pas présenter en l’état actuel d’instruction du dossier le sérieux nécessaire.
En ce qui concerne finalement le troisième moyen de la société requérante, tendant à établir l'irrégularité de l'offre classée provisoirement en seconde position, à savoir celle de la 18 société C, il convient de constater que les décisions déférées ont pour objet, d’une part, le refus de l’offre présentée par la société A et, d’autre part, la sélection de l’offre de la société B, mais que le classement de l’offre de la société C en deuxième position, s’il s’agit certes d’un élément ayant conduit à ces deux décisions, ne constitue pas l’objet des deux décisions déférées.
Or, il résulte de la jurisprudence11 que le dispositif de l’acte administratif, respectivement le point, de fait ou de droit, tranché ou toisé, est des divers éléments de l’acte, le seul qui puisse faire grief et un recours ne peut être exercé contre un élément de l’acte autre que le dispositif. En effet, la décision ne réside pas dans ses motifs mais dans son dispositif. Il s’ensuit qu’un demandeur ne peut se prévaloir, pour justifier son recours, de la seule motivation révélée par la décision.
Par ailleurs, dans l’optique, propre au cadre strict et exceptionnel des demandes en obtention de mesures provisoires devant le juge administratif, ce dernier n’est pas tenu d’examiner tous les moyens du demandeur, en ce compromis des moyens dépourvus de toute incidence sur la situation concrète de celui-ci, mais il peut se limiter à analyser sommairement les moyens du demandeur en relation directe avec le préjudice grave et irréversible allégué, le propre du référé administratif est donc, comme relevé ci-avant, précisément d’éviter à un administré la survenance d’un préjudice grave et irréparable. En d’autres termes, le juge du provisoire n’est pas tenu d’examiner des moyens qui éventuellement pourraient aboutir à l’annulation de la décision déférée, mais qui, s’agissant de moyens sans incidence de fait ou de droit sur la situation de l’administré, ne présentent aucun lien avec le préjudice allégué qu’il conviendrait d’éviter d’urgence.
Or, la question du classement en seconde position de l’offre de la société C est à ce stade sans incidence sur le rejet de l’offre de la société requérante et sur la sélection de l’offre de la société B tels que cristallisés à travers les décisions déférées, puisqu’une éventuelle irrégularité de l’offre de la société C est sans incidence aucune sur une éventuelle annulation ou suspension des décisions déférées, respectivement sur le sort du présent recours, ce moyen est à rejeter pour être dépourvu de toute pertinence.
Si cette question est certes susceptible d’avoir un intérêt dans le cadre d’une future décision que l’Etat serait amené à prendre suite à une hypothétique annulation des décisions actuellement déférées, et qu’il est compréhensible que la société A cherche dès à présent à voir clarifier ce point, les juridictions administratives n'ont toutefois pas été instituées pour procurer aux plaideurs des satisfactions purement platoniques ou leur fournir des consultations12.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’au stade actuel de l’instruction de l’affaire au fond et sur base d’une analyse nécessairement sommaire, l’exigence tirée du caractère sérieux des moyens actuellement invoqués à l’appui de la demande d’annulation des décisions attaquées n’est pas remplie en cause et que la partie requérante doit être déboutée de sa demande en sursis à exécution, sans qu’il y ait lieu d’examiner davantage la question du risque d’un préjudice grave et définitif dans son chef, les conditions afférentes devant être cumulativement remplies, de sorte que la défaillance de l’une de ces conditions entraîne à elle seule l’échec de la demande.
11 Trib. adm. 21 octobre 2015, n° 36076, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n° 44.
12 Trib. adm. 14 janvier 2009, n° 22029, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 65, et les références y citées.
19 Il en résulte que la demande est à rejeter.
La demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 10.000.- euros telle que formulée par la société A laisse d’être fondée, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies en cause.
La demande reconventionnelle en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 5.000.- euros de la société B laisse pareillement d’être fondée, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies en cause. Il y a en effet lieu de constater que les conditions d’application et notamment l’établissement du caractère d’iniquité résultant du fait de laisser les frais non répétibles à charge de ce tiers-intéressé n’ont pas été rapportées à suffisance comme étant remplies en l’espèce, - étant souligné que les honoraires d’avocat ne constituent pas des frais non répétibles -, de sorte qu’il y a lieu de rejeter la demande afférente.
Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique ;
rejette le recours en obtention d’un sursis à exécution ;
rejette également la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par la société A ;
rejette de même la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par la société B ;
condamne la société A aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 mai 2024 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.
s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 mai 2024 Le greffier du tribunal administratif 20