Tribunal administratif N° 50417 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50417 2e chambre Inscrit le 3 mai 2024 Audience publique du 3 juin 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50417 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 mai 2024 par Maître Stéphanie Collmann, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Albanie), de nationalité albanaise et kosovare, demeurant à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre des Affaires intérieures du 17 avril 2024 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 17 mai 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le premier juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la deuxième chambre du tribunal administratif, entendu en son rapport, ainsi que Maître Stéphanie Collmann et Madame le délégué du gouvernement Corinne Walch en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 mai 2024.
Le 28 février 2024, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».
Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section …, dans un rapport du même jour.
En date du 1er mars 2024, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 17 avril 2024, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le lendemain, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », refusa de faire droit à sa demande de protection internationale pour les motifs suivants :
1 « […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite en date du 28 février 2024 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Je suis dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant aux faits et rétroactes procéduraux Il échet de noter que vous avez fait l’objet en France d’un reconduite à la frontière, vous notifiée le 20 mai 2015. En Allemagne, vous êtes « ais gewalttätig polizeibekannt » et trois mandats d’arrêt ont été prononcés contre vous pour « schwerem Raub », « gefährlicher Körperverletzung » et « Ausweisung/Abschiebung ».
2. Quant aux motifs de fuite invoqués à la base de votre demande de protection internationale Vous déclarez être de double nationalité kosovare et albanaise, d’ethnie Albanaise, de confession musulmane, célibataire et originaire d’…. Vous auriez dernièrement vécu avec votre père et votre fratrie à …. Vous avez introduit une demande de protection internationale parce que vous n’auriez plus su quoi faire après que votre relation avec votre ex-copine aurait pris fin tout en précisant que « Je ne suis pas venu ici au Luxembourg ou en Europe pour faire ma demande d’asile » (p. 3 du rapport d’entretien). Le 16 janvier 2024, vous auriez quitté le Kosovo et vous seriez arrivé au Luxembourg le 18 janvier 2024. Vous seriez ensuite parti en Belgique « un peu chez mon ex-copine à Bruxelles » (p. 3 du rapport d’entretien) et vous auriez aussi vécu dans la rue et dans les foyers au Luxembourg. Vous auriez finalement tout de même introduit une demande de protection internationale « car je ne savais plus quoi faire d’autre. Les relations avec mon ex-copine étaient finies et je ne savais plus quoi faire et où aller » (p. 3 du rapport d’entretien).
Vous présentez par la suite un tout autre récit en expliquant avoir introduit cette demande par crainte de vous faire tuer alors que vous seriez « à risque par rapport à plusieurs institutions » (p. 5 du rapport d’entretien), à savoir les services secrets d’Albanie, les services secrets de l’armée albanaise et l’état-major de l’UCK en Macédoine du Nord, qui voudraient tous vous tuer parce que vous seriez au courant des meurtres qu’ils auraient commis en 2001, que vous auriez fait des déclarations qui ne leur auraient pas plu et parce que vous auriez dénoncé des meurtriers et contredit sur votre compte Facebook des déclarations de témoins à Den Haag. Vous auriez publié ces informations entre 2008 et 2014 ou 2015 et les meurtres en question concerneraient votre commandant et quatre de vos amis qui auraient été tués par le commandant de l’UCK de la zone … et la brigade …. En plus, en vous tuant, ces personnes pourraient vous donner la faute pour les crimes qu’elles auraient commis. Vous précisez dans ce contexte qu’en mai 2001, vous auriez volontairement rejoint l’UCK et que vous auriez alors été stationné en Macédoine. Vous auriez fait partie d’une unité spéciale et auriez été « presque tireur d’élite », respectivement, « Sniper » (p. 6 du rapport d’entretien). Vous n’auriez jamais tué des civils, mais confirmez avoir tué des soldats ; vous n’auriez fait que suivre les ordres.
Votre participation aux combats aurait pris fin en août 2001, lorsque quelqu’un vous aurait tiré dessus.
En 2008, vous seriez allé en France pour y demander une protection internationale en 2vous présentant comme …. Votre demande aurait été rejetée, mais vous auriez continué à y vivre jusqu’en 2015. Vous y auriez ensuite introduit une nouvelle demande de protection internationale sous votre véritable identité, mais vous auriez finalement renoncé à cette demande. Par la suite, les autorités françaises vous auraient transféré en Allemagne où vous auriez été recherché, selon vous, pour avoir été dénoncé dans le cadre d’un braquage de banque par une personne envoyée du Kosovo ou d’Albanie. Vous précisez dans ce contexte avoir vécu en Allemagne entre 1996 et 1999 et y avoir introduit une demande de protection internationale moyennant des faux documents serbes, sous l’alias d’…. Entre 2015 et 2020, vous auriez purgé une peine d’emprisonnement en Allemagne. En 2020, vous auriez fait une demande de retour volontaire au Kosovo afin de pouvoir bénéficier d’une libération de prison.
En février 2020, vous seriez retourné vivre au Kosovo. En 2021, deux personnes armées, qui auraient, comme vous, fait partie du de l’UCK, auraient tenté de vous enlever, mais vous auriez réussi à vous libérer alors que vous auriez été armé. Vous précisez alors avoir passé vos journées dans la montagne et être uniquement rentré à … à la maison la nuit. Vous ne seriez plus sorti en ville. Vous prétendez toutefois aussi être parti vivre en Albanie en mars 2021. En août 2023, en travaillant dans un hôtel en Albanie, trois ou quatre personnes auraient tenté de vous forcer dans une camionnette, mais vous auriez pu résister et vos agresseurs se seraient alors enfuis. Vous auriez déposé plainte en Albanie, mais un policier vous aurait dit que cela ne servirait à rien puisque vous perdriez la tête. Vous auriez alors compris qu’il « s’agissait de l’Etat de l’Albanie, que le Service de Renseignement de l’Etat albanais était derrière cela » (p.
7 du rapport d’entretien). En mars 2023, vous seriez retourné vivre au Kosovo et le 16 janvier 2024, vous auriez quitté le Kosovo en direction du Luxembourg.
A l’appui de votre demande de protection internationale, vous présentez les documents suivants :
- votre passeport kosovar, émis le 18 décembre 2023 ;
- deux photos qui vous montreraient au sein d’un groupe d’hommes armés ;
- une copie en langue albanaise qui constituerait une attestation des vétérans de guerre de l’UCK, émise en 2007. […] ».
Le ministre informa ensuite Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27 (1) a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mai 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 17 avril 2024 d’opter pour la procédure accélérée, de celle ayant refusé de faire droit à sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire.
Etant donné que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, la soussignée est compétente pour connaître du recours en réformation dirigé contre les décisions du ministre du 17 avril 2024, telles que déférées, recours qui est encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
3A l’appui des trois volets de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base des décisions déférées, en reprenant, en substance, ses déclarations telles qu’actées lors de son audition par un agent du ministère et telles que résumées dans la décision ministérielle litigieuse de la manière exposée ci-avant. Il explique, à cet égard, avoir été membre de l’Armée de libération du Kosovo (« UÇK ») à partir du mois de mai 2001 jusqu’au 13 août 2001, date à laquelle il aurait subi de graves blessures rendant nécessaire son évacuation vers un hôpital. En date du 7 août 2001, son commandant ainsi que quatre autres membres de son unité auraient été assassinés. Bien que ces assassinats auraient, dans un premier temps, été attribués aux forces ennemies, il se serait toutefois avéré par la suite que l’ordre desdits assassinats aurait été donné par l’Etat-major de l’UÇK. L’UÇK aurait alors mené une contre-attaque en date du 11 août 2001, laquelle aurait connu une riposte dirigée à l’encontre de civils en date du 12 août 2001.
Le demandeur continue en expliquant avoir dénoncé, en 2008, sur les réseaux sociaux les crimes de guerre commis le 12 août 2001 et avoir porté des accusations à l’encontre d’anciens dirigeants de l’UÇK, qu’il estimerait responsables des assassinats du 7 août 2001. Il aurait ensuite subi des menaces de mort, raison pour laquelle il aurait quitté les Balkans pour se cacher, sous des pseudonymes différents, en France, et plus précisément à Bordeaux, de 2008 à 2015, période au cours de laquelle il aurait toujours été recherché, et ce même au-delà des Balkans. A défaut de le retrouver, ses « poursuivants » auraient décidé de porter des accusations publiques à son encontre dans les médias, en l’accusant tant de l’assassinat de son commandant perpétré le 7 août 2001, qu’il aurait commis dans sa fonction de tueur à gages, que d’être l’auteur d’une attaque ayant eu lieu le 21 avril 2015, date à laquelle il se serait néanmoins trouvé en région bordelaise.
Craignant pour sa vie, il se serait présenté auprès des autorités françaises qui l’auraient reconduit en Allemagne pour y purger une peine d’emprisonnement pour des faits commis en 1999. Il aurait ensuite indiqué aux autorités allemandes vouloir retourner volontairement au Kosovo, raison pour laquelle il aurait été libéré et aurait pu retourner dans ledit pays où il se serait caché dans une forêt. Or, après une première tentative d’enlèvement, fin janvier 2021, il se serait rendu en Albanie où il aurait également été victime d’une tentative d’enlèvement au mois d’août 2023, raison pour laquelle il aurait quitté les Balkans le 16 janvier 2024.
En ce qui concerne la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée, le demandeur fait valoir que, quand bien même le Kosovo et l’Albanie figureraient comme pays sûrs dans le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 », il se dégagerait tout de même de l’article 30 (2) in fine de la loi du 18 décembre 2015 que le ministre devrait régulièrement examiner la situation dans les pays désignés comme pays d’origine sûrs. Il s’avèrerait, en effet, que la situation en matière de corruption, de criminalité organisée, de liberté de la presse, de démocratie, de droits de l’Homme et d’autres questions politiques ne serait pas « réjouissante » dans les Balkans occidentaux. Le demandeur fait ainsi référence à un rapport spécial de la Cour des comptes européenne de janvier 2022, sans toutefois fournir une référence concrète à cet égard, duquel il ressortirait que « malgré des efforts, les progrès [seraient] limités, des problèmes fondamentaux persiste[raient] et la durabilité [serait] difficile à assurer en ce qui concerne, par exemple, l’indépendance du pouvoir judiciaire, la concentration des pouvoirs, les ingérences politiques et la corruption, qui appelle[raient] des efforts supplémentaires de promotion des réformes dans ces domaines. ».
Monsieur … précise, quant à l’Albanie, que s’il pouvait être admis que depuis 2014 elle se conformerait globalement aux instruments internationaux relatifs aux « droits humains » et aurait ratifié la plupart des conventions internationales relatives à la protection des droits fondamentaux, les rapports de nombreuses ONG montreraient toutefois qu’il subsisterait 4pourtant des retards sur l’application effective des textes législatifs. La situation globale y demeurerait, dès lors, fragile et critique. La lutte contre la criminalité organisée et la corruption resterait toujours un défi pour le pays. Il en irait de même pour le respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, alors que même si des améliorations y avaient été apportées, « certaines » violations persisteraient. Le demandeur fait encore remarquer, dans ce contexte, que depuis le 1er février 2023, une nouvelle structure judiciaire aurait été mise en place, réduisant le nombre des tribunaux en Albanie de 34 à 16, de sorte à faire craindre que l’accès à la justice devienne plus couteux et plus difficile.
En ce qui concerne le Kosovo, Monsieur … indique que l’impact de la corruption à long terme serait toujours évident dans les institutions publiques, et ce malgré les efforts du gouvernement pour y remédier. En effet, depuis l’indépendance dudit pays, les autorités se seraient montrées peu engagées à poursuivre les cas de corruption de haut niveau, et les condamnations seraient rares en cas de poursuites engagées à l’encontre de « hauts responsables ». Il serait encore un fait que l’ingérence politique dans le système judiciaire constituerait un problème et que la corruption judiciaire généralisée aurait un impact négatif sur « l’indépendance du pouvoir ».
Au vu de ce qui précède, la fragilité de ces pays aurait pour corollaire l’absence de protection des autorités policières et judiciaires, absence qui aurait également permis à des groupes criminels, parfois « au solde des hautes sphères », de se développer. Il y aurait régulièrement des actes de vengeances et de haine tant en Albanie qu’au Kosovo et les autorités, notamment judiciaires, ne seraient pas en mesure de garantir à la population le respect de ses droits.
Le demandeur fait valoir avoir lui-même connu cette réalité lorsqu’il aurait fait l’objet des deux tentatives d’enlèvement susmentionnées, alors que pour la première tentative d’enlèvement, il lui aurait été conseillé de renoncer à sa volonté de déposer plainte et que la deuxième desdites tentatives, qui se serait produite aux abords de … dans lequel il aurait travaillé en Albanie, aurait été classée sans suite. Ainsi, ni l’Albanie, ni le Kosovo ne sauraient être maintenus sur la liste des Etats d’origine pouvant être considérés comme sûrs.
Il donne encore à considérer qu’eu égard aux dispositions de l’article 30 (1) de la loi du 18 décembre 2015, le fait qu’un règlement grand-ducal désignerait un pays comme sûr ne serait pas suffisant pour justifier à lui seul le recours à une procédure accélérée. Il faudrait encore que le ministre, avant de conclure qu’un demandeur de protection internationale provient d’un pays sûr, procède à un examen individuel de sa demande de protection internationale. Le ministre devrait, ainsi, examiner si le demandeur de protection internationale lui a soumis des raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agirait pas, dans son chef, d’un pays sûr en raison de sa situation personnelle. Il s’avèrerait cependant, en l’espèce, que le ministre se serait contenté de recourir à la procédure accélérée sur la seule base de l’inscription de l’Albanie et du Kosovo sur la liste des pays d’origine considérés comme sûrs, sans aucunement analyser sa situation. Aucune mention de l’application effective des différents instruments législatifs et règlementaires à sa situation individuelle n’aurait été effectuée, et ce malgré la communication au ministre par courrier daté au 10 avril 2024 de la part de son litismandataire de pièces supplémentaires comprenant notamment une décision de non-engagement de poursuites du « Parquet de Tirana » suite à la plainte qu’il aurait déposée après la tentative d’enlèvement dont il aurait été victime au mois d’août 2023, ainsi qu’une attestation testimoniale témoignant de ladite tentative d’enlèvement.
5Le demandeur continue en estimant que même à admettre que le ministre aurait analysé de manière adéquate sa situation personnelle, ce dernier aurait dû conclure qu’il existerait des raisons sérieuses de penser que ni l’Albanie, ni le Kosovo ne seraient des pays sûrs.
Ce serait encore en raison d’une fausse appréciation de sa situation que le ministre aurait retenu que les raisons qui l’ont amené à quitter son pays ne seraient pas motivées par des critères de fond définis par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (« Convention de Genève ») et la loi du 18 décembre 2015, de sorte à avoir considéré à tort qu’il n’aurait soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen de sa demande de protection internationale. Les menaces subies par lui seraient, en effet, d’une gravité telle qu’elles ne lui permettraient pas de poursuivre sa vie ni en Albanie ni au Kosovo. En effet, si son idée n’avait pas été, dans un premier temps, de recourir à la protection internationale au Luxembourg, mais de trouver une autre solution, il résulterait néanmoins de ses déclarations faites lors de son audition qu’il aurait erré sur le territoire luxembourgeois pendant un certain temps avant de rejoindre une « ex-amie » à Bruxelles (Belgique). Il affirme, dans ce contexte, ne jamais avoir indiqué avoir rejoint sa petite amie à Bruxelles et être retourné au Luxembourg suite à leur rupture tout en soulignant que le fait que son idée première n’aurait pas été de solliciter la protection internationale au Luxembourg ne saurait être utilisé comme argument pour refuser de faire droit à une telle demande ni pour retenir qu’il aurait uniquement avancé des questions sans pertinence.
En effet, sa demande reposerait sur le seul fait que les pays dont il est originaire ne seraient pas en mesure de lui offrir une sécurité adéquate.
Il continue en expliquant que le fait qu’il ne serait plus en mesure d’accéder à ses comptes sur les réseaux sociaux sur lesquels il aurait dénoncé les évènements auxquels il aurait assisté ou dont il aurait eu connaissance ne saurait pas non plus être suffisant pour remettre en cause ses déclarations ni la réalité des menaces et dangers auxquels il serait confronté, alors que lesdits évènements seraient encore objectivement documentés par d’autres pièces. Ce serait également sans fondement aucun que le ministre aurait retenu que les faits ayant motivé sa fuite des Balkans seraient trop éloignés dans le temps pour justifier l’octroi du statut de réfugié, au motif que si les faits dénoncés n’avaient eu lieu en 2001 et qu’il ne les avait dénoncés qu’en 2015, il n’en demeurerait pas moins que les tentatives d’enlèvement, dont il aurait été victime, auraient eu lieu, pour la dernière, au mois d’août 2023 – la plainte déposée, à cet égard, ayant été classée sans suite au moins de décembre 2023. Il n’existerait, d’ailleurs, aucune disposition légale imposant un délai endéans lequel une demande devrait être formulée.
Le demandeur avance encore que ce serait sans fondement que le ministre aurait refusé de faire droit à sa demande de protection internationale au motif que les faits invoqués à son appui auraient déjà été analysés par un autre pays de l’Union européenne, alors que, d’une part, aucune disposition légale « ne pose[rait] comme exclusion de principe » le fait qu’une demande ait déjà été déposée dans un autre Etat membre, et, d’autre part, les faits gisant à la base de sa demande de protection internationale se seraient produits en 2023, soit postérieurement à la demande déposée en France en 2008.
En ce qui concerne le bien-fondé de sa demande de protection internationale, et après avoir rappelé les termes des articles 2 g) et f), 42 et 48 de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur estime qu’il résulterait à suffisance des éléments objectifs produits en cause que les tentatives d’enlèvement dont il aurait été victime seraient liées au fait qu’il aurait été membre de l’UÇK, partant, d’un groupe social déterminé et qu’elles seraient liées à ses opinions politiques.
Lesdites tentatives d’enlèvement ainsi que les conséquences qui risqueraient de s’en suivre, à savoir son assassinat, constitueraient de manière incontestable un traitement à qualifier d’inhumain et de dégradant, et seraient suffisamment graves du fait de leur nature pour constituer 6une violation des droits fondamentaux de l’Homme. Il résulterait encore du classement sans suites de sa plainte que les autorités de son pays d’origine ne pourraient, respectivement ne voudraient pas lui accorder de protection contre une telle atteinte grave.
Il conclut en faisant valoir qu’au cas où le statut de réfugié serait à qualifier de « manifestement infondé » pour une quelque raison, il conviendrait tout de même de retenir que les conditions pour l’octroi d’une protection subsidiaire seraient réunies dans son chef.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, pris en son triple volet.
Aux termes de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification. Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.
Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale. Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».
Il en résulte qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé et, dans la négative de renvoyer le recours devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.
A défaut de définition contenue dans la loi du 18 décembre 2015 de ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé », il appartient à la soussignée de définir cette notion et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.
Il convient de prime abord de relever que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé, de sorte que la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours contentieux, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.
Le recours est à qualifier comme manifestement infondé si le rejet des différents moyens invoqués à son appui s’impose de manière évidente, en d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement. Dans cet ordre d’idées, force est encore de relever que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le 7président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a) et b) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, qui dispose que « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ou b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la présente loi ; […] ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27 (1) a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande, soit si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la même loi.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non cumulative, le fait qu’une seule des conditions soit valablement remplie justifie la décision ministérielle à suffisance.
La soussignée est dès lors amenée à analyser si les moyens avancés par le demandeur à l’encontre de la décision du ministre de recourir à la procédure accélérée sont manifestement dénués de tout fondement, de sorte que leur rejet s’impose de manière évidente ou si les critiques avancées par lui ne permettent pas d’affirmer en l’absence de tout doute que le ministre a valablement pu se baser sur l’article 27 (1) a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 pour analyser la demande dans le cadre d’une procédure accélérée, de sorte que le recours devra être renvoyé devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.
Concernant plus particulièrement le point b) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, un pays est à considérer comme sûr au sens de l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays tiers désigné comme pays d’origine sûr conformément au paragraphe (2) ne peut être considéré comme tel pour un demandeur déterminé, après examen individuel de la demande introduite par cette personne que si le demandeur est ressortissant dudit pays ou si l’intéressé est apatride et s’il s’agit de son ancien pays de résidence habituelle, et si ce demandeur n’a pas fait valoir de raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle, compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale.
(2) Un règlement grand-ducal désigne un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention 8de Genève en s’appuyant sur un éventail de sources d’information, y compris notamment des informations émanant d’autres Etats membres du BEAA, du HCR, du Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales compétentes.
Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr :
a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
b) le respect du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;
c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.
La situation dans les pays tiers désignés comme pays d’origine sûrs conformément au présent paragraphe est régulièrement examinée par le ministre. ».
Il est constant en cause que le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 a désigné tant l’Albanie que le Kosovo comme pays d’origine sûr1 et il se dégage en l’espèce des éléments du dossier que Monsieur … a la nationalité albanaise et kosovare.
Il convient toutefois de relever qu’au vu du libellé de l’article 30 (1) de la loi du 18 décembre 2015, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme sûr n’est cependant pas suffisant pour justifier à lui seul le recours à une procédure accélérée, étant donné que cette disposition oblige le ministre, nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal, à procéder, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de sa demande de protection internationale, et qu’il incombe par ailleurs au ministre d’évaluer si le demandeur ne lui a pas soumis des raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle et cela compte tenu des conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
Pour l’examen de la question de savoir si un pays est à considérer comme pays d’origine sûr pour un demandeur compte tenu de sa situation personnelle, seule la condition, commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire, tenant à l’absence de protection dans le pays d’origine au sens de l’article 392 de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 403 de 1 Article 1er du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 : « (1) Sont considérés comme pays d'origine sûrs au sens de l'article 21 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection: (…) -
la République d'Albanie; […] -
la République du Kosovo ».
2 « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou des organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », 3 « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
9la même loi est susceptible d’être pertinente, de sorte que l’examen de la situation individuelle doit être fait par rapport aux moyens présentés par le demandeur tendant à établir que cette condition requise pour prétendre à une protection internationale est remplie dans son chef.
Il convient ensuite de rappeler que l’une des conditions d’octroi d’une protection internationale est celle de la preuve, à fournir par le demandeur de protection internationale, que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou disposées à lui fournir une protection suffisante, puisque chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale.
Il y a partant lieu d’analyser si le demandeur a soumis, conformément à l’article 30 (1) de la loi du 18 décembre 2015, des raisons sérieuses permettant de penser que l’Albanie ou le Kosovo n’est pas un pays sûr compte tenu de sa situation personnelle.
En l’espèce, la soussignée constate que le demandeur omet à l’évidence d’établir l’existence, dans son chef, de raisons sérieuses permettant de penser que l’Albanie, respectivement le Kosovo ne seraient pas des pays d’origine sûrs en raison de sa situation personnelle, compte tenu des conditions requises pour prétendre à une protection internationale, telles que décrites ci-avant. Il ne se dégage, en effet, ni du rapport d’audition dressé lors de l’entretien par un agent du ministère ni des éléments soumis à l’appréciation de la soussignée que le demandeur ne pourrait obtenir une protection adéquate de la part des autorités albanaises ou kosovares.
La soussignée relève, à cet égard, que le demandeur n’a avancé aucune raison valable permettant de penser que ses droits les plus élémentaires seraient bafoués en cas de retour dans un de ses pays d’origine, que ce soit l’Albanie ou le Kosovo, sans que les autorités de ces pays ne puissent, respectivement ne veuillent lui fournir une protection appropriée.
Par ailleurs, il convient de relever que pour qu’un défaut de protection au pays d’origine puisse être retenu, il faut en toute hypothèse que l’intéressé ait tenté d’obtenir cette protection pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut.
L’essentiel est, en effet, d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. C’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.
Il y a encore lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale (2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » 10exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, – ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou atteintes graves – cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.
En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
A cet égard, il convient encore de souligner l’importance de rechercher la protection des autorités du pays d’origine puisqu’à défaut d’avoir au moins tenté de solliciter une forme quelconque d’aide, un demandeur de protection internationale ne saurait reprocher aux autorités étatiques une inaction volontaire ou un refus de l’aider.
En effet, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection s’il n’a lui-même pas tenté formellement d’obtenir une telle protection : or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de tentatives d’enlèvement, communément la forme d’une plainte.
En l’espèce, force est d’abord de constater que tant la requête introductive d’instance que le rapport d’audition du demandeur ne fournissent manifestement aucun élément de nature à pouvoir conclure à une absence de protection tant en Albanie qu’au Kosovo.
Bien au contraire, et en ce qui concerne plus précisément le Kosovo, il ressort des explications fournies par Monsieur … qu’il n’a pas déposé de plainte contre les deux personnes qui auraient tenté de l’enlever « fin janvier 2021 »4. Comme il ne fait que supposer que ces personnes – dont il affirme connaître « une d’elles »5 sans toutefois avoir pu les identifier – auraient été membres de l’UÇK, respectivement qu’elles auraient appartenu au « service Secret de l’Albanie », au « Service Secret de l’Armée de l’Albanie » ou à l’« Etat Majeur de l’UCK de la Macédonie du Nord », la soussignée est amenée à retenir qu’au vu des éléments à sa disposition, les agissements dont le demandeur a fait état doivent être considérés comme émanant de personnes privées sans lien avec l’Etat kosovar.
Or, à défaut d’avoir recherché la protection des autorités de son pays d’origine, le Kosovo, le demandeur n’est pas fondé à soutenir que les autorités kosovares ne seraient pas disposées ou ne pourraient pas lui accorder une protection adéquate.
C’est à cet égard en vain qu’il tente de justifier son inaction par le fait qu’il lui aurait « été conseillé […] de renoncer à sa volonté de déposer plainte », le demandeur restant d’ailleurs en défaut de préciser qui lui aurait donné ce « conseil » et d’expliquer dans quelle mesure les personnes qui le suivraient seraient « plus forts que la police », alors qu’il aurait pu se diriger 4 Page 7 du rapport d’entretien.
5 Page 3 du rapport d’entretien.
11vers les autorités supérieures du Kosovo, dont notamment l’Inspectorat de la Police du Kosovo et l’Ombudsman, comme l’explique à juste titre la partie gouvernementale, sources internationales à l’appui.
Il suit de ce qui précède que les moyens présentés par le demandeur afin d’établir que les autorités kosovares ne seraient pas disposées, respectivement seraient dans l’incapacité de lui fournir une protection, sont manifestement infondés.
Ce même constat vaut également pour l’Albanie, alors que bien que le demandeur se prévaut, certes, d’une copie d’une décision de non-engagement de poursuite du « Parquet de Tirana », force est à la soussignée de rejoindre la partie étatique dans son constat selon lequel cette décision mentionne uniquement un numéro de plainte, sans qu’il ne puisse en être déduit une quelconque précision sur les faits qui n’auraient pas été poursuivis par les autorités albanaises, de sorte qu’il n’est pas établi que les faits à la base de cette plainte sont en lien avec la tentative d’enlèvement dont il prétend avoir été victime. Il ne se dégage en outre pas non plus de ce document que Monsieur … a effectivement déposé plainte contre les personnes ayant tenté de l’enlever, dont l’identité n’est, d’ailleurs, pas établie, l’attestation testimoniale versée en cause ne fournissant par ailleurs aucun renseignement à ce sujet, de sorte que là encore la soussignée se doit de conclure que les auteurs de cette tentative d’enlèvement n’étaient pas des personnes privées, le demandeur ne faisant lui-même, tel que relevé ci-avant, que supposer qu’il se serait agi de personnes faisant partie du « service Secret de l’Albanie », du « Service Secret de l’Armée de l’Albanie » ou de l’« Etat Majeur de l’UCK de la Macédonie du Nord ».
Il s’ensuit qu’aucune inaction ne saurait, non plus, être reprochée aux autorités albanaises et que les moyens présentés par le demandeur afin d’établir que les autorités de son pays d’origine, l’Albanie, ne seraient pas disposées, respectivement seraient dans l’incapacité de lui fournir une protection sont manifestement infondés.
La soussignée constate encore, dans ce contexte, que suivant les sources internationales citées par la partie gouvernementale, le demandeur pouvait se diriger vers la direction générale de la police ou auprès du ministère de l’Intérieur de l’Albanie ou encore saisir l’Ombudsman s’il devait avoir estimé que le « Parquet de Tirana » n’avait pas accueilli sa plainte avec le sérieux nécessaire.
Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure qu’il ne ressort manifestement pas des déclarations du demandeur, ni des éléments soumis à l’appréciation de la soussignée à travers la requête introductive d’instance, ni des pièces du dossier, que les autorités albanaises ou kosovares compétentes aient refusé ou aient été dans l’incapacité de fournir une protection quelconque contre les agissements dont il déclare avoir été victime, voire qu’il redoute en cas de retour dans son pays d’origine et que, de la sorte, l’Albanie ou le Kosovo ne serait pas à considérer comme un pays d’origine sûr compte tenu de sa situation particulière.
Cette conclusion n’est pas ébranlée par les problèmes de corruption et de criminalité organisée qui existeraient, selon le demandeur, au sein des autorités albanaises et kosovares, Monsieur … restant, en effet, en défaut d’apporter des éléments pertinents à cet égard relatifs à sa situation personnelle. C’est, dès lors, en vain qu’il invoque une situation générale de corruption, voire, de manière générale, des dysfonctionnements au sein du système judiciaire albanais, respectivement kosovare. Le demandeur se contente, en effet, de se référer à des publications dans le cadre de sa requête introductive d’instance, sans qu’elles n’aient été discutées, ni analysées dans le cadre du recours. Or, il n’appartient certainement pas à la soussignée d’analyser de son propre chef des documents ou articles, pour y déceler d’éventuels 12éléments susceptibles de plaider en faveur de la thèse du demandeur. En effet, il convient de manière générale de relever que conformément à la jurisprudence, le renvoi, sans autre précision, à des documents, sans indication des passages pertinents, sans aucune discussion de leur contenu, n’est pas à prendre en considération par le tribunal, étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, en procédant indépendamment des moyens effectivement soutenus par la partie demanderesse à un réexamen général et global de la situation de la partie demanderesse. Ainsi, le fait pour le demandeur de se référer à des publications relatives à la situation générale en Albanie et au Kosovo, sans les mettre en lien avec sa situation individuelle et personnelle, entraîne que ces publications sont à écarter pour ne pas permettre aux autres parties d’assurer valablement leur défense, ni au tribunal de cerner in concreto et sans ambiguïté le contenu exact des moyens effectivement soulevés6. Il en va de même pour les articles de presse que le demandeur verse en cause qui, d’une part, datent de l’année 2015, de sorte à être trop éloignés dans le temps pour pouvoir s’en prévaloir, et, d’autre part, sont accompagnés, pour la majorité, par la même traduction assermentée du 15 mai 2015, référencée sous le numéro 15/05/15, de sorte que la soussignée se trouve dans l’impossibilité d’analyser le contenu des différents articles de presse non traduits. La soussignée constate encore que les trois traductions assermentées des articles de presse, référencées sous les numéros 18/05/15, 17/05/15 et 15/05/15, concernent, en outre, le procès dit « … » au cours duquel le demandeur aurait été accusé d’avoir été engagé pour assassiner différentes personnes déterminées, et que le demandeur reste en défaut de mettre ces articles de presse en lien avec sa situation personnelle, et plus particulièrement en lien avec la remise en cause de l’Albanie et du Kosovo comme étant des pays sûrs. Ces pièces ne démontrent, en effet, pas que le demandeur ne puisse pas obtenir une protection de la part des autorités albanaises ou kosovares.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours du demandeur, dans la mesure où il tend à la réformation de la décision du ministre d’analyser sa demande d’octroi d’une protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, est manifestement infondé, en ce sens que les moyens qu’il a présentés pour établir que l’Albanie, sinon le Kosovo ne seraient pas à considérer comme pays sûrs dans son chef sont visiblement dénués de tout fondement.
Il s’ensuit que le recours en réformation contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter comme étant manifestement non fondé, sans qu’il ne soit nécessaire de procéder à l’analyse du point a) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, cet examen devenant surabondant.
Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre portant refus d’accorder une protection internationale La soussignée relève à titre préliminaire qu’un demandeur de protection internationale qui possède plusieurs nationalités n’a pas besoin d’une protection s’il ne risque pas de persécution dans l’un des pays dont il a la nationalité ou s’il peut y obtenir la protection des autorités. Un demandeur de protection internationale qui dispose d’une double nationalité doit dès lors montrer que ni les autorités du premier pays ni les autorités de l’autre pays dont il a la nationalité ne peuvent ou ne veulent lui offrir toute la protection.
Il convient à cet égard de rappeler que la section A 2º, deuxième alinéa, de l’article 1er de la Convention de Genève, à laquelle se réfère explicitement la loi du 18 décembre 2015 prévoit que « dans le cas d’une personne qui a plus d’une nationalité, l’expression « du pays dont elle a 6 Trib. adm., 11 février 2015, n° 35704 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
13la nationalité » vise chacun des pays dont cette personne a la nationalité. Ne sera pas considérée comme privée de la protection du pays dont elle a la nationalité toute personne qui, sans raison valable fondée sur une crainte justifiée, ne s’est pas réclamée de la protection de l’un des pays dont elle a la nationalité ».
Cette disposition a pour but d’exclure du statut de réfugié toutes les personnes ayant plusieurs nationalités qui peuvent se réclamer de la protection d’au moins un des pays dont elles ont la nationalité : chaque fois qu’elle peut être réclamée, la protection nationale l’emporte sur la protection internationale7.
Ensuite, il y a lieu de noter qu’aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».
L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, précités, de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-
avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que 7 UNHCR, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, 2011, page 22.
14les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précités, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.
Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.
Force est de constater que la condition commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire est la preuve, à rapporter par le demandeur, que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou ne sont pas disposées à lui fournir une protection.
Or, indépendamment de la qualification des faits invoqués à l’appui de la demande de protection internationale, respectivement de la gravité et du sérieux des motifs dont fait état le demandeur, la soussignée relève qu’elle vient ci-avant de retenir, dans le cadre de l’analyse de la décision ministérielle de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, qu’il n’est manifestement pas établi en l’espèce que les autorités albanaises, sinon les autorités kosovares seraient dans l’impossibilité ou ne voudraient pas fournir au demandeur une protection appropriée par rapport aux craintes dont il fait état. Dès lors, dans la mesure où, dans le cadre du présent recours, la soussignée ne s’est pas vue soumettre d’éléments permettant d’énerver cette conclusion, les craintes avancées par le demandeur ne sauraient manifestement justifier ni l’octroi du statut de réfugié, ni l’octroi de la protection subsidiaire.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous examen est à déclarer manifestement infondé et que Monsieur … est à débouter de sa demande de protection internationale.
Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
Dans la mesure où la soussignée vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé, le ministre a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.
Par ces motifs, 15le premier juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la deuxième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 17 avril 2024 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire ;
au fond, déclare le recours en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;
déboute le demandeur de sa demande de protection internationale ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 juin 2024, par la soussignée, Annemarie Theis, premier juge au tribunal administratif, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Annemarie Theis Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 juin 2024 Le greffier du tribunal administratif 16